Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, traduction Guizot, tome 11/LVII

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Traduction par François Guizot.
Texte établi par François GuizotLefèvre (Tome 11ep. 202-262).

CHAPITRE LVII.

Les Turcs Seljoucides. Leur révolte contre Mahmoud, conquérant de l’Indoustan. Togrul subjugue la Perse et protège les califes. L’empereur Romanus battu et réduit en captivité par Alp-Arslan. Pouvoir et magnificence de Malek Shah. Conquête de l’Asie mineure et de la Syrie. État et oppression de Jérusalem. Pèlerinage au Saint Sépulcre.

Les Turcs.

Des bords de la Sicile le lecteur doit se transporter maintenant au-delà de la mer Caspienne, dans les contrées d’où sont sortis les Turcs ou Turcomans, contre lesquels fut dirigée la première croisade. L’empire qu’ils avaient élevé au sixième siècle, dans les contrées de la Scythie, ne subsistait plus depuis long-temps ; mais leur nom était encore célèbre parmi les Grecs et les Orientaux : les restes de cette nation formaient diverses peuplades indépendantes, redoutables par leurs forces, et dispersées dans le désert, de la Chine aux rivages de l’Oxus et du Danube. La colonie des Hongrois faisait partie de la république d’Europe, et les trônes de l’Asie étaient occupés par des esclaves et des soldats d’extraction turque. Tandis que la lance des Normands subjuguait la Pouille et la Sicile, un essaim de ces pasteurs du Nord couvrit les royaumes de la Perse ; leurs princes, de la race de Seljouk, fondèrent un empire solide et puissant, qui s’étendait de Samarcande aux frontières de la Grèce et de l’Égypte, et les Turcs sont demeurés maîtres de l’Asie Mineure jusqu’à l’époque où le croissant victorieux s’est établi sur le dôme de Sainte-Sophie.

Mahmoud le Gaznevide. A. D. 997-1028.

Mahmoud[1] le Gaznevide, qui régnait dans les provinces orientales de la Perse, dix siècles après la naissance de Jésus-Christ, est un des plus grands princes de la nation des Turcs. Sebectagi, son père, était l’esclave de l’esclave de l’esclave du commandeur des fidèles ; mais, dans cette généalogie de servitude, le premier degré se trouvait purement titulaire, puisque ce premier esclave était le souverain de la Transoxiane et du Khorasan, qui gardait ainsi l’apparence de la soumission envers le calife de Bagdad ; le second indiquait un ministre d’état, un lieutenant des Samanides[2], qui brisa par sa révolte les liens de l’esclavage politique ; mais Sebectagi avait été réellement domestique dans la famille de ce rebelle, et c’est par son courage et son habileté, qu’en qualité de gendre et de successeur de son maître, il devint le chef de la ville et de la province de Gazna[3]. La dynastie des Samanides, alors sur son déclin, fut d’abord protégée et ensuite renversée par ses ambitieux serviteurs, et la fortune de Mahmoud s’accrut chaque jour au milieu des désordres publics. Ce fut pour lui que fut inventé le nom de sultan[4], Il étendit son royaume de la Transoxiane aux environs d’Ispahan, et des rives de la mer Caspienne à l’embouchure de l’Indus ; mais la sainte guerre qu’il fit aux Gentoux de l’Indoustan fut la principale source de sa réputation et de ses richesses. [Ses douze expéditions dans l’Indoustan.]Un volume suffirait à peine pour décrire les batailles et les siéges de ses douze expéditions qui, étrangères à mon sujet, doivent être ici resserrées en moins d’une page. Le sultan de Gazna ne fut jamais arrêté par l’inclémence des saisons, la hauteur des montagnes, la largeur des rivières, la stérilité des déserts, la multitude des ennemis, ou le formidable appareil de leurs éléphans de guerre[5] : ses victoires le portèrent au-delà des bornes des conquêtes d’Alexandre. Après une marche de trois mois dans les collines de Cachemire et du Thibet, il arriva à la cité fameuse de Kinnoge[6], située sur les bords du Haut-Gange ; et dans une bataille navale qui eut lieu sur une branche de l’Indus, il mit en déroute quatre mille bateaux chargés des naturels du pays. Dehly, Lahor et Moultan, se virent forcées d’ouvrir leurs portes : la conquête du royaume de Guzarate tenta son ambition ; la fertilité de ce pays l’engagea à y faire un établissement, et son avarice se laissa séduire à l’inutile projet de découvrir les îles de l’Océan méridional qui produisent l’or et les aromates. Les rajahs conservèrent leurs domaines en payant un tribut ; le peuple racheta au même prix sa vie et sa fortune ; mais le zélé musulman fut cruel et inexorable pour la religion des Gentoux : on compte par centaines les temples et les pagodes qu’il fit raser ; il brisa des milliers d’idoles, et la matière précieuse dont elles étaient formées servit d’appât et de récompense aux serviteurs du prophète. La pagode de Sumnat se trouvait sur le promontoire de Guzarate, aux environs de Diu, l’une des villes demeurées aux Portugais de leurs anciennes possessions[7]. Elle était riche du revenu de deux mille villages ; deux mille brames y étaient consacrés au service de la divinité du lieu, qu’ils lavaient le matin et le soir dans de l’eau apportée du Gange, placé à une distance considérable ; ceux-ci avaient sous leurs ordres trois cents musiciens, trois cents barbiers et cinq cents danseuses distinguées par leur naissance ou leur beauté. De trois côtés ce temple était défendu par l’Océan ; un précipice, soit naturel, soit creusé par la main des hommes, fermait l’entrée de l’étroite langue de terre sur laquelle il se trouvait situé, et une nation de fanatiques remplissait la ville et les environs. Les ministres et les dévots déclarèrent que Kinnoge et Delhy avaient été justement punies ; mais que l’impie Mahmoud serait sûrement écrasé par les foudres du ciel s’il osait approcher du temple de Sumnat. Excité par le défi, le zèle religieux du sultan le porta à essayer ses forces contre celles de la divinité indienne. Cinquante mille de ses adorateurs tombèrent sous le fer des musulmans ; les murs furent escaladés, le sanctuaire fut profané, et le vainqueur frappa de sa massue de fer la tête de l’idole. Les bramines effrayés offrirent, dit-on, dix millions sterling pour sa rançon. Les plus sages des courtisans de Mahmoud lui firent observer que la destruction d’une statue de pierre ne changerait pas les cœurs des Gentoux, et qu’une si grande somme pourrait être employée au soulagement des fidèles. « Vos raisons, répondit le sultan, sont spécieuses et fortes, mais jamais Mahmoud ne consentira à se montrer aux regards de la postérité comme un marchand d’idoles. » Il redoubla ses coups, et un amas de perles et de rubis, cachés dans le ventre de la statue, expliqua en quelque sorte la dévote prodigalité des brames. Les débris de l’idole furent envoyés à Gazna, à la Mecque et à Médine. Bagdad écouta avec intérêt cet édifiant récit, et le calife honora Mahmoud du titre de gardien de la fortune et de la foi de Mahomet.

Son caractère.

Engagé dans ces sentiers sanglans dont se compose l’histoire des nations, je ne puis cependant me refuser à m’en détourner pour recueillir quelques-unes des fleurs de la science et de la vertu. Le nom de Mahmoud le Gaznevide est encore respecté en Orient ; ses sujets jouirent de la prospérité et de la paix ; ses vices se cachèrent sous le voile de la religion, et deux exemples prouveront sa justice et sa magnanimité, 1o. Un jour qu’il siégeait au divan, un malheureux vint se prosterner au pied du trône pour faire entendre des plaintes contre l’insolence d’un soldat turc, qui l’avait chassé de sa maison et de son lit. « Suspendez vos cris, lui dit Mahmoud ; ayez soin de m’avertir lorsque le coupable retournera chez vous, et j’irai moi-même le juger et le punir. » Le sultan, averti bientôt après, suivit son guide, rangea ses gardes autour de la maison, et faisant éteindre les flambeaux, il prononça la mort de celui qu’on venait de surprendre dans un crime de vol et d’adultère. L’arrêt exécuté, on ralluma les flambeaux ; Mahmoud se mit à genoux, et lorsque sa prière fut achevée, il demanda quelques alimens grossiers qu’il mangea avec la voracité de la faim. Le pauvre homme auquel il venait de rendre justice ne put contenir l’expression de son étonnement et de sa curiosité, et l’affable sultan daigna expliquer les motifs d’une conduite si singulière. « J’avais lieu de croire, lui dit-il, qu’il n’y avait qu’un de mes fils qui osât se permettre un pareil attentat ; j’ai éteint les flambeaux afin que ma justice fût aveugle et inflexible. J’ai ensuite remercié le ciel de la découverte du coupable ; et telles ont été mes inquiétudes depuis l’instant de votre plainte, que j’ai passé ces trois jours sans prendre de nourriture. » 2o. Le sultan de Gazna avait déclaré la guerre à la dynastie des Bowides, souverains de la Perse occidentale : il fut désarmé par une lettre de la sultane-mère, et différa son invasion jusqu’à ce que l’enfant alors sur le trône eût atteint l’âge d’homme[8]. « Tant que mon mari a vécu, lui écrivit l’adroite régente, j’ai redouté votre ambition : c’était un prince et un guerrier digne de votre valeur. Il n’est plus ; son sceptre a passé à une femme et à un enfant ; vous n’oserez pas attaquer l’enfance et la faiblesse. Votre conquête n’aurait rien de glorieux, et combien votre défaite serait honteuse ! car enfin le Tout-Puissant dispose de la victoire. » Un seul défaut, l’avarice, ternissait le beau caractère de Mahmoud, et jamais passion ne fut si richement satisfaite. Les Orientaux passent toute vraisemblance dans la description de ses trésors, qu’ils composent de plus de millions d’or et d’argent que n’en a jamais accumulés l’avidité de l’homme ; de perles, de diamans et de rubis, tels, par leur grosseur, que n’en a jamais produit la nature[9]. On doit songer toutefois que le sol de l’Indoustan est rempli de minéraux précieux ; que son commerce a, dans tous les siècles, attiré l’or et l’argent du reste du monde, et que, jusqu’aux mahométans, ses trésors n’avaient été la proie d’aucun conquérant. La conduite de Mahmoud à sa mort fit sentir, d’une manière frappante, la vanité de ces possessions acquises avec tant de peine, gardées avec tant de danger, et dont la perte est si inévitable. Il examina les vastes chambres qui contenaient les trésors de Gazna, fondit en larmes, et referma les portes sans distribuer aucune portion de tant de richesses qu’il ne pouvait plus espérer de conserver. Le lendemain, il fit la revue de ses forces militaires, composées de cent mille fantassins, de cinquante-cinq mille cavaliers et de treize cents éléphans de guerre[10] : il pleura de nouveau sur l’instabilité des grandeurs humaines ; et l’amertume de sa douleur fut augmentée par les progrès des Turcomans qu’il avait introduits au sein de son royaume de Perse, où ils avançaient alors en ennemis.

Mœurs et émigrations des Turcs ou Turcomans. A. D. 980-1028.

Dans l’état actuel de dépopulation où se trouve l’Asie, ce n’est qu’aux environs des villes qu’on peut reconnaître l’action régulière du gouvernement et les soins de l’agriculture ; le reste du pays est abandonné aux tribus pastorales des Arabes, des Curdes et des Turcomans[11]. Deux hordes considérables de ceux-ci ont des établissemens des deux côtés de la mer Caspienne ; la colonie occidentale peut armer quarante mille guerriers ; la colonie qui se trouve à l’orient, moins accessible aux voyageurs, mais plus forte et plus nombreuse, se compose à peu près de cent mille familles. Au milieu des nations civilisées, elles conservent les mœurs du désert de la Scythie, changent de campemens avec les saisons, et font paître leurs troupeaux parmi les ruines des palais et des temples. Ces troupeaux sont leur seule richesse : leurs tentes, blanches ou noires, selon la couleur de la bannière, sont couvertes de feutre et d’une forme circulaire : une peau de mouton est le vêtement d’hiver de ces Barbares ; celui d’été est formé d’une robe de drap ou de coton : la physionomie des hommes est grossière et farouche, celle des femmes est douce et agréable. Une vie errante entretient leur esprit et leurs habitudes militaires ; ils combattent à cheval, et des querelles très-multipliées, entre eux et avec leurs voisins, leur donnent des occasions fréquentes de déployer leur courage. Ils achètent le droit de pâturage au moyen d’un léger tribut au souverain du pays ; mais la juridiction domestique appartient aux chefs et aux vieillards. Il paraît que la première migration des Turcomans orientaux[12], les plus anciens de leur race, eut lieu au dixième siècle de l’ère chrétienne. Dans le temps de la décadence des califes et de la faiblesse de leurs lieutenans, la barrière du Jaxartes fut souvent violée : après la retraite ou la victoire qui suivait chaque incursion, quelqu’une de leurs tribus, embrassant la religion de Mahomet, obtenait le droit de camper librement dans les plaines spacieuses et sous le climat agréable de la Transoxiane et de Carizme. Les esclaves turcs qui aspiraient au trône favorisaient ces migrations qui recrutaient leurs armées, intimidaient leurs sujets et leurs rivaux, et protégeaient la frontière contre les naturels plus sauvages du Turkestan : Mahmoud le Gaznevide abusa de cette politique plus qu’on ne l’avait fait encore ; il fut averti de son imprudence par un chef de la race de Seljouk, qui habitait le territoire de Bochara. Le sultan lui demandait combien il pourrait fournir de soldats : « Si vous envoyez un de ces traits dans notre camp, répondit Ismaël, cinquante mille de vos serviteurs monteront à cheval. — Et si ce nombre, continua Mahmoud, ne suffisait pas ? — Envoyez, répliqua Ismaël, ce second trait à la horde de Balik, et vous aurez cinquante mille guerriers de plus. Mais, ajouta le Gaznevide, dissimulant ses inquiétudes, si j’avais besoin de toutes les forces de vos tribus alliées ? — Alors, dit Ismaël, vous enverrez mon arc ; il circulera parmi les tribus, et deux cent mille cavaliers obéiront à cet ordre. » Mahmoud, effrayé d’une amitié si redoutable, fit conduire les tribus les plus dangereuses dans l’intérieur du Khorasan, où elles se trouvèrent séparées de leurs compatriotes par l’Oxus ; et il eut soin de former cet établissement de manière que des villes soumises l’environnassent de toutes parts. Mais l’aspect de la contrée tenta plus qu’il n’épouvanta la nouvelle colonie, et l’absence, et ensuite la mort de Mahmoud, affaiblirent la vigueur de l’administration. Les pasteurs devinrent des brigands : ces bandes de brigands formèrent une armée de conquérans ; ils ravagèrent la Perse jusqu’à la ville d’Ispahan, et au fleuve du Tigre ; les Turcomans ne furent ni embarrassés ni effrayés de se mesurer avec les souverains les plus orgueilleux de l’Asie. Massoud, fils et successeur de Mahmoud, avait trop négligé les conseils des plus sages d’entre ses Omrahs : « Vos ennemis, lui répétaient-ils souvent, étaient dans l’origine un essaim de fourmis ; ce sont aujourd’hui de petits serpens, et si vous ne vous pressez pas de les écraser, ils acquerront tout le venin des plus grands reptiles. » Après quelques alternatives de trêves ou d’hostilités, après que ses lieutenans eurent éprouvé quelques revers ou obtenu des succès partiels, le sultan marcha en personne contre les Turcomans, qui, de tous côtés, fondirent sur lui sans ordre et en poussant des cris affreux. [Ils défont les Gaznévides et subjuguent la Perse. A. D. 1038.]« Massoud, dit l’historien persan[13], plongea seul au milieu du torrent des armes étincelantes pour s’y opposer par des exploits d’une force et d’une valeur gigantesques, tels que n’en avait jamais déployé aucun monarque. Un petit nombre de ses amis, animés par ses paroles, par ses actions et par cet honneur inné qui inspire le brave, secondèrent si bien leur maître, que partout où il portait son redoutable glaive, les Barbares, fauchés ou épouvantés par son bras, mordaient la poussière ou se retiraient devant lui. Mais au moment où la victoire paraissait souffler sur son étendard, le malheur agissait derrière lui ; il regarda autour de lui, et vit toute son armée, excepté le corps qu’il commandait en personne, dévorer les sentiers de la fuite. » Le Gaznevide fut abandonné par la lâcheté ou la perfidie de quelques généraux d’origine turque ; et cette mémorable journée de Zendekan[14] fonda en Perse la dynastie des rois pasteurs[15].

Les Turcomans, vainqueurs, procédèrent aussitôt à l’élection d’un roi ; et si le conte assez vraisemblable d’un historien latin[16] mérite quelque crédit, le hasard décida du choix de leur nouveau maître. On écrivit successivement sur un certain nombre de traits les noms des différentes tribus, des familles de la tribu désignée par le sort, et des membres de ces familles qu’il avait favorisées ; ils furent tirés l’un après l’autre des faisceaux par un enfant, et la couronne tomba sur Togrul-Beg, fils de Michel, fils de Seljouk, dont le nom fut immortalisé par la grandeur où parvint sa postérité. Le sultan Mahmoud, très-versé dans la généalogie des familles de son pays, disait ne pas connaître celle de Seljouk ; ce chef paraît cependant avoir été puissant et renommé[17]. Seljouk avait été banni du Turkestan pour avoir osé pénétrer dans le harem de son prince ; et, après avoir passé le Jaxartes à la tête d’une tribu nombreuse de ses amis et de ses vassaux, il campa aux environs de Samarcande ; ayant embrassé la religion de Mahomet, il obtint la couronne du martyre dans une guerre contre les infidèles. Sa carrière ne finit qu’à cent sept ans ; son fils était mort, et Seljouk avait pris soin de ses deux petits-fils, Togrul et Jaafar : l’aîné était âgé de quarante-cinq ans lorsqu’il reçut le titre de sultan dans la cité royale de Nisabour. Ses vertus justifièrent l’aveugle détermination du sort. Il serait superflu de vanter la valeur d’un Turc ; son ambition égalait sa valeur[18]. [Règne et caractère de Trogul-Beg. A. D. 1038-1063.]Il chassa les Gaznevides des parties orientales de la Perse, et cherchant une contrée plus riche et un climat plus doux, il les poussa peu à peu jusqu’aux rives de l’Indus. Il mit fin en occident à la dynastie des Bowides, et le sceptre d’Irak passa alors des mains des Persans entre celles des Turcs. Les princes qui avaient éprouvé ou qui redoutaient les traits des Seljoucides, se prosternèrent dans la poussière : Togrul, par la conquête de l’Aderbijan ou la Médie, s’approcha des frontières romaines ; et le pasteur osa demander, par un ambassadeur ou par un héraut, obéissance et tribut à l’empereur de Constantinople[19]. Dans ses états, Togrul était le père de ses soldats et de son peuple ; son administration ferme et impartiale répara en Perse les maux de l’anarchie, et ces mêmes mains, qui s’étaient trempées dans le sang, protégèrent l’équité et la paix publique. Les plus grossiers, peut-être les plus sages d’entre les Turcomans[20], continuèrent à vivre sous les tentes de leurs ancêtres ; et ces colonies militaires, protégées par le prince, se répandirent de l’Oxus à l’Euphrate. Mais les Turcs de la cour et de la ville se policèrent par les affaires, et s’amollirent par les plaisirs ; ils prirent l’habit, la langue et les mœurs de la Perse, et les palais de Nisabour et de Rey étalèrent l’ordre et la magnificence d’une grande monarchie. Les plus dignes d’entre les Arabes et les Persans parvinrent aux honneurs de l’état, et le corps entier de la nation des Turcs embrassa avec ferveur et sincérité la religion de Mahomet. Ce sont les résultats d’une conduite semblable qui ont établi, entre les essaims des Barbares du Nord qui couvrirent l’Europe et ceux qui couvrirent l’Asie, cette irréconciliable inimitié qui les sépare. Parmi les musulmans, ainsi que parmi les chrétiens, des traditions indéterminées et locales ont cédé à la raison et à l’autorité du système dominant, à une antique réputation, et au consentement général des peuples ; mais le triomphe du Koran est d’autant plus pur, que son culte n’avait rien de cette pompe extérieure qui pouvait séduire les païens, par une sorte de ressemblance avec l’idolâtrie. Le premier des sultans Seljoucides se distingua par son zèle et sa foi : il faisait chaque jour les cinq prières ordonnées aux musulmans ; il consacrait les deux premiers jours de la semaine par un jeûne particulier, et il élevait une mosquée dans chaque ville avant d’oser y jeter les fondemens d’un palais[21].

Il délivre le calife de Bagdad. A. D. 1055.

En se soumettant à la religion du Koran, le fils de Seljouk prit un grand respect pour le successeur du prophète ; mais les califes de Bagdad et de l’Égypte se disputaient ce titre sublime, et ni l’un ni l’autre de ces rivaux ne négligeait rien pour démontrer la justesse de ses prétentions à des Barbares ignorans mais puissans. Mahmoud le Gaznevide s’était déclaré en faveur de la ligne d’Abbas, et il avait rejeté avec mépris la robe d’honneur que lui présentait un ambassadeur fatimite. Cependant l’ingrat Hashémite changea avec la fortune ; il applaudit à la victoire de Zendekan, et nomma le sultan Seljoucide son vicaire temporel dans le monde musulman. Togrul remplit et étendit les fonctions de cette charge ; il fut appelé à la délivrance du calife Cayem, et obéit aux ordres sacrés qui lui offraient un nouveau royaume à conquérir[22]. Le commandeur des fidèles, fantôme respecté, sommeillait dans le palais de Bagdad. Le prince des Bowides, son serviteur ou son maître, n’avait plus la force de le protéger contre l’insolence des tyrans subalternes ; et la révolte des émirs turcs et arabes désolait les rives de l’Euphrate et du Tigre. On invoqua comme un bonheur la présence d’un conquérant ; et le fer et la flamme, maux passagers, furent regardés comme des remèdes fâcheux mais salutaires, seuls capables de rendre quelque vigueur à la république. Le sultan de la Perse partit de Hamadan à la tête d’une armée invincible ; il écrasa les orgueilleux, fit grâce à ceux qui se prosternaient devant lui : le prince des Bowides disparut ; on apporta aux pieds de Togrul les têtes des rebelles les plus obstinés, et il donna une leçon d’obéissance au peuple de Mosul et de Bagdad. [Son investiture.]Après avoir châtié les coupables et rétabli la paix, cet illustre pasteur reçut la récompense de ses travaux, et une pompeuse comédie représenta le triomphe des préjugés religieux sur la force des Barbares[23]. Le sultan turc s’embarqua sur le Tigre, débarqua à la porte de Racca, et fit son entrée publique à cheval. Arrivé à la porte du palais, il descendit respectueusement, et marcha à pied, précédé de ses émirs désarmés. Le calife était assis derrière un voile noir ; il portait sur ses épaules le manteau noir des Abbassides, et il tenait le bâton de l’apôtre de Dieu. Le vainqueur de l’Orient baisa la terre, se tint quelque temps dans une posture modeste, et fut ensuite conduit près du trône par le visir et un interprète. Il s’assit lui-même sur un trône voisin de celui du calife ; alors on lut publiquement une commission qui le déclarait lieutenant temporel du vicaire du prophète. Il fut revêtu successivement de sept robes d’honneur, et on lui présenta sept esclaves nés dans les sept climats de l’empire d’Arabie. On parfuma de musc son voile mystique, et pour emblème de sa domination sur l’Orient et l’Occident, on plaça deux couronnes sur sa tête et on lui ceignit deux cimeterres. Après cette inauguration, le sultan, qu’on empêcha de se prosterner une seconde fois, baisa deux fois les mains du calife ; et les hérauts proclamèrent ses titres au milieu des acclamations des musulmans. Le prince Seljoucide, dans un second voyage qu’il fit à Bagdad, arracha de nouveau le calife des mains de ses ennemis, et le conduisit dévotement de la prison au palais, marchant à pied et tenant la bride de sa mule. Leur alliance fut cimentée par le mariage de la sœur de Togrul avec le successeur du prophète. Le calife Cayem avait introduit sans répugnance une vierge turque dans son harem, mais il refusa orgueilleusement sa fille au sultan ; ne voulant pas mêler le sang des Hashémites au sang d’un pasteur de la Scythie ; il différa la négociation durant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’enfin la diminution graduelle de son revenu lui apprît qu’il était toujours au pouvoir d’un maître. [Sa mort. A. D. 1063.]Togrul venait d’épouser la fille de Cayem lorsqu’il mourut[24] ; comme il ne laissait point de postérité, Alp-Arslan, son neveu, succéda à ses titres et à ses prérogatives ; et les musulmans prononcèrent dans leurs prières publiques le nom d’Arslan après celui du calife. Cependant cette révolution augmenta la liberté et la puissance des Abbassides. Les monarques turcs, placés sur le trône de l’Asie, se montrèrent moins jaloux de l’administration domestique de Bagdad, et les califes furent affranchis des vexations ignominieuses auxquelles les soumettaient la présence et la pauvreté des rois de la Perse.

Les Turcs envahissent l’Empire romain.

Les Sarrasins, divisés et abâtardis sous de faibles califes, respectaient les provinces asiatiques de l’Empire romain, que les victoires de Nicéphore, de Zimiscès et de Basile avaient prolongées jusqu’à Antioche et aux frontières orientales de l’Arménie. Vingt-cinq ans après la mort de Basile, l’empereur grec se vit attaqué par une horde inconnue de Barbares, qui réunissaient à la valeur des Scythes le fanatisme des nouveaux convertis, les arts et la richesse d’une monarchie puissante[25]. Des myriades de cavaliers turcs couvrirent une frontière de six cents milles, depuis Tauris jusqu’à Erzeroum, et cent trente mille chrétiens périrent en l’honneur du prophète de l’Arabie ; mais l’Empire grec ne reçut pas, des armes de Togrul, une impression profonde ni durable : le torrent de l’invasion s’éloigna du pays ouvert. Le sultan essaya sans gloire, ou du moins sans succès, le siége d’une ville d’Arménie ; les diverses chances de la fortune, tantôt interrompirent, tantôt renouvelèrent ces obscures hostilités, et la bravoure des légions de Macédoine rappela la gloire du vainqueur de l’Asie[26]. [Règne d’Alp-Arslan. A. D. 1063-1072.]Le nom d’Alp-Arslan, qui signifie le brave lion, exprime le caractère qui, dans les idées communes, constitue la perfection de l’homme, et le successeur de Togrul déploya la fierté courageuse et la générosité de ce roi des animaux. Il passa l’Euphrate à la tête de la cavalerie turque, et entra dans Césarée, métropole de la Cappadoce, où il avait été attiré par la réputation et la richesse de l’église de Saint-Basile. La solidité de l’édifice résista à ses intentions destructives ; mais il enleva les portes du sanctuaire incrustées d’or et de perles, et il profana les reliques de ce saint, dont les faiblesses humaines étaient alors couvertes de la vénérable poussière de l’antiquité. Alp-Arslan acheva la conquête de l’Arménie et de la Géorgie. [Conquête de l’Arménie et de la Géorgie. A. D. 1065-1068.]La monarchie d’Arménie et le courage de ses habitans étaient anéantis : des mercenaires de Constantinople, d’infidèles étrangers, des vétérans sans solde ou sans armes, des recrues sans expérience ou sans discipline, cédèrent lâchement les places qu’ils devaient défendre. On ne s’occupa qu’un jour de la perte de cette frontière importante, et les catholiques ne furent ni surpris ni affligés de voir un peuple si infecté des erreurs de Nestorius et d’Eutychès, livré par le Christ et sa mère aux mains des infidèles[27]. Les naturels de la Géorgie[28] ou les Iberniens se soutinrent avec plus de constance dans les bois et les vallées du mont Caucase ; mais Arslan et Malek son fils se montrèrent infatigables dans cette guerre religieuse ; ils exigeaient de leurs captifs une obéissance spirituelle et temporelle ; et les infidèles qui demeurèrent attachés au culte de leurs ancêtres, furent contraints de porter, au lieu de colliers et de bracelets, un fer à cheval, marque d’ignominie. Le changement ne fut toutefois ni sincère ni universel ; à travers des siècles de servitude les Géorgiens ont conservé la suite de leurs princes et de leurs évêques ; mais l’ignorance, la pauvreté et le vice dégradent une race d’hommes à qui la nature a donné les formes les plus parfaites. Leur profession, et surtout leur pratique du christianisme, est purement nominale, et s’ils se sont affranchis de l’hérésie, c’est qu’ils sont trop ignorans pour se rappeler des dogmes métaphysiques, quels qu’ils soient[29].

L’empereur Romanus Diogènes. A. D. 1068-1071.

Alp-Arslan n’imita pas la grandeur d’âme réelle ou fausse de Mahmoud le Gaznevide, et il fit la guerre sans scrupule à l’impératrice Eudoxie et à ses enfans. Ses progrès alarmans obligèrent Eudoxie à donner sa main et son sceptre à un soldat ; et Romanus-Diogènes fut revêtu de la pourpre impériale. Entraîné par son patriotisme, et peut-être par son orgueil, il sortit de Constantinople deux mois après son avénement au trône ; et l’année suivante il entra en campagne au milieu des fêtes de Pâques, au grand scandale des peuples. Dans le palais, Diogènes n’était que le mari d’Eudoxie ; mais à l’armée c’était l’empereur des Romains, et il soutenait ce caractère avec de faibles ressources et un courage invincible. Sa valeur et ses succès inspirèrent l’activité à ses soldats, l’espérance à ses sujets, et la crainte à ses ennemis. Les Turcs avaient pénétré jusque dans le cœur de la Phrygie ; mais le sultan avait abandonné à ses émirs la conduite de la guerre, et leurs nombreux détachemens s’étaient répandus en Asie avec la confiance que donne la victoire. Les Grecs surprirent et battirent séparément ces corps chargés de butin et étrangers à la discipline : l’empereur semblait se multiplier par son activité ; et tandis que l’ennemi écoutait les nouvelles de son expédition auprès d’Antioche, il sentait ses coups sur les collines de Trébisonde. Les Turcs, après trois campagnes difficiles, furent repoussés au-delà de l’Euphrate ; Romanus entreprit, dans une quatrième, la délivrance de l’Arménie. La dévastation du pays l’obligea à transporter des vivres pour deux mois, et il alla faire le siége de Malazkerd[30], forteresse importante située entre les villes modernes d’Erzeroum et de Van. Son armée se montait au moins à cent mille hommes. Les troupes de Constantinople étaient renforcées de la multitude désordonnée de la Phrygie et de la Cappadoce ; mais la véritable force de l’armée se composait des sujets et des alliés d’Europe, des légions de la Macédoine et des escadrons de la Bulgarie, des Uzes, horde moldave, qui étaient eux-mêmes de race turque[31], et surtout des bandes mercenaires des Français et des Normands. Le brave Ursel de Bailleul, allié et tige des rois d’Écosse[32], commandait ces derniers, qui avaient la réputation d’exceller dans les armes, ou, selon l’expression des Grecs, dans la danse pyrrhique.

Défaite des Romains. A. D. 1071. Août.

À la nouvelle de cette invasion hardie qui menaçait ses domaines héréditaires, Alp-Arslan, à la tête de quarante mille hommes, vola vers le théâtre de la guerre[33]. Ses rapides et savantes évolutions troublèrent et épouvantèrent l’armée des Grecs, supérieure en nombre ; et la défaite de Basilacius, un de leurs principaux généraux, fut la première occasion où il déploya sa valeur et sa clémence. L’empereur, après la réduction de Malazkerd, avait imprudemment séparé ses forces. Ce fut en vain qu’il voulut rappeler près de lui les Francs mercenaires ; ils n’obéirent point à ses ordres, et sa fierté ne lui permit pas d’attendre leur retour. La désertion des Uzes remplit bientôt son esprit d’inquiétudes et de soupçons, et, contre les plus sages avis, il se hâta de livrer une bataille décisive. S’il eût prêté l’oreille aux propositions raisonnables qui lui furent faites de la part du sultan, il pouvait encore s’assurer une retraite et peut-être la paix ; mais Romanus ne vit dans ces ouvertures que la crainte ou la faiblesse de l’ennemi ; et il répondit du ton de l’insulte et du défi : « Si le Barbare désire la paix, il doit abandonner aux Romains le terrain qu’il occupe, et livrer la ville et le palais de Rey pour gage de sa bonne foi. » Arslan sourit de cet excès de vanité, mais il déplora la mort d’un si grand nombre de fidèles musulmans, et, après une prière fervente, il déclara à ses soldats que ceux qui voulaient se retirer en avaient la permission. Il releva lui-même les crins de la queue de son cheval ; il échangea son arc et ses traits contre une massue et un cimeterre, se revêtit d’un habit blanc, se parfuma de musc, et déclara que s’il était vaincu, le lieu où il se trouvait serait celui de sa sépulture[34]. Il avait affecté de rejeter ses armes de trait, mais il attendait la victoire des flèches de la cavalerie turque, dont les escadrons étaient épars en forme de croissant. Romanus, au lieu de distribuer son armée en lignes successives et en corps de réserve, selon la tactique des Grecs, en fit un bataillon serré, et se précipita avec vigueur contre les Turcs, qui ne résistèrent à la force du choc que par l’adroite souplesse de leurs mouvemens. La plus grande partie d’un jour d’été fut employée à cet inutile combat ; la prudence et la fatigue le déterminèrent à rentrer dans son camp. Mais une retraite en présence d’un ennemi actif est toujours dangereuse ; et du moment où l’on porta les drapeaux sur les derrières, la phalange se rompit par la lâcheté ou la jalousie plus vile encore d’Andronicus, prince rival de Romanus, qui déshonorait sa naissance et la pourpre des Césars[35]. Dans ce moment de confusion et de fatigues, les Grecs furent accablés d’une nuée de traits lancés par les escadrons turcs, qui, des pointes de leur redoutable croissant, enfermèrent les derrières de l’ennemi. L’armée de Romanus fut taillée en pièces, son camp fut pillé, et il est inutile d’indiquer le nombre des morts et celui des captifs. Les écrivains de Byzance regrettent une perte d’un prix inestimable, et ils oublient de nous dire que cette fatale journée enleva pour jamais à l’empire ses provinces d’Asie.

Captivité et délivrance de l’empereur.

Aussi long-temps qu’il demeura quelque espérance, Romanus essaya de rallier et de sauver les restes de ses troupes. Voyant le centre où il se trouvait, ouvert de tous côtés, et environné par les Turcs triomphans, il se battit jusqu’à la fin du jour avec le courage du désespoir, et à la tête des braves guerriers qui demeurèrent fidèles à son drapeau. Ils tombèrent tous autour de lui ; son cheval fut tué ; il fut blessé lui-même ; seul et intrépide, il se défendit jusqu’à ce que, pressé par le nombre, il perdit la liberté de ses mouvemens. Un esclave et un soldat se disputèrent la gloire de cette illustre prise ; l’esclave l’avait vu sur le trône de Constantinople, et le soldat, d’une figure très-difforme, n’avait été admis dans les troupes que sur la promesse de faire des actions de valeur. Romanus, dépouillé de ses armes, de ses pierreries et de sa pourpre, passa la nuit sur le champ de bataille, seul et exposé aux plus grands dangers, au milieu de la foule des derniers soldats. À la pointe du jour, on le présenta à Alp-Arslan, qui douta de sa fortune jusqu’à ce que ses ambassadeurs eussent reconnu Romanus, et que leur témoignage eût été confirmé par la douleur de Basilacius, qui baisa en pleurant les pieds de son malheureux souverain. Le successeur de Constantin, vêtu comme un homme du peuple, fut mené au divan, et on lui ordonna de baiser la terre devant le maître de l’Asie. Il obéit avec répugnance : on dit qu’alors le sultan s’élança de son trône, et qu’il posa son pied sur le cou[36] de l’empereur romain ; mais le fait est douteux ; et si, dans l’insolence de la victoire, le sultan se conforma à un usage de la nation des Turcs, la conduite d’Alp-Arslan a d’ailleurs arraché les éloges des fanatiques grecs, et peut servir de modèle aux siècles les plus civilisés. Il releva sur-le-champ le prince captif, et, lui serrant par trois fois la main avec tendresse, il l’assura qu’on n’attenterait ni à ses jours ni à sa dignité, et qu’Arslan avait appris à respecter la majesté de ses égaux et les vicissitudes de la fortune. On mena ensuite Romanus dans une tente voisine, où il fut servi avec appareil et avec respect par les officiers du sultan, qui, le matin et le soir, lui donnait la place d’honneur à sa table. Durant une conversation familière de huit jours, le vainqueur ne se permit pas une parole, pas un coup d’œil d’insulte ; mais il censura vivement les indignes sujets qui avaient abandonné leur brave prince au moment du danger, et il avertit doucement son antagoniste de quelques erreurs qu’il avait commises dans la conduite de la guerre. En discutant les préliminaires de la négociation, il demanda à l’empereur quel traitement il s’attendait à recevoir ; et la tranquille indifférence de celui-ci donna une preuve de la liberté d’esprit qu’il conservait. « Si vous êtes cruel, lui dit-il, vous m’ôterez la vie ; si vous écoutez l’orgueil, vous me traînerez derrière votre char ; et si vous consultez vos intérêts, vous accepterez une rançon et vous me rendrez à mon pays. — Mais, continua le sultan, comment m’auriez-vous traité, si le sort de la guerre vous eût été favorable ? » La réponse du prince grec fut dictée par un sentiment que la prudence, et même la reconnaissance, auraient dû l’engager à taire. « Si je t’avais vaincu, répondit-il fièrement, je t’aurais fait charger de coups. » Le vainqueur sourit de l’insolence de son captif ; il observa que la loi des chrétiens recommandait pourtant d’aimer ses ennemis et de pardonner les injures, et ajouta noblement qu’il ne suivrait pas un exemple qu’il désapprouvait. Arslan dicta, après un mûr examen, les conditions de la paix et de la liberté de l’empereur ; il exigea une rançon d’un million de pièces d’or, et un tribut annuel de trois cent soixante mille[37], le mariage des enfans des deux princes, et la délivrance de tous les musulmans qui étaient au pouvoir des Grecs. Romanus signa en soupirant ce traité si honteux pour l’empire ; on le revêtit ensuite d’un cafetan d’honneur ; on lui rendit ses nobles et ses patriciens ; et Arslan, après l’avoir embrassé d’une manière affectueuse, le renvoya avec de riches présens et une garde militaire. Romanus, arrivé aux frontières de l’empire, apprit que le palais et les provinces s’étaient crus dégagés, envers un captif, de leur serment de fidélité ; il eut peine à ramasser deux cent mille pièces d’or, et il envoya cette partie de sa rançon, en avouant tristement au vainqueur son malheur et son impuissance. La générosité, et peut-être l’ambition du sultan, l’engagèrent à épouser la cause de son allié ; mais la défaite, l’emprisonnement et la mort de Romanus-Diogènes empêchèrent l’exécution de ses projets[38].

Mort d’Alp-Arslan. A. D. 1072.

Il ne paraît pas que dans le traité de paix, Alp-Arslan ait exigé de l’empereur captif de lui céder des provinces ou des villes : les trophées de sa victoire et les dépouilles de l’Anatolie, d’Antioche à la mer Noire, suffirent à sa vengeance. La plus belle partie de l’Asie obéissait à ses lois : douze cents princes ou fils de princes environnaient son trône, et deux cent mille soldats marchaient sous ses étendards. Le sultan ne daigna pas envoyer à la poursuite des Grecs fugitifs ; mais il médita la conquête plus glorieuse du Turkestan, berceau de la maison de Seljouk. Il se porta de Bagdad aux rives de l’Oxus ; on jeta un pont sur le fleuve, et le passage de ses troupes occupa vingt journées. Mais le gouverneur de Berzem, Joseph le Carizmien, arrêta ses progrès et osa défendre sa forteresse contre les forces de l’Orient. Lorsqu’on amena le captif dans la tente royale, le sultan, au lieu de donner des éloges à sa valeur, lui reprocha durement sa folle obstination ; irrité de l’insolence des réponses de Joseph, Arslan ordonna de l’attacher à quatre poteaux et de le laisser mourir dans cette affreuse situation. Le Carizmien, désespéré, tira son poignard et se précipita vers le trône ; les gardes levèrent leur hache de bataille ; leur zèle fut réprimé par Arslan, le plus habile archer de son temps ; il tira son arc, mais son pied glissa ; le trait ne fit qu’effleurer les flancs du captif, qui plongea son poignard dans le sein du sultan, et qui au même instant fut mis en pièces. La blessure était mortelle, et le prince turc donna cette leçon à l’orgueil des rois. « Dans ma jeunesse, dit-il en mourant, un sage me conseilla de m’humilier devant Dieu, de me défier de mes forces, et de ne jamais dédaigner l’ennemi qui paraît le plus méprisable. J’ai négligé ces avis, et je suis justement puni de cette négligence. Lorsque du haut de mon trône je regardais hier les nombreux bataillons, la discipline et le courage de mon armée, la terre paraissait trembler sous mes pieds, et je disais dans mon cœur : tu es sûrement le roi du monde, le plus grand et le plus invincible des guerriers. Ces troupes ne sont plus à moi, et pour avoir trop compté sur ma force personnelle, je meurs sous les coups d’un assassin[39]. » Alp-Arslan possédait les vertus d’un Turc et celles d’un musulman ; sa voix et sa taille inspiraient le respect ; de longues moustaches ombrageaient sa figure, et son large turban s’arrangeait en forme de couronne. Les restes du sultan furent déposés dans le tombeau de la dynastie Seljoucide, où l’on grava cette belle inscription[40] : « Vous qui avez vu la gloire d’Alp-Arslan exaltée jusqu’aux cieux, venez à Marou, et vous le verrez dans la poussière ;» et ce qui achève de montrer l’instabilité des grandeurs humaines, l’inscription et le tombeau ont disparu.

Règne et prospérité de Malek-Shah. A. D. 1072-1092.

Durant la vie d’Alp-Arslan, son fils aîné, Malek-Shah avait été reconnu héritier présomptif du trône des Turcs ; mais à la mort du sultan, l’oncle de Malek, son cousin et son frère, lui disputèrent la succession : ces trois compétiteurs prirent les armes et rassemblèrent leurs troupes ; Malek-Shah[41], en triomphant d’eux tous, établit à la fois sa réputation et le droit de primogéniture. Dans tous les temps la soif de l’autorité a inspiré les mêmes passions et occasionné les mêmes désordres, principalement en Asie ; mais au milieu de tant de guerres civiles, il serait difficile de trouver rien d’aussi pur et d’aussi magnanime que le sentiment exprimé dans un mot du prince turc. La veille de la bataille, il priait à Thous, devant le tombeau d’un iman appelé Riza : lorsqu’il se fut relevé, il demanda à Nizam, son visir, qui s’était mis à genoux derrière lui, quel avait été l’objet de sa prière. Le ministre répondit prudemment, et selon toute apparence avec sincérité : « J’ai demandé que la victoire accompagnât vos armes. — Pour moi, répliqua le généreux Malek, j’ai prié le Dieu des armées de m’ôter la vie et la couronne, si mon frère est plus digne que moi de régner sur les musulmans. » Le ciel jugea en sa faveur ; le calife ratifia ce jugement, et communiqua pour la première fois à un Barbare, le titre sacré de commandeur des fidèles ; mais ce Barbare, par son mérite personnel et l’étendue de son empire, était le plus grand prince de son siècle. Après avoir réglé le gouvernement de la Perse et de la Syrie, il partit à la tête d’une armée innombrable pour faire la conquête du Turkestan, que son père avait entreprise. Lorsqu’il passa l’Oxus, des bateliers employés au transport de quelques troupes se plaignirent de ce qu’on avait assigné leur solde sur les revenus d’Antioche ; le sultan marqua son mécontentement de cette assignation déplacée, mais il sourit de l’adroite flatterie du visir. « Ce n’était pas, dit-il, pour différer leur salaire que j’ai choisi ces lieux éloignés ; mais pour attester à la postérité que sous votre règne Antioche et l’Oxus obéirent au même souverain. » Au reste, cette fixation des limites des états de Malek était beaucoup trop bornée. Il soumit au-delà de l’Oxus les villes de Bochara, Carizme et Samarcande ; il écrasa tous les rebelles et tous les sauvages indépendans qui osèrent lui résister. Malek passa le Sihon ou Jaxartes, la dernière frontière de la civilisation des Persans. Les hordes du Turkestan se soumirent à son empire ; son nom fut gravé sur les monnaies et répété dans les prières du Cashgar, royaume tartare situé aux confins de la Chine. De cette frontière de la Chine il étendait à l’occident et au midi sa juridiction immédiate ou son autorité de suzerain, jusqu’aux montagnes de la Géorgie, aux environs de Constantinople, à la sainte cité de Jérusalem, et aux bocages parfumés de l’Arabie Heureuse. Au lieu de s’abandonner à la mollesse de son sérail, le roi pasteur ne cessa, soit durant la paix ou durant la guerre, de se tenir en activité, et toujours en campagne. Transportant continuellement son camp d’un lieu à un autre, il favorisa successivement toutes les provinces de sa présence, et on dit qu’il parcourut douze fois la vaste étendue de ses domaines, qui surpassaient en grandeur les états de Cyrus et ceux des califes. Le pèlerinage de la Mecque fut la plus religieuse et la plus éclatante de ces expéditions. Ses armes protégèrent la liberté et la sûreté des caravanes ; ses abondantes aumônes enrichirent les citoyens et les pèlerins, et il interrompit la tristesse du désert par des asiles où les voyageurs trouvaient le repos et la fraîcheur. La chasse était son plaisir et même sa passion, et son équipage se composait de quarante-sept mille cavaliers. Ces chasses étaient de véritables tueries ; mais après chacune, il donnait aux pauvres autant de pièces d’or qu’on avait tué de pièces de gibier, faible compensation payée aux dépens du peuple de ce qu’il en coûte pour l’amusement des rois ! Durant la paisible prospérité de son règne, les villes de l’Asie se remplirent de palais et d’hôpitaux, de mosquées et de colléges ; on ne sortait guère du divan sans récompense, et jamais sans obtenir justice. La langue et la littérature de la Perse se ranimèrent sous le règne de la maison de Seljouk[42], et si Malek se piqua d’égaler la libéralité d’un Turc moins puissant que lui[43], son palais dut retentir des vers de cent poètes. Le sultan donna des soins plus sérieux et plus éclairés à la réforme du calendrier, qui fut opérée par une assemblée générale des astronomes de l’Orient. Les musulmans sont assujettis, par une loi de Mahomet, au calcul irrégulier des mois lunaires : depuis le siècle de Zoroastre, les Persans ont connu la révolution du soleil, et l’ont célébrée par une fête annuelle[44] ; mais, après la chute de l’empire des mages, on avait négligé l’intercalation : les minutes, les heures s’étaient accumulées, avaient formé des jours, et le commencement du printemps se trouvait avancé du signe du bélier à celui des poissons. Le règne de Malek fut illustré par l’ère gélaléenne, et toutes les erreurs passées ou futures se trouvèrent corrigées par un calcul qui surpasse l’exactitude du calendrier julien, et qui approche de celle du calendrier grégorien[45].

Sa mort. A. D. 1092.

Les lumières et l’éclat qui se répandirent sur l’Asie, dans un temps où l’Europe était plongée dans la plus profonde barbarie, peuvent être attribués à la docilité plutôt qu’aux connaissances des vainqueurs turcs. Ceux-ci durent une grande partie de leur sagesse et de leur vertu à un visir persan, qui gouverna l’empire sous le règne d’Alp-Arslan et de son fils. Nizam, un des ministres les plus éclairés de l’Orient, était traité par le calife comme l’oracle de la religion et de la science ; le sultan s’en reposait sur lui comme sur le fidèle ministre de son pouvoir et de sa justice. Après une administration de trente ans, la réputation du visir, sa fortune et même ses services lui furent imputés comme autant de crimes. Il fut renversé par les intrigues d’un de ses rivaux unies à celles d’une femme, et sa chute fut accélérée par l’imprudence qu’il eut de dire qu’à son bonnet et à son écritoire, emblèmes de son office, se trouvaient attachés, par les décrets de Dieu, le trône et le diadème du sultan. Ce respectable ministre se vit, à l’âge de quatre-vingt-treize ans, chassé par son maître, accusé par ses ennemis, et assassiné par un fanatique : ses dernières paroles attestèrent son innocence, et Malek, après sa mort, n’eut plus qu’un petit nombre de jours sans gloire ; il quitta Ispahan qui avait été le théâtre de cette scène d’iniquité, et se rendit à Bagdad avec le projet de détrôner le calife et de fixer sa résidence dans la capitale des musulmans. Le faible successeur de Mahomet obtint un répit de dix jours, et avant l’expiration de ce terme, Malek fut appelé par l’ange de la mort. Ses ambassadeurs à Constantinople avaient demandé pour lui la main d’une princesse romaine ; mais l’empereur grec avait éludé la proposition avec décence, et la fille d’Alexis, dont le prince turc avait voulu faire sa femme, parle avec horreur de cet étrange mariage[46]. Le calife Moctadi épousa la fille du sultan, mais avec l’absolue condition de renoncer pour jamais à la société de ses femmes et de ses concubines, pour se borner à cette honorable alliance.

Division de l’empire des Seljoucides.

La grandeur et l’unité de l’empire turc disparurent avec Malek-Shah. Son frère et ses quatre fils se disputèrent le trône, et, après plusieurs guerres civiles, le traité qui réconcilia ceux des compétiteurs qui vivaient encore, sépara du reste de l’empire la dynastie persane, la branche aînée et principale de la maison de Seljouk. Les trois branches cadettes étaient celles de Kerman, de Syrie et de Roum : la première gouvernait des domaines étendus, mais peu connus[47], sur les rives de l’océan indien[48] ; la seconde chassa les princes arabes d’Alep et de Damas ; et la troisième, qui nous intéresse ici, envahit les provinces romaines de l’Asie Mineure. La politique généreuse de Malek concourut à leur élévation ; il permit aux princes de son sang, même à ceux qu’il avait vaincus dans les batailles, de chercher de nouveaux royaumes dignes de leur ambition, et il n’était pas fâché de se débarrasser ainsi des hommes ardens qui auraient pu troubler la tranquillité de son règne. En qualité de chef suprême de sa famille et de sa nation, le sultan de la Perse recevait de ses frères obéissance et tribut : ce fut à l’ombre de son sceptre que s’élevèrent les trônes de Kerman et de Nicée, d’Alep et de Damas, que les atabeks et les émirs de la Syrie et de la Mésopotamie déployèrent leurs étendards[49], et que les hordes des Turcomans couvrirent les plaines de la partie occidentale de l’Asie. Les liens de l’union et de la subordination, affaiblis par la mort de Malek, ne tardèrent pas à se dissoudre : l’indulgence des princes de la maison de Seljouk éleva des esclaves sur le trône ; et, s’il faut employer ici le style oriental, une nuée de princes s’éleva de la poussière de leurs pieds[50].

Conquête de l’Asie Mineure par les Turcs. A. D. 1074-1084.

Un prince du sang royal, Cutulmish, fils d’Izrail, fils de Seljouk, était tombé dans une bataille contre Alp-Arslan ; et le vainqueur, plein d’humanité, avait répandu une larme sur sa tombe. Ses cinq fils, forts par le nombre de leurs adhérens, ambitieux et avides de vengeance, s’armèrent contre le fils d’Arslan. Les deux armées attendaient le signal, lorsque le calife, oubliant l’étiquette qui lui défendait de se montrer aux yeux du vulgaire, interposa sa médiation respectable aux deux partis. « Au lieu de verser le sang de vos frères, de vos frères par le sang et la foi, réunissez vos forces dans une sainte guerre contre les Grecs, les ennemis de Dieu et de son apôtre. » On profita de ses conseils ; le sultan embrassa ses parens rebelles ; l’aîné de ceux-ci, le brave Soliman, accepta le drapeau royal, sous les auspices duquel il conquit et assura à ses descendans les provinces de l’Empire romain qui s’étendaient d’Erzeroum à Constantinople, et aux régions inconnues de l’Occident[51]. Il passa l’Euphrate avec ses quatre frères : bientôt on vit les tentes des Turcs aux environs du Kutaieh en Phrygie ; et sa cavalerie légère ravagea le pays jusqu’à l’Hellespont et à la mer Noire. Depuis la décadence de l’empire, la péninsule de l’Asie Mineure avait été exposée aux incursions destructives, mais passagères, des Persans et des Sarrasins. Les fruits d’une conquête durable étaient réservés au sultan, et le passage lui fut ouvert par des Grecs qui aspiraient à régner sur les ruines de leur patrie. Le fils d’Eudoxie, prince sans vigueur, avait tremblé six ans sous le poids de la couronne impériale, depuis la captivité de Romanus jusqu’à l’époque où une double rebellion lui fit perdre, dans le même mois, les provinces de l’Orient et de l’Occident. Les deux chefs qui se soulevèrent portaient le même nom de Nicéphore ; mais le prétendant d’Europe se distinguait, par le surnom de Bryennius, du prétendant d’Asie, connu sous celui de Botoniates. Le divan examina leurs raisons, ou plutôt leurs promesses ; et, après quelques incertitudes, Soliman se déclara en faveur de Botoniates, ouvrit un passage à ses troupes d’Antioche à Nicée, et joignit la bannière du croissant à celle de la croix. Nicéphore Botoniates, parvenu au trône de Constantinople, reçut honorablement le sultan dans le faubourg de Chrysopolis ou Scutari ; il fit passer en Europe un corps de deux mille Turcs, et dut à leur dextérité et à leur valeur la défaite et la captivité de son rival Bryennius ; mais sa conquête de l’Europe fut chèrement payée par le sacrifice de ses possessions asiatiques : Constantinople fut privée de la soumission et des revenus des provinces situées au-delà du Bosphore et de l’Hellespont, et l’on vit les Turcs s’avancer régulièrement, fortifiant les passages des rivières et des montagnes, ce qui ne laissait aucune espérance ni de leur retraite ni de leur expulsion. Un autre compétiteur réclama l’appui du sultan. Melissenus suivait le camp des Turcs, revêtu de la robe de pourpre et des brodequins rouges ; les villes découragées se laissaient séduire par les manifestes d’un prince romain, qui les livrait aussitôt entre les mains des Barbares. Un traité de paix, que signa l’empereur Alexis, confirma ces acquisitions : la crainte que lui inspirait Robert le força de rechercher l’amitié de Soliman ; et ce n’est qu’après la mort de celui-ci, qu’il porta la frontière orientale de l’empire jusqu’à Nicomédie, c’est-à-dire, à environ soixante milles de Constantinople. Trébisonde seule, défendue de tous côtés par la mer et les montagnes, conservait, à l’extrémité de l’Euxin, l’ancien caractère d’une colonie grecque, et les fondemens d’un empire chrétien.

Le royaume seljoucide de Roum.

L’établissement des Turcs, dans l’Anatolie ou l’Asie Mineure, fut la plus grande perte qu’eussent essuyée l’Église et l’Empire depuis les premières conquêtes des califes. La propagation de la foi musulmane valut à Soliman le nom de Gazi ou de champion sacré ; et les tables de la géographie orientale s’augmentèrent de son nouveau royaume des Romains ou de Roum. Les auteurs le représentent comme s’étendant de l’Euphrate à Constantinople, de la mer Noire aux confins de la Syrie, riche en mines d’argent et de fer, d’alun et de cuivre ; fertile en blé et en vin, et abondant en bétail et en excellens chevaux[52]. La richesse de la Lydie, les arts de la Grèce et les lumières du siècle d’Auguste, n’existaient plus que dans des livres et dans des ruines, également dédaignés des Scythes, maîtres du pays. Cependant l’Anatolie offre encore de nos jours quelques villes riches et peuplées ; mais, sous l’empire de Byzance, elles étaient plus nombreuses, plus considérables et plus opulentes. Le sultan établit sa résidence à Nicée, capitale de la Bithynie, qu’il eut soin de fortifier : le siége du gouvernement de la dynastie seljoucide de Roum se trouvait à cent milles de Constantinople, et la divinité de Jésus-Christ était reniée et insultée dans le même temple où le premier concile général des catholiques l’avait déclarée une matière de foi : on prêchait dans les mosquées l’unité de Dieu et la mission de Mahomet ; les écoles enseignaient les sciences arabes, les cadis jugeaient d’après la loi du Koran ; les mœurs et l’idiome des Turcs prévalaient dans les villes, et les camps des Turcomans étaient répandus sur les plaines et les montagnes de l’Anatolie. Les Grecs chrétiens obtinrent l’exercice de leur religion, sous la dure condition de payer un tribut, et de vivre asservis aux Turcs ; mais on profana leurs églises les plus révérées, on insulta leurs prêtres et leurs évêques[53] ; ils se virent contraints de souffrir et le triomphe des païens et l’apostasie de leurs frères ; des milliers d’enfans furent circoncis, et des milliers de captifs furent dévoués au service ou aux plaisirs de leurs maîtres[54]. Après la perte de l’Asie, Antioche demeurait fidèle à Jésus-Christ et à César ; mais cette province solitaire ne pouvait espérer le secours des Romains, et les forces mahométanes l’environnaient de tous côtés. Philarète, son gouverneur, désespérant de se défendre, se disposait à sacrifier sa religion et son devoir ; mais il fut prévenu dans le crime par son fils, qui, se rendant en hâte au palais de Nicée, offrit à Soliman de remettre entre ses mains cette ville importante. L’ambitieux sultan monta à cheval, et fit une marche de six cents milles en douze nuits, car il se reposait le jour. Tels furent la célérité et le secret de l’entreprise, qu’Antioche n’eut pas le temps de se reconnaître ; et les villes qui en dépendaient, jusqu’à Laodicée et aux confins d’Alep[55], suivirent l’exemple de la métropole. De Laodicée au Bosphore de Thrace, ou bras de Saint-George, les conquêtes de l’empire de Soliman occupaient un espace de trente journées de chemin en longueur, et de dix ou quinze en largeur entre les rochers de la Lycie et la mer Noire[56]. L’ignorance des Turcs dans l’art de la navigation permit quelque temps, à l’empereur, de jouir d’une sécurité sans gloire ; mais lorsque les captifs grecs leur eurent construit une flotte de deux cents vaisseaux, Alexis trembla derrière les murs de sa capitale. Pour exciter la compassion des Latins, il répandit en Europe des lettres lamentables, qui peignaient le danger, la faiblesse et la richesse de la cité de Constantin[57].

État de Jérusalem ; détails sur les pèlerinages qu’on y faisait. A. D. 638-1099.

La conquête la plus intéressante des Turcs seljoucides fut celle de Jérusalem[58], qui ne tarda pas à devenir le théâtre des nations. La capitulation accordée par Omar aux habitans, leur assurait la liberté de leur religion et la conservation de leurs propriétés ; mais les articles en avaient été interprétés par un maître contre lequel on ne disputait pas sans danger ; et pendant les quatre cents ans que dura le règne des califes, la situation politique de Jérusalem présenta de fréquentes variations[59]. Les musulmans s’emparèrent des trois quarts de la ville ; l’accroissement du nombre de leurs prosélytes et de leur population pouvait l’avoir exigé ; et l’on réserva un quartier particulier au patriarche, à son clergé et à son troupeau ; les chrétiens payèrent un tribut de deux pièces d’or par tête pour le prix de la protection qui leur était accordée, et le tombeau de Jésus-Christ, ainsi que l’église de la Résurrection, demeurèrent entre leurs mains. La portion de ces chrétiens, la plus nombreuse et la plus respectable, ne se composait pas d’habitans de Jérusalem ; la conquête des Arabes avait excité plutôt que supprimé les pèlerinages à la Terre-Sainte ; la douleur et l’indignation donnaient une nouvelle force à l’enthousiasme qui avait fait naître l’idée de ces dangereux voyages. Les pèlerins de l’Orient et de l’Occident arrivaient en foule au Saint-Sépulcre et dans les églises des environs, surtout à la fête de Pâques ; les Grecs et les Latins, les nestoriens et les jacobites, les cophtes et les abyssins, les arméniens et les géorgiens entretenaient les chapelles, le clergé et les pauvres de leurs communions respectives. L’harmonie de toutes ces prières en langues si diverses, tant de nations rassemblées dans le temple commun de leur religion, auraient dû présenter un spectacle d’édification et de paix ; mais la haine et la vengeance aigrissaient le zèle des sectes chrétiennes ; et sur les lieux où le Messie avait perdu le jour en pardonnant à ses bourreaux, elles voulaient dominer et persécuter leurs frères. Le courage et le nombre assuraient aux Francs la prééminence, et la grandeur de Charlemagne[60] protégeait les pèlerins de l’Église latine et les catholiques de l’Orient. Les aumônes de ce dévot empereur soulagèrent la pauvreté de Carthage, d’Alexandrie et de Jérusalem ; et il fonda ou rétablit plusieurs monastères de la Palestine. Haroun-al-Rashid, le plus grand des Abbassides, estimait dans le prince chrétien, qu’il appelait son frère, une grandeur de génie et de puissance égale à la sienne : leur amitié fut cimentée par des dons et des ambassades fréquentes, et le calife, en conservant la véritable domination de la Terre-Sainte, offrit à l’empereur les clefs du Saint-Sépulcre et peut-être de la ville de Jérusalem. Au déclin de la monarchie carlovingienne, la république d’Amalfi fut utile au commerce et à la religion des Européens en Orient ; ses navires portèrent les pèlerins sur les côtes de l’Égypte et de la Palestine ; et, à l’aide de ses cargaisons, elle obtint la faveur et l’alliance des califes fatimites[61] : on établit sur le Calvaire une foire annuelle, et les négocians d’Italie fondèrent le couvent et l’hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem, berceau de l’ordre monastique et militaire, qui depuis a donné des lois à l’île de Rhodes, et qui règne aujourd’hui à Malte. Si les pèlerins de l’Église chrétienne s’étaient contentés de révérer le tombeau d’un prophète, les disciples de Mahomet, loin de se plaindre d’une pareille dévotion, l’auraient imitée ; mais ces rigides unitaires furent révoltés d’un culte qui comprend la naissance, la mort et la résurrection d’un Dieu ; ils flétrirent du nom d’idoles les images des catholiques, et les musulmans virent avec un sourire d’indignation[62] la flamme miraculeuse qui s’allumait, la veille de Pâques, dans le Saint-Sépulcre[63] ; les croisés latins se laissèrent séduire par cette pieuse supercherie inventée au neuvième siècle[64] ; et les prêtres des communions grecque, arménienne et cophte[65], la renouvellent chaque année aux yeux d’une foule crédule qu’ils trompent pour leur intérêt et celui de leurs tyrans[66]. Dans tous les siècles, l’intérêt a fortifié le principe de la tolérance, et les dépenses faites par un si grand nombre d’étrangers, et le tribut qu’ils payaient, augmentaient annuellement le revenu du prince et de son émir.

Sous les califes fatimides. A. D. 969-1076.

La révolution qui fit passer le sceptre des Abbassides aux fatimites, fut plus avantageuse que nuisible à la Terre-Sainte : un souverain qui résidait en Égypte sentait bien mieux l’importance du commerce des chrétiens, et les émirs de la Palestine se trouvaient moins éloignés de la justice et de la puissance du trône ; mais le troisième de ces califes fatimites fut le fameux Hakem[67], jeune frénétique, que son impiété et son despotisme avaient affranchi de la crainte de Dieu et des hommes, et dont toute la conduite n’offrit qu’un mélange bizarre de vices et d’extravagances. Sans égards pour les usages de l’Égypte les plus anciens, il assujettit les femmes à une réclusion absolue : cette gêne excita les clameurs des deux sexes ; leurs cris provoquèrent sa fureur ; il fit livrer aux flammes une partie du vieux Caire, et les citoyens soutinrent contre ses gardes un combat meurtrier qui dura plusieurs jours. Le calife se montra d’abord un zélé musulman ; il fonda ou enrichit des mosquées et des colléges ; il fit transcrire à ses frais, en lettres d’or, douze cent quatre-vingt-dix exemplaires du Koran, et il ordonna d’arracher toutes les vignes de la Haute-Égypte ; mais sa vanité se flatta bientôt de l’espoir d’établir une nouvelle religion ; la réputation d’un prophète ne lui suffisait pas, et il se qualifiait d’image visible du Très-Haut, qui, après neuf apparitions sur la terre, se montrait enfin dans sa personne royale. Au nom de Hakem, le souverain des vivans et des morts, chacun devait plier les genoux et adorer une montagne près du Caire, qui était consacrée aux mystères de ce culte : seize mille personnes avaient signé sa profession de foi, et aujourd’hui même une peuplade libre et guerrière, les Druses du mont Liban, croient à la divinité de ce tyran insensé, et sont persuadés qu’il existe encore[68]. En qualité de dieu, Hakem détestait les Juifs et les chrétiens comme soumis à ses rivaux ; mais un reste de prévention ou de prudence lui parlait en faveur de la loi de Mahomet. Ses persécutions cruelles en Égypte et dans la Palestine firent quelques martyrs et un grand nombre d’apostats ; il méprisait également les droits communs et les priviléges particuliers des différentes sectes, et il défendit aux étrangers et aux habitans de Jérusalem de visiter le tombeau de Jésus-Christ. [Sacrilége de Hakem. A. D. 1009.]Le temple du monde chrétien, l’église de la Résurrection, fut démolie jusque dans ses fondemens ; ce prodige lumineux qu’on voyait à la fête de Pâques disparut, et on prit beaucoup de peine à bouleverser le caveau du rocher qui, à proprement parler, forme le Saint-Sépulcre. À la nouvelle de ce sacrilége, les nations de l’Europe furent saisies d’étonnement et de douleur ; mais, au lieu de s’armer pour la défense de la Terre Sainte, elles se contentèrent de brûler ou de bannir les Juifs qu’elles regardaient comme les conseils secrets de l’impie Hakem[69]. Cependant l’inconstance et le repentir de Hakem allégèrent en quelque sorte les malheurs de Jérusalem, et le tyran venait de signer la restitution des églises, lorsqu’il fut assassiné par les émissaires de sa sœur. Les califes, ses successeurs, reprirent les anciennes maximes de la religion et de la politique musulmane. La tolérance reparut de nouveau : par les pieux secours de l’empereur de Constantinople, le Saint-Sépulcre se releva du milieu de ses ruines, et après une courte privation, les pèlerins y retournèrent avec l’empressement qui en devait être la suite[70]. Le voyage de Palestine par mer exposait souvent à des dangers, et les occasions en étaient rares ; mais la conversion de la Hongrie ouvrit une route sûre entre l’Allemagne et la Grèce. La charité de saint Étienne, l’apôtre de son royaume, secourait et dirigeait les pèlerins[71] qui, de Belgrade à Antioche, traversaient un empire chrétien de quinze cents milles d’étendue. [Le nombre des pèlerins augmente. A. D. 1024, etc.]Les Francs n’avaient jamais eu plus d’ardeur pour les pèlerinages, et les chemins étaient couverts de personnes de tous les sexes et de tous les rangs, qui assuraient ne désirer de vivre que jusqu’au moment où elles pourraient baiser le tombeau de leur rédempteur. Les princes et les prélats abandonnaient le soin de leurs domaines, et le nombre de ces pieuses caravanes annonçait les armées des croisés qui débarquèrent le siècle suivant dans la Palestine. Environ trente ans avant la première croisade, l’archevêque de Mayence, les évêques d’Utrecht, de Bamberg et de Ratisbonne, partirent des rives du Rhin pour se rendre sur celles du Jourdain avec une suite de sept mille personnes. L’empereur les reçut à Constantinople d’une manière hospitalière ; mais, ayant imprudemment étalé leurs richesses, ils furent attaqués par les farouches Arabes ; ils se servirent de leurs armes avec une espèce de scrupule ; ils soutinrent un siége dans le village de Capernaum, et ne dûrent leur délivrance qu’à la protection vénale de l’émir fatimite. Après avoir visité les saints lieux, ils s’embarquèrent pour l’Italie ; mais des sept mille personnes qui formaient leur suite, deux mille seulement revirent leur patrie. Ingulphe, secrétaire de Guillaume-le-Conquérant, était de ce pèlerinage : il raconte que, de trente cavaliers robustes et bien équipés, dont il faisait partie, et qui avaient quitté la Normandie pour aller dans la Palestine, il ne restait, lorsqu’ils repassèrent les Alpes, que vingt misérables pèlerins à pied, le bourdon à la main et la besace sur le dos[72].

Conquête de Jérusalem par les Turcs. A. D. 1076-1096.

Après la défaite des Romains, la tranquillité des califes fatimites fut troublée par les Turcs[73]. Atsiz le Carizmien, un des lieutenans de Malek-Shah, entra dans la Syrie à la tête d’une puissante armée, et réduisit Damas par le fer et la famine. Hems et les autres villes de la province reconnurent le calife de Bagdad et le sultan de la Perse ; et l’émir victorieux s’avança jusqu’aux bords du Nil sans éprouver de résistance : le fatimite se disposait à se réfugier au centre de l’Afrique, mais les nègres de sa garde et les habitans du Caire firent une sortie désespérée et chassèrent les Turcs des frontières de l’Égypte. Le meurtre et le pillage marquèrent la route que suivit Atsiz dans sa retraite ; il fit égorger le juge et les notaires de Jérusalem, qu’il avait invités à venir dans son camp, et cette exécution fut suivie du massacre de trois mille citoyens. Il ne tarda pas à voir sa cruauté ou sa défaite punie par le sultan Toucush, frère de Malek-Shah, qui, avec plus de titres et des forces plus redoutables, soutint ses droits à l’empire de la Syrie et de la Palestine. La maison de Seljouk régna à Jérusalem environ vingt ans[74] ; mais le commandement héréditaire de la sainte Cité et de son district fut abandonné à l’émir Ortok, chef d’une tribu de Turcomans, dont les enfans formèrent, après leur expulsion de la Palestine, deux dynasties qui régnèrent sur les frontières de l’Arménie et de l’Assyrie[75]. Les chrétiens de l’Orient et les pèlerins de l’Église latine déplorèrent une révolution qui, au lieu de l’administration régulière et de l’ancienne alliance des califes, les soumettait au joug de fer des étrangers du Nord[76]. La cour et l’armée du sultan offraient, à quelques égards, les arts et les mœurs de la Perse ; mais le gros des Turcs, et particulièrement les tribus pastorales, conservaient la férocité des peuplades du désert. De Nicée à Jérusalem, les contrées occidentales de l’Asie étaient le théâtre de guerres étrangères ou intestines ; et ni le caractère ni la situation des pasteurs de la Palestine, qui exerçaient une autorité précaire sur une frontière malintentionnée, ne leur permettaient d’attendre les tardifs avantages de la liberté du commerce et de la liberté de religion. Les pèlerins qui, à travers d’innombrables dangers, arrivaient aux portes de Jérusalem, devenaient les victimes du brigandage des individus ou de la tyrannie de l’administration, et succombaient souvent à la misère ou à la maladie, avant d’avoir eu la consolation de saluer le Saint-Sépulcre. Soit barbarie naturelle ou zèle d’une religion nouvelle, les Turcomans insultaient les prêtres de toutes les sectes : le patriarche fut traîné par les cheveux sur le pavé et jeté dans un cachot : pour forcer son troupeau à le racheter, la grossièreté de ces maîtres sauvages troubla souvent les cérémonies de l’église de la Résurrection. Ces détails, racontés d’une manière pathétique, excitèrent des millions de chrétiens à marcher, sous l’étendard de la croix, à la délivrance de la Terre-Sainte ; et cependant combien tous ces maux accumulés étaient au-dessous de l’action sacrilége de Hakem, que les chrétiens de l’Église latine avaient endurée si patiemment ! De moindres vexations enflammèrent le caractère plus irascible de leurs descendans. Il s’était élevé un nouvel esprit de chevalerie religieuse et de soumission à l’empire universel du pape : on avait touché un nerf très-sensible, et l’impression s’en fit sentir jusqu’au cœur de l’Europe.

Notes du Chapitre LVII
  1. Je dois les détails que j’ai donnés sur sa vie et son caractère, à d’Herbelot (Bibl. orient., Mahmud, p. 533-537), à M. de Guignes (Histoire des Huns, t. III, p. 155-175) et à notre compatriote le colonel Alexandre Dow (vol. I, p. 23-83). M. Dow donne les deux premiers volumes de son histoire de l’Indoustan comme une traduction de l’ouvrage du Persan Ferishta ; mais il n’est pas aisé, à travers les pompeux ornemens de son style, de distinguer la version et l’original.
  2. La dynastie des Samanides subsista cent vingt-cinq ans (A. D. 874-999), sous dix princes. Voyez la suite de ces princes et la ruine de la Dynastie, dans les Tables de M. de Guignes (Hist. des Huns, t. I, p. 404-406). Elle fut remplacée par celle des Gaznevides, A. D. 999-1183 (voyez t. I, p. 239, 240). Sa division des peuples embrouille souvent les époques et jette de l’obscurité sur les lieux.
  3. Gazna hortos non habet : est emporium et domicilium mercaturæ indicæ (Abulféda, Geogr. ; Reiske, Tabul. 23 ; p. 349 ; d’Herbelot, p. 364). Cette ville n’a été visitée par aucun voyageur moderne.
  4. Par l’ambassadeur du calife de Bagdad, lequel employa ce mot arabe ou chaldaïque, qui signifie seigneur et maître (d’Herbelot, p. 825). Les écrivains de Byzance du onzième siècle le traduisent par ceux d’Αυτοκρατωρ, Βασιλευς Βασιλεων ; et le mot Σο‌υλτανος ou Soldanus, lorsqu’il eut passé des Gaznevides aux Seljoucides et aux émirs de l’Asie et de l’Égypte, se trouve souvent employé dans le langage familier des Grecs et des Latins. Ducange (Dissert. 16 sur Joinville, p. 238-240 ; Gloss. græc. et latin.) travaille à trouver le titre de sultan employé dans l’ancien royaume de la Perse ; mais ses preuves sont chimériques : il fonde son opinion sur un nom propre des thèmes de Constantin (II, II), sur un passage de Zonare, qui a confondu les époques, et sur une médaille de Kai-Khosrou, qui n’est pas, comme il le croit, le Sassanide du sixième siècle, mais le Seljoucide d’Iconium, qui vivait au treizième siècle. (De Guignes, Hist. des Huns, t. I, p. 246.)
  5. Ferishta (apud Dow, Hist. of Hindoustan, vol. I, p. 49) parle d’une arme à feu qu’on disait trouver dans l’armée des Indous ; mais je ne croirai pas aisément à cet usage prématuré (A. D. 1008) de l’artillerie : je voudrais examiner d’abord le texte, et ensuite l’autorité de Ferishta, qui vivait à la cour mongole dans le dernier siècle.
  6. On place Kinnouge ou Canouge (l’ancienne Palimbothra), par 27 degr. 3 min. de latit., et 80 degr. 11 min. de longitude. Voyez d’Anville (Antiq. de l’Inde, p. 60-62), corrigé par le major Rennel, qui a été sur les lieux (voyez son excellent Mémoire sur sa carte de l’Indoustan, p. 37-43 de ce Mémoire). Il faut réduire beaucoup des trois cents joailliers, des trente mille boutiques de noix d’arrèque, des soixante mille troupes de musiciens, etc., comptés par Abulféda, Geogr. Tab. XV, p. 274 ; Dow, vol. I, p. 16.
  7. Les idolâtres de l’Europe, dit Ferishta (Dow, vol. I, p. 66). Voyez Abulféda, p. 272, et la Carte de l’Indoustan, par Rennel.
  8. D’Herbelot, Biblioth, orientale, p. 537. Au reste, ces lettres, ces apophtegmes, etc., offrent rarement le langage du cœur et le motif des actions publiques.
  9. Ils citent, par exemple, un rubis de quatre cent cinquante miskals (Dow, vol. I, p. 53) ou six livres trois onces : le plus gros du trésor de Delhy pesait dix-sept miskals (Voyages de Tavernier, partie II, p. 280). Il est vrai qu’en Orient on donne le nom de rubis à toutes les pierres colorées (p. 355), et que Tavernier en avait vu trois plus grosses et plus précieuses parmi les pierreries de notre grand roi, le plus puissant et le plus magnifique de tous les rois de la terre. (p. 376.)
  10. Dow, t. I, p. 65. On dit que le souverain de Kinnoge avait deux mille cinq cents éléphans (Abulféd., Geograp. Tab, XV, p. 274). Le lecteur peut, d’après ces détails sur l’Inde, corriger une note du chapitre 8, tome II, ou il peut corriger ces détails d’après la note que je viens d’indiquer.
  11. Voyez un tableau exact et naturel de ces mœurs pastorales dans l’histoire de Guillaume, archevêque de Tyr (l. I, c. 7, Gesta Dei per Francos, p. 633, 634), et une note précieuse qu’on doit à l’éditeur de l’Histoire généalogique des Tatars, p. 535-538.
  12. On peut découvrir les premières migrations des Turcomans et l’origine incertaine des Seljoucides dans l’histoire laborieuse des Huns, par M. de Guignes (t. I, Tables chronolog., l. V ; t. III, l. VII, IX, X), dans la Biblioth. oriental. de d’Herbelot (p. 799-802, 897-901), dans Elmacin (Hist. Saracen., p. 331-333), et dans Abulpharage (Dynast., p. 221, 222).
  13. Dow, Hist. of Hindostan, vol. I, p. 89, 95, 98. J’ai copié ce passage pour échantillon du style de l’auteur persan ; mais je présume que, par une bizarre fatalité, la manière de Ferishta aura été perfectionnée par celle d’Ossian.
  14. Le Zendekan de d’Herbelot (p. 1028), le Dindaka de Dow (vol. I, p. 97), est, selon toute apparence, le Dandanekan d’Abulféda (Geograp., p. 345, Reiske), petite ville du Khorasan, à deux journées de Marou, et célèbre en Orient par le coton que produisait son sol et que travaillaient les habitans.
  15. Les historiens de Byzance (Cedrenus, t. II, p. 766, 767 ; Zonare, t. II, p. 255 ; Nicéphore Bryennius, p. 21) ont confondu dans cette révolution les époques et les lieux, les noms et les personnes, les causes et les événemens. L’ignorance et les erreurs de ces Grecs, que je ne m’arrêterai pas à débrouiller, peuvent inspirer des doutes sur l’histoire de Cyaxare et de Cyrus, telle que la racontent les plus éloquens de leurs prédécesseurs.
  16. Guillaume de Tyr, l. I, c. 7, p. 633. La divination par les traits est ancienne et célèbre en Orient.
  17. D’Herbelot, p. 801. Au reste, lorsque sa postérité fut parvenue au faîte des grandeurs, Seljouk se trouva être le trente-quatrième descendant du grand Afrasiab, empereur de Touran (p. 800). La généalogie tartare de Zingis offre une autre manière de flatter et une autre fable ; et l’historien Mirkhond fait venir les Seljoucides d’Alankavah, la Vierge mère (p. 801, col. 2). Si en effet ce sont les Zalzuts d’Abulghazi-Bahadur-Khan (Hist. généalog., p. 148), on cite en leur faveur un témoignage de beaucoup de poids, celui d’un prince tartare lui-même, d’un descendant de Zingis, d’Alankavah ou Alancu, et Oghuz-Khan.
  18. Par une légère transformation, Togrul-Beg se trouve être le Tangroli-Pix des Grecs. D’Herbelot (Bibl. orient., p. 1027, 1028) et de Guignes (Hist. des Huns, t. III, p. 189-201) donnent des détails fidèles sur son règne et sur son caractère.
  19. Cedrenus (t. II, p. 774, 775), Zonare (t. II, p. 257), avec leurs connaissances ordinaires sur les affaires d’Orient, parlent de l’ambassadeur comme d’un schérif, qui, semblable au syncellus du patriarche, était le vicaire et le successeur du calife.
  20. J’ai tiré de Guillaume de Tyr cette distinction des Turcs et des Turcomans, qui du moins est populaire et commode. Les noms sont les mêmes, et la syllabe man a la même valeur dans l’idiome de la Perse et dans la langue teutonique. Peu de critiques adopteront l’étymologie de Jacques de Vitry (Hist. Hierosol., l. I, c. 11, p. 1061), qui dit que Turcomani signifie Turci, et Comani, un peuple mêlé.
  21. Histoire génér. des Huns, t. III, p. 165, 166, 167. M. de Guignes cite Abulmahasen, historien d’Égypte.
  22. Consultez la Bibliothéque orientale, articles Abbassides, Caher ou Cayem, et les Annales d’Elmacin et d’Abulpharage.
  23. Je dois à M. de Guignes (t. III, p. 197, 198) les détails de cette cérémonie curieuse ; ce savant auteur l’a tirée de Bondari, qui a composé en arabe l’histoire des Seljoucides (t. V, p. 365). Je ne sais rien sur le siècle, le pays ou le caractère de Bondari.
  24. Eodem anno (A. H. 455) obiit princeps Togrul-Becus… Rex fuit clemens, prudens, et peritus regnandi, cujus terror corda mortalium invaserat, ita ut obedirent ei reges atque ad ipsum scriberent. Elmacin, Hist. Saracen., p. 342, vers. Erpenii.
  25. Voyez sur les guerres des Turcs et des Romains, Zonare et Cedrenus, Scylitzes, le continuateur de Cedrenus, et Nicéphore Bryennius César. Les deux premiers étaient des moines, et les deux derniers des hommes d’état ; cependant tels étaient les Grecs d’alors, qu’on aperçoit à peine quelque différence de style et de caractère. Quant à ce qui regarde les Orientaux, je profite, comme à l’ordinaire, des richesses de d’Herbelot (voyez les articles des premiers Seljoucides), et des recherches exactes de M. de Guignes (Hist. des Huns, t. III, l. X).
  26. ’Εφερετο γαρ εν Το‌υρκοις λογος, ως ειη πεϖρωμενον κατασ‌τραφηναι το Το‌υρκων γενος αϖο της τοιαυτης δυναμεως, οϖοιαν ο Μακεδων Αλεξανδρος εχων κατασ‌τρεψατο Περσας. (Cedrenus, t. II, p. 791). La crédulité du vulgaire est toujours vraisemblable, et les Turcs avaient appris des Arabes l’histoire ou la légende d’Escander Dulcarnien. (D’Herb., p. 317, etc.)
  27. ’Οι και Ιβεριαν καἱ Μεσοποταμιαν, και Αρμενιαν οικο‌υσι και οι την Ιο‌υδαικην το‌υ Νεσ‌τορο‌υ και των Ακεφαλων θρησκενο‌υσιν αιρεσιν (Scylitzes, ad calcem Cedreni, t. II, p. 834, dont les constructions équivoques ne me déterminent pas à penser qu’il ait confondu le nestorianisme et l’hérésie des monophysites). Il parle familièrement de μηνις, χολος, οργη Θεο‌υ, qualités que je croirais étrangères à l’être parfait ; mais son aveugle doctrine est forcée d’avouer que cette colère οργη, μηνις, etc., tomba bientôt sur les Latins orthodoxes.
  28. Si les Grecs avaient connu le nom de Géorgiens ( Stritter, Memoriæ byzant., t. IV, Iberica), je le ferais venir de leur agriculture, ainsi que le Σκυθαι γεωργοι d’Hérodote (l. IV, c. 18, p. 289, édit. de Wesseling). Mais on ne le trouve parmi les Latins (Jacques de Vitry, Hist. Hierosol., c. 79, p. 1095), et les Orientaux (d’Herbelot, p. 407), que depuis les croisades, et il a été dévotement tiré du nom de saint George de Cappadoce.
  29. Mosheim, Instit. Hist. eccles., p. 632. Voyez dans les Voyages de Chardin (t. I, p. 171-174), les mœurs et la religion de cette peuplade si belle et si méprisable. La généalogie de leurs princes, depuis Adam jusqu’à nos jours, se trouve dans les Tables de M. de Guignes, t. I, p. 433-488.
  30. Constantin Porphyrogenète fait mention de cette ville (De administ. imper., l. II, c. 44, p. 119). Les auteurs qui écrivirent à Byzance dans le onzième siècle, en parlent également sous le nom de Mantzikierte, et plusieurs la confondent avec Theodosiopolis ; mais Delisle, dans ses Notes et sa Carte, a fixé la situation de Malazkerd. Abulféda (Géogr., Tab. 18, p. 310) dit que Malazkerd est une petite ville bâtie de pierres noires, où l’on trouve de l’eau, mais où il n’y a point d’arbres, etc.
  31. Les Uzes des Grecs (Stritter, Memor. byzant., t. III, p. 923-948) sont les Gozz des Orientaux (Hist. des Huns, t. II, p. 522 ; t. III, p. 133, etc.). On les trouve sur les rives du Danube et du Volga, dans l’Arménie, la Syrie et le Khorasan, et il paraît qu’on donna ce nom à la nation entière des Turcomans.
  32. Geoffroy Malaterra (l. I, c. 33) distingue Urselius (le Russelius de Zonare) parmi les Normands qui subjuguèrent la Sicile, et il lui donne le surnom de Baliol. Les historiens d’Angleterre vous disent comment les Bailleuls vinrent de Normandie à Durham, bâtirent le château de Bernard sur la Tées, épousèrent une héritière d’Écosse, etc. Ducange (Note ad Nicephor. Brennium, l. II, no 4) a fait des recherches sur cette matière en l’honneur du président de Bailleul, dont le père avait quitté la profession des armes pour celle de la robe.
  33. Elmacin (p. 343, 344) indique ce nombre assez vraisemblable ; mais Abulpharage (p. 227) le réduit à quinze mille cavaliers, et d’Herbelot (p. 102) à douze mille. Au reste, le même Elmacin donne trois cent mille hommes à l’empereur ; Abulpharage dit aussi : Cum centum hominum millibus, multisque equis et magnâ pompâ instructus. Les Grecs s’abstiennent de fixer aucun nombre.
  34. Les auteurs Grecs ne disent pas d’une manière si claire que le sultan se soit trouvé à la bataille : ils assurent que Arslan donna le commandement de ses troupes à un eunuque, et qu’il se retira au loin, etc. Est-ce par ignorance ou par jalousie, ou bien le fait est-il véritable ?
  35. Il était fils de César-Jean Ducas, frère de l’empereur Constantin (Ducange, Fam. byzant., p. 165). Nicéphore Bryennius loue ses vertus et atténue ses fautes (l. I, p. 30-38 ; l. II, p. 53) ; mais il avoue sa haine pour Romanus, ο‌υ πανυ δε φιλιως ξχον προς βασιλεα. Scylitzes parle plus nettement de la trahison d’Andronicus.
  36. Nicéphore et Zonare omettent sagement ce fait, qui est rapporté par Scylitzes et Manassès, mais qui paraît difficile à croire.
  37. Les Orientaux attestent la rançon et le tribut, qui sont bien vraisemblables. Les Grecs gardent modestement le silence, si l’on en excepte Nicéphore Bryennius, qui ose assurer que les articles étaient ο‌υκ αναξιας Ρομαιων αρχης, et que l’empereur aurait préféré la mort à un honteux traité.
  38. Les détails de la défaite et de la captivité de Romanus-Diogènes se trouvent dans Jean Scylitzes (ad calcem Cedreni, t. II, p. 835-843), Zonare (t. II, p. 281-284), Nicéphore Bryennius (l. I, p. 25-32), Glycas (p. 325-327), Constantin Manassès (p. 134), Elmacin (Hist. Saracen., p. 343, 344), Abulpharage (Dynast., p. 227), d’Herbelot (p. 102-103), de Guignes (t. III, p. 207-211). Outre mes anciennes connaissances, Elmacin et Abulpharage, l’historien des Huns a consulté Abulféda et Benschounah, son abréviateur, une Chronique des califes, par Soyourhi, l’Égyptien Abulmahasen, et l’Africain Novairi.
  39. D’Herbelot (p. 103, 104) et M. de Guignes (t. III, p. 212, 213) racontent, d’après les écrivains orientaux, cette mort intéressante ; mais ces deux auteurs n’ont pas conservé dans leur récit l’âme d’Elmacin (Hist. Saracen., p. 344, 345).
  40. Un critique célèbre (feu le docteur Johnson), qui a examiné avec tant de rigueur les épitaphes de Pope, pourrait chicaner sur ces mots de cette sublime inscription : Venez à Marou, puisqu’on doit y être au moment où on lit l’inscription.
  41. La Bibliothéque orientale a donné le texte du règne de Malek (p. 542, 543, 544, 654-655), et l’Histoire générale des Huns (t. III, p. 214-224) répète les mêmes faits, avec les corrections et les supplémens qu’on y trouve pour l’ordinaire. J’avoue que sans les recherches de ces deux savans Français, il me serait impossible de me reconnaître dans le monde oriental.
  42. Voyez un excellent Discours à la fin de l’Histoire de Nadir-Shah, par sir William Jones, et les articles des poètes Amak, Anvari, Raschidi, etc., dans la Bibliothéque orientale.
  43. Ce prince turc se nommait Kheder-Khan ; il avait quatre sacs de pièces d’or et d’argent autour de son sopha, et il en donnait des poignées aux poètes qui lui récitaient des vers (d’Herbelot, p. 107). Tout cela peut être vrai, mais je ne conçois pas que Kheder ait pu régner dans la Transoxiane au temps de Malek-Shah, et encore moins qu’il ait pu éclipser Malek par son faste et sa puissance. Je présume que ce prince régna au commencement, et non pas à la fin du onzième siècle.
  44. Voyez Chardin, Voyages en Perse, t. II, p. 235.
  45. L’ère gélaléenne (Gelaleddin, la Gloire de la foi, était un des noms ou titres de Malek-Shah), est fixée au 15 mars, A. H. 471, A. D. 1079. le docteur Hyde a rapporté les témoignages originaux des Persans et des Arabes. (De Religione veterum Persarum, c. 16, p. 200-211.)
  46. Anne Comnène parle de cette royauté des Persans comme αϖασης κακοδαιμονες ερον πενιας. Elle n’avait que neuf ans à la fin du règne de Malek-Shah (A. D. 1092), et lorsqu’elle dit qu’il fut assassiné, elle confond le sultan avec le visir. (Alexiad., l. VI, p. 177, 178.)
  47. Ils sont si peu connus, qu’après toutes ses recherches, M. de Guignes s’est borné à copier (t. I, p. 244 ; t. III, part. I, p. 269, etc.) l’histoire ou plutôt la liste des Seljoucides de Kerman, qui se trouve dans la Bibliothéque orientale. Cette dynastie a disparu avant la fin du douzième siècle.
  48. Tavernier, le seul peut-être des voyageurs qui soit allé à Kerman, représente la capitale comme un grand village en ruines, situé à vingt-cinq journées d’Ispahan, et à vingt-sept d’Ormus, au milieu d’une contrée fertile. (Voyages en Turquie et en Perse, p. 107-110.)
  49. Il paraît, d’après le récit d’Anne Comnène, que les Turcs de l’Asie Mineure obéissaient au cachet et au chiauss du grand sultan (Alexiad., l. VI, p. 170), et qu’il retenait dans sa cour les deux fils de Soliman (p. 180).
  50. Petis de La Croix (Vie de Gengis-Khan, p. 161) cite cette expression d’un poète persan, selon toute apparence.
  51. Dans le récit de la conquête de l’Asie Mineure, M. de Guignes n’a tiré aucun secours des écrivains turcs ou arabes qui se contentent de donner une liste stérile des Seljoucides de Roum. Les Grecs ne veulent pas révéler leur ignominie ; et on est réduit à profiter de quelques mots échappés à Scylitzes (p. 860-863), à Nicéphore Bryennius (p. 88-91, 92, etc., 103, 104), et à Anne Comnène (Alexiad., p. 91, 92, etc., 168, etc.).
  52. Telle est la description de Roum, par Haiton, l’Arménien, auteur d’une histoire tartare qui se trouve dans les Recueils de Ramusio et de Bergeron. (Voyez Abulféda, Géogr., Climat 17, p. 301-305.)
  53. Dicit eos quemdam abusione Sodomiticâ intervertisse episcopum (Guibert, Abbat., Hist. Hierosol., l. I, p. 468). Il est singulier que le même peuple fournisse de nos jours un second passage pareil à celui-ci. « Il n’est point d’horreurs que ces Turcs n’aient commises ; et semblables aux soldats effrénés qui, dans le sac d’une ville, non contens de disposer de tout à leur gré, prétendent encore aux succès les moins désirables, quelques sipahis ont porté leurs attentats sur la personne du vieux rabbi de la synagogue et celle de l’archevêque grec. » (Mémoires du baron de Tott, t. II, p. 193.)
  54. L’empereur ou l’abbé Guibert décrit les scènes du camp des Turcs comme s’il y avait été. Matres correptæ in conspectu filiarum multipliciter repetitis diversorum coitibus vexabantur. (Est-ce la bonne version ?) Cum filiæ assistentes carmina præcinere saltando cogerentur. Max eadem passio ad filias, etc.
  55. Voyez des détails sur Antioche et la mort de Soliman, dans Anne Comnène (Alexiad., l. VI, p. 168,169), avec les notes de Ducange.
  56. Guillaume de Tyr (l. I, c. 9, 10, p. 635) donne les détails les plus authentiques et les plus déplorables sur les conquêtes des Turcs.
  57. Dans son épître au comte de Flandre, Alexis paraît avilir son caractère et sa dignité ; cependant cette lettre est reconnue authentique par Ducange (Not. ad Alexiad., p. 335, etc.), et paraphrasée par l’abbé Guibert, historien contemporain. Le texte grec n’existe plus, et chacun des traducteurs et des copistes a pu dire avec Guibert (p. 475) verbis vestita meis, privilége d’une étendue indéfinie.
  58. Deux passages d’une grande étendue et originaux de Guillaume, archevêque de Tyr (l. I, c. 1-10 ; l. XVIII, c. 5, 6), le principal auteur des Gesta Dei per Francos, contiennent les détails les plus sûrs touchant l’histoire de Jérusalem, depuis Héraclius jusqu’aux Croisades. M. de Guignes a publié un savant Mémoire sur le commerce des Français dans le Levant avant les Croisades, etc. (Mém. de l’Acad. des inscript., t. XXXVII, p. 467-500).
  59. Secundum dominorum dispositionem plerumque lucida plerumque nubila recepit intervalla, et ægrotantium more temporum præsentium gravabatur aut respirabat qualitate (l. I, c. 3, p. 630). Le latin de Guillaume de Tyr n’est point du tout méprisable ; mais lorsqu’il compte quatre cent quatre-vingt-dix ans de la perte à la reprise de Jérusalem, c’est trente années de trop.
  60. Voyez sur les rapports de Charlemagne avec la Terre-Sainte, Éginhard (De vitâ Caroli Magni, c. 16, p. 79-82). Constantin Porphyrogenète (De administr. imperii, l. II, c. 26, p. 80), et Pagi (Critica, t. III, A. D. 800, nos 13, 14, 15).
  61. Le calife accorda des priviléges Amalphitanis viris amicis et utilium introductoribus (Gesta Dei, p. 934). Le commerce de Venise en Égypte et dans la Palestine ne saurait produire un titre aussi ancien, à moins qu’on n’adopte la plaisante traduction d’un Français, qui prenait les deux factions du Cirque (Veneti et Prasini) pour les Vénitiens et les Parisiens.
  62. Une Chronique arabe de Jérusalem (ap. Assemani, Bib. orient., t. I, p. 628 ; t. IV, p. 368) atteste l’incrédulité du calife et de l’historien ; Cantacuzène toutefois ose en appeler aux musulmans eux-mêmes pour la réalité de ce miracle perpétuel.
  63. Le savant Mosheim a discuté séparément ce prétendu miracle dans ses dissertations sur l’Histoire ecclésiastique (t. II, p. 214-306), De lumine sancti sepulchri.
  64. Guillaume de Malmsbury (l. IV, c. 11, p. 209) cite l’Itinéraire du moine Bernard, témoin oculaire, qui visita Jérusalem, A. D. 870. Le miracle est confirmé par le témoignage d’un autre pèlerin, qui l’avait précédé de quelques années ; et Mosheim dit que les Francs inventèrent cette supercherie peu de temps après la mort de Charlemagne.
  65. Nos voyageurs, Sandys (p. 134). Thevenot (p. 621-627), Maundrell (p. 94, 95), etc, décrivent cette farce extravagante. Les catholiques sont embarrassés à déterminer l’époque où a fini le miracle et commencé la supercherie.
  66. Les Orientaux eux-mêmes conviennent de la fraude, et ils la justifient par la nécessité et des vues d’édification Mémoires du chevalier d’Arvieux, t. II, p. 140 ; Joseph Abudacni, Hist. Coph., c. 20) ; mais je n’essaierai pas d’expliquer avec Mosheim comment se faisait ce prétendu miracle. Nos voyageurs se sont trompés en voulant expliquer la liquéfaction du sang de saint Janvier.
  67. Voyez d’Herbelot (Bibl. orient., p. 411), Renaudot (Hist. patriar. Alex., p. 390-397, 400, 411), Elmacin (Hist. Saracen., p. 321-323), et Marei (p. 384-386), historien d’Égypte, traduit d’arabe en allemand par Reiske, et qu’un de mes amis m’a interprété verbalement.
  68. La religion des Druses est cachée par leur ignorance et leur hypocrisie. Le secret de leur doctrine ne se communique qu’aux élus qui mènent une vie contemplative ; et les Druses des classes ordinaires les plus indifférens des hommes, se conforment, selon l’occasion, au culte des mahométans ou à celui des chrétiens de leur voisinage. Le peu qu’on sait ou le peu qui mérite d’être connu sur cette peuplade, se trouve dans Niebuhr, auteur qui a examiné avec soin les pays qu’il a parcourus (Voyages, t. II, p. 354-357), et dans le second volume du Voyage récent et instructif de M. Volney.
  69. Voyez Glaber, l. III, c. 7, et les Annales de Baronius et de Pagi, A. D. 1009.
  70. Per idem tempus ex universo orbe tam innumerabilis multitudo cœpit confluere ad sepulchrum Salvatoris Hierosolimis, quantum nullus hominum prius sperare poterat. Ordo inferioris plebis… mediocres… reges et comites… præsules… mulieres multæ nobiles cum pauperioribus… pluribus enim erat mentis desiderium mori priusquam ad propria reverterentur. (Glaber, l. IV, c. 6 ; Bouquet, Historiens de France, t. X, p. 50.)
  71. Glaber (l. III, c. 1). Katona (Hist. crit. reg. Hungar., t. I, p. 304-311) examine si saint Étienne fonda un monastère à Jérusalem.
  72. Baronius (A. D. 1064, nos 43-56) a copié la plus grande partie des récits originaux d’Ingulphe, de Marianus et de Lambertus.
  73. Voyez Elmacin (Hist. Saracen., p. 349, 350), et Abulpharage (Dynast., p. 237, vers. Pococke). M. de Guignes (Histoire des Huns, tom. III, part. I, p. 215, 216) ajoute les témoignages ou plutôt les noms d’Abulféda et de Novairi.
  74. Depuis l’expédition d’Isar Atsiz (A. H. 469, A. D. 1076), jusqu’à l’expulsion des Ortokides (A. D. 1096). Cependant Guillaume de Tyr (l. I, c. 6, p. 633) assure que Jérusalem fut trente-huit ans au pouvoir des Turcs ; et une Chronique arabe, citée par Pagi (t. IV, p. 202), suppose qu’un général Carizmien la soumit au calife de Bagdad, A. H. 463, A. D. 1070. Ces dates si reculées s’accordent mal avec l’Histoire générale de l’Asie, et je suis sûr que (A. D. 1064) le regnum Babylonicum (du Caire) subsistait encore dans la Palestine. (Baronius, A. D. 1064, no 56.)
  75. De Guignes, Histoire des Huns, t. I, p. 249-252.
  76. Guillaume de Tyr (l. I, c. 8, p. 634), qui se fatigue à grossir les maux que souffraient les chrétiens. Les Turcs exigeaient un aureus de chaque pèlerin. Le caphar des Francs est aujourd’hui de quatorze dollars, et l’Europe ne se plaint pas de cette taxe volontaire.