Histoire de la littérature française (Lanson)/Sixième partie/Livre 3/Chapitre 3

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Librairie Hachette (p. 1050-1065).
Sixième partie. Livre 3.


CHAPITRE III

LA POÉSIE : V. HUGO ET LE PARNASSE


V. Hugo après 1850. — 1. V. Hugo et son œuvre. Caractère de l’homme. Sa sensibilité morale et physique ; son intelligence. Les idées de V. Hugo : il pense par images. L’imagination créatrice de mythes. Les épopées symboliques de la Légende des siècles. Composition, langue, rythmes. — 2. Fin du romantisme. Évolution du lyrisme vers l’expression impersonnelle. Baudelaire. Bouilhet. M. Leconte de Lisle : archéologie, pessimisme, objectivité. Les Parnassiens. M. Sully Prudhomme : poésie scientifique ; généralisation de l’émotion personnelle par l’intelligence philosophique. Essais de poésie réaliste.

Après 1850 il n’y a plus de classiques. Musset est fini ; Lamartine écrit pour vivre. Sans adversaires et sans rivaux, V. Hugo règne ; il prolonge d’un quart de siècle le romantisme. Grandi par l’exil, déifié par la passion politique, il gagne bien sa gloire, qu’il sait administrer : c’est un robuste ouvrier aux forces intactes, et dans les huit années qui suivent le coup d’État, il donne trois grands recueils de poèmes, définitive expression de son talent.

L’Empire, qui l’a jeté hors de France, lui fournit la matière des Châtiments (1853) : explosion puissante de satire lyrique. Toutes les variétés d émotions et de pensées intimes sont réunies dans les Contemplations (1856) : copieux épanchement de poésie individualiste, et journal, pour ainsi dire, du moi poétique de l’auteur. La philosophie humanitaire de V. Hugo, enfin, d’objective dans la Légende des siècles (1859) : pittoresque galerie de tableaux symboliques. Tout Victor Hugo est dans ces trois recueils : toute son œuvre antérieure s’y ramasse et s’y termine. Toute son œuvre postérieure en est, sauf exception, la répétition ou le déchet.

V. Hugo est maintenant complet : c’est le moment d’essayer, à l’aide surtout de ces trois grandes œuvres, de caractériser l’homme et d’en définir le génie.


1. V. HUGO ET SON ŒUVRE.


L’homme[1], moralement, est assez médiocre[2] : immensément vaniteux, toujours quêtant l’admiration du monde, toujours occupé de l’effet, et capable de toutes les petitesses pour se grandir, n’ayant ni crainte ni sens du ridicule, rancunier impitoyablement contre tous ceux qui ont une fois piqué son moi superbe et bouffi, point homme du monde, malgré cette politesse méticuleuse qui fut une de ses affectations[3], grand artiste avec une âme très bourgeoise[4], laborieux, rangé, serré, peuple surtout par une certaine grossièreté de tempérament, par l’épaisse jovialité et par la colère brutale, charmé du calembour et débordant en injures : nature, somme toute, vulgaire et forte, où l’égoïsme intempérant domine.

V. Hugo est peu sensible. Il a la sensibilité des orgueilleux, cette irritabilité du moi hypertrophié que tous ses ennemis ont sentie. Il n’est pas tendre : quand il parle d’amour pour son compte personnel, il mêle un peu de sensualité très matérielle à la galanterie mièvre, à la rhétorique éclatante : il ne s’aliène pas assez pour connaître les grandes passions ; de sa hauteur de poète pensif, il se plaît trop à regarder l’amour de la femme « comme un chien à ses pieds[5] ». Ce qu’il y a de meilleur en lui, c’est sa capacité des joies de la famille, son affection de père ou grand-père. Il a dit avec un accent pénétrant la douceur intime du foyer, la séduction ingénue des enfants. Il y a bien de l’ostentation, de la puérilité dans l’Art d’être grand-père ; ce grand-père exerce sa fonction comme un pontificat, avec une niaiserie solennelle qui dégoûte. Mais, dans les Feuilles d’automne et les premiers recueils, avec quelle simplicité charmante il parle des enfants ! Surtout, lorsqu’il eut perdu en 1843 sa fille et son gendre, nouveau-mariés, qui se noyèrent à Villequier, il dit son désespoir, ses souvenirs douloureux, ses appels au Dieu juste, au Dieu bon en qui il crut toujours, dans un livre des Contemplations[6], où la perfection du travail artistique n’enlève rien à la sincérité poignante du sentiment.

Il n’est que juste aussi, je crois, d’ajouter que l’amour collectif de l’humanité, des humbles, des misérables, fut très réel chez V. Hugo. Parce qu’il donna à cette passion des expressions parfois bizarres et déraisonnables[7], parce que surtout elle servit fortement à son apothéose et qu’il l’exploita certainement pour sa popularité, il ne faut pas méconnaître le vif sentiment de pitié sociale qui est antérieur en lui à sa conversion politique[8].

La sensibilité de V. Hugo est donc assez limitée, et presque toujours contenue, dirigée, refroidie par la préoccupation d’agrandir son personnage. En revanche, il a une puissance illimitée de sensation, une acuité rare des sens, et particulièrement du sens de la vue. Sa vision est une des plus nettes qui se soient jamais rencontrées chez un poète ; son œil garde à la fois le détail et l’ensemble des choses. Il voit moins les couleurs que les reliefs ; il est sensible surtout aux oppositions de l’ombre et de la lumière, qui lui fournissent l’antithèse fondamentale de sa poésie.

Je ne sens pas qu’il soit uni par une sympathie morale à cette nature extérieure dont il reçoit si fortement toutes les valeurs : nul autre lien entre elle et lui que la sensation physique. De là, l’usage qu’il en fait. Les simples tableaux, les paysages à la plume d’après nature, sont beaux, mais assez rares dans son œuvre. Il se fait de la nature un vaste magasin d’images, où sa pensée se fournit tantôt de thèmes à variations verbales pour l’exercice de sa prodigieuse invention, tantôt de formes à vêtir les idées ; et c’est parce que nulle affection permanente de son âme n’est engagée dans sa perception du monde extérieur qu’il dispose si librement de toutes ses sensations pour les transformer en métaphores ou en symboles au service de ses conceptions intellectuelles.

Mais quelle intelligence a-t-il ? Hélas ! il faut avouer que ce très grand poète est incapable de définir et raisonner[9]. Il lâche d’énormes contresens quand il veut faire le critique, d’énormes contradictions quand il veut faire le théoricien. Ses idées littéraires sont vagues et troubles. Ses idées philosophiques, politiques, sociales, son déisme, son républicanisme, son « démocratisme », sont des idées moyennes, sans originalité, tout à fait imprécises et médiocrement cohérentes.

Impuissant à penser, il a le respect, la religion de la pensée : il a l’ambition d’être un penseur. N’est-ce pas un devoir du poète, d’être l’instructeur des peuples, le « phare » de l’humanité ? Et c’est un spectacle à la fois comique et touchant de voir ce primitif s’appliquer à penser, manier laborieusement, gauchement, fièrement, des doctrines, dont il n’embrasse que les mots. Plus il entasse ou gonfle ses métaphores, plus il s’imagine élever ses idées, et il s’est attiré de Veuillot par certaines méditations délirantes le mot cruel que l’on sait : Jocrisse à Pathmos[10].

Mais ce mot est injuste : prenons garde d’aller trop loin. V. Hugo n’a pas d’idées originales : il n’en sera que plus apte à représenter pour la postérité certains courants généraux de notre opinion contemporaine. Il n’a pas d’idées claires : c’est un poète, non pas un philosophe. Son affaire n’est pas d’apporter des formules exactes, des solutions sûres. Il suffit qu’il tienne la curiosité en éveil sur de grands problèmes, qu’il entretienne des doutes, des inquiétudes, des désirs. Une idée abstraitement insuffisante peut déterminer un sentiment efficace. Et voilà par où l’œuvre de V. Hugo est excellente et supérieure : à défaut d’idées nettes, il a des tendances énergiques, et il agite en nous certaines angoisses sociales et métaphysiques. Dieu, l’inconnaissable, l’humanité, le mal dans le monde, la misère et le vice, le devoir, le progrès, l’instruction et la pitié comme moyens du progrès, voilà quelques idées centrales que V. Hugo ne définit pas, ne démontre pas, mais qui sont comme des noyaux autour desquels s’agrègent toutes ses sensations. Ces idées hantent son cerveau : il ne les critique pas, il s’en grise. Elles lui dictent des hymnes admirables de mouvement et d’ampleur, discours imprécis sans doute, mais visions improvisées et lucides d’un idéal obsédant : Ibo, les Mages, Ce que dit la bouche d’ombre. Et cela ne vaut-il pas mieux, après tout, que d’avoir dit éternellement Sarah la baigneuse ou le pied nu de Rose ? N’est-ce pas en somme de là que la poésie de V. Hugo, dans l’égale perfection de la forme, tire sa plus haute valeur ? Et où trouvera-t-on, si ce n’est chez lui, l’expression littéraire de l’âme confuse et généreuse de la démocratie française dans la seconde moitié du xixe siècle ? Par sa philosophie sociale, le lyrisme de V. Hugo devient largement représentatif.

Il faut nous défaire pour juger ses idées de toutes nos habitudes d’abstraction et d’analyse. Impropre à la pensée pure et à la logique idéale, il a philosophé avec sa faculté dominante, à grands coups d’imagination. Mais par là même il a moins gâté les idées que s’il avait essayé de les versifier en philosophe : il a évité la sécheresse de la poésie raisonnablement didactique. Des doctrines, il ne garde que quelques mots, les mots essentiels dont chacun en gros connaît le sens, où chacun peut mettre toute la richesse de sa pensée personnelle : et à ces mots il associe des images que la nature lui fournit.

V. Hugo ne pense que par images : l’idée, ramassée en un seul mot, lui apparaît liée à une forme sensible, qui la manifeste ou la représente, qui par ses affinités propres en détermine les relations, en sorte que les associations d’images dirigent le développement de la pensée.

Une chose vue éveille l’idée qui sommeillait en lui, ou l’idée inquiète se projette dans l’objet qui frappe ses yeux. Dès lors le poète est délivré de l’embarras des opérations intellectuelles : il a fait passer dans sa sensation son idéal ou sa doctrine ; il n’a que faire d’analyser ; il n’a qu’à utiliser son admirable mémoire des formes, et ce don qu’il a de les agrandir, déformer ou combiner sans les détacher de leur soutien réel, ce don aussi de suggestion qui lui fait trouver des passages inconnus entre les apparences les plus éloignées. Ainsi la pensée devient hallucination, le raisonnement description : au lieu d’un philosophe nous avons un visionnaire. Mais, ainsi, les propriétés intellectuelles des idées restent intactes, et les formes que déploie le poète sont éminemment réceptives : le lecteur, selon sa puissance d’esprit, remplit ces symboles, aptes à contenir tout ce que le poète n’a pas pensé.

En réalité, V. Hugo a les gaucheries et les spontanéités de l’humanité primitive : sa raison obscure, troublée de mille problèmes, qu’elle ne peut résoudre ni manier en leur abstraction, les pose en images concrètes : il crée des mythes. Ce que les races lointaines ont fait dans les temps qui précèdent l’histoire, V. Hugo, au siècle de Comte et de Darwin, le répète avec aisance : le mythe est la forme essentielle de son intelligence. Sa volonté candide de penser ne laisse dans la nature aucun phénomène où il n’aperçoive la transcription sensible de quelque redoutable énigme ou d’une auguste vérité : toute sensation tend à devenir symbole, tout symbole à se développer en mythe. Absolument dénué du sens psychologique, il ne peut voir l’individu : un pauvre qu’il rencontre devient tout de suite le pauvre[11]. Toute métaphore dans une telle organisation évolue, s’organise, s’étend : l’objet propre ou l’idée première reculent ; et naïvement, spontanément il retrouve, dans ce pâtre promontoire qui garde les moutons sinistres de la mer[12], la forme d’imagination qui, sur les côtes tourmentées de la Sicile, avait animé l’informe Polyphème et la blanche Galatée.

Cette faculté fait que V. Hugo, le plus lyrique des romantiques, est en même temps le plus objectif[13]. Par ces aspirations au progrès, par ces revendications sociales, par ces élans de charité, de bonté, de pitié, de foi ou de colère démocratiques, sa poésie prend un autre objet que le moi du poète. Elle exprime les émotions d’un homme, mais des émotions d’ordre universel. Cela donne à son œuvre un air de grandeur et de noblesse qu’il serait injuste de méconnaître.

Il y a bien des violences, et des plus grossières dans les Châtiments : mais comme le sujet efface ou atténue les petitesses de l’auteur ! On croit entendre les clameurs d’un Isaïe ou d’un Ezéchiel : protestation du droit contre la force, affirmation de la justice contre la violence, espérance superbe de la conscience qui, blessée du présent, s’assure de l’éternité. Les plus belles pièces sont les plus impersonnelles, les plus largement symboliques[14].

La Légende des siècles traduit dans une forme objective et mythique la même conception humanitaire et démocratique dont les deux derniers livres des Contemplations, par leurs fougueuses apocalypses, donnaient l’expression lyrique.

On a parlé d’épopée à propos de la Légende des siècles : il faut s’entendre. Ces épopées n’ont rien de commun avec l’Iliade ou l’Énéide : il faudrait les comparer plutôt à la Divine Comédie ; la forme épique enveloppe une âme lyrique. Une idée philosophique et sociale soutient chaque poème : ici affirmation de Dieu ou de la justice, la dévotion au peuple, haine du roi et du prêtre. Le recueil, complété par deux publications postérieures, forme comme une revue de l’histoire de l’humanité, saisie en ses principales (ou soi-disant telles) époques ; c’est une suite de larges tableaux ou de drames pathétiques, où s’expriment les croyances morales du poète. Toutes ces épopées symboliques, non historiques, sont réellement des mythes, où les formes de la réalité, imaginée ou vue, ancienne ou contemporaine, s’ordonnent en visions grandioses et fantastiques. La précision pittoresque de certaines descriptions ne doit pas nous faire illusion : la plus simple, la plus vraie, la plus réaliste, est toujours une « légende morale »[15], le sujet apparent n’étant que l’équivalent concret du sujet fondamental.

V. Hugo, évidemment, a manqué de mesure, comme il a manqué d’esprit : visant toujours au grand, il a pris l’énorme pour le sublime, et il a été extravagant avec sérénité. Mais, hormis ce vice essentiel de son tempérament, il a été l’artiste le plus conscient, le plus sûr de lui. Il n’a pas toujours voulu sainement : il a toujours fait ce qu’il a voulu ; son exécution n’a jamais trahi sa conception.

Cette maîtrise se marque bien dans la composition de ses poèmes. Regardons les Châtiments : évidemment la table des matières est un trompe-l’œil. En donnant des titres à ses sept livres, comme il les donne, le poète veut nous faire croire à un ordre intelligible, qui s’évanouit dès qu’on feuillette le recueil. Il n’y a pas là de critique méthodique du programme politique et social de l’Empire : et c’est tant mieux. Mais laissons les formules qu’il attache comme des étiquettes sur chaque paquet de satires. La composition poétique est admirable. Le mélange des formes lyriques et narratives, des apostrophes directes et des symboles objectifs, la variété des tons et des rythmes préviennent le dégoût ou la fatigue du lecteur : avec quel art, parmi tant d’invectives virulentes, développe-t-il le vaste poème de l’Expiation ! avec quel art jette-t-il, au milieu des tableaux de meurtre, de persécution et de servitude, comme de larges taches de nature, claires dans cette ombre, et gaies dans cette horreur ! Comme il nous repose adroitement du Deux-Décembre tant de fois maudit par la vision sereine de Jersey, par la vision grandiose du désert[16] !

L’antithèse est le principe de la forme de V. Hugo, dans la composition d’un recueil ou d’un poème comme dans le détail du style. Il aime à dresser l’une contre l’autre deux parties symétriques, contraires de sens ou de couleur[17]. Une scène réaliste se termine en hallucination fantastique : un fait familier, trivial, s’élargit en symbole de l’infini ou de l’incompréhensible. Tout s’équilibre, et l’on sent partout une volonté consciente qui a déterminé les relations et les proportions des parties[18].

Même sûreté dans le maniement de la langue. V. Hugo a l’un des plus riches vocabulaires dont poète ait usé. Aucun mot technique ne l’effraie. Il aime les mots étranges, inconnus, pour les effets d’harmonie qu’on en peut tirer. Il sent le mot comme son, d’abord ; et de là son goût pour les noms propres, qui, avec un minimum irréductible de sens, font tout leur effet par leurs propriétés sensibles, par la sensation auditive qu’ils procurent. De là ces énumérations écrasantes dont il nous étourdit : sa vanité, de plus, s’y détecte dans une apparence de science qui produit l’impression d’un monstrueux pédantisme.

Toutes les valeurs, toutes les associations, toutes les combinaisons des mots lui sont connues. Il a la phrase tantôt plastique et nettement élégante, tantôt robustement sentencieuse et ramassée. Mais sa forme originale, c’est la métaphore continue. Seulement la métaphore chez lui n’est pas un procédé d’écrivain laborieux, c’est, comme je l’ai dit, l’allure spontanée de la pensée. Aussi, dès qu’il est maître du moins de son talent, la métaphore n’est-elle jamais banale chez lui : toujours rafraîchie à sa source, renouvelée par une sensation directe, elle peut être bizarre, ridicule, elle est toujours vraie et naturelle.

S’étant fait une loi rigoureuse de la propriété, de la particularité des termes, possédant le plus riche vocabulaire d’expressions locales et pittoresques, V. Hugo fait une dépense curieuse des adjectifs emphatiques, à sens indéterminé : étrange, horrible, effrayant, sombre, etc. Il les mêle aux mots techniques : c’est un moyen d’agrandir la réalité, de développer des images finies en symboles fantastiques. Il exécute cette opération avec une incontestable sûreté de main.

Je signalerai encore un autre procédé qui s’étale dans les trois recueils donnés après 1850 : c’est l’emploi du substantif en apposition : la marmite budget, le bœuf peuple, le pâtre promontoire, etc. Ordinairement respectueux de la langue, V. Hugo s’est obstiné pourtant dans cette tentative : c’est qu’elle répond à la constitution intime de son génie. Cette construction supprime le signe de comparaison, elle établit l’équivalence, l’identité des deux objets dont l’un va prendre la place de l’autre dans l’imagination et la phrase du poète. Cette opération verbale est le principe même de la création mythique.

Enfin, la puissance d’invention rythmique de V. Hugo apparaîtra aussi dans les trois recueils : on y verra comment les mots sonores se groupent en vers expressifs, avec quelle science la distribution des coupes dans le vers, l’ordonnance des strophes ou des parties dans la pièce règlent le mouvement, selon la nature du sentiment ou de la pensée, avec quelle justesse se fait presque toujours l’adaptation d’une certaine structure métrique au caractère du sujet. Il faudrait trop d’exemples pour mettre en lumière cette partie du génie de V. Hugo, et je ne puis ici que l’indiquer. On devra étudier la première Légende des siècles presque vers par vers, pour comprendre la délicatesse, la puissance et la variété des effets que le poète fait rendre à toutes les formes de vers, et particulièrement à l’alexandrin : c’est là qu’on devra chercher, en leur perfection, les types variés du vers romantique.

2. LA POÉSIE PARNASSIENNE.


Derrière le magnifique déploiement de V. Hugo, la poésie se transforme et suit le mouvement général de la littérature.

Le temps des exaltations passionnées est si bien fini que le plus impénitent des romantiques n’a pas plus de sentiment que les autres. Ame égale, sans fièvre et sans orages, esprit moyen, sans idées ni besoin de penser, Théodore de Banville [19] jongle sereinement avec les rythmes. C’est un charmant poète et bien original, chez qui sens, émotion, couleur, comique, tout naît de l’allure des mètres et du jeu des rimes. Chez ce fervent, le romantisme aboutit à la plus étincelante et stérile fantaisie [20]. Gautier mettait encore dans ses vers des sujets de tableaux : Banville n’y met rien, que des souplesses étonnantes de versification. Ce délicieux acrobate finit le romantisme. Après lui, rien : rien du moins que le délire d’invention verbale de M. Richepin, dont les prodigieux effets de vocabulaire et de métrique, dans le néant brutal du sens, représentent le dernier état du pur romantisme.

Vers 1850, la poésie est devenue moins personnelle, elle s’est imprégnée d’esprit scientifique ; elle veut rendre les conceptions générales de l’intelligence, plutôt que les accidents sentimentaux de la vie individuelle. La direction de l’inspiration échappe au cœur, est reprise par l’esprit, qui fait effort pour sortir de soi, et saisir quelque ferme et constant objet [21]. Au reste, le maître lui-même rend témoignage du changement des temps par les recueils qu’il envoie de son exil. Sa poésie, bien personnelle, enveloppe une poésie impersonnelle que d’autres dégageront. Bientôt aussi reparaîtra Vigny dans les saisissants symboles de ses œuvres posthumes (1864), qui enseignent à effacer le moi et la particularité de l’expérience intime.

Mais, à cette date, la détermination nouvelle de la poésie est achevée. Il faut, pour la surprendre en pleine transformation, nous arrêter à Baudelaire [22]. Je ne lui reprocherai pas d’avoir peu produit : ce peut être d’un sage autant que d’un stérile. Un petit volume peut contenir toute une âme, tout un esprit ; et loué soit qui se concentre, au lieu de se diluer. Le talent de Baudelaire est assez étroit et en même temps assez complexe. Il représente à merveille ce que j’ai déjà appelé le bas romantisme, prétentieusement brutal, macabre, immoral, artificiel, pour ahurir le bon bourgeois. Dans cet étalage de choses répugnantes, dans cette volonté d’être et paraître « malsain », dans ce « caïnisme » et ce « satanisme », je sens beaucoup de « pose » et la contorsion d’un esprit sec qui force l’inspiration. La sensibilité est nulle chez Baudelaire : sauf une exception. L’intelligence est plus forte, médiocre encore : sauf une exception. La puissance de la sensation est limitée : le sens de la vue est ordinaire. Baudelaire n’est pas peintre, et ses tableaux parisiens sont de la peinture inutile. Mais il a deux sens excités, exaspérés : le toucher et l’odorat[23].

L’idée unique de Baudelaire est l’idée de la mort ; le sentiment unique de Baudelaire est le sentiment de la mort. Il y pense partout et toujours, il la voit partout, il la désire toujours ; et par là il sort du romantisme. Son dégoût d’être ne paraît pas un produit de mésaventures biographiques : il se présente comme une conception générale, supérieure à l’esprit qui se l’applique [24]. Obsédé et assoiffé de la mort, Baudelaire, sans être chrétien, nous rappelle le christianisme angoissé du xve siècle : par une propriété de son tempérament, la mort qui est sa pensée, la mort qui est son désir, c’est la mort visible en la pourriture du corps, la mort perçue sur le cadavre par l’odorat et le toucher. Une originale mixture d’idéalisme ardent et de fétide sensualité se fait en cette poésie.

L’artiste est puissant. Laborieux, raffiné, parfois prosaïque, souvent prétentieux, il vise à la perfection, et il y atteint plus d’une fois. Il aime les formes sobres, pleines, solides, le vers large, signifiant, résonnant [25]. Sa forme préférée est le poème symbolique, court et concentré ; parfois, de, la plus banale idée, il fait un poème saisissant par la nouveauté hardie du symbole [26].

Par sa bizarrerie voulue et provocante, mais aussi par sa facture magistrale, Baudelaire a exercé une influence considérable : ne lui reprochons pas les sots imitateurs qu’il a faits ; c’est le sort de tous les maîtres.

Nous saisissons encore l’évolution du romantisme chez Louis Bouilhet [27] : vestiges de passion orageuse, exotisme effréné dans l’orientalisme et la chinoiserie, fantaisie capricieuse des rythmes, voilà le romantisme ; mais essai de restitution érudite de la vie romaine, effort pour saisir la vie contemporaine en sa réalité pittoresque, et surtout sérieuse tentative pour traduire en poésie les hypothèses de la science, voilà les directions nouvelles vers l’art objectif et impersonnel. Le petit volume de Bouilhet est un témoin curieux des impulsions incohérentes auxquelles obéissaient entre 1850 et 1860 les talents secondaires qui n’avaient pas la force de s’affranchir et de s’orienter une bonne fois.

Venons aux maîtres en qui s’exprime le besoin nouveau des esprits. Dès 1853, M. Leconte de Lisle [28] a trouvé sa voie dans les Poèmes antiques que suivront les Poèmes barbares (1862). Ce poète est un érudit ; il traduit Homère, Eschyle, Sophocle, Horace, et il est intéressant de constater ce retour à l’antiquité grecque qui coïncide avec l’effort pour objectiver le sentiment lyrique. Il demande à l’érudition la matière de sa poésie : ses poèmes sont une histoire des religions. Il raconte toutes les formes qu’ont prises dans l’humanité le rêve d’un idéal, la conception de la vie universelle, de ses causes et de ses fins : légendes indiennes, helléniques, bibliques, polynésiennes, scandinaves, celtiques, germaniques, chrétiennes, tous les dieux et toutes les croyances défilent devant nous et se caractérisent avec une étonnante précision[29].

Le poète n’est pas, comme on l’a dit, un impassible. C’est un désespéré. Il regarde la vie avec une tristesse qui nait d’un absolu, d’un incurable pessimisme. Tout est illusion, écoulement sans fin de phénomènes ; rien ne s’arrête, rien n’est, pas même Dieu. Il n’y a que la mort. En certains endroits, un accent personnel se laisse sentir, et certain appel à la mort, certaine effusion de pitié sur les vivants, nous découvrent l’âme douloureuse du poète. Mais ces élans de sensibilité sont aussitôt comprimés qu’aperçus.

Au lieu de crier en pur lyrique ses incertitudes ou ses angoisses, M. Leconte de Lisle a préféré les dérober derrière les incertitudes et les angoisses de toute l’humanité, dont son mal est le mal. De là, ce défilé des dieux et des religions qui sont les formes par où l’humanité tente toujours de tromper son ignorance et d’éterniser sa brièveté ; mais ces formes elles-mêmes passent, portant témoignage de l’universel écoulement et de l’éternelle illusion, démasquant le néant dans leur mélancolique succession.

Comme Vigny, et par un effet analogue du pessimisme, M. Leconte de Lisle aime les fugitives apparences de l’être. Il regarde, il saisit la vie universelle en tous ses accidents. De chaque phénomène, il fixe la particulière beauté ; et ainsi le poëte des religions se double d’un peintre de paysages et d’animaux. Les descriptions de M. Leconte de Lisle sont puissamment objectives, d’une intensité de couleurs, d’une énergie de reliefs[30], à quoi rien dans la poésie contemporaine ne saurait se comparer. La personnalité du poète ne s’affirme plus que par l’élection de la forme : une forme belle et large, impeccable et précise, aveuglante parfois à force d’éclat, dure aussi à force de fermeté. Cette poésie, en sa continue perfection, a des reflets, un grain, une solidité de marbre.

V. Hugo était absent : M. Leconte de Lisle, après ses deux admirables recueils, fut le maître incontesté de la poésie française ; autour de lui se groupèrent un certain nombre de jeunes poètes, qui prirent le nom de Parnassiens, lorsque l’éditeur Lemerre publia leurs vers dans le recueil du Parnasse contemporain[31]. Chacun y apporta son tempérament original, sa force de sentiment ou de pensée : le trait commun de l’école fut le respect de l’art, l’amour dés formes pleines, expressives, belles. Tous ont une remarquable science de la facture, et si parfois la matière semble maigre ou vile dans leurs œuvres, il faut reconnaître que presque tous ont dit en perfection ce qu’ils avaient à dire. Il n’en est guère qui, grâce à la probité du métier, n’aient eu la bonne fortune de donner la forme qui dure à quelque sujet bien rencontré ; et l’on formera, l’on a formé déjà de charmantes anthologies, où tout est de premier ordre, parce que chacun fournit très peu.

Mais nous ne pouvons regarder ici que les chefs de file pour ainsi dire, ceux qui se séparent par une énergique originalité, ou dont l’impérieux exemple indique des directions nouvelles.

M. Sully Prudhomme[32] est un philosophe, et il a voulu donner à la poésie philosophique plus de rigueur, plus d’exactitude qu’elle n’en a jamais eu. Il a en effet apporté dans l’expression des idées une netteté, dans la suite des raisonnements un ordre, dans l’exposition des doctrines une précision qu’on ne retrouverait pas ailleurs. Et la philosophie qu’il présente, tout imprégnée de science, attentive aux découvertes, aux hypothèses de l’histoire naturelle, de la physique, est bien une philosophie d’aujourd’hui. A la métaphysique joindre la science, cela est d’un poète que la difficulté n’effraie pas.

Après avoir traduit le premier livre de Lucrèce, pour se faire la main, M. Sully Prudhomme a fait un poème sur la Justice : il la cherche dans l’univers, qui lui montre partout la lutte, la haine, la faim ; il ne la trouve enfin que dans la conscience de l’homme. Pour ces hautes conceptions, le poète a choisi une forme étriquée et raffinée : d’un bout à l’autre s’égrènent des sonnets alternant avec quatre quatrains. Plus heureuse est l’épopée symbolique du Bonheur : ni les sens, ni la pensée, ni la science ne donnent le bonheur ; il est uniquement, absolument dans le sacrifice. Sans, doute la force de l’idée, la logique du raisonnement font obstacle parfois à la poésie et imposent aux vers une précision de prose scientifique. N’était la valeur de la pensée philosophique, on croirait par endroits lire un discours de Voltaire. Cependant il y a dans ces poèmes d’admirables choses ; surtout dans le Bonheur, l’idée se fond dans le sentiment, s’enveloppe dans le symbole ; une poésie subtile, vaporeuse sans être nuageuse, précise sans être abstraite, saisit à la fois l’imagination et l’intelligence.

Cependant M. Sully Prudhomme a réussi plus constamment dans la courte méditation qui réalise par une image gracieuse ou touchante quelque vérité philosophique, un fait de notre vie morale, une loi de la vie universelle. Rien de plus achevé, de plus neuf que ces petites pièces, la Mémoire, l’Habitude, les Chaînes, la Forme : il faudrait citer presque tout le recueil. M. Sully Prudhomme a de profondes tendresses et d’abondantes pitiés, qui naissent en lui d’un pessimisme délicat et pénétrant. Ni cri, ni révolte, ni tension même : une tristesse douce et discrète, toute en demi-teintes, un vif sentiment de l’humaine misère, une déploration sans violence des êtres et des formes qui passent. Quelles sont les expériences intimes qui donnent un tel accent de sincérité à cette poésie raffinée ? Je ne sais, et le poète ne laisse guère entrevoir sa vie dans son œuvre. Il a un esprit de généralisation, qu’il applique même aux faits de sa sensibilité ; il ne s’arrête qu’aux émotions où transparaît quelque servitude ou quelque aspiration de l’impersonnelle humanité ; mais ces généralités sentimentales ne sont pas des lieux communs, et ces poèmes exquis notent je ne sais combien de fines nuances d’impressions, l’ont apparaître je ne sais combien d’invisibles forces morales.

Avec M. Leconte de Lisle, la poésie fuit vers l’archéologie et l’histoire : avec M. Sully Prudhomme, elle s’allie à la philosophie et à la science[33]. Une troisième direction reste, dans laquelle la poésie objective peut se trouver : elle consiste à recevoir de la perception extérieure la matière des vers, en sorte que le moi n’y contribue que par sa représentation du non-moi. Parallèlement au roman naturaliste peut se développer une poésie naturaliste, tout appliquée à rendre les aspects de la vie familière, de la réalité vulgaire, même triviale, même laide.

La voie fut décidément ouverte par M. E. Manuel[34] qui tenta d’enfermer dans de petits tableaux, discrètement teintés d’émotion, les mœurs du peuple parisien, les scènes de la rue et de l’atelier ; mais l’idéalisme du poète le condamnait à dérober une partie de ses modèles derrière la noblesse de son propre sentiment. Dans ce genre, M. Coppée[35] s’est acquis le nom d’un maître. Moins artiste que Gautier, sans être plus penseur, il avait débuté par des mièvreries sentimentales, dont les formes travaillées ont je ne sais quel aspect de bijouterie fausse. Puis il a visité les faubourgs, les usines, les gares, la banlieue parisienne ; il a frôlé la vie populaire ; il s’est constitué le poète des formes humbles de la nature et de l’humanité. La tentative était intéressante : par malheur, on ne trouve dans les vers de M. Coppée ni la sincère énergie ni la large pitié que de tels sujets exigent. Le souffle est court ; l’artifice littéraire est trop sensible. L’œuvre reste laborieusement prosaïque, et l’intensité de l’impression réaliste n’y compense pas la sécheresse poétique.

La poésie réaliste, si elle est possible, n’a pas rencontré d’homme : il faut en chercher les esquisses éparses un peu partout dans les vers de ces vingt dernières années, surtout dans quelques pièces de Maupassant[36] ou de Verlaine[37] : disons aussi, pour être juste, çà et là, par hasard, dans la Chanson des Gueux[38].

  1. Biographie : Victor Hugo, fils du général Hugo, né à Besançon en 1802, suivit son père en Italie, en Espagne, fut quelque temps élevé au séminaire des nobles à Madrid ; à Paris, il vécut avec sa mère dans cette maison des Feuillantines qu’il a chantée. Lauréat aux Jeux Floraux de Toulouse en 1819, pensionné par Louis XVIII après les Odes, il se marie jeune. Pair de France sous Louis-Philippe, député de Paris en 1848, exilé au 2 Décembre, il est devenu républicain et démocrate vers 1850 : il avait été d’abord légitimiste, puis libéral, très bien vu de la maison d’Orléans. Ses changements d’opinions sont tout à fait légitimes : il eut le tort de vouloir les dissimuler, et de recourir à toute sorte de falsifications de ses propres écrits pour mettre après coup l’unité dans sa vie et dans ses convictions. Rentré en France après le 4 septembre 1870, il mourut en 1885 : ses funérailles furent une apothéose. Ses principales œuvres poétiques sont les Odes (1822) ; autre éd. (1826), les Orientales (1829) ; les Feuilles d’automne (1831) ; les Chants du crépuscule (1835) ; les Voix intérieures (1837) ; les Rayons et les Ombres (1840) ; de 1853 à 1859, les trois recueils cités ci-dessus ; les Chansons des rues et des bois (1865) ; L’Année terrible (1872) ; deux nouveaux recueils de la Légende des siècles (1877 et 1883) ; L’Art d’être grand-père (1877) ; les Quatre Vents de l’esprit (1881).

    Éditions : Œuvres complètes, éd. définitive, Hetzel-Quantin, 48 vol. in-8, 1880 et suiv. ; Hetzel et Cie, in-16 (en cours de public, depuis 1889). Éd. nationale illustrée, pet. in-4 (en cours de public, depuis 1889). Œuvres posthumes (en cours de public, depuis 1886). Correspondance, Calmann-Lévy, 2 vol. in-8, 1896-1898. Lettres à la fiancée, 1901.

    À consulter : E. Biré, V. Hugo avant 1830, 1 vol. in-18, 1883 ; V. Hugo après 1830, 2 vol. in-18, 1891 ; V. Hugo après 1852, 1 vol. in-18, 1894. E. Dupuy, V.Hugo, l’homme et le poète, in-18, 1887. L. Mabilleau, V. Hugo (Gr. Écr. français), in-16, 1893. Renouvier, V. Hugo, le poète ; le philosophe, in-18, 1893-1900. E. Faguet, xixe siècle. F. Brunetière, Évolution de la p. lyrique, 5e et 11e leç. Guyau, l’Art au point de vue sociologique. P. et V. Glachant, Papiers d’autrefois, 1899. E. Rigal, V. Hugo poète épique, 1900. G. Simon. L’enfance de V. Hugo, 1904.

  2. Ce portrait me paraît aujourd’hui avoir besoin de rebouches. Il a été écrit sous l’influence du réquisitoire artificieux et fortement documenté de Biré. Les publications de documents et surtout de lettres, qui ont été faites en ces dernières années, ont tourné en général à l’avantage du caractère de Victor Hugo. Je suis d’autre part de plus en plus sensible à sa poésie : soit que je m’habitue à ses défauts et ses outrances, soit que mon goût s’élargisse, je l’accepte mieux qu’autrefois tel qu’il est, et j’y trouve de plus en plus de choses qui me saisissent et me touchent. Pour comprendre la prise que put avoir V. Hugo sur le public, il faut lire les Souvenirs (2 vol., 1908-9) de ce bourgeois de Paris modéré, curieux et intelligent qui s’appelle Henry Boucher (11e éd.).
  3. Pourquoi ne voulais-je pas croire qu’il fût simplement poli, par éducation, et par un gout sincère ? (11e éd.).
  4. Avec des vertus bourgeoises aussi (11e éd.).
  5. Contemplations, éd. défin., in-8, t. I, p. 156. — Peut-être fut-il surtout gauche dans l’expression des sentiments tendres, plutôt qu’insensible. On ne peut douter de la sincérité des Lettres à la Fiancée, si verbeuses pourtant et emphatiques (11e éd.)
  6. Ibid., liv. IV, Pauca meæ.
  7. Symboliques déclarations d’amour à l’araignée, à l’ortie, au crapaud.
  8. De ce côté sa sensibilité fut certainement très étendue. Avec tout son orgueil ses rancunes et ses attitudes théâtrales, il a cru profondément aux grands lieux communs de clémence et de bonté qu’il annonçait : il a essayé parfois de les vivre ; il a ou des postes généreux ; dans ses rapports avec Sainte-Beuve, il mit avec quelque apprêt une vraie noblesse. Nous devons en prendre notre parti : Victor Hugo n’a pas la simplicité aisée du propos et des manières. Mais il y a autre chose chez lui que la pose et le panache (11e éd.).
  9. Oui, je le crois encore. Mais l’intelligence qui définit et raisonne n’est pas l’unique forme de l’intelligence. V. Hugo est intelligent comme un primitif : il pense par fragments juxtaposés de sensations, par séries d’images associées qui défilent. Il est médiocrement érudit, et juge à tort et à travers les doctrines qu’il a mal étudiées. Mais je ne pais plus douter qu’il n’y ait bien de la finesse et parfois de la profondeur dans ses idées littéraires : si l’on prend la peine d’analyser les métaphores, d’ouvrir les symboles sans lesquels V. Hugo ne peut penser, on y trouvera souvent de très précises et intéressantes intuitions sur l’esthétique du style ou du vers (11e éd.).
  10. Cependant c’est un fait que la pensée philosophique de V. Hugo a été méprisée surtout par les purs lettres : des philosophes tels que Goyan et surtout Renouvier l’ont estimée. Des études si originales de Renouvier il résulte que V. Hugo se sert des idées et des systèmes pour donner des expressions à ses sentiments : il incarne successivement ses états de conscience dans les doctrines les plus diverses, christianisme, spiritualisme, panthéisme, manichéisme, etc., selon que chacune d’elles fournit plus justement une formule à l’émotion ou à l’aspiration intérieure du poète. Il n’adhère à aucune philosophie, il les emploie toutes à manifester les tendances de son esprit et de son cœur. Renouvier admire la sûreté avec laquelle V. Hugo a trouvé les images os capables de représenter les conceptions abstraites des philosophes (11e éd.).
  11. Contempl., t. II, p. 118.
  12. Ibid., T. II, p. 154.
  13. Il intéresse plus les philosophes que Lamartine et surtout Musset. Cf. Guyau et Renouvier.
  14. Après la bataille ; la Caravane ; l’Expiation.
  15. Les Pauvres Gens (cf. le thème directement traité dans Oceano Nox).
  16. Châtiments, p. 105 et p. 392.
  17. Dans les Châtiments : Toulon ; À un Martyr. Dans les Contempl., t. I, p. 242.
  18. Contempl., t. II, p. 117, le Mendiant. Chansons des rues et des bois, le Semeur ; Art d’être grand-père, Mise en liberté.
  19. Théodore de Banville (1823-91), Cariatides (1842) ; Stalactites (1846) ; Odelettes (1857) ; Odes funambulesques (1857) ; les Exilés (1867) ; Gringoire (en prose, 1866), Socrate et sa femme (1885), comédies ; Petit traité de poésie française (1872) ; Mes souvenirsÉditions : Lemerre, pet. in-12, 9 vol. Poésies complètes, Charpentier, 3 vol. in-18, 1878-79 ; Mes souvenirs, Charpentier, 1882.
  20. Je ne puis aujourd’hui trouver ce jugement erroné ; mais je le formulerais avec moins de dureté. Après tout, un poète n’est pas obligé de penser ; et Banville est un vrai artiste, dont la place est importante dans l’histoire de la technique du vers : c’est quelque chose (11e éd.).
  21. Cela est très sensible chez Victor de Laprade, philosophe autant que poète, tour à tour platonicien spiritualise, naturaliste mystique, idéaliste chrétien, et partout subordonnant l’émotion à la pensée. Psyché (1841), Odes et poèmes (1843), Poèmes évangeliques (1852), Symphonies (1855), Idylles héroïques (1857), Voix du silence (1865), Pernette (1868), Poèmes civiques (1873), le Livre d’un père (1876). — Entre 1830 et 1840, la tendance à échapper au lyrisme personnel s’était marquée par les épopées symboliques, Ahasverus, Jocelyn, la Chute d’un ange : la métaphysique servit de transition entre l’égoïsme passionnel et le naturalisme. Le moi se masque au moins, s’il n’est pas supprimé, dans la forme épique (11e éd.).
  22. Charles Baudelaire (1821-1867), traducteur d’Edgar Poë. — Éditions : les Fleurs du mal (1857 et 1861). Œuvres posthumes et Corr. inédite, publ. p. E. Crépet, 1887. — Lettres, 1906 ; Œuvres posthumes, 1908. — A consulter : P. Bourget, Essais de psychologie contemporaine ; Brunetière, la Statue de Baudelaire, Rev. des Deux Mondes, 1er sept. 1892 ; C. Mauclair, Baudelaire, 1917.
  23. Cf. ses « chats » définis par le contact et le parfum. Et toutes les notations d’odeurs.
  24. « La poésie de M. Baudelaire est moins l’épanchement d’un sentiment individuel qu’une ferme conception de son esprit. » (Barbey d’Aurevilly.) — Cependant voici un aveu de l’auteur (Lettres, p. 522) : « Faut-il vous dire, à vous qui ne l’avez pas plus deviné que les autres, que dans ce livre atroce, j’ai mis tout mon cœur, toute ma tendresse, toute ma religion (travestie), toute ma haine ? Il est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai mes grands dieux que c’est un livre d’art pur, de singerie, de jonglerie, et je mentirai comme un arracheur de dents » (11e éd.).
  25. Un appel de chasseurs perdu dans les grands bois.
  26. L’Albatros. On saisit le procédé dans les Phares.
  27. Louis Bouilhet (1822-1869). Mélænis, conte romain, paru en 1851 ; Festons et Astragales, 1859 ; Dernières chansons avec préface par G. Flaubert, 1872 ; Œuvres (poésies), Lemerre, pet. in-12.
  28. Leconte de Lisle (1820-1894), né à la Réunion, s’arrêta un moment dans le Fouriérisme. Poèmes antiques (1853) ; Poèmes barbares (1859) ; Poèmes tragiques (1884) ; Derniers poèmes (1895) ; Premières poésies et lettres intimes (1902). — Édition : Lemerre, in-8, et pet. in-12. — A consulter : P. Bourget, Essais de psychologie contemporaine ; Brunetière, Évol. de la poésie lyrique, 13e leçon ; F. Calmettes, Leconte de Lisle et ses amis, s. d. ; Marius Ary Leblond, Leconte de Lisle, 1906 ; Vianey, les Sources de Leconte de Lisle, 1907 ; Elsenberg, le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909 ; J. Dornis, Leconte de Lisle, 1909.
  29. À côté de Leconte de Lisle, comme son ami, et son introducteur au panthéisme, à l’antichristianisme, à l’hellénisme, il faut signaler cet original et parfois délicieux Louis Ménard, trop philosophe pour un poète et trop poète pour un philosophe, érudit plus que ne le sont à l’ordinaire les poètes et les philosophes, esprit un peu encombré de sa richesse, et ployant sous son originalité : il ne sut pas créer la forme souveraine qui l’eût mis au premier rang dont sa fine intelligence était digne. Édition : les Rêveries d’un païen mystique, 1870, réimp. p. Massis, 1909.À consulter : Ph. Berthelot. Louis Ménard et son œuvre, 1902 (11e éd.).
  30. Midi. Le Sommeil du Condor, Les Éléphants, etc.
  31. Le Parnasse contemporain, 1866, 1869 et 1876, 3 séries : cf. Th. Gautier, Rapport sur le progrès de la poésie depuis 1830.
  32. M. Sully Prudhomme (1839-1908). Stances et poèmes, 1865 ; Solitudes, 1869 ; Vaines Tendresses, 1875 ; la Justice, 1878 ; le Bonheur, 1888 ; Testament poétique, 1901 ; la Vraie Religion selon Pascal, 1905. — Éditions : Lemerre, in-18, et pet. in-12. — 'À consulter : Brunetière, Évol. de la poésie lyr., 14e leçon. Zyromsky, Sully Prud’homme, 1907.
  33. Madame Ackermann (1813-1890) a exprimé avec plus d’énergie que d’art l’amer pessimisme d’une âme qui ne peut ni échapper ni se résigner à une conception irréligieuse et positive de l’univers. Poésies, Lemerre, 1874, pet. in-12.
  34. M. E. Manuel, né en 1823. Pages intimes (1866) ; Poèmes populaires (1871) ; Pendant la guerre (1872). — Édition : Calmann-Lévy.
  35. M. François Coppée, né en 1842. Reliquaire (1866) ; Intimités (1868) ; la Grève des forgerons (1869) ; les Humbles (1872) ; Promenades et intérieurs (1872) ; Poésies (1879) ; Contes en vers (1881 et 1887) ; dans le théâtre de M. Coppée, le Passant (1869), où se révéla Mme  Sarah Bernhardt. — Éditions : Lemerre, in-18 et pet. in-12 ; éd. in-4 ; ed. illustrée in-8.
  36. « Au bord de l’eau » (le début), dans Des vers.
  37. « Le Pitre » ou « l’Auberge », dans Jadis et Naguère.
  38. M. J. Richepin a donné la Chanson des Gueux (1876) ; les Blasphèmes (1884) ; la Mer (1886) ; Mes Paradis (1894) ; des romans et des drames. — Édition : M. Dreyfous, in-18.