Histoire de la maladie des pommes de terre en 1845/Chap VIII

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Chapitre VIII - Caractères généraux.
— État des plantations des pommes de terre
dans les environs de Bruxelles.


CHAPITRE VIII


Caractères généraux.


État des plantations des pommes de terre dans les environs de Bruxelles.


J’emprunte le relevé suivant à l’excellent et consciencieux rapport de M. le docteur Dieudonné. Cette statistique, instructive par la variété de pommes de terre qu’elle nous présente, nous donnera en outre une idée de l’aspect des campagnes et des ravages incroyables qu’a faits l’épidémie sur un espace très resserré. Le sol bien amendé sur lequel la commission a d’abord fixé son attention appartient à un terrain d’alluvion analogue à celui du bois de Boulogne, de la plaine du Point-du-Jour, de la presqu’île de la Marne, etc. C’est, en un mot, un terrain sablonneux mêlé de cailloux roulés.

« Premier champ. — Pommes de terre blanches hâtives ; elles sont en fleur ; toutes les sommités sont flétries, desséchées ; les feuilles sont noires ; les tiges présentent de nombreuses taches brunes et cassent comme du verre au niveau de ces taches ; les tubercules étaient assez développés et sains. Ce champ n’était pas complétement noir, les plantes étant encore assez bien garnies de feuilles vertes. Les deux premières rangées de tiges bornant la plantation au nord ont beaucoup plus souffert et sont complètement noires et desséchées.

« Deuxième champ. — Pommes de terre rouges tardives, commençant seulement à fleurir ; beaucoup plus malades que les précédentes, elles n’offrent plus que très peu de feuilles saines ; les tiges sont fortement tachées ; les tubercules ont la grosseur d’une cerise et sont sains. Plusieurs plantes commencent à repousser assez vigoureusement du pied.

« Troisième champ. — Pommes de terre blanches précoces, en fructification avancée ; les tiges sont peu tachées ; les tubercules sont sains et d’une grosseur ordinaire.

« Quatrième champ. — Pommes de terre rouges tardives, n’ayant pas encore fleuri ; symptômes semblables à ceux du n° 2 ; tubercules sains, mais petits. Quelques tiges sont garnies de nouvelles pousses.

« Cinquième champ. — Pommes de terre blanches précoces, en état de maturité. On est occupé à arracher. Le propriétaire déclare qu’elles sont de moitié moins grosses et moins nombreuses que les autres années. Les tiges sont peu attaquées et les tubercules sont sains.

« Sixième champ. — Pommes de terre blanches en fructification ; tiges peu tachées ; tubercules petits, mais sains ; sol sablonneux très maigre.

« Septième champ. — Pommes de terre blanches précoces ; tiges très peu tachées et assez bien pourvues de feuilles saines ; tubercules beaux et sains.

« Huitième champ.— Pommes de terre blanches précoces en état de maturité ; tiges fortement tachées presque totalement effeuillées ; tubercules petits, mais sains.

« Neuvième champ. — Pommes de terre blanches tardives ; en fleur ; les tiges sont en général saines et assez bien garnies de feuilles saines, mais toutes les sommités sont grillées. Les pommes de terre situées à la partie supérieure du champ ont beaucoup plus souffert. Les tubercules sont peu développés et sains ; cependant on en rencontre un assez bon nombre présentant à leur surface de petits points blancs de la grosseur d’une graine de pavot, constitués par de petits amas de fécule, phénomène assez fréquent dans les années humides et sans aucune conséquence fâcheuse si les pluies ne sont pas abondantes et continues.

« Dixième champ. — Pommes de terre rouges tardives ; les tiges sont très malades et complètement grillées ; les tubercules sont très petits, et plusieurs présentent des taches. Terrain rempli de galets et placé au sommet de la colline.

« Onzième champ. — Pommes de terre blanches tardives, n’ayant pas encore fleuri ; sommet des tiges grillé ; tiges tachées ; tubercules petits ; quelques-uns sont tachés.

« Douzième champ. — Pommes de terre rouges tardives. Toute la plantation paraît frappée de mort ; çà et là on rencontre encore une plante offrant quelques parties vertes ; si l’on arrache celles qui présentent le meilleur aspect, on ne trouve sous terre que quelques rares tubercules ayant à peine quelques millimètres de circonférence. Tous les autres individus sont totalement dépourvus de tubercules, et si petits que soient ceux qu’on observe, ils présentent déjà des taches.

« Du point où nous sommes arrivés, dit M. Dieudonné, on embrasse un vaste horizon, et de quelque côté qu’on porte les regards, on n’aperçoit partout, au milieu de plaines d’un aspect sombre, que d’immenses taches noires. Ces immenses taches noires, ces tristes plaines, sont des champs entiers, et souvent d’une étendue considérable, d’où toute trace de végétation a disparu et où l’on ne trouve plus que des fanes noires desséchées. »

Le nombre de plantations observées ainsi en détail par la commission du comité central de salubrité publique s’élève à quarante-huit. Partout les champs ont à peu près fourni les mêmes résultats. Cependant, dans certaines localités basses, les tubercules se sont trouvés plus nombreux et plus développés. Cette différence paraît tenir à différentes causes, soit à une époque plus précoce, soit à ce que, près de certains villages, les parcelles de terrains se trouvaient abritées par d’épais rideaux de verdure auxquels M. Ornalius d’Halloy attribuait la préservation de ses champs de pommes de terre.

Il résulte enfin des recherches de la commission d’enquête que toutes les campagnes des environs de Bruxelles ont subi à peu près le même sort ; que toutes les variétés de pommes de terre ont été indistinctement atteintes, mais à des degrés différents, il est vrai, suivant l’époque de la plantation, selon l’exposition et la nature du terrain ; que les pommes de terre précoces, quoique en général moins grosses et moins nombreuses qu’à l’ordinaire, ont aussi moins souffert que les variétés tardives qui, dans certaines localités, n’ont même point produit de tubercules ; que la récolte enfin a été nulle, ou équivalente tout au plus au dixième d’une récolte ordinaire.

Ce triste exposé, puisé dans le rapport de M. Dieudonné, est conforme à ce qu’on a constaté en Hollande ; mais peut-être doit-il quelque chose à l’impression douloureuse sous laquelle il a été écrit ?