Histoire de la Révolution russe (1905-1917)/Chapitre XXXI

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XXXI


À la reprise des séances de la Douma (2 décembre), Trepov lut un discours patriotique, parla de la reconstitution de la Pologne et de la conquête des Détroits, indispensable à l’avenir de la Russie, comme l’avaient d’ailleurs reconnu les Alliés. Il affirma aussi le désir du Gouvernement de coopérer avec les municipalités et les zemstvos, à quoi répondirent des cris énergiques : « Nous n’en croyons rien ! » La Douma était à bon droit très mécontente de voir encore Protopopov sur le banc des ministres et en faisait porter la peine à Trepov. Pouriskevitch supplia le Gouvernement d’être aussi patriote que les ouvriers qui travaillaient aux munitions ; il conjura le tsar d’ouvrir les yeux et de ne pas permettre que les destinées de la Russie fussent dirigées par des gens à la solde de l’Allemagne. Trois jours après, le président Rodzianko, insulté par un membre de l’extrême-droite, donna sa démission, mais fut réélu séance tenante par deux cent cinquante-cinq voix contre vingt-six ; le gouvernement français lui envoya, comme marque d’estime particulière, la plaque de grand-officier de la Légion d’honneur.

Au Conseil d’Empire, alors que Trepov exhortait les partis à la concorde, le prince A.-D. Galitzine (à distinguer du futur ministre) lui demanda : « Quelles garanties pouvez-vous nous offrir contre les forces ténébreuses de l’arrière qui, à la honte de la Russie, sont personnifiées par des hommes dont les noms ont été dénoncés avec fracas du haut de la tribune ? » Le Conseil vota une résolution demandant la coopération du Gouvernement avec les institutions libérales et la suppression des influences occultes et irresponsables (9 décembre). Ce vote du grand corps conservateur fut très commenté ; mais Protopopov et Raspoutine, qu’il visait directement, restèrent, l’un arc-boutant l’autre, tout puissants à la Cour.

Le 12 décembre, le chancelier allemand remit une note aux neutres, proposant d’ouvrir des négociations pour la paix. Deux jours après, une note officieuse russe, d’accord avec les chancelleries de l’Entente, dénonçait cette offre de paix sans base comme un piège. Pokrovsky, qui appartenait à l’administration des finances, fut nommé ministre des Affaires étrangères (14 décembre) et prononça presque aussitôt à la Douma un discours énergique, s’associant au refus des Alliés d’entamer des négociations dans le vide. Il renouvela ces déclarations au Conseil d’Empire (19 décembre) et dit à des journalistes (le 26) que la Russie restait l’alliée fidèle de la Roumanie, que les deux pays ne formaient désormais qu’un seul front, tant politique que militaire (allusion probable au bruit que Stürmer avait proposé la Valachie à l’Autriche en échange d’une partie de la Galicie). Le même jour, une grande cérémonie en l’honneur de la France avait lieu à l’hôtel de ville de Pétrograd. Le 27, le tsar publia un manifeste : les Alliés n’entreront en pourparlers pour la paix qu’au moment convenable ; il faut d’abord que la Russie chasse l’envahisseur, constitue la Pologne libre, prenne Constantinople ; la tâche est immense et exige la coopération de toutes les forces du pays.

Ces déclarations pouvaient inspirer confiance, car le tsar et son ministre Pokrovsky étaient sincères ; mais les forces ténébreuses n’avaient pas désarmé et continuaient à menacer à la fois l’honneur et les libertés de la Russie.

Un congrès des comités des industries de guerre réuni à Moscou (22 décembre) s’éleva contre « un pouvoir irresponsable, mû et guidé par des agents mystérieux » et reprocha au gouvernement de paralyser les organisations qui venaient en aide aux soldats blessés, qui pourvoyaient au ravitaillement des troupes. Telle était, en effet, la politique de Protopopov, qui prétendit faire surveiller toutes les réunions par la police, ce que le congrès de Moscou n’accepta point. La Douma blâma l’interdiction du congrès des zemstvos et municipalités (26 décembre), en rappelant que le président du Conseil avait rendu hommage à leur action patriotique et que ces organisations étaient en pleine communauté d’idées avec la Douma.