Histoire de la Révolution russe (1905-1917)/Chapitre XXXIII

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XXXIII


Le mois de mars 1917, qui devait voir l’éclosion des libertés russes, commença sous de sombres auspices. Bien que n’ayant presque rien exporté depuis trois ans, ayant en réserve plus de cent cinquante mille tonnes de blé, la Russie était à la veille de manquer de pain, du moins dans les grands centres ; elle manquait aussi de combustible pour les usines. Cet état de choses, qui pesait durement sur les ouvriers, était dû à l’incapacité ou à la malhonnêteté de l’administration qui n’avait pas su organiser les transports ; peut-être — on le supposait du moins — désirait-elle même accroître la disette, soit pour exaspérer la population et justifier une répression inexorable, soit pour trouver un argument nouveau en faveur d’une capitulation. On remarquait d’ailleurs que le chancelier allemand, dans son dernier discours au Reichstag, avait évité de parler de la Russie et des projets allemands d’annexions vers l’est. Malgré la sévérité de la censure, on s’inquiétait à l’étranger ; la presse anglaise, plus libre que la nôtre, demandait, dès le 5 mars, que l’opinion publique des pays de l’Entente se solidarisât ouvertement avec la Douma.

Vers la fin de janvier, la police de Petrograd se montra très active, hissant des mitrailleuses sur les édifices les plus élevés, sous le prétexte avoué de combattre des attaques aériennes. Les postes de police étaient remplis de revolvers et les agents sans cesse tenus en éveil.

Le procès de Manouilov, secrétaire et complice de Stürmer, accusé d’avoir extorqué vingt-cinq mille roubles à une banque de Moscou, commença enfin à Pétrograd le 1er mars, Le 6, il fut condamné à dix-huit mois de prison et arrêté séance tenante. C’était un avertissement sévère, donné par un tribunal, au parti réactionnaire qui avait employé Manouilov et s’était efforcé de le sauver.

Peu après (le 8), le Conseil d’Empire refusait de donner suite à l’action intentée par Stürmer contre Milioukov, ce dernier étant couvert par l’immunité parlementaire (qui n’était pas formellement inscrite dans la loi).

En même temps, le bruit se répandait d’une prochaine dissolution de la Douma et d’un coup de force contre les éléments d’opposition. L’Europe occidentale était presque sans nouvelles de Russie ; une atmosphère d’orage pesait sur le pays tout entier.