Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/III-CHAPITRE III

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CHAPITRE III


Abbés commendataires d’Hautecombe pendant le xve siècle. — Sébastien d’Orlyé obtient de la régente Yolande la juridiction sur les étrangers et le droit d’élever des fourches patibulaires.

Nous avons vu que la comraende avait été inaugurée à Hautecombe par Félix V, en faveur de Pierre Bolomier. Ce personnage appartenait à une famille noble du Bugey prétendant remonter aux Fabius de l’ancienne Rome, au dire de Guichenon, et voici comment : Humbert V, sire de Thoire et de Villars, étant allé à Rome pendant le jubilé de l’an 1300, fit connaissance avec Antoine Fabius, gentilhomme romain, prit en affection Girard, un des nombreux enfants de ce Fabius, l’emmena en Bugey et, en reconnaissance des services qu’il en avait reçus, l’autorisa à bâtir une maison avec girouettes en un lieu de la ville de Ponciu appelé Bolomier et à la tenir en fief de la famille de Thoire et de Villars[1].

Quelle que soit l’origine de sa famille, son père était Henri, seigneur de Bolomier. Parmi les cinq enfants de ce dernier, on distingue surtout Guillaume, l’infortuné vice-chancelier de Savoie. Ami et secrétaire d’Amédée VIII avant d’occuper un des premiers rangs dans la magistrature, il fut récompensé de son dévouement à la dynastie de son pays par une sentence qui le condamna à être jeté, une pierre au cou, dans les eaux du Léman, sentence provoquée, après la mort de son ancien protecteur, par de basses jalousies. Un de ses frères, Antoine, fut trésorier-général de Savoie.

Mais, pendant qu’il vécut, Amédée VIII ne cessa de protéger cette famille. Devenu Félix V, il choisit pour aumônier et chambellan le frère de son ancien ami, à qui il donna successivement l’abbaye d’Hautecombe et l’évêché de Belley.

On ne sait en quelle année il fut nommé abbé d’Hautecombe. Il l’était en 1442, car alors Louis, duc de Savoie, lui confirma une assignation de 50 florins de rente annuelle sur le Châtelard. En 1444, il fut créé évêque de Belley par bulles données à Genève, le 8 des ides d’avril. Telles sont les seules dates que nous connaissions relativement à son passage à Hautecombe.

Son corps repose dans l’église de Poncin, sa patrie.

Le même jour qu’il était nommé à Belley, l’évêque dont il prenait le siège était appelé à Hautecombe, suivant autres bulles de Félix V. C’était Perceval de la Baume ou Balme, fils d’Amblard, seigneur de Pérès et de la Balme sur Cordon. Il unissait la beauté physique aux qualités morales et avait été d’abord prieur de Saint-Benoît de Seyserieux. De là, il devint le quatrième évêque du nouveau diocèse de Mondovi, en Piémont, qu’il dirigea de 1430 à 1438. Augustin della Chiesa l’appelle « zélateur de la foi, vainqueur des hérétiques > » et raconte qu’en 1431, il fit brûler publiquement trois sorcières pour maléfices prouvés et avoués. En 1435, il fut présent à un traité entre le prince de Piémont et le seigneur de Crescentin. Cette même année, Eugène IV agrandit son diocèse de tout le pays qui s’étend entre le Tanaro et la Stura[2].

Il quitta Mondovi en 4438, fut gardien du conclave au concile de Bâle l’année suivante, puis évêque de Belley en 1440. En échangeant ce bénéfice avec Pierre Bolomier, en 1444, il fut pourvu non-seulement de l’abbaye d’Hautecombe, mais encore du patriarcat de Gradisque ou Grado[3].

En 1464 apparaît Jean des Chênes, que nous avons déjà signalé, et, en 1 473, Sébastien d’Orlyé. La famille de ce dernier abbé avait alors une position brillante dans le gouvernement des États de Savoie. Un de ses membres, Antoine d’Orlyé, de Saint-Innocent, gouverneur de Nice, était chargé, cette même année, par la régente Yolande, de négocier le mariage du futur comte, Charles le Guerrier, avec Louise de Savoie. Trois ans plus tard, il était envoyé, à la tête de quatre mille Savoisiens, au secours de Charles le Téméraire, et trouvait la mort sous les murs de Morat. L’abbé d’Hautecombe était conseiller de la régente.

Aussi Sébastien d’Orlyé put-il obtenir des privilèges refusés à ses prédécesseurs : celui d’élever des fourches patibulaires et celui d’avoir la juridiction sur les étrangers, double restriction mise par Thomas Ier et Amédée V aux droits de juridiction accordés à l’abbaye dans les posscssions qu’elle avait à Méry et dans les environs, au val de Crenne et sur la rive occidentale du lac.

La seconde de ces restrictions au droit absolu de juridiction avait entraîné de funestes conséquences. Des étrangers, à la faveur de l’espèce d’impunité dont ils jouissaient sur les terres de l’abbaye, où les officiers du comte pouvaient seuls les rechercher, s’étaient rendus coupables d’homicides, de vols, d’agressions violentes et de dévastations dans les vignobles du monastère. Deux personnes, dont un frère convers d’Hautecombe, avaient été tuées et les meurtriers étaient restés impunis.

Pour mettre fin à cet état de choses, Sébastien d’Orlyé et ses religieux adressent à la duchesse Yolande une requête où ils lui demandent l’abolition des deux réserves apposées aux chartes de juridiction de l’abbaye.

La régente fit examiner cette demande par son conseil et, d’après son avis, elle y répondit par lettres patentes que l’on trouvera aux Documents[4] et dont voici le résumé :

Yolande, fille aînée et sœur des rois très chrétiens de France, duchesse, tutrice de son auguste fils Philibert, duc de Savoie, de Chablais, prince et vicaire perpétuel du saint empire romain, etc. ; considérant que le culte de la justice doit être plutôt étendu que restreint, accordons, mais pendant sa vie seulement, à notre très cher conseiller, Sébastien d’Orlyé, et à son couvent, le mère et le mixte empire, la juridiction omnimode et le droit d’infliger le dernier supplice sur et contre tous les délinquants étrangers habitant le territoire de sa juridiction, en n’exceptant que les hommes appartenant au duc de Savoie, c’est-à-dire dans le village de Méry et ses dépendances, dans le val de Crenne, dans l’enceinte du monastère et dans les terres voisines s’étendant depuis la pierre Poentaz, du côté du midi, jusqu’à Feissellans, du côté du nord, et depuis le lac jusqu’au sommet de la côte, soit montagne d’Hautecombe.

La duchesse leur octroie, en outre, le droit d’élever des fourches patibulaires dans ces mêmes lieux.

L’exécution de ces lettres patentes est confiée au conseil qui accompagne le souverain et qui réside à Chambéry, aux président et magistrats de la Chambre des Comptes, aux baillis et autres officiers ducaux, qui devront les faire observer sous peine de 100 livres d’amende. Elles sont données à Verceil, le 3 avril 1473, en présence de Jean de Compeys, évêque de Turin ; d’Urbain Bonivard, évêque de Verceil ; d’Humbert Cheurery, chancelier de Savoie ; de Claude de Seyssel, maréchal de Savoie ; d’Anthelme, seigneur de Miolans ; de Pierre, bâtard d’Aix, grand-maitre d’hôtel, etc.

Quelques jours après avoir obtenu cette faveur, Sébastien d’Orlyé n’était plus sur le siège d’Hautecombe. Le 28 du même mois, nous y trouvons Étienne de Caluse, recevant de Janus, comte de Genevois, une déclaration par laquelle lui et son couvent, et principalement les vénérables pères Georges Doche et Pierre Rosset, sont habilités à posséder les biens par eux acquis, à condition de payer les servis imposés et, en outre, le plaict de 4 florins à chaque changement de seigneur et d’abbé[5].

  1. Guichenon, Hist. de Bresse, IIIe partie, continuée, p. 45.
  2. Agostino della Chiesa, Chronologia archiepiscoporum episcocorum et abbatum Pedemontis et Sabaudiæ, Turin, 1685.
  3. Archives de l’Économat, à Turin. — Besson, p. 130.
    Cette même année, le chantre du chapitre de Genève reçut la commission d’aller inspecter les bâtiments d’Hautecombe que l’on disait menacer ruine et de dresser un rapport à cet égard, de même que sur les abus qui pourraient s’être glissés dans le monastère. (Mêmes Archives).
    Grado, ville du Frioul, bâtie dans les lagunes du golfe de Trieste. Le patriarcal d’Aquilée y fut transféré en 568 et y resta jusqu’en 1451, époque où Nicolas V le fixa à Venise.
  4. Voir Documents, n° 34.
  5. Biblioth. Costa, Protocole Mignonio, f° 157. (Communication de M. l’abbé Tremey.)