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Histoire de l’Église de Corée/Introduction/06

La bibliothèque libre.
Librairie Victor Palmé (1p. lxx-lxxvi).

VI.

Examens publics. — Grades et dignités. — Écoles spéciales.


Tout le monde sait qu’en Chine il n’y a pas, légalement, d’autre aristocratie que celle des lettrés. Dans nul autre pays, on ne professe une aussi grande admiration pour la science, une aussi haute estime pour les hommes qui la possèdent. L’étude est l’unique chemin des dignités, et l’étude est accessible à tous. Sous la dynastie actuelle, il est vrai, les Mandchoux seuls occupent presque toutes les charges militaires de l’empire, et les mandarinats militaires de premier ordre sont réservés à ceux de cette race qui ont un titre de noblesse héréditaire. Les empereurs mandchoux ont voulu ainsi contre-balancer l’influence des dignitaires chinois. Mais c’est la seule exception. Pour avoir droit aux charges les plus élevées de l’ordre civil, pour obtenir les emplois, les places, les faveurs, il est nécessaire et il suffit d’avoir réussi dans les examens publics. On ne s’enquiert ni de l’origine ni de la fortune de celui qui a fait ses preuves de savoir. Ceux-là seuls sont exclus qui ont exercé une profession réputée infamante. En théorie, tout individu, si pauvre et si humble qu’il soit, peut, s’il a conquis les hauts grades littéraires, devenir le premier mandarin de l’empire ; mais celui qui échoue dans les examens, fût-il fils d’un ministre ou d’un marchand dix fois millionnaire, est légalement incapable d’exercer aucune fonction publique. Sans doute cette loi fondamentale est très-souvent éludée en pratique, mais tous la reconnaissent, et elle fait la base de l’organisation administrative du Céleste-Empire.

La Corée étant depuis plusieurs siècles l’humble vassale de la Chine, et n’ayant jamais eu de relations avec aucun autre peuple, on comprend facilement l’influence puissante qu’y exercent la religion, la civilisation, les idées et les mœurs chinoises. Aussi trouvons-nous en Corée le même respect pour la science, la même vénération enthousiaste pour les grands philosophes, et, au moins en théorie, le même système d’examens littéraires pour les emplois et dignités. Les savants hors ligne sont considérés comme les précepteurs du peuple entier, et consultés sur toutes les matières difficiles. Les plus hautes dignités leur sont accessibles, et s’ils y renoncent, leur crédit n’en est que plus grand, et leur influence près du roi et des ministres plus réelle. Quand le christianisme s’introduisit en Corée, la plupart des néophytes étaient des docteurs célèbres, et le roi Tsieng-tsong avait pour eux une si grande considération que, malgré toutes les intrigues de leurs ennemis politiques et religieux, il ne put jamais se décider à les sacrifier. Ce ne fut qu’après sa mort arrivée en 1800, et pendant une minorité, que l’on réussit à les faire condamner à mort. Il n’est pas rare de rencontrer, encore aujourd’hui, des païens amenés à la foi par la renommée scientifique et littéraire de ces premiers convertis.

Il y a, cependant, entre la Chine et la Corée, au sujet des études littéraires et des examens publics, deux différences notables. La première est que, en Corée, les études n’ont absolument rien de national. Les livres qu’on lit sont des livres chinois ; la langue qu’on étudie est, non pas le coréen, mais le chinois ; l’histoire dont on s’occupe est celle de la Chine, à l’exclusion de celle de Corée ; les systèmes philosophiques qui trouvent des adeptes sont les systèmes chinois, et par une conséquence naturelle, la copie étant toujours au-dessous du modèle, les savants coréens sont très-loin d’avoir égalé les savants chinois.

Une autre différence beaucoup plus importante, c’est que, tandis que la Chine entière est une démocratie égalitaire sous un maître absolu, il y a en Corée, entre le roi et le peuple, une noblesse nombreuse, excessivement jalouse de ses privilèges, et toute-puissante pour les conserver. Le système des examens en Chine sort naturellement de l’état social ; en Corée, au contraire, il lui est antipathique. Aussi, dans l’application, voyons-nous ce qui arrive toujours en pareil cas, une espèce de compromis entre les influences contraires. En droit, et d’après la lettre de la loi, tout Coréen peut concourir aux examens, et, s’il gagne les grades littéraires nécessaires, être promu aux emplois publics ; en fait, il n’y a guère que des nobles qui se présentent au concours, et celui qui à son titre de licencié ou de docteur ne joint pas un titre de noblesse, n’obtient que difficilement quelque place insignifiante, sans aucun espoir d’avancement. Il est inouï qu’un Coréen, même noble, ait été nommé à un mandarinat important, sans avoir reçu son diplôme universitaire ; mais il est plus inouï encore, qu’avec tous les diplômes possibles, un Coréen non noble ait été honoré de quelque haute fonction administrative ou militaire.

Les examens qui ont lieu dans chacune des provinces, n’ont de valeur que pour les emplois subalternes des préfectures. Si l’on veut arriver plus haut, il faut, après avoir subi cette première épreuve, venir passer un autre examen à la capitale. On ne demande aucun certificat d’étude ; chacun étudie où il veut, comme il veut, et sous le maître qui lui plaît. Les examens se font au nom du gouvernement, et les examinateurs sont désignés par le ministre, soit pour les examens littéraires proprement dits qui ouvrent la porte des emplois civils, soit pour les examens militaires.

Voici comment les choses se passent habituellement. À l’époque fixée, une fois par an, tous les étudiants des provinces se mettent en route pour la capitale. Ceux de la même ville ou du même district voyagent ensemble, presque toujours à pied, par bandes plus ou moins nombreuses. Comme ils sont soi-disant convoqués par le roi, leur insolence n’a pas de bornes ; ils commettent impunément toutes sortes d’excès, et traitent les aubergistes des villages en peuple conquis, à ce point que leur passage est redouté autant que celui des mandarins et des satellites. Arrivés à la capitale, ils se dispersent, et chacun loge où il peut. Quand vient le jour du concours, le premier point est de s’installer dans le local désigné, lequel est assez étroit et aussi mal disposé que possible. En conséquence, dès la veille, chaque candidat fait quelques provisions, amène avec lui un ou deux domestiques s’il en a, et se hâte de prendre place. On peut imaginer l’effroyable cohue qui résulte, pendant la nuit, de la présence de plusieurs milliers de jeunes gens dans cet espace resserré et malpropre. Quelques travailleurs opiniâtres continuent, dit-on, à étudier et à préparer leurs réponses ; d’autres essayent de dormir ; le plus grand nombre mangent, boivent, fument, chantent, crient, gesticulent, se bousculent, et font un tapage abominable.

Le concours terminé, ceux qui ont obtenu des grades revêtent l’uniforme convenable à leur nouveau titre, puis, à cheval, accompagnés de musiciens, vont faire les visites d’étiquette aux principaux dignitaires de l’État, à leurs protecteurs, aux examinateurs, etc… Cette première cérémonie terminée, en vient une autre qui, sans être prescrite par la loi, est néanmoins absolument nécessaire, si l’on veut se faire reconnaître par la noblesse, et, plus tard, être présenté aux charges publiques. C’est une espèce d’initiation ridicule qui rappelle les scènes grotesques du baptême de la ligne, et dont on trouve l’analogue, même aujourd’hui, dans les plus célèbres écoles et universités d’Europe. Un des parents ou amis du nouveau gradué, docteur lui-même, et appartenant au même parti politique, doit lui servir de parrain, et présider la cérémonie. Au jour marqué, le jeune bachelier ou docteur se présente devant ce parrain, le salue, fait quelques pas en arrière, et s’assied. Le parrain, avec la gravité voulue, lui barbouille le visage, d’encre d’abord, puis de farine. Chacun des assistants vient à son tour lui faire subir la même opération. Tous les amis ou connaissances ayant le droit de se présenter, n’ont garde de manquer une aussi belle occasion. Le piquant du jeu est de laisser croire au patient, à diverses reprises, qu’il n’y a plus personne pour le tourmenter, et quand il s’est lavé, raclé, nettoyé, pour la dixième ou quinzième fois, d’introduire de nouveaux personnages pour recommencer son supplice. Pendant tout ce temps, les allants et venants mangent, boivent et se régalent aux frais de leur victime, et s’il ne s’exécute pas généreusement, on le lie, on le frappe, on va même jusqu’à le suspendre en l’air, pour le forcer à délier les cordons de sa bourse. C’est seulement après cette farce grossière, que son titre littéraire est reconnu valable dans la société.

Les grades que l’on obtient dans les concours publics sont au nombre de trois : tchô-si, tsin-sa, et keup-tchiei, que l’on pourrait comparer à nos degrés universitaires de bachelier, licencié, docteur ; avec cette différence cependant qu’ils ne sont pas successifs, et que l’on peut gagner le plus élevé sans passer par les autres. Il y a des docteurs (keup-tchiei) qui n’ont pas le titre de licencié (tsin-sa), et un licencié n’a pas plus de facilité qu’un autre individu pour obtenir le diplôme de docteur. Comme partout, l’examen comprend une composition écrite et des réponses orales. Les diplômes sont délivrés au nom du roi, celui de tsin-sa sur papier blanc, celui de keup-tchiei sur papier rouge orné de guirlandes de fleurs.

Les tsin-sa, d’après la loi et la coutume, sont surtout destinés à remplir les charges administratives dans les provinces. Quelques années après leur promotion, on en fait des mandarins ordinaires de districts, des gardiens de sépultures royales, etc. ; mais ils ne peuvent prétendre aux grandes dignités du royaume. Les keup-tchiei ont une position à part. Ils sont comme liés à l’État, et remplissent immédiatement, de degré en degré et comme à tour de rôle, les charges du palais, et les grandes fonctions administratives de la capitale. On les envoie assez souvent en province comme gouverneurs, ou mandarins de grandes villes, mais ce n’est qu’en passant, et pour quelques années. Leur place est à la capitale, dans les ministères, et auprès du roi.

Les examens militaires sont très-différents des examens littéraires proprement dits. Les nobles de haute famille ne s’y présentent point, et si par hasard quelqu’un d’eux veut embrasser la carrière militaire, il trouve moyen d’obtenir un diplôme sans passer par la formalité du concours public. Les nobles pauvres et les gens du peuple sont les seuls prétendants. L’examen porte surtout sur le tir de l’arc et les autres exercices militaires ; on y joint une composition littéraire insignifiante. Il n’y a qu’un seul degré nommé keup-tchiei. Celui qui l’obtient peut, s’il est noble, et s’il a d’ailleurs du talent et des protections, prétendre à tous les grades de l’armée ; s’il n’est pas noble, il reste ordinairement avec son titre seul. Tout au plus lui donnera-t-on, après des années d’attente, une misérable place d’officier subalterne.

Au reste, quelle qu’ait pu être autrefois la valeur des examens et concours publics, il est certain que cette institution est aujourd’hui en pleine décadence. Les diplômes se donnent actuellement non pas aux plus savants et aux plus capables, mais aux plus riches, à ceux qui sont appuyés des plus puissantes protections. Le roi Ken-tsong commença de vendre publiquement les grades littéraires, aussi bien que les dignités et emplois, et, depuis lors, les ministres ont continué ce trafic à leur profit. Dans le principe, il y eut des protestations et des résistances ; aujourd’hui l’usage a prévalu et personne ne réclame. Au vu et au su de tous, les jeunes gens qui se présentent aux concours annuels, achètent à des lettrés mercenaires des compositions toutes faites, et il n’est pas rare qu’on connaisse la liste des futurs licenciés et docteurs même avant l’ouverture des examens. Les études sont abandonnées, la plupart des mandarins ne savent presque plus lire et écrire le chinois, qui cependant demeure la langue officielle, et les véritables lettrés tombent dans un découragement de plus en plus profond.

Quelques détails sur certaines écoles spéciales du gouvernement compléteront les notions précédentes.

Les études qui ont pour objet les sciences exactes, la linguistique, les beaux-arts, etc…, sont loin d’être en aussi grand honneur que les études littéraires et philosophiques. Peu de lettrés nobles s’y adonnent, et quand ils le font c’est pour eux affaire de pure curiosité. Elles sont l’apanage à peu près exclusif d’un certain nombre de familles qui forment en Corée une classe à part, laquelle étant au service du roi et des ministres, a des privilèges particuliers, et jouit d’une assez grande considération dans le pays. On la désigne fréquemment sous le nom de classe moyenne, vu sa position intermédiaire entre la noblesse et le peuple. Les individus de cette classe se marient ordinairement entre eux, et leurs emplois passent de génération en génération à leurs descendants. Comme les nobles, ils peuvent être dégradés et réhabilités. Ils sont exempts de la cote personnelle et du service militaire ; ils ont droit de porter le bonnet des nobles, et ceux-ci, dans leurs relations avec eux, les traitent sur un certain pied d’égalité. Ils sont tenus de se livrer à certaines études déterminées, et passent des examens spéciaux pour obtenir leurs différents grades comme interprètes, médecins, astronomes, etc., et une fois reçus dans telle ou telle partie, ils ne peuvent plus passer à une autre. Avant de leur conférer des grades, on fait, comme pour les nobles, l’examen de leur extraction et de leur parenté, et leur nomination se décide par le ministre compétent, assisté de deux autres dignitaires. Ils ont en outre, comme tous les autres Coréens, le droit de concourir aux examens publics soit civils, soit militaires, et, s’ils y réussissent, peuvent obtenir des places de mandarins jusqu’aux degrés de mok-sa et pou-sa inclusivement, mais pas plus haut. La plupart des piel-tsang (petits mandarins militaires ou sous-lieutenants), tsiem-sa (sous-préfets maritimes), et pi-tsiang (secrétaires des gouverneurs et d’autres grands mandarins) appartiennent à la classe moyenne.

Les fonctions exclusivement remplies par des membres de cette classe, se rattachent à huit établissements ou départements distincts.

1o Le corps des interprètes. C’est le premier, le plus important, et celui dont les emplois sont le plus courus. Leurs études ont pour objet quatre langues différentes : le chinois (Tsieng-hak), le mandchou (Hon-hak), le mongol (Mong-hak), et le japonais (Oai-hak) ; et quand ils ont reçu leur diplôme dans une de ces langues, ils ne peuvent plus concourir pour une autre. Il y a toujours un certain nombre d’interprètes avec l’ambassade de Chine. Pour celle du Japon, qui depuis longtemps a perdu de son importance, c’est un interprète qui fait lui-même l’office d’ambassadeur. De plus, un autre interprète, qui a le titre de houn-to, réside continuellement à Tong-naï, dans le voisinage du poste japonais de Fousan-kaï, pour les rapports habituels entre les deux peuples.

2o Le Koan-sang-kam, ou École des sciences, subdivisé en trois branches, où l’on étudie séparément l’astronomie, la géoscopie, et l’art de choisir les jours favorables. Cette école n’est que pour le service du roi.

3o L’Ei-sa ou École de médecine. Il y a deux subdivisions suivant que les étudiants se destinent au service du palais ou au service du public. En fait cependant, les médecins sortis de l’une ou de l’autre sont également admis au palais, et promus aux emplois officiels.

4o Le Sa-tsa-koan ou École des chartes, dont les élèves sont employés à la conservation des archives, et à la rédaction des rapports officiels que le gouvernement envoie à Péking.

5o Le To-hoa-se ou École de dessin, pour les cartes et plans, et surtout pour les portraits des rois.

6o Le Nioul-hak ou École de droit. Cet établissement est annexé au tribunal des crimes. On y étudie surtout le code pénal, et ses employés servent dans certains tribunaux pour indiquer aux juges la nature exacte des peines portées par la loi, dans tel ou tel cas, d’après les conclusions de la procédure.

7o Le Kiei-sa ou École de calcul, d’où sortent les commis du ministère des finances. Outre les comptes habituels de recettes et de dépenses, ils sont chargés d’évaluer les frais présumés des divers travaux publics, et quelquefois même de présider à leur exécution.

8o Le Hem-nou-koan ou École de l’horloge. C’est là qu’on prend les directeurs et surveillants de l’horloge du gouvernement, la seule qu’il y ait en Corée. C’est une machine hydraulique qui mesure le temps, en laissant tomber des gouttes d’eau à intervalles égaux.

On compte aussi souvent comme faisant partie de la classe moyenne les musiciens du palais, mais c’est à tort. Ces musiciens forment un corps à pan, et d’une condition un peu inférieure.