Histoire de la conquête de l’Inde par l’Angleterre (Barchou de Penhoën)/Livre XVII

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Au comptoir des imprimeurs-unis (tome 5p. --126).

LIVRE XVII.

SOMMAIRE.


Siège d’Agra. — Prise et butin du fort d’Ackbarebad. — Description d’Agra. — L’armée quitte Agra. — Bataille de Laswarie. — Conséquence de la victoire. — Soumission de divers rajahs. — Expédition contre Cutlock. — Opérations du général Wellesley dans le Deccan. — Bataille d’Assya. — Expédition de Guzerate. — Prise de Baroach. — Population de Guzerate. — Fin de la campagne dans cette province. — Reprise des hostilités par le général Wellesley. — Négociations pour la paix. — Bataille d’Argaum. — Siège de Gawilghur. — Conclusion de la paix avec le rajah de Berar. — Défaite des Pindarries. — Adresse des habitants de Calcutta au gouverneur-général. — Disposition d’esprit de Holkar à l’égard des Anglais. — Reprise des hostilités. — Entrée en campagne du général Lake. — Conférence entre des négociateurs anglais et des envoyés de Holkar. — Désastre dans le Bundelcund. — Vents brûlants. — Défaite de Tantia, un des lieutenants de Holkar. — Détachement du colonel Monson. — Dispositions militaires du général Lake. — Siège de Delhi par Holkar. — Belle défense du colonel Ochterlony. — Levée du siège. — Invasion du Doab par Holkar. — Le général Lake se met à sa poursuite. — La begum Sumroo. — Georges Thomas. — Bataille de Furruckabud. — Bataille de Deeg. — Lake se met à la poursuite de Holkar. — Origine et caractère des Gauts. — Le rajah de Bhurtpoor. — Siège et prise de Deeg par l’armée anglaise. — Siège de Bhurtpoor. — Défection d’Ameer-Khan. — Défaite d’Ameer-Khan. — Continuation du siège de Bhurtpoor. — Quatre assauts demeurent inutiles. — Le siège est converti en blocus. — Georges Thomas entre au service des Anglais. — Conclusion de la paix entre le rajah de Bhurtpoor et les Anglais. — Coup d’œil sur l’administration intérieure. — Résultats des réformes de lord Cornwallis.
(1803 — 1805.)


Séparateur


Après avoir donné quelques jours à connaître la ville, le général en chef et l’armée quittèrent Delhi le 24 septembre. Le lieutenant-colonel Ochterlony y demeura comme résident avec une garnison d’un bataillon et de quatre compagnies d’infanterie indigène. L’équipage de siège fut embarqué sur la Jumna, tandis que l’armée côtoya la rive ouest de cette rivière ; dans la direction d’Agra, le fort de Ballighur salua son passage par une salve de onze coups de canon. Le même jour, le 25, un vackel arriva de la part du rajah de Bhurtpoor, demandant la protection et l’alliance du gouvernement britannique ; avances promptement agréées. Arrivée à Mutra le 2 octobre, l’armée s’y grossit d’un détachement du colonel Vaudeleur, qui avait traversé la Jumna en ce lieu trois jours auparavant. L’ancienne Methora de Pline, Mutra, est une ville, grande, bien bâtie, en grande vénération parmi les Indous, comme lieu de naissance de Krishna. Prise par Scindiah, assignée par lui au général Perron, elle était devenue la principale fonderie de canons, le principal arsenal de ce dernier. Vindravana, autre ville d’une sainteté égale, se trouvait à peu de distance : de toutes les parties de l’Inde, les Indous vont accomplir certains pèlerinages dans cette dernière ville, et se baigner dans la rivière qui la traverse. Ce fut là, dit-on, que Krishna apparut, se manifesta pour la première fois, sous forme humaine. Les Cipayes de l’armée se hâtèrent d’aller visiter ce lieu, tellement renommé dans leur croyance. D’innombrables troupes de singes errant çà et là dans la campagne, protégés par le respect que leur portaient les Indous en rendaient l’accès fort difficile ; car se défendre contre leurs attaques les plus vives n’était rien moins qu’un sacrilège que leurs adorateurs ne manquaient pas de faire cruellement expier aux coupables. Deux officiers anglais en fournirent un fâcheux exemple : Très vivement attaqués par une troupe de singes, sur le point de succomber : l’un d’eux fit feu avec un pistolet. La populace s’ameuta sur-le-champ, résolue à les mettre en pièces ; ils se précipitèrent dans la Jumna pour lui échapper, mais se noyèrent dans le passage.

Le 3 octobre, l’armée poursuivit sa marche ; elle campa dans la soirée à moitié chemin de Mutra et d’Agra. Le 7, elle effectua le blocus de celle-ci, coupant autant que possible toutes ses communications avec le pays environnant. Le 9, le général Lake conclut un traité d’alliance défensive et offensive avec le rajah de Bhurtpoor, le premier des chefs ennemis qui eût fait une, démarche de ce genre ; les États du rajah furent reconnus par le gouvernement anglais et affranchis de tout impôt. En retour, le rajah s’engageait à fournir aux Anglais un certain nombre de troupes dans le cas où leur propre territoire serait envahi. Après la ratification du traité, il envoya en conséquence un corps de 5,000 chevaux destiné à coopérer avec l’armée anglaise devant Agra. Le général Lake, ayant fait sommer le fort, ne reçut aucune réponse. La garnison se trouvait en état de rébellion contre ses officiers européens, qu’elle avait emprisonnés, d’ailleurs résolue à se défendre. Sept bataillons avec de l’artillerie formaient cette garnison. Ils campaient sur les glacis, occupaient la ville, la mosquée principale, aussi bien que les ravines se trouvant au midi et au sud-ouest du fort. Avant d’ouvrir la tranchée, il était urgent de commencer par les déloger. Lake les fit vigoureusement attaquer le 10 dans les ravines, pendant qu’il dirigeait une autre attaque sur la ville ; toutes deux réussirent. Après un combat sanglant, la ville fut évacuée. Une partie de la garnison se retira dans la grande mosquée, une autre dans le fort, une troisième sous la protection des canons du fort. La perte des assiégés fut de 600 hommes, 26 canons de bronze, autant de caissons chargés de poudre, et 29 chariots remplis de munitions ; celle des Anglais de 218 hommes tués ou blessés, parmi lesquels un assez grand nombre d’officiers. Deux jours après, un détachement ennemi qui se trouvait en dehors du fort se rendit et passa dans le camp anglais. De nombreuses et profondes ravines en cachant les Anglais aux yeux des assiégés leur donnaient beaucoup de facilité pour la conduite des opérations du siège. La batterie de brèche fut élevée à 350 verges au sud-ouest du fort, près de la rivière. Le même jour, la garnison demanda une cessation d’hostilités pour arranger les termes d’une capitulation ; ce qui fut accordé jusqu’à quatre heures de l’après-midi. Le fort, construit avec une sorte de pierres rouges de la couleur et de la dureté du jaspe, était solidement bâti, entouré d’un fossé fort profond, défendu par une double enceinte ; la seconde, ou celle intérieure, fort élevée, ayant des bastions à des distances régulières. En un mot, rien n’avait été négligé pour ajouter à la force de cette place, appelée par les indigènes la clef de l’Indostan.

Le colonel Sutherland, fait prisonnier dans une rencontre récente, fut rendu à la liberté. Il arriva au camp, portant une lettre au général en chef, signée par les officiers de la garnison. Ils s’engageaient à livrer le fort, l’artillerie, les magasins, etc., à l’instant où le général le jugerait convenable, à compter de la réception de leur lettre ; ils demandaient en échange sécurité pour leurs personnes et leurs propriétés, de plus l’autorisation, soit de demeurer dans la ville soit d’aller où bon leur semblerait. Le capitaine Salkeld, accompagnant le colonel Sutherland à son retour auprès des assiégés, leur communiqua les propositions du général Lake. Ce dernier accordait aux officiers et aux Cipayes les conditions essentielles demandées par eux-mêmes ; il exigeait, en revanche, que les armes, magasins, chariots, argent alors dans le fort, fussent livrés aux Anglais sans qu’il en fût rien détourné ; que l’heure de la reddition du fort fût irrévocablement fixée. À son arrivée dans le fort, le capitaine Salkeld trouva une grande diversité d’opinions parmi les chefs. Plusieurs difficultés furent élevées sur les expressions du général en chef ; il s’efforça de les aplanir, mais sans succès. Le fort recommença son feu, et l’envoyé anglais dut hâter son retour au camp, où peu s’en fallut qu’il ne pût parvenir. La nuit étant close, il descendit la rivière dans un bateau où se trouvait une lumière. Un officier anglais, qui commandait une batterie de deux pièces de 12 sur la rive opposée, ne doutant pas que ce fût quelque détachement ennemi qui voulait s’échapper, tira une volée à fleur d’eau, et les boulets rasèrent le bateau ; Une autre volée allait suivre celle-ci, lorsqu’on entendit fort heureusement une voix qui s’écriait en fort bon anglais : « Goddam ! que faites-vous donc ? c’est moi, moi, le capitaine Salkeld. ».

Les ennemis ouvrirent alors un feu terrible, qui continua toute la nuit, et lancèrent de temps à l’autre quelques fusées pour reconnaître la position des Anglais. Ceux-ci continuèrent les tranchées sans répondre ; parfois quelques uns des assiégés avaient la hardiesse de s’approcher en rampant, à la faveur de l’obscurité, jusqu’au parapet des batteries anglaises où ils échangeaient quelques coups de fusil. Le 14, le général envoya un autre messager à la garnison ; mais les assiégés refusèrent de le recevoir, le but de leurs premières négociations n’ayant été que de gagner du temps. Le 17, une grande batterie de brèche consistant en huit canons de dix-huit et quatre obusiers fut complétée ; elle ouvrit immédiatement son feu sur le bastion sud-est du fort, en apparence le moins susceptible de résistance. Une batterie d’enfilade de quatre pièces de douze se trouvait à la gauche de la batterie de brèche ; à sa droite, sur la rive même de la rivière, celle qui menaça de devenir funeste au capitaine Salkeld. En peu de temps la brèche devint praticable. Les assiégés demandèrent à capituler, acceptant d’avance les conditions qu’il plairait au général anglais d’imposer. La garnison, montant à 5 ou 6,000 hommes, évacua le fort, que les troupes anglaises, sous le commandement du colonel Mac-Donald, occupèrent immédiatement. Parmi le butin se trouva une pièce d’artillerie célèbre dans toute l’Inde sous le nom de grand canon d’Agra. Suivant la tradition, paraissant fort vraisemblable, ce canon, de dimensions gigantesques, n’était pas de bronze, mais composé du mélange d’un grand nombre de métaux les plus précieux. Les magistrats offrirent pour son rachat une somme de 12,000 livres sterling. Il avait vingt-trois pouces de calibre, mesurait en longueur quatorze pieds deux pouces, et lançait un boulet de quinze cents livres. Les difficultés de la fusion et du coulage d’une masse de métal aussi énorme faisaient de cette pièce d’artillerie une chose curieuse comme objet d’art, dénuée d’ailleurs de toute utilité en raison de la difficulté de la manœuvrer. Le général Lake essaya d’enlever ce trophée pour le porter à Calcutta ; aucun moyen de transport ne fut suffisant. Outre ce prodigieux canon, on en trouva un autre de soixante-douze livres de balles de la même composition, soixante-seize canons de bronze de divers calibres, quatre-vingt-six pièces en fer, d’espèces différentes, telles que mortiers, obusiers, caronades, pièces légères, etc. Les canons en bronze sortaient de la même manufacture que ceux pris à Delhi.

La nouvelle de la capture d’Agra produisit dans Calcutta de grandes démonstrations de joie et d’enthousiasme. Le fort William salua de son canon l’heureuse nouvelle, qui se répandit bientôt dans toute la ville. La conquête d’Agra achevait de rendre entièrement sûre la navigation de la Jumna ; elle complétait et renforçait la possession de Delhi et de Mutra par l’acquisition d’une portion de terre considérable sur la rive droite de la Jumna. On avait trouvé dans le fort d’Agra des espèces montant à 280,000 livres sterling, qui semblaient, d’après les registres, appartenir au public ; ce qui, d’après les règlements, en faisait la propriété des vainqueurs. Le général Perron n’en réclama pas moins ce trésor comme sa propriété particulière ; il prétendait l’avoir placé dans les mains d’un agent indigène. Il s’adressa au gouverneur-général ; celui-ci refusa de donner une réponse positive à cette requête avant d’avoir consulté le général Lake. Selon ce dernier, à la vérité juge et partie dans la cause, la protection accordée par lui au général Perron ne s’étendait pas au-delà des propriétés emportées par ce dernier à l’époque de son départ, et ne lui constituait aucun droit à réclamer ce qui demeurait en arrière dans une contrée ennemie. Une commission d’enquête, nommée pour éclaircir le fait, décida dans ce sens ; elle motiva son avis sur ce fait que cet argent était le reste d’une somme plus considérable dont une partie, depuis le moment de son dépôt dans le fort, avait été employée à payer les troupes de Scindiah. Les officiers et les soldats se partagèrent donc ce butin.

La ville d’Agra s’élève majestueusement en un vaste demi-cercle au sud-ouest de la Jumna. Dans les jours de sa prospérité, au temps de Akbar, son fondateur en 1566, sa circonférence était de trente milles ; elle est beaucoup moindre aujourd’hui. Dans le voisinage de la ville moderne se trouvent encore de nombreux palais, de nombreuses maisons de campagne, appartenant jadis aux grands seigneurs de l’empire ; tristes vestiges d’une splendeur depuis long-temps éclipsée. Mais le grand monument de la ville moderne d’Agra est la forteresse d’Ackbarabad, renfermant le palais impérial, et de plus un grand nombre de beaux édifices : mosquée, arsenal, magasin, bains, fontaines, etc., le tout en marbre blanc. On citait encore certaines cascades artificielles d’un effet merveilleux. La construction seule du palais coûta, dit-on, 3,000,000 de roupies, un laps de temps de douze années, et consomma le travail journalier de mille ouvriers. Situé sur la Jumna, en forme de croissant, couvrant un terrain d’un mille de circonférence, il était bâti sur trois cours intérieures, les unes et les autres ornées d’élégants portiques et de vastes galeries. De ces cours, la première, entourée d’une colonnade de marbre vert, était réservée à la garde impériale ; les appartements publics de l’empereur donnaient sur la seconde : c’est la qu’il recevait les grands de l’État et s’occupait d’affaires ; la troisième enfin renfermait le harem et les appartements particuliers du souverain. La richesse de celle-ci surpassait encore celle des autres. Les jardins tout remplis d’autres merveilles d’art et de magnificence s’étendaient sur un vaste espace de terrain en arrière du palais. En avant du palais, c’est-à-dire du côté de la rivière, s’ouvrait une vaste arène ; elle était destinée, soit à différents exercices des éléphants de l’empereur, soit à des combats de bêtes féroces, amusements si chers à l’ancienne Rome. Un Européen qui visita ce palais, après avoir parcouru tout l’Orient, le met au dessus de tout ce dont il avait eu jusque là l’idée. Ackbar voulait plus encore cependant ; il rêva la construction d’une treille immense, dont les vignes, couvertes de grappes de raisin, seraient représentées à l’aide de pierres précieuses, dans toutes les nuances de leur fructification, depuis le gris clair jusqu’au rouge foncé. Les richesses de l’Asie entière n’auraient peut-être pas suffi à l’exécution complète de ce projet ; aussi trois plants de vignes seulement furent-ils achevés : le cep de ces plants est en or massif, les fruits et les feuilles en émeraudes, rubis ou autres pierres précieuses. Une passion étrange, inouïe, presque furieuse, pour les pierreries, est un des caractères distinctifs de l’Orient ; on la retrouve depuis les premiers temps du monde jusqu’à nos jours.

À la mort d’Ackbar, Shah-Jehan transporta le siège de l’empire à Delhi, mais toutefois dota la ville d’Agra d’un monument magnifique, célèbre dans tout l’Orient sous le nom de Taujee-Mahal : c’est un tombeau en l’honneur de sa sultane favorite, morte en couches dans l’année 1631. Le mausolée se trouve placé sur une terrasse située au milieu du jardin, qu’elle domine de 60 pieds, taillée en gradins sur toutes ses faces. Construit en marbre blanc, il est entouré d’une vaste galerie de 40 pieds de large. À chacun des angles de la terrasse s’élève un élégant minaret terminé par une coupole supportée elle-même par huit colonnes, d’où la vue s’étend sur une plaine immense. Au centre de l’édifice domine le dôme, dont la voûte arrondie s’élève au milieu des pyramides élancées des minarets, contraste de forme de l’effet le plus pittoresque. De nombreuses sentences du Coran ressortent en marbre noir. Un grand nombre de prêtres, servis par une multitude d’esclaves, habitent ce tombeau, et sont chargés d’y accomplir les rites religieux. Une compagnie d’artillerie et un bataillon d’infanterie, sous le commandement d’un officier de haute naissance, étaient chargés de sa garde. Le nom de la femme à laquelle était consacrée cette magnifique sépulture était Arjammed-Banoo, nom changé plus tard en celui de lumière du monde.

À une époque antérieure à la campagne, Scindiah avait détaché de ses troupes du Deccan quinze bataillons sous les ordres d’un Français, M. Dudernaigue ; ce dernier avec quelques officiers se rendit au corps commandé par le colonel Vaudeleur. Dans l’opinion de Scindiah, ce corps d’armée, réuni à ce lui qui se trouvait sous les murs de Delhi, devait suffire à arrêter les progrès des Anglais ; la bataille du 11 septembre trompa ces prévisions. Le corps d’armée, augmenté même de deux bataillons échappés de Delhi, ne fit aucune tentative pour faire lever le siège d’Agra. Il se contenta de prendre une forte position sur les derrières de l’armée anglaise, résolu d’attendre une occasion favorable pour faire une tentative sur Delhi. Le général en chef craignit que la présence de ce corps d’armée n’ébranlât la fidélité des princes nouvellement soumis aux Anglais ; en conséquence, il se détermina à quitter Agra pour marcher à sa rencontre. Le 27 octobre, l’armée rentra en campagne. Le jour suivant, une tempête terrible, en inondant le camp, la contraignit de faire halte à Karowley. Le 19, elle marcha dans la direction de Futtypore-Sykru ; le 20, ayant laissé sa grosse artillerie et son bagage à Futtypore, gardés par deux bataillons d’infanterie indigène, elle fit une marche de 20 milles dans le but de rejoindre l’ennemi. Le 31, elle vint effectivement camper à une petite distance de Cutumbo, où il se trouvait depuis ce même matin.

Le même jour, à onze heures du soir, le général Lake se mit en mouvement à la tête de sa cavalerie ; voulant se saisir, au moyen d’une manœuvre rapide, de l’artillerie et des bagages de l’ennemi, il laissa en arrière, avec ordre de le rejoindre, son infanterie et ses bagages. Après avoir fait vingt-cinq milles au moins en six heures, il se trouva le 1er novembre dans leur voisinage., Les forces des Mahrattes consistaient en 17 bataillons d’infanterie régulière, environ 9,000 hommes, 4 à 5,000 chevaux, et 72 canons. À l’approche des Anglais, ils commencent avec grande précipitation leur mouvement de retraite ; Lake se décide alors à une attaque immédiate sans attendre son infanterie. Comme mesure de défense, les Mahrattes avaient coupé les digues d’un large réservoir d’eau, ce qui rendait la route difficile, presque impraticable à la cavalerie ; celle-ci ne put avancer que fort lestement, et les Mahrattes eurent tout le loisir de modifier et de rectifier leur position. Leur droite s’appuyait au village de Laswaree, protégée par un petit ruisseau avec rives escarpées, et difficile à franchir ; leur gauche à un autre village appelé Mohulpoor. Là quelques bataillons, adossés à ce village, formaient une ligne perpendiculaire à celle de l’ennemi. Leur front était protégé par de grandes herbes ; leur artillerie disséminée sur toute la ligne : un immense nuage de poussière les enveloppait en ce moment, en les dérobant complètement aux yeux du général anglais. Cette circonstance favorable en elle-même leur permit en outre de faire toutes ces manœuvres sans que Lake s’en doutât. La dernière apparition distincte qu’il en avait eue était à ce village de Mohulpoor ; il se hâte de diriger vers ce point la première brigade de sa cavalerie, et se dispose à la suivre avec le reste. La brigade s’élance avec une impétuosité en harmonie avec l’esprit entreprenant du général. La ligne ennemie est enfoncée, brisée ; la cavalerie la dépasse, pénètre dans le village, prend quelques canons. Le colonel Vaudeleur tombe blessé mortellement. La 3e brigade, commandée par le colonel Macau, reçoit l’ordre de tourner le flanc droit de l’ennemi ; sans hésiter, elle traverse le ruisseau, en colonne serrée, sous un feu très vif. Elle se déploie après l’avoir franchi, et charge délibérément ; mais la plus grande partie de l’artillerie ennemie se trouvait sur ce point ; des chaînes en liaient même, dit-on, les pièces les unes aux autres afin de multiplier les obstacles sous les pas de la cavalerie ennemie. L’infanterie mahratte, immobile, réservait son feu pour le moment où les Anglais ne se trouveraient plus qu’à quelques pas d’elle. Cachées par de hautes herbes, les batteries n’avaient pas été aperçues par les Anglais : elles se montrèrent par une décharge générale ; une pluie de mitraille, de bombes, d’obus et de boulets, tomba tout-à-coup dans les rangs de ces derniers. La cavalerie n’en continue pas moins la charge, décidée à surmonter ce danger par la rapidité de ses mouvements. Elle enfonce effectivement la ligne mahratte, se réforme, charge de nouveau. Mais les canonniers ennemis, qui ont trouvé protection sous leurs canons encore chargés, font une nouvelle décharge à bout portant. D’un autre côté, une partie des troupes mahrattes, retranchée derrière des charrettes, fait un feu de mousqueterie fort bien nourri. Après trois charges consécutives, la brigade anglaise se dispose néanmoins à en exécuter une quatrième ; mais elle reçoit l’ordre de rétrograder.

L’infanterie anglaise accourait, impatiente de partager la gloire et les périls de la journée. Après une marche de vingt-cinq milles sous un soleil dévorant, elle parvint à midi sur les bords du ruisseau ; mais alors quelques instants de repos lui étaient devenus nécessaires. Pendant ce temps, un messager se présenta de la part des Mahrattes ; ceux-ci proposaient de livrer toute leur artillerie moyennant certaines conditions. Le général en chef accueillit cette demande ; il accorda une heure de trêve, annonçant sa résolution d’exécuter une nouvelle attaque au bout de ce temps. Il en fit immédiatement les préparatifs. Par ses ordres, l’infanterie prit la gauche de l’armée anglaise, et s’y forma en deux colonnes. Celle de droite, commandée par le major-général Wade, fut désignée pour attaquer le village fortifié de Mohaulpoor, véritable clé de la position des Mahrattes : ceux-ci se trouvaient en effet sur deux lignes, toutes deux appuyées par leur gauche à ce village. La deuxième colonne, d’infanterie, sous les ordres du major-général Saint-John, reçut l’ordre de marcher derrière la première, pour la remplacer et la soutenir au besoin ; la troisième brigade de cavalerie, commandée par le colonel Macan, de soutenir toute l’infanterie sous les ordres du colonel Vaudeleur. Le reste de la cavalerie devait marcher à la droite pour agir suivant les circonstances, tandis que l’artillerie, divisée en quatre brigades, répartie entre les intervalles des troupes, accompagneraient ces mouvements. Le reste des troupes forma un corps de réserve, sous les ordres du lieutenant-colonel Gordon.

Les Mahrattes n’ayant point envoyé de réponse pendant le délai convenu, l’armée anglaise se mit en mouvement. L’infanterie côtoyait dans sa marche les rives du petit ruisseau. De hautes herbes, des inégalités du terrain la dérobèrent long-temps aux yeux des Mahrattes. L’ayant enfin aperçue, ils l’accueillent par une décharge générale d’artillerie qui fait de grands ravages dans les têtes de colonnes ; elle continue néanmoins d’avancer. L’artillerie anglaise répond de son mieux ; mais la supériorité du feu demeure du côté de l’ennemi, dont l’artillerie était fort avantageusement située et fort bien servie. Une pluie de mitraille tombe sur les Anglais, et les boulets ennemis font de nombreux vides dans leurs rangs. La retraite semble devenir inévitable ; mais Lake prend au contraire un parti mieux d’accord avec l’impétuosité de son caractère. Il se détermine à attaquer avec ce qu’il a de troupes sous la main, le 76e et un régiment d’infanterie indigène, sans attendre l’arrivée du reste de son infanterie. À demi-portée de canon, une décharge terrible de toute l’artillerie ennemie tombe comme une nouvelle tempête sur les colonnes assaillantes ; au même moment leur cavalerie arrive au galop. Un moment rompus par la mitraille, les Anglais reprennent leurs rangs, reforment leurs divisions, rétablissent leurs intervalles. Prenant lui-même l’offensive, Lake prévenant l’attaque des Mahrattes, fait charger cette cavalerie par le 29e régiment de dragons. Ce régiment, dont les pertes étaient considérables, s’élance avec impétuosité. Au moment où il passe la ligne d’infanterie, trois houras s’élèvent des rangs du 76e ; les dragons répondent en continuant leur marche. Mais à leur vue la cavalerie mahratte, au moment de charger, fait une retraite précipitée. Ce fut alors un terrible moment : on s’attendait à une décharge générale de l’artillerie ennemie. Bientôt, en effet, 100 pièces de canon tonnent à la fois. Le général Lake a son cheval tué sous lui ; son fils s’empresse de lui offrir le sien. Le jeune homme tombe au même instant gravement blessé ; il se relève, mais pour tomber plus tard sous une balle française dans les plaines du Portugal. Cette scène touchante attendrit et enflamme d’une nouvelle ardeur tous ceux qui en sont témoins. Mais au même moment le général Lake fait battre et sonner la charge sur toute la ligne. Les dragons, animés, excités par les cris de l’infanterie, percent les deux lignes des Mahrattes avec la rapidité de l’éclair. Le général Lake s’élance sur ses traces à la tête du 76e ; il s’empare d’une grande partie de leur artillerie. Les dragons conversent à gauche, se réforment, chargent leur cavalerie qui avait pris une position menaçante ; ils achèvent de la mettre en déroute. Revenant aussitôt sur leurs pas, ils prennent en queue les bataillons encore en ligne. Les Mahrattes cèdent peu à peu le terrain ; ils se retirent dans le voisinage d’une petite mosquée, en arrière du village.

Malgré ce mouvement rétrograde, ils continuent à combattre en bon ordre, ne cédant le terrain que pied à pied, toujours au moment de reprendre l’offensive. Après avoir successivement perdu toute leur infanterie, ils se proposent d’effectuer une retraite en bon ordre par leur aile gauche ; mais une nouvelle charge de la cavalerie anglaise, exécutée par le 27e régiment de dragons et le 6e régiment de cavalerie indigène, met le désordre dans leurs colonnes, en sabre ou en fait prisonniers un grand nombre, et s’empare de leur bagage. Abajee, généralissime des Mahrattes, dirigeait ce dernier mouvement, monté sur un éléphant magnifiquement caparaçonné. Pressé par les dragons anglais, à peine a-t-il le temps d’en descendre et de s’élancer sur un cheval rapide. Dès ce moment, la retraite de son armée se changea en une complète déroute. La perte des Anglais fut de 800 hommes, tant tués que blessés ; celles des Mahrattes de 5,000 morts ou blessés. Leur cavalerie fut presque complètement détruite. Les Anglais firent 2,000 prisonniers, s’emparèrent d’un grand nombre d’éléphants et de chameaux, d’environ 600 paires de bœufs, de 72 pièces de canon, et d’une immense quantité de bagages et d’approvisionnements de toute nature. À l’arrivée du train d’équipages, les vainqueurs établirent leur camp auprès du ruisseau dont nous avons souvent parlé, entre le village de Laswaree et celui de Singra. Un bataillon d’infanterie fut chargé de la garde des prisonniers, rassemblés. À peu de distance du village de Mohaulpoor, maintenant réduit en cendres. Peu après, le général en chef leur rendit la liberté, à l’exception de leurs principaux officiers, qu’il jugea prudent de retenir.

Le jour finissait en même temps que la bataille. Peu à peu le silence descendit sur ces lieux, si pleins, pendant la journée, de bruit, d’animation, de mouvement. Mais le soleil s’était couché au milieu de nuages enflammés, précurseurs de l’orage. Bientôt de rapides éclairs vinrent sillonner le ciel en tous sens. Le tonnerre éclata en cinq ou six endroits à la fois, et les bruits de la tempête vinrent remplacer ceux du combat. Dans cette journée, les Mahrattes avaient fait preuve d’une fermeté inaccoutumée ; on put remarquer encore de récents et importants progrès dans leur organisation militaire. En ce moment, à la vérité, un grand nombre d’officiers français se trouvaient parmi eux ; se flattant de renverser par leur moyen la domination anglaise dans l’Inde, ces derniers mettaient tous leurs soins, employaient tous leurs efforts à les aguerrir. De son côté, le général Lake s’était montré pendant cette action, habile, brave, et surtout entreprenant. Ce fut sans doute un tort à lui que d’engager un combat général avec de la seule cavalerie : non seulement le sien était douteux, mais la victoire elle-même ne pouvait manquer de demeurer inutile par l’absence de son infanterie ; d’ailleurs il ne cessa de montrer un calme, un sang-froid et une ardeur admirables. Il sut tirer parti de toutes les fautes de l’ennemi, et mettre à profit les moindres circonstances favorables.

Le 8 novembre, l’armée quitta le champ de bataille de Laswaree. L’air commençait à y devenir malsain en raison du grand nombre de cadavres demeurés sans sépulture. Après avoir marché quelque temps à fort petites journées, elle s’arrêta une quinzaine de jours à Paiashur. Là l’alliance anglaise commença à être vivement sollicitée par nombre de rajahs empressés de secouer le joug mahratte et de rechercher la bienveillance du vainqueur. Le 14, un traité d’alliance défensive fut conclu avec le rajah de Macherry, dont les possessions étaient bornées au sud et à l’ouest par le territoire du rajah de Jaypoor, à l’est par celui du rajah de Bhurpoor. Sa capitale était Alvar, bien située pour s’opposer aux futures incursions des Mahrattes dans l’Indostan. Un traité semblable suivit bientôt celui-là ; ce dernier avec les rajahs de Jeypoor et de Joodpoor, une autre avec la Begum-Sumroo, dont les troupes, qui consistaient en 4 bataillons, se joignirent à l’armée anglaise. La ranna de Sondipoor et le rajah de Kotta envoyèrent leurs wackels au camp pour entamer des négociations. Le général Lake reçut encore à ce même campement un envoyé du grand Mogol, chargé de le complimenter sur sa dernière victoire, et de lui offrir un khelaut ou vêtement d’honneur. Le 27 novembre, l’armée prit position à Helena, où elle s’arrêta pour recevoir quelques renforts. Le 7 décembre, elle prit position à Pooroo, auprès de Kuskah. Là le rajah de Bhurtpoor vint se présenter au général en chef. Sa visite ayant été annoncée, le général en chef et son état-major, escortés par un détachement de dragons, se portèrent à sa rencontre, à quelques milles du camp. Le rajah (Runjeet-Sing) était un petit homme, habillé très simplement, mais accompagné d’une suite nombreuse. Après un échange de quelques petits présents, il retourna dans sa capitale. Nous ne tarderons pas à le voir bientôt reparaître sur la scène comme un des ennemis les plus implacables de l’Angleterre. Le 12, l’armée campa à Nahmada. Là un comité nommé parmi les officiers de l’armée offrit au général en chef un service de vaisselle de la valeur de 4,000 livres sterling, comme témoignage d’admiration, de gratitude et de dévouement. Le 21 décembre, un détachement se mit en route pour Gwalior dans le Bundelcund. L’armée prit ensuite position auprès de Biana, vis-à-vis une passe conduisant dans les États du rajah de Jeypoor. Elle y demeure jusqu’au 9 février de l’année suivante.

La prise de possession du Bundelcund se comptait au nombre des objets les plus importants que se proposait d’atteindre le général en chef. Cette province, extrêmement montagneuse, était la route ordinairement suivie par les Mahrattes dans leurs invasions, ce qui en rendait la conquête d’autant plus avantageuse au gouvernement britannique. Par le traité de Bassein, le peschwah se trouvait avoir à liquider les dépenses encourues pour sa propre restauration et la défense de son territoire contre les entreprises de ses voisins. Dans un supplément à ce traité, la cession du territoire de Bundelcund, comme voisin du territoire de la Compagnie, est nettement stipulée. En conséquence, le peschwah avait cédé au gouvernement britannique tous ses droits sur ce pays ; aussi des ordres furent expédiés en son nom à tous ses officiers afin qu’ils eussent à livrer aux Anglais les districts sous leurs ordres. Le rajah Himmut-Behauder se conforma aussitôt ces instructions ; mais un autre rajah, Sumsheer-Behauder, se prépara à se maintenir par la force des armes dans le district qu’il occupait. Un détachement de l’armée anglaise partit de Allahabad, traversa la Jumna le 6 septembre 1803. Le 14, il entra dans la province de Bundelcund, où il fut rejoint par Himmut-Behauder, le rajah nouvellement soumis, et le 31 septembre ce corps d’armée, sous les ordres du lieutenant-colonel Polwell, se trouva en présence des troupes de Shumsheer-Behauder. Ce dernier occupait une position avantageuse. Un engagement eut lieu. Le rajah, après avoir tiraillé quelques instants, battit en retraite. La perte des Anglais ne se monta qu’à huit ou dix hommes, tant tués que blessés ; celle de leurs nouveaux alliés à une soixantaine. On entama des négociations presque immédiatement rompues ; la prise de Calpee par les Anglais signala le renouvellement des hostilités. Le 12 décembre, le colonel Polwell reçut le renfort d’une brigade d’infanterie indigène ; le rajah sentit le besoin d’entrer en arrangement. Une somme de 4 lacs de roupies lui fut allouée pour son entretien et celui de sa famille. À cette condition, il cessa les hostilités, remit aux Anglais le territoire qui leur avait été cédé, et se rendit de sa personne à leur camp.

Scindiah avait confié aux mains d’Ambajee-Inglia une portion de ses possessions de l’Indostan, entre autres le territoire du rajah de Gohut. Dès le mois d’octobre, ce dernier fit offrir aux Anglais de se reconnaître leur tributaire ; il céda par un traité alors conclu toutes les terres en la possession d’Ambajee, situées au nord de Gwalior, y compris la forteresse de ce nom. Le gouvernement anglais s’engageait de son côté à lui conserver la souveraineté du reste du territoire qui avait été sous sa domination, à l’exception de celui du rajah, garanti par une stipulation du même genre. Un détachement, sous le lieutenant-colonel White, fut chargé d’aller prendre immédiatement possession de Gwalior ; le commandant refusa de livrer la place. Les Anglais s’en emparèrent, et se mirent en devoir de bloquer le fort. Un renfort mit le colonel à même d’ouvrir les tranchées ; il établit des batteries de brèche ; mais la garnison se rendit avant qu’elles n’eussent ouvert leur feu. Calpee sur la droite, Etaweh sur la rive gauche de la Jumna, formaient des postes intermédiaires très importants entre Agra et Allahabad. Après quelques engagements de peu d’importance, d’autres rajahs voisins, Heera-Sing, qui possédait le fort de Khair-Ghur, le rajah de Chuttersaul, furent réduits. Les Anglais purent dès lors s’occuper d’établir un vigoureux système de défense contre les invasions des Mahrattes. Le major-général Deare et le colonel Fenwick commandèrent à Chunar et à Midnapore ; une autre ligne, comprise entre l’extrémité méridionale de Pachète et la rive méridionale de la Soane, fut confiée au lieutenant-colonel Broughton. Ce dernier eut divers engagements, entre autres le 28 décembre et le 8 janvier, avec divers corps de Mahrattes. L’avantage lui étant demeuré, il acheva de disperser tout ce qui restait de ces derniers dans ces provinces

La province de Cuttah était située entre les possessions anglaises du nord et du midi sur la côte de Coromandel. Bornée à l’est par la mer, à l’ouest par les possessions des Mahrattes, elle ne pouvait tomber entre des mains ennemies sans que les communications entre Madras et Calcutta ne fussent absolument interrompues ; toutes choses qui en rendaient la possession fort importante pour les Anglais, d’abord comme position militaire ensuite comme position commerciale. Un corps d’armée destiné à s’en emparer fut rassemblé, dans les premiers jours de septembre, au comptoir de Gaujam, sur la côte des Circars du nord, à environ quarante milles de Cuttah. Ce corps d’armée se composait de 573 Européens, 2,478 indigènes, cavaliers et fantassins, et de quelque artillerie. Peu après, 500 volontaires avec une batterie de quatre pièces de dix-huit, quatre de douze, et deux obusiers de six pouces et demi, partis du Bengale, vinrent servir de réserve au corps d’armée principal. Un autre détachement, sous les ordres du capitaine Morgan, également parti du Bengale, vint occuper le port de Balasore, appartenant au rajah de Berar, à vingt-cinq milles environ des frontières du territoire britannique, et du district de Cuttacko ; un troisième détachement s’assembla à Jalasore, composé de 770 Cipayes et de 44 cavaliers, tirés de la garde du gouverneur-général, commandé par le lieutenant-colonel Ferguson. À vingt milles de la mer, Jalasor est situe au-dedans des limites du territoire britannique. Par suite de la maladie du colonel Campbell, le lieutenant-colonel Harcourt prit le commandement du corps d’armée principal.

Le 14 septembre, le colonel Harcourt arriva avec son corps à Manickpatam, qu’il occupa sans résistance, et de là envoya un messager aux principaux brahmes de la grande et célèbre pagode de Jagernaut. Il leur proposait de placer ce sanctuaire sous la protection des troupes britanniques ; les brahmes acceptèrent aussitôt la proposition. Le colonel Harcourt y arriva le 18. Le pays qu’il traversa pour s’y rendre était fort bien cultivé, et rempli de villages, i dont les habitants s’empressèrent de fournir aux besoins de l’armée : une garde de soldats indigènes eut pour mission de veiller sur la pagode. Ces mesures prises, le colonel Harcourt se dirigea sur Ahmadpoore ; il trouva de grandes difficultés dans sa route, les chemins en mauvais état, encore tout-à-fait inondés. Il s’empara de Beerpoorshuttumpoor, d’où il envoya un fort détachement attaquer Muckundpoor. On rencontra l’ennemi aux environs de cette ville, un engagement eut lieu, et l’avantage demeura aux Anglais. Les bâtiments de transport sur lesquels se trouvait le détachement envoyé contre Balasore atteignirent l’embouchure de cette rivière ; une barre dangereuse en rendait le passage fort difficile : ils la franchirent cependant. Les habitants des villages voisins, accourus sur le rivage, les saluèrent alors avec de grands cris de joie ; ils se sentaient tout heureux de se voir délivrés du joug des Mahrattes. Les vaisseaux n’avançaient d’ailleurs que fort lentement. On apprit que l’ennemi était posté aux Ghauts, entre cette place et Jalasore, et qu’il se dirigeait à marches forcées vers Balasore. Le capitaine Morgan, alors à la tête du détachement, résolut de quitter les transports et de pénétrer plus avant dans les terres sur de simples bateaux ; il alla débarquer effectivement à quelques milles au-delà ; l’artillerie fut laissée à bord, et 300 hommes se mirent en marche avec de grandes difficultés, à travers des champs de riz inondés. Les Mahrattes après avoir vainement tenté de les arrêter se retirèrent en laissant une douzaine d’hommes sur le champ de bataille. Le détachement entra donc dans la ville sans difficulté ; l’ennemi en occupait bien encore une partie, mais il l’évacua dès que la nuit fut venue. Le lendemain, les principaux marchands firent solennellement leur soumission au nom de la ville. Le 13 septembre, le capitaine Morgan envoya deux compagnies de Cipayes prendre possession de la ville de Soorong, située à environ vingt milles au midi de Balasore ; elles s’en emparèrent le 3 octobre sans éprouver de résistance.

Le lieutenant-colonel Ferguson, avec son détachement, de son côté avait quitté Jalasore le 23 septembre. Il atteignit Balasore le 3 octobre sans avoir rencontré de résistance nulle part. Le 10 du même mois, il se dirigea vers Cuttack pour se joindre au colonel Harcourt ; ce dernier, immédiatement après son entrée dans la province, s’était occupé de la réduction du fort de Barabuttee, à un mille de la ville, de Cuttack. Bâti en pierre, ce fort était entouré d’un fossé de trente pieds de profondeur, rempli d’eau, et d’une largeur assez considérable. Une batterie de brèche fut dirigée contre le rempart ; dès le milieu de la première journée, elle éteignit le feu de l’ennemi, et détruisit une partie de ses ouvrages avancés. Harcourt fit donner l’assaut. En passant le fossé, les assaillants furent exposés à un feu de mousqueterie très vif ; quarante minutes s’écoulèrent avant qu’il leur eût été possible de se frayer un passage. Après y avoir enfin réussi, ils s’emparèrent du fort malgré la résistance de l’ennemi dans l’intérieur. La perte des Anglais se monta à 80 et quelques morts et blessés ; le détachement déploya un courage et un sang-froid qui reçurent plus tard les éloges du gouverneur-général. La soumission de la province entière au gouvernement britannique suivit cette capture ; et depuis ce temps elle ne lui a jamais échappé. Cette province a cent cinquante milles de longueur sur soixante de large ; sa population est de 1,200,000 habitants. La religion indoue y domine ; les manufactures de mousseline de la province, employée surtout pour turbans, occupent un grand nombre d’ouvriers, et sont célèbres dans toute l’Inde. Elle possède le fameux temple de Jagernaut, qui ajoutait encore à l’importance de cette possession par le rôle important qu’il joue dans la religion indoue.

Ce temple de Jagernaut est en quelque sorte le véritable symbole de la religion indoue ; il réunit en lui seul toutes les bizarreries et toute la grandeur de ce système religieux. Il est situé au nord-ouest du lac de Chilla, à quelques milles de ce lac, entre les rivières de Byturnu et de Gingam. Les envivons, loin de présenter quelque chose de remarquable, sont destitués de tout ce qui pourrait plaire à l’œil ou élever l’imagination. Quant au temple lui-même, c’est un édifice d’une immense étendue, d’une grande élévation et de forme irrégulière ; les murailles sont ornées de symboles de la religion brahmanique, où le lingam joue le rôle principal. Tout à l’entour se déroule sous l’œil attristé un immense désert de sable, à l’extrémité duquel la mer vient se briser avec un gémissement monotone. Au loin, la plaine est blanchie d’une innombrable quantité de squelettes gisant çà et là ; toutes les routes qui vont y aboutir, à cinquante milles de distance, sont pavées d’ossements humains. Un million de pèlerins, partis de toutes les parties de l’Inde, même les plus éloignées, arrivent annuellement à la pagode. Les uns viennent y faire des expiations, accomplir certains vœux qu’ils ont prononcés pour échapper au péril ; d’autres ont pour but unique d’adorer le temple, persuadés qu’ils doivent puiser la perfection dans la contemplation de l’idole et de son temple. D’autres, assurés que la mort en vue du temple de Jagernaut est le gage assuré d’une immortelle félicité, viennent s’y détruire de leurs propres mains, ou bien attendre dans le voisinage le dernier moment de leur vie. Dans les grands jours, l’idole sort du temple au milieu d’une foule immense qui se presse pour la contempler. Alors c’est à qui s’attellera au char sacré ; quelques uns se font écraser sous les roues, persuadés que ce seul attouchement suffit pour leur donner une immortalité de bonheur. Les expiations diverses auxquelles se livrent les dévots, le genre de pénitence ou de tortures qu’ils s’imposent, sont des plus étranges. Les uns se font attacher par la peau du cou à un crochet de fer, où ils ont fait vœu de rester tant de temps ; d’autres se font frapper ; d’autres se poignardent ; d’autres adoptent pendant des années entières telle ou telle position étrange. On en vit un qui avait fait vœu de passer quarante ans dans celle-ci : la tête entre les cuisses, les jambes placées sur la tête, le derrière en avant par conséquent, la tête au-dessus ; il se faisait porter dans un palanquin. Un officier anglais, le major William Thorn, rencontra un jour à Cawnpore un pèlerin parti de Hurdwar, et se rendant à Jagernaut. Celui-ci avait fait vœu de mesurer toute l’étendue de la route avec la longueur de son corps, se couchant, puis se relevant pour se recoucher aussitôt. Quand le major le rencontra, il voyageait depuis vingt ans de cette manière et n’était encore qu’aux deux tiers du chemin.

Le major-général Arthur Wellesley commençait alors cette grande carrière aux deux extrémités de laquelle se rencontrent Tippoo Saëb et Napoléon. Après avoir rétabli le peschwah dans l’exercice de sa puissance, il quitta Poonah le 4 juin 1803. Le 14, il arriva à Walkee, non loin d’Amednagur, forteresse assez considérable appartenant à Scindiah, à la distance de quatre-vingts milles de Poonah. La nouvelle de la rupture des négociations commencées avec Scindiah et le rajah de Berar lui parvint en ce lieu. La pluie suspendit pendant quelques jours la marche de l’armée. Quand elle eut cessé, le général marcha sur Amednagur. Cette place était défendue par un bataillon de l’infanterie régulière de Scindiah et un corps de cavalerie campé dans un espace ouvert, entre la ville et le fort. La ville, sur le refus de se rendre du commandant, fut aussitôt attaquée. Située sur un terrain élevé, mais dénuée de remparts, elle n’avait pour toute défense qu’une forte muraille flanquée de tours ; arrivés jusqu’au dernier degré de leurs échelles, les soldats, après avoir enjambé la muraille, ne trouvaient point d’endroit où mettre le pied. Pendant ce temps, ils se trouvaient exposés à un feu de mousqueterie très vif de l’intérieur de la ville ; les tours, garnies de soldats tirant à couvert, étaient fort bien défendues. Malgré tous ces obstacles, les assaillants finirent cependant par pénétrer dans la ville. L’ennemi, abandonnant les murailles se réfugia dans les maisons, d’où il continua de faire un feu meurtrier, défendant les rues les unes après les autres. Les Anglais eurent 150 hommes tués ou blessés. Le 9, le major-général Wellesley fit la reconnaissance du fort, et, le même soir commença l’érection d’une batterie de 4 canons dans le but de pratiquer une brèche du côté où devait avoir lieu l’attaque. Cette batterie, dont le feu commença avec le jour, produisit en peu de temps beaucoup d’effet. Le killedar, ou commandant de place, demanda une suspension d’hostilités pour entrer en négociations. Elle lui fut refusée ; toutefois le général Wellesley se hâta de déclarer son intention d’écouter toutes les propositions qui lui seraient faites. Le lendemain deux envoyés vinrent demander pour la garnison la faculté de sortir du fort et la conservation des propriétés particulières. La place fut effectivement évacuée le jour suivant par sa garnison, et les Anglais en prirent possession. Une des forteresses les plus considérables de l’Inde, Amehnagur avait été jadis la capitale d’un des États qui se formèrent sur les ruines du Deccan ; jadis elle soutint pendant deux années entières le choc de toutes les forces d’Akbar. Sa situation sur les frontières du territoire du nizam rendait sa possession d’une grande importance pour la continuation de la guerre.

Le général Wellesley compléta cette conquête en soumettant les districts qui dépendaient d’Ahmednagur. Le 24 août, il passa la Godavery. Le colonel Stevenson, avec sa force auxiliaire au service du nizam et les troupes indigènes de ce prince, reçut ordre de marcher vers Aurungabad ; ce mouvement ayant pour objet de protéger le territoire du nizam, menacé par Dowlut-Row-Scindiah et le rajah de Berar. Ces derniers s’étaient récemment saisis de Jalnapore, petit fort, capitale du district du même nom. À la nouvelle de l’arrivée du général Wellesley à Aurungabad, ils se retirèrent avec l’intention apparente de passer la Godavery et d’attaquer Hyderabad. Le général anglais se mit sur leurs traces ; ils retournèrent à Jalnapore, ne se souciant pas d’en venir à un engagement décisif. Le 1er septembre, le colonel Stevenson se présenta devant Jalnapore, qu’il somma le jour suivant. Ce brave officier continua à harasser l’ennemi, tandis que le général Wellesley veillait à l’empêcher de passer la Godavery et à protéger les convois. Les deux chefs commencèrent alors à entrevoir qu’ils n’avaient aucune chance de succès. Ils retournèrent sur leurs pas jusqu’à la passe d’Adjuntie, par laquelle ils avaient passé les Ghauts pour pénétrer dans ce pays, et là furent rejoints par un détachement d’infanterie régulière composé de 16 bataillons et d’un excellent train d’artillerie ; le tout commandé par deux officiers français, Pohlmann et Dupont. Ils prirent aussitôt position entre Bokerdun et Jaffierabad.

Le 21 septembre, les deux corps de Wellesley et de Stevenson opérèrent leur jonction à Budnapore. Le général résolut de faire marcher dès le lendemain les deux corps à l’ennemi par des routes différentes, avec le dessein de l’attaquer dans la matinée du 24. Le 22, le colonel Stevenson se mit en route par le chemin de l’ouest, Wellesley par celui de l’est, conduisant tous deux à la position occupée par l’ennemi. Le 23, le général Wellesley arriva à Naulnair. Les armées confédérées se trouvaient en ce moment campées à six milles de là. Il se résolut à attaquer immédiatement sans attendre l’arrivée du colonel Stevenson. La crainte qu’elles ne fissent une tentative sur son bagage l’engagea à cette résolution. Il craignait encore que la nouvelle de l’approche d’une autre division, s’ils l’apprenaient pendant la nuit, ne les décidât à se retirer avec leurs bagages et leur artillerie pour éviter un engagement général, auquel lui-même voulait à tout prix les amener. Il laissa, en conséquence, à Naulnair tous ses bagages sous la protection d’un bataillon de Cipayes et de 400 hommes d’infanterie indigène ; et, ces dispositions prises, marcha droit aux Mahrattes. Ceux-ci, ayant abandonné leur première position, se trouvaient alors entre la Kaitna et la Juah. Leur ligne s’étendait de l’est à l’ouest entre les deux rivières ; leur gauche appuyée à la Kaitna, à un endroit infranchissable pour l’artillerie, difficile même pour l’infanterie ; leur droite au village fortifié d’Assye. Ils se présentaient de face à l’armée anglaise. Leurs forces consistaient en 10,500 hommes de troupes disciplinées à l’européenne, commandés par des officiers européens ; 30 à 40,000 hommes d’infanterie et de cavalerie régulières, enfin 100 pièces de canon. L’armée anglaise comptait 1,200 hommes de cavalerie tant indigène qu’européenne, 1,300 hommes d’infanterie et artillerie européennes, et 2,000 Cipayes, en tout 4,500 hommes.

Le général Wellesley avait déjà fait une marche de quatorze milles quand il atteignit le village de Naulnaire, distant de six milles de celui occupé par les Mahrattes. Il était déjà une heure de l’après-midi. Après une rapide reconnaissance de la situation de l’ennemi, il résolut de l’attaquer par sa gauche, où se trouvait la plus grande partie de son infanterie et de son artillerie. L’attaque faite de ce côté pouvait être plus périlleuse que d’un autre, mais en même temps plus décisive. La première ligne était formée par l’infanterie, la seconde par la cavalerie européenne, puis sur les ailes la cavalerie du peschwah et celle de Mysore, deux corps souvent distingués pendant cette campagne. La cavalerie mysoréenne avait déployé en faveur des Anglais cette bravoure qui jadis la leur rendit redoutable sous la conduite de Hyder et de Tippoo. Débordant la gauche de l’ennemi, Wellesley passa la Kaitna près du village de Papulgaon. Il déploie son infanterie sur deux lignes, et en forme une troisième avec sa cavalerie. En cet endroit les deux rivières, coulant presque parallèlement, présentaient un large espace découvert. La cavalerie mahratte et mysoréenne, manœuvrant à la gauche des Anglais, se dispose à attaquer un grand corps de cavalerie ennemie qui suivait les mouvements de l’armée anglaise. Mais les Mahrattes devinèrent l’intention du général anglais ; au moyen d’un changement de front, leur droite était devenue leur gauche ; ils avaient en outre amené plusieurs pièces d’artillerie sur le point d’attaque, de plus formé une ligne d’infanterie appuyée par sa gauche au village d’Assye, et s’étendant le long de la Juah. Cette ligne formait avec la première un angle à peu près droit, et dont le sommet se trouvait au village d’Assye.

Les Mahrattes, aussitôt qu’ils aperçoivent les Anglais, ouvrent un feu très vif, ceux-ci n’en continuent pas moins leur marche avec un calme imperturbable. L’artillerie anglaise, de son côté, commence le sien à 400 verges de l’ennemi. Mais Wellesley s’aperçoit qu’il demeure sans efficacité, car le manque d’attelages rendait fort difficile la manœuvre des pièces ; il se décide alors à la laisser en arrière tandis qu’il se portera rapidement sur l’ennemi. De sa personne il se met en tête de la ligne, et détache sur la droite une partie de sa cavalerie qui doit repousser la cavalerie ennemie. Sa gauche était assurée par la nature même du terrain. Les troupes, en bon ordre et conservant soigneusement leurs intervalles, marchent comme à une revue. Le calme et le sang-froid de ce petit nombre d’hommes frappent les Mahrattes d’étonnement ; tout nombreux qu’ils sont, ils flottent indécis entre la fuite et le combat. Les officiers français font tous leurs efforts pour ranimer leur ardeur ; avec l’artillerie, dont le service leur est spécialement confié, ils exécutent un feu terrible. Le général Wellesley fait sonner la charge. Contre les indigènes, de toutes les armes, la plus terrible était la baïonnette. Après un choc qu’ils reçoivent avec intrépidité, les Mahrattes sont enfoncés et repoussés du terrain qu’ils occupaient. Ils essaient de se rallier, et à leur tour d’attaquer les Anglais ; mais l’organisation et la rapidité des manœuvres européennes triomphent encore cette fois ; ils font une retraite précipitée sur leur seconde ligne, le long de la rivière Juah, poursuivis par les Anglais, qui ne veulent pas laisser la victoire indécise. L’artillerie, postée à Assye fit éprouver de grandes pertes à la droite de la première ligne anglaise, pendant qu’elle exécutait ce mouvement. Le 74e régiment voit ses rangs éclaircis et en désordre. La cavalerie mahratte s’en aperçoit et veut achever de l’enfoncer. Mais elle-même, pendant qu’elle exécute ce mouvement, est chargée par la cavalerie anglaise, qui la repousse en désordre, Chez les Mahrattes, chacun ne pense bientôt plus qu’à soi, et la cavalerie anglaise fait un grand carnage de tous ceux qui essaient de passer la Juah.

Les Anglais et les alliés s’acharnent à la poursuite des fugitifs, oubliant que leur petit nombre devrait les rendre prudents. Cette ardeur fut au moment de leur devenir funeste. Un grand nombre de Mahrattes s’étaient jetés sous leurs canons ; d’autres, pour éviter la mort, l’avaient contrefaite. À peine les soldats anglais les ont-ils dépassés, qu’ils se relèvent, retournent leurs canons contre l’ennemi, lancé à la poursuite des fuyards, et commencent à tirer sur lui. Cette canonnade produit de l’effet. Encouragés par cet incident, quelques corps mahrattes, qui effectuaient leur retraite en bon ordre, s’arrêtent, font volte-face, tandis que leur cavalerie, qui n’a pas été entamée, mais qui a constamment serré de près les Anglais, se montre encore à peu de distance. Ce moment pouvait devenir critique. Par suite de leur ardeur à poursuivre l’ennemi, les Anglais, se trouvaient disséminés en corps peu nombreux. Le combat recommence sur quelques points. Le général Wellesley comprend que ce moment est décisif. Il se met à la tête du 78e régiment de ligne, du 7e de cavalerie indigène, et charge à leur tête ; il s’élance sur les canons de l’ennemi ; et après une action sanglante, où son cheval fut tué sous lui, finit par en demeurer maître. Le colonel Maxwell repasse en ce moment la Juah, se place à la tête du 9e dragons, charge vigoureusement les corps d’infanterie ennemie qui résistaient encore, et achève de les mettre en déroute. Enseveli dans son triomphe, lui-même demeure sur le champ de bataille, frappé d’un coup mortel. Les lignes, les régiments, les bataillons des Mahrattes étaient alors trop rompus, trop dispersés pour pouvoir les rallier. Ils continuent, toutefois, de combattre isolément avec une indomptable obstination ; mais inutilement. Ils laissèrent 1,200 morts sur le champ de bataille, et un nombre de blessés beaucoup plus considérable ; ils perdirent en outre, 7 étendards, 98 pièces de canon de tout calibre, une multitude de bœufs, de chameaux, et une immense quantité d’approvisionnements de toute sorte. La perte des Anglais fut de 428 hommes tués, dont 23 officiers, et 1,148 blessés, dont 30 officiers de tout grade.

Après la bataille, les restes des ennemis s’enfuirent dans toutes les directions, cherchant à gagner au plus vite le défilé d’Adjuntee. Le major-général se proposait de les y poursuivre aussitôt qu’il aurait recueilli les blessés et fait un dépôt des canons capturés. Mais le colonel Stevenson étant arrivé à la tête de son corps d’armée dans la soirée du 24, il fut immédiatement chargé de ce service, et le major-général demeura sur le champ de bataille. Le 8 novembre, un des ministres de Scindiah demanda que deux officiers, l’un anglais, l’autre un subahdar du Deccan, lui fussent envoyés, afin d’ouvrir des négociations. Mais la bonne foi de ce ministre, qui avait quitté le service du peschwah pour celui de Scindiah, parut douteuse ; aussi le major-général refusa-t-il de prêter l’oreille à des propositions qui lui venaient de ce côté. Il ne crut pas que le rajah de Berar ou Scindiah eût donné aux négociateurs des pouvoirs suffisants pour suivre cette ouverture. Il craignait encore que la présence d’un officier anglais dans le camp des confédérés n’eût pour résultat de relever le courage de leurs soldats en leur faisant croire que le gouvernement anglais en était réduit à solliciter la paix. Il proposa de recevoir dans son propre camp et de traiter avec la distinction convenable toute personne qui se présenterait de la part des chefs confédérés pour traiter de la paix. Mais tandis que Scindiah s’efforçait d’amuser ainsi ses ennemis par de fallacieuses ouvertures de paix, ses propres possessions dans le Guzerat étaient en ce moment même vigoureusement attaquées.

Un corps d’armée, sous les ordres du lieutenant-colonel Murray, coopérait à l’exécution du plan primitivement arrêté. Un détachement commandé par le lieutenant-colonel Woodington, composé du 86e régiment avec de l’artillerie européenne et de l’infanterie indigène, quitta Baroda le 21 août ; il se dirigea vers la ville de Baroach. Le 24, le colonel Woodington trouva l’ennemi rangé en avant de la ville ou du pettah de Baroach, et qui semblait vouloir courir les chances d’un engagement général. Après une faible résistance, il se retira néanmoins dans le fort, et l’armée anglaise s’établit dans la ville. Une batterie de brèche, établie le 26, ouvrit le lendemain une brèche praticable. L’assaut dut être donné par un détachement composé de 100 Européens et de 200 Cipayes, sous les ordres du capitaine Richardson. Un autre détachement de 150 Européens et de 250 indigènes, sous les ordres du major Cuyser, devait soutenir le premier ; la réserve était à peu près de même force. À un signal de deux coups de canon, les assiégeants débouchèrent rapidement de derrière une batterie qui jusque là les abritait ; ils s’élancèrent vers le fort, escaladèrent la brèche, et pénétrèrent dans l’intérieur malgré la résistance de l’ennemi. Le major Cuyser, à la tête du second détachement, put arriver assez à temps pour empêcher la garnison d’évacuer le fort par le côté opposé. Les assiégés perdirent en tout 600 hommes tués ou blessés. Du côté des Anglais, 79 hommes furent mis hors de combat, soit pendant le siège, soit pendant l’assaut. Woodington s’occupa aussitôt de la réduction des districts de Champaneer, territoire encore à Scindiah dans le Guzerat. Après la prise de la ville, le commandant, comptant sur la situation élevée et la force de la citadelle, tenta de résister. Le siège fut commencé, la brèche faite, le jour de l’assaut fixé. Les assiégés demandèrent dès lors à capituler ; sur la promesse d’être protégés dans leurs personnes et leurs propriétés, ils livrèrent la place ; ce qui marqua la fin de la campagne de l’armée de Bombay dans le Guzerat.

Avec la ville de Baroach, les Anglais prirent possession du district du même nom, un des plus populeux et des mieux cultivés de ce côté de l’Inde ; le revenu annuel montait à 11 lacs de roupies. La ville de Baroach, la Byragaza des Grecs, est située sur la Nerbudda, qui se décharge dans la mer à vingt milles de là, et navigable jusqu’à cette hauteur pour les vaisseaux marchands. Un des plus riches marchés de l’Inde dans les temps modernes, elle devint plus tard l’asile de plusieurs sectes religieuses toutes fuyant également le glaive musulman. Parmi ses habitants très peu appartenaient au culte des Indous ; mais un grand nombre en différaient totalement par leurs croyances et leurs usages ; les Parses, ces anciens adorateurs du feu, s’y trouvaient en grand nombre. Chassés de leurs montagnes natales de l’Iran par les progrès de l’islamisme, ces sectateurs de Zoroastre avaient obtenu là un refuge assuré. Ils retenaient encore les rites de leurs aïeux. Longtemps ils conservèrent le feu sacré ; mais leur nombre alla toujours en diminuant, et un recensement fait en 1807 ne portait leur nombre qu’à 3,000 au milieu d’une population de 6,000,000 d’habitants. L’intolérance des Musulmans les accusa d’immoler secrètement des victimes humaines, atrocité que repousse complètement l’esprit de leur religion. Une sorte de merveille de la nature excita vivement l’étonnement et l’admiration de l’armée : c’était un arbre Banyan situé à six milles de Baroach, dans une île de la Nerbudda, appelé Kuveer-Bhur, du nom d’un célèbre saint qui se fit enterrer volontairement à cet endroit par ses disciples, est renommé dans toute l’Inde. À sa base, autour des troncs principaux, il mesure 2,000 pieds de circonférence ; mais ses branches supérieures couvrent un espace beaucoup plus considérable. On sait que les branches de cet arbre, quand elles touchent à terre, y prennent racine, deviennent de grands arbres, qui eux-mêmes en engendrent bientôt d’autres de la même façon. Le tronc principal d’où sont provenus tous les autres surpasse de beaucoup nos plus grands chênes, et a 350 pieds de tour. Des armées entières peuvent camper à l’ombre de cet arbre multiple. Les Indous le révèrent comme un emblème de la fécondité de la nature.

Les confédérés ayant rassemblé les restes de leur armée après la bataille d’Assye, marchèrent vers l’ouest, le long de la rivière Taptee. Ils semblaient avoir le projet de se diriger du côté du midi par la route conduisant à Poonah, par Caserbary-Ghaut et Ahmednagur. Ce mouvement décida Wellesley à demeurer dans le midi et à régler ses mouvements sur les leurs. Le colonel Stevenson continua de son côté sa route vers Boorhanpoor dont il prit possession le 16 octobre sans difficulté. À son approche, l’infanterie de l’ennemi se retira vers la Nerbudda, dans un état de complète désorganisation. Par ce motif, le colonel Stevenson se détermina à attaquer Asseerghur. Il marcha vers cette place le 17. Le pettah se rendit sans coup férir ; le fort sembla d’abord disposé à se défendre, le siège fut même commencé et la brèche ouverte ; mais une capitulation ne tarda pas à suivre. Les assiégés évacuèrent la place sous la promesse d’être protégés dans leurs personnes et leurs propriétés. Pendant ce temps, le général Wellesley arrivait à Poulmery, à seize milles d’Aurungabad. Là, voyant que l’ennemi ne donnait aucune suite à son projet de marcher d’abord au sud, il se détermina à avancer lui-même vers le nord. Scindiah, qui manœuvrait alors dans cette direction, apprenant ce nouveau mouvement, s’arrêta, et se hâta de prendre position à Aboon, sur la Taptee. Le rajah de Berar, déjà séparé de lui, était, ou du moins on le disait, à Chandore. Mais le général Wellesley ne croyait pas à la vérité de cette nouvelle, que tout semblait supposer avoir été répandue dans le but de l’attirer dans le midi. Apprenant toutefois l’occupation d’Asseerghur, la dernière des possessions de Scindiah dans le Deccan, il se crut dès lors suffisamment en mesure contre tout ennemi qui voudrait l’attaquer de ce côté ; cela le détermina à passer de nouveau les Ghauts, et à diriger ses opérations contre les troupes du rajah de Berar, alors sur la Godavery. Exécutant ce projet, il se trouva le 29 à Aurungabad. Le rajah, après avoir marché directement à l’est, était en ce moment à Lakeegaun, à vingt milles au nord de Pattum ; le 31, il détacha un corps de 5,000 hommes pour intercepter un convoi de 14,000 bœufs, en chemin pour rejoindre les troupes de la frontière. Ce convoi était protégé par trois compagnies d’infanterie indigène, avec deux pièces de 3 ; 400 cavaliers mysoréens et deux compagnies du corps servant à Hyderabad, sous les ordres du capitaine Seton. Le détachement se défendit avec bravoure, et, malgré son infériorité numérique, parvint à conserver le convoi. Le capitaine O’Donnell ne se distingua pas moins. Parti d’Ahmednagur avec un faible détachement pour rejoindre le major-général Campbell, il n’avait avec lui que deux compagnies. Ce petit détachement fut attaqué par un nombre d’ennemis dix ou douze fois plus considérable. S’étant barricadé dans le village de Corjet-Caraygaum, il soutint l’attaque de l’ennemi pendant deux jours et deux nuits. Tout en leur tuant deux fois le nombre d’hommes qui composaient son propre détachement, il parvint à se maintenir jusqu’au moment où des troupes de Ahmednaghur vinrent enfin le délivrer.

Scindiah voyait ainsi tous ses projets successivement déjoués, ses établissements militaires ruinés, ses alliances détruites, ses provinces conquises, ses plus fortes places dans le Deccan et l’Indostan au pouvoir des Anglais. Ayant recours alors à la vieille politique mahratte, il voulut négocier pour gagner du temps. Le 11 novembre, un envoyé se présenta de sa part au général Wellesley, qui, tout en suspectant la sincérité de Scindiah, n’accueillit pas moins son message avec la plus grande satisfaction. Le 23, une suspension d’hostilités, entre les mahrattes et les Anglais dans le Deccan et le Guzerate, était déjà convenue. Pendant la durée de ces négociations, le rajah de Berar était en marche vers ses États. Le général Wellesley rejoignit le colonel Stevenson pour attaquer, de concert avec lui, la ville de Gawilghur, appartenant au rajah. Ce dernier n’était pas compris dans la suspension d’hostilités. Cependant Scindiah n’avait pas retiré son armée dans les limites où il s’était engagé à la retenir pendant l’armistice. Le général Wellesley se trouva en présence d’un corps considérable de la cavalerie de Scindiah réunie à celle du rajah de Berar. Wellesley, décidé à attaquer, se dirigea sur Paterly, où le colonel Stevenson le rejoignit. Les confédérés exécutaient déjà leur retraite ; toutefois du sommet d’une colline, on pouvait encore discerner leur arrière-garde. L’excessive chaleur du jour, la fatigue des soldats, décidèrent Wellesley à ne rien tenter jusqu’au lendemain. Mais bientôt de nombreux corps de cavalerie viennent escarmoucher avec la cavalerie mysoréenne. Wellesley fait appuyer les Mysoréens par quelques compagnies d’infanterie ; ceux-ci se sentant soutenus poussent en avant, et ils aperçoivent alors distinctement l’armée ennemie en ordre de bataille. Elle s’étendait sur un espace de cinq milles dans la plaine d’Argaum, en avant de ce village.

La journée était déjà fort avancée. Cependant, voyant la résolution de l’ennemi d’en venir à un engagement général, le général Wellesley n’hésite pas. Il ploie sa petite armée en une seule colonne, avec sa cavalerie en tête et sur l’un de ses flancs. L’ennemi avait son infanterie et son artillerie au centre, à sa gauche un corps de cavalerie ; les troupes de la gauche, à partir de la moitié du centre, appartenaient au rajah, du centre à Scindiah. La grosse cavalerie de Scindiah était à droite, et à sa droite un corps de Pindarries et d’autres troupes légères. Derrière la ligne ennemie se trouvait le village d’Argaum, avec ses jardins et ses enclos. L’armée confédérée était commandée par Scindiah en personne, et par le frère du rajah de Berar, nommé Munnoo-Bappoo. En approchant de l’ennemi, l’armée anglaise se déploya sur deux lignes, la première composée de son infanterie, la seconde de sa cavalerie. À peine se trouva-t-elle dans le voisinage des confédérés, que les 64e et 78e régiments furent vivement attaqués. En même temps le premier bataillon du 6e régiment repoussait avec perte une charge de la cavalerie de Scindiah ; alors toute la ligne de celui-ci, se souvenant d’Assye, lâcha pied avec la plus extrême précipitation. Elle laissa aux mains des vainqueurs 38 pièces de canon et une grande quantité de munitions. La soirée était déjà très avancée ; mais comme il faisait un beau clair de lune, les cavaleries anglaise et mysoréenne n’en poursuivirent pas moins les Mahrattes en en faisant un grand carnage. La perte de l’armée anglaise fut de 346 hommes tués ou blessés.

Wellesley se porta immédiatement devant la forteresse de Gawilgur, appartenant au rajah de Berar, située sur une montagne rocailleuse, entre les sources de la Poonah et de la Taptee. Cette forteresse avait deux enceintes, dont l’une constituait une forte citadelle, défendue en outre elle-même par un fort extérieur qui la couvre entièrement au nord et à l’ouest ; les murailles fortement bâties, fortifiées par des tours de distance en distance. Le colonel Stevenson, dont le corps avait été tout nouvellement rééquipé, fut chargé de la conduite du siège, le général Wellesley se réservant d’en protéger les opérations à la tête de sa division et de toute sa cavalerie. Le 7, les deux divisions se mirent en marche d’Eliahpoor ; le général Wellesley au midi de Gawilghur, et le colonel Stevenson à travers les montagnes par Damerghaum. Le 12, le colonel Stevenson prit position devant Lamboda, ses troupes ayant eu à surmonter de grandes difficultés. L’équipage de siège et le bagage furent tirés à bras à travers les montagnes, pendant un espace de trente milles, sur une route faite par les troupes elles-mêmes. Dans la nuit du 12, le colonel érigea deux batteries faisant face au côté nord du fort. De son côté, la même nuit le général Wellesley érigea une autre batterie sur la montagne, moins dans le but de faire brèche que dans celui d’exécuter une diversion. Le 14, le colonel Kenny, à la tête d’un détachement considérable, donna l’assaut : deux autres attaques étaient faites en même temps sur d’autres points pour attirer ailleurs l’attention de l’ennemi ; l’une par le lieutenant-colonel Wallon, l’autre par le lieutenant-colonel Chalmers. Ce dernier, arrivé à la porte du nord-ouest justement au moment où l’ennemi essayait de se sauver de ce côté, pour échapper aux baïonnettes du colonel Kenny, entra dans la place sans difficulté. À la vérité, restait à enlever le fort intérieur, qui n’avait aucune brèche. Après quelques efforts inutiles sur la porte de communication entre les forts extérieur et intérieur, un endroit se trouva où l’escalade de la muraille parut possible. Le capitaine Campbell, à la tête d’une partie du 94e régiment, réussit dans cette tentative ; il ouvrit la porte au reste des assaillants. La garnison perdit beaucoup de monde, les assaillants environ 126 hommes ; cinquante-deux pièces de canon de différents calibres, deux mille fusils de fabrique anglaise, cent cinquante pièces de rempart d’une demi-livre à une livre de balles, tombèrent entre leurs mains. Le rajah envoya immédiatement un vackel au général Wellesley, alors campé à Deogaum. La négociation aboutit à un traité conclu et signé dès le jour suivant.

Naguère chef d’une puissante confédération, Scindiah se trouvait alors sans troupes, sans argent, sans alliés. Par un de ses officiers de confiance, il fit communiquer au général anglais ses intentions de mettre fin aux hostilités. Se flattant d’éviter toutes longueurs inutiles, le général Wellesley se hâta de faire connaître à quels termes il consentait à la paix ; demandant d’ailleurs une réponse catégorique. Le major-général Campbell, commandant la réserve, apprit en ce moment même qu’un corps d’armée de Pindarries montant à 10,000 hommes, sous les ordres d’un fakir musulman, avait passé la Kistna, se dirigeant vers la Toombudra avec l’intention d’intercepter les convois et de ravager le pays. Le major-général Campbell, avec sa cavalerie et quelques compagnies d’infanterie de sa division, marcha à leur rencontre. Dès le jour suivant, il s’empara d’une partie de leur cavalerie à Jallyhall. Ne s’endormant pas sur ce succès, et continuant sa marche, Campbell se dirigea vers Moodianoor. Grâce à la sécurité de l’ennemi, qui n’était nullement sur ses gardes, Campbell put parvenir jusqu’au centre de son camp sans avoir été aperçu. En moins d’une heure, 3,000 des cavaliers pindarries furent mis hors de combat ou faits prisonniers ; le reste jeta ses armes et s’enfuit dans toutes les directions. Le jour même où la puissance des Mahrattes recevait le dernier coup, les négociations, qui avaient continué dans le camp du général Wellesley, aboutissaient à une conclusion. Le traité de paix fut signé le 30 décembre dans le camp de Surje-Aujengam.

Cette guerre eut pour résultat d’asseoir sur des fondements durables la puissance anglaise dans l’Inde. Le rajah de Berar céda aux Anglais la province de Cuttach, compris le port et le district de Balasore. Il s’engageait à n’avoir jamais à son service aucun officier, aucun fonctionnaire appartenant à des nations en guerre avec les Anglais. Il s’engageait encore à ne prendre à son service aucun sujet de l’Angleterre, anglais ou indou, sans le consentement exprès du gouvernement. De leur côté, les Anglais prenaient l’engagement de restituer au rajah les forts de Nernallah et de Gawilghur avec les districts contigus, dont le revenu montait à 4 lacs de roupies ; de considérer la rivière Wurdah depuis sa source jusqu’à sa jonction avec la Godavery comme la limite entre les États de ce prince et ceux du subahdar du Deccan. Ils promettaient enfin d’accréditer des ministres auprès des gouvernements contractants. Dowlut-Row-Scindiah cédait aux Anglais, en souveraineté perpétuelle, 1° tous ses forts, territoire et droits sur le Doab, c’est-à-dire sur le pays au nord de l’Indostan, situé entre le Gange et la Jumna ; 2° tout ce qu’il possédait au nord des États des rajahs de Jaypoor et de Joodpoor et du rajah de Gohut ; 3° le fort et le territoire de Baroah, dans la province de Guzerate, ainsi que le fort et le territoire de Ahmednaghur dans le Deccan ; 4° tous les territoires que Scindiah possédait avant la guerre au midi des monts Adjuntee dans le Deccan, compris le fort et le district de Janalpore, la ville et le district de Gaundapore, et toutes les autres terres entre cette chaîne de montagnes et la Godavery. Il renonçait à tout pouvoir sur Shah-Alaum, à toute intervention, pour l’avenir, dans les affaires de ce monarque. De même que le rajah de Berar, il s’engageait encore à n’accueillir à son service aucun Français, ni même aucun Européen, sans la permission du gouvernement. Les négociateurs anglais mettaient alors la plus grande importance à ce dernier point.

D’un autre côté, les Anglais s’engageaient 1° à restituer à Scindiah le fort de Asseerghur et la cité de Boorhampoor dans le Deccan ; les forts de Dohuh et de Powanghur, avec les territoires appartenant à ces forts dans le Guzerate ; 2° à laisser à Scindiah la faculté de retenir la possession de certaines terres provenant d’anciennes libéralités des empereurs et depuis long-temps dans sa famille ; à restituer à la famille de Madajee-Scindiah ceux de ses jaghires situés dans les limites des territoires conquis par les Anglais dans les dernières guerres ; plus, à faire des pensions à tous ceux qui lui seraient désignés par Scindiah, jusqu’à la concurrence de 70 lacs de roupies par an ; 3° à restituer quelques terres et quatre villages ; possession héréditaire de la famille de Scindiah, situés dans les États du peschwah. Le traité, ratifié par le gouverneur-général, signé par le rajah de Berar et Scindiah, fut publié dans tous les établissements anglais, au milieu de la joie et de l’enthousiasme général. La guerre avait été conduite avec une telle précision, un tel ensemble, une telle vigueur, qu’un court espace de quatre mois avait suffi pour obtenir ces grands résultats.

Cette guerre de quatre mois, où se donnèrent plusieurs grandes batailles, une multitude de combats, où se firent neuf sièges réguliers, fut d’ailleurs le plus considérable que les Anglais eussent encore faite. Elle est encore remarquable sous d’autres rapports. Dans les rangs de l’armée anglaise apparaît une nouvelle race d’hommes, qui à l’entraînement de Clive joint une connaissance plus approfondie de l’art militaire ; surtout une conscience plus intime de la supériorité européenne. Les hommes de cette génération croient, ont foi en cette puissance de l’organisation européenne, déjà tant de fois manifestée, mais dont aucun de leurs prédécesseurs n’avait pourtant osé faire un usage aussi décisif. Ne s’inquiétant ni de l’avantage des positions de l’ennemi, ni de sa supériorité numérique, ils le suivent, marchent à lui, le combattent partout où il se trouve. À la vérité, les talents de leurs adversaires n’ajoutent pas toujours un grand lustre à leurs succès, Raymond, homme de grande capacité, possédant toute la confiance de Scindiah, meurt avant la guerre ; Perron, qui le remplace n’a que de médiocres talents ; Scindiah lui-même est bien inférieur à Hyder et à Tippoo, en qui s’était rencontré comme un pressentirent de la tactique moderne. On doit dire encore que dans cette guerre la plus grande part de gloire ne fut peut-être pas celle recueillie sur les champs de bataille. Les principales causes du succès furent sans aucun doute la fermeté de décision, la netteté et l’étendue de coup d’œil du gouverneur-général, surtout la résolution bien arrêtée chez lui de faire sortir à tout prix la politique anglaise dans l’Inde de ce système étroit d’équilibre et de balance des pouvoirs où ç’avait été le rêve du marquis Cornwallis de l’enfermer pour toujours. À l’exception de Dupleix, nul ne vit mieux ni de plus haut les affaires de l’Inde. À cinquante ans de distance, il osa réaliser les projets de Dupleix, et, malgré l’impopularité qui les frappait alors, marcher hardiment dans la voie de Clive et de Hastings.

Les habitants de Calcutta envoyèrent au gouverneur-général l’adresse suivante. C’est comme une sorte de résumé d’une multitude d’autres pièces du même genre, où se peignent fidèlement les sentiments et l’esprit de ce moment. Ils lui disaient : « Les habitants de Calcutta demandent la permission d’offrir à Votre Excellence leurs sincères et cordiales félicitations sur le rétablissement de la paix dans l’Inde, et sur les importants avantages acquis pour la nation sous la direction de Votre Excellence par les brillants succès de nos armes. Au moment où le renouvellement de la guerre en Europe était justement à craindre, l’attitude menaçante des armées assemblées par les rajahs de Malwa et de Berar, l’autorité illimitée exercée par les aventuriers français sur les troupes disciplinées de Scindiah, ne pouvaient être considérées sans appréhension. Mais à peine eûmes-nous le temps de nous apercevoir de l’incertitude de la paix publique, tant la vigueur des mesures employées par Votre Excellence dissipa promptement toute alarme. Tout sentiment de crainte vint bientôt se résoudre en admiration à l’aspect de la sagesse avec laquelle vous avez pressenti le danger et la promptitude avec laquelle vous lui avez fait face. C’est que les événements signalant le commencement de l’administration de Votre Excellence avaient préparé les voies aux succès signalés que nous venons d’obtenir récemment. La conquête de Seringapatam ; la restauration des souverains légitimes de Mysore, la destruction du parti français à la cour du nizam, la paisible succession du fils au trône et au gouvernement de son père, assurèrent la loyale coopération de deux pouvoirs attachés désormais au gouvernement britannique par les liens de l’intérêt et de la reconnaissance. Le rétablissement de la légitime autorité du peschwah à Poonah a de même contribué à resserrer l’alliance par laquelle il a été effectué.

« Le résultat a répondu à l’énergie avec laquelle Votre Excellence a employé le pouvoir et les ressources du gouvernement britannique et de ses alliés. Dans le court espace de cinq mois, et précisément dans une saison réputée jusqu’à cette heure incompatible avec les opérations militaires, tout a été terminé. Les deux plus formidables États mahrattes, par une succession sans exemple des plus brillantes victoires de nos armées, se sont vus réduits à dépendre entièrement de la générosité britannique ; leurs nombreuses troupes dispersées, leurs forteresses les plus importantes capturées, leurs plus riches provinces subjuguées.

« Nos propres provinces, les États de nos alliés, présentaient pendant tout ce temps le spectacle le plus satisfaisant. Sans soucis de la guerre extérieure, au sein de la paix la plus profonde, les habitants ne cessaient de jouir en toute sécurité du fruit de leurs industrieux efforts. La confiance placée par tous dans la parole et la stabilité du gouvernement britannique a été irrésistiblement démontrée par la situation sans exemple du crédit public dans le même laps de temps, au moment même du renouvellement de la guerre avec la France, et pendant le sanglant conflit dont l’Inde vient d’être le théâtre ; nous l’avons vu plus florissant qu’il ne l’avait été aux époques les plus heureuses de la paix.

« Il est encore d’autres points sur lesquels nous voulons nous arrêter. Nous ne pouvons nous refuser le plaisir de rappeler avec orgueil et reconnaissance combien la clémence et l’humanité inhérentes au caractère national ont été mises en évidence par la stricte discipline de nos troupes, qui, pendant leur marche à travers des pays ennemis, ont été partout reçues et regardées comme des bienfaiteurs et des libérateurs. Nous ne pouvons non plus passer sous silence l’émotion et l’enthousiasme avec lequel nous avons vu le vénérable représentant de la maison de Timour délivré de l’oppression d’une faction française, et placé sous la protection du gouvernement britannique. Le tribut de notre reconnaissance est dû à la conduite de ces armées dont les exploits ont agrandi la renommée du nom anglais dans l’Inde. Nous avons admiré dans notre héroïque commandant en chef la plus rare union du zèle et de l’intrépidité, joints à une grande habileté, à une remarquable humanité. Dans une autre partie de l’Inde, l’honorable major-général Wellesley a noblement rivalisé avec cet illustre modèle. Les mémorables journées de Delhi et de Laswaree, celles d’Assye et d’Argaum, seront placées parmi les plus beaux monuments de notre gloire nationale. Nos braves armées seront les premières à dire que leur valeur, leur discipline, leur mépris du danger, leur ont été inspirés par l’esprit de leurs généraux. Elles se sont montrées dignes en un mot de la tache honorable à laquelle les appelait Votre Excellence.

« Les efforts de Votre Excellence dans la conduite de la guerre ont été dignement couronnés par l’heureuse issue qui l’a terminée. La puissance anglaise dans l’Inde s’est élevée jusqu’à la plus orgueilleuse prééminence. Par cette heureuse conclusion d’une si courte et si glorieuse guerre, nous voyons les ennemis de l’Angleterre abaissés, l’influence française annulée, nos ressources augmentées, en un mot les établissements britanniques dans l’Inde tout à la fois plus à même de jouir avec sécurité des bienfaits de la paix et plus en état de repousser les dangers de la guerre. Quand nous contemplons tous ces bienfaits, nous ne pourrions, sans faire violence à nos sentiments, nous abstenir d’offrir à Votre Excellence les témoignages de notre respect et de notre reconnaissance pour les vertus éminentes et les talents remarquables qu’elle a montrés en assurant la prospérité de l’empire britannique dans cette partie du globe. »

À l’époque où fut conclue l’alliance entre le rajah de Berar et Scindiah, Holkar s’était empressé de leur donner l’assurance de sa coopération. Précédemment il avait déjà conclu un autre traité avec son ancien rival, alliance payée par ce dernier de la promesse d’une cession considérable de territoire. Holkar n’en laissa pas moins commencer les hostilités sans se mettre en mesure de tenir sa parole. Suivant toute probabilité, le mauvais état des affaires de Scindiah ne lui déplaisait nullement. À la fin de la guerre, au moment même où des négociations l’entamaient pour la paix, Holkar fit cependant une démonstration en faveur des confédérés. Il s’avança jusqu’aux frontières du rajah de Jeypoor, placé sous la protection anglaise. Les dangers dont se trouvait alors menacé l’empire mahratte ne pouvaient manquer de l’effrayer. Peut-être éprouvait-il quelque repentir de son manquement de parole à Scindiah ; mais la chute de celui-ci avait ébranlé tout l’empire mahratte, et il n’était plus au pouvoir de Holkar de rétablir l’équilibre à jamais détruit. Demeuré en dehors de l’arrangement conclu entre le gouvernement britannique et les deux alliés, le rajah de Berar et Scindiah, Holkar n’en écrivit pas moins, après la bataille de Laswaree, au général Lake quelques lettres exprimant des dispositions amicales. En 1802 après quelques avantages sur Scindiah auprès de Poonah, il leva des contributions chez les Rajpoots dans le nord de l’Indostan. Selon lui, ces rajahs, bien que se trouvant alors sous la protection du gouvernement britannique, n’en demeuraient pas moins tributaires de Scindiah ; aussi continua-t-il ses exactions. Dans le but d’y mettre un terme, Lake s’avance jusqu’à Byana, d’où il lui adresse un message : il le sommait de faire rentrer ses troupes dans les limites de sa propre domination. Peu de temps après, trois malheureux officiers anglais à son service, les capitaines Vickers, Todd et Byan, furent mis à mort par ses ordres. Ils voulurent s’en retirer à la déclaration de guerre ; mais Holkar les fit emprisonner ; puis, sous prétexte d’une correspondance secrète entretenue par eux avec le général Lake, les fit décapiter. Les cadavres furent abandonnés aux chiens, et les têtes placées sur des piques. Dans la bouche du capitaine Todd était placé un papier. Était-ce une lettre vraiment écrite par cet officier au général Lake ? était-ce une lettre supposée par Holkar, fabriquée par ses ordres ? On l’ignore encore ; mais les intentions hostiles de Holkar ne tardèrent pas à se trahir par de nouveaux indices. On apprit qu’il était en correspondance avec deux chefs rohillas et plusieurs chefs scycks ; on dut s’attendre à le voir promptement en campagne.

Après avoir renvoyé sa grosse artillerie à Agra, sous une escorte, Lake partit lui-même de Byana et traversa la passe voisine de cette ville. Le 10 février 1804, l’armée campa dans les environs de Hindown, village considérable et populeux, au milieu d’une riche et fertile vallée. Le plus grand soin fut donné à la préservation des moissons. La stricte discipline observée par l’armée anglaise, même par la multitude qu’elle traînait à sa suite, faisait avec la conduite d’une armée mahratte un si parfait contraste, que les habitants en témoignaient leur surprise. Le général Lake prit là une position dans laquelle il couvrait les principales routes conduisant dans l’intérieur, à même par conséquent de suivre de près Holkar, quelque direction que ce dernier voulût prendre. Bientôt il reçut en outre un renfort considérable. Holkar l’assurait en même temps par lettre de ses pacifiques dispositions. Il disait : « Lorsque la flamme de la dispute peut être éteinte dans les eaux de la réconciliation, il n’est pas convenable de porter les choses jusqu’aux extrémités de la guerre. » Il protestait de nouveau de ses intentions pacifiques ; il faisait savoir au général la résolution de se retirer dans ses États, résolution prise, selon lui, long-temps avant d’avoir reçu la lettre où le général lui en faisait l’injonction. Il concluait en annonçant la prochaine arrivée au camp anglais d’un wackel chargé par lui de donner de nouvelles explications. Dans sa réponse, le général en chef feignait de croire sincères les explications de Holkar ; seulement il l’avertissait qu’attaquer un allié de l’Angleterre était s’attaquer à l’Angleterre elle-même. Il concluait en style oriental « qu’il était charmé d’apprendre que la poussière de la vengeance et de l’inimitié n’eût point altéré la pureté de l’esprit d’Holkar. »

Parmi les alliés suspects d’intelligence avec Holkar, se trouvait la begum Sumroo. Une lettre adressée à Holkar était revêtue de son sceau. Dans cette lettre, la begum (ou du moins l’auteur de la lettre) faisait profession d’une ardente amitié pour Holkar ; exprimait de vifs désirs de lui voir obtenir un succès complet, lui donnait quelques avis sur la conduite de ses affaires, etc. Ce document tomba entre les mains du commandant en chef. Mais il avait été forgé dans la vue de créer de l’irritation contre la begum dans l’esprit des Anglais, puis de l’attirer au parti de Holkar. À peine, en effet, celle-ci l’eut-elle appris, qu’elle se hâta de désavouer ce document. Dans une lettre écrite par elle au colonel Ochterlony, elle se défendit avec beaucoup d’énergie. Elle ajoutait que depuis quarante années qu’elle se trouvait à la tête de son parti, qui que ce fut n’avait eu lieu de lui reprocher un acte de trahison. Elle concluait en demandant que des recherches fussent faites pour découvrir l’auteur de cette imposture.

Le 8 mars, l’armée quitta l’Indostan, en passant par Nunepoore, une autre passe des montagnes, puis atteignit Bamghur le jour suivant. Deux wackels de Holkar se présentèrent alors au général en chef, porteurs des lettres ainsi conçues : « L’amitié exige que, prenant en considération la longue intimité qui a existé entre moi et les Anglais, vous ayez égard aux représentations de mes wackels. En agissant de la sorte, vous ferez quelque chose de profitable et d’avantageux ; sinon je mets ma fortune et ma patrie sur les selles de mes chevaux, et plaise à Dieu que, de quelque côté que soient tournées les brides de mes braves guerriers, tout le pays dans cette direction tombe en mon pouvoir ! » Les envoyés, après avoir fait une longue énumération des forces d’Holkar, demandèrent, 1° qu’il lui fût permis de lever le chout selon l’usage de ses ancêtres ; 2° que les territoires primitivement possédés par sa famille, consistant en une douzaine des plus beaux districts du Doab, lui fussent restitués ; 3° qu’il en fût de même de la province de Hurream, jadis appartenant à sa famille ; 4° que les territoires qu’il possédait maintenant lui fussent garantis. Le général Lake refusa péremptoirement la première de ces propositions. Au sujet des territoires mentionnés dans les articles suivants, il répondit que la demande formée par Holkar était contraire à toute justice, puisque ces territoires avaient été long-temps dans la possession d’autres chefs, notamment dans celles de Scindiah. Les wackels cherchèrent à démontrer l’avantage qui résulterait pour les Anglais eux-mêmes de la possession de ces territoires par Holkar. Le motif allégué par eux, c’était que cet arrangement se trouvait être désiré par les Rohillas, par les rajahs de Jeypoor et de Bhurtpoor. À la quatrième demande, le général répondit « que le gouvernement anglais avait pris la résolution de n’entrer dans aucun arrangement de famille. Les wackels, n’ayant pas pouvoir de traiter d’un arrangement quelconque sur d’autres bases, s’en retournèrent auprès de Holkar. À la même époque, Ameer-Khan, alors au service de Holkar, se montra à la frontière du Bundelcund avec un corps considérable de cavalerie, manifestant le dessein d’envahir cette province et le pays au nord de la Betwa. Le colonel Polwell détacha à sa rencontre la brigade du colonel Shepherd et un corps de troupes appartenant au rajah de Jansee. Le colonel, ayant appris plus tard qu’Ameer-Khan était entré dans le territoire de ce dernier chef, marcha lui-même dans cette direction. Après une légère escarmouche avec les troupes du rajah, la pindarie se retira à l’approche du colonel ; il franchit les montagnes et s’alla présenter devant Seronjee. Le 23 mars, le général Lake arriva devant Ballaheera. Ce fort, bombardé quelques années auparavant par le général de Boigne, portait encore les traces de cette attaque. Le capitaine Sturrock, interprète pour le persan, fut détaché de là au rajah de Jeypoor. Là on reçut de nouvelles lettres de Holkar, où il disait : « Des provinces de plusieurs centaines de milles carrés seront pillées et ravagées. Le général Lake n’aura plus le temps de respirer. Des calamités innombrables tomberont sur des millions d’êtres humains. Les attaques de mon armée se succéderont comme les vagues de la mer sur le rivage. » Holkar ne tarda pas à joindre le fait à la menace. Il envoya un agent auprès de Scindiah, et sollicita sa coopération pour une attaque à force ouverte sur les possessions britanniques. Lui-même commença à ravager les territoires du rajah de Jeypoor.

Les choses en étant venues à cette extrémité, le commandant en chef marcha aussitôt contre Holkar. Des ordres sont expédiés aux officiers dans le Deccan de coopérer à ces mesures autant qu’ils le pourront, et de la façon qu’ils jugeront le plus convenable. Le major-général Wellesley envoie ordre au colonel Murray, commandant dans le Guzerate, d’envahir aussitôt la province de Malwa, et de porter la guerre dans la direction d’Indore, résidence de la famille de Holkar. Une autre partie des troupes devait agir contre les possessions de Holkar dans le Deccan. Le 23 avril l’armée tout entière prit position dans les environs de Jeypoor, capitale de tout le beau pays qu’on venait de traverser, un des plus fertiles de l’Inde, abondant en bétail, en coton, en tabac. Le 3 mai elle atteignit Sambow, puis se porta de là à Nurwakee, village autrefois remarquable par des bains et des temples. Le lieutenant-colonel Don eut mission de s’emparer de Bampoor, situé à soixante milles de Jeypoor, et appartenant à Holkar. Il s’en rendit maître sans difficulté après quelques jours de siège. Holkar, ayant ainsi perdu le seul pied-à-terre qu’il eût dans l’Indostan au nord de la Chumbul, se hâta de repasser la rivière. Il fut vivement poursuivi par le détachement du colonel Monson, auquel se trouvaient réunies les troupes de Jeypoor et autres auxiliaires. En même temps il était menacé vers le midi par le colonel Murray et les troupes de Guzerate. Ces forces se trouvant parfaitement en état de tenir tête à Holkar, le général se décida à rétrograder dans le but d’aller prendre ses cantonnements. Les troupes soufraient beaucoup de la chaleur, d’un vent brûlant propre à ce pays, et les animaux de trait étaient menacés de succomber tous faute de fourrages. La route à parcourir, fort mauvaise, fort difficile, passait d’abord à travers des montagnes, ensuite sur des sables arides. À Bajarow, le corps d’armée fut rejoint par un détachement venu d’Agra, et qui apportait de l’argent à l’armée ; on y apprit encore de fâcheux événements récemment arrivés dans le Bundelcunt. Le colonel Polwell étant mort, le commandement des troupes anglaises de cette province était échu au lieutenant-colonel Faucett. Ce dernier envoya un détachement de sept compagnies de Cipayes pour s’emparer d’un petit fort à cinq milles de Kooch, où lui-même stationnait. Le commandant de la forteresse lui fit proposer de rendre la place le lendemain, à condition que les Anglais cesseraient le feu. La proposition fut acceptée ; mais le perfide killedar profita de ce moment pour faire prévenir Ameer-Khan, qui se trouvait dans le voisinage à la tête d’une nombreuse cavalerie. Ce dernier, à la tête de quelques milliers de cavaliers, tomba à l’improviste sur deux compagnies de Cipayes et 50 hommes d’artillerie qui gardaient les tranchées. Pas un seul n’échappa ; l’artillerie en batterie fut enlevée tout entière. À la tête des cinq compagnies qui lui restaient, le capitaine Smith, commandant du détachement, fit sa retraite en assez bon ordre. Enhardi par ce succès, Ameer-Khan fit une tentative pour passer la Jumna et attaquer Calpee ; mais il en fut empêché par le capitaine Jones.

L’armée, sous les ordres du général Lake, atteignit Selimghur le 29 mai. Elle souffrit beaucoup pendant cette marche. Un vent brûlant, après avoir traversé le grand désert de sables, remplissait l’atmosphère d’un souffle embrasé. Les effets en étaient partout terribles, mais surtout à l’ouest de la Jumna, où l’absence de lacs, de rivières et de ruisseaux, ne laissait aucun moyen de contre-balancer sa terrible influence. Il semblait à chacun se trouver tout-à-coup transporté au cœur de l’été, auprès d’une forge enflammée. Dans les habitations, à l’aide d’une exacte clôture, il était possible de se mettre en partie à l’abri ; mais sous des tentes nullement disposées de manière à les protéger, les soldats se trouvaient exposés sans défense à ce terrible fléau. Dans les marches, c’était pis encore ; des jeunes gens le matin pleins de vigueur et d’énergie, tombaient morts en touchant aux lieux de la halte ; d’autres paraissaient comme frappés d’un coup de tonnerre au milieu de la marche. À midi, les rayons du soleil descendaient comme un torrent de feu. Quelques uns atteints tout-à-coup d’une folie subite, chancelaient comme des hommes ivres, l’écume leur venait ai la bouche ; puis on les voyait tomber pour ne plus se relever. Même au campement, les souffrances du soldat ne diminuaient point ; à l’ombre, la chaleur excédait souvent 130° du thermomètre de Fahrenheit. Le défaut d’eau ajoutait encore à toutes ces misères ; la mortalité s’était particulièrement attaquée aux porteurs d’eau, en raison de leurs fonctions, toujours pénibles, singulièrement périlleuses en ce moment. D’ailleurs le nombre des malades devenait un inconvénient plus grave encore que celui des morts. Derrière le corps d’armée principal s’allongeait à perte de vue une longue et profonde colonne de malades, le plus grand nombre n’atteignaient le corps d’armée que le soir, et quelquefois le lendemain.

Le 30 mai, l’armée, franchissant la dernière passe des montagnes, entra, sur une meilleure route que celle parcourue jusqu’alors. Elle passa par Bassabwar, Waer, situées sur la route de Jeypoor à Agra. Ce même jour, on enterra 90 Européens. « C’était chose triste, dit un témoin oculaire, que de voir notre route tracée par ces petits tertres qui couvraient les restes de tant de braves soldats échappés aux périls de la guerre pour devenir victimes du climat. » Le 1er juin, l’armée se sépara en deux divisions dans le but de hâter sa marche. L’infanterie, sous les ordres du major-général Fraser, resta à Pursoo ; la cavalerie, ayant à sa tête le commandant en chef, parvint jusqu’à Sangara, deux milles plus loin. Le lendemain de ce jour de séparation ; l’armée traversa un désert de sable aride d’une étendue de dix-huit milles. Une soif ardente dévorait les soldats, et l’on ne trouvait point d’eau. À la vue d’un petit vase de la grandeur d’un verre qui en était rempli, on vit un malheureux Cipaye devenir comme frénétique. Il offrit une roupie, c’est-à-dire tout ce qu’il possédait au monde, au serviteur indou qui en était chargé, pour obtenir la permission d’y porter seulement les lèvres. Celui-ci portait le précieux vase à son maître, qui en ce moment expirait lui-même de soif. Il refusa ; alors le Cipaye ne peut plus résister à son supplice, que la vue de l’eau vient ne rendre plus vif ; il charge à la hâte son fusil, et se fait sauter la cervelle. 300 hommes expièrent ce même jour dans ces affreux tourments.

Le 3 juin, la cavalerie atteignit Karowley. Ce même jour, le vent, après avoir soufflé de l’est depuis le lever du soleil jusqu’à deux heures, sauta tout-à-coup au côté opposé. La plaine se couvrit soudain d’impétueux tourbillons, d’innombrables trombes de vents ; d’immenses colonnes, de sable soulevées par elles touchant de la tête aux nuages, du pied brisant les arbres, frappant de mort les hommes et les animaux qui se trouvaient sur leur passage. Un typhon brûlant s’éleva versant au loin une pluie de sable enflammé. Le soleil se coucha au milieu de nuages couleur de sang. De rapides éclairs sillonnèrent long-temps l’obscurité de la nuit plus épaisse que de coutume. La multitude d’Indous qui accompagnait le camp se coucha sur la terre, s’abandonnant aux larmes, aux gémissements, et ne doutant pas que le dernier jour du monde ne fût venu. Les ravages de la journée et ceux de la nuit furent horribles en effet. Au point du jour la plupart des tentes étaient enlevées, les arbres du voisinage déracinés, le bétail asphyxié, écrasé. Heureusement qu’une pluie abondante suivant de près la tempête, fit bientôt oublier ces désastres, en procurant enfin cette eau si ardemment désirée. Le 5, l’armée se remit en route, passa la Jumna, et arriva enfin à Agra.

Deux divisions de troupes irrégulières détachées par le général Lake dans le but de surveiller les mouvements de Holkar, avaient obtenu quelques succès. Le 29 mai, le capitaine Gardiner, à la tête de l’une d’elles, atteignit une place nommée Balloor-Kerry. Il apprit que Tantia, un des principaux partisans de Holkar, se trouvait campé dans le voisinage avec 3 bataillons d’infanterie et 5,000 chevaux ; sur ces entrefaites arriva la 2e division, commandée par le lieutenant Lucan. À la nouvelle de l’approche de ces troupes, Tantia rétrograda à six milles de là, et prit une forte position ; le capitaine Gardiner l’y suivit, résolu de le forcer à combattre. À peine fut-il en vue, qu’il essuya un feu vif d’artillerie. Le seul côté abordable de la position de l’ennemi était semé de ravines, rendant une attaque de vive force impraticable ; Gardiner fit cependant ce qu’il put pour s’en rapprocher. Mais avant que l’affaire ne s’engageât, il arriva un parlementaire envoyé par le chef des bataillons réguliers de Tantia ; celui-ci demandait pour lui et ses troupes la faculté de se retirer en sûreté jusqu’au camp de Bappoo-Scindiah. Tantia se voyant abandonné, car ces propositions se trouvèrent promptement acceptées, se retira à la tête de sa cavalerie. Les différents corps de l’armée furent dispersés dans leurs cantonnements du 8 au 15 juin. Ainsi finit cette première campagne de 1804. L’intempérie du climat avait fait de grands ravages dans les rangs de l’armée anglaise, épargnée d’ailleurs par le fer ou le feu de l’ennemi.

L’empereur Shah-Alaum, apprenant le retour du général Lake de Cawpore, se hâta de dépêcher auprès de ce dernier le rajah Munno-Lall. L’envoyé de l’empereur avait pour mission d’investir le général anglais des insignes du mahee, du moorateb, du naobut, marques de dignité appartenant aux grands officiers de l’empire, tel que le visir, le commandant en chef, etc. Long-temps retardée par des pluies abondantes, la cérémonie eut enfin lieu le 14 août. Ce jour-là, le général en chef et les officiers de son état-major se rendirent à des tentes dressées pour cet usage à quelque distance. L’investiture se fit par l’épée et le bouclier, comme c’est la coutume pour les dignités militaires. Le cérémonial achevé, le général se retira, précédé par les insignes de ses nouvelles dignités. Le mahee représente un poisson avec une tête de cuivre doré ; le corps et la queue sont d’argent ; il est fixé à l’extrémité d’une longue perche, laquelle est portée par un éléphant ; et c’est ainsi qu’il est offert à la personne qui doit le recevoir. Le moorateb est un globe de cuivre doré entouré d’une frange d’environ deux pieds, placé sur une longue perche, et, comme le mahee, porté sur un éléphant. Quant au naobut, il consiste en deux petits tambours d’argent, de la grosseur d’un canon de 32, et qu’on suspend au moyen d’une courroie au cou de celui à qui cet honneur est conféré. Le récipiendaire frappe pendant quelques instants les deux tambours ; puis il est aussitôt proclamé sahibin-nabut. Placés aussi sur un éléphant, les instruments accompagnèrent le mahee et le moorateb dans leur marche.

Le colonel Monson, après la capture de Hinglair-Glur, prit position à environ cinquante milles de la passe Mokundra. Le besoin de se procurer des vivres et de se mettre en communication avec le colonel Murray le décida à ce mouvement. Ce dernier s’acheminait alors du Guzerat vers Indore, à la tête d’une force considérable. Le colonel Monson avait sous ses ordres cinq bataillons de Cipayes, de l’artillerie et environ 3,000 hommes de cavalerie irrégulière, commandée par le lieutenant Lescun. Apprenant le 7 juillet que Holkar, qui, après sa retraite, avait pris position à Malwa, de l’autre côté de la Chumbul, s’était hâté de repasser cette rivière avec toute son armée, Monson eut d’abord la pensée de marchera la rencontre du Mahratte. L’annonce d’un convoi qui lui apportait de l’argent l’empêcha de mettre ce projet à exécution. Il rétrograda jusqu’à la passe de Mokundra. À quatre heures du matin, le bagage et les munitions se mirent en route ; le 8 juillet, à neuf heures, le gros du détachement les suivit, tandis qu’en arrière venait la cavalerie irrégulière. Après avoir marché douze milles, Monson apprend que cette arrière-garde est attaquée par toute la cavalerie mahratte, avec Holkar à sa tête. Bientôt on apprend que la cavalerie irrégulière est en déroute, et le lieutenant Lescur qui la commandait, tué. Croyant inutile ou dangereux de rétrograder, Monson continue sa route. Le 10, la cavalerie de Holkar, qui, entoure le détachement de Monson, semble augmenter en nombre de moment en moment ; Holkar somme le commandant anglais de livrer armes, bagages, artillerie, lui promettant la vie à cette condition. Cette demande est rejetée. Holkar divise sa cavalerie en trois corps, et fait trois attaques, sur le front et les flancs des Anglais. Il les renouvelle plusieurs fois, mais toujours sans succès. Le colonel Monson, dans la crainte que l’ennemi ne parvienne à se jeter sur ses derrières, à couper ses communications de Mokundra à Kottah, se dirige vers cette dernière place. Après deux jours d’une marche fatigante et périlleuse, il l’atteint le 12 juillet. Le rajah de Kottah, n’ayant pas voulu consentir à permettre aux troupes d’entrer dans sa capitale, le colonel Monson continua sa marche jusqu’à Niddee-Ghaut. Les pluies l’y retiennent quelques jours. Le 15, il se remet en marche ; mais, les chemins défoncés et gâtés par la pluie ne lui permettant de marcher qu’avec de grandes difficultés, il se voit dans l’obligation d’abandonner dans les boues son artillerie, ainsi qu’une grande partie de son bagage. Tout le pays qu’il traverse, inondé, ne présentait aux yeux de quelque côté qu’ils se tournent, qu’une immense étendue d’eau. À Rampoorah, où il ne parvint qu’avec de grandes difficultés, Monson rencontra deux bataillons de Cipayes, quatre pièces de 6 et deux obusiers, un corps de cavalerie indostanie, et des provisions de grains. Le commandant en chef s’était hâté d’envoyer ce secours aussitôt qu’il avait appris la situation du détachement. Le colonel n’en poursuivit pas moins sa retraite jusqu’à Kooshalghur. Il espérait trouver dans cette place de nombreux secours. Il laissa néanmoins une garnison à Rampoorah.

Il atteignit, le 22 août, la Baunar, en ce moment grossie par les pluies et débordée ; les plus grands éléphants pouvaient à peine la passer. Le lendemain, de nombreux corps de cavalerie ennemie se montrèrent sur la rive opposée, où ils plantèrent leurs tentes en face du détachement, à une distance d’environ quatre milles. Le 24, la rivière étant devenue guéable, un bataillon en exécuta le passage. L’ennemi prend alors position dans un grand village sur la droite du détachement ; le colonel attaque le village et l’emporte presque sans perte. La cavalerie ennemie passe aussi la rivière, à la gauche du détachement anglais. Le colonel Monson fait passer trois autres bataillons pour protéger son bagage, avec l’intention de passer bientôt lui-même avec le reste de ses troupes. À quatre heures de l’après-midi, une vive canonnade s’engage ; le colonel Monson charge l’ennemi et parvient à s’emparer de quelques uns de ses canons. Il se rallie cependant, et à son tour contraint la petite troupe de Monson à se retirer, quoiqu’elle fût protégée par ceux qui se trouvaient déjà de l’autre côté de la rivière. Le colonel Monson se vit dans la nécessité d’abandonner son bagage, dans le but d’accélérer la retraite. Il atteignit Kooshalghur le 25 août, après avoir repoussé plusieurs attaques de cavalerie. Pour comble d’embarras, il découvre en ce moment une correspondance entre quelques uns de ses officiers indigènes et Holkar. Il adopte sur-le-champ les plus énergiques mesures ; néanmoins deux compagnies du 14e régiment et un grand nombre de cavaliers indostanis désertèrent. Le 26 au soir, ayant formé sa troupe en carré, il abandonna Kooshalghur ; pendant la nuit et le jour suivant, la cavalerie mahratte, appuyée de quelque artillerie, essaya vainement d’enfoncer cette masse. Il continua sa retraite vers Agra. L’ennemi, furieux de voir une proie comme certaine lui échapper, fait trois charges désespérées, mais toutes trois sans succès. Monson avait ménagé le feu de son détachement jusqu’au moment où l’ennemi ne se trouva plus qu’à une vingtaine de pas ; et l’effet en fut terrible. Le 28, l’armée arriva à Biana, puis, trois jours après, à Agra. L’ennemi, le suivant de fort près, ne se hasardait pourtant à aucune attaque sérieuse, se contentant d’enlever tous les hommes qui s’écartaient du corps d’armée.

La tournure des affaires commençait à rendre nécessaire la rentrée en campagne de l’armée tout entière. C’était le moment ou jamais d’arrêter les progrès de l’ambition de Holkar ; le pays était encore complètement inondé, la pluie continuait à tomber par torrents. Cependant, dès les premiers jours de septembre, le général commença a concentrer sur Agra les différents corps de son armée ; au milieu de ces revers passagers, Lake, par sa fermeté, inspirait une nouvelle ardeur aux soldats. Les infortunés restes de la division du colonel l’accueillirent avec transport. Ils n’avaient rien perdu de leur bravoure ni de leur discipline ; ils éprouvaient une impatience bien naturelle de prendre leur revanche ; impatience encore augmentée par les mauvais traitements qu’on savait infligés par Holkar à ses prisonniers. Un prisonnier anglais était-il amené en présence de Holkar, il lui offrait du service dans ses troupes ; si celui-ci refusait, on lui coupait le nez et le bras droit, puis on le renvoyait. Journellement de malheureux soldats revenaient au camp ainsi cruellement mutilés. D’ailleurs, poursuivant le cours de ses succès, Holkar avait pris position sur les bords de la Jumna, dans les environs de Mutra. Les Anglais stationnés dans cette dernière ville furent forces de l’abandonner et de se retirer sur Agra, laissant derrière eux de grands approvisionnements et une partie de leurs bagages. À la tête de sa cavalerie, Holkar pénétra alors dans le Doab. De son côté, ayant assemblé dans le courant de septembre les différents corps de son armée, le général Lake quitta Sacundar le 1er octobre (1804) : il alla camper à neuf milles au-delà, sur la route de Mutra. Dès le lendemain, de nombreux partis de cavalerie ennemie, entourèrent l’armée anglaise, d’ailleurs se retirant à mesure qu’elle avançait ; elle prit position le troisième jour dans le voisinage de Mutra.

Le 7, le général Lake se résolut a faire une attaque sur le camp de Holkar, alors au village de Auzung, à quatre milles des Anglais. Il forma son armée sur trois colonnes, l’une de cavalerie, à droite, les deux autres d’infanterie, se ménageant de plus une réserve ; on atteignit le camp de Holkar peu de minutes avant le crépuscule. Les Mahrattes étaient sur leurs gardes ; toutefois, un feu d’artillerie ouvert sur leur droite, tandis que la cavalerie anglaise les tournait par la gauche, les déconcerta. Ils s’enfuirent avec une telle rapidité qu’on ne put les atteindre, ce qui rendit leur perte à peu près nulle. Le 10, le général essaya de nouveau d’amener l’ennemi à un engagement. L’infanterie s’avança encore sur trois colonnes ; la cavalerie fit un grand détour dans le but de lui couper la retraite ; mais après avoir parcouru la plaine au galop, il lui fut impossible de le charger, car il se dispersa sur-le-champ. La cavalerie anglaise s’arrêtait-elle, lassée d’une poursuite inutile, les Mahrattes en faisaient de même, et surveillaient tous ses mouvements. Faisait-elle mine de rétrograder, ils se ralliaient et les attaquaient vivement en queue et sur les flancs, faisant un feu assez bien nourri poussant de grands cris, brandissant d’un air de défi leurs lances et leurs sabres. Les Anglais ne firent que 30 prisonniers. S’attendant à de sévères représailles, ceux-ci s’étonnèrent de la douceur et de l’humanité avec lesquelles on les traita. Après leur avoir fait donner à chacun une roupie, le général les renvoya au camp de Holkar, avec ordre de lui dire qu’il n’appartenait qu’à des lâches d’être cruels avec des prisonniers. L’armée quitta Mutra, la cavalerie en tête, l’infanterie venant ensuite, et présentant aux attaques de l’ennemi un front imposant de baïonnettes. Holkar s’était alors porté devant Delhi, qu’il assiégeait avec une vigueur extrême à la tête de son infanterie régulière, ayant avec lui un train considérable d’artillerie. Il désirait avec une sorte de passion s’emparer de l’empereur, mais le mouvement des Anglais déjoua cet ambitieux projet. Peu à peu les attaques de la cavalerie de Holkar commencèrent à se ralentir, découragée qu’elle était par son mauvais succès.

Le colonel Ochterlony, à cette époque résident anglais auprès de Shah-Alaum, commandait Delhi, ayant sous ses ordres le colonel Burn. À la première nouvelle de l’approche de l’ennemi, il se hâta de rappeler tous les détachements de troupes en cantonnement aux environs de la ville. Les fortifications de celle-ci se trouvaient alors en fort mauvais état ; une partie des remparts avait été abattue, tandis qu’un certain nombre de bastions manquaient d’espace intérieur. On remédia autant que possible à ces deux inconvénients. Dès le 5 octobre deux nouveaux bastions étaient déjà érigés aux portes d’Agimoor et de Turkoman. Ce même jour la cavalerie de Holkar se montrait à l’horizon. À cette vue, 300 hommes de cavalerie indigène au service des Anglais désertent et passent immédiatement à l’ennemi. Prenant un parti énergique, et ne voulant pas conserver avec lui des soldats sur lesquels il n’ose compter, Ochterlony fait passer la Jumna au reste de cette cavalerie, qu’il charge d’assurer les subsistances de l’armée. Elle n’obéit qu’avec lenteur, répugnance, et, à peine de l’autre côté de la rivière, se disperse. Après avoir fait battre le pays par sa cavalerie, Holkar à la tête de son infanterie et de son artillerie, vient prendre position à quelque distance de la ville. Un détachement de ses troupes, se couvrant avec adresse des plis du terrain, s’approche des murailles de la ville et commence une vigoureuse canonnade contre l’angle sud-est du rempart. En peu d’heures 30 ou 40 pieds du rempart sont abattus. Pendant la nuit, Holkar élève des batteries de brèche, dont le feu commence au point du jour, et achève de détruire le parapet et d’agrandir l’ouverture déjà faite aux murailles. Ochterlony multiplie ses efforts pour réparer la brèche et relever le parapet, et dispose tout pour une sortie. Le 10, un détachement de 350 hommes sort effectivement de la place sous la conduite d’Evans, Hearthcoth et Locket. Une réserve de 50 hommes l’appuyait. Il parvient à s’emparer d’une des batteries de Holkar, encloue ses canons et se retire, n’ayant essuyé dans tout cela qu’une perte fort légère ; la confusion s’était mise, dès les premiers coups de fusil, dans les troupes de Holkar ; elles tirèrent les unes sur les autres. Le même jour, pour protéger de nouvelles sorties, Ochterlony éleva une autre batterie dans le bastion sud-est. Instruit de ces préparatifs, Holkar fit passer la nuit suivante sous les armes à toute son armée ; puis, abandonnant son projet primitif, résolut de diriger une nouvelle attaque au midi de Delhi. Il prit position vis-à-vis les portes d’Ameer et de Turkoman, se mit à couvert à l’aide de ruines et de murailles de jardins, et battit en brèche la courtine qui unissait les deux portes. La brèche fut ouverte et presque praticable dès le même soir. Mais Ochterlony construisit pendant la nuit de fortes traverses derrière cette brèche, et, dès le point du jour, cet endroit se trouva isolé du reste de la ville. Le 13, les assiégés remarquèrent dans le camp de Holkar un silence inaccoutumé, qui leur sembla le présage d’une attaque. La garnison se tint sur la défensive, et se prépara au combat. Au point du jour, l’artillerie des assiégeants commença à jouer dans toutes les directions. Protégé par cette canonnade, un détachement de leur troupes donna l’escalade à la porte de Lahore. Ils furent repoussés en désordre, et s’enfuirent en abandonnant leurs échelles. Pendant cette journée Holkar était demeuré immobile ; le soir il établit quelque artillerie dans la direction de la porte de Cachemire. Ochterlony, qui s’en aperçut, monta de son côté 2 canons de 6 pour leur répondre. Mais au point du jour, du haut de leurs remparts, les assiégés cherchèrent vainement l’armée de Holkar ; elle avait disparu, et à peine l’arrière-garde de sa cavalerie était-elle encore visible aux extrémités de l’horizon. Après cet échec, Holkar reprit la manière de faire la guerre habituelle aux Mahrattes, ne se proposant plus d’autre plan que de piller, brûler, ravager le pays. Il passa la Jumna auprès de Panniput, portant le glaive et la torche dans les possessions anglaises du Doab. Cette défense de Delhi par le colonel Ochterlony lui fit le plus grand honneur.

En apprenant l’invasion du Doab par Holkar, Lake se détermine à marcher immédiatement à lui. Il laissa le major-général Fraser au commandement de l’infanterie, de l’artillerie et de deux régiments d’infanterie indigène, avec l’ordre d’observer les mouvements de l’infanterie ennemie. Lui-même se met à la tête de sa cavalerie, consistant dans les 27e et 29e régiments de dragons, l’artillerie à cheval, les 1er, 4e et 6e régiments de cavalerie indigène, et une brigade d’infanterie sous les ordres du lieutenant-colonel Don, Le 31 octobre, il passe la Jumna à un gué à trois milles de Delhi. Le jour précédent la brigade de réserve avait déjà effectué le passage. Pour que rien ne ralentit sa marche, le général en chef se débarrassa d’une grande partie de son bagage. Il diminua de moitié le nombre des tentes. Pour réduire autant que possible les attelages, une ration de six livres de farine fut distribuée à chaque combattant ; elle devait durer six jours et être portée par lui-même. Le 15 novembre, le général Lake arriva à Bagbut. On apprit là que la cavalerie mahratte, sous les ordres de Holkar, avait passé la Jumna dans le voisinage de Panniput. Le lieutenant-colonel Burn à la tête son bataillon et de quelques troupes indigènes, avait quitté la capitale six jours auparavant pour se rendre à Sahranpoor ; le magistrat civil de cette station venait d’être tout récemment assassiné par un parti de Sciks. La cavalerie de Holkar rencontra ce détachement et l’entoura complètement. Cependant le colonel Burn, parvenant à les tenir à quelque distance avec de la mitraille, se fit jour jusqu’à Shamlee ; là, s’enfermant dans un petit fort aux murailles de boue, il se prépara à une vigoureuse défense. Le général Lake, apprenant la situation de ce détachement, marche immédiatement à son secours. Le 2, il campe au milieu de champs de badjera (Holeus spicata de Linné) d’une telle hauteur, qu’il dépassait en élévation les grenadiers de la plus haute taille. Ce fut une excellente nourriture pour les chevaux. Le 3, Lake opéra sa jonction avec le colonel Burn. L’ennemi avait abandonné sa position à la seule vue des nuages de poussière que soulevait l’armée. Il se retira dans la direction de Jallahabad. Un grand nombre de Cipayes du détachement du colonel Burn étaient restés plusieurs jours sans toucher à une nourriture quelconque ; leur religion leur interdisait de partager le repas de leurs camarades mahométans, qui se nourrissaient de bétail. Les habitants de Shamlee non seulement refusèrent de leur vendre des provisions, mais firent feu sur un parti envoyé par le colonel Burn pour en acheter. Renfermé dans son petit fort de terre, ce dernier ne pouvait en sortir. Lake lui témoigna sa satisfaction au sujet de sa belle défense. L’armée, se remettant en marche, arriva deux jours après à Serdanah, résidence de la begum Sumroo. Holkar s’y était, dit-on, rendu lui-même dans le but d’encourager la begum à se joindre à lui avec toutes ses forces.

La begum Sumroo, devenue célèbre dans l’histoire de l’Indostan, était la veuve d’un homme natif de Trèves, dont le nom était Walter Reinhardt. Il entra d’abord au service des Français, qui le désignèrent, dit-on, sous le nom de Sombre, à cause de la couleur de son visage. Les Indous en firent Sombroo et par contraction Somroo, nom sous lequel il fut connu. À la mort de son mari, la begum succéda au commandement exercé par celui-ci, et fut confirmée dans le jaghire qui lui avait été accordé pour leur entretien par Nujeeff-Khan. Elle déploya en toutes circonstances une grande énergie d’esprit, surtout pendant les dernières révolutions qui signalèrent le règne de Shah-Alaum. N’ayant plus autre chose à donner que des titres, ce dernier lui accorda celui de zeebal-nissa, ornement de son sexe. Au milieu des convulsions de l’empire, elle parvint à conserver son territoire et à l’améliorer d’une manière sensible. Descendue d’une ancienne famille mogole, nourrie par conséquent dans la foi musulmane, elle embrassa ouvertement le christianisme et fit tous ses efforts pour le propager dans ses États. À cette époque, elle avait environ cinquante ans ; elle était de taille moyenne, paraissait belle encore, en dépit d’un climat qui flétrit d’ordinaire si promptement la beauté des femmes. Sa principauté de Sherdannah était un district d’une médiocre étendue, mais d’une extrême fertilité ; cultivé avec beaucoup de soin, il produisait en abondance des grains de toute espèce, du coton, du tabac, des cannes à sucre, etc. La ville de Sherdannah bien située, d’une importance assez considérable, possédait un fort bon arsenal, une fonderie de canons, etc. À cette époque ; les troupes de la begum se composaient de 5 bataillons de Cipayes bien disciplinés, avec environ 40 pièces d’artillerie, commandés par des officiers européens. Dans les dernières années, la begum avait habité principalement Delhi, où elle se fit construire un magnifique palais. Dans cette retraite elle passa plusieurs années en paix sous la protection du gouvernement britannique ; mais ce ne fut que bien long-temps après l’époque où nous sommes. La begum avait à côté d’elle un homme qui pouvait la servir dans tous ses projets d’amélioration, et dont la destinée fut singulière : c’était Georges Thomas, simple déserteur anglais, qui devint son généralissime, son premier ministre, et l’aida puissamment dans l’exécution de tous ses projets.

Le général se mit à la poursuite du corps d’armée commandé par Holkar, où se trouvait principalement sa cavalerie ; le général Frazer, de son côté, à celle de l’autre corps d’armée. Ce dernier corps, presque entièrement composé de l’infanterie et de l’artillerie mahratte, avait pris position dans le territoire du rajah de Bhurtpoor. Le général Frazer, arrivé à Govordown le 12 novembre 1804. campa à peu de distance de l’ennemi. Ce dernier avait son front protégé par de vastes marais, ses derrières par un étang profond, sa droite par un village fortifié, sa gauche par la célèbre forteresse de Deeg. Les forces des Mahrattes consistaient en 24 bataillons, un corps considérable de cavalerie, et 160 pièces de canon ; celles du général Frazer, en deux régiments européens et 6 bataillons de Cipayes. Malgré son infériorité numérique, il se décida à attaquer le lendemain ; ayant laissé deux bataillons à la garde des bagages, il se mit en marche à trois heures du matin. Après avoir fait un grand détour pour tourner le marais qui couvrait le front de l’ennemi, la colonne anglaise arriva au point du jour au village formant l’extrême droite de l’ennemi. Le 76e régiment charge à la baïonnette, s’empare du village, descend rapidement la pente opposée de la colline, charge la première rangée de canons, que l’ennemi abandonne après deux décharges. L’autre régiment de ligne suit ce mouvement, et, à peine au sommet de la colline, voit le 76e déjà au milieu de l’armée ennemie. Il se précipite à son secours, suivi lui-même par les Cipayes. Après avoir enlevé l’artillerie de la première ligne, les Anglais demeurent exposés à un feu très vif des pièces de la seconde. Le major-général Frazer a la cuisse emportée d’un boulet de canon et le commandement passe au lieutenant-colonel Monson ; toutes les batteries sont successivement emportées ; les Anglais poursuivent les Mahrattes jusque sous les murs du fort, dont le canon les force à s’arrêter quelque temps. La gauche de ceux-ci essaya de traverser le marais, mais ne put y parvenir qu’avec de grandes difficultés, en l’encombrant de cadavres. La 3e brigade, laissée à la garde du bagage, arrivée bientôt sur le terrain, fait enlever l’artillerie et relever les blessés. La perte des Anglais se monta à 643 hommes tués et blessés. Parmi eux se trouvaient plusieurs officiers supérieurs. La blessure du major-général Frazer, jugée mortelle dès le premier moment, mêla quelque tristesse à l’enivrement de la victoire ; c’était un officier distingué, auquel l’armée portait beaucoup d’affection. Il mourut effectivement quelques jours après. Les Mahrattes laissèrent 2,000 hommes sur le champ de bataille, tant tués que blessés ou noyés. Les Anglais dressèrent leurs tentes au centre même de la position de l’ennemi.

En quittant Serdannah, le général Lake se rendit à Merat. Holkar s’était déjà présenté devant cette ville ; mais, en trouvant les portes fermées, et voyant un bon nombre d’ennemis qui garnissaient les remparts, il passa sans risquer aucune tentative sérieuse pour s’en emparer. Merat avait été une des premières conquêtes de Mahmoud de Ghizni, qui la prit en 1018. Timour la détruisit en 1399 ; Elle fut rebâtie pour être dévastée plusieurs autres fois. Le climat en est salubre et le pays qui l’entoure bien cultivé ; elle était en 1809 le quartier-général de la division d’avant-garde de l’armée. Le général Lake, après avoir laissé le colonel Burn avec un détachement, continua sa marche sur Harper ; il y arriva le 9, et le jour suivant continua sa poursuite. À la tête de 25 à 30,000 hommes, Holkar parcourait alors en tout sens le pays, ravageant les moissons et brûlant les villages. Le général Lake campa ce soir-là à Mallarghur ; le 11, à Shekarpoor, après avoir passé la rivière Galiné ; le 12, dans le voisinage d’un fort nommé Komona, possédé par un zemindar réfractaire. Le fort fut réduit, mais il coûta quelques hommes. Il arriva quatre jours après devant Allygungee, qui brûlait encore. Le loisir de piller la ville ayant manqué à Holkar, il s’était hâté d’y mettre le feu, afin d’empêcher du moins l’ennemi de profiter du butin qui lui échappait ; lui-même avait pris position à Furnkabad. Trente-six milles séparaient les deux armées.

La distance était grande, mais comme pour cette raison même elle laissait Holkar en pleine sécurité, le général Lake résolut de tenter une entreprise hardie. À 9 heures du soir, après avoir donné quelques instants de repos à ses troupes, il se met en route, laissant en arrière tentes et bagages. Les cavaliers à peine en selle, les fantassins à leurs rangs, arrive la nouvelle de la bataille de Deeg. Cet incident redouble l’ardeur des troupes ; impatientes d’en finir d’un seul coup avec les fatigues et les périls de la campagne, elles se mettent joyeusement en route. Les têtes de la colonne attaquent le camp mahratte au moment où le soleil apparaissait à l’horizon. Enveloppés dans leurs manteaux, les soldats dormaient encore, loin de leurs armes et de leurs chevaux. Une décharge de l’artillerie à cheval, tirée à mitraille dans l’endroit le plus populeux de leur camp, leur donna l’éveil. Ils saisissent leurs armes, s’efforcent de prendre leurs rangs. Le 8e régiment de dragons, qui marche en tête de la colonne, sabre tout ce qu’il rencontre ; les autres régiments le suivent ; en peu de temps un grand nombre de morts et de blessés encombrent la place ; Holkar avait reçu, la nuit précédente, la nouvelle de la bataille de Deeg ; il s’amusait alors à voir danser de belles filles ; en proie à une sombre agitation, il se retira aussitôt sans communiquer la nouvelle à aucun de ses chefs. Le feu commence ; ceux qui l’entourent lui assurent que c’est le général Lake à la tête de son armée. Il se refuse à le croire, alléguant la distance qui la veille encore le séparait des Anglais. Ne pouvant plus douter de la vérité, il s’élance à cheval ; il essaie de rallier une partie de ses troupes et ne peut y parvenir. L’esprit tout rempli de fâcheux pressentiments, se sentant sous la main de la destinée, il s’enfuit en toute hâte avec ce qu’il peut rassembler de monde. Il passe la Calini, et prend la route de Manipoor. Le reste de l’armée, abandonnée à elle-même, se retire dans toutes les directions, et ne tarde pas à se disperser, toujours poursuivie par la cavalerie anglaise. Quand celle-ci s’arrêta, elle avait exécuté une marche de soixante-dix milles, ou 23 lieues et demie, l’une des plus extraordinaires dont l’histoire fasse mention. Mais c’est que le général Lake était un homme à enflammer toute une armée de sa propre ardeur. La perte des Mahrattes fut de 3,000 hommes, celle des Anglais de 30 tués ou blessés ; mais ce ne fut pas tout, la désertion se multiplia dans les rangs de Holkar ; en peu de jours sa cavalerie tout entière fut annulée, anéantie. Le lendemain de ce combat, le général Lake fit tirer trois saluts royaux en l’honneur de trois victoires : l’un pour la bataille de Deeg, livrée par le major-général Frazer ; l’autre pour la prise de Chandore par le colonel Wallace ; le troisième enfin pour son propre succès : singulière et glorieuse coïncidence.

Le corps ennemi battu par le général Frazer chercha immédiatement une retraite sous les murs de Deeg, forteresse appartenant au rajah de Bhurtpoor. Les Anglais ayant tenté de le poursuivre, la garnison les accueillit avec un feu d’artillerie et de mousqueterie qui les obligea de rétrograder. Après sa défaite de Furruckabad, Holkar se dirigea lui-même de ce côté en toute hâte. Deeg est une ville considérable, entourée de marais et d’étangs qui en rendent l’abord difficile une grande partie de l’année. Nujeeff-Khan, visir de l’empereur, s’en empara en 1776, après un siège d’une année ; mais elle revint peu de temps après au rajah de Bhurtpoor. Une citadelle défend la ville tandis qu’elle même est entourée d’un rempart en terre, avec des bastions et un fossé profond, excepté à un angle se terminant à une colline rocailleuse, assez élevée, appelé Shah-Bouri. Le général Lake, aussitôt qu’il apprit la marche de Holkar, se mit à sa poursuite. Le 28, il passa la Jumna, sur un pont de bateaux ; à trois milles de Mutra, et rejoignit le corps d’armée du général Frazer ; tous deux se retrouvant sous les plus heureux auspices, ; avec des sujets de félicitations réciproques. Les batailles de Deeg et de Furuckabad, décisives pour le destin de Holkar, changeaient la face des choses et le caractère de la guerre. Naguère le plus puissant des princes de l’Inde, Holkar se trouvait à peine alors en seconde ligne. Le rajah de Bhurtpoor, d’abord allié des Anglais, puis de ce dernier, devenait en réalité le conducteur, le chef véritable de cette guerre.

Le rajah de Bhurtpoor est un des principaux chefs des Jauts, d’origine indoue ; ayant émigré sur les bords de l’Indus, ceux-ci formèrent dans un court intervalle un État indépendant et puissant, au centre des contrées montagneuses d’Agra et de Delhi. Cet État comprenait une étendue de cent soixante milles en longueur sur cinquante de large. Il s’étendait des deux côtés de la Jumna, jusque dans les environs de Gwalior et de la cité impériale. Le vol et le brigandage faisaient leurs principaux moyens d’existence. Ayant amassé de grandes richesses et consolidé leur pouvoir, ils érigèrent des forteresses. Peu de temps après la mort d’Aureng-Zeb, ils s’aventurèrent sous la conduite d’un de leurs chefs, nommé Chural-Mun, à attaquer les troupes impériales ; le succès couronna fréquemment cette audace. Ayant ainsi grandi en force et en richesse, ils devinrent une sorte de nation. En 1756, sous Soorajee-Mull, qui prit le titre de rajah, ils établirent leur capitale à Agra. À la mort de ce chef, ils se virent dépouillés d’une partie du territoire conquis par eux sur le fameux visir Nujeeff-Khan. Demeurés fidèles à leur caractère primitif, on les vit, au milieu des discordes de l’empire, prendre parti, au gré de leurs intérêts, tantôt pour une faction, tantôt pour une autre. Le rajah alors régnant, petit-fils de Soorajee-Mull, se nommait Runjeet-Sing. Il possédait plusieurs forteresses dans le voisinage d’Agra et de Mutra, sur la rive droite de la Jumna. La possession de ce territoire fut garantie au rajah par le général Lake ; de plus, cession lui fut faite par les Anglais de quelques autres territoires ; enfin le gouvernement anglais lui fit remise du tribut qu’il devait aux Mahrattes. Malgré ces bons procédés des Anglais, Holkar ne se fut pas plus tôt mis en hostilité avec eux, que Runjeet-Sing manifesta des dispositions se joindre à lui. Le 1er août 1804, quelques lettres adressées par lui à Holkar furent saisies sur l’un de ses agents. Dans ces lettres, il était question d’une vaste confédération des princes indigènes pour combattre et détruire la puissance anglaise dans l’Inde. À la bataille de Deeg, sa cavalerie combattit avec celle des Mahrattes ; après la bataille, son artillerie fit feu sur les Anglais qui poursuivaient les fuyards. Le général Lake, après avoir demandé à ce sujet des instructions au gouverneur-général, se décida, sans les attendre, à l’attaquer sur-le-champ. Il partit donc de Mutra, et alla prendre position devant Deeg le jour suivant. Il poussa de là des reconnaissances dans toutes les directions, mais attendit, pour commencer le siège, l’arrivée de la réserve et de l’artillerie, demeurées à Agra. Le 13 décembre, il prit enfin une position définitive ; les travaux du siège commencèrent immédiatement.

Le 13, à onze heures du soir, un détachement sous les ordres du colonel Don prit possession d’un bois choisi comme un endroit favorable pour commencer les travaux. On s’en empara sans tirer un coup de fusil. Cependant la cavalerie resta toute la nuit avec ses chevaux sellés, dans le cas où l’on aurait besoin de secours. Les pionniers ouvrirent la tranchée et travaillèrent avec grande ardeur. Ils firent une tranchée de 300 verges de longueur, une batterie de mortiers et une autre batterie pour 2 canons de 6, avant le lever du soleil. Le même jour, une batterie de brèche fut élevée à 750 verges de la redoute royale, ouvrage avancé où l’on voulait pratiquer la brèche. Complétée dans la nuit du 16, cette batterie commença son feu dès le lendemain ; elle était composée de 6 canons de 18, de 4 de 12, et de 4 mortiers. Leurs résultats furent absolument nuls pendant quelques jours. Une autre batterie de 3 canons de 18 fut construite pendant la nuit du 19 au 20, à la gauche des autres, et plus rapprochée des remparts, qu’elle prenait d’enfilade. Les assiégés avaient placé de leur artillerie en dehors de la place ; à l’abri de celle des assiégeants par les accidents du terrain, ils faisaient un feu très bien dirigé sur ces derniers. Le 23 décembre, la brèche parut praticable ; on crut l’artillerie ennemie réduite au silence ; le général Lake disposa tout pour l’assaut. Le détachement chargé de ce service fut divisé en trois colonnes : celle de droite, sous les ordres du capitaine Kelly, consistait en 4 bataillons du régiment européen de la Compagnie, et 5 bataillons du 12e régiment d’infanterie indigène ; celle-ci avait ordre d’enlever les batteries ou les tranchées à la gauche de l’ennemi, et qu’il avait construites hors de la place ; celle de gauche, commandée par le major Radcliffe, en 4 compagnies du régiment européen de la Compagnie et 5 compagnies du 12e régiment d’infanterie indigène ; elle était destinée à enlever des batteries protégeant la droite de l’ennemi. La colonne du centre, sous les ordres du colonel Macrae, était composée des compagnies de flanqueurs du 22e régiment de ligne, du 76e et de celle du régiment européen de la Compagnie, plus du 1er bataillon du 8e régiment d’infanterie indigène ; celle-ci devait attaquer la brèche de front. Les trois détachements atteignirent les points d’attaque un peu avant minuit. Chacune des colonnes exécuta ces ordres avec une égale bravoure et d’abord avec égal bonheur. Exposé à un feu très bien nourri de canon et de mousqueterie qui le prenait en flanc, obligé de cheminer sur un terrain entrecoupé de ravins, le parti assaillant n’en prit pas moins possession de la brèche. Les deux autres colonnes emportèrent les batteries, et poursuivirent l’ennemi la baïonnette dans les reins jusqu’au pied des remparts. La citadelle, fortement bâtie, en bon état, bien armée, entourée par un fossé en maçonnerie, se trouvait au centre de la ville ; mais l’ennemi l’évacua des la nuit suivante. Dans le voisinage de la citadelle était le palais du rajah, d’une architecture noble, élégante, contenant une magnifique salle d’audience, et plusieurs autres appartements richement décorés.

Le général en chef, après la prise de Deeg, se porta immédiatement devant la ville de Bhurtpoor. C’était une ville célèbre et encore vierge. Considérable par elle-même, la place renfermait alors une nombreuse garnison. Les travaux du siège commencèrent le 4 janvier, et, deux jours après, une batterie de brèche de 6 pièces de 18 ouvrit son feu. Ce même jour, une autre batterie de 8 mortiers jeta quelques bombes dans la ville. La canonnade continua sans interruption des deux côtés jusqu’au soir du 9. La brèche dans la muraille de la ville parut alors praticable ; et le général en chef, toujours impétueux dans ses résolutions, craignant d’ailleurs qu’une traverse ne fût élevée pendant la nuit, résolut l’assaut pour le jour même. À sept heures du soir, les détachements chargés de ce service se mettent en marche sur trois colonnes. À la gauche, le lieutenant-colonel Byan, avec 150 Européens et un bataillon de Cipayes, avait ordre de s’emparer d’un ouvrage avancé à la droite de l’ennemi ; à la droite, le major Hawkes, avec 2 compagnies du 75e et un bataillon de Cipayes, celui d’enlever les pièces avancées de l’ennemi : tous deux, ayant atteint ce but, devaient ensuite s’efforcer d’entrer dans la ville avec les fugitifs ; une troisième colonne, celle-ci au centre, sous les ordres du lieutenant-colonel Maitland, consistant dans les compagnies de flanqueurs des 22e, 75e et 76e régiments, le tout montant à 500 hommes, et un bataillon de Cipayes, était chargée d’escalader la brèche. À huit heures, ces trois colonnes débouchèrent des tranchées. Aussitôt commença un feu terrible d’artillerie et de mousqueterie. En raison de l’irrégularité du terrain, elles arrivèrent en désordre au point d’attaque, et laissèrent beaucoup de monde en chemin. De la colonne du centre, 23 hommes seulement parvinrent à gagner le pied de la brèche ; les détachements de droite et de gauche se portent à leur secours ; mais la confusion qui, dès le début, s’était mise dans les troupes, n’avait pu que s’accroître pendant la nuit, en raison de la difficulté du chemin et du feu de l’ennemi. Les obus et la mitraille pleuvent sur ces troupes entassées sur la brèche. Le colonel Maitland redouble d’efforts ; il gagne la tête des siens, s’élance et touche au sommet de la brèche ; mais, en ce moment, il tombe mortellement blessé. Un grand nombre d’officiers et de soldats furent atteints, et il fallut renoncer à cette tentative. Alors des cris déchirants s’élevèrent de la brèche : les assiégés massacraient les blessés qu’on avait été obligé d’y laisser. La perte des assiégeants fut de 456 hommes tués ou blessés.

Le siège n’en continua qu’avec plus de vigueur. L’ennemi ayant réparé la brèche déjà faite, Lake tenta d’en faire une seconde dans une autre partie de la muraille, un peu plus sur la droite. Il fait encore élever dans cette direction une nouvelle batterie de 2 pièces de 24 et de 4 de 18 ; puis placer plusieurs pièces de 18 de manière à prendre d’enfilade les défenses de l’ennemi, ainsi qu’à protéger les parallèles. Toutes ces batteries ouvrirent effectivement à la fois leur feu, mais qui demeura absolument sans résultats. Le 18 février, l’armée reçut un renfort ; le général Smith arriva avec trois bataillons de Cipayes appartenant à la garnison d’Agra, et 100 convalescents européens ; le tout formant environ 600 hommes. Peu de jours après survint un nouveau renfort commandé par un chef nommé Ismaël-Bey, d’abord partisan du rajah, puis l’ayant abandonné. Le rajah négociait avec Ameer-Khan, alors dans le Bundelcund, pour en obtenir des secours. Séduit par les promesses du rajah, à la tête de toutes ses forces, il marche au secours de Bhurtpoor. Le feu des assiégeants ne se ralentissait pas. Éclairé par le mauvais succès de l’attaque précédente, le général en chef voulut connaître exactement l’état de la brèche, avant d’en risquer une seconde. Trois soldats appartenant à la cavalerie indigène se chargent volontairement de cette tâche difficile ; revêtus d’habits du pays, ils sortent à cheval des tranchées sur les trois heures, et se dirigent vers la place. Les bataillons de Cipayes tirent sur eux comme sur des déserteurs, mais avec des armes chargées seulement à poudre. À leur arrivée sur le bord du fossé, ils demandent qu’on leur montre le chemin pour entrer dans la place, afin d’échapper aux Européens et aux Banchut-Feringhees, terme injurieux dont se servaient entre eux les soldats à l’égard des indigènes. L’ennemi, sans se douter du stratagème, leur indique le chemin qui conduit à l’une des portes. Les trois soldats le suivent, examinent la brèche, le fossé, et, ayant vu tout cela suffisamment, s’enfuient au grand galop vers les tranchées. L’ennemi, reconnaissant la ruse, fait un feu très vif ; toutefois, ils revinrent sans qu’un seul d’entre eux eût été touché : tant le hasard de la guerre se plaît parfois à respecter la témérité.

Selon le rapport de ces soldats, la brèche était d’un accès facile, le fossé ni large ni profond. En conséquence, le général Lake ordonne un second assaut. 150 hommes du 76e, 120 du 75e, 100 du 1er régiment européen de la Compagnie, furent chargés de cette opération. Ils devaient être soutenus sur la brèche par les régiments qui fournissaient ces détachements, de plus par les seconds bataillons des 9e, 15e et 22e d’infanterie indigène. À trois heures après midi, l’opération commença sous la protection du feu des batteries ; mais le fossé récemment inondé n’était plus guéable. D’un autre côté, des ponts portatifs récemment préparés demeurèrent inutiles. Les soldats se jettent à l’eau, et en nageant gagnent la brèche. Le colonel Macrae, qui commandait l’opération, se hâte de faire sa retraite vers les tranchées ; retraite qui est accompagnée d’un feu d’artillerie et de mousqueterie vif et meurtrier de la part de l’ennemi. 20 officiers et 573 soldats demeurèrent sur le champ de bataille. Holkar et Ameer-Khan, à la tête de leur cavalerie, se montraient disposés à engager le combat ; toutefois, ils s’en abstinrent. Le général en chef publia un ordre du jour le lendemain, dans lequel il louait hautement la conduite des troupes, malgré le peu de succès qui l’avait couronnée.

Le même jour, un détachement fut envoyé à la rencontre d’un convoi annoncé depuis quelque temps. Ameer-Khan, qui de son côté en avait eu connaissance, se proposait de l’enlever. Au point du jour, à la tête de 8,000 hommes, il l’attaqua effectivement et à l’improviste. Ne montant qu’à 1,400 hommes, ce détachement ne pouvait suffire à protéger, à couvrir des milliers de bœufs. Il prit position dans un village fortifié, parvint à repousser plusieurs tentatives de l’ennemi et à le forcer de battre en retraite. L’affaire durait ainsi depuis quelques heures, lorsque tout-à-coup des nuages de poussière se montrent à l’horizon du côté du camp anglais. Les soldats ne doutent pas que ce ne soit le général Lake qui arrive à leur secours ; ils poussent de grands hourras ; puis, impatients de se signaler sous les yeux du général, ils font une sortie sur l’artillerie de l’ennemi, et l’enlèvent à la baïonnette. Ce n’était pas le général Lake, mais un détachement de cavalerie envoyé par lui, qui tomba à l’improviste sur l’ennemi surpris et en fit un grand carnage. Ameer-Khan commandait en personne. Il se dépouille des habits de son rang, jette ses belles armes, endosse des vêtements vulgaires, et se mêle à la foule des fugitifs ; toutefois il n’échappa pas sans difficulté. Il perdit son palanquin, ses équipages de guerre, et une collection d’armes magnifiques dont les Anglais se plurent à faire des trophées. La perte des Anglais fut seulement de 8 Cipayes tués et de 26 blessés. Le 24, Ameer-Khan fit la même tentative sur un autre convoi. Le rajah de Bhurtpoor, Ameer-Khan et Baddajee-Scindiah, tous leurs différents corps de cavalerie essayèrent de l’intercepter à moitié chemin d’Agra. l’attaque commençait à peine, que le général Lake se montra à la tête de sa cavalerie et de deux régiments d’infanterie ; les assaillants ne jugèrent pas à propos de pousser plus loin leur entreprise. Ils continuèrent d’escarmoucher sans oser en venir à une action décisive. Le 6 février, les Anglais changèrent de position, se portant un peu au sud-est sur la droite, après avoir chassé de ce terrain la cavalerie de Holkar et de Ameer-Khan. De nouveaux efforts furent alors faits pour continuer le siège avec plus de vigueur que jamais. Les soldats firent une immense quantité de fascines pour les batteries ; les ouvriers fabriquèrent des radeaux pour passer le fossé, enfin de ces sortes de bateaux de cuir et d’osier, semblables à ceux des anciens Bretons décrits par César. Le général Lake ne cessait d’encourager son armée, lui prodiguant les éloges que méritait sa conduite, bien que le succès n’y eût pas répondu. L’indomptable fermeté du caractère britannique ne brille nulle part autant que dans les revers.

Pendant ce temps, le mauvais succès des confédérés dans les dernières affaires introduisait la division parmi eux. Comme partout, comme toujours, chacun en rejetait la faute sur autrui. Les choses allèrent si loin, que Ameer-Khan se détermina à agir séparément des autres, et à essayer pour son compte une invasion dans le Rohilcund, où il espérait attirer autour de lui grand nombre de mécontents. La situation de l’armée anglaise l’encourageait dans ce dessein. Le général Lake, à ce qu’il imaginait, ne se trouvait point en mesure de détacher une portion quelconque de ses forces sans se mettre dans la nécessité, de lever le siège. Plein de confiance dans cette supposition, Ameer-Khan passa la Jumna le 7 février. Tout au contraire, ce mouvement fut à peine connu du général en chef, que, sans hésiter, il détacha à la poursuite du pindarrie les 8e, 27e et 29e de dragons, avec les 1er, 3e et 6e régiments d’infanterie indigène, et de l’artillerie à cheval, le tout sous les ordres du major-général Smith. Ce détachement quitta le camp le 8 février. Le 9, il campa dans le Doab, et trois milles de Mutra. Ameer-Khan avait passé la Jumna à quelques milles au-dessous de Mutra. Il se dirigea d’abord vers Hatrass, mais changea de direction et prit au nord-est. Le général Smith se mit à sa poursuite, après avoir été renforcé par les troupes employées au siège de Komiun ; forteresse appartenant à Doondiah-Khan, chef allié à Holkar, ennemi des Anglais. Le colonel Grueber, qui commandait les troupes, jugea convenable d’abandonner le siège pour se joindre au détachement anglais commandé par Smith. Ce détachement prit sa route par Komona, Anospshère, Paenaghur, et campa le 14 à Putghaut, sur les bords du Gange. On apprit là une tentative faite par Ameer-Khan pour passer la rivière, mais demeurée inutile faute de gué ; aussi avait-il continué de s’avancer au nord, ce qui détermina le général Smith à marcher dans la même direction. Ameer-Khan étant entré plus tard dans le Rohilcund, Smith se décida à passer le Gange pour l’y poursuivre. La largeur de la rivière est d’un mille d’une rive à l’autre ; mais à cette époque de l’année l’eau n’avait pas la moitié de cette largeur ; à l’exception de quelques endroits, elle n’arrivait qu’au poitrail d’un cheval. Cependant il fallut que les chevaux nageassent quelques pas au milieu de la rivière. Plusieurs femmes et des gens du bazar montés sur de très petits chevaux et ne pouvant lutter contre le torrent, se noyèrent. L’armée entière battit des mains à la sagacité d’un éléphant. Une pièce de canon demeurait embourbée au milieu d’un banc de sable où elle avait disparu. L’éléphant marche droit à elle ; le terrain cédant sous ses pieds, il s’arrête en poussant un mugissement terrible. Il cherche un autre chemin, arrive jusqu’à la pièce, la saisit avec sa trompe, et la tire avec son affût en dehors du banc de sable.

Le 17, le général Smith arrive à Amroa, qu’il trouva dans la consternation. S’étant emparé de trois des principaux habitants de la ville, Ameer-Khan les avait emmenés avec lui en otage, avec le projet d’en tirer une forte rançon. Le 18, il arriva à Morandabad, où l’on trouva des traces récentes de ses dévastations. Le collecteur anglais ayant eu la précaution d’entourer sa maison d’une sorte de fortification, Ameer-Khan, averti de l’approche des Anglais, n’eut pas le temps de s’en emparer. Smith atteignit Rampoor, où il prit position, à un mille et demi de la ville, sur les bords d’un ruisseau. La ville avait su se mettre a l’abri d’une surprise de Ameer-Khan, qui se vit forcé de s’éloigner sans avoir pu la piller ou la rançonner. Autrefois la capitale de Fyzoola-Khan, fameux chef de rohillas dont nous avons déjà parlé, Rampoor était encore celle de son successeur, bien déchu d’ailleurs de l’autorité jadis exercée par son grand-père. En dépit des nombreuses révolutions qui jadis avaient détruit leur gouvernement, ruiné leur patrie, les Rohillas conservaient encore les traits de leur caractère primitif. Ils étonnaient les Anglais par leur taille élevée, leur air martial, la fierté de leurs traits. Le pays entier montrait un luxe de végétation, une richesse de territoire, une magnificence de climat, suffisant pour justifier le surnom de jardin de l’Indostan que les habitants se plaisaient à lui donner. De Rhampoor, l’armée, marchant au sud-est, arriva à Sheerghur. Au dire de quelques témoins oculaires, elle assista pendant ce temps à un magnifique spectacle. Devant elle se trouvaient les montagnes de Kumaon ; à trente ou quarante milles au-delà, une autre chaîne de montagnes plus élevées, couvertes de verdure sur leurs flancs ; au-delà enfin, aux extrémités de l’horizon, l’Hymalaya gigantesque, entouré d’une ceinture de nuages, avec tous ses sommets couverts d’une neige éternelle étincelant alors de mille feux. Le soleil, en ce même moment au-dessus du gradin le plus élevé de ce magnifique amphithéâtre, épanchait dans tous les sens des torrents de lumière, roulant çà et là leurs flots enflammés au-dessus des ombres épaisses projetées par les montagnes où l’armée se trouvait encore comme ensevelie. À la vue de ces magnificences de la nature, les soldats battirent des mains, comme les vétérans français à l’aspect des pyramides de l’Égypte. L’armée prit position à Sherghur, afin d’obtenir des renseignements sur les mouvements de Ameer-Khan.

Ce dernier se trouvait en ce moment au pied des montagnes au nord de l’armée anglaise, situation où il n’était nullement redoutable ; le général Smith se décida en conséquence de demeurer la Sherghur, d’où il lui était facile de couvrir les principales villes de la province. Le 25, il rétrograda jusqu’à Millick, petit village où il campa. Puis il reprit immédiatement sa marche rétrograde jusqu’à Morandabad. Là de mauvaises nouvelles vinrent attrister l’armée ; deux nouveaux assauts tentés contre Bhurtpoor avaient échoué. Comme, peu de jours auparavant, la fausse nouvelle de la prise de la ville s’était répandue dans l’armée, la vérité n’en parut que plus cruelle. Le général Smith se porta successivement sur Badalli, puis sur Sheeroot, d’où Ameer-Khan n’était qu’à neuf milles. Laissant ses bagages en ce dernier lieu sous la protection d’une réserve, Smith marche contre ce dernier ; ils se trouvèrent en présence dans l’après-midi. Ameer-Khan avait pris position dans les environs du village de Afzulghur, où il se trouvait formé sur deux lignes. Le détachement anglais consistait en 1,400 hommes de cavalerie régulière et quelques cavaliers irréguliers ; il se forma aussi sur deux lignes. L’avant-garde, sous les ordres du capitaine Philpot, devait protéger la droite. La cavalerie irrégulière, sous les ordres du capitaine Skiner, couvrait le flanc gauche. Loin de refuser le combat, Ameer-Khan attendit de pied ferme les Anglais. La première ligne marchant au grand trot fut promptement arrêtée par un profond fossé qui l’empêcha de charger. À ce moment, des soldats en embuscade, assis pour la plupart au fond de ce fossé, se présentèrent, agitant des drapeaux blancs, on les prit d’abords pour des amis ; mais ils chargèrent bientôt les Anglais étonnés et surpris ; ce qui causa un moment de confusion. Pendant ce temps, deux corps de cavalerie, l’un sous la conduite d’Ameer-Khan, l’autre sous celle de son frère Shahamut, essayèrent de prendre en flanc les Anglais, mais sans succès. Ameer-Khan se trouva si vivement repoussé, qu’il se vit dans l’obligation de faire une retraite précipitée. Le désordre se mit dans le reste de ses troupes, et la fuite devint générale. D’ailleurs, la cavalerie anglaise exténuée de fatigue, ne put poursuivre les fuyards. Ameer-Khan laissa plusieurs de ses principaux officiers sur le champ de bataille. Le général Smith, se mettant dès le lendemain du combat à la poursuite de l’ennemi, campa le 4 mars à Sheerghur, et le lendemain à Moraudabad, où ce dernier avait passé la veille. Après avoir laissé dans cette place les blessés anglais, le général Smith, dans l’appréhension que Ameer-Khan ne voulût envahir le midi de Rohilcund, alla prendre position à la tête de l’armée, sur les bords de la Ramgonga. Dans cette position, il surveilla tous les gués de cette rivière de telle sorte que Ameer-Khan ne pouvait la passer sans combattre ; toute retraite vers le nord lui était demeurée interdite. Le 9 mars, l’armée anglaise campa à six milles de Sumbul. Ameer-Khan errait alors çà et là sans plan arrêté ; abattu par ses défaites multipliées, il était tombé dans une sombre et silencieuse tristesse. Beaucoup de ses partisans, surtout parmi les habitants de Bundelcund, s’empressaient de le quitter en même temps que la fortune. Il voyait son armée réduite des deux tiers et sa réputation militaire perdue, après tant de défaites par des troupes numériquement fort inférieures aux siennes ; enfin, il ne pouvait se dissimuler que sa cruauté à l’égard des femmes et des enfants qu’il se plaisait à mutiler, ne l’eût rendu odieux au peuple. Des plaintes de toute nature, contenues pendant sa prospérité, éclataient alors hautement et de toutes parts. Toujours suivi par les troupes anglaises, pouvant à peine piller çà et là quelques villages, ne pouvant forcer les portes des villes qui se fermaient à son approche, il avait ainsi manqué son but principal, celui d’amasser de l’argent. Après quelques jours, et cette poursuite devenant inutile, Smith passa la rivière à Mutra, et après avoir rencontré çà et là quelques cavaliers ennemis, effectua son retour le surlendemain au camp de Bhurtpoor.

L’armée qui avait continué le siège de Bhurtpoor se trouvait alors en position au nord et à l’est de cette ville. Deux jours après le départ du détachement du général Smith, elle avait reçu un renfort de Bombay, amené par le général Jones, à travers la province de Malwa, l’empire mahratte, les États héréditaires de Holkar et de Scindiah. Cette division consistait en 4 bataillons de Cipayes, le 86e régiment de ligne, 8 compagnies du 65e avec de la cavalerie de Bombay et environ 500 cavaliers irréguliers. Le siège fut continué. La meilleure harmonie régnait entre les différents corps, présage d’ordinaire presque assuré des succès militaires. Tous étaient animés d’une grande ardeur. La division de Bombay se montrait impatiente de faire ses preuves sous les yeux des troupes du Bengale. De leur côté celles-ci, toutes fatiguées, tout épuisées qu’elles fussent, manifestaient une impatience extrême de venir enfin à bout d’une entreprise où se rencontrait une résistance inaccoutumée. La difficulté des approches ayant fait manquer le dernier assaut, on résolut de faire des tranchées régulières, de construire les batteries. plus près du corps de la place. Le 1er février, une batterie de 6 pièces de 18, une autre de 9 mortiers de différents calibres, ouvrirent leur feu à 400 verges du corps de place. Une troisième batterie, celle-ci de 2 canons de 12, ouvrit son feu plus près encore. Les approches arrivèrent bientôt jusqu’au fossé, les ingénieurs comptaient beaucoup sur une mine qui devait renverser la contrescarpe dans le fossé, et rendre plus faciles les accès du rempart. Le 21 au soir, les assiégés firent une sortie ; leurs tirailleurs trouvèrent moyen de se glisser jusque dans les tranchées, désertes en ce moment. Ils démolirent cette mine sans difficulté, et enlevèrent ou brisèrent les instruments de travail. Peu après, le reste des troupes destinées à la sortie se mit en mouvement. De l’endroit où ils étaient cachés, les assiégés escaladent les batteries. Armés de longues piques, ils tuent ou blessent plusieurs soldats ; mais, chargés par un détachement sous les ordres du lieutenant Wilson, ils sont contraints de battre en retraite. Les batteries anglaises recommencent alors leur feu, pour élargir et compléter la brèche. À trois heures et demie de l’après-midi, les préparatifs sont faits pour un nouvel assaut. Les troupes anglaises sont partagées en trois colonnes ; l’une, sous les ordres du colonel Don, chargé de l’assaut au corps de place ; la seconde, de l’attaque des ouvrages extérieurs, sous ceux du capitaine Grant ; la troisième, sous la conduite du colonel Taylor, de celle des portes de la ville, qu’on disait d’un accès facile. Le capitaine Grant devait agir le premier, 50 hommes chargés de fascines le précèdent, ils les jettent dans le fossé et l’attaque commence. Mais le terrain était fort inégal ; de plus, on craignait une mine ; les têtes de colonne n’avançaient qu’avec lenteur, indécision ; quelques soldats parviennent, toutefois, à gagner le pied de la brèche qu’ils trouvent impraticable ; d’autres, au moyen de pierres saillantes, essaient d’escalader un bastion qui se trouve à droite ; quelques uns réussissent et déploient pour un moment les couleurs du 12e régiment, mais en raison de leur petit nombre ils se voient bientôt forcés d’abandonner ce poste. En ce moment, plusieurs mines pratiquées sous la brèche jouent toutes à la fois, c’eût été le moment de s’élancer ; loin de là, les soldats hésitent, murmurent, reculent. Quatorze officiers se précipitent en avant, dans l’espoir de les déterminer, déjà ils ont atteint la crête du bastion ; mais le colonel Don, qui voit l’inutilité de cet effort, les rappelle et commence la retraite. La colonne du capitaine Graut, plus heureuse, s’était emparée de onze canons qui furent portés au camp. La troisième colonne, commandée par le lieutenant-colonel Taylor, égarée par son guide, chargée en même temps par un parti de la cavalerie ennemie, manqua son objet ; en outre, elle eut à souffrir d’un feu très meurtrier de la ville. La perte des Anglais monta à 90 Européens et 130 indigènes tués, 176 Européens et 556 indigènes blessés : en tout 894 hommes hors de combat.

Le général Lake modifia alors quelque peu son système ; il crut possible de pratiquer un accès à ce bastion dont nous venons de parler. Il fit diriger le feu de l’artillerie sur une de ses faces ; la brèche une fois faite, en dépit des désastres précédents, Lake résolut un dernier assaut pour le jour suivant. À la parade, le général se présente aux troupes. Il s’adresse à ceux qui ont fait manquer l’assaut ; mais il leur parle plutôt avec bonté et regret qu’avec sévérité. Il exprime son chagrin que leur désobéissance à leurs officiers les ait exposés à flétrir les lauriers qu’ils avaient conquis en tant d’occasions ; il veut cependant, dit-il, leur donner le moyen de laver cette tache et de prendre une éclatante revanche ; il ajoute qu’il ne veut que des volontaires pour la besogne du soir. Les soldats s’écrient d’une voix unanime qu’ils le sont tous. Le lieutenant Templeton se présente volontairement aussi pour conduire les enfants perdus. Les batteries font une large brèche au pied du bastion. On espérait voir le sommet s’en affaisser dans le fossé ; cette attente ne se réalise pas ; toutefois le projet d’attaque ne fut point abandonné. Le détachement chargé de l’exécuter consistait en tous les Européens, 2 bataillons d’infanterie indigène, 2 bataillons du 75e et du 86e, 1 bataillon de grenadiers et une compagnie de flanqueurs. Il se met en marche à trois heures de l’après-midi, sous les ordres du brigadier-général Monson. En passant devant le général en chef, cette troupe pousse de grands hourras. De tous les rangs s’élève le cri de vaincre ou mourir. La conduite de ces braves gens ne démentit pas ces paroles. Mais le bastion était fort escarpé, endommagé seulement au pied ; parvenus sur la brèche, les assaillants se trouvaient à couvert du feu des défenseurs, mais dans l’impossibilité d’en gagner le sommet. Les soldats montent sur les épaules les uns des autres ; ils fichent leurs baïonnettes dans la muraille, et, à l’aide de ces deux moyens, essaient de gravir. Ils sont renversés par de longues poutres et de grosses pierres qu’on fait rouler du haut du bastion. D’autres essaient de monter et l’aide de trous pratiqués par les boulets ; ne se présentant à l’ennemi qu’un seul, deux à la fois tout au plus, ils sont facilement renversés. Chacun de ceux qui tombent en entraîne plusieurs autres dans sa chute. Les assiégés, du haut d’un bastion voisin et qui n’a pas souffert, font un feu continuel. Le lieutenant Templeton, ce jeune officier qui s’était si noblement offert à conduire la tête de colonne, atteint le sommet du bastion ; il déploie les couleurs britanniques ; mais au même instant il tombe frappé mortellement. Le major Menzi, qui tente de le remplacer, subit le même sort. La mitraille pleut du bastion voisin ; du haut des remparts roulent de grosses pierres, des balles de coton enflammées enduites d’huile et de poix, de la résine enflammée, des pots remplis d’artifice, dont l’explosion est terrible. Les soldats irrités de tant d’obstacles, redoublent d’efforts, leur courage s’exalte jusqu’à l’héroïsme, s’exaspère jusqu’au désespoir. Des Cipayes, désespérant du succès, se précipitent au milieu des ennemis, et se font tuer pour ne pas survivre à la retraite. Le colonel Monson reçut plusieurs blessures. Touché de tant de dévouement, après deux heures d’efforts inutiles, le général Lake donna l’ordre de la retraite, et les Anglais regagnèrent les tranchées épuisées et sanglants. Ils laissaient sur le champ de bataille 997 hommes.

Le général en chef ne jugea plus à propos de renouveler d’aussi terribles efforts. Une partie de l’artillerie était hors de service. Des détâchements furent envoyés pour chercher des vivres. Le 24, l’armée prit une nouvelle position au nord-est de Bhurtpoor, harassée vivement par la cavalerie de l’ennemi. Le siège fut converti en blocus ; mais on s’occupa des moyens de le reprendre avant peu avec une nouvelle énergie. La nécessité d’en finir devenait de plus en plus impérative. Des convois avec des approvisionnements de tout genre, de l’artillerie de siège, des munitions de Futtyghur et d’Allyghur, arrivèrent journellement au camp. On fit des fascines on amassa du bois pour l’érection de nouvelles batteries. Le rajah, qui de son côté comprenait que sa défense, tout heureuse qu’elle eût été jusque là, loin d’être éternelle, ne pouvait manquer de le conduire à se trouver avant peu dépouillé de toutes ses possessions, se montrait fort désireux d’un accommodement. Il voyait son pays dévasté, ses villages ruinés, ses terres en friche ; Holkar et Ameer-Khan, par suite de leurs défaites récentes, se trouvaient, et pour long-temps, hors d’état de lui rendre le moindre service. Le rajah savait que les moyens de prolonger la lutte ne manqueraient point au général en chef. Il savait encore, car c’était chose connue dans l’Inde, que le caractère anglais ne cédait guère aux difficultés. Prenant occasion de l’élévation du général Lake à la pairie pour lui envoyer une lettre de félicitation, il lui fit en même temps des ouvertures de paix. Comme preuve de sa bonne foi, il offrait de se rendre lui-même de sa personne au milieu du camp anglais ; Les négociations pour la paix commencèrent immédiatement.

Pendant la durée de ces négociations, la cavalerie détachée à la poursuite de Ameer-Khan revint au camp. Le général Lake la renforça de quelques troupes disponibles, et se mit immédiatement en marche dans le but d’attaquer Holkar. Ce dernier, avec ce qui lui restait de forces, avait pris position à huit milles environ de Bhurtpoor ; le colonel Don devait attaquer la droite de l’ennemi, les autres troupes les tourner par leur gauche. Holkar avait appris ce mouvement ; ses dispositions étaient faites pour battre en retraite à l’approche des Anglais. Ceux-ci le poursuivirent et lui tuèrent 200 hommes ; mais il fut impossible au général Lake de joindre le corps d’armée principal. Deux éléphants, une centaine de chevaux, une cinquantaine de chameaux, tombèrent dans ses mains. Holkar se retira au sud-ouest de Bhurtpoor, où il se crut plus en sûreté. Le 2 avril le général Lake essaya une nouvelle entreprise ; cette fois Horkar fut surpris : la cavalerie anglaise était déjà au milieu de son camp, que ses chevaux n’étaient pas encore bridés. La première ligne anglaise était formée de l’escadron de droite de chaque régiment ; elle chargea, soutenue par la seconde ligne. Holkar laissa sur le champ de bataille environ un millier des siens, et fut vivement poursuivi l’espace de sept à huit milles. Son bazar tout entier tomba entre les mains de l’ennemi ; d’ailleurs, sa situation était devenue fort critique, il était abandonné de ses alliés ; il avait perdu toute son artillerie. Les forteresses dont il avait hérité de ses pères se trouvaient aux mains de l’ennemi ; la désertion allait s’accroissant chaque jour dans son armée d’une manière effrayante. À peine restait-il autour de lui 7 à 8,000 hommes de cavalerie et 5 ou 6,000 d’infanterie. Lui qui avait pu se flatter un moment de ruiner à jamais la puissance anglaise et de régner sur l’Indostan, il en était réduit à n’avoir plus de lieu où reposer sa tête en sûreté.

Le 8 mars, le général, changeant encore une fois de position, vint reprendre celle qu’il avait occupée précédemment. Le rajah crut voir dans ce mouvement un indice de renouvellement d’hostilité : aussi se hâta-t-il de signer les préliminaires d’un traité ; il envoya même au camp anglais le troisième de ses fils comme otage. Reçu par le colonel Lake, fils du général en chef, le jeune prince fut conduit au quartier-général, où se trouvaient deux tentes pour son usage. Il était âgé de vingt-cinq ans, vêtu d’un costume blanc fort simple, n’ayant avec lui qu’une suite peu nombreuse. L’artillerie et le reste de l’équipage de siège, aussitôt après la cessation des hostilités, furent dirigés sur Agra, ainsi que les malades et les blessés. Aucune difficulté sérieuse ne s’opposant aux négociations, le traité fut bientôt définitivement conclu. Les articles principaux étaient les suivants : « La forteresse de Deeg demeurait dans les mains des Anglais ; le rajah s’engageait à n’avoir aucune correspondance, aucun lien avec leurs ennemis ; à ne recevoir aucun Européen à son service sans leur autorisation ; à payer à la Compagnie 20 lacs de roupies, dont 3 argent comptant. Enfin, comme garantie de l’exécution de ces conditions, il consentait à livrer en otage un de ses fils, qui résiderait constamment à côté de l’officier commandant les forces britanniques à Delhi ou bien à Agra. Ainsi finit ce siège mémorable, le plus long et le plus sanglant qui eut jamais lieu dans l’Inde. Il avait duré trois mois et vingt jours, coûté aux Anglais 3,100 hommes et 103 officiers tant tués que blessés. Cependant nul doute que le premier assaut n’eût réussi, sans le désordre qui se mit parmi les assiégeants à leur arrivée sur la brèche ; mais cette première journée inspira du courage aux assiégés, et de la défiance aux Anglais.

La situation du gouvernement anglais dans l’Inde n’avait jamais été aussi brillante qu’à l’époque où nous sommes parvenus ; mais l’administration intérieure, l’état des provinces ne s’en trouvait pas moins dans un état à provoquer les justes alarmes de tout homme d’État. La réforme judiciaire et financière de lord Cornwallis avait eu d’immenses résultats en général peu heureux que nous allons retracer brièvement. Le fond du projet de lord Cornwallis, nous l’avons dit, consistait à établir, au moyen des zemindars, une grande aristocratie territoriale. Il avait déclaré les zemindars propriétaires des terres dont ils paieraient l’impôt au gouvernement. Le cas où ils ne paieraient pas cet impôt avait dû être prévu, ce qui avait conduit à chercher quelque moyen de les y contraindre, ou d’en dédommager le gouvernement. Ce moyen consistait à faire vendre de leurs terres une portion équivalente à leur dette ; mais les formes compliquées de la justice auraient sans doute apporté de grands retards à cette opération, on les supprima. Aussi cette vente de terres ne tarda pas à s’accélérer rapidement. En 1796, la quantité de terres mises en vente représentait une rente de 28,700,061 roupies, ce qui, par rapport au revenu total, faisait un dixième de la totalité des trois provinces de Bengale, Bahar et Orissa. Bientôt, grâce aux progrès toujours accélérés de cette opération, l’ancienne classe des zemindars, avec laquelle on s’était flatté de fonder une aristocratie durable, marcha tout au contraire vers une destruction rapide. En 1802, sir Henry Strachery disait devant le parlement : « Les zemindars ont subi une ruine presque universelle ; si quelques uns d’entre eux survivent, ils sont réduits à la même condition et placés à une aussi grande distance de leur maître que leurs plus misérables ryots (cultivateurs). »

Les zemindars ne possédaient d’aucune manière les conditions morales nécessaires au rôle qu’on leur donnait tout-à-coup. En supposant même que ces conditions ne leur eussent pas manqué, leur ruine n’en eût pas été moins inévitable, au moins suivant toutes probabilités. Voici comment : les zemindars subissaient de nombreux retards pour le paiement de ce qui leur était dû par les ryots ; ils n’en pouvaient apporter dans ce qu’ils avaient à payer au gouvernement. Au moyen de procédés de justice et de vente fort expéditifs, le gouvernement se faisait promptement payer d’eux en mettent leurs terres en vente. Les zemindars, obligés d’avoir recours à la mesure de l’expropriation pour les ryots, subissaient, au contraire, les lenteurs et la complication de la procédure ordinaire. Or, en raison de ces formes, les décisions des cours étaient d’une excessive lenteur ; en moins de deux années, l’accumulation des causes arriérées menaça d’arrêter le cours de la justice. Dans un seul district, celui de Burdwan, le nombre de procès pendants devant les juges ne s’élevait pas à moins de trente mille. En comparant ce nombre de procès à celui jugé par la cour dans un temps donné, il devint évident qu’aucun espoir de jugement ne restait aux derniers venus, eussent-ils vécu un siècle. Ce n’était rien moins que l’abolition de fait de toute dette vis-à-vis des zemindars ; on comprend combien les effets de ce système durent être terribles, Le collecteur de Midnapore, dans une réponse à une enquête du gouvernement, disait en 1802 : « Tous les zemindars avec lesquels j’ai eu quelques rapports soit dans ce district, soit dans quelque autre, sont unanimes dans leur manière de voir par rapport aux règlements maintenant en vigueur pour la collection des revenus publics. Ils disent tous qu’aucun système n’avait jamais été à ce point oppressif et destructeur ; que la coutume ancienne de les emprisonner pour arrérages de revenus était en comparaison toute pleine de douceur et d’indulgence ; que, bien que ç’ait été sans aucun doute l’intention du gouvernement de leur être favorable en abolissant cette coutume, ils savent trop, par une douloureuse expérience, que le système de vente qui lui a été substitué dans le cours d’un fort petit nombre d’années a suffi pour réduire le plus grand nombre des plus riches et des plus anciens zemindars du Bengale à la misère, à la mendicité ; que ce système a produit plus de bouleversements dans la propriété territoriale du Bengale qu’il n’en est jamais arrivé, dans le même espace de temps, à aucune époque, et en aucun lieu du monde. » Sir Henry Strachery dit encore devant la chambre des Communes : « Autrefois les chefs mahométans et les zemindars indous étaient les hommes considérables du pays. Ces deux classes sont aujourd’hui ruinées de fond en comble, détruites à jamais. »

Chose bizarre, les ryots n’avaient pas moins à souffrir que les zemindars de ces nouveaux règlements. Lord Cornwallis et ceux qui l’aidaient ne doutaient pas que le zemindar, devenu propriétaire, n’eût intérêt à les ménager. D’ailleurs il avait été établi qu’une pottah, qu’une patente, serait donnée aux ryots, et que cette pottah serait invariable. Or ici se rencontrait une singulière contradiction ; le zemindar, ne pouvant plus augmenter la rente payée par le ryot, devait faire tous ses efforts au besoin pour le renvoyer, afin de louer sa terre plus cher à un autre, seul moyen qui lui restait d’accroître son revenu. Le bénéfice étant certain toutes les fois que la main-d’œuvre se vendait à meilleur marché qu’à l’époque de la conclusion du premier bail. D’un autre côté, s’il est vrai qu’en forçant les zemindars à s’adresser aux tribunaux, les ryots l’entraînaient à leur ruine, la perte n’était pas moins funeste pour eux dans beaucoup de cas. Grevés par les frais de justice, ayant dissipé en procès l’argent qui leur eût suffi à payer la taxe, ils étaient obligés d’emprunter à de très gros intérêts, et se trouvaient ainsi chargés de dettes qui les conduisaient à la ruine. D’un autre côté, ce même délai de la loi mettait le ryot à la merci du zemindar, en ce sens qu’il était obligé de lui intenter (au zemindar) un procès interminable si le zemindar violait le contrat par quelque côté, ou même allait à déposséder, ce qui arrivait souvent.

En 1799, on songea à revenir sur les dispositions de la loi. Un nouveau règlement fut publié dont le préambule portait : « Que les pouvoirs accordés aux zemindars pour la collection de leurs rentes s’étaient trouvés insuffisants dans quelques cas ; que les nombreuses, excessives ventes de terre, dans le courant de l’année, produisaient de funestes conséquences soit à l’égard des revenus publics, soit à l’égard des propriétaires, soit à l’égard des tenanciers, dans les fixations de revenus déjà faites pour le territoire ; qu’il était notoire que les zemindars louaient leurs propres terres, sous de faux noms, dans le but de se procurer par de frauduleux moyens une réduction dans le taux de l’impôt qui se trouvait leur charge. Comme remède à ce mal, l’usage d’une procédure plus sommaire fut accordé aux zemindars, ainsi que le pouvoir de vendre pour réaliser leurs rentes. Ils acquéraient de la sorte, à l’égard des ryots, le pouvoir que le gouvernement s’était réservé vis-à-vis eux. Aussi les ryots allaient-ils se trouver sans réserve à la discrétion des zemindars, ce qui était un autre inconvénient. Ces derniers pouvant mettre en vente les terres des ryots, sans l’intermédiaire d’une cour de justice, se trouvaient tout-à-coup revêtus d’un pouvoir exorbitant, tyrannique, dont ils devaient abuser, parce que depuis long-temps toute tradition était perdue, tout équilibre détruit, toute barrière morale détruite. La loi anglaise devint ainsi tout-à-coup un instrument terrible ; dans les mains des zemindars, ruinant les ryots, dans celle des ryots les zemindars. Sous la domination mogole, rien n’était chose plus aisée pour le zemindar que de faire rentrer l’impôt. Le moyen consistait en un certain nombre de garnisaires, qu’il envoyait chez les fermiers en retard. Ce nouveau pouvoir de vendre les terres, dont la loi nouvelle armait le zemindar, était bien supérieure à celui-là ; toutefois l’effet produit fut beaucoup moindre. C’est que dans le premier cas les rapports des zemindars et des ryots étaient le résultat dune longue durée, que l’habitude l’avait sanctionné et mis d’un côté un certain ascendant moral. Aujourd’hui cette force morale n’existait plus. L’équilibre une fois détruit, le législateur, s’évertuant à jeter des poids tantôt du côté du zemindar, tantôt du côté du ryot, ne pouvait parvenir à le rétablir.

Les réformes judiciaires de lord Cornwallis n’avaient pas eu de résultats plus avantageux. Sous la domination mogole, les seuls juges étaient les collecteurs. Frappé tout à la fois de cette absence d’administration judiciaire et de cette dernière anomalie, lord Cornwallis entreprit d’y suppléer. Il créa dans ce but un grand nombre de tribunaux et des juridictions diverses. Mais les juges obligés de s’entourer de formalités légales, ne se trouvèrent en mesure de prononcer que sur un bien petit nombre de cas. D’un autre côté, les délais nécessaires et inhérents à ce mode de procédure apportaient tant d’encouragements à des procès de mauvaise foi, que le nombre des jugements demeura bientôt excessivement inférieur à celui des procès. Bientôt les tribunaux n’existant plus que de nom, devinrent inabordables de fait dans beaucoup d’endroits. Pour remédier à cet inconvénient, on imagina de mettre une sorte d’impôt sur les plaideur ; tout commencement de procédure dut être accompagné de certains déboursés qui varièrent suivant le degré de juridiction. Dès 1795, on eut recours à cet expédient ; on y revint beaucoup plus tard en 1811 ; expédient fort singulier, toutefois en ce qu’il consistait à écarter des tribunaux une grande partie de la population, à la mettre hors la loi. Certaines mesures furent prises, à la vérité, en faveur des personnes qui se présenteraient en caractère de pauvres, mais tout-à-fait inefficaces. Malgré tous les efforts de la cour de justice, malgré l’augmentation des dépenses, le nombre des procès ne fit qu’augmenter de plus en plus. En 1802, il montait à un chiffre tellement exagéré, que l’imagination se refusait à le croire, à en juger par analogie avec l’Europe. Dix ans après le mal s’était aggravé. À cette époque, les directeurs s’exprimaient de la sorte : « Nous sommes réellement fâchés de l’accumulation de tant de causes non jugées. Nous nous demandons s’il ne serait pas mieux de laisser les indigènes à leurs tribunaux arbitraires et expéditifs, que de les blesser dans leurs sentiments et leur faire tort dans les propriétés en imposant un délai sans terme à leurs contestations, sous prétexte de leur rendre une justice plus impartiale. » On ne pouvait mieux dire. Une augmentation du nombre de juges sembla bien d’abord un moyen de sortir d’embarras, mais cette augmentation aurait dû se faire dans une telle proportion, que la cour des directeurs reculait devant cette charge.

La même raison fit augmenter les crimes de diverses natures à des degrés effrayants. Sir Henry Strachery, un juge, dans une déclaration devant le parlement, disait : « Depuis l’année 1793, les crimes de tout genre sont augmentés ; je suis porté à croire qu’ils augmentent encore. L’accroissement de cette année est douteux ; mais nul ne peut nier qu’immédiatement après 1793, pendant cinq ou six ans, il a été manifeste et rapide ; que, depuis, aucune diminution notable n’a pris place. » Les crimes et délits de tout genre, surtout les vols faits par bandes et à main armée, ne connaissaient plus de limites. Les voleurs, constitués en une sorte de caste, s’associaient par confédération ; ils commettaient leurs vols, accompagnés de meurtres et d’incendie, avec une combinaison de forces auxquelles rien ne pouvait résister. Sous la nouvelle législation ils augmentèrent à un degré dont aucun exemple n’avait jamais été vu nulle part. Un des juges de Calcutta dans un rapport officiel au gouverneur-général s’exprimait de la sorte : « Le crime de decoity (vol par bandes à main armée) a, je pense, beaucoup augmenté sous l’administration anglaise. Le nombre d’accusés dans les six stations de cette division est de 4,000. Outre cela, quelques centaines ont été bannies dans ces dernières années ; mais le nombre de ceux qui ont été condamnés, tout grand qu’il paraisse, est pourtant peu considérable en proportion de ceux qui sont coupables de ce crime. À Midnapore, je trouve dans les registres de la police que dans l’année 1802, une période de paix et de tranquillité, il y a eu non moins de quatre-vingt-treize vols, le plus grand nombre commis, comme d’usage, par de grandes bandes. Parmi les coupables de cinquante et un de ces vols, pas un seul ne fut pris ; dans les quarante-deux autres, on en a saisi tout au plus un ou deux. Il n’y a pas à croire que crime de decoity soit plus fréquent à Midnapore que dans aucun autre district de cette province ; au contraire, je crois qu’il l’est moins, excepté peut-être à Beerbhoom ; à Bardwa, ils sont certainement trois ou quatre fois plus nombreux. » Associés par grandes bandes, s’emparant d’un certain nombre de propriétaires, ils menaient ceux-ci en lieu sûr, et là obtenaient par la torture la révélation des trésors ou d’effets précieux cachés ; animés par quelque désir de vengeance, ils leur infligeaient en outre les plus atroces tourments, les plus affreux supplices.