Histoire de la chimie/Tome 1/Coup d’œil général sur le progrès de la science

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HISTOIRE
DE LA CHIMIE.

COUP D'ŒIL GÉNÉRAL
SUR LE PROGRÈS DE LA SCIENCE.

Avant de se constituer, la science obéit à un mouvement oscillatoire qui la porte tantôt vers la théorie, tantôt vers la pratique. Jamais il n’y a d’équilibre parfait entre le sujet qui observe et l’objet soumis à l’observation.

Trois grandes époques dominent la science.

Dans la première époque, l’intelligence qui s’assimile les faits est, autant que possible, indépendante, libre de toutes les entraves de la superstition et des préjugés systématiques. Bien que dépourvues de preuves scientifiques, les doctrines d’intuition primitive nous étonnent souvent par leur justesse et leur grandeur. Cette époque, qui incline visiblement vers la pratique, embrasse toute l’antiquité, et s’étend jusqu’au moment de la lutte mémorable entre le christianisme naissant et le paganisme à l’agonie.

Dans la seconde époque, l’esprit d’observation s’affaiblit ou s’égare. Soumise à l’autorité spirituelle, la pensée abandonne le champ de l’expérience pour se réfugier dans le domaine de la spéculation mystique et surnaturelle. De là l’origine de tant de doctrines étranges, enfantées par l’imagination des disciples de l’art sacré et de l’alchimie. Cette époque, qui incline plus particulièrement vers la théorie, comprend tout le moyen âge, jusqu’aux temps modernes.

Dans la troisième époque enfin, qui est la nôtre, et que par un sentiment d’orgueil inné les contemporains sont toujours portés à juger favorablement, la lumière semble apparaître après les ténèbres, comme si la loi du contraste devait s’accomplir partout nécessairement.

La science , cette grande manifestation de l’équilibre entre l’intelligence et la matière, entre l’expérience et la raison, commence à se montrer, revêtue de ses formes sévères, et entourée de preuves propres à convaincre plutôt la raison, qui tend sans cesse vers l’unité, qu’à parler à l’imagination, qui se plaît dans la variété des choses.

Pour bien fixer les idées, citons un exemple. Tout le monde connaît les accidents d’asphyxie qui arrivent dans les mines. Les anciens les expliquaient par la présence d’airs irrespirables, qui, disaient-ils, éteignent la lampe du mineur en mûme temps que la vie.

Pour les alchimistes, ce n’étaient plus des airs irrespirables, mais des démons malins qui égaraient l’ouvrier dans les mines, et l’y faisaient périr traîtreusement.

Enfin, revenant à l’idée première après s’en être écartée, l’observation démontre aujourd’hui scientifiquement ce que les anciens n’avaient entrevu qu’idéalement.

Mais ce n’est pas seulement le développement de la chimie qui présente les phases indiquées. La physique, l’astronomie, toutes les sciences, presque toutes les connaissances humaines, paraissent, dans leur marche, suivre la même voie.

Autre exemple. Qu’est-ce qui fait monter l’eau dans un corps de pompe ?

Vitruve, l’organe de la science de l’antiquité, répond que c’est l’air; mais il n’en donne aucune démonstration.

Les physiciens du moyen âge prétendent que c’est l’horreur du vide, et ils émettent ici des théories sans fondement.

Enfin, personne n’ignore que l’opinion de Vitruve est aujourd’hui , après un intervalle de près de vingt siècles , confirmée et démontrée scientifiquement.

Un dernier exemple. Pythagore enseignait que la terre tourne autour du soleil, et que celui-ci occupe le centre du monde. Plus tard, on enseignait tout le contraire. Enfin Kopernik fonda la science sur une idée qui s’était d’abord présentée au génie de Pythagore, comme une de ces conceptions qui ne se démontrent pas.

Ainsi, la vérité est presque toujours méconnue, souvent repoussée, lorsqu’elle vient s’offrir en quelque sorte d’elle-même à l’esprit humain : il faut du travail, souvent de très-grands efforts pour arriver à la reconnaître.

Tâtonner dans les ténèbres avant de se rendre à la lumière , passer par l’erreur avant d’arriver à la vérité, telle est la marche de l’esprit humain.

Les mots vérité et erreur n’ont aucun sens absolu ; car ce que nous appelons aujourd’hui vérité pourra demain être démontré erreur, et réciproquement : l’histoire l’atteste. Chercher la vérité et en approcher plus ou moins, telle est la condition d’inégalité, mouvement de l’intelligence humaine. La vérité absolue, de même que le repos absolu, n’existe point pour l’homme.