Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/II-CHAPITRE VIII

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CHAPITRE VIII


Prospérité croissante du monastère. — Ses premières possessions dans les Beauges. — Règne de Thomas Ier. — Sa femme Béatrix-Marguerite est inhumée à Hautecombe.

Nous avons vu, dans la première partie de cet ouvrage, qu’avant sa translation sur les rives du lac, ou peu après, la communauté de Cessens avait reçu des biens-fonds situés sur la paroisse d’Aix, au pied du versant méridional de la montagne de la Chambotte, et que telle fut l’origine de la Grange d’Aix[1]. Plusieurs autres donations vinrent étendre cet établissement rural pendant le xiie siècle.

La constatation, faite au moment de la confection du cadastre (1728 à 1738) des biens de l’ancien patrimoine de l’Église, dans le but de les exempter de l’impôt, nous fournit à cet égard de précieux renseignements. En 1160, Anthelme Corbel et Poncet-Gottier donnent à Tabbave une terre « auprès de Saint-Simond et la grange d’Aix. » En 1178, une personne, désignée sous le seul nom de Pétronille, cède à l’abbaye « toute la terre qu’elle avait rière Saint-Simond, procédée de son feu père Amblard, et la grange d’Aix est située partie rière ledit lieu. » L’année suivante, Anthelme Corbel d’Aix donne à l’abbaye « deux journaux de terre jouxt la terre de ladite abbaye. » Trois ans plus tard (1182), Gottier-Morens lui donne « tout ce qu’il pouvait avoir dès l’eau de l’abbaye[2] jusque au lac ; » et, en 1181, un nommé Gotlier, peut-être le même que celui ci-dessus, fait donation d’un champ situé à Saint-Simon[3].

On voit avec quelle rapidité les richesses territoriales venaient étendre le patrimoine de notre monastère. Si sa position sur une bande de terre stérile et étroite rendait impossible une agglomération de fermes dans son voisinage, ses possessions sur la rive opposée du lac commençaient à former un centre d’exploitation ; et l’on peut observer que non-seulement les comtes de Savoie, les sires de Grésy et ceux d’Aix, mais aussi d’humbles tenanciers, se montraient généreux en faveur de cette maison.

Vers cette même époque, l’abbaye jette les fondements de ses droits territoriaux dans les Beauges. Nantelme, évêque de Genève de 1185 à 1206, lui donne, pour bâtir une maison, un emplacement contigu à l’habitation de Jean, chapelain de Jarsy, qui demeurait sur le cimetière de cette paroisse. En 1192, Aymon de Aula, du Châtelard, abandonne, pour le salut de son âme et de ses ancêtres, tout ce qu’il possédait ou avait droit de posséder dans la montagne de Cheray ou Cherel. La donation est faite dans la paroisse de Jarsy, en présence du chapelain Jean, qui la reçoit et l’approuve. Bernard, oncle paternel d’Aymon, ayant fait une semblable cession de tous ses droits sur la même montagne, ils reçoivent, entre eux deux, cinq sols et un seralium[4]. Enfin, deux ans plus tard (1194), un autre membre de la même famille, portant le nom d’Albert, donne également tous ses droits sur cette montagne, qui fait partie aujourd’hui de la commune de Jarsy[5]. Cet ensemble de donations fit l’objet de diverses transactions, pendant les xiiie et xive siècles, et il en résulta que toute la montagne ou alpe de Jarsy appartenait à l’abbaye, et que seulement après la descente de ses troupeaux, les habitants de Jarsy y avaient les droits d’affouage et de pacage[6]. Nous verrons que le monastère possédait, en 1732, sur le territoire de cette commune, plus de 400 hectares en pâturages, bois, rocs, avec chalet et écurie.

Le xiiie siècle s’ouvre, pour Hautecombe, par la faveur dont l’entoure Thomas Ier. Le souvenir de ce comte de Savoie est tellement attaché à sa prospérité, que nous devons en esquisser le glorieux règne.

A l’entrée d’une gorge des Alpes que la nature a élevées comme une muraille majestueuse entre l’Italie et les autres contrées de l’Europe, un mamelon se détache de la montagne voisine comme un ouvrage avancé, destiné à commander le défilé. A son sommet, apparaissent encore quelques pans de murs bien frustes, derniers vestiges de l’antique château de Charbonnières, où la tradition place le berceau de la Maison de Savoie. C’est de ce nid d’aigle qu’elle aurait pris son essor pour étendre peu à peu sa domination jusqu’aux plages les plus reculées de cette belle contrée :

Che Appennin parte il mar circonda e l’Alpe.

Vers 1178, venait au monde, dans cette résidence, Thomas Ier, l’héritier si désiré d’Humbert III et de Béatrix de Vienne[7]. Orphelin à douze ans, il eut le bonheur de trouver un tuteur dévoué et habile au maniement des affaires publiques dans son oncle Boniface, marquis de Montferrat. La première préoccupation de ce tuteur fut de faire lever l’interdit politique jeté par Frédéric

Barberousse sur les provinces échues à son neveu. Il l’obtint bientôt d’Henri, fils de l’empereur, et qui, trois ans auparavant, avait battu Humbert III à Avigliana.

Une autre négociation importante de cette régence fut le règlement des difficultés qui s’étaient élevées entre l’évêque d’Aoste et le comte de Savoie. En 1191, Thomas Ier se rend lui-même à Aoste avec son tuteur ; un arrangement est conclu avec l’évêque, et, quelque temps après, le jeune comte, devenu majeur, accorde une charte d’affranchissement à la ville.

De là, il descendit dans les plaines du Piémont et travailla à récupérer les droits de ses ancôtres, compromis surtout pendant le régne précédent. Durant de longues années, il prit part aux guerres incessantes que se livraient tant de petites souverainetés couvrant le sol d’un réseau de droits inextricable, et, par là même, d’un exercice presque impossible sans heurter les droits du seigneur voisin.

Petit-fils du fondateur d’Hautecombe et fils d’un prince qui avait tant affectionné ce monastère, il ne s’écarta point de leurs exemples. Le 23 novembre 1203, étant à Chambéry, dans la maison de l’hôpital qui lui appartenait, en présence de Nicolas, prieur d’Aiguebelle, et de plusieurs seigneurs, il donne aux religieux d’Hautecombe le pouvoir de transporter, acheter et vendre, dans toutes ses possessions, ce qui est nécessaire à leur usage, sans être soumis aux droits de péage, d’éminage, de vente, de lod, ni à toute autre redevance : il les autorise à acquérir des fiefs dépendant de lui, en maintenant les usages de ces fiefs, et confirme par avance ces acquisitions ; il approuve toutes les investitures faites par lui on les siens en faveur de l’abbaye, de quelque manière qu’elles aient été faites : enfin, il ordonne à ses officiers de ne rien exiger des hommes du couvent pour amendes encourues ou pour prise de gibier[8].

L’importance de ces concessions ressort de la situation des propriétés de l’abbaye. Déjà nombreuses et étendues, elles n’étaient point groupées autour du monastère, mais fort distantes les unes des autres. Les droits de péage, principal impôt de cette époque, se multipliaient à l’infini et pesaient lourdement sur les produits transportés de la ferme d’Aix et des Beauges à Hautecombe. Ainsi voyons-nous, en 1275, le curé du Châtelard invoquer cette charte pour faire remettre en circulation des fromages appartenant au couvent, qui avaient été arrêtés par le châtelain du lieu[9]. D’autre part, étant autorisée par cette même charte à acquérir des fiefs sans autre condition que celle de reconnaître l’hommage dû au suzerain, l’abbaye allait devenir une puissance féodale.

Autant le règne précédent avait été funeste, autant celui-ci fut heureux pour la dynastie de Savoie.

Aimé sans doute du pape et du clergé, à cause de ses pieuses libéralités, Thomas Ier jouissait aussi de la faveur impériale. À Henri VI, qui avait si promptement révoqué la mise au ban de l’Empire des possessions de la Maison de Savoie, avait succédé Philippe, son oncle, qui fut couronné par l’évêque de Maurienne[10], en l’absence de l’archevêque de Mayence. Ce nouvel empereur, ayant reçu à Bâle les hommages du comte de Savoie, lui remit, devant une assemblée nombreuse de princes et de sujets de l’empire, trois étendards, en signe d’investiture de tous les pays, terres et seigneuries qu’il tenait de ses prédécesseurs ; et, « pour prouver l’affection qu’il porte au comte de Savoie, son très cher parent, et lui montrer qu’il est constamment plein de sollicitude pour son honneur et son intérêt, » il lui cède, en augmentation de fief, les villes de Quiers et de Testone en Piémont, et le château de Moudon dans le pays de Vaud (1207)[11]. Telle fut l’origine de la puissance de la Maison de Savoie dans la Suisse romande, qui entraîna une lutte prolongée contre le duc de Zœringen.

Nous ne suivrons pas le comte Thomas dans les nombreuses guerres, négociations et traités auxquels il prit une part glorieuse, pendant cette période qu’agitaient si profondément les compétitions à la couronne impériale, les dépositions de souverains par le pape, les rivalités incessantes entre les seigneurs féodaux. Nous signalerons seulement le rôle qu’il joua vis-à-vis de la ligue lombarde, et la haute dignité que lui conféra, à cette occasion, l’empereur d’Allemagne.

Frédéric II s’était rendu en Italie pour examiner l’état de cette ligue, qui se réorganisait contre lui comme autrefois contre son aïeul Barberousse[12]. Désireux d’avoir près d’elle un ami puissant, il créa le comte de Savoie son vicaire impérial pour toute l’Italie, y compris la marche de Trévise (1226). Cette dignité réunissait dans sa personne toutes les prérogatives de la puissance impériale. L’empereur venant à manquer, le comte Thomas le remplaçait dans toute l’étendue du vicariat. Il pouvait concéder des franchises et des privilèges, revendiquer les régales et autres attributs de la souveraineté. Aussi, bientôt Savone, Albenga et diverses autres villes du littoral secouent l’autorité des Génois et demandent au comte de Savoie qu’il les gouverne au nom de l’empereur. Marseille est relevée de sa mise au ban de l’empire et reçoit du vicaire impérial de larges concessions. Le vicariat fut une des principales causes de la prépondérance de la Maison de Savoie et l’un des moyens puissants dont elle se servit pour augmenter et consolider son autorité par la fusion, en une seule monarchie, des nombreuses souverainetés sur lesquelles s’étendait sa haute suprématie.

Pendant ce temps, la ligue lombarde se resserre. Turin, Pignerol et Testone, qui en faisaient partie, signent, avec le Dauphin de Viennois, un traité d’alliance qui froisse les intérêts commerciaux des villes de Chieri et d’Asti. Leurs habitants prennent les armes, rasent Testone, indignent les populations par la férocité de leurs triomphes et suscitent une guerre générale.

De son côté, l’empereur compte parmi ses alliés les marquis de Montferrat, de Saluces et le comte de Savoie. Milan envoie contre eux une armée puissante, formée par vingt-quatre villes fédérées, et commandée par Humbert d’Ozimo. Après une série de victoires, Ozimo rencontre près des ruines de Testone le comte de Savoie ; une horrible mêlée s’engage ; 10,000 hommes, prétend-on, et le général de la ligue restent sur le champ de bataille (1231). Cet échec arrêta les succès des villes lombardes.

De retour en Savoie, Thomas Ier signait à Chambéry, l’année suivante, l’acte acquisition de ce bourg que lui vendait le comte Berlion, et une charte de concessions importantes en faveur de l’abbaye d’Hautecombe. Ces concessions avaient eu lieu à une époque antérieure et avaient même déjà reçu l’approbation spéciale de la comtesse de Savoie, Marguerite, issue de la maison de Genève, et de tous les fils du comte : Amédée, Aymon, Guillaume, Thomas, Pierre, Boniface et Philippe ; ce qui ressort d’un acte passé à Pierre-Châtel, le 26 février 1231, en présence de Robert, abbé ; de Thomas, cellerier ; de Pierre de Mairey, Jean de Moras, moines d’Hautecombe ; d’Humbert, seigneur d’Aix ; de Maître Nicolas et de Jean Blanchard. Il y est dit que la donation est approuvée, « telle qu’elle sera contenue dans la charte que le comte doit faire rédiger. »

Cette charte le fut en effet l’année suivante, le 3 mars 1232. Son importance nous fait un devoir d’en relater ici les principaux passages et de la reproduire intégralement à la fin de l’ouvrage[13] :

« Moi, Thomas, comte de Maurienne et marquis en Italie, je déclare que, voulant faire une aumône pour le salut de mon âme et de mes prédécesseurs, j’ai, dans le chapitre d’Hautecombe, en présence de la communauté de ce lieu et de mon fils Guillaume, évêque élu de Valence, d’Humbert de Seyssel, de Jean Blanchard, d’Aymon Chaine et de Raymond Bunlin, donné, de mes propres droits, à la maison et aux religieux d’Hautecombe, tout le village de Méry avec ses dépendances, hommes tant présents qu’absents, leurs héritiers nés ou à naître, domaines, terres, vignes, prés, bois cultivés et non cultivés, redevances d’usage, fiefs, fondations et tous les droits de domaine et de propriété qui m’appartiennent ; de telle sorte que les habitants présents ou futurs et les feudataires de cet établissement rural soient entièrement libres des tailles, cavalcades, corvées, etc., vis-à-vis de moi ou des miens, qu’ils soient exempts de toute nouvelle charge de la part de mon métral et châtelain de Montmélian, et qu’ils continuent à jouir de leurs immunités et bonnes coutumes comme par le passé. »

Le comte déclare avoir également cédé tous les hommes qu’il avait à Chasarges, à Clarafond, à Frisinaz[14] et à Drumettaz, avec ce qui leur appartenait ; en outre, tout ce qu’il possédait ou avait droit de posséder en domaine direct ou utile depuis le cours d’eau qui, descendant de la Cluse, traverse un marais au-dessous de Sonnaz[15], jusqu’au ruisseau de Costan, qui coule entre Mouxy et Frisinaz, à l’exception du domaine de ces eaux. Dans les fiefs qui ne dépendent pas de Méry, le comte s’est retenu le droit de cavalcade et les amendes. Il confirme dès ce jour l’acquisition que les religieux pourraient faire de tout ou partie des autres droits dépendant de ces fiefs.

De plus, il leur a accordé toute liberté et immunité sur leurs hommes qui sont dans ses possessions. Il leur a donné « la Rama de Saint-Symphorien, telle qu’ils l’ont eue autrefois ; » il les a autorisés à acquérir à Chambéry une maison libre de toute servitude, et à la posséder librement. Il les a, dés lors, mis en possession de tous ces divers droits, leur en a confirmé le plein domaine, en a investi corporellement l’abbé d’Hautecombe et a promis d’être fidèle à sa parole de la manière suivante :

« Étant sorti du chapitre pour entrer dans l’église, en présence de la communauté et des autres personnes sus indiquées, m’approchant du grand autel et faisant oblation de toutes ces choses, je promis, avec serment prêté sur les reliques des Saints, qui y furent apportées, de loyalement et en toutes manières maintenir, défendre, approuver, et de ne jamais enfreindre ces donations, sous quelque prétexte que ce soit. »

Enfin, le donateur rappelle l’engagement qu’il a pris de solliciter du Souverain Pontife l’approbation de ces libéralités, et de demander l’excommunication contre lui ou ses successeurs, s’ils venaient à les enfreindre. Il reconnaît aussi avoir reçu des religieux, à l’occasion de la cession des droits ci-dessus rappelés, mille livres fortes de Suse, qui lui ont servi à payer la partie de Chambéry qu’il a acquise du comte Berlion. Et afin que toutes ces dispositions soient perpétuellement exécutées, il a fait dresser le présent acte à Chambéry, « derrière la grille de l’église de la maison de l’ordre du Temple, » en présence d’un grand nombre de personnes et, entre autres, de Guillaume, évêque élu de Valence ; de frère Thomas et de frère Jean, moines d’Hautecombe : du sire Humbert de Seyssel ; de Guillaume Mareschal, châtelain de Montmélian ; de Guy de Chevelud, administrateur de Chambéry ; de Jean Blanchard, habitant de Lyon : témoins requis[16].

Par ces acquisitions, notre abbaye prenait rang parmi les puissances féodales. Le fief de Méry lui attribuait une juridiction formelle.

Ces nouvelles possessions, augmentées quelques années plus tard, comprenaient, en 1246, une étendue de vignes de 60 fosserées[17]. Elles ne cessèrent de s’accroître pendant le xiiie siècle[18], et elles formèrent une étape intermédiaire entre la grange d’Aix et le bourg de Chambéry, où l’abbaye allait bientôt acquérir des droits. L’abbé d’Hautecombe devint ainsi un des seigneurs importants du bassin du lac.

Douze jours après la donation du village de Méry, dans la même ville de Chambéry, et en présence de plusieurs des témoins de la donation précédente, Thomas Ier faisait rédiger les accords intervenus auparavant entre le vicomte Berlion et lui. Il acquérait ainsi tous les droits de Berlion sur le bourg de Chambéry pour le prix de 32,000 sols forts de Suse, sous la réserve du château, de la leyde des bois, du péage de la ville et de divers autres droits[19].

Ayant repassé les Alpes pour guerroyer en Piémont, il fut pris à Aoste d’un mal subit, qui l’emporta le 1er mars de l’année suivante (1233)[20]. Sa dépouille mortelle resta au-delà des Alpes. Hautecombe n’eut pas l’honneur de la recevoir[21].

La belle et mâle figure de Thomas Ier personnifie la période comtale de la Maison de Savoie. Plusieurs princes de sa race furent mêlés à des événements plus grandioses, eurent un règne plus brillant et plus connu ; mais bien peu réunirent la bravoure, la générosité, l’habileté et les vertus chrétiennes de Thomas. Appelé, à l’âge de douze ans, à régir des États mis au ban de l’empire, usurpés en grande partie par les seigneurs voisins, il réussit à récupérer le patrimoine de ses aïeux, à gagner la faveur impériale et à s’élever, par le vicariat impérial, au-dessus de toutes les souverainetés couvrant le sol du second royaume de Bourgogne et de la Haute-Italie. C’est de lui que date le commencement de l’unité politique des possessions de sa famille.

« Symétrisant, dans les relations internationales, ses fiefs épars sous le nom générique de Savoie, il donnait à son pays un nom, comme son grand-père lui avait donné un drapeau, et, par cela seul, agrandissait sa valeur propre et le cercle de son horizon[22]. »

Prince des plus avisés de sa race, il fut loin de se raidir contre les idées affranchissement, de libertés municipales, qui grandissaient alors dans les villes. Après avoir accordé des franchises à Aoste, confirmé celles de Suse (1198), il les inaugura en Savoie par celles d’Yenne (1213). Pignerol, en 1220, et Chambéry, en 1232, en reçurent à leur tour.

Son souvenir est resté vivant à Hautecombe. Les donations et les visites qu’il fit à ce monastère, les nombreux actes passés sous son règne, de même que sous les suivants, dans lesquels figure comme témoin ou comme partie intéressée l’abbé d’Hautecombe, attestent que cette abbaye a toujours partagé, pendant la première période de son histoire, la gloire qui entourait le souverain.

Beaucoup d’autres monastères ressentirent aussi les effets de sa générosité[23]. Il nous suffira de rappeler ici qu’il fonda, près de Suse, la chartreuse de Lose (1191), dont la durée ne fut pas très longue ; qu’il gratifia de terres plus ou moins étendues le monastère du Betton en Savoie (1193), l’hospice du Mont-Cenis (1197), la chartreuse d’Aillon (1207 et 1216), et que, d’après Guichenon, il fonda l’église de Myans.

Pour compléter le bonheur de ce prince, il eut la plus belle liguée de sa race{{#tag : ref|Guichenon lui attribue quatorze enfants légitimes et deux illégitimes ; Dessaix et Cibrario, dans l’arbre généalogique qui accompagne la Savoie historique, lui donnent dix enfants, dont huit fils et deux filles : ce dernier auteur, dans les Origine e progressi della monarchia di Savoia, 1869, réduit ce nombre à sept : six fils et une fille. Mais ce nombre est manifestement incomplet. Nous croyons devoir ajouter aux dix enfants que Dessaix et, après lui, les savants compilateurs du Régeste genevois accordent à ce prince, Amédée, évêque de Maurienne, et une fille nommée Alix.

La plupart des membres de cette famille furent inhumés à Hautecombe. En effet, Thomas Ier, mort à Aoste le 1er mars 1233 et enseveli dans l’abbaye de Saint-Michel de la Cluse, épousa Béatrix-Marguerite de Génève, morte le 8 avril 1257 et ensevelie à Hautecombe.

Voici leurs enfants :

1° Amédée IV, mort à Montmélian, enseveli à Hautecombe le 13 juillet 1253, épousa en secondes noces Cécile de Baux, morte le 21 mai 1275, inhumée à Hautecombe.

2° Béatrix, comtesse de Provence, morte vers la fin de 1266, ensevelie aux Échelles. Depuis 1826, son chef repose à Hautecombe.

3° Marguerite, comtesse de Kibourg, morte le 4 septembre 1273, ensevelie à Hautecombe.

4° Humbert, mort avant 1232.

5° Aymon, mort vers 1238, à Coëx, prés de Monthey.

6° Thomas II[NOTE 1], comte de Flandre, mort le 7 février 1259, enseveli à Aoste, épousa Béatrix Fieschi, morte le 15 juillet 1283, inhumée à Hautecombe.

7° Guillaume, évêque de Valence, mort à Assise, enseveli, le 5 mai 1139, à Hautecombe.

8° Pierre II, mort à Pierre-Châtel, enseveli, le 16 mai 1268, à Hautecombe.|name="Enfants Thomas & Marguerite"}}. Presque tous ses fils, après avoir suivi la carrière des armes et fait preuve de leur vaillance sur les champs de bataille de la France, de l’Angleterre, des Flandres et de l’Italie, vinrent reposer à côté de leur aïeul Humbert III.

Les historiens ne sont pas d’accord sur le nombre de ses mariages. Suivant l’opinion la plus probable, il n’aurait eu qu’une femme, Béatrix-Marguerite, qui prenait indistinctement l’un ou l’autre de ces deux noms[24] Elle était fille de Guillaume Ier, comte de Genevois. La date du décès de cette princesse, fixée par la chronique d’Hautecombe au 8 avril 1230, est évidemment erronée. Un grand nombre de chartes postérieures à cette année, l’interversion des dates dans la série des décès mentionnés dans cette chronique ou obituaire d’Hautecombe, le prouvent. Nous reporterons cette mort, avec Cibrario, au 8 avril 1257.

Cette princesse, souvent désignée sous le nom de Mater comitum, parce que trois de ses fils montèrent sur le trône de Savoie, fut inhumée à Hautecombe, au milieu de plusieurs de ses enfants. Elle n’y a pas de monument.

    9° Boniface le Bienheureux, mort à Sainte-Hélène du Lac, le 14 juillet 1270, enseveli à Hautecombe.
    10° Philippe Ier, mort le 16 août 1283, à Roussillon ; enseveli, le 18 août, à Hautecombe.
    11° Alix, ensevelie, le 1er août 1277, à Hautecombe.
    12° Amédée, évêque de Maurienne.

  1. Suprà, p. 22.
  2. On appelle, encore aujourd’hui, ruisseau de l’abbaye ou de la Bay, un petit cours d’eau qui traverse Saint-Simon, hameau de la commune d’Aix, et va se jeter dans le Sierroz, au bas de ce village. Ce ruisseau séparait autrefois les diocèses de Genève et de Grenoble.
  3. Archives de la Préfecture de Chambéry : Déclaratoires sur les biens de l’ancien patrimoine de l’Église, t. 1.
  4. Seralium indique probablement une espèce de fromage, appelé encore de nos jours sérac.
  5. Ces détails ont été puisés dans une liasse de copies de titres versés à un procès intenté, pendant le siècle dernier, par Messieurs de la Sainte-Chapelle, titulaires de l’abbaye d’Hautecombe, contre plusieurs communes des Beauges. (Bibliothèque de l’auteur.) — Voir Documents, n° 9.
  6. Ibid. — Sic. Déclaratoires des biens de l’ancien patrimoine ecclésiastique. — Voir, aux Documents, n° 13, une transaction de 1216, conclue par l’autorité du comte Thomas. Cette transaction fut confirmée par celle du 20 octobre 1337, passée entre l’abbaye et les habitants de Précherel, village situé au bas de la montagne, sur la commune de Jarsy. et approuvée, le 24 juin 1339. par Jacques François, abbé d’Hautecombe.
    On trouvera, au Document n° 21, l’albergement d’un moulin, consenti par l’abbaye à Domenget, de Jarsy.
    Au chapitre xii, il sera question des droits d’albergement de l’abbaye sur le versant opposé des montagnes de Chérel, s’étendant jusqu’au lac d’Annecy, en même temps que des nombreuses discussions que l’abbaye eut à soutenir contre les habitants de la commune de Giez, à l’occasion de ses pâturages.
    — Une sentence rendue, en 1198, par Renaud, archevêque de Lyon, et par les doyens de Lyon et de l’Île-Barbe, commissaires apostoliques, établit ce fait, que l’évêque de Genève avait seul tous les droits d’élection et de présentation aux huit églises suivantes des Beauges : Sainte-Reine, École, Jarsy, le Châtelard, la Motte, la Chapelle, Arith et Aillon. (Guichenon, Biblioth. sebusiana, centuria 2, n° 34.)
  7. Quelques auteurs fixent sa naissance au 20 mai 1177. — On sait que le château de Charbonnières est tout près d’Aiguebelle, l’une des premières villes dont fassent mention les annales de nos comtes.
  8. Documents, no 11.
  9. Bibliothèque de l’auteur.
  10. Probablement Bernard II, de la famille de Chignin, qui fut ensuite archevêque de Tarentaise. (Histoire du diocèse de Maurienne, par le chanoine Angley, p. 113.)
  11. Guichenon, Savoie, Preuves, 48.
  12. Voici la succession des empereurs depuis Frédéric Ier : Henri VI, fils du précédent (1190-1197) ; Philippe, son frère (1190-1208) ; Othon IV de Brunswick 1208-1215) ; Frédéric II, fils d’Henri VI (1215-1250) ; Conrad IV, fils du précédent (1250-1251), dernier empereur de la Maison de Souabe.
  13. Documents, n° 14.
  14. Césarges et Fresenei, deux hameaux de la commune de Drumettaz-Clarafond.
  15. C’est le ruisseau appelé aujourd’hui le Tillet. — La propriété des cours d’eaux faisait partie des droits régaliens réservés à la puissance royale.
  16. Voir Documents, n° 11. — Par une déclaration de l’année suivante, le comte interdit à ses chasseurs et à leurs chiens l’entrée de l’abbaye.
    Note de M. l’abbé Trémey.
  17. Ce qu’un homme peut fouir en un jour. (Dugange.)
  18. Des déclarations faites lors de la confection du cadastre, il résulte qu’en 1239, l’abbaye fit l’acquisition de 3 journaux de terre et de 3 pièces de pré ; qu’en 1246, elle possédait sur Méry 60 fosserées de vignes ; qu’en 1253, elle acquit 8 journaux de terre pour le prix de 40 livres ; qu’en 1261, elle acquit 4 fosserées de terres pour le prix de 4 livres. (Archives de la Préfecture de Chambéry.)
  19. La terre de Chambéry avait été déclarée libre et franche, par Thomas Ier, onze jours avant la passation de l’acte d’acquisition, qui eut lieu le 15 mars 1232. (Mém. de la Soc. savois. d’hist., V. p. 319 et suiv.) La charte des franchises de Chambéry, datée du 4 mars, a été publiée par Cibrario dans ses Doc. sig. et monete ; Torino, 1833, p. 126 des Documenti ; et. depuis lors, par d’autres auteurs.
    La leyde était un impôt prélevé sur diverses marchandises, et spécialement sur celles qui se vendaient dans les foires et marchés.
  20. Obituaire de l’ancien Missel de Tarentaise, publié dans les Mémoires de l’Académie de la Val d’Isère, II, 462.
    Cette date est adoptée par Cibrario et les auteurs modernes les plus autorisés.
  21. Le lieu de sa sépulture, qui fut l’objet de nombreuses discussions, est maintenant connu d’une manière positive : c’est l’abbaye de Saint-Michel de la Cluse, où son anniversaire s’y célébrait le jour de la fête de saint Martin. (Cibrario, Specchi cron. ; Claretta, Storia de l’Abbazia di San Michele della Chiusa ; Torino, 1870, p. 79-80. — Ce dernier auteur en a trouvé la preuve dans les comptes des châtelains d’Avigliana.
    On lui a élevé un cénotaphe dans la basilique d’Hautecombe, comme étant l’un des principaux bienfaiteurs de ce monastère. La double qualité de guerrier et de législateur ressort du costume que l’artiste lui a prêté. Sur le bas-relief, on le voit donnant des franchises à la ville de Chambéry et les faisant jurer par sa femme et ses fils.
  22. Victor de Saint-Genis, Hist. de Savoie.
  23. Guichenon a publié dans ses Preuves de lHistoire de la Maison de Savoie, dix-huit chartes de donation ou de confirmation de privilèges en faveur de maisons religieuses. Il relate, en outre, dans le récit du règne de ce prince, d’autres libéralités.
  24. Les auteurs du Régeste genevois, guidés par Wurstemberger, prétendent, au n° 650, que, dans l’acte de confirmation des donations de Thomas Ier à Hautecombe par la famille du donateur, la comtesse de Savoie n’y est indiquée que par son initiale. M., et qu’on doit lire B. L’acte que nous publions, au n° 14 de nos Documents, porte en toutes lettres : Margaritha comitinita Sabaudiæ.
  1. L’usage ayant prévalu de désigner ce prince et quelques autres de la même famille par un numéro d’ordre pouvant faire supposer qu’ils ont été souverains de la Monarchie de Savoie, nous mettrons ces numéros entre parenthèses pour éviter toute équivoque.