Histoire de l’empire de Russie/Tome XI/Chapitre IV

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Traduction par Pavel Gavrilovitch Divov.
Galerie de Bossange Père (XIp. 270-425).

CHAPITRE IV.
Règne du faux Dmitri.
1605 — 1606.

Premier outrage fait aux Boyards.Oukases du faux Dmitri.Ambassadeur Anglais.Marche vers Moscou.Confiance de l’Imposteur dans les Allemands.Entrée dans la Capitale.Festin.Grâces.Philarète et le jeune Michel.Le tsar Siméon et les Godounoff.Les cercueils des Nagoï et des Romanoff transportés à Moscou.Bienfaits.Réorganisation du conseil.Admiration de l’Imposteur pour Henri IV.Clémence.Panégyrique de l’Imposteur.Élection d’un nouveau Patriarche.Témoignage tacite de la Tsarine religieuse.Couronnement.Inconséquence du faux Dmitri.Actions odieuses.Xénie prend le voile.Murmures contre l’imposteur.Accusations.Schouisky.Allemands gardes-du-corps.Magnificence et plaisirs.Ambassade en Lithuanie pour y chercher la fiancée.Mécontentemens.Nouvelles de l’existence de Boris.Titre de César.Fiançailles.Bruits en Pologne sur l’Imposteur. — Le faux Dmitri paye les dettes de Mnichek.Événemens à Moscou.Rappel des Schouisky.L’Imposteur Pierre.Commencement du complot.Ambassade auprès du Schah.Rassemblement de l’Armée à Eletz.Lettre au Roi de Suède.Relations avec le Khan.Conjectures sur les projets du faux Dmitri.Punition des streletz et du diak Ossipoff.Disgrace du tsar Siméon et de Tatistcheff.Voyage du Voïévode de Sendomir avec Marine.Discours de Mnicheck.Conventions.Disgraces de deux Évêques.Entrée de Marine dans la Capitale.Mécontentement des habitans de Moscou.Scandales.Brouille avec les Ambassadeurs.Présens.Fiançailles et noce.Nouvelles causes de mécontentement.Festins.Nouvelle brouille avec les Ambassadeurs Lithuaniens.Discussions sur les affaires d’État.Réjouissances projetées.Impudence des Polonais.Conseil tenu pendant la nuit dans la maison de Schouisky.Discours hardis prononcés sur la place.Agitation du peuple.Sécurité du faux Dmitri.Trahison de l’Armée.Dernière nuit de l’Imposteur.Soulèvement de Moscou.Mort de Basmanoff.Témoignage de la Tsarine religieuse.Jugement, interrogatoire et exécution du faux Dmitri.On épargne Marine.Massacres.Les Boyards appaisent l’émeute.Silence profond pendant la nuit.Intrigues de l’ambition.Discours de Schouisky au Conseil.Choix d’un nouveau Tsar.Dispersion des cendres de l’Imposteur.Preuves que le faux Dmitri était réellement un imposteur.

1605. L’Imposteur avait atteint son but, par une audace inconcevable et un bonheur inoui. Il avait, par une sorte de prestige, séduit les esprits et les cœurs contre le témoignage de la raison, et accompli ce qui est sans exemple dans l’histoire. Le Moine fugitif, le brigand cosaque, le domestique d’un Seigneur Lithuanien, était devenu, dans l’espace de trois ans, le Monarque d’une grande puissance ; et il paraissait froid, calme, et comme familier avec l’éclat et la grandeur qui l’environnaient dans ces temps d’égarement et de honte. Toula semblait une bruyante capitale, célébrant par des réjouissances un triomphe glorieux : il s’y était rassemblé plus de cent mille hommes, tant soldats que dignitaires (246), outre une multitude de marchands et de peuple, venus des villes et bourgs environnans. Les princes Vorotinsky et Téliatevsky, choisis pour porter à l’Imposteur l’hommage de Moscou, furent immédiatement suivis par les plus illustres personnages du Conseil, Mstislafsky, Schouisky et autres qui vinrent recueillir le digne fruit de leur lâcheté : le mépris de celui à qui ils avaient tout sacrifié, hors les rangs et les richesses, déshonorans en pareilles circonstances. En même temps, arrivèrent au palais de Toula, de nouveaux cosaques du Don, Smaga Tchertensky et ses camarades.

Premier outrage fait aux Boyards. Ce fut d’abord à eux que le nouveau Tsar tendit la main avec cordialité ; il l’offrit ensuite aux Boyards, mais d’un air sévère, voulant leur marquer son mécontentement de leur longue résistance. On rapporte que de vils cosaques, en présence même de l’Imposteur, osèrent invectiver ces Grands humiliés, et surtout le prince André Téliatevsky qui était resté fidèle à son devoir plus long-temps que les autres (247). Les Boyards présentèrent au faux Dmitri, le sceau de l’État, les clés du trésor du Kremlin, les vêtemens et les ornemens des Tsars, et une foule de courtisans pour le servir.

Déjà le règne du Moine défroqué était commencé : soit par sa propre impulsion, soit par celle de ses Conseillers, il s’occupa immédiatement des affaires de l’État ; il y montra une aisance et un aplomb tels qu’aurait pu l’avoir un homme né sur le trône, et qui aurait l’habitude du pouvoir.

Le 11 juin, n’ayant point encore reçu la nouvelle de l’assassinat de Fédor, il écrivit dans toutes les villes de Russie, et jusqu’en Sibérie que, sauvé par un pouvoir invisible de la scélératesse de Boris, et parvenu à l’âge mur, il était monté par droit de succession sur le trône de Moscou ; que le Clergé, le Conseil et toutes les classes de la nation s’étaient empressés de baiser la croix en lui prêtant serment ; Oukases du faux Dmitri. il ajoutait que les Voïévodes des villes devaient immédiatement faire prêter un pareil serment à la Tsarine mère, la religieuse Marpha-Fédorovna, et à lui le tsar Dmitri, en prenant l’engagement de les servir avec fidélité, de ne pas leur donner de poison, et de n’avoir aucun rapport, ni avec la femme de Boris, ni avec son fils Fedka[1], ni avec aucun membre de la famille des Godounoff ; de ne point exercer de vengeances et de ne tuer personne sans l’ordre du Souverain ; enfin, de vivre en paix, et de servir avec droiture, courage et fidélité (248).

Ambassadeur Anglais. L’Usurpateur s’occupait aussi de la politique extérieure. Il ordonna de rejoindre l’ambassadeur anglais Smith qui n’avait pas encore quitté la Russie ; de lui reprendre les lettres de Boris au Roi, et de lui dire que le nouveau Tsar, pour témoigner l’amitié particulière qu’il portait à l’Angleterre, accorderait à ses marchands de nouveaux priviléges pour leur commerce, et qu’immédiatement après son couronnement, il enverrait de Moscou, un de ses principaux Dignitaires à Londres ; se conformant en cela à l’usage établi en Europe et à l’impulsion des sentimens d’amitié qu’il avait pour le roi Jacques (249).

Marche vers Moscou. Enfin, lorsqu’il apprit que ses ordres étaient exécutés ; le Patriarche déposé, Fédor et Marie dans la tombe, leurs proches exilés, et que Moscou tranquille attendait avec impatience Dmitri ressuscité, Otrépieff partit de Toula, et le 16 juin, il établit son camp sur les bords de la Moskva, près du bourg de Kolomensk ; où les Dignitaires et les principaux citoyens lui présentèrent, avec le pain et le sel, des vases en or et des zibelines : les Boyards lui offrirent aussi les plus magnifiques ornemens de Tsar, et lui dirent, avec l’assurance d’un dévoûment unanime : « Viens, et possède l’apanage de tes ancêtres ; les Temples saints, Moscou et le palais d’Ivan t’attendent ; les scélérats n’existent plus, la terre les a engloutis ; le temps de la paix, de l’amour et de la joie est arrivé (250) » ! Le faux Dmitri répondit qu’il pardonnait les fautes de ses enfans ; que la Russie n’aurait pas en lui un monarque rigoureux, mais un tendre père. Les Allemands se présentèrent aussi avec une supplique, dans laquelle ils conjuraient l’Imposteur de ne point leur faire un crime d’avoir conservé jusqu’à la fin, leur fidélité à Boris ; d’avoir versé leur sang pour lui, dans deux combats, et de n’avoir point participé à la trahison des Voïévodes, sous les murs de Kromy ; car ils l’avaient fait, disaient ils, dans la pureté de leur conscience, et ils ajoutaient : « Nous avons honorablement rempli les obligations de notre serment, et comme nous avons servi Boris, nous sommes prêts à te servir, maintenant que tu es Tsar légitime. » Le faux Dmitri reçut leurs chefs avec une grande bienveillance : Confiance de l’Imposteur dans les Allemands. « Soyez pour moi ce que vous avez été pour Godounoff, leur dit-il, j’ai plus de confiance en vous que dans mes Russes. » Il voulut voir l’officier allemand qui avait porté l’étendart dans le combat de Dobrin, et lui ayant posé la main sur la poitrine, il loua son intrépidité. Les Russes ne pouvaient entendre ces éloges avec plaisir, mais ils étaient forcés de paraître satisfaits.

Entrée dans la Capitale. Le 20 juin, par un beau jour d’été, l’Imposteur fit son entrée solennelle à Moscou. La marche était ouverte par les Polonais, après eux venaient les timbaliers, les trompettes, une troupe de cavaliers armés de lances, les arquebusiers, des chars attelés de six chevaux, et les chevaux de main du Tsar, richement caparaçonnés ; ensuite marchaient les tambours et les régimens russes : enfin, le clergé portant la Croix, précédait le faux Dmitri qui, monté sur un cheval blanc, était revêtu d’un habit magnifique, et avait à son cou un collier éclatant, de la valeur de cent cinquante mille ducats ; il était environné de soixante Boyards ou Princes, suivis par les Lithuaniens, les Allemands, les Cosaques et les Streletz. Toutes les cloches de Moscou sonnaient. Les rues étaient remplies d’une foule innombrable ; les toits des maisons et des églises, les tours et les murailles étaient également couverts de spectateurs. En apercevant le faux Dmitri, le peuple se prosternait en s’écriant : « Vive notre père, le souverain et grand-duc Dmitri, fils d’Ivan ; Dieu l’a sauvé pour notre bonheur ! Poursuis ta course radieuse, ô toi soleil de la Russie ! »

Le faux Dmitri répondait par des paroles de bienveillance, en les appelant tous ses fidèles sujets ; il leur ordonnait de se lever et de prier Dieu pour lui ; mais, malgré toutes ces démonstrations, il ne croyait pas encore à la sincérité des Moscovites. Des officiers dévoués parcouraient à cheval les rues, et lui rapportaient continuellement tous les mouvemens du peuple : Le calme et la joie régnaient partout. Mais tout à coup, au moment où le nouveau Tsar, après avoir passé le pont volant et la porte de la Moskva, parvint sur la place, il s’éleva un ouragan si violent, que les cavaliers pouvaient à peine se tenir sur leurs chevaux, et les tourbillons de poussière les aveuglaient au point que le cortége fut obligé de s’arrêter. Cet événement, quoique naturel, effraya cependant les soldats et les citoyens ; ils se mirent à faire le signe de la croix, en se disant les uns aux autres : « Dieu, préserve-nous de malheur ! C’est un mauvais pronostic pour la Russie et pour Dmitri ». Dans cette même solennité, les gens pieux furent troublés par un scandale. Au moment où le nouveau Tsar, ayant rencontré sur la grande place les Évêques et tout le Clergé de Moscou, descendait de cheval, pour baiser les saintes images, les musiciens lithuaniens sonnèrent une fanfare qui couvrit les chants du Te Deum(251) On fut aussi témoin d’une autre inconvenance : le faux Dmitri étant entré, à la suite du Clergé, dans le Kremlin et dans l’église cathédrale de l’Assomption, y introduisit plusieurs personnes d’une autre croyance, Polonais et Hongrois ; ce qui, jusque là, n’avait jamais eu lieu, et parut au peuple une profanation du Temple. C’est ainsi que le moine défroqué, dès le premier jour, effraya la Capitale par son irrévérence pour tout ce qu’on regardait comme sacré…… ! Il se rendit ensuite à l’église de l’Archange-Michel, où, avec l’apparence de la plus grande ferveur, il s’inclina sur le tombeau d’Ivan, répandit des larmes et dit : « Ô mon père adoré ! tu m’avais laissé orphelin dans l’exil ; mais par tes saintes prières, je suis sauvé, et je règne » ! Cette scène adroite ne fut point inutile. Le peuple pleura en disant : « C’est le véritable Dmitri ». Enfin l’Imposteur monta sur le trône de Moscou, dans l’antique demeure des Tsars.

Dans ce moment plusieurs Boyards sortirent du palais, pour parler au peuple rassemblé sur la grande place. Bogdan-Belsky était à leur tête ; monté sur une éminence, il ôta de son cou l’image de Saint-Nicolas, la baisa et jura aux citoyens de Moscou, que le nouveau Souverain était effectivement le fils d’Ivan, conservé par Saint-Nicolas. Il conjura les Russes d’aimer celui qui était chéri de Dieu, et de le servir avec fidélité. Le peuple répondit unanimement : « Vive notre souverain Dmitri ! Périssent ses ennemis ! » La satisfaction paraissait sincère et générale. Festin. L’Imposteur donna, dans son palais, un festin aux Grands et au Clergé, et l’on fêta cette journée sur les places publiques et dans les maisons ; on but et on se réjouit jusqu’à la nuit close. « Mais les larmes n’étaient pas loin de la joie, dit l’Annaliste, et au vin qui coulait à Moscou, devaient bientôt succéder des flots de sang ».

Grâces. On distribua des grâces : le faux Dmitri rendit la liberté, les rangs et les fortunes, non seulement aux Nagoï, ses prétendus parens, mais encore à tous ceux qui avaient été disgraciés sous le règne de Boris. Le martyr Michel Nagoï (252) fut nommé grand-écuyer, son frère et ses trois neveux, Ivan-Romanoff, deux Schérémétieff, deux princes Galitzin, Dolgorouki, Tateff, Kourakin et Kachin furent nommés Boyards ; plusieurs furent promus au rang de grands officiers. Parmi ces derniers fut compris Vassili-Stchelkaloff, éloigné des affaires par Boris. Le prince Vassili-Galitzin fut nommé grand-maître d’Hôtel ; Belsky, grand-armurier ; le prince Michel Skopin-Schouisky, grand-porte-glaive ; le prince Likoff-Obolensky, grand-échanson ; Pouchkin, grand-fauconier ; le diak Soutoupoff, grand-secrétaire et garde des sceaux ; et Vlassieff, également grand-secrétaire et trésorier. C’est ainsi que le faux Dmitri, outre des dignités nouvelles, introduisit en Russie des dénominations étrangères, empruntées aux Polonais. Philarète et le jeune Michel. Il rappela également de son exil dans le couvent de Saint-Antoine, le moine involontaire Philarète, et lui conféra la dignité de Métropolitain de Rostoff (253). Cet homme vertueux, qui avait été un des principaux seigneurs de Russie et parent du Tsar, eut enfin la douce consolation de revoir ceux après lesquels son cœur avait langui, dans la retraite du couvent : son ancienne épouse et son fils. La religieuse Marpha et le jeune Michel, dont l’éducation lui avait été confiée, habitèrent depuis, près de Kastrama, dans le couvent de Saint-Ipate de l’Éparchie de Philarète, lieu où tout rappelait l’éclat passager et la chute frappante de leurs ennemis personnels ; car ce Couvent avait été fondé dans le quatorzième siècle, par le Mourza-Tcheta, ancêtre des Godounoff, et richement orné par eux. Le tsar Simeon et les Godounoff. Le bizarre épouvantail de l’imagination de Boris, le prétendu tsar et grand-duc du temps d’Ivan, Siméon Bekboulatovitche, privé, assure-t-on, de la vue, et exilé par Godounoff, fut également honoré de la faveur du faux Dmitri, en mémoire d’Ivan. On le rappela à la Cour, on lui rendit les plus grands honneurs et on lui permit, de nouveau, de prendre le titre de Tsar. On pardonna aux parens de Boris, et on leur donna des charges de Voïévodes, en Sibérie et dans d’autres contrées éloignées. On n’oublia pas même les morts ; Les cercueils des Nagoï et des Romanoff transportés à Moscou. les corps des Nagoï et des Romanoff, qui avaient fini leurs jours dans l’infortune, furent exhumés de leurs tombes solitaires, apportés à Moscou et rendus, avec honneur, à la terre, dans l’endroit où reposaient leur ancêtres et leurs proches.

Bienfaits. Ayant satisfait toute la Russie, par les grâces répandues sur les victimes innocentes du règne tyrannique de Boris, le nouveau Tsar chercha encore à lui plaire par des bienfaits généraux : il doubla les appointemens des Dignitaires et de l’armée (254) ; il Ordonna de payer toutes les dettes de la Couronne, contractées sous le règne d’Ivan ; il supprima plusieurs impôts prélevés sur le commerce et sur les procès ; défendit sévèrement toute vénalité, et punit plusieurs juges prévaricateurs : il fit publier que chaque mercredi et samedi il recevrait lui-même les suppliques et les réclamations du peuple, sur le péristile du palais. Il promulgua également la loi mémorable sur les paysans et les esclaves. Il ordonna qu’on rendit à leurs seigneurs et à leurs propriétaires, tous les fuyards, à l’exception de ceux qui les avaient quittés par le manque de moyens d’existence, pendant la famine qui avait eu lieu sous le règne de Boris. Il déclara libres les serviteurs privés de la liberté par la violence, et sur lesquels les droits de propriété n’auraient pas été inscrits (255) dans les livres de la Couronne. Le faux Dmitri, pour témoigner sa confiance à ses sujets, congédia ses gardes du corps étrangers (256) et tous les Polonais ; après avoir donné à chacun d’eux, pour récompense de leurs services, quarante florins en argent et en fourrures : mais leur avarice n’était pas satisfaite, ils voulaient davantage, ne sortaient point de Moscou, se plaignaient et passaient leur temps dans les festins !

Séduit par les usages du pays où avait commencé l’éclat de son existence, et où tout lui semblait supérieur et préférable aux usages de la Russie, le faux Dmitri ne se contenta pas de l’introduction de nouvelles dignités dans ses États, et de nouveaux termes pour les désigner ; Réorganisation du Conseil. il se hâta, par suite de cet esprit d’imitation, de changer la composition de notre antique conseil souverain. Il ordonna que non seulement le Patriarche, ce qui s’était déjà fait dans des cas extraordinaires, mais que quatre Métropolitains, sept Archevêques et trois Évêques y siégeraient ; espérant peut-être par cette distinction, flatter l’amour-propre du Clergé ; mais désirant surtout, suivre en cela le réglement du royaume de Pologne. Il nomma sénateurs tous les membres du conseil, en porta le nombre à soixante-dix, et y présida lui-même chaque jour. L’on assure qu’il écoutait et décidait les affaires avec la plus grande facilité. On dit encore que, possédant le don de la parole, il le faisait briller au conseil, où il parlait beaucoup et bien. Il aimait les comparaisons, faisait souvent des citations historiques, et racontait ce qu’il avait vu lui-même dans les autres pays, c’est-à-dire, en Lithuanie et en Pologne. Admiration de l’Imposteur pour Henri IV. Il témoignait une estime particulière pour le roi de France, Henri IV. Comme Boris, il se piquait de clémence, de douceur, de générosité, et répétait aux plus intimes de ses courtisans : Clémence. « J’ai deux moyens de me maintenir sur le trône : la tyrannie et la clémence ; je veux essayer de celle-ci, et tenir religieusement le serment que j’ai fait à Dieu, de ne point répandre de sang ». (257) Tel était le langage du meurtrier de l’innocent Fédor et de la bienfaisante Marie ! On célébra ses louanges : Panégyrique de l’Imposteur. Un archi-prêtre de l’église de l’Annonciation de Moscou ; nommé Térentius, composa un Panégyrique en son honneur, où il le représenta comme un souverain vertueux, dont les paroles ne respiraient que la clémence ; et le patriarche de Jérusalem l’informa, par une lettre des plus humbles, que toute la Palestine se réjouissait du salut du fils d’Ivan, prévoyant qu’il serait son futur libérateur ; et que trois lampes étaient allumées jour et nuit, sur le tombeau du Sauveur, au nom du tsar Dmitri.

Ceux qui approchaient l’Imposteur, lui conseillaient, pour affermir sa puissance, de se faire couronner le plutôt possible ; car l’opinion générale était que même le malheureux Fédor ne serait pas devenu aussi facilement victime de la trahison, s’il avait eu le temps d’être sanctifié aux yeux de la nation, par le titre sacré d’Oint du Seigneur. Cet acte solennel devait être fait par le Patriarche ; n’ayant point de confiance dans le Clergé russe, le faux Dmitri, à la place de Job, Élection d’un nouveau Patriarche. choisit un étranger, le grec Ignace, archevêque de Chypre, qui, après avoir été chassé de sa patrie par les Turcs, avait passé quelque temps à Rome, d’où il était venu en Russie, sous le règne de Fédor, fils d’Ivan ; il avait su plaire à Boris, et depuis 1603, il gouvernait l’Éparchie de Rézan. Il s’était concilié la faveur du faux Dmitri, en allant à sa rencontre à Toula ; et n’ayant ni foi pure, ni moralité, ni amour pour la Russie (258), il lui semblait l’instrument le plus sûr, pour tous les scandales qu’il méditait. On se hâta de consacrer Ignace comme patriarche, et de faire les dispositions nécessaires pour le couronnement, tandis que l’Imposteur préparait une autre scène solennelle, qu’il jugeait indispensable pour convaincre Moscou et la Russie, que la couronne de Monomaque allait être posée sur la tête du fils d’Ivan.

L’armée, le conseil, les autorités de l’Empire, avaient tous reconnu Otrépieff pour le véritable Dmitri ; tous, à l’exception de sa mère, dont le témoignage était si important et si naturel, que la Nation devait l’attendre avec impatience. L’Imposteur régnait déjà depuis un mois à Moscou, et le peuple n’avait pas encore aperçu la Tsarine religieuse, quoiqu’elle n’habitât qu’à cinq cents verstes de la Capitale. Le faux Dmitri ne pouvant compter sur sa participation à une imposture, à la fois si contraire au caractère sacré de religieuse, et au cœur d’une mère, avait dû l’y préparer par des négociations qui demandaient du temps ; d’un côté il lui présentait la plus brillante existence ; de l’autre, les tourmens et la mort. Dans le cas d’un obstination redoutable pour l’Imposteur, on pouvait étouffer l’infortunée, dire ensuite qu’elle était morte de maladie ou de joie, et par l’enterrement pompeux de la prétendue mère du Souverain, satisfaire un peuple crédule. La veuve d’Ivan, d’un âge encore peu avancé, se rappelait les plaisirs du monde, de la cour et de la grandeur ; pendant treize ans elle avait gémi dans l’humiliation, souffert pour elle-même, et pour ses proches (259) ; Témoignage tacite de la Tsarine religieuse. elle n’hésita pas dans son choix. Alors le faux Dmitri envoya ostensiblement, auprès d’elle, dans le couvent de Vyksa, le grand Porte-glaive, prince Michel Skopin-Schouisky (260), et d’autres Boyards, avec l’humble prière d’un tendre fils qui la suppliait de lui donner sa bénédiction, pour monter sur le trône. Il alla lui-même à sa rencontre, le 18 juillet (261), jusqu’au bourg de Toïninsk. La cour et le peuple furent témoins de ce spectacle curieux, où la contrainte et l’hypocrisie prirent le masque de la sincérité et de la nature.

Près de la route on avait dressé une tente magnifique dans laquelle on fit entrer la Tsarine, et où le faux Dmitri la reçut en particulier (262) ; on ignora le sujet de leur entretien, mais on en vit les conséquences : le fils et la mère prétendus, sortirent de la tente avec des démonstrations mutuelles de joie et d’affection ; ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, et excitèrent, dans l’âme des spectateurs, un vif sentiment d’attendrissement. Le bon peuple pleurait en voyant les larmes de la Tsarine, qui d’ailleurs pouvait en répandre de sincères, par le souvenir du véritable Dmitri, et par le sentiment du crime qu’elle commettait, envers lui, sa conscience et la Russie !

Le faux Dmitri fit monter Marpha dans un char magnifique ; et lui-même marcha devant elle, tête nue et entouré de tous ses Boyards, la distance de quelques verstes. Enfin il monta à cheval, prit les devants et reçut la Tsarine dans le Palais d’Ivan, qu’elle habita jusqu’à ce qu’on lui eut préparé des appartemens magnifiques dans le Couvent des religieuses de Vosnessensk, où on lui forma une Cour particulière.

Là, Otrépieff, en fils tendre et respectueux, allait chaque jour la voir : il était satisfait de son adroite dissimulation ; mais il éloignait d’elle tous les gens suspects, afin que son indiscrétion, ou ses remords, ne trahissent pas un secret aussi important (263).

Couronnement. Enfin, le couronnement se fit, le 21 juillet, avec les rites d’usage (264) ; mais ce ne fut point sans surprise que les Russes, après cette cérémonie sacrée, entendirent le jésuite Nicolas Tchernikofsky, complimenter le monarque nouvellement couronné, dans un discours latin, inintelligible pour eux (265). Les principaux membres du Clergé, les Grands et les Dignitaires, dînèrent, ce jour là, chez le Tsar, et s’efforcèrent de lui témoigner leur dévoûment et leur joie ; mais la plupart n’étaient plus sincères, l’erreur générale commençait déjà à se dissiper.

Inconséquence du faux Dmitri. Le faux Dmitri n’avait point d’ennemi plus dangereux que lui-même. Inconséquent et emporté par caractère, grossier par manque d’une bonne éducation, présomptueux et imprudent par suite de son bonheur ; il étonnait les Boyards par la finesse et la vivacité de son esprit dans les affaires d’état ; et souvent aussi cet aventurier, sur le trône, oubliait son rang, les offensait par ses railleries ; leur reprochait leur ignorance, et les blessait par l’éloge continuel des étrangers, ne cessant de répéter que les Russes ne pouvaient être que leurs écoliers, et qu’ils devaient voyager pour voir, observer, se former et mériter le nom d’hommes (266). Il vantait à tout propos les institutions de la Pologne. Cependant il congédia ses gardes du corps étrangers, mais il montrait une prédilection particulière pour les Polonais ; eux seuls avaient un libre accès auprès de lui ; il les traitait toujours amicalement, et les consultait comme ses proches : il prit même, pour ses secrétaires particuliers, deux Polonais nommés Boutchinsky (267).

Quoique les Grands de Russie, en trahissant la loi et l’honneur, eussent perdu tout droit à la considération, ils en exigeaient de celui auquel ils avaient sacrifié leur conscience : l’amour propre ne se tait point dans l’opprobre. Un seul Russe jouit constamment de la confiance et de l’amitié de l’Imposteur ; ce fut Basmanoff, le plus coupable de tous. Mais ce malheureux même s’était trompé : il vit qu’il n’était que le favori et non le guide du faux Dmitri, qui n’avait point recherché le trône pour y être le disciple de Basmanoff. Quelque-fois il le consultait et suivait ses avis ; mais le plus souvent il les négligeait, n’écoutant en tout que son propre jugement ou sa folie. Tout en outrageant les Boyards par sa grossièreté, il leur permettait, dans leurs entretiens avec lui, une liberté inconvenante et contraire à la haute idée que les Russes se faisaient du rang suprême. Aussi les Boyards, en butte à ses mépris, étaient eux-mêmes loin de le respecter à l’égal des souverains ses prédécesseurs.

L’Imposteur refroidit également, par ses nombreuses inconséquences, l’amour que le peuple lui portait. Ayant acquis quelques connaissances par l’étude, et dans ses rapports avec des Polonais de distinction, il se croyait un sage, se moquait de la prétendue superstition des Russes pieux, et, à leur grand scandale, il ne voulait point faire le signe de la croix devant les images ; il défendit aussi de bénir et d’asperger d’eau sainte la table du Tsar, et s’y plaçait au son de la musique, aulieu des prières usitées (268). Les Russes n’étaient pas moins scandalisés de la bienveillance qu’il témoignait aux Jésuites, auxquels il donna la plus belle maison dans l’enceinte sacrée du Kremlin, en leur permettant de célébrer la messe latine. Passionné pour les usages étrangers, il ne songeait point, dans sa légèreté, à suivre ceux des Russes. Il désirait ressembler en tout à un Polonais, par son habillement, sa coiffure, sa démarche et ses gestes (269). Il mangeait du veau, dont la chair, en Russie, était considérée comme un mêts impur ; il ne pouvait souffrir les bains, et ne dormait jamais après dîner, ce que faisaient, depuis les temps les plus reculés, tous les Russes, depuis le Souverain jusqu’au bourgeois ; mais il aimait à employer ce temps à la promenade. Il sortait à la dérobée du palais, seul, ou avec un compagnon, et courait de place en place ; visitant les joailliers, les peintres et d’autres artistes. Les Fonctionnaires de la Couronne, ne sachant où était le Tsar, le cherchaient avec inquiétude et le demandaient dans toutes les rues, ce qui étonnait les Moscovites qui, jusqu’alors, n’avaient vu leurs Souverains qu’environnés de tout l’éclat du trône, et suivis par la foule des principaux Dignitaires.

Tous les plaisirs, toutes les inclinations du faux Dmitri semblaient étranges : il aimait à monter des étalons sauvages et indomptés, et à tuer, de sa propre main, des ours, en présence de la Cour et du peuple (270). Il éprouvait lui-même les canons neufs, et s’en servait pour tirer au but, avec une adresse particulière. Il exerçait les troupes, les disciplinait, prenait d’assaut des forteresses faites en terre, se précipitait dans les mêlées ; et dans ces sortes de luttes, il souffrait qu’on le heurtât avec violence, jusqu’à le faire quelquefois tomber (271). C’est ainsi qu’il se glorifiait des talens du cavalier, du chasseur, de l’artilleur, de l’athlète, oubliant la dignité du Monarque. Il en perdait également la souvenir dans ses accès de violence : pour la moindre faute ou maladresse, il se mettait hors de lui, et frappait, d’un bâton, les officiers les plus distingués. La bassesse dans un souverain, répugne au peuple, encore plus que la cruauté. On reprochait aussi au nouveau Tsar, une prodigalité démesurée ; il semait l’argent et récompensait sans discernement. Il donnait aux musiciens étrangers des appointemens que n’avaient point les premiers Dignitaires de l’État. Passionné pour le luxe et la magnificence, il achetait continuellement, commandait toute sorte de choses précieuses ; et dans l’espace de trois mois, il dépensa plus de sept millions de roubles (272). Le peuple n’aime point la prodigalité dans les souverains, car il redoute les impôts.

Dans la description que les étrangers font de la magnificence qui existait alors à la Cour de Moscou, ils parlent avec surprise du trône du faux Dmitri, qui était d’or massif, orné de glands en diamans et en perles ; il était soutenu par deux lions en argent, et couvert de quatre riches boucliers, posés en croix, au-dessus desquels brillaient une boule en or et un bel aigle de même métal (273). Quoique l’Imposteur sortît toujours à cheval, même pour aller à l’église, il avait une quantité de chars et de traîneaux ornés d’argent et garnis de velours et de zibelines ; les selles, les brides et les étriers de ses fiers coursiers d’Asie, resplendissaient d’or, d’émeraudes et de rubis. Les cochers et les palfreniers du Tsar, étaient mis comme les plus grands seigneurs de la Cour. Il n’aimait pas à voir les

murs nus dans les appartemens du Kremlin : il les trouvait tristes. Après avoir fait détruire le palais de Boris, qu’il regardait comme un monument détesté (274), il fit construire pour lui, plus près de la Moskva, un nouveau palais également en bois (275) ; il en orna les murs d’étoffes précieuses de Perse ; les poëles de faïence étaient décorés de grillage en argent, et les serrures des portes étaient dorées. À la grande surprise des Moscovites, il fit placer devant cette habitation favorite, l’image sculptée du gardien des enfers ; un énorme cerbère en bronze, dont les trois gueules s’ouvraient et bruissaient au plus léger attouchement (276). « Par cet emblème, disent les Annalistes, le faux Dmitri présageait la demeure qu’il aurait dans l’éternité : l’enfer et les ténèbres ».

Agissant ainsi contre nos usages et contre la prudence, le faux Dmitri méprisait également les principes plus sacrés de la morale. Il ne voulait point réprimer ses désirs, et brûlant de volupté, il violait publiquement les lois de la chasteté et de la décence, comme pour ressembler par là, à son père prétendu. Il Actions odieuses. déshonorait les femmes et les filles, profanait la Cour, et les saintes retraites, par l’impudence de ses débauches, et il ne rougit point de commettre une action plus odieuse que tous ces crimes : après avoir massacré la mère et le frère de Xénie, il en fit sa concubine (277). La beauté de cette princesse infortunée, devait être flétrie par la douleur ; mais le désespoir de la victime, l’horreur même du forfait lui prêtait un charme de plus, aux yeux du scélérat. Par cette seule atrocité, il méritait le châtiment qui l’attendait, et qui le frappa presque au moment de son triomphe… Quelques mois après son déshonneur, Xénie prend le voile. la malheureuse Xénie fut forcée de prendre le voile, sous le nom d’Olga, et on l’enferma dans un Couvent, sur le Biélo-Ozéro, près du monastère de Kiriloff.

Tel était le dévoûment des Russes à l’ancienne dynastie de ses Souverains, que l’Imposteur aurait pu long-temps encore, à l’aide du masque de Dmitri, se livrer à son extravagance et à ses excès criminels, sous la couronne de Monomaque, si ce masque magique n’était tombé aux yeux de la Nation ! L’erreur avait élevé l’aventurier ; la vérité devait renverser l’Imposteur. L’exilé Job n’était pas le seul à Moscou qui eût connu le fugitif du couvent de Tchoudoff. Otrépieff espérait-il s’être assez déguisé, en tâchant de paraître à demi Polonais, et en troquant le froc du moine, contre la pourpre des Tsars ? Ou, aveuglé par la fortune, tenant dans ses mains un pouvoir formidable, et regardant les Russes comme un troupeau de brebis, sans voix et sans défense, ne voyait-il plus de dangers pour lui-même ? Ou bien encore croyait-il par l’audace, diminuer ce danger, ébranler la conviction et faire taire la vérité ? Il ne cherchait point à se cacher, et bravait hardiment les regards de tous les curieux qu’il rencontrait dans les rues ; seulement il évitait d’aller dans le couvent de Tchoudoff, où il était trop connu, et qui lui rappelait des souvenirs fâcheux. Il n’est donc point étonnant qu’au commencement même du nouveau règne, lorsque Moscou retentissait encore des éloges de Dmitri, Murmures contre l’Imposteur. il s’élevât déjà quelques murmures confus sur sa ressemblance avec le diacre Grégoire ; l’extravagance et l’inconduite du Tsar faisaient taire les éloges, et les murmures en devenaient plus distincts ; bientôt ils mirent la Capitale en fermentation.

Accusations. Le premier accusateur de la première victime fut un Moine qui dit publiquement que le prétendu Dmitri lui était connu dès son enfance, sous le nom d’Otrépieff, qu’il lui avait appris à lire, et qu’ils avaient demeuré dans le même Couvent (278). Ce Moine fut secrètement mis à mort en prison. Il se présenta un autre témoin de la vérité, bien plus redoutable ; celui auquel la Providence remettait une vengeance juste, mais dont l’heure n’était pas encore venue : le prince Vassili-Schouisky. Schouisky. Ayant, avec les autres Boyards, dans la confusion de l’effroi, reconnu le vagabond pour Tsar, il pouvait, moins qu’un autre, rejeter cette lâcheté sur l’erreur, puisqu’il avait vu, de ses propres yeux, le fils d’Ivan dans le cercueil. Soit qu’il fut déchiré par le remords et la honte ; soit qu’il eût déjà des vues secrètes d’ambition, Schouisky ne garda pas long-temps le silence. Il dit à ses parens, à ses intimes, à ses amis, que la Russie était aux pieds d’un imposteur ; d’un autre côté, ses affidés, le marchand Fédor-Koneff et d’autres, cherchaient à insinuer au peuple, que Godounoff et Job avaient déclaré la vérité, en disant que Dmitri était un fourbe, un hérétique, l’instrument des Polonais et des papistes (279).

Mais le faux Dmitri avait encore beaucoup de serviteurs dévoués. Basmanoff découvrit et dénonça ce complot, dangereux par le rang de son auteur. On arrêta Schouisky avec ses frères, et on les fit juger, comme on n’avait encore jugé personne en Russie, par une assemblée d’hommes choisis dans tous les rangs et dans toutes les classes. L’Annaliste assure que le prince Vassili-Schouisky, dans cette seule circonstance de sa vie, se conduisit en héros : il ne se rétracta point et continua à soutenir généreusement la vérité. Les juges, saisis d’une horreur véritable ou simulée, voulurent par leurs cris, étouffer la voix, qui prononçait de semblables blasphèmes contre leur Monarque. On mit Schouisky à la torture ; mais il garda le silence et refusa de nommer aucun de ses complices. Il fut seul condamné à mort ; ses frères furent privés de la liberté. Le peuple se pressait en silence, sur la place des exécutions (280), où, comme sous le règne d’Ivan, se tenait le Boyard condamné, au milieu des instrumens du supplice, et d’un détachement de soldats, de streletz et de cosaques. Les murs et les tours du Kremlin, étaient également garnis de troupes armées, pour en imposer aux Moscovites ; et Pierre Basmanoff, un papier à la main, dit au peuple, au nom du Tsar : « Le Grand-Boyard Vassili-Schouisky m’a trahi, moi Dmitri, fils d’Ivan, souverain de toute la Russie ; il a employé la calomnie et la médisance pour m’aliéner le cœur de mes fidèles sujets ; il m’a nommé un Tsar imposteur ; il a voulu me renverser du Trône : voilà pourquoi il est condamné au supplice. Qu’il meure comme traître et calomniateur ». Le peuple qui avait toujours aimé les Schouisky, gardait un morne silence, et il versa des larmes, lorsque l’infortuné prince Vassili, déjà dépouillé de ses vêtemens par le bourreau, dit à haute voix aux spectateurs : « frères, je meurs pour la vérité, la religion chrétienne et pour vous (281) ». La tête du condamné était déjà sur le billot.… Tout à coup on entend le cri : arrête ! et l’on voit un Dignitaire du Tsar, arriver à toute bride du Kremlin, tenant un papier à la main ; il annonçait la grâce de Schouisky ! La place retentit des acclamations d’une joie tumultueuse. On célébrait le Tsar comme le premier jour de son entrée à Moscou ; et les fidèles partisans de l’Imposteur se réjouissaient également, dans l’idée que cette clémence lui donnait de nouveaux droits à l’amour général. Toutefois, les plus prévoyans d’entr’eux n’en étaient pas contens, et ils ne se trompèrent pas. Schouisky pouvait-il oublier les tortures et l’échafaud ? L’on apprit que ce n’était point le faux Dmitri qui avait eu la pensée de toucher les cœurs, par cet acte inattendu de clémence ; mais que la Tsarine religieuse avait, par ses larmes, obtenu de son prétendu fils, la grâce de l’ennemi qui en voulait à ses jours… ! Cette infortunée complice du mensonge, était sans doute tourmentée par les remords de sa conscience, et, en sauvant ce martyr de la vérité, elle espérait atténuer ses torts aux yeux des hommes et de Dieu. Quelques Polonais s’étaient joints à elle, pour intercéder en faveur du condamné ; voyant la vive part que prenaient à son sort les habitans de Moscou, et cherchant à mériter par là leur reconnaissance. Les trois Schouisky, Vassili, Dmitri et Ivan, furent exilés dans des bourgs de Galitche ; leurs biens furent confisqués et leurs maisons dévastées.

À cette même époque, s’ébruitèrent à Moscou les témoignages de plusieurs habitans de Galitche, concitoyens et proches parens de Grégoire Otrépieff ; son oncle, son frère, et même sa mère, une honnête veuve nommée Barbe (282) : ils le virent, le reconnurent et ne voulurent pas se taire. On les enferma, et son oncle Smirnoï Otrépieff, qui, en 1604, avait été auprès de Sigismond, pour dénoncer son neveu, fut envoyé en Sibérie. On arrêta encore le gentilhomme Pierre Tourguénieff et le bourgeois Fédor, qui ameutaient publiquement le peuple contre le faux Tsar. L’Imposteur les fit exécuter tous deux, et vit avec plaisir que le peuple, reconnaissant pour la grâce de Schouisky, ne témoigna aucune compassion, au généreux dévoûment de ces deux martyrs, qui marchaient à l’échafaud sans crainte et sans regrets ; appelant à haute voix, l’Imposteur Ante-Christ et favori du démon (283), plaignant la Russie et prédisant ses malheurs. La populace les insultait en leur criant : « Vous méritez la mort ». Dès ce moment, les dénonciations, vraies ou fausses, se succédèrent sans interruption, comme sous le règne de Boris ; car l’Imposteur, qui jusqu’alors avait voulu faire parade de clémence, suivait déjà des principes tout opposés. Il prétendait, par des exemples effrayans, réprimer la hardiesse des discours, et, dans ce but, il favorisait toute espèce de délations. On torturait, on exécutait, on étouffait les prisonniers, on confisquait les biens et on envoyait dans l’exil, pour un seul mot contre l’Imposteur. Soit par suite de semblables dénonciations, ou parce que le faux Dmitri craignait l’indiscrétion de ses anciens amis, il ordonna qu’on fit passer dans d’autres couvens, plusieurs des Moines de celui de Tchoudof. Cependant, ce qui est digne de remarque, il laissa en paix Pafnouty, métropolitain de Kroutitsy (284), qui, ayant été de son temps, Archimandrite du couvent de Tchoudof, avait, au premier regard, reconnu en lui le diacre Grégoire ; mais il avait probablement échappé à la persécution, par de feints ou de lâches témoignages de dévoûment à l’Imposteur. La crainte imposait silence à bien d’autres individus, en sorte que la Capitale paraissait tranquille. Néanmoins l’Imposteur était devenu plus circonspect, et se méfiant des Moscovites, il s’entoura de nouveau d’étrangers (285). Allemands garde du corps. Il choisit trois cents Allemands pour ses gardes du corps ; il les divisa en trois compagnies, sous le commandement de trois capitaines : le Français Margeret, le Livonien Knoutzen et l’Écossais Vandeman ; il les vêtit magnifiquement en damas et en velours, les arma de hallebardes, d’espontons, de haches, et de guidons avec des aigles d’or et des glands d’or et d’argent. Il donna à chaque soldat, outre un domaine, quarante à soixante-dix roubles d’appointemens, et, dès cet instant, il ne sortit jamais seul, se faisant toujours accompagner par ces nouveaux gardes, suivis, mais de loin, par les Boyards et les gens de la Cour : mesure digne d’un vagabond porté au Trône par un jeu du Destin : Trois cents haches et hallebardes étrangères devaient le garantir de la trahison de toute une nation et d’un demi million de soldats justement offensés de cette méfiance humiliante !

Magnificence et plaisirs. Cependant le faux Dmitri voulait des divertissemens : la musique, la danse et les jeux amusaient journellement la Cour. Se conformant au goût somptueux du Tsar, pour le luxe, les hommes de tous les rangs, cherchaient à briller par la richesse de leurs costumes. Chaque jour semblait un jour de fête : « Mais combien de citoyens, dit l’Annaliste, qui dans les rues paraissaient gais et heureux, versaient des larmes amères dans l’intérieur de leurs maisons » ! Un maintien et un habillement modeste, pour ceux qui n’étaient pas dans la misère étaient regardés comme un manque de dévoûment envers un Tsar qui aimait la prodigalité et la gaîté ; et qui, par cette apparence de bien-être public, voulait persuader à la Russie, qu’elle était dans son siècle d’or.

Croyant avoir établi la tranquillité à Moscou (286), Ambassade en Lithuanie pour y chercher la fiancée. le faux Dmitri se hâta de remplir la promesse qu’il avait faite par reconnaissance, par amour ou par politique ; il offrit sa main et sa couronne à Marine, dont l’affection et la confiance pour l’Aventurier, lui méritaient l’honneur d’occuper le trône avec lui. Les rapports, entre le Voïévode de Sendomir et son gendre désigné, n’avaient jamais été interrompus. L’Imposteur informait Mnichek de tous ses succès ; il l’appelait toujours son père et son ami : il lui écrivit de Poutivle, de Toula, de Moscou ; et le Voïévode ne se borna pas à répondre à l’Imposteur, il écrivit aussi aux Boyards de Moscou, sollicitant leur reconnaissance en ces termes : « J’ai contribué au bonheur de Dmitri ; je suis prêt à faire de nouveaux efforts pour que ce grand événement soit aussi un bonheur pour la Russie ; mes motifs pour agir ainsi sont, non seulement l’amour que j’ai toujours porté à votre Nation, mais encore le désir que j’ai de mériter et d’obtenir votre reconnaissance. Eh ! comment pourriez-vous me la refuser, lorsque vous verrez mes ardentes sollicitations auprès du Trône, en votre faveur, et que vous leur devrez de nouveaux avantages, de nouveaux droits importans, inconnus jusqu’à présent dans l’empire de Moscou (287) » ?

Enfin, au mois de septembre, le faux Dmitri envoya le premier diak et trésorier Athanase Vlassieff, à Cracovie, pour faire solennellement la demande en mariage, et remettre une lettre de sa part, à Sigismond, ainsi qu’une autre de la tsarine Marpha, au père de la fiancée.

Les Rousses pouvaient-ils approuver ce mariage avec une étrangère d’une religion différente, d’une famille illustre, à la vérité, mais non de sang royal ? Pouvaient-ils voir avec plaisir, dans un orgueilleux Polonais, le beau-père du Tsar ; attendre à Moscou une foule de ses proches non moins présomptueux que lui, et respecter servilement en eux, leur alliance avec un Monarque qui, en choisissant une épouse étrangère, montrait du mépris pour toutes les nobles russes ? Le faux Dmitri, contre les usages reçus, n’informa même pas les Boyards de cette importante affaire (288). Il ne parlait qu’aux Polonais, ne prenait conseil que d’eux seuls ; Mécontentemens. et cependant lorsqu’il offensait si inconsidérément les Russes, il ne satisfaisait pas complètement, les désirs de ses amis étrangers.

Personne ne servait avec plus de zèle les intérêts de l’Imposteur, que le nonce du Pape, Rangoni. En lui adressant ses félicitations sur son avénement au Trône (289), dans une lettre emphatique et pompeuse, il louait Dieu et s’écriait : « Nous avons vaincu ! Il flattait le faux Dmitri par des éloges outrés ; espérant, disait-il, que la réunion des Églises serait la première de ses actions immortelles : « Ton portrait, continuait-il, est déjà dans les mains du Saint-Père ; ce chef des Fidèles est rempli pour toi d’amour et d’amitié ; ne tarde pas à lui témoigner ta reconnaissance, et reçois de ma part les présens spirituels de l’Église, l’image du puissant Sauveur, par le secours duquel tu as vaincu et tu règnes ; un rosaire pour prier, une bible en latin, pour t’instruire, afin que tu jouisses en la lisant et que tu deviennes un second David ».

Bientôt arriva à Moscou un dignitaire de Rome (290), le comte Alexandre Rangoni, neveu du Nonce, apportant la bénédiction apostolique, et une lettre de félicitations, du successeur de Clément, qui désirait avec impatience, se voir à la tête de notre Église. Mais l’Imposteur, dans une réponse polie, se louant de la protection miraculeuse du Ciel, qui avait fait périr le scélérat, assassin de son père, ne dit pas un mot en faveur de la réunion des Églises. Il parla seulement de l’intention généreuse où il était de ne point vivre dans l’oisiveté ; il voulait, disait-il, se joindre à l’Empereur, pour marcher contre le Sultan, et détruire la puissance des Infidèles. Il conjurait le pape Paul V, de ne point permettre à Rodolphe de faire la paix avec les Turcs ; et lui-même voulait, à cet effet, envoyer un Ambassadeur particulier en Autriche. Le faux Dmitri écrivit encore une seconde lettre au Pape, lui promettant une entière sûreté pour les Missionnaires, qui devaient traverser la Russie pour se rendre en Perse ; et l’assurant qu’il serait fidèle à la parole qu’il avait donnée. Il envoya lui-même le jésuite André Lavitsky à Rome ; mais il semble que ce fut plutôt pour une affaire d’État, que dans l’intérêt de celles de l’Église. Ce Jésuite était chargé de conférer avec le Pape, sur la guerre de Turquie, à laquelle Otrépieff songeait réellement. Séduit par l’idée de la gloire et des avantages qu’elle lui procurerait ; devenu présomptueux par l’excès de son bonheur ; naturellement brave et aimant les dangers, l’Imposteur, dans les rêves de son ambition, ne se contentait plus de l’Empire de Moscou : il voulait des conquêtes et des Empires nouveaux (291). Ce désir augmenta encore, par le rapport des Voïévodes de Tersk, qui l’informaient que leurs streletz et leurs cosaques avaient remporté l’avantage dans une affaire avec les Turcs, et que quelques tributaires du Sultan, dans le Daguestan, avaient prêté serment à la Russie (292).

Rome, qui depuis long-temps prêchait une croisade générale des puissances chrétiennes, contre les Ottomans, devait encourager le faux Dmitri. Le Pape applaudissait à ses dispositions guerrières ; il lui conseillait seulement de commencer par attaquer le pays le plus voisin, la Tauride, et par la destruction de ce repaire de Brigands si funeste à la Russie et à la Pologne, couper les ailes et le bras droit au Sultan, dans sa guerre contre l’Empereur d’Autriche. Cependant le Pape devait avoir peu de confiance dans le dévoûment de l’Imposteur à l’Église latine, voyant combien il évitait, dans ses lettres, toute expression positive sur la religion. Il paraît que son zèle, à rendre les Russes papistes, s’était bien ralenti ; car malgré l’inconséquence qui lui était naturelle, il comprenait le danger d’un projet aussi absurde, et il est douteux qu’il eût voulu le mettre à exécution, si même il avait régné plus long-temps.

Bientôt le principal bienfaiteur du faux Dmitri, le rusé Sigismond, s’aperçut également que la fortune et l’éclat du trône avaient changé celui qui naguère baisait sa main avec transport, et gardait, devant lui, le silence respectueux d’un humble esclave. Ce prince, premier auteur des succès de l’Aventurier, qu’il avait honoré comme le fils des Tsars, à qui il avait donné de l’argent, des troupes, et procuré par là la confiance des habitans de Séversk, devait naturellement s’attendre à sa reconnaissance ; et lorsqu’il fit complimenter le nouveau Tsar (293), par son secrétaire Gossevsky, il eut l’indiscrétion d’exiger que le faux Dmitri lui livrât les Ambassadeurs suédois, s’il en venait de la part du rebelle Charles. Gossevsky, dans une conférence particulière avec le Tsar, lui déclara, sous le secret, que le Roi était inquiet d’un bruit extraordinaire qui venait de se répandre. Nouvelles de l’existence de Boris. « Depuis peu, disait-il, un employé est venu de Russie en Pologne ; il assure que Boris existe : qu’effrayé par tes victoires, et suivant les conseils des devins, il a cédé la Couronne à son fils, le jeune Fédor ; s’est fait passer pour mort, a ordonné d’enterrer solennellement, à sa place, un autre homme qu’on avait empoisonné à cet effet ; et lui-même n’ayant communiqué son secret qu’à la Tsarine et à Siméon Godounoff, a fui en Angleterre, sous le nom d’un marchand. Sigismond a chargé des gens sûrs de s’informer à Londres, si effectivement ton dangereux ennemi y était réfugié ; et il a cru, en ami sincère, devoir t’en prévenir ; il pense que la fidélité des Russes est encore douteuse, et il a ordonné à nos Voïévodes de Lithuanie, d’être prêts pour ta défense ».

Cette fable n’effraya pas le faux Dmitri ; il remercia le Roi, et lui fit répondre, qu’il ne doutait pas de la mort de Boris ; qu’il était prêt à devenir l’ennemi du Suédois rebelle, mais qu’il voulait se convaincre de la sincère amitié de Sigismond, qui, malgré ses paroles flatteuses et ses craintes apparentes pour son repos, ne lui accordait pas les titres dus à la dignité qui lui venait de Dieu. En effet, Sigismond, dans sa lettre, lui donnait celui de Hospodar et de Grand-Duc, mais non celui de Tsar ; et l’Imposteur voulait avoir, non seulement ce titre, mais encore un plus pompeux. Titre de César. Il imagina de s’appeler César, et même Invincible, par anticipation de ses victoires futures (294). Sigismond, informé de cette prétention orgueilleuse, en témoigna son mécontentement, et les seigneurs Polonais reprochèrent à l’Aventurier de la veille, sa ridicule vanité et son ingratitude criminelle. Le faux Dmitri écrivit à Varsovie, qu’il n’avait point oublié les bons offices de Sigismond, qu’il le respectait comme un frère, comme un père ; qu’il désirait conclure avec lui, une alliance solide ; mais qu’il ne renoncerait pas à ses prétentions au titre de César, sans cependant le menacer de la guerre, s’il persistait à le lui refuser. Ce fut vainement que les gens sensés, et particulièrement Mnichek et le Nonce du Pape, cherchèrent à lui démontrer que le Roi lui donnait le titre que les Souverains de Pologne avaient toujours accordé à ceux de Moscou, et que Sigismond ne pouvait pas changer cet usage, sans le consentement des États-Généraux. D’autres Polonais, avec non moins de raison, étaient d’avis que la république ne devait point se brouiller, pour un vain titre, avec un allié présomptueux, qui pouvait lui servir d’instrument pour soumettre les Suédois. Mais les Grands du Royaume ne voulurent pas entendre parler du nouveau titre, et le Voïévode de Posen, dit, en colère, à un officier Russe (295). « Dieu n’aime pas les orgueilleux, et votre invincible Tsar ne se maintiendra pas sur le Trône ». Cependant cette vive discussion ne mit point obstacle aux fiançailles.

Le premier novembre (296), l’illustre Ambassadeur du Tsar, Athanase Vlassieff, arriva à Cracovie, avec une nombreuse suite, et fut présenté à Sigismond. Il parla d’abord de l’heureux avénement du fils d’Ivan au Trône ; de la gloire qu’il aurait à détruire l’empire Ottoman, à faire la conquête de la Grèce, de Jérusalem, de Bethléem et de la Béthanie ; ensuite il déclara l’intention de Dmitri, de partager le trône avec Marine, en reconnaissance des services importans que lui avait rendus son illustre père (297), dans le temps de son malheur et de ses tentatives pour reconquérir le Trône.

Fiançailles. Le 12 novembre se firent les fiançailles solennelles, chantées en vers pyndariques par le jésuite Grokhovsky, en présence de Sigismond, de son fils Vladislas, et de sa sœur Anne, reine de Suède. Marine, la couronne sur la tête, et couverte d’un vêtement blanc brodé en pierres précieuses, était resplendissante de magnificence et de beauté. Le chancelier de Lithuanie, Sapiéha, après avoir dit, au nom de Mnichek, à Vlassieff qui représentait le futur, que le père donnait sa bénédiction à sa fille, à l’occasion de son mariage et de son avénement au Trône, prononça un long discours. Le seigneur Lentchinsky, et le Cardinal évêque de Cracovie, en firent autant ; ils vantèrent « les qualités, l’éducation et l’illustre origine de Marine, noble et libre citoyenne d’un libre Empire. L’exactitude de Dmitri à remplir la promesse qu’il avait faite ; le bonheur des Russes, d’avoir un Souverain légitime, de leur nation, au lieu d’un étranger usurpateur ; et de voir une amitié sincère établie entre Sigismond et le Tsar, qui, certainement, ne deviendrait jamais un exemple d’ingratitude, sentant trop ce qu’il devait au Roi et au Royaume de Pologne ». Le cardinal et les principaux membres du Clergé chantèrent le veni Créator ; tous s’agenouillèrent, mais Vlassieff resta debout. Il fut sur le point d’exciter un rire général, lorsqu’il répondit à la question que lui fit l’Évêque : si Dmitri n’était point déjà fiancé à une autre ? Eh ? comment puis-je le savoir, cela ne se trouve pas dans mes instructions ! Au moment de l’échange des bagues, il tira d’un étui celle du Tsar, ornée d’un très-beau diamant, la remit au Cardinal, et lui-même ne voulut pas prendre avec sa main nue, celle de la fiancée de son Maître. Après les cérémonies de l’Église, il y eut un banquet somptueux, chez le Voïévode de Sendomir. Marine était assise à côté du Roi, au moment où elle reçut les présens de son époux. Ces présens consistaient en une riche image de la Sainte-Trinité, don particulier de la tsarine religieuse Marpha ; une aigrette en rubis, une tasse en Hyacinthe, un vaisseau en or, orné d’une quantité de pierres précieuses ; un pélican, un paon et un bœuf en or ; une pendule extraordinaire, avec un jeu de flûtes et de trompettes ; trois pouds de perles fines ; six cent quarante zibelines précieuses ; des ballots de velours, de drap d’or, de Damas et de Satin, etc. (298).

Vlassieff désirant prouver son respect, refusa de s’asseoir à table auprès de Marine, ne voulut ni boire, ni manger ; et ne comprenant pas qu’il représentait la personne de Dmitri, il se prosterna, au moment où Sigismond et sa famille bûrent à la santé du Tsar et de la Tsarine ; car l’on donnait déjà ce titre à la fiancée. Après dîner, le Roi, Vladislas et la Princesse de Suède, dansèrent avec Marine ; Vlassieff refusa cet honneur, en disant : « Comment oserais-je toucher Sa Majesté ». Enfin, Marine en prenant congé de Sigismond, tomba à ses pieds, et versa des larmes d’attendrissement, au grand mécontentement de l’Ambassadeur, qui voyait en cela une humiliation pour la future épouse de son Maître : mais on lui répondit que Sigismond était encore son souverain, puisqu’elle n’avait point quitté Cracovie. Le Roi, après avoir affectueusement relevé Marine, lui dit : « Miraculeusement élevée par Dieu, n’oublie pas ce que tu dois aux lieux où tu reçus le jour et ton éducation ; au pays où tu laisses tes parens, et où une fortune inouie est venue te trouver. Entretiens dans ton époux, une juste amitié pour nous, et la reconnaissance qu’il doit à ce que nous avons fait, moi et ton père, pour lui. Conserve dans ton cœur la crainte de Dieu ; respecte tes parens, et ne renonce jamais aux usages polonais ». Puis se découvrant, le Roi donna sa bénédiction à Marine ; il la remit de ses propres mains, entre celles de l’Ambassadeur, et permit au Voïévode de Sendomir de l’accompagner en Russie. Vlassieff expédia immédiatement à son maître, la bague de la fiancée et son portrait ; il passa encore quelques jours à Cracovie, pour assister à la célébration du mariage de Sigismond, avec une Archiduchesse d’Autriche, et partit, le 8 décembre, pour Slonim, afin d’y attendre Mnichek et Marine, sur leur route pour la Russie (299) : mais il les attendit long-temps.

Le Voïévode de Sendomir, qui avait sacrifié à l’Imposteur la plus grande partie de sa fortune, ne fut pas satisfait des présens adressés à sa fille ; il lui demanda de l’argent pour solder ses créanciers, et ne voulut pas quitter Cracovie, avant de l’avoir reçu (300). Il s’inquiétait aussi, avec raison, de la mauvaise renommée de son gendre futur. Bruits en Pologne sur l’Imposteur. On savait à Cracovie, ce qui se passait à Moscou ; on connaissait le mécontentement des Russes, et plusieurs personnes ne croyaient pas à l’origine souveraine de l’Imposteur, ni à la durée de sa fortune : on en parlait publiquement ; on en prévenait le Roi et Mnichek. On prétend que la tsarine religieuse Marpha, avait ordonné elle-même, à un Suédois, d’informer secrètement Sigismond, que le prétendu Dmitri n’était pas son fils (301). Les dignitaires Russes, envoyés en mission à Cracovie, confiaient en secret à l’oreille des curieux leurs doutes sur la légitimité du Tsar, et prédisaient sa fin prochaine et inévitable. Mais Sigismond et Mnichek ne croyaient pas ou feignaient de ne pas croire à de pareils discours, voulant ne les attribuer qu’aux insinuations des ennemis secrets du Tsar, amis de Godounoff et de Schouisky : dans tous les cas, ce n’était pas le moment de songer à une rupture avec celui qui appelait Marine sur le trône, et qui récompensait honorablement son père, de toutes ses dépenses ; car enfin, 1606. au mois de janvier 1606, le secrétaire Ian Boutchinsky apporta, de Moscou à Mnichek, Le faux Dmitri paye les dettes de Mnichek. deux cent mille florins, outre les cent mille que le faux Dmitri avait fait remettre à Sigismond, en paiement de la somme que le Voïévode de Sendomir lui avait empruntée pour l’armement de 1604 (302). L’Imposteur témoignait de l’impatience de voir sa fiancée ; mais Mnichek, occupé de préparatifs fastueux, demeura encore long-temps en Galicie, et ne se mit en route, avec une foule de ses parens, qu’au moment du dégel, de manière que plusieurs d’entre eux retournèrent sur leurs pas, de peur des mauvaises routes, et bienheureusement pour eux ; car tout se préparait déjà à Moscou, pour l’accomplissement terrible de la vengeance du peuple.

Événemens à Moscou. Le faux Dmitri s’étant entouré de gardes étrangers, et voyant la tranquillité régner dans la capitale, la soumission et la bassesse à la cour, reprit toute sa sécurité ; il croyait à une certaine prédiction qui lui promettait un règne de trente-quatre ans (303), et passait son temps dans les festins, aux noces des Boyards, leur ayant permis de choisir des épouses et de se marier à leur gré ; ce qui n’avait pas existé sous le règne de Godounoff. Quoique dans un âge déjà avancé, le plus illustre des Boyards, le prince Mstislafsky, profita de cette liberté, et l’Imposteur lui accorda une cousine de la tsarine religieuse Marpha. Il semblait aussi que Moscou partageait sincèrement les plaisirs du Tsar ; jamais il n’y avait eu dans cette ville plus de festins et de tumulte ; jamais on n’y avait vu autant d’argent en circulation ; car les Allemands, les Polonais et les Cosaques, compagnons du faux Dmitri, enrichis par ses générosités, semaient l’or à pleines mains (304), au grand avantage des marchands de Moscou. D’après les paroles de l’Annaliste, « non seulement ils se servaient de vases d’argent pour manger et boire, mais même pour se laver aux bains ».

Rappel des Schouisky. Dans ces jours de jubilation, l’Imposteur disposé à la clémence, pardonna aux princes Schouisky, après six mois d’exil (305). Il leur rendit leurs richesses et leur rang, à la satisfaction de leurs nombreux amis, qui avaient su habilement l’éblouir par l’attrait d’une pareille générosité, probablement, déjà avec des intentions funestes au faux Dmitri. Vassili-Schouisky, généralement respecté comme un Boyard de premier rang, et descendant de Rurik, était devenu l’idole de la Nation, par sa fermeté inébranlable dans ses dispositions contre l’Imposteur. Les tortures et l’échafaud lui avaient donné aux yeux des Russes, la brillante couronne d’un héros-martyr ; et dans le cas d’un mouvement populaire, aucun Boyard ne pouvait exercer plus d’empire sur les esprits, que ce prince également ambitieux, rusé et intrépide. Après avoir donné, par écrit, un engagement de fidélité au faux Dmitri (306), il revint dans la Capitale, tout autre en apparence : il semblait être le plus dévoué de ses partisans ; et il gagna, par ce moyen, la confiance particulière de l’Imposteur, contre l’avis de plusieurs de ses conseillers, qui disaient que la clémence, quelquefois approuvée par la politique, pouvait épargner un traître et un parjure, mais qu’il était toujours téméraire de se fier à ses nouveaux sermens : que Schouisky, lorsqu’il, n’avait encore reçu de Dmitri que des marques de bienveillance, avait conjuré sa perte ; et que maintenant, déshonoré par lui, et ayant supporté les tourmens et la crainte de la mort, il ne pouvait avoir conçu tout à coup de l’attachement pour celui qui l’avait puni, quoique légitimement ; qu’il devait au contraire ne respirer que haine et vengeance, et qu’il cachait ces sentimens, sous le masque du repentir. Ces avis étaient vrais : Schouisky avait la ferme résolution de périr ou de perdre le faux Dmitri. Mais l’inconséquent et orgueilleux Otrépieff faisant parade, moins encore de clémence que d’intrépidité, répondait, qu’il trouvait un véritable plaisir dans la générosité ; qu’il aimait à pardonner entièrement et non à demi ; et que sans ingratitude pour la Providence, il ne pouvait rien redouter, ayant été, dès son berceau, miraculeusement et visiblement protégé de Dieu. Il voulut que le prince Vassili, à l’exemple de Mstislafsky, se choisit aussi une illustre épouse. Le choix de Schouisky tomba sur la princesse Bouinoff-Rostofsky, parente des Nagoï, et il devait se marier quelques jours après la noce du Tsar. En un mot, ayant été le complaisant d’Ivan, et de Boris, il captiva entièrement le confiant Aventurier ; devint son conseiller, et sans doute ce ne fut pas pour le bien !

Le faux Dmitri continua à se conduire avec sa légèreté et son imprudence ordinaires : tantôt, il désirait mériter l’amour des Russes ; tantôt il les offensait avec intention. Les Contemporains racontent l’événement suivant : « Il ordonna, en hiver, de construire une forteresse en glace, près de Viazma à trente verstes de Moscou, et s’y rendit avec ses gardes du corps, un détachement de cavalerie polonaise, les Boyards et les principaux militaires nobles. Les Russes devaient défendre le fort, et les Allemands le prendre d’assaut. Au lieu d’armes, on donna aux uns et aux autres des boules de neige. Le combat commença, et l’Imposteur, à la tête des Allemands, se précipita le premier dans la forteresse, remporta la victoire et s’écria : C’est ainsi que je m’emparerai d’Azof. Il ordona un second assaut : mais beaucoup de Russes étaient couverts de sang ; car les Allemands, dans le fort de la mêlée, en jetant de la neige contre eux, avaient aussi lancé des pierres. Cette cruelle plaisanterie, que le Tsar laissa impunie, irrita tellement les Russes, que le faux Dmitri craignait un combat réel entr’eux (307) : ses gardes du corps et ses Polonais se hâtèrent de les séparer et de retourner à Moscou ».

La haine contre les étrangers, qui retombait aussi sur le Tsar si partial pour eux, s’augmentait tous les jours par leur imprudence. D’après la permission du faux Dmitri, ils avaient un libre accès dans nos églises : mais ils s’y conduisaient avec la plus grande irrévérence, agitant leurs armes, comme s’ils se préparaient au combat ; s’appuyant et se couchant sur les tombeaux des saints. Les Moscovites ne se plaignaient pas moins des Cosaques, compagnons de l’Imposteur. Ces hommes grossiers, se vantant des services qu’ils avaient rendus, méprisaient les Russes, et par dérision, les appelaient juifs (308) : ils étaient toujours sûrs de l’impunité.

Mais ce fut le Clergé qui devint l’ennemi le plus acharné du faux Dmitri, qui semblait vouloir humilier l’état monastique, en diffamant les moines, et en les faisant punir par un supplice public, lorsqu’ils se rendaient coupables de quelques délits civils. Il empruntait de l’argent aux Couvens riches, et ne songeait point à s’acquitter de ces dettes souvent considérables. À la fin, il ordonna de lui présenter une liste des biens et de tous les revenus des Couvens, témoignant l’intention de ne leur laisser que ce qui était indispensable pour l’entretien des Moines, et de s’emparer du reste pour la solde des troupes (309). C’est ainsi qu’un hardi vagabond, jeté par un orage, sur un trône chancelant, et menacé d’un orage nouveau, se déterminait, sans hésitation, à accomplir ce que n’avait jamais osé entreprendre les Souverains légitimes, Ivan III et IV, soutenus par leurs droits incontestables et une soumission sans bornes à leur volonté.

Une action moins importante, mais non moins inconsidérée, excita le mécontentement du Clergé séculier de Moscou. Le faux Dmitri chassa de leurs maisons tous les prêtres des quartiers d’Arbate et de Tchertol, pour y loger ses gardes du corps étrangers, dont la plupart demeurait dans la slabode allemande, trop éloignée du Kremlin. Les Pasteurs des âmes qui priaient publiquement Dieu dans les églises, pour le prétendu Dmitri, maudissaient secrètement en lui leur plus cruel ennemi, et ne le désignaient à leurs paroissiens, que comme un imposteur et un tyran odieux, qui persécutait l’Église et protégeait toutes les hérésies : car il avait non seulement permis, aux Jésuites de célébrer la messe latine au Kremlin, mais encore aux Pasteurs luthériens d’y prêcher, afin que ses gardes du corps n’eussent pas la peine d’aller jusqu’à la slabode allemande, pour faire leurs prières (310).

L’imposteur Pierre. À cette époque, l’apparition d’un nouvel imposteur nuisit également au faux Dmitri, dans l’opinion publique. Jaloux du succès et des honneurs des Cosaques du Don, leurs frères du Volga et du Térek imaginèrent de proclamer un de leurs camarades, le jeune Cosaque Ileïka, fils du tsar Fédor ; ils le nommèrent Pierre, et prétendirent qu’Irène avait mis au monde ce fils, en 1592, et que l’ambitieux Boris avait su l’éloigner du Trône, en substituant à sa place une petite fille, Théodosie. Ils se rassemblèrent au nombre de quatre mille, et devinrent l’épouvante des voyageurs, surtout des commerçans ; car ces rebelles, sous le prétexte qu’ils allaient à Moscou avec le Tsar, dépouillaient tous les marchands sur le Volga, entre Astrakhan et Cazan ; au point qu’on estima à trois cent mille roubles (311), le butin qu’ils firent.

Cependant le faux Dmitri ne s’opposait point à leurs brigandages, et écrivait au prétendu Pierre, probablement dans l’espoir de l’attirer dans un piége, que s’il était réellement le fils de Fédor, il se hâtât de se rendre dans la Capitale, où il serait reçu avec honneur. Personne ne croyait à l’existence de ce nouveau prince, mais cet événement convainquit encore d’avantage de l’imposture d’Otrépieff : expliquant une fable par l’autre, on alla jusqu’à croire que ces deux fourbes étaient secrètement d’accord ; que le faux Pierre était un instrument du faux Dmitri ; que ce dernier ordonnait aux Cosaques de dépouiller les marchands, pour enrichir son trésor (312), et qu’il les attendait à Moscou, comme de nouveaux et dévoués auxiliaires, pour exercer avec plus de sécurité sa tyrannie sur les Russes qu’il détestait. On assure qu’Ileïka voulut réellement profiter de l’invitation amicale du moine défroqué, et qu’il se mit en route pour Moscou : mais il apprit à Sviajsk, que son oncle prétendu n’existait déjà plus.

Commencement du complot. Le retour du Prince Schouisky fut, d’après les Annalistes, le commencement d’un grand complot, et décida du sort du faux Dmitri, qui en avait préparé le facile succès, en offensant les Boyards, le Clergé et le peuple ; en méprisant la religion et la vertu. Peut-être qu’en suivant de meilleurs principes, il se serait maintenu sur le Trône, malgré les preuves évidentes de son imposture. Peut-être malgré son illégitimité, les plus prudens des Boyards n’auraient-ils pas voulu renverser un Souverain habile, dans la crainte de livrer la Patrie au fléau de l’anarchie. Tel était probablement l’avis d’un grand nombre dans les premiers jours du règne de l’Imposteur : sachant quel il était, on espérait qu’au moins cet homme extraordinaire, doué de quelques qualités brillantes, se rendrait digne de son bonheur, par des actions méritoires ; mais on ne vit que de l’extravagance, et l’on se souleva contre lui.

Moscou à cette époque ne doutait plus, dit-on, de l’identité d’Otrépieff avec le faux Dmitri. Il est intéressant de savoir que ceux même qui l’approchaient de plus près, ne se cachaient point entre eux la vérité ; et Basmanoff dans un entretien sincère avec deux Allemands dévoués au faux Dmitri, leur dit : « Il est votre père et vous êtes heureux en Russie : joignez-vous à moi pour prier Dieu pour lui ; malgré qu’il ne soit pas le fils d’Ivan, il est notre Souverain, puisque nous lui avons prêté serment, et que nous ne pouvons en trouver un meilleur (313) ». C’est ainsi que Basmanoff justifiait son dévoûment à l’Imposteur. D’autres pensaient qu’un serment prêté par erreur ou par crainte, n’en était point un réel. Cette idée avait été naguère suggérée au peuple, par les amis du faux Dmitri, lorsqu’ils l’engageaient à trahir le jeune Fédor.

Schouisky profitait également de cette heureuse idée, pour rassurer les Russes consciencieux, et pour précipiter du Trône l’Aventurier : il fallait s’ouvrir à des gens de toutes conditions, trouver des complices dans le Conseil, dans le Clergé, dans l’armée et parmi les Citoyens. Schouisky avait déjà éprouvé le danger des intrigues ; il avait été conduit à l’échafaud, par l’indiscrétion de ses co-opérateurs : mais depuis cette époque, la haine générale qu’on portait au faux Dmitri, avait encore mûri, et répondait du secret pour l’avenir. En effet, il n’y eut ni traîtres, ni dénonciateurs, et Schouisky, sous les yeux même de l’Imposteur, et passant avec lui les jours dans les festins, organisa une conjuration, dont le fil, partant du Conseil suprême, passait par toutes les classes de la nation, jusqu’au peuple de Moscou ; en sorte que plusieurs même des affidés d’Otrépieff, révoltés de son obstination à persister dans sa conduite inconsidérée, se joignirent aux conjurés. On commença à répandre des bruits vrais ou faux contre l’Imposteur.

On disait, qu’avide de carnage, il menaçait en même temps l’Europe et l’Asie de la guerre. Il est certain que le faux Dmitri songeait à attaquer le Sultan ; Ambassade auprès du Schah. Il avait désigné à cet effet une ambassade au Schah-Abbas, pour obtenir en lui un puissant auxiliaire, Rassemblement de l’Armée à Életz. et il avait ordonné aux enfans Boyards de se rendre à Életz, où il envoya aussi une nombreuse artillerie. Lettre au Roi de Suède. Il menaçait en même temps la Suède ; et écrivait au Roi : « Après avoir fait part à tous les Souverains de mon avénement au Trône, je t’informe de mon amitié pour Sigismond, légitime souverain de la Suède. J’exige que tu lui rendes le pouvoir que tu as usurpé illégitimement, au mépris du droit divin, du droit naturel et du droit des gens. Ton refus armera contre toi la puissante Russie ; amendes toi, et réfléchis sur le sort funeste de Boris-Godounoff : c’est ainsi que le Tout-Puissant punit les usurpateurs, et qu’il te punira (314) ». On assurait également que le faux Dmitri voulait exciter le Khan à ravager les possessions méridionales de la Russie, et que pour exciter sa rage, il lui avait envoyé en présent, une pelisse faite de peau de cochon (315). Cette fable est contredite par les documens de l’Empire, Relations avec le Khan. dans lesquels il est question des rapports pacifiques du faux Dmitri, avec Kazi-Ghiréï, et des présens d’usage qu’il lui fit. On parlait avec plus de raison du projet ou de la promesse de l’Imposteur, de livrer notre Église au Pape, et une grande partie de la Russie à la Lithuanie. Conjectures sur les projets du faux Dmitri. Les Boyards en avaient eu connaissance par le gentilhomme Zolotoï-Kvachnin, transfuge du temps d’Ivan, et qui avait demeuré long-temps en Pologne (316). On disait aussi que le nouveau Tsar n’attendait que l’arrivée du Voïévode de Sendomir, avec de nouvelles hordes de Polonais, pour exécuter ses projets dangereux pour la Patrie. Les esprits étaient montés à tel point, par tous ces rapports, que les chefs de la conspiration pensaient déjà à l’accomplir (317), mais ils remirent le coup jusqu’aux noces du faux Dmitri ; soit comme on l’assure, afin que les richesses prodiguées par l’imposteur à sa fiancée et à ses parens, fussent rentrées, avec eux, à Moscou, soit afin de lui laisser le temps et les moyens d’accroître encore la haine des Russes, par de nouvelles iniquités que prévoyaient Schouisky et ses amis.

Cependant, deux ou trois circonstances qui n’avaient néanmoins aucun rapport à la conjuration, auraient pu inquiéter Otrépieff. On lui rapporta que quelques streletz l’accusaient publiquement d’être l’ennemi de la Religion (318). Il fit venir devant lui tous les streletz de Moscou, avec leur chef Grégoire Mikoulin ; il les instruisit de l’insolence de leurs camarades, et exigea que les soldats fidèles jugeassent les traîtres. Mikoulin tira son glaive, et les coupables ne témoignant ni repentir ni crainte, Punition des Streletz et du diak Ossipoff. furent taillés en pièces par leurs frères. L’Imposteur gratifia Mikoulin, pour cet acte de dévoûment, du titre de gentilhomme du Conseil, et la Nation le prit en haine comme le bourreau de martyrs généreux. Le diak Thimothée Ossipoff, ambitionna l’honneur de partager leur sort ; enflammé du désir de démasquer l’Imposteur, il jeûna pendant quelques jours, communia ensuite, et dans la palais du Tsar même, devant tous les Boyards, il l’appela publiquement Grichka Otrépieff ; enfant du péché et hérétique (319). Tous ceux qui étaient présens restèrent immobiles d’étonnement, et le faux Dmitri lui-même, dans son trouble, garda le silence. Mais, revenu à lui, il ordonna de tuer ce citoyen courageux, dont le souvenir sera immortel dans notre Histoire. Il fut du petit nombre de ceux qui, par leur sang, rachetaient les Russes de la honte d’obéir à un vagabond. On raconte que les streletz et le diak Ossipoff, avant de périr, avaient été interrogés par Basmanoff, mais qu’ils n’avaient accusé personne de complicité avec eux.

Disgrace du tsar Siméon et de Tatistcheff. L’illustre aveugle Siméon, tsar titulaire, ne se montra pas moins intrépide ; chrétien zélé, et entendant dire que le faux Dmitri était porté pour la religion latine, il méprisa ses faveurs et ses caresses ; il témoignait publiquement son indignation, et conjurait les vrais enfans de l’Église à mourir pour ses saints préceptes. Siméon, accusé d’ingratitude, fut exilé au couvent de Solovetsk, et fait moine.

Dans le même temps, un dignitaire connu par la capacité de son esprit et par la souplesse de son caractère, qui avait joui d’une égale confiance sous Boris et sous l’Imposteur, le gentilhomme du Conseil, Michel Tatistcheff, tomba tout à coup en disgrâce, par suite d’une hardiesse qui ne lui était pas ordinaire. Un jour, à la table du Tsar, le prince Vassili-Schouisky apercevant un plat de veau, dit, pour la première fois au faux Dmitri, qu’on ne devait point offrir aux Russes des mêts qui leur étaient odieux, et Tatistcheff, se joignant à Schouisky, commença à parler avec tant d’irrévérence et de témérité, qu’on le fit sortir du palais et qu’on voulut l’exiler à Viatka (320) ; Basmanoff, quinze jours après, obtint sa grâce, mais il en fut victime lui-même, comme nous le verrons plus tard. Cette circonstance éveilla le soupçon de quelques-uns des proches d’Otrépieff, et dans son propre esprit. On pensait que ce n’était point sans intention que Schouisky avait entamé cette discussion, et que Tatistcheff était sorti de son caractère ; que, connaissant la vivacité du faux Dmitri, ils avaient voulu en arracher quelques paroles indiscrètes, et les répandre ensuite dans la ville pour lui nuire ; qu’ils devaient avoir quelque projet important et funeste. Heureusement le faux Dmitri peu craintif par caractère et par principes, abandonna bientôt cette idée inquiétante ; ne voyant autour de lui que des visages satisfaits, tous les témoignages du zèle et du dévoûment, surtout de la part de Schouisky, et s’occupant principalement alors de la réception brillante de Marine.

Voyage de Voiévode de Sendomir avec Marine. Mais le Voïévode de Sendomir poursuivait son voyage avec autant de lenteur qu’il en avait mis à l’entreprendre ; il s’arrêtait partout et donnait des festins, au grand mécontentement de son conducteur, Athanase Vlassieff. De Minsk il écrivit encore à Moscou, qu’il ne pouvait pas quitter le territoire lithuanien, tant que le Tsar ne paierait pas au roi Sigismond sa dette entière : et en même temps il se plaignait de l’insolence de Vlassieff, serviteur trop zélé, qui voulait, disait-il, les faire voler, au lieu de voyager, contrainte insupportable, pour un vieillard décrépit comme lui, et pour la constitution délicate de Marine. L’Imposteur qui ne tenait pas à l’argent, promit de satisfaire à toutes les prétentions de Sigismond. Il envoya cinq mille ducats en présent à la fiancée, et de plus, cinq mille roubles et treize mille thalers pour son voyage jusqu’aux frontières de la Russie (321) ; mais en même temps il exprima son mécontentement à Mnichek : « Je vois, lui écrivit-il, que c’est à peine au printemps que vous atteindrez notre capitale, où vous pourrez bien ne pas me trouver, car j’ai l’intention d’aller au commencement de l’été dans mon camp, et d’y rester jusqu’à l’hiver. Les Boyards, envoyés à votre rencontre jusqu’à la frontière, ont épuisé toutes leurs provisions dans ce pays qui manque de vivres, et ils seront obligés de s’en retourner, à la honte du nom du Tsar ». Mnichek, offensé, voulut revenir sur ses pas ; mais attribuant les expressions piquantes de son gendre futur, à l’impatience de son violent amour, il entra, le 8 avril, en Russie.

On assure qu’en quittant pour toujours sa patrie, Marine, troublée par des pressentimens douloureux, pleura amèrement, et que Vlassieff ne put la consoler par la description éloquente de la gloire qui l’attendait (322). Le Voïévode de Sendomir voulait briller par sa magnificence : il avait avec lui en parens, amis et serviteurs, au-delà de deux mille personnes et autant de chevaux. Marine voyageait entre des rangs de cavalerie et d’infanterie ; Mnichek, son frère, son fils, le prince Vichnévetski, et chacun des Seigneurs, avaient leur détachement de troupes. La fiancée fut reçue à la frontière par les officiers de la cour de Moscou, et au-delà du bourg de Krasnoï, par les Boyards, Michel Nagoï, oncle prétendu de l’Imposteur, et par le prince Vassili-Massalski, qui dit au Voïévode de Sendomir, que les plus illustres Souverains de l’Europe auraient désiré marier leurs filles à Dmitri ; mais que Dmitri préférait Marine, sachant aimer et être reconnaissant. De là, on conduisit la fiancée dans un traîneau magnifique, orné d’un aigle d’argent, et attelé de douze chevaux blancs ; les cochers étaient revêtus d’habits de drap d’or, avec des bonnets de renard noir ; en avant marchaient douze cavaliers de distinction, qui servaient de guides, et avertissaient les cochers aux plus légers inconvéniens de la route. Malgré le dégel, partout on répara les chemins, on construisit de nouveaux ponts, et des maisons pour y passer la nuit. Dans chaque village, la fiancée était reçue par les habitans qui lui présentaient le pain et le sel, et par les prêtres qui portaient des Images. Les Bourgeois de Smolensk, de Dorogobouje et de Viazma, lui offrirent des présens d’une grande valeur, et les Dignitaires lui présentèrent des lettres du Tsar, avec des dons encore plus magnifiques. Chacun cherchait à plaire, non seulement à la future Tsarine, mais à ses compagnons de voyage, les orgueilleux Polonais, qui se conduisaient avec insolence et offensaient les Russes (323), humbles seulement en apparence. Parvenus au bord de Lougra, ils se rappelèrent que c’était là qu’avaient été autrefois les frontières de la Lithuanie, et ils espéraient qu’elles y seraient replacées de nouveau ; car Mnichek portait avec lui la Charte de possession que l’Imposteur lui avait donnée, sur la principauté de Smolensk.… ! Laissant Marine à Viazma, le Voïévode de Sendomir, avec son fils et le prince Vichnévetski, se hâtèrent de se rendre à Moscou, pour quelques arrangemens préliminaires avec le Tsar (324).

Le 25 avril, après une entrée magnifique dans la Capitale (325), Mnichek vit avec transport son gendre futur sur un trône éclatant, entouré des Boyards et du Clergé ; le Patriarche et les Évêques étaient assis à sa droite, et les Boyards à sa gauche. Mnichek baisa la main du faux Dmitri, et en prononçant son discours, Discours de Mnichek. les paroles lui manquèrent pour exprimer son bonheur : « Je ne sais, dit-il, quel est le sentiment qui, dans ce moment, domine mon âme, si c’est un étonnement extrême, ou une joie inexprimable ? Jadis nous avons versé des larmes d’attendrissement au récit déplorable de la mort prétendue de Dmitri, et aujourd’hui nous le voyons ressuscité ! Il y a peu de temps encore qu’avec une autre espèce de douleur, avec un intérêt sincère et tendre, je serrais la main d’un bani, mon hôte affligé, et cette main, aujourd’hui souveraine, je la baise avec respect…! Ô Fortune ! comme tu te joues des humains…!! Mais que dis-je ? Ce n’est point l’aveugle Fortune, mais la Providence que nous admirons dans ton destin. C’est elle qui t’a sauvé et élevé pour la consolation de la Russie et de toute la chrétienté. Tes brillantes qualités me sont déjà connues ; je t’ai vu intrépide dans la chaleur des combats, bravant les fatigues, et insensible au froid rigoureux de l’hiver… Tu te signalais dans les camps, alors même que les animaux féroces du Nord se cachaient dans leurs tanières. L’Histoire et la poésie célébreront à l’envi, ta vaillance, et tant d’autres vertus que tu dois te hâter de développer aux yeux du monde ! Mais moi je dois principalement louer la haute faveur que tu m’accordes ; la récompense généreuse que tu donnes à l’amitié que je t’ai d’abord portée, et qui a devancé tes honneurs et ta gloire. Tu partages ta grandeur avec ma fille ; sachant apprécier son éducation morale et les prérogatives que lui donne sa naissance, dans un état libre où la noblesse a tant d’éclat et de force : mais ce que tu estimes davantage encore en elle, c’est la vertu, véritable ornement de l’humanité » !

Le faux Dmitri écouta ce discours avec une apparence de sensibilité, essuyant à chaque instant ses yeux avec son mouchoir, mais il ne dit pas un mot ; ce fut Athanase Vlassieff qui répondit à sa place. Mnichek dîna chez le Tsar, dans le nouveau palais, dont les Polonais admirèrent le goût et la richesse des ornemens. Cependant tout en honorant son hôte, l’Imposteur ne voulut pas qu’il fût placé à côté de lui ; il était assis seul à la table d’argent, et, en marque de considération, il ordonna seulement qu’on donnat des assiettes d’or (326) à Mnichek, à son fils et au prince Vichnévetski. Pendant le repas, on amena vingt Lapons qui se trouvaient à Moscou, et qui y étaient venu apporter leur tribut ; on raconta, pour satisfaire la curiosité des étrangers, que ces singuliers sauvages vivaient aux confins du monde, près des Indes et de la mer Glaciale ; ne connaissant ni maisons, ni nourriture cuite, ni lois, ni religion (327). Le faux Dmitri se vanta de l’étendue incommensurable de son Empire et de l’étrange diversité de ses peuples. Le soir, les musiciens Polonais jouèrent au palais. Le fils du Voïévode de Sendomir et le prince Vichnévetski, dansèrent, et le faux Dmitri s’amusa à se déguiser, paraissant à chaque instant, tantôt en élégant Russe, et tantôt en hussard Hongrois. Pendant cinq ou six jours on donna à Mnichek des dîners somptueux, des soupers, des parties de chasses auxquelles le faux Dmitri se distinguait ordinairement par son adresse et son courage : il tuait les ours à coup de fourche, leur tranchait la tête avec son sabre, et jouissait des acclamations des Boyards qui criaient : « Gloire au Tsar ». En même temps on s’occupait d’affaires.

Conventions. Le faux Dmitri avait écrit à Cracovie, au Voïévode de Sendomir, que Marine, comme tsarine Russe, devait respecter, au moins en apparence, la religion grecque, et suivre ses rites (328) ; qu’elle devait également observer les usages moscovites, et ne pas se coiffer en cheveux. Mais Rangoni, légat du Pape, répondit avec colère à la première proposition : « qu’un Souverain autocrate n’était point obligé de flatter une superstition populaire et insensée ; que la loi ne s’opposait point à l’union des Chrétiens des Églises grecque et latine, et n’ordonnait point aux époux de sacrifier l’un à l’autre sa conscience ; qu’enfin, les ancêtres même de Dmitri, lorsqu’ils voulurent épouser des princesses Polonaises, leur avaient toujours laissé la liberté du culte (329) ». Il paraît que cette difficulté fut levée dans les conférences du faux Dmitri, avec le Voïévode de Sendomir et notre Clergé. On convint que Marine fréquenterait les Églises grecques, recevrait la Communion des mains du Patriarche, et ferait maigre chaque semaine, le mercredi, et non le samedi ; mais qu’elle aurait son Église latine et qu’elle observerait tous les autres usages de la religion romaine. Le patriarche Ignace fut satisfait ; les autres Évêques gardèrent le silence, Disgrace de deux Évêques. à l’exception d’Ermogène, métropolitain de Cazan, et de Joseph, Évêque de Kalomensk, qui furent exilés par l’Imposteur, à cause de la hardiesse de leur opinion ; car ils prétendaient qu’il fallait baptiser la fiancée, sans quoi le mariage du Tsar avec elle, serait un sacrilége (330).

Le faux Dmitri se glorifiant de la finesse de sa politique, croyant avoir satisfait à la fois Rome et Moscou, et ayant tout disposé pour la cérémonie du mariage et la réception de Marine, lui fit savoir qu’il l’attendait avec la tendre impatience d’un amant et la magnificence d’un Tsar. Marine passa quatre jours à Viazma, bourg qui avait appartenu à Godounoff, et où se trouvait son palais entouré d’un rempart. On y voit encore dans une église en pierres, plusieurs inscriptions polonaises, faites à cette époque par les compagnons de Mnichek.

Entrée de Marine dans la Capitale. Le 1er. mai, à quinze verstes de Moscou, la future Tsarine fut reçue par les marchands et les Bourgeois, avec des présens ; et le 2 mai, près de la barrière de la ville, par la noblesse et les troupes, les enfans Boyards, les streletz, les Cosaques, tous en habit de drap rouge et avec des bandouillères blanches sur la poitrine ; et un grand nombre d’Allemands et de Polonais (331). Le faux Dmitri lui-même, vêtu simplement, s’était rendu en secret parmi eux, et avec l’aide de Basmanoff, les ayant placés des deux côtés de la route, il était retourné au Kremlin.

Avant que d’entrer en ville, au bord de la Moskva, Marine sortit de voiture, et fut conduite dans une tente magnifique, où se trouvaient les Boyards. Le prince Mstislafsky lui adressa un discours de félicitation ; tous les autres la saluèrent en s’inclinant jusqu’à terre. Près de la tente se trouvaient douze superbes chevaux de main, présent offert à la fiancée, et un char brillant orné d’aigles d’argent, aux armes du Tsar, et attelé de dix chevaux pies. C’est dans ce char que Marine fit son entrée à Moscou, accompagnée de ses proches, des Boyards, des Dignitaires et de trois détachemens des gardes du Tsar. Devant eux marchaient trois cents heiduques, avec des musiciens ; treize voitures et une quantité de cavaliers fermaient la marche. On sonnait les cloches, on tirait le canon ; les tambours, les trompettes retentissaient de toutes parts, et le peuple gardait le silence : il regardait avec curiosité, mais il témoignait plus de peine que de plaisir, et il remarqua, pour la seconde fois, un pronostic funeste. On assure que ce jour là, il y eut une tempête pareille à celle qui avait eu lieu à l’entrée de l’Imposteur à Moscou. Devant les portes du Kremlin, sur une éminence qui se trouvait au milieu de la grande place, où, si la fiancée du Tsar avait été orthodoxe, le Clergé l’eût attendue avec la croix, Marine fut reçue par de nouvelles troupes de timballiers, dont les bruyans instruments étaient insupportables à l’oreille. À son entrée sous la porte de Spasky, les musiciens Polonais jouèrent leur air national : Pour toujours dans le bonheur comme dans le malheur (332). Le char s’arrêta an Kremlin, près du couvent des Vierges. Là, la fiancée fut reçue par la Tsarine religieuse ; elle y vit le faux Dmitri, et y demeura jusqu’à son mariage, retardé de six jours à cause de quelques préparatifs.

Mécontentement des habitans de Moscou. Cependant Moscou était dans l’agitation : on avait logé Mnichek au Kremlin, dans la maison de Boris (333) ; séjour du régicide ! On prit, pour ses compagnons, les plus belles maisons de Kitaï et de Bielgorod ; et pour les y établir, on en chassa les propriétaires, non seulement les marchands, les Gentilshommes, les Diaks et les Ecclésiastiques, mais aussi les principaux Dignitaires et même les Nagoï, prétendus parens du Tsar (334). Il s’éleva alors des cris et des plaintes de toutes parts. En même temps les Russes voyant des milliers d’hôtes, non invités et armés de pied en cap, retirer encore de leurs charriots des sabres, des piques et des pistolets de réserve, demandaient aux Allemands si dans leur pays on allait aux noces comme aux combats ? Et se disaient entr’eux, que les Polonais voulaient s’emparer de la capitale.

Le jour de l’entrée de Marine à Moscou, d’illustres Ambassadeurs de Sigismond, les seigneurs Olesnitsky et Gossevky arrivèrent également accompagnés d’une troupe nombreuse. Ils augmentèrent encore les inquiétudes du peuple qui croyait qu’ils étaient venu chercher la dot de Marine, et que le Tsar cédait à la Lithuanie toutes les contrées, depuis la frontière jusqu’à Mojaïsk ; mais cette opinion était fausse, comme le prouvent les documens de cette ambassade. Olesnitsky et Gossevsky devaient simplement, au nom de leur Roi, assister à la noce du faux Dmitri (335), consolider l’amitié entre lui et Sigismond, et l’alliance avec la Russie, sans rien exiger de plus. L’Imposteur, selon l’Annaliste, connaissant les murmures du peuple, sur la Charte donnée par lui à Mnichek, touchant la propriété de Smolensk et le pays de Seversk, disait aux Boyards, qu’il ne céderait pas aux Polonais un pouce de terre appartenant à la Russie (336) ; et peut-être le disait-il sincèrement. Peut-être qu’en trompant le Pape, il aurait aussi trompé son beau-père et sa femme : mais les Boyards, ou du moins Schouisky et ses amis, ne cherchaient point à diminuer les mauvaises impressions du peuple, sur le compte du faux Dmitri, qui de son côté augmentait encore le mécontentement général, par des nouveaux scandales.

Scandales. Les partisans de cet insensé voulaient persuader aux Russes que Marine, enfermée dans une cellule solitaire et inaccessible, s’y instruisait dans notre religion, jeûnait et se préparait au Baptême. Le premier jour elle parut en effet faire abstinence, car elle ne mangea de rien, dégoûtée par les mêts russes ; mais, son futur en ayant eu connaissance, envoya au couvent les cuisiniers de son beau-père, auxquels on remit les clés des provisions du Tsar, et qui commencèrent à y préparer des dîners et des soupers qui n’étaient nullement monastiques (337). Marine n’avait auprès d’elle qu’une seule femme, ne quittait point sa cellule, et n’allait même pas chez son père ; mais elle voyait chaque jour son fiancé ; il restait seule avec elle, ou bien, pour la distraire, il faisait faire de la musique, exécuter des danses et des chants profanes ; il introduisait des bouffons dans l’asile de la paix et de la piété, comme s’il eut voulu insulter à la sainteté du lieu et aux mœurs pures des innocentes religieuses (338). Moscou l’apprit avec horreur !

Un scandale d’un autre genre, fruit de l’inconséquence du faux Dmitri, étonna les courtisans. Le 3 mai, lorsque l’Imposteur donnait une audience solennelle, dans la salle dorée, aux Polonais de distinction, aux parens de Mnichek, et aux Ambassadeurs du Roi de Pologne ; le maître de la cour de Marine, Stadnitski, en parlant au nom de tous ses proches, lui dit : « Si quelqu’un témoignait de l’étonnement de ton alliance avec Mnichek, le premier des Seigneurs de la cour de mon Roi, qu’il jette les yeux sur l’Histoire de l’Empire de Moscou ; ton aïeul, à ce que je crois, a été marié à la fille de Vitoft, et ton grand-père à celle de Glinski : la Russie s’est-elle plaint du mélange du sang des Tsars, avec celui des Souverains de la Lithuanie ? Jamais. Par ce mariage tu consolides l’union de deux Nations égales en forces et en vaillance, qui se ressemblent par leur langage et par leurs mœurs ; mais qui, jusqu’à présent, n’ont pas connu de paix réelle, et qui, par le spectacle de leur désunion, réjouissent les Infidèles. Maintenant, unies comme sœurs, elles sont prêtes à agir d’accord, pour soumettre l’odieux Croissant ; et ta gloire brillera, telle qu’un soleil resplendissant, dans les contrées septentrionales ». Les parens du Voïévode de Sendomir étaient suivis par les Ambassadeurs qui s’avançaient avec dignité. Le faux Dmitri étant sur son trône, Olesnitzky, après avoir salué le Tsar, remit la lettre de Sigismond à Athanase Vlassieff : celui ci, après en avoir lu l’adresse à voix basse, Brouille avec les Ambassadeurs. au faux Dmitri, la rendit aux Ambassadeurs, en leur disant, qu’elle était adressée à un certain prince Dmitri qu’il ne connaissait point ; que le monarque de Moscou était César, et que les Ambassadeurs de Pologne devaient reporter cette lettre à leur Souverain. Olesnitzky, étonné, reprit la lettre, et dit au faux Dmitri : « Je la reçois avec respect ; mais que se passe-t-il donc ? C’est une insulte sans exemple, non seulement pour mon Roi et pour tous les illustres Polonais qui sont devant toi, mais pour toute notre Patrie où naguère encore nous t’avons vu comblé de faveurs et de bienfaits ! Tu rejettes avec mépris la lettre de sa Majesté, du haut de ce Trône, où tu n’es monté que par la grâce de Dieu, celle de mon Souverain et de la Nation polonaise »… ! Ces paroles indiscrètes offensaient tous les Russes, non moins que le Tsar ; mais le faux Dmitri ne songea pas à faire sortir l’audacieux Ambassadeur, et sembla saisir avec joie cette occasion de faire briller son éloquence ; après avoir fait ôter la couronne, dont sa tête était ornée, il fit lui-même la réponse suivante : « Sans doute il n’est pas d’usage, il est même inoui, que les Monarques se commettent du haut de leur Trône, avec les Ambassadeurs ; mais le Roi me fait perdre patience par son obstination : il lui est expliqué et prouvé que je suis, non seulement Prince, Hospodar, et Tsar, mais Grand-Empereur de mes États incommensurables. Ce titre me vient de Dieu, et n’est point un vain mot, comme ceux des autres Rois ; ni ceux d’Assyrie, de Médie, ni même les Césars de Rome n’y avaient un droit plus réel que moi ! Puis-je me contenter du titre de Prince et de Hospodar, lorsque je suis servi, non seulement par des Hospodars et des Princes, mais même par des Tsars ? Je ne vois personne qui puisse m’être comparé dans les contrées Occidentales ; je n’ai au-dessus de moi que Dieu seul ; tous les Monarques de l’Europe, ne m’appellent-ils pas Empereur… ? Pourquoi Sigismond ne veut-il pas faire de même… ? Je te le demande à toi, seigneur Olesnitzky : pourrais-tu recevoir une lettre à ton adresse, si ta qualité de noble n’y était point énoncée ? Sigismond avait en moi un ami, un frère, comme la République polonaise n’en avait pas encore eu, et maintenant je vois en lui un malveillant à mon égard ».

S’excusant, de son peu d’éloquence par la difficulté de parler sans y avoir été préparé, et de sa hardiesse par les habitudes d’un homme libre, Olesnitzky reprocha avec chaleur et dureté au faux Dmitri, son ingratitude, l’oubli des faveurs du Roi, et le peu de raison qu’il avait d’exiger un nouveau titre, auquel il n’avait aucun droit. Montrant les Boyards, il les prit à témoins que les Souverains de la Russie n’avaient jamais songé à prendre le titre de Cesar ; et il finit en abandonnant l’Imposteur au jugement de Dieu, pour le sang qui allait être versé, par suite de son ambition démesurée. L’Imposteur répliqua ; mais il finit par s’adoucir, et offrit, à Olesnitzky, de baiser sa main, non à titre d’ambassadeur, mais à celui d’ancienne et bonne connaissance. Olesnitzky irrité, lui répondit : « Ou je suis Ambassadeur ; ou je ne puis baiser ta main ». Et par cette fermeté, il obligea le faux Dmitri à céder : « Car, dit Vlassieff, le Tsar se préparant aux réjouissances de son mariage, est disposé à des sentimens de complaisance et de paix » !

On accepta la lettre de Sigismond ; on désigna des places aux Ambassadeurs, et le faux Dmitri demanda des nouvelles du Roi, mais en restant assis ; Olesnitzky exigea qu’en faisant cette question, le Tsar se levât, par considération pour son maître, et l’Imposteur le satisfit. En un mot, il se couvrit d’humiliation et de honte aux yeux de la Cour, par cette scène indécente, qui irrita également les Polonais et les Russes.

Après avoir congédié avec honneur, les envoyés de Sigismond, Otrépieff ordonna au diak Gramotine, de leur dire qu’ils pouvaient vivre comme ils l’entendaient, sans être observés ni gênés en rien ; voir et entretenir ceux qui leur conviendraient ; que les usages étaient changés en Russie, et que les douceurs de la liberté avaient remplacé la méfiance de la tyrannie. Il lui recommanda d’ajouter que l’hospitalière Moscou se réjouissait en voyant, pour la première fois, une si grande quantité de Polonais, et que le Tsar était prêt à étonner l’Europe et l’Asie, par son dévoûment envers Sigismond, si ce dernier le faisait saluer Empereur, en reconnaissance du titre de roi de Suède, que Boris lui avait enlevé, et que lui, Dmitri, lui rendrait. On ne voulut s’occuper de l’alliance entre les deux États, qu’après le mariage ; le faux Dmitri n’avait pas le loisir de songer aux affaires, ne pensant qu’à sa future et à ses hôtes.

Présens. On se réjouissait au Couvent, et on donnait des festins au palais. Dmitri faisait journellement des cadeaux à sa fiancée et à ses parens ; il achetait les plus belles marchandises aux étrangers qui arrivaient en foule à Moscou, de Lithuanie, d’Italie et d’Allemagne. Deux jours avant le mariage on apporta à Marine une cassette remplie de bijoux, du prix de cinquante mille roubles (339), et on donna encore à Mnichek, cent mille florins pour le paiement du restant de ses dettes, en sorte que la Couronne dépensa à cette époque, pour les seuls présens, huit cent mille roubles, quatre millions de roubles d’argent actuels (340), outre des millions dépensés, tant pour les frais de voyage, que pour les festins donnés à Marine et à ses proches. Par de telles prodigalités, par ce luxe effréné, le faux Dmitri voulait effacer la magnificence polonaise : car le Voïévode de Sendomir, et les autres Polonais de distinction, n’épargnaient rien pour l’éclat extérieur ; ils avaient de belles voitures et des chevaux magnifiques ; habillaient leurs domestiques en velours, et se préparaient à vivre avec somptuosité à Moscou, où Mnichek (341) avait transporté avec lui trente tonneaux du seul vin de Hongrie. Mais le luxe même des étrangers, irritait encore le peuple ; les Moscovites croyaient qu’il n’était que le fruit de la dilapidation du trésor des Tsars (342) ; qui, rassemblé par les soins, les calculs et les peines de nos Souverains, passait entre les mains des ennemis irréconciliables de la Russie.

Fiançailles et noce. Le 7 mai, au milieu de la nuit, la fiancée quitta le Couvent et se rendit au palais, à la clarté de deux cents flambeaux, sur un char environné des gardes du corps et d’enfans Boyards ; c’est là, que le lendemain matin se firent les fiançailles, d’après le rite de notre Église et l’antique usage. Mais au mépris de ce rite et de cet usage, ce même jour, veille d’un vendredi, le mariage fut célébré : l’Imposteur ne voulant pas sacrifier un seul jour de son bonheur, à ce qu’il prétendait n’être qu’un préjugé populaire. Marine fut conduite, pour les fiançailles, dans la salle des festins, par la princesse Mstislafsky et le Voïévode de Sendomir. Il n’y eut que les plus proches parens de Mnichek, et les Dignitaires chargés de quelques fonctions à la noce, qui y assistèrent ; le Tissetsky, prince Vassili-Schouisky son frère, les garçons-d’honneur, Grégoire Nagoï, et un très-petit nombre de Boyards. Marine, couverte de diamans, de saphirs et de perles, était en habit russe de velours rouge, à manches larges ; elle portait des bottines de maroquin ; une couronne brillait sur sa tête. L’Imposteur portait également un habit russe ; il était couvert de diamans et de pierres précieuses.

L’Archi-prêtre de l’église de l’Assomption, confesseur du Tsar, récita les prières. Les Garçon-d’Honneur coupèrent en morceaux, des gâteaux faits avec du fromage, et distribuèrent des mouchoirs brodés. De là, on se rendit à la salle crénelée, où se trouvaient réunis les Boyards, les dignitaires de la cour, ainsi que les Polonais de distinction, et les Ambassadeurs de Sigismond. Là, les Russes virent une innovation importante ; deux trônes, l’un pour l’Imposteur, l’autre pour Marine, à qui Vassili-Schouisky adressa ces paroles : « Illustrissime grande souveraine, Césarine Marie Iourievna, par la volonté de Dieu et celle de l’invincible Autocrate, César et Grand-Duc de toute la Russie, tu es choisie pour être son épouse ; monte donc sur ton trône impérial, et règne sur nous conjointement avec notre souverain (343) ». Elle s’assit. Michel Nagoï, Grand de l’État, tenait, devant elle, la couronne de Monomaque et le diadême ; on les fit baiser à Marine, et le confesseur du Tsar les porta à l’église de l’Assomption, déjà préparée pour l’auguste cérémonie, et où, en passant sur des velours et des draps étendus, le fiancé fut conduit par le Voïévode de Sendomir, et Marine par la princesse Mstislafsky. En avant, et entre des rangs de gardes du corps et de streletz, marchaient les Dignitaires, les Polonais de distinction, les Fonctionnaires de la noce ; le prince Vassili-Galitzin portant le sceptre, et Basmanoff la pomme d’or ; derrière, suivaient les Boyards, les membres du Conseil, les Nobles et les Diaks. Le peuple se pressait en foule. Arrivée à l’église, Marine baisa les saintes Images ; et alors commença une cérémonie religieuse, qui, jusqu’alors, n’avait point eu d’exemple en Russie. On fit le couronnement de la fiancée du Tsar ; cérémonie par laquelle le faux Dmitri, en satisfaisant l’amour-propre de Marine, voulait l’élever aux yeux des Russes, et peut-être lui assurer des droits au trône, s’il venait à mourir sans laisser d’héritier.

Au milieu de l’église, sur une estrade élevée, étaient assis les deux fiancés et le Patriarche. Le Tsar, sur un trône d’or, envoyé de la Perse (344), et Marine, sur un trône d’argent. Le faux Dmitri prononça un discours auquel le Patriarche répondit : et, récitant ensuite une prière, il imposa la Sainte-Croix, le diadême et la couronne sur Marine, à qui les femmes qui l’assistaient, avaient ôté sa coiffure et la couronne de fiancée. Les chœurs entonnèrent l’hymen, In plurimos annos, pour le Souverain et pour la Souveraine ; et pendant la Messe, le Patriarche la décora de la chaîne de Monomaque, la sacra et lui donna la Communion. C’est ainsi que la fille de Mnichek fut souveraine couronnée, avant même d’être épouse du Tsar ; il ne lui manquait que d’avoir reçu la pomme d’or et le sceptre. Le Clergé et les Boyards baisèrent sa main, en prêtant serment de fidélité (345).

À la fin de la lithurgie, on fit sortir de l’église tous les assistans, à l’exception des plus illustres ; et l’Archi-prêtre de l’Annonciation, maria le faux Dmitri avec Marine. Cette cérémonie achevée, ils sortirent de l’église, se tenant par la main, et tous deux la couronne sur la tête ; Marine s’appuyait sur le prince Vassili-Schouisky ; ils furent salués par le bruit des trompettes et des timballes, des canons et des cloches (346) : mais les acclamations du peuple étaient sourdes et inarticulées. Le prince Mstislafsky, sur le seuil de la porte du Temple, versa, sur les nouveaux mariés, des pièces d’argent qu’il tenait dans un riche vase, et il jeta ensuite à la foule des citoyens, les ducats et les médailles qui y restaient, et qui portaient pour effigie une aigle à deux têtes. Le Voïévode de Sendomir et un petit nombre de Boyards dînèrent avec le faux Dmitri, dans la salle des festins : mais ils n’y restèrent pas long-temps ; ils se levèrent pour l’accompagner jusqu’à la chambre à coucher, et Mnichek et le prince Vassili-Schouisky, jusqu’au lit nuptial (347). Le silence régna bientôt dans le palais ; Moscou paraissait tranquille ; les Polonais seuls, se livraient aux réjouissances, dans l’attente des festins de noce, de nouveaux présens et de nouveaux honneurs. Cependant les affidés de Schouisky ne s’abandonnaient ni aux plaisirs, ni au sommeil ; le temps d’agir approchait.

Nouvelles causes de mécontentement. Ce jour de joie pour l’Imposteur et de triomphe pour Marine, augmenta encore le mécontentement de la nation. Malgré tous les actes inconsidérés du Moine défroqué, les Moscovites étaient persuadés qu’il n’oserait pas donner le titre de Tsarine de Russie, à une femme d’une religion différente, et que Marine adopterait la nôtre : on se flatta de cet espoir jusqu’au dernier moment. Mais on la vit décorée du diadême, de la couronne nuptiale et on ne l’entendit point abjurer l’Église latine, quoiqu’elle eût baisé nos saintes Images, reçu la Communion des mains de notre Patriarche, et qu’elle eût été sacrée et solennellement proclamée Tsarine orthodoxe. Cet acte ostensible de supercherie parut au peuple un nouveau sacrilège, ainsi que le couronnement d’une Polonaise élevée à une grandeur inouie et à laquelle n’avaient osé prétendre les Tsarines véritablement orthodoxes et vertueuses, Anasthasie, Irène et Marie Godounoff (348). La couronne de Monomaque sur la tête d’une étrangère, d’une race détestée par les Russes, criait vengeance à leurs cœurs ulcérés de cette profanation.

Tel était l’esprit du peuple ou les idées que lui inspiraient des meneurs encore invisibles, dans ces jours menaçans par l’avenir qu’ils préparaient. Rien n’échappait à de sévères observateurs. Bien que le Souverain n’eut permis qu’à un petit nombre de Polonais d’assister à son mariage, ils n’en avaient pas moins attiré l’attention générale par l’indécence de leur conduite. On les avait vus rire, plaisanter ou sommeiller pendant la Messe en s’appuyant contre les saintes Images. Les Ambassadeurs de Sigismond avaient absolument voulu être assis ; ils avaient demandé des fauteuils, et n’avaient renoncé qu’avec peine à cette prétention, lorsque le Tsar leur eut fait dire, que lui-même n’était assis sur son trône dans l’église, qu’à cause du couronnement de Marine (349). Observant la manière dont les Boyards servaient le Tsar, et voyant Schouisky et les autres lui présenter, de même qu’à la Tsarine, des tabourets pour mettre sous leurs pieds, les orgueilleux Seigneurs Polonais, exprimaient à haute voix leur étonnement d’une pareille bassesse, et remerciaient Dieu d’habiter une République où le Roi n’osait point exiger des services aussi vils du dernier des hommes libres : ni leurs actions, ni leurs paroles n’échappaient aux Russes, et augmentaient dans leurs cœurs le désir de la vengeance.

Festins. Le lendemain au lever de l’aurore, les tambours et les trompettes, annoncèrent le commencement des fêtes du mariage (350). Cette bruyante musique se prolongea jusqu’à midi. Un festin était préparé au palais pour les Russes et pour les Polonais ; mais le faux Dmitri, qui ne songeait qu’au plaisir, fut vivement contrarié Nouvelle brouille avec les Ambassadeurs Lithuaniens. par une nouvelle querelle avec les Ambassadeurs de Sigismond. Il les avait cordialement invités à dîner ; ils l’en remercièrent avec respect, mais voulurent absolument être assis à la même table que le Tsar, comme Vlassieff l’avait été à celle du Roi. Le faux Dmitri leur envoya Vlassieff lui-même, qui dit à Olesnitzky : « Vous demandez une chose sans exemple ; personne chez nous n’a de place à la table particulière du Tsar. Votre Roi ne m’a traité qu’à légal des Ambassadeurs de l’Empereur et du Pape : donc il n’a rien fait d’extraordinaire ; car notre Monarque n’est au-dessous ni de l’Empereur ni du Souverain de Rome. Le grand Tsar Dmitri n’est-il pas même au-dessus d’eux, puisque le Pape n’est chez vous que ce que nos prêtres sont ici (351) » ?

C’est ainsi que s’exprimait le plus habile homme d’État et le fidèle serviteur du faux Dmitri, qui, dans son âme, n’était point favorable aux Polonais, et désirait peut-être, par cette plaisanterie inconvenante, prouver que son maître n’était point papiste. Olesnitzky supporta l’impertinence, mais résolut de ne point aller au palais. Tous les autres Polonais dînèrent avec l’Imposteur dans la salle crénelée, à l’exception du Voïévode de Sendomir : il approuvait la prétention des Ambassadeurs, et n’ayant pu obtenir de son gendre, qu’il y satisfit, il le conduisit ainsi que Marine jusqu’à la salle du repas, et retourna chez lui avec humeur.

Cette dispute ne nuisit en rien à l’éclat de la fête : les nouveaux mariés dînèrent, assis sur le trône et servis par les Boyards ; derrière eux se trouvaient les gardes du corps, le cimeterre en main. La musique joua pendant tout le repas ; et les Polonais, à l’aspect des monts d’or et d’argent étalés sous leurs yeux, admirèrent ces amas de richesses. Les Russes virent avec indignation, le Tsar vêtu en hussard, et la Tsarine en habit polonais : sous ce costume elle plaisait davantage à son époux, qui, même la veille, avait à peine consenti qu’elle s’habillât à la russe, pour la cérémonie du couronnement (352). Le soir, les parens de Mnichek se divertirent dans les appartemens particuliers du Tsar ; et le lendemain, 10 mai, le faux Dmitri reçut les présens du Patriarche, du Clergé, des Grands, de tous les hommes de distinction et de tous les marchands étrangers ; il leur donna un nouveau banquet dans la salle crénelée, où il se tint assis en face des étrangers, et tournant le dos aux Russes (353). Cent cinquante soldats Polonais d’élite, dînèrent dans la salle dorée ; des gentilhommes du Conseil, firent les honneurs du repas ; et le faux Dmitri, ayant rempli une coupe de vin, la but jusqu’au fond, en souhaitant, à haute voix, de glorieux succès aux armes polonaises (354). Enfin, le 11 mai, les Ambassadeurs de Sigismond dînèrent aussi au palais, avec le Voïévode de Sendomir, consiliateur zélé, qui, après avoir engagé son gendre à donner à Olesnitzky, la première place auprès de sa table, détermina également ce seigneur à ne rien exiger de plus, et à ne point sacrifier les avantages d’une alliance avec la Russie, à une vaine étiquette. Le faux Dmitri pensa presque renouveler la contestation, en disant à Olesnitzky : « Je n’ai point invité le Roi à ma noce, ce n’est donc point en sa qualité que tu es ici ; mais uniquement comme Ambassadeur ». Mais Mnichek, par de sages représentations, arrêta son gendre, et tout se termina à l’amiable.

Ce troisième repas parut encore plus magnifique que les précédens. Le Tsar et la Tsarine avaient la couronne sur la tête, et étaient revêtus de riches habits polonais ; ce jour là, il y eut aussi des femmes admises au palais ; les princesses Mstislafsky et Schouisky (355), et les parentes du Voïévode de Sendomir : celui-ci, oubliant sa vieillesse et sa qualité de père, ne voulut point s’asseoir ; son bonnet à la main, il se tint debout derrière la Tsarine, et la servit comme un sujet. Cette action causa un étonnement général (356).

Le faux Dmitri porta la santé du Roi ; on but beaucoup, surtout les hôtes étrangers, qui ne cessaient de vanter les vins du Tsar, mais en se plaignant toutefois des mêts russes qu’ils ne trouvaient point savoureux. Après dîner, les Dignitaires qui devaient se rendre auprès du Schah de Perse, prirent congé du Tsar, en baisant sa main et celle de Marine. Le 12 mai, la Tsarine dans ses appartemens, donna un festin aux Polonais, et n’y invita que deux Russes, Vlassieff et le prince Vassili-Massalsky. Tout y fut servi à la manière polonaise, et les Seigneurs, témoignant la plus vive satisfaction, disaient : « Nous faisons un repas, non à Moscou ni chez le Tsar, mais à Varsovie ou à Cracovie, chez notre Roi (357) ». Après le dîner, on chanta et on dansa jusqu’à la nuit. Le faux Dmitri, en habit de hussard, dansa avec sa femme et son beau-père. La Tsarine voulut aussi témoigner sa bienveillance à ses nouveaux sujets ; les Boyards et les Dignitaires dînèrent chez elle le surlendemain, 14 mai. Ce jour là, elle parut être entièrement russe, observant fidèlement tous nos usages, et cherchant à plaire à chacun, par son affabilité et ses manières gracieuses ; mais cette affabilité ne touchait plus des cœurs endurcis ! Pendant ces jours de fête, la musique ne cessait de retentir dans la Capitale : les tambours, les trompettes et les timbales, étourdissaient les habitans du matin au soir (358). Chaque jour aussi le canon tirait en signe de réjouissance ; la poudre n’était point épargnée ; et, dans cinq ou six jours, on en usa plus que durant la guerre de Godounoff, contre l’Imposteur. De leur côté les Polonais, ivres la plupart du temps, s’amusaient la nuit et le jour, à tirer des coups de fusil, dans leurs maisons et dans les rues.

Discussions sur les affaires d’État. Fatigué de fêtes, Otrépieff voulut s’occuper d’affaires ; le 15 mai, à une heure après midi, les Ambassadeurs de Sigismond le trouvèrent dans le nouveau palais, assis dans un fauteuil, revêtu d’un magnifique habit bleu, sans couronne, la tête couverte d’un bonnet élevé, le sceptre à la main, et entouré des Seigneurs de sa Cour (359). Il ordonna aux Ambassadeurs d’aller trouver les Boyards dans un autre appartement, pour leur expliquer les propositions de Sigismond : ils eurent une conférence avec le prince Dmitri-Schouisky, Tatistcheff, Vlassieff et le Diak du Conseil, Gramotin. Olesnitzky, dans un long discours, prouva, par l’ancien et le nouveau Testament, l’obligation des Monarques chrétiens de vivre unis et de s’opposer aux Infidèles ; il déplora la chute de Constantinople, et les malheurs de Jérusalem ; loua le généreux projet du Tsar, de les délivrer d’un joug funeste, et conclut en disant que Sigismond, enflammé du désir de partager avec son frère Dmitri, la gloire d’une telle entreprise, voulait savoir, quand et avec qu’elles forces, il comptait marcher contre le Sultan. Tatistcheff lui répondit : « Le Roi désire connaître les intentions de notre Souverain ; nous le croyons sans peine ; mais nous doutons qu’il veuille réellement aider l’invincible César, dans la guerre contre les Turcs ; et le désir de tout apprendre, avec l’intention de ne rien faire, n’est à nos yeux qu’une ruse nouvelle ». Les Ambassadeurs étonnés de la hardiesse de Tatistcheff, qui ne parlait avec si peu de ménagement, que parce qu’il savait que les circonstances devaient bientôt changer, prirent Vlassieff à témoin, que ce n’était point Sigismond qui avait proposé à Dmitri, mais au contraire celui-ci à Sigismond, de faire la guerre à la Porte ; et que, par conséquent, c’était à lui à déclarer ses intentions sur les moyens de succès. Les Dignitaires Russes quittèrent alors les Ambassadeurs, se rendirent auprès du faux Dmitri, et, en revenant, ils leur dirent : « César lui-même vous parlera en présence des Boyards ». Ils retournèrent chez eux ; mais déjà le prétendu César ne pouvait leur tenir parole !

Réjouissances projetées. Le faux Dmitri préparait encore de nouvelles réjouissances ; il ordonna de construire, hors de la ville, du côté de la porte de la Stretenka, une forteresse en bois, avec un rempart, et d’y conduire, du Kremlin, une quantité de canons, afin de donner, le 18 mai, aux Polonais et aux Russes, le spectacle curieux d’un assaut, sinon meurtrier, du moins très-bruyant, et qui devait se terminer par un festin général. Marine préparait également un nouveau divertissement au Tsar et aux personnes de la Cour, dans les appartemens intérieurs du palais ; elle voulait y donner un bal et y paraître masquée, ainsi que ses Polonaises (360) ; mais les Russes n’attendirent ni l’une, ni l’autre de ces réjouissances.

Si l’intention de Schouisky, en remettant l’exécution du complot après la célébration du mariage d’Otrépieff, fut de lui donner le temps d’irriter encore davantage les cœurs par ses inconséquences ; cette prévoyance lui réussit complètement : de nouveaux scandales pour l’Église, la cour et la Nation, augmentèrent la haine et le mépris qu’on portait au faux Dmitri : Impudence des Polonais. l’impudence des Polonais y mit le comble : il leur avait dû son bonheur, ce fut à eux qu’il dût sa chûte ! Ces hôtes et ces amis de l’Imposteur servaient à merveille le rusé Schouisky, en poussant à bout la patience des Russes, si peu considérés par eux, comme nous l’avons vu, que Mnichek offrait indiscrètement sa protection aux Boyards, et que l’Ambassadeur du Roi avait osé dire publiquement que le Tsar n’était que la créature de Sigismond. Aux repas de noce et dans le palais, les Polonais, échauffés par le vin, avaient accusé nos Voïévodes, de lâcheté et de bassesses, disant par jactance : « C’est nous qui vous avons donné un Tsar ». Les Russes, quelqu’humiliés, quelque coupables qu’ils fussent envers la Patrie et la vertu, conservaient encore de l’orgueil national ; ils frémissaient de rage à ces insolens propos ; mais ils se contraignaient, en se disant à l’oreille : « L’heure de la vengeance n’est pas éloignée ».

Ce n’était point assez de ces outrages : les soldats Polonais, et même les dignitaires Lithuaniens ivres, en sortant du palais, sabraient les Moscovites dans la ville, déshonoraient les femmes et les filles, même celles des Boyards, les insultant dans les rues, ou forçant les portes de leurs maisons (361). Les maris et les mères gémissaient, et demandaient justice à grands cris. On voulut supplicier un Polonais criminel, mais ses camarades, au mépris de la loi, le délivrèrent en massacrant le bourreau (362).

Telle était la situation de la Russie ; et l’iniquité s’éleva contre l’iniquité ! Nous avons vu avec étonnement le facile triomphe de l’Imposteur ; nous ne serons pas moins surpris de la rapidité de sa chute. Tandis que, dans une entière insouciance, il se livrait, avec ses Polonais, à toutes sortes de divertissemens, que le plaisir et les vapeurs du vin faisaient tourner toutes les têtes, Schouisky jugea l’instant favorable, et prit tout à coup la résolution d’agir.

Conseil tenu pendant la nuit dans la maison de Schouisky. Dans le silence de la nuit, il rassemble chez lui, non seulement ses amis et les conjurés, dont les principaux étaient le prince Vassili-Galitzin et le prince Ivan Kourakin, mais encore beaucoup d’étrangers, de gentilshommes du Tsar, de militaires, de fonctionnaires civils (363), qui n’étaient point du complot, mais qui en secondaient l’exécution par la secrète disposition de leur âme. Schouisky leur découvre hardiment ses projets : il leur dit que la Religion et la Patrie allaient périr par le faux Dmitri ; il excuse l’égarement des Russes et de ceux mêmes qui, connaissant la vérité, avaient accepté l’Imposteur comme seul moyen de renverser les odieux Godounoff, et dans l’espoir que ce jeune Aventurier, quoique moine défroqué, deviendrait un bon Souverain (364) : « L’illusion fut bientôt dissipée, continua-t-il, et vous savez qui fut le premier à le démasquer : mais ma tête toucha le billot ; et le scélérat était en paix sur le trône ! Moscou, cependant demeura tranquille » ! Schouisky trouva aussi des excuses à cette inaction, en ce qu’un grand nombre de citoyens n’avaient point encore à cette époque la conviction de l’imposture et de la scélératesse du faux Dmitri.

Après avoir présenté tous les témoignages et toutes les preuves de sa fraude ; toutes ses actions infâmes, sa trahison envers la religion, l’État et nos usages ; ses mœurs dissolues, la profanation des Temples (365) et des saintes retraites, la dilapidation de l’antique trésor des Tsars, son mariage illégal, et la couronne de Monomaque, placée sur la tête d’une Polonaise, non baptisée ; il rappela la consternation de Moscou, devenue, pour ainsi-dire, la conquête des Polonais, leur insolence et leurs outrages ; et demanda enfin, si les Russes comptaient sans agir, attendre, leur perte inévitable ; s’ils voulaient voir des églises latines à la place de celles de la vraie orthodoxie ; la frontière de la Lithuanie aux portes de Moscou, et, dans ses murs même, la cruelle domination des étrangers (366) ? Ou bien, si par un soulèvement unanime, ils consentaient à sauver la Patrie et l’Église, pour lesquelles il était encore prêt, dit-il, à braver mille morts.

Il n’y eut ni différence d’opinion ni silence douteux : ceux qui n’étaient point encore initiés dans le complot, s’y rangèrent à l’instant, et cette assemblée nombreuse n’eut qu’un sentiment, un espoir, un unique vœu, la mort de l’Imposteur et celle des Polonais ; sans s’effrayer ni du parjure, ni de l’anarchie. Schouisky et ses amis, maîtres des esprits, prenaient hardiment sur eux, au nom de la patrie, de la religion et du clergé, tous les scrupules de conscience, et promettaient avec la même assurance à la Russie un meilleur Souverain. On convint des principales mesures. Les Centeniers répondirent du peuple ; les Officiers, des soldats et les Seigneurs de leurs serviteurs dévoués. Les Schouisky puissamment riches, avaient quelques milliers d’hommes sûrs (367) qu’ils avaient fait venir de leurs terres à Moscou, sous prétexte de leur faire voir la magnificence d’une noce de Tsar. On fixa le jour et l’heure, on s’occupa des préparatifs, et quoiqu’il n’y eut point de dénonciations directes, car les délateurs avaient à craindre de devenir victimes de la fureur populaire, cependant quelle discrétion pouvait cacher le mouvement d’un complot, dont les conjurés étaient si nombreux ?

Discours hardis prononcés sur la place. Le 12 mai, on disait publiquement sur les places que le prétendu Dmitri était un Tsar souillé, qu’il manquait de piété, de respect pour les saintes Images ; qu’il se nourrissait de mêts impurs ; et que depuis son mariage, ni lui, ni sa femme aussi impure que lui, ne s’étaient conformés à l’usage général en Russie, qui était de se laver avant que d’aller à l’église et de faire usage des bains ; qu’il n’était sans doute qu’un hérétique, et non du noble sang des Tsars (368).

Les gardes-du-corps du faux Dmitri, arrêtèrent un de ceux qui répandaient ces propos et l’amenèrent au palais. L’Imposteur ordonna aux Boyards de l’interroger ; mais ceux-ci prétendirent que cet homme était ivre, qu’il ne savait ce qu’il disait, et que le Tsar ne devait point faire attention à des discours insensés, et écouter les rapports des espions Allemands.

Agitation du peuple. Otrépieff se tranquillisa. Pendant les trois jours qui suivirent, on remarqua un mouvement prononcé dans le peuple. On répandait le bruit que le Tsar, pour sa sécurité, songeait à faire périr les Boyards, les Fonctionnaires les plus distingués et les Bourgeois ; que le 18 mai, au moment de la prétendue petite guerre qui devait avoir lieu hors de Moscou, dans la plaine de la Stretenka, on devait tous les mitrailler (369), et que la capitale de la Russie deviendrait la proie des Polonais auxquels l’Imposteur donnerait, non seulement toutes les maisons des Boyards, des Nobles et des Marchands, mais même les couvens après en avoir chassé les Moines et les avoir mariés aux Religieuses. Les Moscovites ajoutaient foi à tous ces bruits ; ils se pressaient le jour et la nuit dans les rues, se consultaient et ne permettaient pas aux étrangers de les écouter ; s’ils voulaient s’approcher, ils les chassaient comme des espions, en les menaçant de la voix et du geste. Il y eut des rixes : le peuple ne voulant plus souffrir l’insolence des étrangers, maltraita les gens du prince Vichnévetsky, et fut sur le point d’assaillir sa maison, témoignant une haine particulière contre ce Seigneur, le plus ancien ami du faux Dmitri (370). Les Allemands informaient les Polonais et le Tsar de tout ce qui se passait ; il en était également prévenu par Basmanoff.

Sécurité du faux Dmitri. Mais l’Imposteur voulait avant tout paraître inébranlable sur le Trône, aux yeux des Polonais ; il affectait de rire et de plaisanter, et il dit au Voïévode de Sendomir, effrayé : « Que vous êtes poltrons, vous autres Polonais » ! Et aux Ambassadeurs de Sigismond : « Je tiens entre mes mains Moscou et l’Empire, et rien ne peut bouger sans ma volonté » ! Dans la nuit du 15 au 16 mai, on arrêta dans le Kremlin six hommes suspects. On les mit à la question, comme des espions ; mais on n’apprit rien, et le faux Dmitri ne crut point nécessaire de renforcer les gardes du palais, qui étaient ordinairement composées de cinquante gardes du corps (371) ; il ordonna seulement aux autres de se tenir dans leurs quartiers, prêts à tout événement. Il fit placer des streletz dans les rues, pour protéger les Polonais, et pour rassurer son beau-père et Marine, qui l’importunaient de leurs craintes. Le 16 mai, les étrangers ne purent plus acheter au Bazar, ni une livre de poudre ni aucune arme (372) ; toutes les boutiques étaient fermées pour eux. Pendant la nuit qui précéda le jour décisif, Trahison de l’Armée. près de dix-huit mille soldats, campés à six verstes de la ville, et qui devaient aller à Életz, s’introduisirent furtivement à Moscou, par différens côtés, et se joignirent aux conjurés (373). Déjà les cohortes de Schouisky s’étaient emparé pendant cette nuit de douze portes de Moscou, ne permettant à personne, ni d’entrer ni de sortir de la Capitale, que le faux Dmitri, qui l’ignorait encore, s’amusait à entendre de la musique dans ses appartemens (374).

Dernière nuit de l’Imposteur. Les Polonais même, quoiqu’ils ne fussent point sans craintes, dormaient paisiblement dans les maisons déjà signalées par une vengeance sanglante ; car les Russes y avaient secrètement mis des marques, afin de les reconnaître. Plusieurs seigneurs Polonais avaient leur propre garde ; d’autres, se fiaient à celle du Tsar ; mais les streletz, leurs gardiens, étaient eux-mêmes du complot, ou ne songeaient point à verser le sang russe, pour sauver des étrangers détestés. La nuit se passa sans sommeil pour la plupart des Moscovites (375), car les Fonctionnaires de la ville allaient de maison en maison, donnant l’ordre secret à tous les habitans d’être prêts à défendre l’Église et l’Empire, de s’armer et d’attendre le tocsin. Une partie d’entr’eux savait ce qui devait se passer, et ceux qui l’ignoraient, persuadés, comme on le leur avait dit, qu’il s’agissait d’une grande et sainte entreprise, s’armaient de tout ce qu’ils trouvaient sous la main. Mais ce qui agissait peut-être avec plus de force sur le peuple, c’était sa haine contre les Polonais ; il était encore animé, et par la honte d’avoir pour Tsar un aventurier, et par la crainte de devenir victime de son extravagance, et enfin par l’appât même que la révolte offre toujours aux passions déchaînées.

Soulèvement de Moscou. Le 17 mai (376), par une des plus belles matinées du printemps, le Soleil, en se levant, trouva la Capitale en pleine révolte. La cloche de l’église de Saint-Elie, près des boutiques, se fit entendre, et au même instant le tocsin sonna dans toute la ville ; à ce signal, les habitans, les enfans Boyards, les streletz, les Employés, les Marchands et le peuple, se précipitèrent de leurs maisons, vers la grande place, armés de piques, de glaives et d’arquebuses. Là, près de l’endroit des exécutions, se trouvaient les Boyards à cheval, environnés d’une foule de Princes et de Voiévodes, le casque en tête, et complètement armés (377) ; ils représentaient la Patrie, et attendaient le peuple. Une foule innombrable se joignit à eux, et la porte de Spasky fut ouverte. Le prince Vassili Schouisky, le crucifix dans une main et le glaive dans l’autre, entra dans le Kremlin, descendit de cheval, se prosterna dans l’église de l’Assomption devant l’image de la Sainte-Vierge de Vladimir, et en s’écriant : « Au nom de l’Éternel, marchez contre l’odieux hérétique », il leur désigna le palais, vers lequel la foule en tumulte se précipitait déjà avec des cris menaçans, mais où régnait encore un silence profond !

Réveillé par le son du tocsin (378) le faux Dmitri quitte son lit, s’habille à la hâte et demande le motif de cette allarme. On lui répond que, probablement un incendie a éclaté dans Moscou ; mais il entend les cris féroces du peuple et aperçoit de sa fenêtre une forêt de piques et l’éclat des glaives ; il appelle Basmanoff qui couchait au palais, et lui ordonne de s’informer du sujet de l’émeute. Ce Boyard d’un caractère résolu, avait été traître, mais il ne pouvait l’être qu’une fois. Après avoir trahi son Souverain légitime, il eut rougi de trahir l’Imposteur ; et puisqu’il n’avait pu le rendre plus sage et le sauver, il ne voulait pas du moins l’abandonner dans le danger.

Basmanoff rencontra la foule déjà dans le vestibule : « Où allez-vous, leur dit-il » ? Plusieurs voix lui crièrent : « Mène-nous près de l’Imposteur, livre-nous ton vagabond ». Basmanoff rentra avec précipitation, ferma la porte derrière lui, ordonnant aux gardes-du-corps de ne point laisser entrer les rebelles et courant désespéré auprès du Tsar, il lui dit : « Tu n’as pas voulu me croire, tout est fini : Moscou s’est soulevée, on demande ta tête ; sauve-toi ». À peine a-t-il achevé ces mots qu’un gentilhomme sans armes, qui, sur ses pas, s’était introduit dans les appartemens, se présente et exige que le prétendu fils d’Ivan, paraisse devant le peuple, pour lui rendre compte de ses iniquités (379). Basmanoff d’un coup de sabre lui fend la tête. Le faux Dmitri lui-même s’empare de la hallebarde d’un de ses gardes-du-corps nommé Schvartzhoff, ouvre la porte du vestibule, et d’un air intrépide, menaçant le peuple, il lui crie : « Je ne suis point un Godounoff pour vous ». On lui répond par une décharge de mousqueterie, et les Allemands referment la porte : ils n’étaient que cinquante, et il n’y avait dans les appartemens intérieurs du palais que vingt ou trente Polonais domestiques et musiciens, (380) seuls défenseurs, dans cette heure menaçante, de celui qui, la veille, commandait à des millions d’hommes ! Mais il lui restait encore un ami : ne pouvant opposer la force à la force, au moment où le peuple enfonçait la porte, Basmanoff se présente une seconde fois aux révoltés ; il aperçoit les Boyards au milieu de la foule, et parmi eux ceux qui jusque là, s’étaient montrés les partisans les plus dévoués du faux Dmitri, les princes Galitzin Michel Soltikoff et d’autres traîtres. Il essaye de les ramener ; leur représente les horreurs de la révolte, de la trahison et de l’anarchie. Il les conjure de renoncer à leur criminelle entreprise, en leur répondant de la clémence du Tsar ; mais on ne lui laisse pas le temps de poursuivre ; Michel Tatistcheff, sauvé par lui de l’exil, s’écrie : « Scélérat, va aux enfers avec ton Tsar » (381) ; Mort de Basmanoff. et il lui enfonce son glaive dans le cœur. Basmanoff tombe expirant, et son corps est jeté à bas de l’escalier… Sort tout à la fois digne d’un traître, zélé serviteur du crime, et déplorable pour un homme qui aurait pu, et n’avait point voulu être l’honneur de la Russie.

Le peuple s’était déjà précipité dans le palais, il avait désarmé les gardes-du-corps et cherchait partout l’Imposteur sans pouvoir le trouver. Jusque là hardi et intrépide, le faux Dmitri tout-à-coup saisi de terreur, avait jeté son épée, courait de chambre en chambre, s’arrachait les cheveux ; et ne voyant point d’autres moyens de salut, il sauta par la fenêtre dans une cour intérieure (382) ; se foula un pied, se fracassa la poitrine et la tête, et resta étendu baigné dans son sang. Les streletz qui montaient la garde dans cet endroit, et qui n’étaient point du complot, le reconnurent ; ils le relevèrent, et après l’avoir porté sur les décombres du palais démoli de Godounoff, ils lui jetèrent de l’eau sur le visage et lui témoignèrent de la pitié (383). L’Imposteur arrosant de son sang les ruines du palais de Boris, (naguère séjour du bonheur, qui avait de même trahi son favori), reprit connaissance ; il conjura les streletz de lui rester fidèles et leur promit, des richesses et des honneurs. Déjà une foule considérable s’était rassemblée autour d’eux, voulant s’emparer d’Otrépieff ; mais les streletz ne consentirent point à le livrer, et exigèrent le témoignage de la Tsarine religieuse disant : « S’il est son fils, nous mourrons pour lui ; mais si la Tsarine dit qu’il est un faux Dmitri, alors nous l’abandonnerons à la volonté de Dieu (384) ».

Témoignage de la Tsarine religieuse. Cette condition fut acceptée. La mère prétendue de l’Imposteur, amenée de sa cellule, par les Boyards, déclara solennellement au peuple, que le véritable Dmitri était mort dans ses bras à Ouglitche et que, comme une femme faible, elle avait été entraînée au péché du mensonge par l’effet des menaces et de la flatterie ; qu’elle avait nommé son fils un homme qu’elle ne connaissait pas ; qu’elle s’en était repentie, que la crainte lui avait fermé la bouche, mais qu’en secret, elle avait découvert la vérité à plusieurs personnes. On fit venir également ses parens les Nagoï ; ils firent la même déclaration et se joignirent à elle pour demander pardon à Dieu et à la Russie. Afin de convaincre encore davantage le peuple, Marpha lui montra le portrait du jeune Dmitri qu’elle avait conservé, et qui n’avait aucune ressemblance avec les traits de l’Imposteur.

Alors les streletz livrèrent le faux Dmitri, et les Boyards ordonnèrent de le transporter au palais, où il aperçut ses gardes-du-corps qui étaient arrêtés ; il pleura et étendit sa main vers eux comme pour les remercier de leur fidélité. Un de ces Allemands, gentilhomme Livonien nommé Furstemberg, voulut percer la foule pour s’approcher de l’Imposteur ; il fut à l’instant victime de la fureur des Russes : on le massacra. Ils voulaient en faire autant des autres, mais les Boyards s’opposèrent à ce qu’on fit aucun mal à ces braves serviteurs. Jugement, interrogatoire et exécution du faux Dmitri. Aussitôt, dans une chambre remplie de gens armés, on interrogea le faux Dmitri, couvert d’un vêtement misérable, car le peuple l’avait déjà dépouillé de ses habits royaux. Le tumulte et les cris empêchaient de rien entendre.

Cependant on assure que lorsqu’on demanda à l’Imposteur « qui es-tu, scélérat » ? Il répondit : « Vous le savez, je suis Dmitri » ; et il s’en rapporta à la Tsarine religieuse. On entendit aussi que le prince Ivan-Galitzin (385) lui répliqua : « Son témoignage nous est déjà connu ; elle te livre au supplice ». Le faux Dmitri répondit : « Portez-moi sur la grande place ; là, je déclarerai la vérité à la face de tous ». Dans ce moment, le peuple impatient, enfonça la porte, demandant si le scélérat s’accusait ; on lui répondit que oui, et deux coups de fusil terminèrent l’interrogatoire et la vie d’Otrépieff. Ces meurtriers furent les deux gentilhommes (386), Ivan-Voyéïkoff et Grégoire Valoueff. La foule se précipita sur son corps, le sabra, le larda de coups de lances et le jeta à bas de l’escalier sur le corps de Basmanoff, en s’écriant : « Vous fûtes amis dans ce monde, soyez inséparables même dans les Enfers ». La populace exaspérée, arracha ces cadavres du Kremlin, et les traîna près de la place des exécutions : le corps de l’Imposteur, fut placé sur une table, avec un masque, une flûte et une musette, comme marques de son goût pour les plaisirs et la musique ; et celui de Basmanoff, sur une escabelle aux pieds du faux Dmitri (387).

On épargne Marine. Les Boyards, après avoir atteint leur principal but, la mort du faux Dmitri, voulurent sauver Marine : effrayée par l’allarme et le bruit, n’ayant pas eu le temps de s’habiller, elle demandait ce qui se passait et où était le Tsar ? Lorsqu’elle apprit enfin la mort de son époux, elle perdit la tête, et courut dans le vestibule ; le peuple la rencontra, et, sans la reconnaître, la fit tomber au bas de l’escalier ; Marine se releva et retourna dans ses appartemens, où sa première dame-d’honneur, qui était Polonaise, et les autres dames l’attendaient, et où un serviteur fidèle, nommé Osmoulski, se tenait à la porte, armé d’un cimeterre. Les soldats et les bourgeois enfoncèrent la porte, massacrèrent le gardien, et Marine aurait perdu la vie ou l’honneur, si les Boyards n’étaient arrivés à temps pour chasser ces furieux. Ils mirent les scellés sur tout ce qui appartenait à la Tsarine, et lui donnèrent une sauve-garde (388) ; mais ils ne purent ou ne voulurent pas arrêter le carnage : Il ne faisait que commencer !

Massacres. Dès le premier coup de tocsin, les soldats avaient entouré les maisons des Polonais, et barricadé les rues et les portes. Les Seigneurs Polonais dormaient si profondément, que leurs serviteurs purent à peine les réveiller, même le Voïévode de Sendomir, qui mieux que beaucoup d’autres, avait prévu le danger et en avait averti son gendre : lui, son fils, le prince Vitchnévetski et les Ambassadeurs de Sigismond, devinant la cause et le but de l’émeute, se hâtèrent d’armer leurs gens ; d’autres se cachèrent, et pleins de terreur, attendaient leur sort ; bientôt ils entendirent les cris : « Mort aux Polonais » ! Le peuple, enflammé de fureur, après avoir massacré au Kremlin les musiciens d’Otrépieff (389), pillé la maison des Jésuites, mis en pièces le confesseur de Marine, qui célébrait la messe, se précipita dans le Kitaï et le Bielgorod, où demeuraient les Polonais, et se baigna dans leur sang pendant plusieurs heures, jouissant, avec avidité, d’une vengeance méritée, mais terrible et peu généreuse. La force, sans pitié et sans courage, punissait la faiblesse ; ils étaient cent contre un : ni la défense, ni la fuite, ni les prières les plus touchantes ne servaient de salut. Les Polonais ne pouvaient se réunir ; ils étaient massacrés dans leurs maisons, où on les avait enfermés, ou bien dans les rues barricadées par des chevaux de frise et des piques. Ces infortunés, si arrogans la veille, se jetaient aux pieds des Russes, demandant grâce au nom de Dieu et au nom de leurs femmes et de leurs enfans ; ils offraient tout ce qu’ils possédaient en Russie, et promettaient d’en envoyer encore d’avantage, s’ils rentraient dans leur Patrie. Les Russes demeuraient sourds, et rien n’arrêtait le carnage. Ces malheureux, sabrés, défigurés et à demi-morts, demandaient encore, mais en vain, la conservation du misérable reste de leur existence. Au nombre des plus cruels boureaux, se trouvaient des prêtres et des moines déguisés, qui criaient de toutes parts : « Massacrez les ennemis de notre religion » ! Le sang des Russes se mêlait quelquefois au sang des Polonais ; le désespoir armait ceux qu’on égorgeait, et les Moscovites tombaient avec leurs victimes. Cependant le peuple respecta la demeure des Ambassadeurs de Sigismond ; mais il assaillit les maisons de Mnichek et du prince Vichnévetski : les domestiques de celui-ci se défendirent avec courage, et tirèrent sur la foule, par les fenêtres. Déjà les Russes amenaient des canons pour les renverser, Les Boyards appaisent l’émeute. lorsque les Boyards parurent et ordonnèrent de cesser le massacre. Mstislafsky et les Schouisky allaient à cheval, d’une rue à l’autre, cherchant à retenir et à calmer la fureur du peuple ; ils envoyaient de tous côtés des streletz, pour sauver les Polonais désarmés par la parole d’honneur des Boyards, qui les avaient assurés que leur existence ne courait plus de danger. Le prince Vassili-Schouisky lui-même tranquillisa et sauva Vichnévetski ; d’autres en firent autant pour Mnichek.

Cependant, au nom du Conseil suprême, on déclara aux Ambassadeurs de Sigismond, que le faux Dmitri avait trompé la Lithuanie et la Russie ; mais que s’étant bientôt démasqué par ses actions, il avait été puni par Dieu et par le peuple, dont la fureur, même au milieu du désordre et de l’émeute, avait su respecter le caractère sacré des personnes qui représentaient leur Monarque, et qu’il ne s’était vengé que sur leurs orgueilleux compatriotes qui n’étaient venus en Russie que pour y commettre des crimes. On dit au Voïévode de Sendomir : « Le sort des Empires dépend du Tout-Puissant, et rien ne se fait sans son ordre suprême : en ce jour, la volonté de Dieu s’est accomplie ; le règne d’un vagabond est terminé, et le sceptre a été arraché des mains de l’Usurpateur. Toi, son protecteur et son conseiller, qui nous as amené l’Imposteur pour troubler la paix de la Russie, n’as-tu pas mérité le sort de ce scélérat ? N’as-tu pas mérité un semblable supplice ? Mais bénis ton bonheur, tu existes encore, ta fille est sauvée, il ne vous sera fait aucun mal ; rends en grâces au Ciel ». On lui permit de voir Marine dans le palais, et sans témoin : il n’était pas nécessaire de connaître ce qu’ils pourraient se dire dans leur infortune ! Le Voïévode de Sendomir fut conduit chez Marine, et revint à travers des rangs de glaives et de piques teints du sang de ses compatriotes ; mais les Moscovites le regardaient plutôt avec curiosité qu’avec fureur : la victoire avait calmé leur rage.

L’émeute dura encore quelque temps. Le son du tocsin attirait à Moscou une quantité de gens armés de fourches, qui accouraient des bourgs et des villages environnans ; on pillait les maisons des Lithuaniens, mais sans répandre de sang. Les Boyards ne descendaient point de cheval, et commandaient avec fermeté. Les troupes dispersaient le peuple, protégeant partout les Polonais comme prisonniers. Enfin, à onze heures du matin, tout rentra dans l’ordre. On chercha à calmer le peuple qui, fatigué de carnage, se hâta d’obéir. Les Citoyens, en rentrant dans leurs foyers, racontaient à leurs familles, les événemens extraordinaires de ce jour à jamais mémorable, pour ceux qui furent témoins de tant d’horreur. « Pendant sept heures, écrit un d’entr’eux, nous n’avons entendu d’autre bruit que celui du tocsin, des coups de fusil, le cliquetis des sabres, et ces cris affreux : Massacrez les ennemis ! Et nous n’avons vu que la plus violente agitation, les massacres et les désordres de la révolte (390) ». Le nombre des victimes fut de plus de mille, sans compter les blessés. On épargna la vie des principaux d’entre les Polonais, mais ils furent dépouillés de leurs vêtemens, et restèrent sur la paille. Le peuple, par erreur, tira sur quelques Russes qui avaient adopté l’habit polonais, pour complaire à l’Imposteur. On épargna les Allemands ; on ne pilla que les Marchands d’Augsbourg, de Milan, et autres qui demeuraient dans les mêmes rues que les Polonais (391). Ce jour épouvantable pour l’humanité, l’aurait été bien davantage, au dire des témoins oculaires, si les Polonais avaient pris leurs précautions, et si, après s’être réunis pour un combat désespéré, ils avaient mis le feu à la ville, pour le malheur de Moscou, et le leur propre : car alors aucun d’eux n’aurait échappé à la vengeance des Russes. La négligence des Polonais diminua donc la somme des calamités.

Jusqu’au soir, les Moscovites se réjouirent dans leurs maisons, ou se rassemblèrent tranquillement dans les rues, pour se féliciter mutuellement de ce que la Russie était délivrée de l’Imposteur et des Polonais ; se vantant de leur courage, et sans songer, dit l’Annaliste, « à rendre grâces au Tout-Puissant du succes de leur entreprise : les Temples étaient fermés ». Les Russes, enivrés de leur triomphe présent, ne s’inquiétaient pas de l’avenir.

Silence profond pendant la nuit. Un jour aussi orageux fut suivi de la nuit la plus calme. Il semblait que Moscou fut devenue un désert ; aucune voix humaine ne se faisait entendre, il n’y avait que les étrangers inquiets, qui sortaient de leurs maisons, pour s’étonner de ce silence semblable à celui de la mort, dans une ville aussi populeuse, où, quelques heures auparavant, tout était en proie à la fureur de la révolte. Le sang fumait encore dans les rues ; les cadavres y étaient encore entassés, et le peuple se livrait au repos, comme au milieu de la paix la plus profonde et d’un bonheur non interrompu ; n’ayant point de Tsar, ne connaissant point celui qui devait l’être ; déjà entaché d’une double trahison, il menaçait de trahir encore le Monarque futur !

Intrigues de l’ambition. Mais au milieu de ce calme, l’Ambition veillait avec tous ses prestiges et ses intrigues, fixant ses regards avides sur le butin de l’émeute et du carnage : la Couronne et le sceptre teints du sang des deux derniers Tsars. Il était facile de prévoir qui s’en emparerait de force ou de droit. Le plus hardi des accusateurs du faux Dmitri, celui qui avait été miraculeusement sauvé du supplice, et qui, de nouveau, s’était montré intrépide dans le nouvel effort pour le renverser ; auteur et chef de l’émeute populaire, prince descendant de Rurik, de Saint-Vladimir, de Monomaque et d’Alexandre Nevski, second Boyard par sa place au Conseil, premier par l’amour des Moscovites et ses qualités personnelles, Vassili-Schouisky pouvait-il demeurer simple courtisan ? Et après une semblable action, après s’être rendu si illustre, redescendre au rôle de flatteur, près de quelque nouveau Godounoff : mais il ne se trouva point de Godounoff, parmi les Seigneurs du temps. Le plus ancien d’entr’eux, le prince Fédor Mstislafsky, distingué par la bonté de son âme, sa probité et son courage, se faisait encore plus remarquer par sa modestie et sa prudence ; il ne voulait pas entendre parler du rang suprême, et disait à ses amis : « Si l’on me choisit pour Tsar, je ne manquerai pas de me faire moine ». L’assertion de quelques Historiens étrangers (392), qui disent que le Boyard prince Ivan-Galitzin, qui était allié à un grand nombre de familles illustres et qui se vantait de descendre de Heidimin de Lithuanie, partageait les prétentions de Schouisky à la Couronne, est à peine digne de foi, ne s’accordant pas avec les récits des témoins oculaires ; et d’ailleurs, ce complice de Basmanoff, dont le corps dépouillé était dans ce moment étendu sur la place, avait-il effacé sa première trahison par la seconde ; le sang du jeune Fédor, par celui du faux Dmitri ? Pouvait-il être comparé par son rang, ses services, le nombre de ses partisans dévoués, à celui qui, sans le titre de Tsar, avait déjà commandé dans un jour décisif pour la Patrie ; qui avait conduit Moscou et vaincu avec elle ?

Ayant pour lui la force et le droit, Schouisky fit encore jouer tous les ressorts de la politique. Il donna des instructions à ses amis et à ses partisans, touchant ce qu’ils devaient dire dans le Conseil et sur la grande place ; la manière dont ils devaient agir et diriger les esprits ; et se prépara lui-même au rôle qu’il avait à remplir. Le lendemain matin, après avoir assemblé le Conseil (393), Discours de Schouisky au Conseil. il prononça un discours plein d’esprit et de finesse. Il remercia Dieu de la protection qu’il avait accordée à la Russie, illustrée par les Souverains de la race Varègue ; il loua surtout la sagesse et les conquêtes du règne d’Ivan IV, malgré sa cruauté ; il se vanta de l’éclat de ses propres services et de son expérience dans les affaires de l’État, expérience qu’il avait acquise pendant ce règne actif ; il dépeignit la faiblesse du successeur d’Ivan, l’ambition cruelle de Godounoff, tous les malheurs de son règne, et la haine du peuple contre un régicide qui fut cause des succès du faux Dmitri, et qui obligea les Boyards à suivre l’impulsion générale. « Mais nous, ajouta Schouisky, nous avons effacé cette faiblesse, lorsque l’heure est arrivée de mourir pour la Russie, ou de la sauver. Je regrette qu’ayant devancé les autres par mon audace, j’aie dû ma vie à l’Imposteur ; sans en avoir le droit, il aurait pu me faire mourir, et il m’a épargné, comme quelquefois un brigand épargne le voyageur. J’avoue que j’ai hésité par la crainte d’être accusé d’ingratitude ; mais la voix de la conscience, de la Religion et de la Patrie, arma mon bras, lorsque je vis votre zèle à accomplir ce grand exploit. Notre cause est juste et sacrée ; par malheur elle a demandé du sang : mais Dieu nous a bénis par le succès ; notre entreprise lui était donc agréable…! Maintenant que nous sommes délivrés du scélérat, de l’hérétique, nous devons songer à l’élection d’un digne Souverain. La race des Tsars n’existe plus, mais la Russie existe ; nous pouvons trouver en elle, ce qui est éteint sur le Trône ; nous devons chercher un homme illustre par sa naissance, dévoué à la religion et à nos antiques usages ; vertueux et expérimenté, par conséquent, d’un âge mûr ; un homme qui, en acceptant le sceptre, ne se livre point au luxe et à la magnificence, mais chérisse la modération et la vérité ; qui s’entoure, non de piques et de forteresses, mais de l’amour de ses sujets ; qui n’accumule pas l’or dans ses coffres, mais regarde, comme sa propre richesse, celle de son peuple et son contentement. Vous direz qu’il est difficile de trouver un pareil homme, je le sais : mais un bon citoyen doit désirer autant que possible la perfection, dans celui qui doit gouverner l’Empire ».

Le but de Schouisky était évident et généralement connu ; personne n’osait s’opposer ouvertement à son désir : mais plusieurs pensaient et disaient qu’on ne pouvait terminer une affaire de cette importance, sans assembler les États-Généraux ; qu’ils devaient se réunir à Moscou, de toutes les provinces de l’Empire, comme à l’époque de l’élection de Godounoff, et décider à qui l’on confierait les rênes du gouvernement (394). Cette opinion était fondée et juste. Il est probable que toute la Russie aurait choisi Schouisky ; mais il n’eut point assez de patience pour attendre. Ses amis répliquèrent que le temps était précieux ; que l’Empire, n’ayant point de Tsar, se trouvait comme un corps sans âme, et que la Capitale étant en proie au désordre ; qu’il devenait urgent de prévenir les troubles prêts à éclater sur toute la Russie, en confiant immédiatement le sceptre au plus digne d’entre les Boyards ; que là où se trouvait Moscou, là se trouvait l’Empire ; qu’on n’avait pas besoin de conseil, lorsque tous les yeux étaient fixés sur le même homme, et que le même nom était dans toutes les bouches… Ce nom retentit tout à coup dans le Conseil et sur la grande place ; tous ne le choisirent point, mais aucun ne s’opposa à son élection. Le 19 mai, à la seconde heure du jour, le son des timbales, des trompettes et des cloches, annonça un nouveau Monarque à la capitale. Les Boyards et les Nobles les plus distingués, conduisirent le prince Vassili-Schouisky, du Kremlin sur la grande place, où les troupes et les citoyens, les étrangers et les marchands qui lui étaient particulièrement dévoués, le saluèrent comme père de la Russie…, à la place même, où, peu de temps auparavant, Schouisky avait courbé sa tête sur le billot, et où se trouvait, encore en ce moment, le cadavre ensanglanté de l’Imposteur !

Choix d’un nouveau Tsar. Affectant de la modestie, à l’exemple de Godounoff, il voulut avant tout, que les autorités civiles et le Clergé, élussent un pasteur à l’Église, en remplacement du faux évêque Ignace ; mais la foule s’écria : « Un Souverain est plus nécessaire à la Patrie, qu’un Patriarche » ! Et on conduisit Schouisky dans l’église de l’Assomption, où les Métropolitains et les Évêques l’attendaient et le bénirent comme leur Souverain (395). Tout se passa avec une telle précipitation, que non seulement les Russes des autres provinces, mais encore plusieurs des habitans distingués de Moscou, ne participèrent point à cette élection. Circonstance fatale, puisqu’elle servit de prétexte aux trahisons et aux troubles qui attendaient Schouisky sur le Trône, et prépara une nouvelle honte et de nouveaux malheurs à la Patrie !

Le jour de cette solennité nationale, on eut à peine le temps de débarrasser la Capitale des cadavres qui l’encombraient ; on les transporta et on les enterra hors de la ville (396). Le corps de Basmanoff fut rendu à ses parens, pour être inhumé auprès de l’église de Saint-Nicolas, où reposait son fils mort en bas âge ; celui de l’Imposteur, après avoir été pendant trois jours sur la place l’objet de la curiosité et des insultes, fut également porté hors de la ville et enterré dans un hospice, près de la porte de Serpoukhoff, non loin de la grande route. Mais le sort ne lui accorda pas un asile, même dans le sein de la terre. Du 18 au 25 mai, il y eut de fortes gelées, pernicieuses pour la végétation : la superstition attribua ce phénomène à la sorcellerie de l’Imposteur, et crut voir des apparitions extraordinaires

au-dessus de sa tombe. Pour mettre fin à ces propos, on déterra le corps du prétendu sorcier, le brûla sur des chaudrons, Dispersion des cendres de l’Imposteur. et ayant mêlé ses cendres avec de la poudre, on en chargea un canon, qu’on tira dans la direction par laquelle l’Imposteur était arrivé avec magnificence à Moscou ! Le vent dispersa les restes périssables du scélérat ; mais son exemple resta : nous en verrons les conséquences.

Preuves que le faux Dmitri était réellement un Imposteur. Après avoir décrit l’histoire de ce premier faux Dmitri, devons nous encore donner de nouvelles preuves de son imposture, aux lecteurs attentifs ? La vérité n’est-elle point évidente pour eux, dans la marche des événemens et des actions ? Il n’y eut que quelques étrangers prévenus, zélés partisans de l’Imposteur, qui, détestant ses meurtriers, et voulant les noircir, écrivirent que ce n’était point un aventurier, mais le véritable fils d’Ivan, le Tsar légitime qui venait d’être massacré à Moscou. Cependant les Russes, quoiqu’ils n’eussent réellement fait mourir qu’un imposteur, ne pouvaient se glorifier de cette action accompagnée de parjure ; car la foi du serment est nécessaire à la conservation de l’état social, et sa violation est toujours criminelle. Peu safisfaits d’un reproche mérité, les détracteurs de la Russie, inventèrent une fable, l’embellirent de circonstances intéressantes, et l’appuyèrent par des argumens vraisemblables, pour la faire servir d’aliment aux esprits les moins disposés à adopter les faits les plus croyables dans l’Histoire, et à ceux qui veulent douter des choses les moins douteuses ; en sorte que, maintenant encore, il y a des personnes pour lesquelles l’importante question sur l’Imposteur, reste encore indécise. Peut être qu’en présentant réunis les principaux traits de la vérité, nous leur donnerons plus de force ; si ce n’est pour convaincre entièrement tous les lecteurs, du moins pour notre propre justification, afin qu’ils ne nous accusent pas d’une foi aveugle pour une opinion adoptée en Russie ; opinion qu’on prétend être fondée sur des preuves trop faibles.

Écoutons les défenseurs de la mémoire du faux Dmitri. Ils disent (397) : « Godounoff ayant résolu de faire mourir Dmitri, confia son projet à un vieil Allemand, nommé Simon, médecin du Tsarévitche, qui, pour le sauver, promit de participer à ce crime ; il demanda à Dmitri, alors âgé de neuf ans, s’il avait assez de force d’âme, pour supporter l’exil, l’infortune et la pauvreté, dans le cas où il plairait à Dieu de se servir de ces moyens cruels, pour éprouver son courage ; le Tsarévitche répondit : « Oui je l’ai », et le médecin continua : « Cette nuit on veut te tuer ; en te couchant change de vêtemens avec ton jeune serviteur qui est du même âge que toi ; mets-le à ta place dans ton lit, cache-toi derrière le poële, et quelque chose qui arrive dans ta chambre, garde le silence et attends-moi ». Dmitri se conforma à ces instructions. À minuit la porte s’ouvrit, deux hommes entrèrent, tuèrent le jeune domestique, à la place du Tsarévitche, et s’enfuirent. À la pointe du jour les serviteurs de Dmitri ayant aperçu du sang et un cadavre, crurent que c’était le Tsarévitche qui avait été tué, et le dirent à sa mère. L’allarme se répandit. La Tsarine accourut et dans son désespoir, elle ne reconnut pas que cet enfant mort n’était pas son fils. Le palais se remplit de monde ; on chercha les assassins, on massacra les coupables avec les innocens ; on porta le corps à l’église ; et tout le monde se sépara : le palais devint désert, et lorsque la nuit fût arrivée, le Médecin fit sortir Dmitri, pour le sauver, en fuyant avec lui en Ukraine, auprès du prince Ivan-Mstislafsky qui y était exilé depuis le règne d’Ivan. Quelques années après, le Médecin et Mstislafsky moururent, laissant à Dmitri le conseil de chercher son salut en Lithuanie. Ce jeune homme s’associa à des moines voyageurs, les accompagna à Moscou, en Valachie (398) ; et enfin parut dans la maison du prince Vichnévetsky ».

On sait que l’Imposteur lui-même, attribuait son salut miraculeux à un médecin ; mais les auteurs de cette fable, ignoraient que le prince Ivan-Mstislafsky était mort moine dans le couvent de Saint-Cyrille, dès l’année 1586 (399), et que jamais Ivan ne l’avait exilé en Ukraine. Quelques Romanciers donnent le nom d’Augustin au médecin sauveur de Dmitri, ajoutant qu’il était du nombre de plusieurs savans qui habitaient alors Ouglitche (400), et qu’il suivit le Tsarévitche dans un couvent isolé, situé sur les bords de la mer Glaciale. D’autres encore écrivent que la Tsarine elle-même, soupçonnant les horribles desseins de Boris, à l’égard de son fils, avait, à l’aide de son maître d’hôtel, étranger natif de Cologne, éloigné secrètement Dmitri, et qu’elle avait pris à sa place, le fils d’un prêtre (401).

Tous ces contes ne sont fondés que sur la supposition que le meurtre fût commis pendant la nuit ; ce qui aurait empêché les scélérats de reconnaître leur victime ; et même dans ce cas, est-il vraisemblable que les serviteurs de la Tsarine, sans parler d’elle-même, et des habitans d’Ouglitche, qui avaient souvent vu Dmitri à l’église (402), se fussent trompés sur celui qui avait été tué, et dont le corps resta, pendant cinq jours, exposé à leurs regards ? Mais le Tsarévitche avait été assassiné au milieu du jour, et par qui ? Par des scélérats qui habitaient le palais, et ne perdaient pas de vue l’enfant infortuné. Qui le livra à ces bourreaux ? Une femme qui l’avait soigné dès sa naissance. Depuis le berceau jusqu’à la tombe, Dmitri avait été au pouvoir de Godounoff. Ces circonstances sont clairement et indubitablement confirmées par le témoignage des Annalistes, et par les interrogatoires de tous les habitans d’Ouglitche, conservés dans nos archives de l’Empire.

Si le Moine défroqué n’était pas un imposteur, pourquoi, lorsqu’il monta sur le Trône, ne satisfit-il pas la curiosité publique, en communiquant toutes les particularités de son sort extraordinaire ? Pourquoi ne déclara-t-il pas à la Russie quels avaient été les lieux de sa retraite, et ne désigna-t-il pas les personnes qui, pendant douze ou treize ans, avaient pris soin de son éducation et de sa conservation ? Il n’y a point d’insouciance qui puisse excuser un pareil oubli ! Les manifestes et les actes du faux Dmitri, se trouvent consignés dans les Annales, et même les originaux sont conservés dans les Archives (403) ; par conséquent il est impossible de supposer avec probabilité, que le plus important de ces actes ait été détruit par le temps. L’Imposteur garda le silence, parce qu’il n’avait pas de preuves réelles à alléguer ; et il pensa qu’étant reconnu Tsar, il pouvait, sans danger, ne point se donner la peine d’en inventer de fausses. En Lithuanie, il prétendait devoir son salut à quelques Seigneurs, et particulièrement aux diaks Stchelkaloff ; mais ces Seigneurs restèrent sans récompense ostensible, et demeurèrent inconnus à la Russie. Vassili-Stchelkaloff, ainsi que d’autres Nobles, exilés sous le règne de Boris, reparurent il est vrai à la Cour du faux Dmitri, mais ils n’y occupèrent le rang, ni des Seigneurs les plus distingués, ni des plus rapprochés de sa personne. L’Imposteur n’était point entouré d’anciens et fidèles serviteurs de son enfance, mais seulement de nouveaux traitres, et voilà ce qui rendit sa chute si facile.

Mais la Tsarine religieuse Marpha, reconnut son fils dans celui qui prenait le nom de Dmitri ? Ce fut aussi elle qui le déclara un imposteur. Son premier témoignage, muet, contraint, exprimé pour le peuple, seulement par quelques larmes et quelques caresses, rendait la dignité de Tsarine à celle qui avait été forcée de se faire religieuse : le second, solennel, attesté par serment, s’il était faux, nous montrerait une mère livrant son fils à une mort affreuse. Lequel des deux est donc le plus digne de foi ? Et lequel paraît le plus vraisemblable, ou d’un acte de faiblesse naturelle à l’humanité, ou d’une action épouvantable, et si contraire aux sentimens d’une mère ? On connaît l’héroïsme d’une illustre Ligurienne, qui, après avoir dérobé son fils à la fureur des ennemis, répondit à ceux qui demandaient où elle l’avait caché : « Ici, dans mon sein », et qui périt dans les tortures, sans déclarer sa retraite (404). Ce trait, rapporté par un Historien romain, nous touche, mais ne nous surprend pas ; nous y voyons une mère. Nous n’aurions pas été surpris davantage, si la Tsarine religieuse, en voulant sauver le véritable Dmitri, se fût précipitée sur les piques des Moscovites, en s’écriant : « C’est mon fils » ! Et encore, n’était-elle pas menacée de la mort pour la vérité, mais seulement du jugement de Dieu pour le mensonge. La parole de la Tsarine décida du sort de celui qui la respectait comme sa véritable mère, et qui partageait sa grandeur avec elle. En condamnant le faux Dmitri à la mort, Marpha se condamnait elle-même à une honte éternelle, comme ayant participé à une odieuse imposture, et elle n’hésita pas ; car elle avait encore de la conscience et était déchirée de remords. Que d’hommes faibles ne succomberaient pas à la tentation du mal, s’ils pouvaient prévoir combien un crime coûte au cœur !

Remarquons de plus une circonstance digne d’attention : Schouisky travaillait à la perte du faux Dmitri, et fut sauvé du supplice par les instantes prières de la Tsarine religieuse, malgré un péril évident pour son prétendu fils, qu’il accusait d’imposture. Un calomniateur traitre, aurait-il eut des droits à une protection si zélée ! Mais le salut de Schouisky calmait la conscience de la coupable Marpha. Ajoutons à cela le récit vraisemblable d’un étranger, qui se trouvait alors à Moscou : il dit que l’Imposteur avait ordonné d’exhumer le corps de Dmitri, de l’église Cathédrale d’Ouglitche, et de l’enterrer dans un autre endroit, comme le corps d’un fils de prêtre ; mais que la Tsarine religieuse ne lui avait point permis de le faire, épouvantée par l’idée de priver de la tombe royale, son fils véritable (405).

On objecte encore : « Que le roi Sigismond n’aurait point pris une part aussi vive au sort d’un imposteur, et que Mnichek n’aurait point donné sa fille à un vagabond ». Mais le Roi et Mnichek pouvaient être crédules dans une circonstance si séduisante pour leurs passions. Sigismond espérait donner aux Russes un Tsar catholique, élevé au Trône par ses bienfaits ; et le Voïévode de Sendomir sentait son orgueil flatté, de voir monter sa fille sur le trône de Moscou. Et qui peut assurer que réellement ils ne doutaient pas du rang élevé du fugitif ? Le succès était plus important pour eux que la vérité. Le Roi n’osa pas reconnaître solennellement Otrépieff pour le véritable Dmitri, jusqu’au moment de son entier triomphe ; et le Voïévode de Sendomir, n’ayant fait qu’un essai en sacrifiant une partie de sa fortune à l’espoir de la grandeur, abandonna son gendre futur, lorsqu’il vît de l’opposition de la part des Russes. Sigismond et Mnichek se trompèrent peut-être, non dans leur opinion sur les droits de l’Imposteur, mais seulement dans celle qu’ils s’étaient formée, de sa sagesse ou de sa fortune, croyant qu’il saurait conserver une couronne acquise par la trahison et l’erreur : c’est pourquoi le Roi se hâta de se déclarer l’auteur de l’élévation du Moine défroqué, et Mnichek de lui donner sa fille, ébloui de l’honneur de devenir le beau-père d’un Tsar, fut-il même de la race des Otrépieff. Les usurpateurs, dans leur triomphe, ne sont point odieux aux passions mondaines ; mais seulement à une conscience pure, à la vertu austère. Serons-nous plus convaincus par le jugement de ceux des amis du faux Dmitri, qui disent : « L’armée, les Boyards et Moscou ne l’auraient point reconnu pour Tsar, sans de fortes preuves qu’il était le fils d’Ivan (486) ». Mais l’armée, les Boyards et Moscou, le précipitèrent du Trône comme un imposteur avéré. Si l’on s’en rapporte à eux dans le premier cas, pourquoi ne pas les croire également dans le second ; dans tous les deux, sans doute, ils agissaient par une conviction fondée sur des preuves ; mais les hommes et les peuples ont toujours été sujets à l’erreur, comme le prouve l’Histoire.… ; même celle du faux Dmitri !

Rappelons au lecteur, que le plus illustre des partisans, et le seul ami d’Otrépieff, Basmanoff, ne dissimulait point son imposture dans ses conversations intimes. Un aveu de cette importance fut entendu et communiqué à la postérité, par un pasteur Allemand, nommé Bär, qui aimait et louait sincèrement le faux Dmitri, et qui reprochait aux Russes de s’être rendus coupables de l’assassinat d’un Tsar, quoiqu’il ne fût pas fils d’Ivan. Ce même témoin oculaire des événemens d’alors, nous a transmis les preuves suivantes et non moins remarquables de la vérité : « 1o. Un apothicaire Hollandais, Arend-Clausend, qui passa quarante ans en Russie, au service d’Ivan, de Fédor, de Godounoff et de l’Imposteur, avait connu et vu journellement Dmitri dans son enfance, et il m’a dit affirmativement, que le prétendu Tsar Dmitri était un tout autre homme, et ne ressemblait en rien au véritable, qui avait un teint basané et tous les traits de sa mère, à laquelle l’Imposteur ne ressemblait nullement. 2o. La même chose me fut assurée par une prisonnière Livonienne, nommée Tisenhausen, rendue à la liberté, en 1611, qui avait été sage-femme de la Tsarine Marie, et l’avait servie jour et nuit, non seulement à Moscou, mais même à Ouglitche, et qui avait sans cesse vu Dmitri pendant sa vie, et aussi après sa mort. 3o. Bientôt après l’assassinat du faux Dmitri, je quittai Moscou pour aller à Ouglitche, et là, en causant avec un vénérable vieillard qui avait servi à la Cour de Marie, je le conjurai de me dire la vérité sur le Tsar qui venait de périr ; il se leva, fit le signe de la croix, et me dit : Les Moscovites lui ont prêté serment de fidélité et l’ont trahi, je ne puis les louer : ils ont tué un homme habile et courageux, mais non le fils d’Ivan, réellement assassiné à Ouglitche. Je l’ai vu mort, étendu à la même place où il jouait ordinairement. Que Dieu soit le juge de nos Princes et de nos Boyards, le temps nous prouvera si nous serons plus heureux ».

Pour terminer, faisons mention du témoignage du Suédois Pétréjus qui avait été à Moscou, en qualité d’Ambassadeur de Charles IX et de Gustave-Adolphe, et qui avait personnellement connu l’Imposteur ; il dit qu’il avait l’air d’un homme de trente ans (407) ; et Dmitri, né en 1582, n’en aurait eu alors que vingt-quatre.

En un mot, des preuves irrécusables, morales et historiques, nous persuadent que le prétendu Dmitri était un imposteur ; mais il s’élève une autre question : Qui était-il, enfin ? Était-il réellement le moine défroqué Otrépieff ? Plusieurs étrangers contemporains ne voulaient pas croire qu’un Moine fugitif, du couvent de Tchoudoff, ait pu, tout à coup, devenir un guerrier vaillant, un combattant intrépide et un cavalier habile. Plusieurs crurent qu’il était un Polonais ou un Transylvanien, bâtard de Bathory, et élevé par les Jésuites, s’appuyant sur l’opinion de quelques seigneurs polonais (408), et donnant pour preuves de ces assertions, qu’il ne parlait pas purement le russe. Opinion visiblement erronée, puisque les rapports contemporains des Jésuites à leurs supérieurs, prouvent qu’ils ne le connurent qu’en Lithuanie, sous le nom de Dmitri, et professant la religion grecque et non la latine. Aucun Russe ne reprocha à l’Imposteur de savoir mal notre langue, qu’il possédait parfaitement ; il parlait correcte=ment, correctement, écrivait avec facilité, et ne le cédait à aucun diak du temps, pour l’élégance de son écriture.

Possédant quelques signatures de l’Imposteur (409), nous voyons dans celles qui sont en latin la main peu assurée d’un écolier, et dans celles qui sont en russe, la main soignée et ferme d’un maître, d’un écrivain, tel qu’était Otrépieff, autrefois secrétaire du Patriarche. L’objection que les cellules ne forment point les guerriers se détruit par l’histoire de sa jeunesse. Revêtu des habits d’un moine, ne menait-il pas la vie d’un sauvage ; errant d’un couvent à l’autre ; s’habituant à l’intrépidité, ne redoutant, au sein des forêts épaisses, ni les bêtes féroces, ni les brigands ; et enfin, ayant été brigand lui-même sous les étendards des Cosaques du Dniéper. Si quelques personnes aveuglées par une partialité personnelle, trouvaient dans le faux Dmitri un certain air de grandeur (410) peu ordinaire dans les gens d’une basse extraction, d’autres observateurs moins prévenus trouvaient en lui tous les signes d’une bassesse innée que n’avaient pu effacer ni la société des Nobles Polonais, ni le bonheur de plaire à la fille de Mnichek. L’Imposteur qui joignait à un esprit naturel, ardent et prompt, le don de la parole, les connaissances d’un homme qui avait fait des études, une hardiesse et une force d’âme et de volonté extraordinaires, joua pourtant fort mal son rôle de Souverain ; manquant non seulement d’habileté dans l’art de gouverner, mais aussi de toute dignité extérieure : à travers la magnificence du pouvoir on voyait percer l’aventurier dans le Tsar. Les Polonais sincères en portaient le même jugement. Jusqu’à présent nous n’avons rencontré de difficultés que dans un seul témoignage important : le capitaine Margeret, connu en Europe, qui avait servi avec zèle Boris et l’Imposteur, et qui avait vu de ses propres yeux les hommes et les événemens, assurait Henri IV, le fameux historien De Thou, et les lecteurs de son ouvrage sur l’Empire de Moscou, que le faux Dmitri n’était pas Grégoire Otrépieff, mais un tout autre homme. Il rapporte qu’Otrépieff s’était enfui avec l’Imposteur, en Lithuanie, et qu’ils étaient revenus ensemble en Russie ; qu’il se conduisait d’une manière inconvenante, qu’il se grisait et qu’il abusait de sa confiance. Que depuis ayant été exilé à Jaroslaf, ce même Otrépieff y vécut jusqu’à l’avénement de Schouisky au trône.

Aujourd’hui que nous avons recueilli de nouvelles traditions contemporaines et historiques, nous expliquons le récit de Margeret, par la supercherie du moine Léonide, qui prit le nom d’Otrépieff, pour convaincre les Russes, que l’Imposteur n’était point ce même Otrépieff. Le Tsar Godounoff avait les moyens de découvrir la vérité ; des milliers d’espions le servaient avec zèle, non seulement en Russie, mais même en Lithuanie, lorsqu’il prenait des informations sur l’origine de l’Imposteur. Est-il croyable que dans une circonstance de cette importance, Boris eût légèrement et sans preuves, déclaré que le faux Dmitri était un fugitif du couvent de Tchoudof ? Tant de personnes l’avaient connu dans la Capitale et dans d’autres lieux, qu’elles auraient reconnu la fausseté de cette assertion, au premier regard jeté sur l’Imposteur. Enfin, les Moscovites avaient tous vu le faux Dmitri, soit vivant soit mort, et tous le reconnaissaient affirmativement pour le diak Grégoire (411). Pas un doute sur ce point n’a retenti dans la postérité jusqu’à nos jours.

C’en est assez. Nous arrivons à la description de nouvelles calamités, non moins extraordinaires, non moins flétrissantes pour l’honneur de la Russie ; mais aujourd’hui déjà semblables à un rêve sinistre, n’excitant plus que la curiosité d’un peuple à qui le Ciel avait réservé d’atteindre la grandeur par une humiliation momentanée ; et cette grandeur, il l’a atteinte, en effaçant le souvenir de sa faiblesse, par des efforts généreux, et celui de sa honte, par une gloire peu commune.


FIN DU ONZIÈME VOLUME.
  1. Diminutif méprisant du nom de Fédor

(246) V. Les réponses des ambassadeurs Lithuaniens.

(247) V. plus haut sur la trahison des Voïévodes de Kromy, les réponses des ambassadeurs Lithuaniens, et les Annales de Nikon, 68.

(248) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 200—203.

(249) V. Dans The Russian Impostor, p. 78, la lettre du faux Dmitri à l’agent anglais Merik, datée de Toula, du 8 juillet, et la lettre de ce dernier au faux Dmitri dans les Archives des Affaires étrangères.

(250) V. Bär. — Annales de Nikon, 70. — Le manuscrit des Notices sur l’Imposteur. — Grévenbrouk, 24. — De Thou, CXXXV, 52 — The Russian Impostor. — Pétréjus, 314.

(251) V. Chronique des Révoltes. — Annales de Rostof et de Nikon. — Chronique de Morosoff. — Bär. — Pétréjus, 317.

(252) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 206 et suiv. et la liste de nos anciens Dignitaires dans la bibliothèque Russe, XX, 77.

(253) V. L’Histoire de l’Hiérarchie Russe, I, 122. — Les Chronographes. — Livres du Rosrède, no. 109. — La Collection des Actes de l’Empire, II, 250—261. — Müller, Collection de l’Histoire Russe, V, 275.

(254) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 261. — Bär et Grévenbrouk.

(255) V. Dans le Guide des Lois Russes, I, 129, la loi des Boyards, du 1er février 7114. (1606).

(256) V. Légende de la vie et de la mort de Démétrius, écrite par un Négociant étranger, témoin oculaire de l’assassinat du faux Dmitri, et imprimée, en 1606, à Amsterdam ; livre rare et intéressant. — Collection des Actes de l’Empire, II, 259—260. — Bär. — Pétréjus, 319. — Margeret, 142.

(257) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 261.

(258) V. Annales de Rostof. — Nikon et autres annalistes. — Livres des Degrés de Latoukhin.

(259) V. La lettre de la tsarine religieuse Marpha, aux Voïévodes, dans la Collection des Actes de l’Empire, II, 307.

(260) V. Réponses des ambassadeurs Lithuaniens.

(261) V. Peyerlé. — Dans la Légende, la même date 28 du nouveau style ; mais c’est par erreur qu’elle est rapportée au mois de juin, au lieu de juillet.

(262) V. Réponses des ambassadeurs Lithuaniens. — La Légende, p. 4. — Bär. — Pétréjus, 318. — Margeret, 126.

(263) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 307.

(264) V. Margeret, 126. « Finalement il se fit couronner le dernier de juillet (nouveau style), ce qui se fit avec peu de cérémonie ».

(265) V. De Thou, CXXXV, 55, et Wassemberg : Gesta Vladislaï, IV. 19.

(266) V. Bär. — Pétréjus, 319.

(267) Jean Boutchinsky se rendit auprès de Dmitri dans le mois d’août 1605, comme envoyé de Mnichek. Un autre Boutchinsky se nomma Stanislaus. L’Imposteur avait encore un autre secrétaire polonais, Stanislaus Slonsky, qui alla avec Vlassieff à Cracovie.

(268) V. Margeret. — Bär. — Pétréjus, 220. — De Thou, CXXXV, 55.

(269) V. Dyaryusz wesêla z Maryna}}, écrit par Diamentovsky, dans Naruszew. — Histoire J.-K. Chodkiewicza, tom. I, p. 244 et 435, dans la note 54.

(270) Bär raconte que le faux Dmitri avait les meilleurs chiens anglais, pour la chasse aux ours ; qu’une fois étant avec ses Boyards à Taïninskoé, il ordonna d’ôter la chaîne à un ours, monta sur lui et le tua sur-le-champ.

(271) V. La Légende, 8.

(272) V. Collection des actes de l’Empire, II, 261.

(273) V. Rzeczy Polskich w Moskwie za Dymitra}}, dans les extraits d’Albertrandi.

(274) V. De Thou, CXXXV, 52. Plus tard nous parlerons des ruines de ce palais de Boris. Le faux Dmitri le fit démolir comme l’habitation d’un sorcier. On assure que l’on a trouvé dans un souterrain une statue tenant une lampe allumée dans sa main, et entourée d’une grande quantité de poudre à tirer, par laquelle tout le Palais et le Kremlin auraient sauté, si l’on n’avait pas éteint la lampe et détruit la statue.

(275) V. Rzeczy Polsk, etc. — Niemcew., t. II, 578.

(276) V. Le manuscrit contemporain des notices sur Godounoff. — Les Chronographes. — Wagner, Histoire de l’Empire Russe, 129.

(277) V. Palitzin, 24. — Chronique de Morosoff. — Bär. — Pétréjus, 318. — D’après les Annales de Nikon, Xénie vécut avec le faux Dmitri, cinq mois. — Collection des actes de l’Empire, II, 243.

(278) V. Pétréjus, 370. — Les Chronographes et la Légende, où il est également dit que le Faux Dmitri n’a jamais voulu visiter le couvent de Tchoudoff, de crainte que les religieux ne le reconnussent.

(279) V. Récit de se qui se passa à Moscou, etc. — Annales de Rostof. — Nikon. — Les Chronographes et Bär.

(280) Non pas le 25 juin, comme il est dit dans les Chronographies, ni même le 10 juillet, comme dans l’Histoire de De Thou ; car les embûches de Schouisky ne se découvrirent qu’après le couronnement de l’Imposteur. V. Margeret.

(281) V.. Récit de ce qui se passa à Moscou, etc. — Bär et Pétréjus. — Margeret, 127. — La Légende, 6. — Annales de Nikon, 72. — Palitzin, 21. Le prince Alexandre Schouisky, mourut en 1601.

(282) V. Palitzin, 21. — Dans la Légende, p. 25, il est dit, que le faux Dmitri étant né à Galitchc, il y avait fait emprisonner sa mère avec son second mari et jusqu’à soixante de ses parens. — Remarquons ici un manque d’accord : Palitzin parle du témoignage de la mère, du frère et de l’oncle de l’Imposteur, du supplice de Fédor Kalachnik et de Tourguenieff ; et plus tard, de l’exil de Schouisky. — Le Livre des Degrés de Latoukhin, et la Chronique de Morosoff le confirment, et le premier ajoute, que dès le premier jour de son avénement au trône, le faux Dmitri commença à être démasqué par ses parens ; mais d’autres disent : (V. les Annales de Rostoff et de Nikon, 72.) que le prince Vassili Schouisky fut condamné avant Tourguenieff. — Dans la Légende 6, il est dit : on n’a depuis lors, après l’exil de Schouisky, entendu parler journellement d’autres choses que des trahisons et toutes de conspirations, de quoi se sont entre suivies tant de tortures, flagellations, disgrâces, relégations, confiscations… que c’estait un cas estrange de les ouyr.

(283) V. Palitzin, 21. — Livres des Degrés de Latoukhin. — La Chronique de Morosoff.

(284) V. Palitzin, 22. — Les Chronographes.

(285) En janvier 1606. V. Bär. — La Légende 7. — Pétréjus, 322. — Margeret, 128. — Palitzin, 23.

(286) V. la Légende 8, « Cependant que ce calme durait ».

(287) V. Collection des actes de l’Empire, II, 211, 221. — Les Affaires de Pologne de 1605, no. 26. — Niemcew., II, 532 à 534. — Les Boyards dans leur réponse à Mnichek, le remercièrent très-poliment, au nom des Membres du Conseil et de toute la Noblesse de Moscou, des services importans qu’il avait rendus à l’Imposteur.

(288) V. Affaires de Pologne, no. 26, f. 251, 269, et no. 27, f. 99, 100.

(289) V. Collection des actes de l’Empire, II, 218.

(290) V. id., 223, 231, 249, 272. — Alexandre Rangoni resta à Moscou, depuis le mois de septembre, jusqu’au mois de novembre 1605. — Le faux Dmitri écrivit au Pape le 30 novembre ; une seconde fois au mois de décembre, et, dans le commencement de l’année 1606, il lui envoya le jésuite Lavitsky ; et le Pape écrivit à Marine, le 3 décembre 1605, et en avril 1606, l’exhortant à contribuer de tout son pouvoir à l’introduction de la croyance latine en Russie, et encore deux lettres à l’Imposteur, du 11 février et du 10 avril 1606. (V. les extraits d’Albertrandi de la Bibliothèque du Vatican, f. 659-670. — Niemcew., t, II, 554. La dernière lettre n’est plus parvenue au faux Dmitri.

(291) V. la Légende 7.

(292) V. Collection des actes de l’Empire, II, 266.

(293) En août 1605. — V. la Collection des actes de l’Empire, II, 213.

(294) Voilà le titre du faux Dmitri en latin : Nos serenissimus ac invictissimus Monarcha Demetrius Joannis, Dei gratia Cesar et Magnus Dux totius Russiæ, universorumque Tatariæ Regnorum atque aliorum plurimorum dominiorum, Monarchiæ Moscoviticæ subjectorum, Dominus et Rex.V. la Collection des actes de l’Empire, II, 221 et 224.

(295) Au secrétaire du faux Dmitri, Ian Boutchinsky en janvier 1606. — V. la Collection des actes de l’Empire, 259.

(296) V. Rzeczy Polskich.

(297) V. Niemcew., t. II, 534. — Poselstwo kn Moskiew. Dimitra.

(298) On dit(V. Grévenbrouk, 32, et Piassezky, 223) que ces présens, avec ceux envoyés à Mnichek et à ses parens, étaient d’une valeur de deux cent mille ducats ! Plus tard, le secrétaire Boutchinsky remit à la fiancée une croix en diamans, avec le chiffre de Marine, d’un prix de douze mille florins, un collier en pierres précieuses, un rosaire de grandes perles fines, plusieurs vases en or d’un grand poids, etc.

(299) V. Rzeczy Polskich za Dimitra etc. J’ai suivi ce témoin oculaire, en égard aux dates.

(300) V. Collections des actes de l’Empire, II, 241.

(301) V. Narusew., Histoire J.-K. Chodkiéwicza, I, 245. — L’Envoyé Besobrasoff, arrivé à Cracovie après Vlassoff, disait comme on l’assure à Sapiéha et à Gossevsky, que les Moscovites étaient prêts à détrôner le faux Dmitri et à choisir pour Tsar le prince Vladislas. — Il est à savoir si cela est vrai. — Boutchinsky écrivit de Cracovie à l’Imposteur : « Kripounoff a dit qu’à Moscou on savait pour sûr qu’il (le faux Dmitri) n’était pas le vrai Tsar, et qu’il verrait ce qui lui arriverait bientôt. (V. Collection des actes de l’Empire, II, 263.)

(302) V. Id. — Rzeczy Polsk. et Diaryusz Maryny dans Niemcew., II, 556. — Mnichek quitta Cracovie pour aller à Sambor le 22, et Marine partit de Promnick le 21 janvier 1606.

(303) V. Chronique, de Morosoff.

(304) V. Palitzin. 24.

(305) V. Les Chronographes, et Notices sur le Moine défroqué.

(306) V. Peyerlé. — Collections des actes de l’Empire, II, 261. — Margeret, 129.

(307) V. Bär. — Pétréjus, 325. — On avait dit à l’Imposteur que les Russes avaient des couteaux sous leurs vêtemens.

(308) V. Palitzin, 24.

(309) V. Grévenbrouk, la Légende. — Bär.

(310) V. Bär qui prêchait lui-même au Kremlin, le 11 mai.

(311) V. Affaires de Pologne, n.o 26. f. 300, et n.o 27. f. 41. — Margeret, 132. — Palitzin, nomme le faux Tsarévitche, Pierre, esclave de Grégoire Iélaguin, chef des streletz de Sviajsk.

(312) V. La Légende, 29.

(313) V. Bär. — Palitzin, 26.

(314) V. Niemcew, II, 579. — Kelch, 494.

(315) V. Palitzin, 26 — Affaires de la Crimée de ce tems.

(316) V. Collections des actes de l’Empire, II, 303.

(317) V. Bär. — Pétréjus. — De Thou. — Niemcew. et Naruszew.

(318) Cet événement se passa pendant le grand Carême. V. Collection des Actes de l’Empire, II, 297. — Également Bär et les Annales de Nikon, 74. — D’après la Chronique de Morosoff, sept hommes furent taillés en pièces.

(319) Palitzin, 25, et Margeret, 130. — Annales de Nikon, 73, et la Chronique de Solovetzk.

(320) V. Margeret, 130

(321) V. La Collection des Actes de l’Empire, II, 275, 277, 281, 282, 284, et Rzeczy-Pol, etc.

(322) V. Niemcew, II, 556. — Bär.

(323) V. D’après les Rzeczy, etc., le 26 d’avril.

(324) V. Id. — Bär, et d’après lui Pétréjus, dit que l’Imposteur voulant célébrer le Dimanche de Pâques avec Marine, quitta secrétement la Capitale avec peu de suite, et la rejoignit à Mojaïsk, où il passa deux jours avec elle. — Le journal du voyage de Marine n’en fait pas mention.

(325) V. Le journal du voyage de Marine.

(326) Ordinairement on ne se servait point d’assiettes.

(327) V. Rzeczy-Polsk.

(328) Dans l’instruction donneé à Ian Boutchinsky, (V. la Collection des Actes de l’Empire, II, 229).

(329) Toutes les épouses des Grands-Ducs étaient de la religion grecque, même la fille de Vitoft. — Nous verrons que Marine céda à la volonté du faux Dmitri.

(330) V. Récit sur ce qui ce passa, etc.

(331) V. Bär. — Pétréjus, 328. — La Légende 9. — Margeret, 134. — Grévenbrouk. — De Thou. — Rzeczy-Polsk :

(332) V. Niemcew, II, 564. — La Légende, 9.

(333). Bär dit que cette maison de Godounoff était dans le Kremlin, près du Palais et de la maison du Patriarche.

(334) V. Palitzin, et le récit de ce qui se passa, etc. — Bär et Pétréjus.

(335) V. Journal des ambassadeurs de Sigismond.

(336) V. Annales de Nikon, 73. — Chronique de Rostof. — La Légende, 10.

(337) V. Rzeczy-Polskich et Niemcew., II, 565, où il est dit que l’on ne permit pas à Marine d’assister à la Messe latine, même le jour de Pâques : suivant le nouveau style le jour de Pâques tombait, cette année, au 26 mars.

(338) V. La Légende, 28. — Rzeczy-Polskich. — Joarnal des ambassadeurs de Sigismond. — De Thou, 74.

(339) V. Dans les Rzeczy-Polskich, il est écrit cinq cent mille roubles, c’est probablement une faute.

(340) V. Affaires de Pologne, no. 26, f 112.

(341) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 334.

(342) V. Naruszew., Historia, J. K. Chodk ; I, 247 Rzeczy-Polskich.

(343) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 289 et suiv. — Rzeczy-Polskich, et Journal des ambassadeurs Lithuaniens, où il est dit que le faux Dmitri après avoir consulté les Boyards sur le douaire de la Tsarine dans le cas de sa mort, avait arrêté, de leur consentement, de lui donner Novgorod et Pskof, on disait également que les plus distingués Dignitaires avaient prêté serment à Marine, même avant le couronnement.

(344) Ce trône en or, orné, d’après ce qu’on dit, de milliers de pierres précieuses, avait été envoyé par le Schah de Perse au Tsar Ivan. (V. Pétréjus, 339).

(345) Dans le Journal des ambassadeurs Lithuaniens, il est dit que les Russes prêtèrent en deux jours leur serment à Marine. — Vassenberg dit qu’il y avait avec elle, dans l’église de l’Assomption, son confesseur Savitzky et un autre jésuite Tchernik ou Tchernikovsky, qui la harangua en latin. (V. Niemcew., II, 280).

(346) V. The Russian Impostor, 99, et Pétréjus, 339.

(347) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 293. — Ils ne restèrent à table que jusqu’au troisième plat. L’on dit que l’Imposteur ne voulut pas suivre l’ancienne habitude russe, qui était établie pour célébrer la vertu des femmes, (V. Grévenbrouk, 36).

(348) Un des plus grands reproches à faire au faux Dmitri, était celui d’avoir fait couronner Marine sans qu’elle eût été baptisée auparavant. (V. Collection des Actes de l’Empire, II, 307).

(349) V. Journal des ambassadeurs Lithuaniens.

(350) V. Rzeczy-Polskich. — Dans la Légende il est dit : que l’Imposteur se leva ce jour-là avec sa jeune mariée très-tard.

(351) V. Journal des ambassadeurs Lithuaniens.

(352) V. Bär. — Pétréjus. — Journal des ambassadeurs Lithuaniens et Rzeczy-Polskich.

(353) V. La Légende, 13.

(354) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 293. — Journal des ambassadeurs Lithuaniens et Rzeczy-Polskich.

(355) C’est-à-dire, l’épouse du prince Dmitri.

(356) V. Rzeczy-Polskich et Niemcew, II, 576.

(357) V. Journal des ambassadeurs Lithuaniens. — Rzeczy-Polskich, et la Légende, 9.

(358) V. Grévenbrouk, 38.

(359) V. Journal des ambassadeurs Lithuaniens.

(360) V. Récit de ce qui se passa, etc. — Journal des ambassadeurs Lithuaniens et Grévenbrouk, 38. — Et The Russian Impostor, 105.

(361) V. Bär. — Pétréjus, 340. — Récit de ce qui se passa, etc. — Naruszew., Hist. J. K. Chodkiew : I, 247. — Kobierzicki, 67.

(362) V. Grévenbrouk, 49.

(363) V. Bär. — Pétréjus, 332. — Récit de ce qui se passa, etc. — Livres des Degrès de Latoukhin.

(364) V. Bär. — De Thou, CXXXV, 77. — The Russian Impostor, 101. — Grévenbrouk, 59. — Et Chronique de Piassezky.

(365) V. Pétréjus, 333. — Les Chronographes.

(366) V. Bär. — Collection des Actes de l’Empire, II, 309. — Récit de ce qui se passa, etc.

(367) V. D’après Piassezky, vingt mille.

(368) V. Bär. — Pétréjus, 341.

(369) V. Palitzin, 27. — Collection des Actes de l’Empire, II, 309). — Journal des ambassadeurs Lithuaniens. — Notices sur Boris et le Moine défroqué.

(370) V. Bär. — Rzeczy-Polskich.

(371) V. Id. D’autres disent que les conjurés avaient donné l’ordre aux gardes-du-corps, au nom du Tsar, de se rendre chez eux ; mais un tel mensonge aurait été découvert sur-le-champ.

(372) V. La Légende, 15.

(373) Dans les Rzeczy-Polskich, il est dit que ces troupes étaient destinées pour la Crimée ; mais elles se rassemblèrent alors à Életz.

(374) V. Id. Journal des ambassadeurs Lithuaniens,

(375) V. Récit de ce qui se passa, etc.

(376) Bär dit, à trois heures du matin. — Margeret, à six heures. — La Légende, à sept heures. — Le récit de ce qui se passa, etc. — Au commencement du jour et au lever du soleil ; donc à trois heures et trente-huit minutes.

(377) V. La Légende, 16, et Récit de ce qui se passa, etc.

(378) V. Bär et Pétréjus, 342. — Dans la Légende 17, il est dit que le Tsar entendant le tumulte, sauta de son lit, passa sa robe-de-chambre et demanda ce que cela voulait dire. — Dans le Journal des ambassadeurs Lithuaniens, il est dit au contraire, que « le Tsar sortit de très-bonne heure de sa chambre, et qu’en apercevant Vlassieff et Volkonsky, qui avaient été délégués auprès des Ambassadeurs, il leur demanda ce qu’ils disaient de lui ? Volkonsky, qui probablement ne savait pas ce qui devait arriver, répondit au Tsar et s’éloigna. Alors on sonna le tocsin… Le peuple disait que les Lithuaniens allaient massacrer les Boyards, et qu’il accourait pour les sauver, etc. — D’autres disent que le peuple s’écria : Sauvons le Tsar et les Boyards des mains des Lithuaniens ». (V. encore Peyerlé, les Rzeczy-Polskich et la Légende, 17). — Nous suivons Bär dans la relation des circonstances les plus remarquables.

(379) V. Bär. — Pétréjus.

(380) Dans la Légende il est dit : au lieu que tous les jours il (le faux Dmitri), avait cent hallebardiers de garde, il ne s’y trouvèrent point trente, Voire pas un Capitaine. — Margeret se trouva malade dans ce moment, comme il l’a dit à l’historien De Thou.

(381) Bär et Pétréjus. 344. — Dans le Journal des Ambassadeurs il est dit : « Basmanoff s’écria, en s’adressant au Tsar, je meurs, pense à toi ». — Il se tenait entre les portes et se défendit. — Margeret raconte comme Bär, que Basmanoff périt dans le vestibule.

(382) V. Bär. — Peyerlé. — La Légende.

(383) V. Journal des ambassadeurs Lithuaniens.

(384) V. Annales de Nikon, 75. — Bär. — Pétréjus. — Peyerlé. — Le Journal des ambassadeurs Lithuaniens. — Livre des Degrès de Latoukhin. — Affaires de Pologne, no. 26.

(385) V. Journal des ambassadeurs Lithuaniens. — Peyerlé. — Bär.

(386) V. Récit de ce qui se passa, etc.

(387) V. Bär et la Légende. — Journal des ambassadeurs Lithuaniens.

(388) V. Rzeczy-Polskich, où il n’est pas dit un seul mot de ce que la Tsarine s’était cachée sous la robe de sa dame d’honneur, et que les Boyards avaient outragé les nobles Polonaises, comme le dit Bär, et d’après lui Pétréjus.

(389) V. La Légende. — Bär. — Litteræ annuæ, S. I, ann. 1606, p. 921 et suiv. — Rzeczy-Polskich.

(390) Bär dit qu’il y eût deux mille cent trente-cinq Polonais de tués. — Margeret parle de mille sept cent cinq. — Les Rzeczy-Polskich en compte cinq cents. — Le Journal des ambassadeurs Lithuaniens jusqu’à mille. — Le Récit de ce qui se passa, etc., fait monter le nombre des tués jusqu’à deux mille soixante-deux, et des blessés qui moururent plus tard, à mille trois cent sept, y ajoutant encore deux mille trois cent soixante-treize, qui, ayant été pillés et maltraités, furent jetés dans les rues comme morts ; ce qui sans doute est exagéré.

(391) V. La Légende, 21—23. — Palitzin. — Margeret, 147.

(392) V. Strahlenberg. Nord, und Ostl. Theil von Europa und Asia, 200—202. — Et Wagner, Histoire de l’Empire Russe, 154.

(393) V. De Thou, CXXXV, 79. — The Russian Impostor, 116.

(394) V. Annales de Nikon, 75. — La Collection des Actes de l’Empire, II. — Bär. — Le Journal des ambassadeurs Lithuaniens.

(395) Le Patriarche Ignace n’osa pas paraître, sachant bien quel sort l’attendait.

(396) V. Bär. — Annales de Nikon, 75. — Margeret, 138. — Livres des Dégrés de Latoukhin. — Journal des ambassadeurs Lithuaniens. — Peyerlé.

(397) Nous avons communiqué dans le texte l’extrait d’une relation détaillée de Toviensky, gentilhomme Polonais, sur le prétendu Dmitri. Ce manuscrit fut gardé dans la bibliothèque de Zalusky. (V. Niemcew., tom. II, 233), et imprimé dans la Biographie de Jan-Pierre Sapiéha, publiée en 1791, à Varsovie. — Le Moine défroqué fut reconnu comme fils d’Ivan par Margeret, Grévenbrouk, Peyerlé, et par l’auteur inconnu d’une relation sur Dmitri : Narratio succincta de adversa et prospera fortuna Demetrii. (Dans la Collection de Wichmann, I, 401), et par quelques Polonais ; mais des historiens Polonais beaucoup plus dignes de foi, comme Piassezky, Lubiensky, Kobierzycky (le seul Vassenberg excepté), ont soupçonné et déclaré positivement que Dmitri était un Imposteur. — V. Müller, Collection de l’histoire Russe, V, 186. Le célèbre Zamoïsky nomme l’apparition du faux Dmitri une Comédie de Térence. Zolkiewsky, dans ses Commentaires, parle également avec mépris de l’Imposteur. (V. Niemcew., II, f. 300). Nous nous abstenons de citer les opinions des écrivains plus récens, comme Freyer, le nommé Nestessouranoy (ou Huvsen) etc.

(398) V. Vassenberg dans ses Gesta Vladislai, IV, p. 14., dit que le prétendu Dmitri, après avoir passé sept ans dans une école des Jésuites et sachant parfaitement la langue latine, entra au service d’Adam Vichnevetzki. (V. Niemcew., II, 239).

(399) V. Tom. X de cet ouvrage.

(400) Dans l’ouvrage, Narratio succincta, etc. in qua hominum litteratorum magna copia fuit ! ! ! Il est dit qu’Augustin ayant mis à la place de Dmitri le fils d’une certaine dame de distinction, nommée Estomen, se retira avec le Tsarévitche, dans un couvent, sur la mer Blanche, où il termina sa vie sous le froc.

(401) V. Grévenbrouk. — Annales de Nikon, VIII, 58, et Margeret, p. 153.

(402) V. Tom. X de cet ouvrage.

(403) V. Collection des Actes de l’Empire, II, et les Chronographes.

(404) V. Histoire de Tatistcheff, liv. IV, partie 13.

(405) V. Pétréjus, 373. — Naruszew., Hist. J. K. Chodkiev : I, 245.

(406) V. Réponses des Ambassadeurs de Sigismond. — Bär. — Pétréjus, 374.

(407) Le partial Margeret donne au prétendu Dmitri vingt-cinq ans ; de fait il ne pouvait pas en avoir même vingt-quatre.

(408) V. Bär. — Margeret, 158.

(409) V. Collection des Actes de l’Empire, II, 162, 228, 229.

(410) V. Margeret, 168.

(411) L’oncle du faux Dmitri, Smirnoi Otrépieff, assura au Roi de Suède, Charles IX, que cet Imposteur était réellement le fils de son frère Iakoff-Bogdan Otrépieff, un mauvais sujet, que même les austérités du cloître n’avaient pu corriger ; qu’il s’était enfui en Lithuanie ; qu’il y avait appris le métier de militaire, et que, séduit par de mauvais conseils, surtout par ceux d’un certain moine, il avait résolu de prendre le nom de Dmitri. Ce ne fut qu’après la mort de l’Imposteur que Smirnoi fit cette déclaration. (V. Pétréjus, 371).

FIN DES NOTES.