Histoire de la Commune de Paris/A7
CHAPITRE VII.
les élections de la commune.
Sans tenir compte du mauvais vouloir, de l’hostilité, de la haine, des propositions ridicules, des projets odieux, sinistres et insensés de l’assemblée de Versailles, les électeurs de Paris procédèrent, le 26 mars, avec calme, en bon ordre et en toute liberté, aux élections des membres de la Commune.
Le temps était magnifique ce jour-là ; une grande foule se promenait dans les rues, tout était tranquille, l’ordre le plus parfait régnait partout, disaient alors tous les journaux sans distinction de couleur politique.
Le scrutin pour la nomination des membres du Conseil Communal a été ouvert à 8 heures du matin ; les électeurs se sont rendus paisiblement dans les diverses sections électorales des vingt arrondissements, afin de remplir leur devoir de citoyens-électeurs ; chacun d’eux a voté en toute liberté, aucune pression, aucune influence n’ont été exercées sur eux. Jamais la liberté du vote n’a été observée aussi scrupuleusement.
Le Comité Central de la garde nationale a prouvé jusqu’au bout son esprit libéral et son impartialité, son respect de la souveraineté du peuple et du suffrage universel. Sa loyauté a été égale à sa modestie et à son désintéressement.
Le même jour, afin de donner une nouvelle preuve de sa modération, il faisait mettre en liberté le général Chanzy.
Le Comité Central aurait, s’il avait été moins porté aux mesures de clémence, parfaitement pu retenir cet officier supérieur de l’armée, et même le faire condamner, car il avait la preuve que le général Chanzy était venu avec son armée dans l’intention d’organiser la résistance contre le Comité Central, et de conspirer contre lui avec Thiers, Jules Favre, Saisset, Schoelcher, Langlois, et tous les renégats du Quatre-Septembre.
Mais le Comité Central feignit d’oublier ou d’ignorer ce crime, la clémence, presque toujours bonne conseillère, l’emporta dans son esprit, et nous l’en félicitons bien sincèrement. C’était une manière aussi généreuse qu’intelligente d’honorer le scrutin du 26, et de préparer sous les meilleurs auspices l’avènement du nouveau pouvoir.
Les élections ont donné raison aux partisans de la Commune ; les candidats dévoués à cette dernière ont en effet triomphé dans tous les arrondissements, excepté dans les 1er, 2me, 9me, et 16me, où les conservateurs l’ont emporté.
Dans le premier arrondissement, celui du Louvre, l’un des plus aristocratiques de Paris, les candidats de la Commune, les citoyens Vésinier, Miot et Pillot, ont obtenu un nombre de voix bien supérieur à celui qu’ils espéraient ; le premier d’entre eux a eu 3 500 voix. Le même phénomène s’est produit dans le 2me arrondissement.
Le Comité Central de la garde nationale a eu un grand nombre de ses membres influents élus à l’assemblée de la Commune. L’association internationale des travailleurs a obtenu le même succès.
Les élections communales du 26 mars ont été une grande victoire pacifique remportée par la révolution démocratique et sociale.
Presque tous les élus sont des prolétaires, l’élément bourgeois ne figure parmi eux qu’en infime minorité. Le plus grand nombre d’entre eux sont des ouvriers, tous à l’exception des candidats des 1er, 2me, 9me et 16me arrondissements sont des travailleurs soit de la main, soit de la pensée. Quelques-uns exercent, il est vrai, ce que l’on est convenu d’appeler des professions libérales, mais ils n’en sont pas moins dévoués à la cause de la révolution démocratique et sociale, et à l’émancipation des prolétaires. Parmi eux nous citerons les citoyens Félix Pyat, Delescluze, Blanqui, Flourens, Miot, dont les principes révolutionnaires sont suffisamment connus.
D’autres citoyens moins célèbres n’étaient pas non plus des ouvriers, mais tous servaient avec dévouement et courage la cause de ces derniers. Citons parmi eux :
Le citoyen Tridon, avocat, n’ayant jamais exercé sa profession que pour se défendre devant les tribunaux de l’Empire, qui l’ont condamné à de nombreuses années de prison, et la dernière fois à la déportation.
Le citoyen Rigault, étudiant, ex-rédacteur de La Marseillaise, de La Patrie en Danger, et de plusieurs autres journaux républicains, socialistes et libres-penseurs. Le citoyen Rigault avait fait ses preuves sous l’Empire, en combattant courageusement pour la cause du Peuple et de la Révolution. Il avait bravé et subi de nombreuses condamnations pour la défense et la revendication de ses idées politiques, philosophiques et sociales. Rigault était un des plus dévoués, des plus courageux et des plus intelligents membres de la Commune.
Le citoyen Protot, jeune avocat très-distingué, un des accusés dans l’affaire dite de la Renaissance, dont la plaidoirie admirable, devant la sixième chambre, avait été fort remarquée. Quoique bien jeune encore, le citoyen Protot avait déjà beaucoup travaillé pour la cause de l’affranchissement du prolétariat.
Le citoyen Vermorel, avocat devenu journaliste et publiciste, auteur de plusieurs volumes d’histoire, qui s’était toujours fait remarquer par ses attaques vigoureuses contre les hommes de l’opposition, qu’il accusait avec raison d’avoir perdu la République et compromis toutes les libertés par leur conduite coupable, leurs mesures réactionnaires, et leurs décrets liberticides.
Le citoyen Paschal Grousset, ex-rédacteur de La Marseillaise, condamné par la cour de Blois, écrivain original, et révolutionnaire hardi et dévoué.
Le citoyen Vaillant, ancien étudiant instruit, intelligent, et très-profondément convaincu, ayant mis son savoir au service de la révolution sociale.
Le citoyen Jules Vallès, écrivain de talent, journaliste populaire, ayant pris part à un nombre considérable de publications démocratiques et socialistes, et un des pamphlétaires les plus aimés du peuple parisien.
Le citoyen Cournet, rédacteur principal du Réveil, républicain militant bien connu par son zèle et son dévouement.
Le citoyen Arthur Arnould, ex-rédacteur du Rappel et de La Marseillaise.
Les citoyens Regère, docteur ; Lefrançais, ex-maître d’école ; Goupil, docteur ; Parisel, docteur ; Jules Allix, économiste ; Eudes, étudiant ; Verdure, ex-instituteur, rédacteur de La Marseillaise ; Léo Meillet, avocat ; J.-B. Clément, journaliste ; Bergeret, officier ; etc., n’appartenaient pas à la classe ouvrière proprement dite, mais tous avaient ses aspirations, ses besoins, et poursuivaient le même but qu’elle en politique, en philosophie et en économie sociale.
Les autres membres de la Commune étaient presque tous des ouvriers proprement dits. Il y avait encore un des élus du 26 mars, le citoyen Beslay, qui n’était pas ouvrier mais un riche rentier.
Voici par arrondissement la liste exacte du résultat des élections communales du 26 mars :
Adam 7 272 |
Méline 7 251 |
Rochard 6 629 |
Barré 6 294 |
Vésinier 3 566 |
Grandjean 3 458 |
Dr Pillot 3 309 |
Jules Miot 3 219 |
Brelay 7 025 |
Loiseau-Pinson 6 922 |
Tirard 6 386 |
Cheron 6 068 |
Pothier 4 422 |
Serraillet 3 711 |
Durand 3 656 |
Johannard 3 639 |
A. Arnaud 8 679 |
Demay 8 736 |
Pindy 7 816 |
Cléray 6 115 |
Clovis Dupont 5 661 |
Lefrançais 8 705 |
Arthur Arnould 8 584 |
Clémence 8 173 |
Gérardin 8 104 |
Amouroux 7 906 |
Louis Blanc 5 232 |
Régère 4 026 |
Jourde 3 949 |
Tridon 3 948 |
Blanché 3 271 |
Ledroit 3 236 |
Albert Leroy 5 800 |
Goupil 5 111 |
Varlin 3 602 |
Beslay 3 714 |
Docteur Bobinet 3 904 |
G. Courbet 1 172 |
Laccord 1 146 |
Hérisson 956 |
Dr Parisel 3 367 |
Ernest Lefèvre 2 859 |
Urbain 2 803 |
Brunel 1 947 |
Ribeaucourt 968 |
Arnaud (de l’Ariége) 653 |
Toussaint 627 |
Raoul-Rigault 2 175 |
Vaillant 2 145 |
Arthur Arnould 2 114 |
Allix 2 028 |
Carnot 1 922 |
Aubry 1 840 |
Denormandie 1 804 |
Belliard 1 618 |
Ranc 8 950 |
Desmarest 4 232 |
Ulysse Parent 4 770 |
E. Ferry 3 732 |
Nast 3 691 |
Dupont de Bussac 2 005 |
George Avenel 1 449 |
Docteur Sémerie 1 382 |
Briosne 1 085 |
Fortuné (Henri) 11 042 |
Pyat (Félix) 11 813 |
Gambon 14 734 |
Rastoul 10 325 |
Babick 10 738 |
Olive 3 986 |
Mortier 19 397 |
Delescluze 18 379 |
Protot 18 062 |
Assy 18 041 |
Eudes 17 392 |
Avrial 16 193 |
Verdure 16 577 |
Varlin 2 312 |
Geresme 2 194 |
Fruneau 2 173 |
Theisz 2 150 |
Léo Meillet 6 631 |
Général E. Duval 6 482 |
Chardon 4 663 |
Frankel 4 480 |
Billoray 6 100 |
Martelet 5 927 |
Descamps 5 830 |
Parisel 2 773 |
Lefèvre 2 370 |
Urbain 2 304 |
Brunel 1 528 |
Bibeaucourt 1 247 |
Dr Marmottan 2 036 |
De Bouteiller 1 909 |
Félix Pyat 1 332 |
Victor Hugo 1 274 |
Varlin 9 356 |
Clément 7 121 |
Gérardin 6 142 |
Chalin 4 547 |
Malon 4 199 |
Dereure |
Theisz |
Blanqui |
J.-B. Clément |
Th. Ferré |
Vermorel |
Paschal Grousset |
Puget 9 547 |
Oudet 10 060 |
Delescluze 5 840 |
Jules Miot 5 520 |
Cournet 5 540 |
Ostyn 4 100 |
Ranvier 14 127 |
Bergeret 14 003 |
Blanqui 13 498 |
Flourens 13 333 |
La Nouvelle République résume comme suite le résultat définitif des élections :
“ Le nombre des votants a dépassé le chiffre de 250 000.
“ La moyenne des voix attribuées aux candidats élus dépasse le quart des électeurs inscrits ; elle est très-supérieure à la majorité moyenne ordinaire dans les élections municipales.
“ La liste révolutionnaire a triomphé dans seize arrondissements sur vingt, les 3e,4e, 5e,6e, 7e,8e, 10e,11e,12e,13e,14e,15e,17e,18e,19e, et 20e, et remporté un demi-succès dans le 9e.
“ Les 1er,2e, 9e et 16e arrondissements seuls ont voté pour la réaction, représentée par les maires et les adjoints. ”