Histoire de la Commune de Paris/Préface

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Chapman et Hall (p. v-ix).

PRÉFACE.

L’Histoire de la Commune de Paris, que nous publions lorsque les événements qui la constituent sont encore dans tous les souvenirs et préoccupent tous les esprits, sera, nous l’espérons, intéressante et utile.

Notre qualité de membre et de secrétaire de la Commune, de rédacteur en chef du Journal Officiel, nous a donné une connaissance exacte des hommes et des choses de la Commune.

Ayant conservé et nous étant procuré en outre un grand nombre de documents relatifs à son histoire, aidé du souvenir récent des événements auxquels nous avons pris une part active, nous avions les éléments nécessaires pour écrire ce livre en toute connaissance de cause.

Aujourd’hui que l’ignorance, la mauvaise foi, la passion politique et la calomnie dénaturent des événements sur lesquels la lumière n’est pas encore entièrement faite, et que les partis politiques ont un intérêt puissant à travestir, nous croyons qu’il est utile, nécessaire même, dans l’intérêt de la justice historique et de la cause que nous défendons, de dire toute la vérité sur la Commune.

Telle est la tâche que nous avons entreprise.

Nous espérons l’avoir accomplie avec la conscience, le courage et la bonne foi qu’un homme politique sérieux et honnête doit toujours mettre dans le récit des événements qu’il décrits et auxquels il a pris part.

Nous n’avons jamais reculé dans cette histoire devant l’affirmation de ce que nous croyons être vrai, ni devant le récit des événements quels qu’ils soient.

Les bonnes actions, comme les crimes, ont été également enregistrés par nous.

Nous avons déposé dans notre livre avec impartialité des faits que nous avons vus, des paroles que nous avons entendues, et des actes que nous avons accomplis.

Depuis la chute de la Commune, la presse aux gages de tous les partis réactionnaires s’est livrée contre elle et contre ses défenseurs à une véritable orgie de calomnies, de diffamations, de dénonciations, d’injures et d’outrages ; il nous aurait été bien difficile de réfuter toutes ces infamies, plusieurs volumes n’y auraient pas suffi.

Nous nous sommes donc contenté de prouver la fausseté des accusations principales formulées contre la Commune, et de montrer cette dernière telle qu’elle était, avec ses principes, ses actes et son but véritables, sans nous préoccuper outre mesure des accusations, aussi insensées que calomnieuses et nombreuses, dont elle a été la victime.

En ce qui nous concerne particulièrement, nous avons souffert des calomnies les plus odieuses et des outrages les plus grossiers, nous croyons, que jamais personne en a essuyé de plus dégoûtants et de plus injustes ; la presse honteuse a dépassé à notre égard tout ce qu’on avait vu jusqu’à ce jour de plus cynique.

Nous avions d’abord eu l’intention de réfuter toutes ces accusations mensongères et toutes ces calomnies infâmes ; mais après mûres réflexions nous avons pensé qu’il était plus digne et plus convenable de ne pas nous abaisser à nous justifier d’accusations aussi fausses, émanant d’une source aussi corrompue.

Nous avons cru que des journalistes prostitués, des écrivains en carte tombés plus bas que des filles soumises ; que les êtres les plus dégradés et les plus ignobles remplissant le rôle d’espions, de dénonciateurs, de pourvoyeurs du bagne et de la fusillade, véritables valets des bourreaux de Paris, étaient indignes d’une réponse, et qu’ils ne méritaient que le dédain et le mépris.

Ceux qui nous connaissent savent que nous sommes incapable de commettre une seule des mauvaises actions que nous reprochent les misérables agents secrets de la presse policière.

Quant aux autres, il ne leur sera pas difficile de se renseigner sérieusement sur notre compte et de se convaincre de la fausseté des accusations portées contre nous par ces infâmes. Notre vie n’est pas un mystère, il y a plus de vingt ans que nous nous occupons de politique ; nos actes et nos écrits sont assez connus et assez nombreux pour qu’on puisse nous juger. Qu’on choisisse donc entre les calomnies de journalistes infects, objet du mépris universel, et les protestations d’un homme qui n’a rien à se reprocher, et qui met ses ennemis au défi de produire contre lui un seul fait entachant l’honneur. S’il est un seul homme qui ait à se plaindre de nous, qui puisse fournir la preuve que nous nous sommes rendu coupable envers lui d’un seul acte contraire à la justice, qu’il se lève et qu’il nous accuse ?

En notre qualité de membre de la Commune nous avons servi celle-ci avec tout le dévouement dont nous sommes capable ; nous avons combattu pour elle jusqu’au dernier moment ; nous l’avons fait avec tout le zèle et tout le courage possible, et nous n’avons jamais employé que des moyens avouables contre ses ennemis.

Dans nos votes et dans tous nos actes, nous nous sommes toujours inspiré des principes de justice et de droit qui sont la base de nos convictions.

Nous ne nous sommes jamais départi un seul instant des obligations et des devoirs qu’imposent la moralité et l’équité, et au milieu des terribles et tragiques événements qui se sont accomplis autour de nous, nous n’avons à nous reprocher ni une mauvaise proposition, ni une mauvaise action.

Nous ne nous sommes rendu coupable d’aucune violence, ni d’aucune injustice. Nous n’avons jamais attenté ni à la liberté, ni au produit du travail, ni à la vie d’un seul citoyen. Nous nous sommes battu les armes à la main, contre les agresseurs de Paris, soldats de Versailles ; mais nous n’avons jamais frappé un ennemi désarmé.

Nous avons accompli notre devoir à la Commune et écrit cette histoire avec la conscience tranquille, sans redouter le jugement de nos contemporains et celui de la postérité.

P. VÉSINIER,
Ex-membre et Secrétaire de la Commune,
délégué au Journal Officiel.