Histoire de l’empire de Russie/Tome VIII/Chapitre I

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Traduction par Auguste de Saint-Thomas et Alexandre Jauffret.
Imprimerie de A. Berlin (VIIIp. 1-57).

HISTOIRE
DE
L’EMPIRE DE RUSSIE.
CHAPITRE PREMIER.

Suite du règne de Jean IV.

Disgrace et mort de Telennef.Souveraineté de Vassili Schouisky.Élargissement de Jean Belzky et d’André Schouisky.Dissensions des boyards.Nouvel emprisonnement du prince Jean Belzky.Mort de Vassili Schouisky.Déposition du métropolitain Daniel.Il est remplacé par Joseph.Caractère du prince Jean Schouisky et exactions dans les provinces.Incursions des ennemis extérieurs.Ambassades à Constantinople et à Stockholm.Traité avec la ligue Anséatiqùe.Alliance avec Astrakhan.Ambassade des Nogaïs.Conspiration contre Schouisky.Le prince Jean Belzky est remis en liberté et devient puissant.Pardon accordé au prince Vladimir Andréiévitch et à sa mère.Le sort du prince Dmitri d’Ouglitch est adouci.Siméon Belzky obtient son pardon.Incursion du tzar de Kazan.Invasion du khan de Crimée.Dévouement du peuple et de l’armée.Fuite de l’ennemi.Troubles occasionés par les boyards.Le métropolitain emprisonné.Le prince Jean Schouisky reprend le pouvoir.Consécration de Macaire.Trêve avec la Lithuanie.Incursions des Tauriens et des Nogaïs.Affaires de Kazan.Relations avec Astrakhan et la Moldavie.Changement dans le gouvernement.Violences des Schouisky.L’éducation de Jean est négligée.Conspiration contre les principaux dignitaires.Chute des Schouisky. Pouvoir des Glinsky.Sévérité du gouvernement.Rapports de bonne intelligence avec la Lithuanie.Guerre contre Kazan.Fuite de Schig-Alei, tzar de Kazan.Campagne vers l’embouchure de la Sviaga.Voyage du grand prince et mécontentement de la nation.

1538.
Chute et mort de Telennef.
Après la mort d’Hélène, l’incertitude qui occupait tous les esprits dura plusieurs jours, sans que rien troublât la tranquillité publique : le peuple attendait l’événement, tandis que les seigneurs ambitieux intriguaient et se consultaient entre eux. La régente avait jusque là tenu les rênes du gouvernement, et remplacé le grand prince ; mais sa perte laissait le champ libre à l’aristocratie, et l’extrême jeunesse de Jean[1] devait favoriser, parmi les boyards, l’espoir d’une autorité sans bornes. Les grands de l’État, qui osaient aspirer à la souveraine puissance, étaient peu nombreux. Les autres se préparaient à entrer dans celui des partis dont les projets s’accorderaient mieux avec leurs vues personnelles. Le coup qui venait d’accabler Telennef ne l’avait pas jeté dans un stérile découragement ; parent et ami d’Agrippine Tcheladnin, gouvernante de Jean, il conservait l’espoir de captiver l’amitié du grand prince, et constamment auprès de sa personne, il employait tout pour se rendre agréable. Il comptait aussi sur les anciens amis de sa fortune, sans penser que le changement des circonstances avait dû les lui enlever presque tous, ou refroidir leur zèle. Cependant la mort d’Hélène, qui, au jugement de l’opinion publique, ne pouvait être naturelle, semblait annoncer une puissance occulte et formidable, et l’on attendait, pour reconnaître l’auteur du crime, l’apparition de celui qui songerait à en profiter. Les soupçons, bien ou mal fondés, se fixèrent sur le vieux Vassili Schouisky, descendant des princes de Souzdal, chassés anciennement de leur patrimoine par le fils de Dmitri Donskoï. Animés d’une haine violente contre les souverains moscovites qui les avaient dépouillés, ils entrèrent au service de Novgorod ; et, dans les derniers temps de la liberté de cette république, le prince Schouisky-Grebenka en était le principal voïévode. Lorsque la puissance de la Russie fut définitivement triomphante et assurée, les membres de cette famille passèrent, les uns après les autres, au service moscovite, où ils s’illustrèrent. Le prince Vassili Schouisky occupait, du temps de Vassili, la première place dans le conseil, et comme il l’avait conservée pendant la régence d’Hélène, il avait de puissans motifs pour détester le favori, qui lui cédait d’insignifians honneurs, tandis qu’il gouvernait exclusivement le conseil. Après s’être assuré du succès, en faisant entrer dans ses vues un grand nombre de boyards et de dignitaires de l’empire, ce prince, avide de pouvoir, osa, par un acte à la fois arbitraire et cruel, se déclarer chef du gouvernement. Le septième jour après la mort d’Hélène, il ordonna l’arrestation des personnes les plus chères à Jean ; et sans avoir égard aux larmes, aux cris du jeune souverain, livré sans défenseurs à son injuste pouvoir, il le fit séparer d’ Agrippine sa gouvernante. Quant à Telennef, il fut chargé de chaînes et jeté dans un cachot obscur. Ce ne fut point l’équitable justice qui fixa le sort de ce favori, naguère entouré de princes et de boyards attentifs à ses moindres commandemens. La passion seule dicta l’arrêt qui ordonnait son supplice. On le laissa mourir de faim !…. Il est vrai que 1538. Glinsky et les oncles du grand prince avaient été traités de la même manière par les ordres d’Hélène, et peut-être de Telennef ; mais un crime ne peut jamais en justifier un autre, et c’est avec raison que les annalistes blâment cette vengeance particulière, dictée par l’envie qu’inspirait le favori d’Hélène, dont les prétentions tendaient à devenir également celui de son fils. Telennef possédait un esprit vif, beaucoup d’activité, de nobles sentimens ; il savait quitter la cour pour voler au champ de bataille, et non content de l’éclat emprunté qui résulte de la faveur, il cherchait à acquérir, par de hauts faits, cette véritable gloire, cette illustration personnelle que les grâces des souverains ne sauraient procurer. Sa sœur Agrippine, reléguée dans un monastère de Kargopol, fut obligée d’y prendre le voile. Le conseil, l’empire et le grand prince lui-même, Souveraineté de Vassili Schouisky. durent plier sous le pouvoir usurpé de Schouisky et de son frère Jean, qui occupait aussi une des premières places dans le conseil. Comme Dmitri Belzky, allié du grand prince, pouvait seul rivaliser d’ancienneté avec eux, ils recherchèrent l’amitié de ce boyard, dont le frère, Jean Belzky, languissait dans les fers, ainsi qu’André Schouisky. Tous les deux furent mis en liberté d’une manière honorable et proclamés innocens. Élargissement de Jean Belzky et d’André Schouisky. On réintégra le premier dans la place qu’il avait occupée au conseil, l’autre fut promu à la dignité de boyard. Le prince Vassili Schouisky était veuf ; il avait plus de cinquante ans : mais aveuglé par l’orgueil, il résolut de s’allier à la maison du grand prince, afin de s’affermir dans ce haut degré d’élévation qui ne le cédait qu’au trône. En conséquence il épousa Anastasie, fille de Pierre, tzarévitch de Kazan, et parente de Jean. Cependant ce boyard ambitieux ne jouit que six mois du pouvoir qu’il s’était attribué. Jean Belzky, dont il avait brisé les fers, vint en troubler l’exercice, après s’être ligué contre lui avec le métropolitain Daniel, l’intendant Michel Toutchkof et plusieurs autres dignitaires. Schouisky fut transporté de colère à la nouvelle que, sans l’en prévenir, Belzky avait osé s’adresser directement au jeune souverain, afin d’en obtenir pour Youri Boulgakof-Golitza, la promotion au titre de boyard, et une charge éminente pour le fils de l’illustre Khabar-Simsky (1). Les injures que l’on se prodigua mutuellement en cette occasion, ne servirent qu’à envenimer les haines. Schouisky accusait Belzky d’une noire ingratitude et d’artifices odieux ; celui-ci lui reprochait l’usurpation du pouvoir et la tyrannie qu’il exerçait. Mais enfin le premier 1538.
Dissensions des boyards :
nouvel emprisonnement de Jean Belzky.
donna des preuves de sa formidable puissance. Son ennemi fut arrête de nouveau, et ses conseillers bannis de la capitale. Fédor Michourine, le principal d’entre eux, vétéran couvert de nobles cicatrices, eut la tête tranchée devant la prison de la ville. Ces actes de rigueur furent exercés, non pas comme émanant de l’autorité du grand prince, mais au nom de Schouisky et de ses partisans, ce qui était contraire à toutes les lois, et prouvait en même temps la plus téméraire audace. Une chose digne de remarque, c’est que Dmitri, l’aîné des Belzky, échappa cette fois encore au sort funeste de son frère, faveur qu’il dut sans doute à sa prudence et à la douceur de son caractère.

Mort de Vassili Schouisky. Le prince Schouisky se considérait déjà comme souverain de la Russie, lorsque, tout à coup, on apprit sa maladie et sa mort. Elle pouvait être naturelle ; cependant cet événement ouvrit un vaste champ à toutes sortes de doutes et de suppositions. Dans tous les cas, ce trépas subit, irrévocable preuve de la fragilité des grandeurs, fut une insuffisante leçon pour les boyards moscovites. Bientôt le prince Jean Schouisky devint leur chef ; et il se vit à peine investi du souverain pouvoir, qu’il s’occupa du soin de tirer vengeance des ennemis de sa maison ; et d’exécuter 1539. ainsi ce que peut-être le défunt n’avait eu ni la hardiesse, ni le temps d’entreprendre. Le métropolitain Daniel, qui s’était ligué avec Jean Belzky pour renverser la puissance des Schouisky, ne put lui-même, malgré la sainteté de ses fonctions et les ressources de son esprit, se soustraire au sort qui lui était réservé. Déposition du métropolitain Daniel. Déchu de sa dignité par un oukase des boyards, il fut relégué dans un monastère, où il eut le temps d’expier, par les austérités du jeûne, ses erreurs mondaines. Remplacé par Skripizin. Il fut remplacé par Joseph Skripizin, abbé du couvent de la Trinité.

Agité par les troubles que l’esprit de domination des boyards faisait naître dans son sein, le gouvernement ne pouvait avoir ni l’unité de force, ni la fermeté et la vigilance propres à maintenir le bon ordre dans l’État, et à faire marcher, d’une manière convenable, les affaires de la politique extérieuire. Caractère du prince Jean Schouisky et déprédations des provinces. Jean Schouisky, chef des boyards, ignorant en politique, peu porté au bien, encin à un amour-propre révoltant, ne souffrait aucune espèce de compétiteur, et ne voulait que des gens prêts à l’aider. Il commandait en despote au conseil ; se comportait au palais comme s’il en eût été le maître, et affectait des airs de grandeur, poussés jusques à l’impudence. Jamais on ne le vit dans une attitude respectueuse vis-à-vis du jeune souverain : il s’asséyait dans la chambre de Jean, négligemment appuyé sur le lit, et les pieds étendus sur des fauteuils ; en un mot, il manifestait, en toutes circonstances, le ridicule orgueil d’un valet devenu maître. Sa sordide avarice excitait aussi de vifs reproches. On assure qu’il puisait à pleines mains dans le trésor de l’État ; et qu’avec cet or mal acquis, il fit fabriquer un grand nombre de vases précieux, sur lesquels était gravé son nom. Ce qu’il y a de certain, c’est que ses parens, ses partisans et ses favoris ne mettaient point de bornes à leurs exactions dans les provinces où ils occupaient des emplois publics et des places lucratives. C’est ainsi que le boyard André Schouisky et le prince Vassili Repnin-Obolensky, étant gouverneurs de Pskof, s’y comportèrent, suivant l’expression des contemporains, comme des lions féroces. Ils ne se contentaient pas d’accabler les agriculteurs et les citoyens d’impôts arbitraires, ils supposaient des crimes, encourageaient les fausses dénonciations, et donnaient à leurs arrêts un effet rétroactif ; ils exigeaient des présens des personnes riches, et de la part des pauvres un travail gratuit. L’asile sacré des monastères ne fut pas même épargné, et c’était avec la farouche avidité 1539. des Mogols, qu’ils y recherchaient quelque butin. Les habitans des environs de la ville craignaient d’entrer dans Pskof, qui n’était plus à leurs yeux qu’une caverne de brigands. Enfin, une partie de la population ayant abandonné ce malheureux pays, les marchés et les monastères devinrent déserts. Incursions des ennemis extérieurs. À tous ces maux, produits par l’injustice et la violence, venaient se joindre encore les dévastations fréquentes des ennemis extérieurs. Ainsi qu’à des victimes méprisées des infidèles, le khan de Crimée dictait des lois aux Russes, et le tsar de Kazan les trompait en pillant leurs provinces. Le premier ayant fait arrêter un officier du grand prince envoyé à l’hospodar de Moldavie, écrivait ainsi à Jean : « J’ai agi comme tu l’as fait en plusieurs circonstances. Vassili et Hélène, n’ayant aucune idée dit droit des gens, ont fait arrêter et massacrer inhumainement mes ambassadeurs, en route pour Kazan ; ainsi j’ai de mon côté le droit de mettre obstacle à tes communications avec mon ennemi, l’hospodar de Moldavie. Puisque tu parais désirer des témoignages d’amitié, pourquoi donc te conduire ainsi ? Apprends que cent mille guerriers sont à ma disposition ; et, en supposant que chacun d’eux ne ferait qu’un seul prisonnier 1539. russe, la perte énorme qui en résultera pour toi, ne tournera-t-elle pas à mon profit ? Je ne sais pas dissimuler, parce que j’ai le sentiment de ma force, et je te préviens, parce que d’habitude j’exécute ce que j’annonce. Où veux-tu me voir ? Est-ce à Moscou ou sur l’Oka ? Songe que je n’y viendrai pas seul, mais accompagné du grand Soliman, de celui qui a subjugué l’univers d’orient en occident, et que c’est moi qui lui indiquerai la route de ta capitale. Mais toi, quel mal pourrais-tu me faire ? Malgré la haine qui t’anime, tu ne mettras jamais le pied sur mes terres. » Jean III, Vassili et Hélène, tout en faisant quelques concessions à l’avidité du khan, avaient su, par une noble fierté, le maintenir dans les justes bornes de la modération ; mais la souveraineté des Schouisky se distingua particulièrement par la faiblesse et la servile pusillanimité de la politique moscovite.

Les boyards n’osèrent pas même répondre aux menaces de Sahib-Ghireï, et s’empressèrent de lui envoyer un ambassadeur distingué, chargé d’acheter la perfide alliance d’un barbare, par la promesse positive de ne point faire la guerre à Kazan. Mais ce tzar, en même temps qu’il donnait l’assurance de ses intentions pacifiques, exigeait qu’on lui fît parvenir des présens annuels en témoignage de considération ; C’est en vain qu’on attendît ses ambassadeurs à Moscou, on ne les vit point paraître ; et pendant deux années consécutives, les Kazanais commirent des horreurs sans nombre sur les territoires de Nijni, Balakhna, Mourom, Metchera, Gorokhofz, Vladimir, Choui, Yourief, Kostroma, Galitch, Totma, Oustioug, Vologda, Viatka et Perme. Ils ne se présentaient que par bandes, brûlaient les villages, massacraient ou traînaient en captivité les malheureux habitans ; et ces dévastations furent poussées à tel point, qu’un annaliste compare les malheurs de ce temps aux incursions désastreuses de Bâti. Il s’exprime ainsi : « Tel qu’un éclair, Bâti ne faisait qu’apparaître sur le territoire russes ; mais les Kazanais ne quittaient pas nos frontières, et versaient par torrens le sang des chrétiens. Les malheureux habitans sans défense étaient réduits à se cacher dans les forêts ou au fond des cavernes ; et les lieux autrefois peuplés de villages, étaient couverts de broussailles. Au milieu des ruines des monastères en cendres, les infidèles vivaient, dormaient dans les églises, buvant dans les vases sacrés, arrachant les ornemens des images pour les transformer en pendans d’oreilles et en colliers 1539. dont ils paraient leurs femmes ; ils glissaient des cendres chaudes mêlées à des charbons ardens dans les bottes des religieux, et les forçaient, malgré la douleur, à danser devant eux. Ils violaient les jeunes nonnes, crevaient les yeux, coupaient le nez et les oreilles, les mains et les pieds à ceux qu’ils n’entrainaient pas en captivité ; mais de toutes ces choses, la plus horrible, c’est que beaucoup de chrétiens adoptèrent leur croyance, et que ces misérables renégats persécutaient les fidèles avec autant d’acharnement que leurs féroces ennemis. Ce que j’écris, je ne l’ai pas entendu dire, mais je l’ai vu de mes propres yeux, et je n’en perdrai jamais le fatal souvenir. » Que faisaient alors les boyards chargés du gouvernement ? Ils se contentaient de se faire un mérite auprès du khan de la patience qu’ils manifestaient, déclarant que les Kazanais déchiraient la Russie, au lieu de s’occuper des mesures vigoureuses, indispensables pour la défense de notre territoire. Tous leurs désirs avaient pour but une paix qu’ils ne pouvaient cependant obtenir ; et ils reconnurent l’inutilité de l’alliance qu’ils venaient de conclure avec Sahib-Ghireï ; car, à l’instant même où les ambassadeurs du khan étaient à Moscou, son fils Ymin, à la tête 1539. d’une troupe de Tatars, dévastait le district de Kochir. On eut la faiblesse de recevoir, comme valable excuse à ce sujet, la déclaration de Sahib, qu’en cette circonstance Ymin n’avait eu aucun égard pour ses ordres, et qu’il agissait de son propre mouvement.

D’autres relations également relatives à la politique extérieure, s’accordèrent mieux avec la dignité de l’État. Ambassades à Constantinople et à Stokholm. L’officier Adamef fut envoyé à Constantinople, chargé de lettres amicales pour le sultan et le patriarche. Zamouitzki se rendit de Novgorod à Stockholm, et nos ambassadeurs furent accueillis avec beaucoup de distinction dans l’une et l’autre de ces capitales. Traité avec la ligue Anséatiqùe.
Alliance avec Astrakhan.
Les boyards confirmèrent le traité de commerce avec la ligue Anséatique, et renouvelèrent aussi l’alliance avec Astrakhan, où Abdyl-Rakhman était remonté sur le trône. Ambassade des Nogaïs. Les ambassadeurs nogaïs ne cessaient de venir à Moscou en nous offrant leurs services ; ils demandaient seulement, comme une grâce, la liberté du commerce. La Lithuanie observait fidèlement la trêve, et n’inquiétait point la Russie. Le vieux Sigismond termina en paix le reste de sa carrière.

1540. Cependant un changement inattendu s’opéra dans le sein de l’aristocratie. Le prince Jean Schouisky croyait, par la disgrâce du métropolitain Daniel, s’être acquis un ami dans la personne de son successeur ; mais il se trompait : Conspiration contre Schouisky. car Joseph, soit par amour pour la vertu, ou par zèle pour la patrie ; soit qu’il reconnût Schouisky incapable de gouverner, ou qu’il y fût poussé par d’autres motifs peut-être moins louables, osa plaider la cause de Jean Belzky auprès du jeune grand prince, et même devant le conseil. Ses démarches furent appuyées par plusieurs boyards, dont les uns en appelaient à la miséricorde du monarque, d’autres à sa justice. Le prince Jean Belzky sort de prison et devient puissant. Il en résulta que Jean Belzky fut mis en liberté et réintégré dans la place qu’il occupait au conseil. Quant à Schouisky, n’ayant pu parer le coup hardi que le métropolitain venait de lui porter, il jura, dans sa colère, de lui faire ressentir les effets de sa vengeance ; il refusa, dès ce moment, de prendre aucune part aux affaires, et ne se présenta plus au conseil, où le parti de Belzky, ayant obtenu la prééminence, gouverna l’État avec sagesse et modération. On vit cesser tous les genres de persécutions, et le gouvernement, prudent, modéré, dirigea toutes ses vues vers l’intérêt public. Les abus de la puissance furent réprimés. On déposa plusieurs gouverneurs dont l’adiministration était vicieuse ; et les Pskoviens, délivrés des violences du prince André Schouisky, 1540. rappelé à Moscou, obtinrent du conseil le même droit que celui qui avait été concédé à Novgorod par Vassili. Quant à l’exercice de la justice, des jurés choisis parmi les citoyens les plus recommandables, décidèrent des affaires criminelles qui n’étaient pas du ressort des gouverneurs, mesure qui froissait ces derniers, privés par là des moyens de s’enrichir par des violences ou des déprédations. Les habitans de Pskof qui, enfin, commençaient à respirer, rendaient grâces à la bonté du grand prince ainsi qu’aux vertus des boyards. Pardon accordé au prince Vladimir Andréiévitch et à sa mère. Le gouvernement mérita bientôt de nouvelles louanges, en faisant sortir de prison, avec sa mère, le prince Vladimir Andréiévitch, cousin du grand prince, tous deux renfermés par ordre d’Hélène. Rentrés dans leur propre habitation, ils y vécurent pendant une année dans la solitude, et furent, après cet intervalle, présentés à Jean à l’époque des fêtes de Noël. On les rétablit dans la possession des riches apanages d’André, en leur permettant d’avoir une cour composée des boyards et des serviteurs de ce prince. Le sort du prince Dmitri d’Ouglitch est adouci. Mais pouvait-on considérer comme un acte de grâce le faible bienfait accordé à un autre parent du jeune grand prince ? Dmitri, petit-fils de Vassili-l’Aveugle, et fils d’André d’Ouglitch, était encore au nombre des vivans : totalement oublié et prisonnier pendant quarante-neuf ans, il subit depuis sa tendre jeunesse jusqu’à l’âge le plus avancé, toutes les horreurs d’une détention arbitraire et barbare. Chargé de chaînes, il était seul avec Dieu et son innocence ; jamais il n’avait offensé personne ; jamais il n’avait enfreint les saintes lois de l’humanité, et son unique tort venait de sa naissance ; car il avait le malheur d’être neveu d’un autocrate auquel il importait de détruire en Russie le système des apanages, et qui, pour s’attribuer un pouvoir unique, ne ménageait pas même ses plus proches parens. Malgré ces considérations, le gouvernement ne put se résoudre à lui accorder grâce pleine et entière, et à rendre au monde celui qui, comme sorti de la tombe, lui aurait été entièrement étranger. Il ordonna seulement de le délivrer du poids de ses fers, et de donner plus d’air, plus de clarté à sa prison. Sans doute ce fut alors que Dmitri, abattu par de longues souffrances, répandit les premières larmes d’attendrissement et de gratitude, en se trouvant débarrassé de ses chaînes, pouvant au moins jouir de la vue du soleil et d’un air plus pur. Il était détenu à Vologda, où il termina sa vie. Son frère, le prince Jean, mourut moine quelques années avant lui. Ils reposent tous deux dans une église de Vologda.

Le prince Jean Belzky, occupé d’adoucir le sort des grands, par des actes de clémence, n’oubliait pas son coupable frère Siméon ; 1540—1541.
Siméon Belzky est pardonné.
il désirait le rendre à la vertu et à sa patrie, et le métropolitain Joseph entreprit d’intercéder en sa faveur. On employa toutes sortes d’argumens propres à pallier sa criminelle conduite ; on mit en avant sa jeunesse, l’insoutenable tyrannie d’Hélène, celle de son favori, etc. Enfin le grand prince accorda son pardon, objet d’un éternel reproche à la mémoire du prince Jean Belzky ! Un traître, un transfuge, qui n’avait pas eu honte de susciter des ennemis à sa patrie, pouvait-il paraître à la cour ou au conseil avec les honneurs, entouré des égards destinés à ceux qui, fidèles à l’État, s’étaient illustrés à son service ? Siméon ne profita point d’une grâce contraire aux lois de la justice et aux principes sur lesquels reposent les fondemens de la société. Le courrier qui lui fut expédié de Moscou ne le trouva plus en Tauride : le perfide était en campagne avec le khan, qui projetait la ruine de la Russie ; car Sahib-Ghireï ne faisait des assurances d’amitié au grand prince, que dans le but de lui inspirer une fausse sécurité, et de pénétrer, par une irruption 1540—1541. soudaine, jusque dans le cœur des possessions moscovites. Mais le conseil, dirigé par Belzky, en régularisant les affaires de l’intérieur, ne perdait pas de vue les mesures de sûreté que réclamaient les circonstances contre les entreprises des ennemis du dehors.

Le khan, secrètement préparé à la guerre, engagea le tzar de Kazan à se réunir à lui contre la Russie. Heureusement pour nous qu’ils étaient dans l’impossibilité d’agir en même temps : le premier attendait la belle saison, afin de trouver d’abondans fourrages dans les stepps, et le second, qui ne possédait qu’un petit nombre de bateaux de guerre, craignait de laisser derrière lui le Volga, où, en cas de fuite, son armée, poursuivie par les Russes, aurait été menacée de périr. Incursion du tzar de Kazan.
Décembre.
Cependant Sahib-Ghireï, enhardi par l’inépuisable patience du gouvernement moscovite, laissant derrière lui Nijni-Novgorod, s’avança sans obstacle jusqu’à Mourom ; mais il ne put pénétrer plus loin, car les soldats et les habitans combattaient avec le plus grand courage, sur les murailles ainsi que dans de fréquentes sorties. Le prince Dmitri Belzky, parti de Vladimir, s’approchait en hâte, et le tzar Schig-Alei, à la tête de ses fidèles Tatars, venait de Kassimof, détruisant les détachemens ennemie qui se trouvaient sur le territoire de Metchersk et dans les villages de Mourom. Safa-Ghireï, effrayé, s’enfuit avec une telle vitesse, que les voïévodes moscovites ne purent l’atteindre ; et cette campagne, dont le succès parut peu satisfaisant aux Kazanais, ne servit qu’à augmenter le nombre des mécontens. Les princes de cette ville, et surtout Boulat, le plus considérable d’entre eux, étaient en correspondance avec Moscou, et ils demandaient seulement que le grand prince leur envoyât son armée, assurant qu’ils étaient prêts ou à tuer ou à livrer entre nos mains Safa-Ghireï, qui dépouillait les grands et le peuple de leurs biens, pour faire passer des trésors en Tauride. Les boyards donnèrent aussitôt l’ordre de réunir à Vladimir les milices de dix-sept villes, sous les ordres du prince Jean Schouisky, et répondirent amicalement à Boulat en lui faisant espérer des grâces et l’oubli du passé : toutefois, avant d’y envoyer une armée, ils attendirent de Kazan de plus amples informations.

1541. Le khan de Crimée ne laissait point encore pénétrer ses intentions ultérieures. Le prince Alexandre Kachin, ambassadeur de Jean, était en Tauride, et celui du khan, nommé Tagaldi, se trouvait à Moscou ; mais les boyards se persuadèrent que le tzar de Kazan n’avait pu commencer les hostilités sans être d’accord avec la Crimée, et ils ordonnèrent en conséquence de rassembler, à tout événement, une armée à Kolomna ; le jeune grand prince alla en personne en inspecter le camp. Invasion du khan de Crimée. Ces mesures ne pouvaient être prises plus à propos ; car, au retour du printemps, on apprit à Moscou, par quelques prisonniers qui s’étaient échappés de la Tauride, que le khan se portait contre la Russie à la tête de toute la horde, n’ayant laissé dans le pays que les femmes, les enfans et les vieillards ; qu’il se trouvait aussi de la cavalerie turque dans son armée, ainsi que des bouches à feu ; que de nombreuses troupes de Nogaïs, des campemens d’Azof, d’Astrakhan et de Caffa, s’étaient réunies à lui, et qu’enfin le prince Siméon Belzky s’était chargé de guider les ennemis dans leur marche. Le gouverneur de Poutivle, Fédor Pletchéief, eut ordre de s’assurer de la véracité de ce rapport ; et les gens envoyés par lui dans les stepps, y reconnurent les traces du passage d’une armée de cent mille hommes et au-delà. Alors le prince Dmitri Belzky, principal voïévode, se rendit à Kolomna et se mit aussitôt en campagne avec l’armée russe. Le prince Jean Schouisky resta cantonné à Vladimir avec le tzar Schig-Alei, et de nombreux escadrons de cavalerie légère, arrivés de tous les points, se portaient sur Serpoukof, Kalouga, Toula et Rézan. 28 juillet. Nos hardis éclaireurs rencontrèrent enfin le khan aux environs du Don, et reconnurent son armée, dont les innombrables files couvraient au loin les stepps. Sahib, déjà en de-çà du fleuve, s’approcha de Zaraïsk ; mais il ne put s’emparer de cette forteresse, défendue par Nazar-Glébof, qui le repoussa avec une rare valeur.

Tandis que nos troupes occupaient les positions de l’Oka, un spectacle des plus touchans fixait l’attention des citoyens de la capitale : le jeune grand prince, âgé de dix ans, prosterné, avec son frère Youri, devant l’image de la Ste.-Vierge de Vladimir et la châsse du métropolitain Saint-Pierre, invoquait le Tout-Puissant dans l’église de l’Assomption, et le suppliait de sauver la patrie. Il proférait, en versant des larmes, ces paroles que le peuple pouvait entendre : « Mon Dieu, toi qui défendis un de mes aïeux contre le cruel Tamerlan, prends-nous aussi sous ta sainte garde, jeunes et orphelins que nous sommes ! Notre esprit et nos bras sont encore sans vigueur, et cependant la patrie attend de nous sa délivrance. » Il se rendit au conseil accompagné du métropolitain, et s’adressant aux boyards rassemblés, il leur dit : « L’ennemi s’approche ; décidez s’il convient que je reste ou que je m’éloigne ? » Les boyards discutèrent paisiblement entre eux. Les uns disaient qu’aux époques d’invasions ennemies, jamais les grands princes n’étaient restés à Moscou. À ces observations, d’autres répliquaient ainsi : « Lorsqu’Édigée menaça la capitale, Vassili Dmitriévitch s’en éloigna pour rassembler une armée dans les provinces de la Russie, laissant à Moscou ses frères et le prince Vladimir Andréiévitch. Mais, dans les circonstances actuelles, la position est bien différente ; le grand prince, dans l’âge le plus tendre, et son frère, plus jeune encore que lui, sont-ils en état de parcourir le pays pour lever des troupes ? Et ces enfans ne sont-ils pas bien plus exposés alors à tomber entre les mains des infidèles, qui, sans doute, peuvent se répandre plus facilement dans les autres provinces qu’arriver jusqu’à Moscou ? » Le métropolitain adopta cette dernière opinion. « Où donc, disait-il, le grand prince pourrait-il être plus en sûreté ? Est-ce à Novgorod ou à Pskof, limitrophes de la Lithuanie et de l’Allemagne ? Serait-ce à Kostroma, Yaroslavle, Galitch, exposées aux courses des Tatars de Kazan ? Et à qui confier Moscou, où se trouvent les saintes Images ? Si Dmitri Ivanovitch n’a point laissé un puissant voïévode dans la capitale, ne savons-nous pas ce qu’il en est résulté ? Que le ciel daigne nous préserver d’un semblable désastre ! D’ailleurs, est-il donc si urgent de rassembler des troupes ? N’avons-nous pas une armée sur l’Oka, et une autre à Vladimir sous les ordres du tzar Schig-Alei, capables de défendre Moscou ? Nous avons des forces suffisantes ; Dieu et les Saints, auxquels le père de Jean a recommandé son fils chéri, sont pour nous. Prenez courage !…… » À ces mots, tous les boyards s’écrièrent : « Prince ! restez à Moscou ! » Dévouement du peuple et de l’armée. Alors, Jean donna de vive voix, à tous les officiers de la ville, l’ordre de faire les préparatifs nécessaires. Tous jurèrent de mourir pour lui, et de défendre, jusqu’au dernier soupir, les asiles sacrés du Seigneur ainsi que leurs foyers. Un grand nombre de citoyens se firent inscrire aussitôt pour la garde des murailles, des portes et des tours ; on plaça de l’artillerie dans toutes les directions, et les faubourgs furent entourés de palissades. Personne ne songeait à s’éloigner ; et les annalistes, dans l’étonnement que leur cause cet élan d’enthousiasme et de courage, l’attribuent à une cause surnaturelle.

1541. Il en était de même à l’armée. À cette époque, les généraux, sans avoir égard aux nominations faites par le grand prince, n’avaient ordinairement, les uns pour les autres, qu’une considération proportionnée à leur ancienneté ou à l’élévation de leur naissance, et ne voulaient point dépendre de ceux qui, sous ces deux rapports, leur étaient inférieurs. Il est vrai que Vassili et son père avaient su mettre un frein à ces disputes de prérogatives ; mais la minorité de Jean, qui semblait en quelque sorte assurer l’impunité, en rendant les dignitaires plus audacieux, réveilla ces dispositions pernicieuses, poussées bientôt au dernier excès. Le camp était un théâtre d’animosités et de querelles journalières. Le grand prince en ayant été informé, y envoya Jean Kouritzin, son secrétaire, avec une lettre adressée à Dmitri Belzky et aux principaux chefs, les engageant à mettre de côté toutes personnalités, tout sujet de mésintelligences, et à se réunir de cœur et d’esprit sous les drapeaux de la patrie, de la foi et d’un prince qui mettait tout son espoir en Dieu et dans leur valeur. « Que l’Oka, écrivait Jean, devienne pour les Tatars une barrière impossible à franchir ; et si cette rivière est un insuffisant obstacle aux efforts de l’ennemi, barrez-lui, de vos poitrines, le chemin de la capitale ; combattez avec vigueur, au nom du Tout-Puissant ; mon amitié et mes bienfaits seront votre récompense et le patrimoine de vos enfans. Je ferai inscrire dans les fastes militaires de la Russie, les noms de ceux qui tomberont pour elle au champ d’honneur. Leurs femmes et leurs enfans feront partie de ma famille. » À la lecture de cette lettre, les voïévodes, pénétrés d’attendrissement, s’écrièrent : « Amis, oublions nos animosités ! sachons renoncer à nous-mêmes, et ne nous ressouvenir que des bienfaits de Vassili. Obéissons à Jean, dont le bras encore faible ne peut soutenir le poids des armes. Servons-le pendant son enfance, afin que plus tard il nous distingue honorablement. Si nos vœux ardens s’accomplissent, si nous enchaînons la victoire, nous nous serons illustrés, non-seulement dans notre patrie, mais la gloire attachée à nos actions s’étendra même jusque dans les pays les plus éloignés. Et puisque nous ne sommes pas immortels, que notre sang coule du moins pour la patrie. Dieu et le grand prince ne nous oublieront pas ! On vit alors ces voïévodes, jusque-là opiniâtres et querelleurs, verser des larmes d’attendrissement, s’embrasser les uns les autres 1541. comme de bons frères, et, dans l’enthousiasme généreux qui enflammait leurs cœurs, jurer de vaincre ensemble ou de perdre la vie sur les bords de l’Oka. Ils sortirent de la tente où ils s’étaient rassemblés, pour communiquer à l’armée la lettre de Jean, et haranguèrent les troupes avec le profond sentiment de vertu dont ils étaient pénétrés. L’effet en fut inexprimable. D’une voix unanime les guerriers s’écrièrent : « Oui, pour le grand prince, nous viderons la coupe de la mort avec les Tatars. Restez unis, ô pères de la patrie, et nous marcherons avec ardeur contre les infidèles ! »

30 juillet. Déjà le khan était parvenu jusqu’à l’Oka, et son armée couronnait les hauteurs qui bordent le fleuve. La rive opposée était occupée par les troupes légères moscovites, sous le commandement des princes Jean Tourountaï Pronsky et Vassili Okhlebin de Yaroslavle. Les Tatars s’imaginant qu’ils voyaient toute l’armée, lancèrent des radeaux, et protégés par l’artillerie et le feu de la mousqueterie des Turcs, ils voulurent forcer le passage. Les Russes, qui ne faisaient usage que de flèches, furent d’abord ébranlés, et il y eut quelque confusion dans leurs rangs ; mais les princes Mikoulinsky et Obolensky ayant eu le temps de les soutenir, ils tinrent ferme. L’armée se mit alors en mouvement, et ses nombreux bataillons se déployèrent avec ordre sous les yeux des ennemis. Les princes Michel Koubensky, Jean Schouisky, et Dmitri Belzky lui-même, plantèrent leurs drapeaux sur les bords de l’Oka. D’autres troupes arrivaient encore sur les ailes, et l’on apercevait dans l’éloignement une nombreuse réserve. À cette vue, le khan consterné, s’adressant avec colère au traître Belzky et aux principaux chefs de son armée, leur dit : « Vous m’avez trompé en m’assurant que la Russie ne pourrait soutenir à la fois la guerre contre Kazan et contre moi. Quelle armée !… Jamais ni moi, ni aucun de mes plus vieux guerriers n’en avons vu de semblable. » Rempli d’effroi, il voulait se retirer sur-le-champ, mais les mourzas firent leurs efforts pour l’en détourner. Les boulets, les balles et les flèches volaient des deux côtés ; le soir, les Tatars se retirèrent sur les hauteurs, et les Russes, enflammés de courage, leur criaient : Venez ! venez ! nous vous attendons ! »

La nuit étant survenue, les voïévodes de Jean se préparèrent pour le lendemain à une bataille qui semblait devoir être décisive. Il n’existait dans l’armée russe, ni crainte, ni doute ; l’impatience éloignait le repos, et le camp retentissait 1541. du bruit des armes. De nouvelles troupes arrivaient successivement avec des transports d’artillerie. Le khan, qui entendait dans le lointain les cris de joie de notre armée, pouvait aussi distinguer, à la lueur des feux, la manière dont les Russes disposaient leur artillerie. Il n’attendit pas le jour : Fuite de l’ennemi. en proie à la frayeur, livré à des sentimens de fureur et de honte ; il se sauva sur un chariot, et l’armée le suivit après avoir détruit une partie de ses équipages. Ceux qui restaient, ainsi que quelques canons, tombèrent entre nos mains. Ce fut alors que, pour la première fois, les Russes recueillirent des trophées ottomans. Dmitri Bielzky dépêcha le prince Jean Kachin à Moscou pour y porter cette heureuse nouvelle, tandis que les princes Mikoulinsky et Séréberny poursuivaient l’armée du khan, dont les traînards furent tués ou faits prisonniers. Ils apprirent par ceux-ci que Sahib-Ghireï marchait sur Pronsk. Comme il s’était vanté de pénétrer jusqu’aux montagnes de Vorobief et de dévaster toutes les provinces moscovites, il croyait diminuer la honte de sa fuite en s’emparant de Pronsk, forteresse peu importante ; agissant en cette circonstance ainsi que l’avait fait Tamerlan, qui, dans son invasion en Russie, ne s’empara que de la forteresse d’Életz. Le général 1541. en chef russe fit alors marcher de nouvelles troupes pour contraindre le khan à quitter le territoire de la Russie.

3 août. Sahib-Ghireï forma donc le siége de Pronsk, où commandait Vassili Joulebin, qui suppléait à la faiblesse de la garnison par la plus rare intrépidité. Il soutint les attaques de l’ennemi avec quelques canons, des pierres et des pieux. Les mourzas ayant demandé à lui parler, il se présenta avec assurance sur la muraille. « Rends-toi, lui dirent-ils, le tzar ne te fera aucun mal ; si tu prolonges une inutile défense, il restera devant la ville jusqu’à ce qu’il s’en soit emparé. » Le héros répondit à cette sommation : « Placé dans cette ville par la volonté de Dieu, son bras puissant me protégera contre les attaques du khan. Qu’il reste devant nos murs ! il verra bientôt arriver les voïévodes moscovites. » Sur cette réponse, Sahib ordonna de préparer des gabions pour livrer un nouvel assaut. De son côté, Joulebin arma tous les citoyens et jusqu’aux femmes mêmes. Déjà des tas de pierres et de pieux, des chaudières d’eau bouillante garnissaient les remparts ; les canonniers étaient à leurs pièces, la mèche allumée, lorsque les assiégés apprirent que les voïévodes russes étaient à peu de distance. À cette nouvelle des cris de joie se firent entendre dans la ville. Le khan, informé de leur cause, fit mettre le feu aux gabions, et s’éloigna de Pronsk le 6 d’août, poursuivi par nos voïévodes jusque sur le Don. Le prince Vorotinsky battit le tzarévitch Ymin qui était resté, pour piller, dans le district d’Odoef.

La nouvelle de l’expulsion de l’ennemi formidable qui avait osé pénétrer dans le sein de la Russie, fut reçue partout avec des acclamations de joie. On comblait de louanges le grand prince et ses vaillant généraux. La jeunesse de Jean, qui, au moment du danger, avait excité parmi le peuple un intérêt, un attendrissement général, charmait tous les citoyens. Elle excita le plus vif enthousiasme, lorsque l’enfant souverain, prosterné dans le temple, rendit grâces au Tout-Puissant de la délivrance de la Russie ; lorsqu’au nom de la patrie il témoigna aux voïévodes toute l’étendue de sa reconnaissance, et que ceux-ci, touchés jusques aux larmes, lui répondirent : « Prince, ce sont vos prières angéliques et votre heureuse étoile qui nous ont fait triompher. » En toutes circonstances le peuple attribue une grande partie des événemens à cette dernière cause, et la jeunesse de Jean ouvrait un vaste champ aux espérances. C’était là l’opinion des contemporains qui, considérant Sahib-Ghireï comme un nouveau Mamaï, comme un autre Tamerlan, voyaient, dans sa fuite, l’événement le plus glorieux pour la Russie. Mais ils ne songeaient pas à l’avenir ; car ce qui venait d’arriver pouvait se renouveler encore, et la Russie, bien que déjà puissante, n’en restait pas moins exposée à des irruptions soudaines et désastreuses. Lorsque l’on avait le temps de se mettre en état de défense, nous finissions par chasser l’ennemi ; mais les villages étaient déserts, et par la perte de ses habitans, l’État se voyait privé de la plus précieuse de ses richesses. Ce n’est que par l’expérience des siècles que l’on parvient à créer un système fixe relativement aux mesures de défense indispensables à la sûreté d’un État.

Le prince Belzky, l’âme du gouvernement, était parvenu au plus haut degré de la fortune, soutenu par la bienveillance particulière du jeune souverain, dont les facultés morales se développaient de jour en jour, par sa proche parenté avec lui, par les succès de la guerre, enfin par des œuvres d’humanité et de justice. Le calme de sa conscience et la satisfaction du peuple étaient la récompense de sa conduite ; mais la méchanceté ourdissait de secrètes machinations, l’envie, ce poison de la société, et surtout des cours, préparait ses dangereuses attaques. Ici notre histoire retrace le danger de la magnanimité, comme pour justifier les ambitieux cruels et vindicatifs, qui ne laissent à leurs ennemis d’autre paix que celle des tombeaux. Le prince Belzky, délivré par le métropolitain et les boyards, aurait pu renfermer Schouisky dans la prison d’où il venait de sortir, car il était maître de lui ravir la liberté et la vie ; mais il méprisait une impuissante fureur, et comme il estimait ses talens militaires, il le plaça même à la tête des armées ; ce que nous pourrions considérer comme un abus de générosité, si ces procédés avaient été dictés par les passions et non par l’impulsion d’un cœur vertueux. Schouisky, en cédant avec colère à la puissance de son imprudent compétiteur, n’eut plus d’autre vue que la vengeance. Les princes Michel, Jean Koubensky, Dmitri Paletzky et le trésorier Tretiakof, tous boyards distingués, se liguèrent avec lui pour détruire Belzky et le métropolitain, liés d’amitié, et sans doute aussi par l’amour ardent que tous les deux avaient pour la patrie. Il paraît qu’aucun prétexte, même spécieux, ne fut mis en avant, et que les conspirateurs ne voulaient autre chose que renverser le chef du gouvernement pour occuper sa place, afin de prouver leur puissance et non pas leur justice. Ils firent entrer dans leur projet plusieurs seigneurs et enfans-boyards de Moscou, et même des autres provinces de l’empire, mais particulièrement de Novgorod. Schouisky, qui devait marcher contre Kazan, se trouvait alors, avec l’armée, dans la ville de Vladimir, où, par des promesses et d’insidieuses caresses, il parvint à augmenter le nombre de ses partisans. Ayant reçu d’eux un serment secret, il détacha, sous la conduite de son fils Pierre, trois cents cavaliers sur lesquels il pouvait compter, pour soutenir les conjurés de Moscou, auxquels il fit savoir qu’il était temps d’agir. 1542.
Troubles occasionés par les boyards. Chute de Jean Belzky.
Le 3 janvier, un grand tumulte se fit entendre dans le Kremlin : le prince Belzky, arraché de son domicile, fut jeté dans une prison par les conspirateurs, ainsi que ses amis fidèles le prince Pierre Tcheniatef et l’illustre Khabar. Le premier fut enlevé de la chambre même du grand prince, et transporté hors du palais par un escalier dérobé : dans un instant la cellule du métropolitain fut entourée ; on lança des pierres contre les fenêtres, et ce chef de l’Église, menacé d’y perdre la vie, se réfugia enfin dans une maison appartenant au couvent de Troïtzky ; ce ne fut qu’au nom de S. Serge, 1542. que l’abbé de ce célèbre monastère, aidé du prince Dmitri Paletzky, parvint à contenir les enfans-boyards, qui, semblables à des forcenés, menaçaient de leurs gestes le métropolitain épouvanté. Il se rendit au palais, croyant que la présence du grand prince lui procurerait une puissante garantie ; mais, réveillé par les cris des séditieux, le monarque tremblait lui-même comme une victime dévouée. Le métropolitain est envoyé en prison. Les boyards entrèrent en tumulte dans sa chambre pour s’emparer du métropolitain qu’ils saisirent et envoyèrent en prison dans le monastère de Kirillof, à Bélozersk. Ils ordonnèrent au prêtre de la cour de célébrer la messe du matin, trois heures avant le jour, criant, donnant des ordres comme s’ils avaient conquis et le trône et l’Église ; ils avaient mis de côté toute bienséance, et se comportèrent comme des rebelles dont la conduite semait l’épouvante dans la capitale. Schouisky reprend le pouvoir. À la pointe du jour Schouisky arriva de Vladimir, et, pour la seconde fois, il devint chef des boyards. Le prince Belzky fut renfermé à Bélozersk, Tcheniatef à Yaroslaf, et Khabar à Tver. L’ordre et la tranquillité commençaient à se rétablir ; mais tous les désirs de Schouisky n’étaient pas encore satisfaits, car il redoutait un changement : d’ailleurs, les vertus de Belzky, l’estime qu’il inspirait, portaient ombrage à son farouche compétiteur, qui, du consentement des boyards, le fit mettre à mort, sans que le grand prince en eût été instruit. Trois scélérats consommèrent le crime dans la prison du malheureux prince. D’après le jugement des contemporains, Belzky avait de la grandeur d’âme ; il était intrépide à la guerre, et chrétien éclairé. Dans les deux guerres où il commanda l’armée contre Kazan, son amour peut-être exagéré pour la paix, le fit soupçonner de s’être laissé séduire par les présens de l’ennemi ; mais la gloire qu’il sut acquérir dans les dernières années de sa vie, servit à le justifier dans l’opinion du peuple.

La Russie connaissait déjà le caractère de Schouisky ; elle savait qu’on ne pouvait rien attendre de bon, ni de sage d’un gouvernement dont le chef n’était point animé d’un véritable zèle pour le bien de l’État, et son unique espérance reposait sur le prompt anéantissement d’un pouvoir si illégitimement acquis. Le conseil n’éprouva aucun changement, si ce n’est que quelques uns de ses membres virent augmenter leur influence en proportion des rapports qui existaient entre eux et les Schouisky, tandis que les autres perdaient de jour en jour celle qu’auparavant ils avaient possédée. Le prince Dmitri 1542. Belzky, en donnant des larmes à son frère, ne laissa pas que d’y occuper la première place, comme le plus ancien des boyards. Les premiers soins du conseil devaient se porter sur le choix d’un métropolitain, et la jeunesse de Jean augmentait encore l’importance de ces hautes fonctions ; car ce premier pasteur de l’Église, ayant un libre accès auprès du jeune souverain, pouvait le diriger par ses avis, se mettre hardiment en opposition avec les boyards, et obtenir une puissante influence sur l’esprit des citoyens par les exhortations chrétiennes qu’il leur adressait. Schouisky et ses partisans ne voulaient point hasarder de se tromper une seconde fois dans le choix qu’ils avaient à faire ; ils restèrent donc deux mois avant de se décider, et nommèrent enfin l’archevêque Macaire, renommé par son esprit et son active piété. Comme les honneurs du monde n’étaient pas sans attraits pour lui, il serait possible que, pour parvenir à remplacer le métropolitain dépossédé, il eût rendu quelque service au parti des Schouisky, et employé son autorité à disposer l’esprit des habitans de Novgorod en leur faveur. Quoi qu’il en puisse être, il fut nommé premier prélat, installé au palais métropolitain, Sacre de Macaire. et sacré dix-sept jours après son arrivée. C’est ainsi que cédant à des sentimens de haine personnelle, Schouisky destitua deux métropolitains par des actes arbitraires, sans jugement, et sans aucune espèce de prétexte. Cependant le clergé se soumit en silence. Bientôt on vit renaître les anciennes violences, renouveler de criantes injustices. Les immunités, les priviléges accordés aux habitans des provinces sous le gouvernement paternel des Belzky, furent abolis par la cupidité, par les ruses des gouverneurs, et la Russie redevint la proie des amis, des parens ou des serviteurs de Schouisky.

Trêve avec la Lithuanie. L’acte le plus important qui eut lieu alors, et qui concernait la politique extérieure, fut le renouvellement de la trêve avec la Lithuanie, conclu à Moscou par les seigneurs Yan Glébovitch et Nicodème, envoyés du roi. Une paix perpétuelle était l’objet des désirs des deux puissances ; mais, comme on l’avait toujours vu, il fut impossible de s’accorder sur les conditions. Les boyards sollicitaient vivement l’échange des prisonniers, et le roi n’y voulait consentir qu’à condition qu’on lui remettrait Tchernigof et six autres villes, craignant, selon toute apparence, que les Lithuaniens qui retourneraient dans leur patrie n’y apportassent des semences de trahison, et que les Russes, rendus à leur souverain, ne lui servissent à remporter de nouvelles victoires. On se borna donc à convenir de ne point se faire la guerre, et d’accorder aux marchands des deux nations une entière liberté de commerce. Sigismond était sur le déclin de l’âge, et déjà les seigneurs traitaient au nom d’Auguste, son fils et son héritier. Après la lecture de l’acte, Jean baisa le crucifix et présenta la main aux ambassadeurs. Le boyard Morozof fut envoyé en Lithuanie pour l’échange et la ratification du traité. On le chargea d’employer son éloquence et son crédit pour obtenir que nos prisonniers fussent au moins délivrés de leurs fers, et qu’on leur accordât la permission de fréquenter les églises de leur croyance : dernière consolation de ces infortunés condamnés à mourir en pays ennemi ! Cependant de vives discussions s’étant élevées relativement à la fixation des limites du territoire de Sébéjà, on envoya à cet effet en Lithuanie le dignitaire Soukin, qui, dans une secrète conférence avec les principaux seigneurs de ce royaume, leur déclara que Jean songeait déjà à faire choix d’une épouse ; il chercha à connaître leurs idées relativement aux avantages qui pourraient résulter pour les deux États, d’une alliance contractée entre leurs souverains. Le rapport de Soukin ne fait point mention de la réponse que l’on fit à cette proposition.

Sahib-Ghireï, ayant éprouvé des revers, consentit à renouer avec la Russie, ses anciens rapports d’amitié. Il permit au prince Alexandre Kachin, ambassadeur russe, de retourner à Moscou, et le chargea d’un nouveau traité écrit. Incursions des Tauriens et des Nogaïs. Mais Ymin, fils du khan, et les avides mourzas inquiétaient, par de nouvelles incursions, les provinces de Séversk et de Rézan. Les Voïévodes moscovites les ayant rencontrés dans la célèbre plaine de Koulikof, les battirent complètement, et les chassèrent jusqu’à la rivière de Metcha. Affaires de Kazan. D’un autre côté, les Kazanais demandaient la paix, et le prince Boulat, qui n’avait plus l’intention de détrôner Safa-Ghireï, écrivait en conséquence au boyard Dmitri Belzky, et la tzarine Gorchadna, au grand prince lui-même. Les annalistes assurent qu’elle annonça solennellement la ruine prochaine de Kazan et la grandeur de la Russie. Le conseil des boyards ne rejetait pas la paix ; mais Safa-Ghireï traînait la chose en longueur, et ne paraissait pas décidé à la conclure. Relations avec Astrakhan et la Moldavie. Rien n’avait interrompu nos relations amicales avec les Nogaïs et la Moldavie, car Édigée, tzarévitch d’Astrakhan, entra à cette époque au service de la Russie. Jean 1542. Pétrovitch, voïévode de Moldavie, et petit-fils de Stéfan, écrivait au grand prince que Soliman lui avait fait la grâce de le rétablir sur un trône d’où il l’avait fait descendre, mais qu’il exigeait, outre le tribut annuel imposé sur la Moldavie, une somme d’environ trois cent mille ducats, qu’il lui était absolument impossible de se procurer dans un pays dévasté. L’hospodar suppliait Jean de lui fournir quelque secours d’argent, ce qui lui fut accordé.

Changement dans le gouvernement. Mais les troubles et les intrigues qui régnaient à la cour, occupaient le conseil plus encore que les affaires de l’intérieur ou celles du dehors. Le prince Schouisky ne jouit pas long-temps du pouvoir : il parait que ses infirmités l’obligèrent à s’éloigner de la cour, et il vécut encore deux ou trois ans sans prendre part au gouvernement, qu’il remit entre les mains de trois Schouisky, ses proches parens : les princes Jean, André, et Féodor Skopin, qui, ne possédant ni grandeur d’âme, ni aucune élévation d’esprit, ne voulaient que dominer, et ne songeaient nullement à mériter, par leur zèle pour la patrie, l’amour de leurs concitoyens et la reconnaissance du jeune monarque. Toute l’habileté de ce triumvirat oligarchique consistait à ne souffrir aucun genre d’opposition dans le conseil, et à ne donner accès auprès du grand prince, qu’aux gens qui leur étaient servilement dévoués, éloignant avec soin les hommes dont l’audace, l’esprit où les nobles qualités du cœur, auraient pu éveiller les inquiétudes de leur jalouse ambition. Mais Jean, dont l’esprit commençait à se former, supportait déjà impatiemment le poids de cette tutelle désavouée par les lois, et haïssait les Schouisky, mais surtout l’insolent et féroce André. Il se sentait porté pour leurs ennemis déclarés ou secrets, au nombre desquels se trouvait Féodor Voronzof, membre du conseil. 1543. Les Schouisky essayèrent de l’éloigner avec bienséance ; mais n’ayant pu y parvenir, leur haine trouva un motif d’irritation dans les preuves d’amitié que Jean prodiguait chaque jour à ce boyard. Ils résolurent enfin de recourir à la violence, Violences des Schouisky. et ce fut à la cour, en plein conseil, en présence du grand prince et du métropolitain, que les Schouisky et les princes Koubensky, Paletzky, Chkourliatef, Pronsky et Alexis Basmanof, leurs partisans, après une discussion orageuse concernant les prétendus torts, de ce favori de Jean, exécutèrent leur audacieux projet. Ils se levèrent comme des forcenés, et ayant entraîné Voronzof dans une autre pièce, ils l’accablèrent de coups, et se disposaient à lui ôter la vie, lorsque le jeune souverain, frappé d’épouvante, supplia le métropolitain de sauver cet infortuné. Celui-ci, ainsi que le boyard Morozof, leur parlèrent alors au nom du grand prince, et les Schouisky, comme s’ils lui accordaient une grâce, promirent de laisser la vie à Voronzof ; mais ces furieux continuèrent à le frapper, et l’ayant traîné sur la place du palais, ils ordonnèrent de le jeter dans un cachot. Jean les fit prier une seconde fois, par le métropolitain et les boyards, d’envoyer Voronzof à l’armée de Kolomna, si on ne pouvait lui permettre de rester à Moscou, et de s’approcher de la cour. Les Schouisky rejetèrent cette proposition, et le grand prince fut obligé de confirmer l’arrêt qu’ils portèrent contre lui : il fut envoyé avec son fils à Kostroma. Pour donner une idée de l’insolence des seigneurs en cette circonstance, les annalistes rapportent que le boyard Golovin, l’un d’eux, discutant avec le métropolitain, marcha sur sa robe et la déchira en signe de mépris.

Ces coupables violences d’un despotisme grossier, et les passions déréglées de ceux qui gouvernaient l’État, devaient accélérer un changement désiré par le peuple et les ennemis des Schouisky. Jean venait d’accomplir sa treizième année. Né avec une âme ardente, une pénétration 1543. rare et une force de volonté extraordinaire, il aurait possédé toutes les qualités des grands monarques, si l’éducation avait cultivé ou perfectionné les dons qu’il tenait de la nature : mais L’éducation de Jean est négligée. privé de bonne heure des auteurs de ses jours, abandonné aux soins de seigneurs violens, aveuglés par leur extravagante ambition et l’intérêt personnel, il fut, sur le trône, le plus infortuné des orphelins ; car les vices que lui donna une jeunesse négligée, préparèrent et ses propres malheurs, et ceux de millions d’autres hommes. Le meilleur naturel peut tourner au mal, lorsque la raison, partage exclusif de l’âge mûr, et destinée à régler, à contenir les passions, ne se trouve pas remplacée par les préceptes de la saine morale, qu’un guide prudent et sage doit rappeler sans cesse à un jeune homme. Jean Belzky eût mérité seul d’être à la fois l’instituteur et le modèle du monarque orphelin. Mais les Schouisky, en enlevant à l’État l’un de ses dignitaires les plus respectables, cherchèrent à captiver l’amitié du jeune prince par une basse soumission à tous ses caprices enfantins ; ils étaient sans cesse occupés de le distraire et de l’amuser par des jeux bruyans, exécutés dans le palais, ou, dans la campagne, par le spectacle de chasses d’animaux ; ils nourissaient en lui des dispositions à toutes sortes de faiblesses et même à la cruauté, sans prévoir les suites qui pourraient en résulter. Par exemple, le jeune prince, amateur de la chasse, se plaisait non-seulement à répandre le sang des bêtes sauvages, mais il se faisait aussi un plaisir de faire souffrir les animaux domestiques ; et, lorsqu’il lui arrivait d’en précipiter quelques uns du haut d’un escalier élevé, les boyards se contentaient de dire : « Soit ! puisque cela divertit le souverain. » Quelquefois, entouré d’une troupe de jeunes gens, lui arrivait-il de se livrer à sa pétulance, et de se conduire d’une manière indécente, de galopper dans les rues, écrasant des femmes et des vieillards, on ne faisait qu’en rire, et lui-même se félicitait de ces coupables étourderies, parce que d’imprudens flatteurs vantaient alors son audace, son intrépidité et son adresse. Les boyards étaient loin de songer à lui faire connaître les devoirs sacrés que doit remplir un souverain, car, eux-mêmes, ils négligeaient les leurs ; et au lieu d’éclairer, de cultiver son jeune esprit, ils se plaisaient à l’entretenir plutôt dans une ignorance qui s’accordait mieux avec leurs vues ambitieuses ; enfin ils parvinrent à endurcir son cœur, tournant en ridicule les larmes que les infortunés Telennef, Belzky et Voronzof lui avaient fait répandre. Ils espéraient effacer le souvenir de leur audace en satisfaisant de pernicieuses fantaisies, et basaient leurs calculs sur l’inconstance d’un enfant entouré sans cesse de nouvelles distractions. Les Schouisky voulaient que le souvenir de leur complaisance fit oublier au grand prince ses mécontentemens contre eux : mais le contraire arriva ; car il savait déjà comprendre que la puissance qu’ils avaient usurpée n’appartenait qu’à lui. Cependant les cabales redoublaient au palais du Kremlin, à mesure que le grand prince avançait vers l’âge de raison ; la position des boyards dominans devenait de jour en jour plus embarrassante, et le nombre de leurs ennemis augmentait sans cesse. Les plus puissans d’entre eux étaient les princes Youri et Michel Glinsky, oncles de Jean, seigneurs vindicatifs, envieux et remplis d’ambition. Ils surent, malgré la vigilance des Schouisky, insinuer au grand prince, âgé alors de treize ans, et encore chagrin de l’exil de Voronzof, Conspiration contre les principaux dignitaires. qu’il était temps de manifester sa souveraine puissance et de renverser les ravisseurs du pouvoir, qui opprimaient le peuple, soumettaient les boyards à leur tyrannie, insultaient enfin au monarque lui-même, en menaçant de la mort ceux auxquels il daignait témoigner de l’amitié. Ils ajoutaient qu’il ne s’agissait que de déployer de l’énergie, et que la Russie entière attendait ses ordres. Il est probable que le prudent métropolitain, mécontent des violences des Schouisky, se détacha de leur parti, et qu’il donna le même conseil à Jean. Ce projet se mûrit dans le plus profond secret, et la cour paraissait livrée à une parfaite tranquillité. En automne le grand prince se rendit, suivant l’usage, au couvent de Saint-Serge pour y faire ses dévotions, et partit ensuite pour Volok-Lamski avec les principaux seigneurs, afin d’y jouir des plaisirs de la chasse ; il célébra gaiement les fêtes de Noël, 1543.
29 décembre.
puis faisant appeler inopinément les boyards, pour la première fois il se montra impérieux et menaçant : il leur déclara, avec fermeté, qu’ils avaient abusé de son extrême jeunesse, en agissant contre les lois ; qu’ils avaient arbitrairement fait exécuter des sentences de mort, livré le pays au pillage ; qu’enfin il y avait beaucoup de coupables, Chute des Schouisky. mais qu’il se contenterait de faire mourir le prince André Schouisky, premier conseiller de cette tyrannique oligarchie, et le plus criminel d’entre eux. À l’instant on se saisit de lui, et il fut livré, comme victime, aux conducteurs des chiens, qui, en pleine rue, le firent mettre en pièces par ces animaux. Les Schouisky et leurs partisans, atterrés par cet acte d’autorité, gardèrent un morne silence ; mais le 1543. peuple laissa éclater son contentement. On publia aussitôt les forfaits du supplicié. On rapporte que, poussé par son insatiable avidité, il enlevait des terres aux gentilshommes comme s’il en eût fait l’acquisition ; qu’il opprimait les paysans de la manière la plus cruelle, et que ses serviteurs mêmes dominaient et exerçaient en Russie toutes sortes de tyrannies, sans avoir rien à appréhender des lois ni des effets de la justice. Mais ce supplice barbare, encore qu’il fût mérité, pouvait-il s’allier avec la dignité d’un prince et d’un souverain ? Il prouvait que la ruine des Schouisky n’avait pas été pour leurs successeurs une utile et mémorable leçon, et que la loi, la justice n’y étant pour rien, il devait être regardé comme le triomphe d’un parti sur l’autre ; il annonçait que la violence avait succédé à la violence : Pouvoir des Glinsky. car Jean, ne pouvant encore gouverner par lui-même, les princes Glinsky et leurs amis commandaient en son nom, quoique, cependant, quelques annalistes rapportent : « Que depuis ce moment, les boyards redoutèrent le grand prince. »

1544—1546
Sévérité des Glinsky.
Les confiscations et les autres actes de rigueur exercés par le nouveau gouvernement portèrent la terreur dans toutes les âmes. On exila dans des contrées lointaines Féodor Schouisky-Skopin, 1544—1546. le prince Youri Temkin, le boyard Golovin et plusieurs autres dignitaires ; quant à Jean Koubensky, cousin du grand prince, il fut privé de la liberté : il était intimement lié avec les Schouisky, quoique d’ailleurs distingué par son esprit et la douceur de son caractère : il fut envoyé à Péreiaslavle avec sa femme, et renfermé dans la même prison où l’infortuné André d’Ouglitch avait gémi avec ses enfans. Bouterlin, officier attaché à la cour, subit un supplice inventé par la barbarie : accusé d’avoir tenu des propos outrageans, on lui coupa la langue devant la prison, et en présence du peuple. Le grand prince ayant, après cinq mois, rendu la liberté à Koubensky, ne tarda pas à le remettre au ban de l’empire ainsi que les princes Pierre Schouisky, Gorbatof, Dmitri Paletzky et même son favori Féodor Voronzof. Cependant l’intercession du métropolitain, leur obtint un pardon qui ne fut pas de longue durée. Le bruit se répandit que le khan de Krimée se préparait à marcher contre la Russie. Son fils Ymin avait, quelques mois auparavant, dévasté, sans nulle opposition, les districts d’Odoef et de Belef ; car nos voïévodes, occupés de leurs disputes sur l’ancienneté, n’avaient pas fait le moindre mouvement pour repousser l’ennemi.

Le grand prince, à peine adolescent, prit en personne le commandement d’un corps considérable, et s’étant rendu par eau à Ougretsk, il y fit ses dévotions dans le monastère de St.-Nicolas et rejoignit ensuite l’armée à Kolomna, où il séjourna près de trois mois. L’ennemi ne s’étant pas montré, le camp moscovite, transformé en cour, devint pour les ambitieux un théâtre d’intrigues et de ruses. Il arriva que le grand prince se trouvant à la chasse, fut arrêté par une cinquantaine de Novgorodiens armés de mousquets, qui désiraient lui adresser leurs plaintes au sujet des vexations auxquelles ils étaient en butte. Jean ayant refusé de les entendre et ordonné à ses gentilshommes de dissiper cet attroupement par la force, les Novgorodiens résistèrent : à l’instant s’engagea un combat dans lequel dix hommes, de part et d’autre, restèrent sur le carreau. De retour au camp, le grand prince ordonna à Zakharof, son secrétaire intime, de rechercher les auteurs de ce rassemblement séditieux. Zakharof, dirigé sans doute par les Glinsky, rapporta au grand prince que les boyards Jean Koubensky, ainsi que Féodor et Vassili Voronzof, étaient les secrets instigateurs de ce complot. Il n’en fallut pas davantage à un prince violent, pour décider de leur sort, et, sans autre examen, sans approfondir cette affaire, il les condamna à avoir la tête tranchée, déclarant que les excès qu’ils avaient commis sous le gouvernement des boyards, leur avaient depuis long-temps mérité ce supplice. En rendant témoignage de leur innocence, les annalistes ajoutent que Voronzof n’eut d’autre tort que d’avoir aspiré au rang de premier boyard, et de n’avoir pu souffrir que le grand prince accordât de grâces à personne sans qu’il en fût instruit. Voronzof contribua puissamment à la ruine des Schouisky ; il fut l’ennemi de Koubensky, et cependant cet infortuné favori laissa comme eux la tété sur un échafaud !…. C’est ainsi que les nouveaux grands, conseillers ou compagnons du jeune prince, l’habituèrent à traiter avec une effrayante légèreté les affaires du ressort de la justice, et parvinrent ainsi à le rendre cruel, à en faire un tyran. Ils ne prévoyaient pas que, comme les Schouisky, ils préparaient leur propre perte ; car loin de détourner le jeune monarque des sentiers du vice, les uns et les autres l’y entraînaient, n’ayant d’autre but que de conserver entre leurs mains le souverain pouvoir, au lieu de s’occuper à en faire chérir les bienfaits.

Les relations politiques avec les autres puissances se traitaient d’une manière honorable 1544—1546.
Relations d’amitié avec la Lithuanie.
autant qu’avantageuse pour la Russie. Le vieux Sigismond avait transféré l’autorité souveraine à son fils Sigismond-Auguste, qui s’empressa d’en donner avis au grand prince, en l’assurant de son amour pour la paix, et de sa ferme intention de remplir strictement le traité conclu avec la Russie. Guerre contre Kazan. Cependant, les continuelles perfidies du tzar et des seigneurs de Kazan, lassèrent enfin la patience du grand prince. Deux armées, l’une venant de Moscou et l’autre de Viatka, se présentèrent le même jour et à la même heure sous les murs de cette ville : elles réduisirent en cendres tous les environs ; et, après avoir tué un grand nombre d’ennemis près de Kazan ou sur les bords de la Sviaga, et fait plusieurs prisonniers de distinction, les Russes s’en retournèrent sans éprouver le moindre échec. Le khan, persuadé que cette irruption soudaine ne pouvait s’être exécutée qu’à l’instigation des seigneurs de sa cour, résolut d’en tirer vengeance : il fit mourir quelques princes, en chassa plusieurs autres, ce qui le rendit tellement odieux aux Kazanais, que, s’adressant au grand prince, ils le supplièrent de leur envoyer des troupes, ajoutant qu’ils lui livreraient Safa-Ghireï avec trente seigneurs tauriens. Jean promit de leur envoyer une armée ; mais il exigeait 1546. que préalablement on détrônât Safa-Ghireï, et qu’on le mît en prison. À la suite d’une sédition qui, en effet, éclata à Kazan, Safa-Ghireï prit la fuite, et plusieurs seigneurs tauriens furent massacrés par le peuple. Schig-Alei remonte sur le trône de Kazan. Il s’enfuit de cette ville. Le conseil, les houlans et les princes, ainsi que tous les dignitaires de Kazan, après avoir juré de rester fidèles à la Russie, accueillirent de nouveau Schig-Alei, qui fut solennellement replacé sur le trône par les princes Dmitri Belzky et Paletzky ; il y eut à cette occasion des fêtes brillantes et des réjouissances qui se terminèrent par de nouvelles trahisons. On aurait dit que pressentant la ruine prochaine et inévitable de leur puissance, les principaux seigneurs de Kazan, aveuglés par mille passions, et frappés d’un esprit de vertige, ne savaient plus sur quoi fixer leurs désirs ; car s’ils consentaient à reconnaître un tzar, c’était pour dominer en son nom, mais non pas pour se soumettre à son autorité, le traitant d’ailleurs comme un prisonnier, et ne lui permettant ni de sortir de la ville, ni de se montrer au peuple ; le palais, où ils passaient leur vie dans les festins, retentissait de leurs clameurs et du bruit de leurs armes : ils buvaient dans les coupes d’or du tzar et se les appropriaient ensuite ; les serviteurs fidèles de Schig-Alei furent renfermés, plusieurs même exécutés, et cependant ils exigeaient de ce prince que dans ses lettres au monarque russe, il louât leur zèle et leur attachement. Les annalistes assurent que Schig-Alei prévoyant le sort qui lui était réservé à Kazan, n’avait consenti à s’y rendre que pour se conformer aux ordres de Jean. Pendant un mois entier il endura ces indignes procédés, sans donner aucun signe de mécontentement, ne confiant ses chagrins qu’au seul Tchoura, l’un des princes les plus considérables du pays, sincèrement dévoué à la Russie. Ce brave seigneur fit d’inutiles efforts pour faire rentrer dans les bornes du devoir et de la modération ces dominateurs de Kazan, et ce fut en vain qu’il leur représenta les funestes conséquences qui pouvaient résulter de leur conduite insensée ; ses exhortations produisirent un effet contraire au but qu’il s’était proposé. Comme en aigrissant Schig-Alei ils redoutaient la vengeance de Jean, ils résolurent de rappeler Safa-Ghireï, qui, à la tête d’une troupe de Nogaïs, s’était déjà avancé jusqu’à la Kama. Le prince Tchoura ayant découvert cette conspiration, en donna avis à Schig-Alei, lui conseilla de fuir, et fit, à cet effet, préparer une barque. Ce prince profitant du désordre d’une fête où, à la suite de nombreux excès, 1546 les grands et le peuple étaient plongés dans le sommeil de l’ivresse, quitta secrètement le palais et s’embarqua sans obstacles sur le Volga pour se réfugier en Russie. Safa-Ghireï, remonté sur le trône, signala son nouveau règne par des actes de cruauté : il fit mettre à mort le prince Tchoura, ainsi que plusieurs autres personnages distingués, s’entoura de Tauriens et de Nogaïs, et animé de haine contre ses sujets, il ne songea qu’à les maintenir dans un état de terreur. Soixante-seize princes et mourzas fidèles à Alei, et même les ennemis les plus acharnés de ce prince, trompés par Safa-Ghireï, cherchèrent un refuge à Moscou. Les ambassadeurs des Tchérémisses montagnards arrivèrent immédiatement après eux, et donnèrent au grand prince l’assurance qu’ils étaient prêts à se réunir aux armées russes aussitôt qu’elles marcheraient contre Kazan. Mais on était alors en hiver, et l’on fut obligé de différer les effets d’une juste vengeance ; cependant afin de s’assurer des bonnes dispositions des farouches Tchérémisses, Jean ordonna de faire partir un corps de troupes pour se rendre à l’embouchure de la Sviaga. Campagne à l’embouchure de la Sviaga. Le prince Alexandre Gorbaty, qui le commandait, n’eut à lutter que contre les rigueurs de la saison, n’éprouvant d’ailleurs aucune résistance ; et comme il lui était recommandé de ne point assiéger Kazan, il se contenta de dévaster le pays ; et se fit accompagner à Moscou par cent guerriers Tchérémisses, qui devaient être, pour les Russes, des gages de la fidélité de ce peuple.

Voyages du grand prince et mécontentement du peuple. Cependant le grand prince faisait de fréquens voyages dans les différentes provinces de son empire, sans autre but que celui de visiter les plus célèbres monastères et de se procurer, dans des forêts sauvages, le divertissement de la chasse ; mais il ne s’occupait en aucune manière à y faire observer les lois, à protéger le peuple contre l’oppression et les exactions des gouverneurs. C’est ainsi, qu’accompagné de son frère Youri et de Vladimir-Andréiévitch il se rendit à Vladimir, Mojaïsk, Volok, Rjef, Tver, Novgorod, Pskof, etc. La foule de boyards, d’officiers dont il était entouré, lui cachait le spectacle de la consternation du peuple, et au milieu du tumulte des plaisirs, les lamentations, les cris des malheureux ne pouvaient parvenir jusqu’à lui. Dans ses courses rapides, il ne laissait d’autres traces de son passage, que des larmes, de justes sujets de plainte, et une augmentation de misère, car la cour devait être défrayée ; elle exigeait en outre des présens, et ces voyages ruinaient le peuple. En un mot, la Russie ne pouvant reconnaître le père de la patrie dans un prince aussi jeune, aussi mal dirigé, ne trouvait de consolation que dans l’espérance de voir les années et la raison mûrir son caractère, éclairer son inexpérience, l’instruire des devoirs sacrés d’un souverain, et l’initier enfin au grand art de régner pour le bonheur de ses sujets.


  1. Ce prince n’avait que sept ans.