Histoire de la maladie des pommes de terre en 1845/Chap X

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Chapitre X - De la conservation des tubercules.



CHAPITRE X.


De la conservation des tubercules.


Les commissions chargées, en Hollande et en Belgique, de l’examen des questions relatives à la maladie des pommes de terre, et la commission de Paris, ayant pour organe M. Payen, ont exprimé au sujet de la conservation des tubercules les idées les plus sages ; elles ont cru devoir donner, en effet, la préférence à celles de ces méthodes qui seraient d’un emploi facile et peu coûteux pour la généralité des cultivateurs ; d’acçord sur les points principaux avec les cultivateurs, elles recommandent :

1° De laisser les tubercules exposés au soleil et à l’air libre, sur le champ où ils auront été récoltés ; de les étaler après avoir effectué un premier triage ;

2° De les transporter dans une cour ou un jardin, si le temps est favorable, de les y amonceler en tas peu élevés, de manière à procéder avec facilité à un second triage ;

3° De les rentrer ensuite dans un lieu sec, couvert, sombre et suffisamment aéré (remises, granges, hangars, etc.), où on les étalera en lits de la moindre épaisseur possible, afin qu’ils puissent se ressuyer et perdre l’excès de leur eau de végétation. On opérera, après quelques jours, un nouveau triage et on déposera les tubercules sains, le plus tard possible, mais toujours avant l’époque des gelées, dans une cave sèche, peu ou point éclairée.

L’ensilotage comme moyen de conservation ne paraît pas avoir obtenu l’assentiment des cultivateurs. On lui objecte de s’opposer au triage facile des tubercules, et par suite de ne pouvoir les employer au début de leur altération. Les silos dits africains et munis au fond d’un puits d’écoulement n’ont pas produit de meilleurs résultats. La commission belge s’est accordée à regarder, d’après diverses expériences, l’ensilotage comme plus dangereux qu’utile. L’humidité, en effet, exerce une très nuisible influence sur les tubercules légèrement avariés ; elle entraîne cette année la pourriture. Ainsi, des tubercules récoltés dans un même champ ayant été placés à peu près par moitié, les uns dans un lieu sec et aéré, les autres dans une cave humide, les premiers se sont conservés presque complètement, un tiers des seconds a été gâté. A Belfort, un jour de pluies abondantes a suffi pour porter d’un vingtième à un tiers les ravages opérés sur les tubercules exposés à la pluie.

M. Stas a fait des observations semblables ; il a vu la maladie étendre d’autant plus ses ravages que les tubercules se trouvaient placés après leur récolte dans un lieu plus humide. Ainsi, dans de la terre desséchée ou dans un lieu sec et bien aéré, les progrès du mal ont été très lents et se sont même limités naturellement ; la portion malade se contracte en effet, se relire pour ainsi dire sur elle-même et se détache de la portion saine. Partant de cette observation, M. Lindley a conseillé de placer les tubercules par lits alternatifs de terre bien séchée ou de cendres, de manière à arrêter les progrès de la maladie, à compléter la maturation des tubercules, imparfaite au moment de la récolte, à fournir par suite aux pommes de terre une partie des qualités qui leur manquent, et arrêter enfin par le contact de cette terre desséchée la tendance extraordinaire que manifestent la plupart des tubercules à produire déjà des bourgeons à cette époque de l’année.

Un des membres de la commission belge a conservé parfaitement sa récolté jusqu’à ce jour en roulant les pommes de terre dans la poussière et en les disposant par couches de 0m,25 à 0m,30 d’épaisseur.

Ce serait, sans doute, ici le lieu de traiter de l’action du chaulage, soit comme moyen de conservation, soit comme engrais, mais je rencontre à l’égard de ce procédé les opinions les plus contradictoires. Tandis que M. Morren le recommande, à l’exemple des agriculteurs anglais, comme un moyen infaillible de détruire les germes des moisissures et de remplacer avantageusement le fumier, d’autres agronomes ont cru devoir se prononcer contre son efficacité. Entre deux opinions aussi opposées, l’une et l’autre sans doute beaucoup trop absolues pour être généralisées, il paraît ressortir clairement des faits observés que si le chaulage n’a pas toujours répondu, cette année, à l’attente de l’expérimentateur, il a du moins produit en certains lieux des avantages qui suffisent pour fixer sérieusement l’attention de nos agriculteurs.

En général, on le conçoit, les moyens de conservation ont dû nécessairement varier suivant les théories admises pour expliquer la cause initiale de l’affection. Cependant on s’accorde généralement à recommander les moyens de dessiccation pour la conservation des tubercules avariés. Un jour d’exposition au soleil ou au grand air, la disposition par couches peu épaisses, sous hangars ou dans des greniers bien aérés, ont produit partout de bons résultats. Je conserve depuis deux mois, dans un lieu sec, des tubercules très avariés, chez lesquels les parties brunes se sont circonscrites et se sont arrêtées sans nuire au tissu voisin. Des tubercules putrilagés se sont desséchés complètement par la simple exposition au soleil sur une dalle i je ne connais enfin qu’un très petit nombre d'exemples de tubercules qui se soient pourris après avoir été placés dans un endroit sec ; je dis plus, j'ai déposé le 5 septembre, dans un cellier très obscur, sur du sable de rivière, des tubercules malades qui, aujourd'hui, ne présentent aucune nouvelle altération. C'est, du reste, le procédé suivi en Allemagne, et récemment recommandé dans la circulaire publiée par la Société industrielle de Mulhouse. Ainsi, avant de rentrer les pommes de terre, il sera bon de les étendre dans des granges ou dans des greniers, en établissant des courants d'air, afin de les sécher autant que possible.

Le sel marin, préconisé par plusieurs personnes, et récemment encore par quelques agronomes anglais, doit être rejeté. Des expériences faites par M. Melsens, d'après les données de M. Dumas, ont démontré que ce sel déterminait en vingt-quatre heures la putréfaction des tubercules avariés.

M. Boussingault, dans un des derniers cahiers des bulletins de la Société d'agriculture, a proposé un procédé applicable à la conservation des tubercules malades. Ce procédé consiste à faire cuire les tubercules à la vapeur, et, pendant qu'ils sont chauds encore, de les tasser très fortement et par couches peu épaisses, dans un tonneau ouvert. Quand le tonneau est plein, on le démonte, et on obtient une masse cylindrique qui, bien qu'exposée à l'air, mais à l'abri de la pluie, se conserve pendant plusieurs mois sans altération. Ce moyen, recommandé par un savant dont le nom est d'une si grande autorité, aurait été d'un immense avantage en Belgique où, comme l'a fait remarquer M. Dieudonné, on a été condamné à adopter non le moyen qui pouvait sauver toute une récolte, mais celui qui offrait le plus de chances d'en conserver la plus grande partie.

En résumé, la récolte des pommes de terre demande, cette année, à être surveillée avec soin. Les tubercules devront être partagés en trois catégories.

1° Les pommes de terre reconnues de bonne qualité ne se gâtent point, ainsi qu'on l'avait avancé; mais, vu leur maturation imparfaite, elles demandent à être déposées d'abord dans des lieux secs ou aérés; puis, à l'époque des gelées, à être conservées dans des caves avec la précaution de les placer soit sur des planches, soit sur des bourrées ou fagots, afin de les isoler du sol.

2° Les tubercules légèrement altérés et marqués de taches brunes peuvent être conservés comme provision d'hiver, pourvu qu'on les dispose par lits, comme le proposent plusieurs personnes et en particulier M. Lindley. Les épluchures peuvent être données aux bêtes à cornes.

3° Les pommes de terre sur lesquelles la maladie aurait fait plus de progrès doivent être utilisées au plus tôt; on pourra les donner impunément aux porcs, après les avoir fait cuire.

Si néanmoins ces derniers tubercules ne peuvent pas être employés immédiatement, on devra s'empresser d'en retirer la fécule. Le procédé pour l'obtenir est fort simple et peu coûteux. Il faut ràper les tubercules au-dessus d'un tamis en crin, verser de l'eau sur la pulpe en remuant le tamis au-dessus d'une terrine, d'un baquet, etc. On laissera reposer le liquide, et la fécule ou farine se précipitera au fond du vase. On enlèvera l'eau avec précaution, et on obtiendra ainsi une masse blanche qu'on fera sécher promptement, soit en l'exposant au soleil, soit en la plaçant dans un four dont la chaleur ne dépassera pas 30 à 35 degrés. Cette fécule se conservera en sac.

Ce procédé unanimement recommandé prouve jusqu'à l'évidence que la fécule ne se trouve ni détruite, ni même altérée, et que, sous ce rapport, mes observations, si contraires à celles énoncées par M. Morren, se sont trouvées exactes. Ce qui me fait revenir sur ce point, c'est que je vois encore aujourd'hui les préfets et les maires agir sous l'impression des premiers articles publiés en Belgique et conseiller à leurs administrés de rejeter les tubercules avariés.