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Histoire de la nature des oyseaux

La bibliothèque libre.
L'histoire de la nature des oyseaux, avec leurs descriptions, et naïfs portraicts retirez du naturel.
Prevotius, Benedictus (p. Titre).
L'HISTOIRE
DE LA NATURE DES
OYSEAUX, AVEC LEURS
descriptions, & naïfs portraicts
RETIREZ DV NATUREL :
ESCRITE EN SEPT LIVRES
Par Pierre Belon du Mans.
AU ROY.
A PARIS,
On les vend en la grand salle du Palais, en la boutique de
Gilles Corrozet, pres la chambre des comptes.
1555.
Avec privilege du Roy.

LE PREMIER LIVRE DE L’HISTOIRE DE LA NATURE DES OISEAUX,

avec leurs descriptions, & portraictz retirez du naturel, Par Pierre Belon du Mans.

QUEL DOIT ESTRE LE PRINCIPAL DEVOIR de l’homme sçavant, & quelle chose est science : avec un sommaire contenant les principaux articles de ce present œuvre.
CHAPITRE PREMIER.


NOUS sçavons combien plusieurs qui voudroyent avoir incontinent comprins toutes choses sans y travailler, aiment la briefveté des escripts : & combien elle est odieuse à aucuns, qui pour le desir qu’ils ont de les comprendre, ne se sentent molestez de les lire. Parquoy voulants satisfaire à tous deux, & sçachants bien que celuy qui monstre à autruy, est en mesme comparaison que celuy qui enseigne, c’est à dire que comme l’un s’estudie d’enseigner briefvement, & ne laisser en arriere chose à ce necessaire, & aussi que l’autre voudroit avoir apprins en brief : tout ainsi serons que celuy qui desire briefveté, ne se sentira fasché de la prolixité, ne au contraire celuy qui aime la prolixité, ne trouvera default en ce qu’avons proposé enseigner. Et pour faire apparoistre que les anciens ont frustré leur posterité de beaucoup de biens par leur trop brief parler, & aussi quelques autres l’ont ennuyee pour avoir esté si longs : l’exemple en est de plusieurs choses que beaucoup de gents ignorent, & principalement celles que nature nous ha produictes des elements. Car ceulx qui estimoyent que le principal devoir d’un Philosophe estoit d’appliquer son esprit sur la congnoissance des choses hautaines, lesquelles il fault contempler par imagination, eussent pensé faire corvee de specifier une chose ja vulgaire & cogneuë de chasque villageois. Mais tout ainsi que la science ha diversité en soy, aussi le sçavoir est diversement distribué à divers esprits. Lon trouve escript en l’histoire Grecque, qu’un tresrenommé Philosophe qu’on appelloit Democritus, approuvé sage de touts autheurs anciens, se priva voluntairement de la lumiere de ses yeulx, sans avoir aucune autre occasion evidente de ce faire, sinon que se voulant delivrer des empeschements qui adviennent à ceulx qui voyent clair, pensa que les discours qu’il pretendoit faire à son plaisir, en seroyent plus hautains & exquis, & auroit son esprit plus à delivre, s’estant osté l’empeschement qui provient par la lumiere des yeux. Aristote à reduit toute maniere de Philosophie jusques à son hault poinct, & mise à son dernier but, mais nous ferons voir plus à plain en nos suyvants chapitres en la description des oiseaux, qu’il ne l’eust sçeu faire, sans l’observation oculaire du naturel des animaux : car combien que les aveugles puissent philosopher & contempler les choses, les pensant en leurs esprits, si est-ce qu’il y a des choses en nature qu’il fault necessairement avoir veuës pour en avoir la science. Le sçavoir de ce qui est contenu tant au dedans qu’au dehors, de la grande machine des cieux & du monde, au moins de ce qu’on en peult exprimer par parole, ou imaginer en esprit, ne peult estre rendu intelligible à quelqu’un pour estre appris avec facilité, que par deux seules voyes : c’est à sçavoir, ou par imagination de ce que nous en pouvons concevoir en notre intellect, qui est à dire ce que les autres nomment l’intelligence : ou bien par ce qu’il s’offre tout manifeste à noz sens. Aussi toutes les choses qui peuvent entrer en l’intelligence de l’homme, ne peuvent estre comprinses de celui qui les apprend d’autruy, ou bien estre rendues intelligibles par quelqu’un qui les veult enseigner à un autre, que par raison, ou par choses sensibles. Parquoy toutes sciences tant contemplatives & hautaines, que basses & moins dignes, qui sont mises en consideration à tout homme, tant de lourd que de subtil esprit, n’ont que les deux susdictes voyes : c’est à sçavoir ou par raison, pour la foy & probation en imaginant ce qui est en la science, ou par la demonstration mise en l’experience d’icelle. Il fault donc qu’on mette la definition d’un homme sçavant, & contemplatif, non comme le vulgaire pense, qui sçait un peu de Grec, de Latin, ou d’Hebrieu, ou pour avoir traduit quelque livre d’une langue en autre, mais qui est expert en ce devoir, duquel lon peult asseoir certain & asseuré jugement en toutes choses, de ce qui est, ou n’est pas tel en l’estre & arbitre de nature : comme aussi faut definir la science, une faculté eternelle ou puissance qu’on peult asseurer par raison, au devoir & office qu’avons dit estre es choses qui sont en l’estat & arbitre de nature : & pour nature entendre toute substance & temperature provenant de la commixtion des quatre elements. Donc si nous advouons que le sçavoir des hommes contemplatifs n’est que comme un officier de la science, aussi accorderons que le sçavoir n’est qu’une faculté en tel office : & ordonnerons que le sçavoir est pour le jugement & certitude de ce que nous proposons en noz pensees, & que la science est en la nature de la matiere proposee : reduisans les amas des choses que les hommes ont controuvees par leurs exercitations qui tendent à quelque bonne fin pour l’esgard de noz vies, en l’estat des arts, c’est à dire des mestiers, à fin de ne confondre ce qui leur est deu avec ce qui appartient à la science. Et ainsi entendrons la raison pourquoy l’ignorance a esté commune à grande partie des hommes, tant anciens que modernes : Et que comme aucuns endurent qu’on les estime demis dieux terriens sans avoir rien merité du bien public & de la posterité en leur vie, ne voudroient perdre une minute d’heure de leur aise pour toutes les sciences du monde, mais se sentiroyent molestez d’avoir donné une heure de temps à entendre les choses excellentes, ausquelles les hommes de bon esprit s’exercent pour s’enrichir de sçavoir. Ceuls qui ne se daignent amuser à entendre l’artifice des œuvres memorables de nature, & n’ont cure d’eslever leur esprit plus hault qu’en ce qui leur est sensible, ne peuvent estre induits à prendre quelque admiration de la grandeur de nostre supernaturel & plus que nonpareil ouvrier : ainsi ne trouvent plus de contentement d’esprit en leur vie, que si leur fortune estoit egale aux autre animaux, qui n’ont que boire, manger, dormir, & engendrer. Mais au contraire, les hommes bien naiz, douëz de meilleur courage, faisants actes vertueux, & ouvrages dignes de leur immortalité, n’ont difficulté à se rendre enclins en la contemplation des haults faicts de l’Eternel qui a creé toutes choses, sçachants que le principal devoir de l’homme, est de louer ses faicts, & avec grande admiration considerer l’excellence de ses œuvres, & ne cesser de magnifier les choses qu’il entend exceder la capacité de son entendement, lesquelles la providence de ce grand architecte ha voulu estre faictes à l’utilité de la vie humaine, & des autre animaux. Si nous confessions que l’esprit de ceux qui s’addonnants & travaillants aux choses haultaines, & se ravissants sur la contemplation des choses magnifiques, ait merité estre participant du bien de quelque divinité : il nous fauldra aussi advouër qu’un tas d’hommes ineptes, encores pires que les Epicuriens, & qui ne se sont arrestez que sur les choses mondaines, & terrestres pour maintenir leur gresse, & pour avoir leur pance fournie, n’ont merité avec toutes leurs grandeurs & honneurs terriens, qu’on face estime d’eulx non plus que d’une beste terrestre donnee en proye aux autres animaux. Desquelz si quelques uns s’apprestoient à dire, que paindre & descrire un oyseau ou animal cogneu d’un chascun, est ouvrage ou il n’y a erudition : leur response est, que souvent leurs semblables mesprisent la cognoissance des choses dont ilz sont ignorants. Mais les hommes sont faicts les uns pour l’utilité des autres, & que biensfaicts se referent des uns aux autres. Toutesfois comme est il possible que eux qui ont consumé leur vie en volupté sans travail & sans apprendre quelque science, puissent rien sçavoir : Confessent donc qu’ils sont inferieurs en discipline à ceux desquels ils peuvent bien estre enseignez, & qui ont plus travaillé qu’eux pour les apprendre. Soit que leurs possessions terriennes les font vivre plus à leur ayse, aussi c’est tout ce qu’ils ont de bien, lequel lon estimera tousjours inferieur en dignité, au bien de l’esprit. Ceci soit dit en mespris de certains hommes indignes du bien qu’ils desdaignent. Toutesfois pource que leurs jugements ne sont arrests de court souveraine, qui ayent pouvoir d’oster un seul brin de la louange de de ceux qu’ils blasment, il n’en fault faire cas. Car pour gents qui veulent apparoir heroïques & excellents en sçavoir, seront trouvez indoctes & indignes des honnestes presents, si lon decouvre leur ignorance. C’est qu’en leur monstrant quelque singularité de l’ouvrage memorable de nature, demandent soudain à quoy telles observations singulieres pourront profiter : car telles gents ne trouvent rien precieux, que ce qui leur est de contant en valeur. Ne croira donc le lecteur, qu’ils ont faulte de bon esprit : S’ils estoyent si modestes, comme ils veullent qu’on croye qu’ils sont, ils prendroyent peine d’entendre à quelle fin les anciens excellents Philosophes, & hommes sçavants, ont escript des choses produictes en nature. Aristote, & Theophraste, & plusieurs autres qui ont traicté de telle matiere, ont esté si diligents observateurs des exterieures, & interieures parties des animaux, & des plantes, qu’ils les ont regardees par le menu, & fait anatomie d’iceux. Donc tels ignorants sont ils point esmerveillez de la patience qu’ont ceux qui apprennent les langues estrangeres à force de les estudier : Demandent aux Geometriens & Astrologiens que leur sert d’estre si curieux d’observer le cours des astres, & le mouvement des cieulx : ne quelle recompense a eu Alexandre de tant d’argent qu’il a fait delivrer comptant à Aristote, & Theophraste, qui l’ont despendu au pourchas des animaux & plantes : ne quel profit a receu Aristote de sçavoir que loyseaul’oyseau nommé en Grec Aegocephalus, & en Latin Capriceps, qu’interpretons un oyseau de nuict, est sans rate, & qu’il a le fiel attaché partie à l’estomach, partie au foye. Soit ainsi parlé de cestuy ci pour servir d’exemple envers tous autres. Estant donc nostre entreprinse mise sur la nature des oyseaux, pour les descrire & en bailler les portraicts, nous ferons voir que la contemplation d’iceux est autant admirable à tout homme speculatif, que des autres animaux aquatiques & terrestres. Car qui voudra avoir esgard à ce qu’on trouve en diverses parties de leurs membres, valoir contre les maladies, & pour la conservation de nostre vie, ne les trouvera de moindre excellence que les autres especes d’animaux terrestres. Et quant à leur endroit, cognoissant que nature a aussi bien voulu que leur generation, c’est à dire engendrer l’un l’autre, fust subjecte à substance, c’est à dire à prendre corps, comme à touts autres animaux : avons proposé en faire si ample discours, comme il sera necessaire à le donner à entendre à un chascun. Donc tout ainsi comme les corps de tous animaux sont faicts pour le bien de leurs ames, & le nombre des membres pour l’unité du corps, tout ainsi l’action d’un chascun est pour l’utilité de tous deux, aumoins de ce qui est en leurs puissances, & de ce qui les maintient en estre, comme voller, marcher, dormir, veiller, engendrer, croistre. Parce le souverain conditeur voulant monstrer une sienne singuliere providence, ordonna qu’il seroit en leur puissance de se pouvoir remuer en l’aer, leur baillant membres propres à tel effect. Car tout ainsi comme aux terrestres donna aux uns quatre pieds, & aux autres n’en bailla point, douant chascun de ce qui luy estoit besoing pour la conservation de sa vie, aussi feit que les oyseaux qui avoyent à estre terrestres, eussent deux pieds dour marcher sur la terre : mais en oultre sçachant qu’ils avoyent à estre en l’air, & voulant qu’ils peussent eviter les injures & inimitiez des autres bestes, les vestit de plumes, pour se garantir en volant : comme aussi apercevants les tempestes, gresles, pluyes, ou ravines à venir, leur bailla science de les sçavoir eviter selon leurs natures : car les oyseaux de mer ou de riviere sortent hors pour se sauver en terre sur les rivages, ceux des bois se mettent en l’abri, & les terrestres se tapissent en forme, ceux des buissons se contiennent en leur fort. Poursuyvant nostre entreprinse, voulants descrire les oyseaux par le menu, & cognoissant qu’il est requis tenir quelque ordre pour les enseigner plus facilement nous semble necessaire les distinguer selon leurs differences : affin de distribuer un chascun selon son rang. Parquoy il a esté requis en faire sept distributions separement en sept livres : Commençants le premier par l’ordre que tiendrons en la description des oyseaux. Puis apres continuerons par une consideration de diverses manieres d’animaux, en conferant la nature de l’homme, avec les oyseaux : puis par la distinction de diverses especes d’animaux, & par les differences des conceptions d’iceux : puis par la definition des parties tant exterieures que interieures, & anatomies d’iceux : puis apres par les principales marques qui les peuvent distinguer : consequemment par leur diverse maniere de vivre, & aussi par leurs chants, & varieté de couleurs selon diverses saisons : finalement pource que touts oyseaux prennent leur origine de l’œuf, traicterons de la nature des œufs. Au second livre ferons mention des oyseaux vivants de rapine. Le tiers contiendra les oyseaux de riviere qui ont le pied large & plat, tant d’eau doulce que de salee. Au quatriesme descrirons les oyseaux des maraix, que les Latins nomment Aves palustres, qui n’ont le pied plat, ne large, & qui ne sçavent nager sur l’eau. Le cinquiesme livre traictera des oyseaux terrestres, tant de bois que de campagne : sçavoir est qui ne volent beaucoup, & font leurs nids en terre. Le sixiesme comprendra les oyseaux des boscages, hantants les bois de haute fustaye, les prairies, pastiz, & lieux champestres, vivants indifferemment de toutes sortes de viande. Au septiesme & dernier nous descrirons les petits oysillons qui hantent les hayes & buissons, espines & ronces. Les uns vivent de toutes manieres de vermine & infection, que les Latins nomment Infectes, c’est asçavoir mouches, fourmis, chenilles, escharbots, & autres telles petites bestes : comme aussi les autres vivent de chair, les autres de fruicts, les autres de grains & semences : desquels plusieurs nous sont cogneuz & domestiques, les autres sont sauvages & incogneuz. Il y en a qui vivent seulets, les autres en compagnie : parquoy voulants traicter d’un chascun, suyvant ce qu’en avons trouvé en son naturel, & selon ce qu’ils sont naïfvement appris des leur naissance sans l’artifice des hommes : en ferons description en nostre langue, prenans l’appuy de l’opinion & authorité des anciens. Mais fault noter qu’en tout ce discours, autant qu’il nous sera possible, rendrons les noms Grecs & Latins avec les François à chasque oyseau, à fin que le moderne en ait plus d’authorité. Et pource qu’il a esté force de mettre aucunes dictions Grecques, & quelques fois des clausules Latines, ce lieu soit pour nous en excuser : car par tout avons fuy de inserer mots estranges, sinon ou n’avons sceu faire autrement.

L’ordre qui sera tenu en la description, & pourtraict des oyseaux.
CHAP. II.


NATURE avoit donné l’air aux oyseaux pour leur assignation à se conserver en vie, voulant qu’ils fussent sauvages & en pleine liberté : mais les hommes tournants l’usage de toutes choses à leur commodité, apres avoir sceu dompter les uns, & les rendre privez, ont encor inventé diverses manieres de prisons pour les enfermer, à fin de les engresser, & les rendre plus tendres, ou pour avoir plaisir en leur beauté exquise, ou bien en leurs plaisantes chansons. Nous dirons les noms, tant des uns que des autres, & principalement de ceux qui ont appellation vulgaire en nostre langue : car il est à presupposer que comme les Hebrieux, Chaldees, Arabes, Grecs, Latins, & autres, dont nous lisons les escriptz, leur ont imposé les premiers noms de divers accidents, aussi nous avons fait le semblable en nostre endroict. Et que ainsi soit, chascun sçait que les Grives, Flambards, & tels autres sont nommez à cause de leur couleur. Les Coquus, Grues, Cocs, Canes, & tels autres, sont nommez à cause de leur voix. Le Traquet, le Grimpreau, le Hobreau, & tels autres ont pris leurs noms de leur contenance. Il semble que nostre vulgaire ait traduict les noms du montain des Verdiers, Tercots, & tels autres des pures dictions Greques. Donc à fin que ne soyons trouvez confuz en exprimant les noms des oyseaux, avons eu esgard à les distinguer selon leurs differences, suyvant l’ordre le plus aysé qu’il nous a esté possible, attendu mesmement qu’il est necessaire en touts les ouvrages humains & naturels, que l’ordre y soit gardé. Et qu’il soit vray, ne fault il pas que la terre, les cieulx, & tout le firmament soyent deuëment ordonnez pour l’action de ce qu’ils ont a servir. Car s’il en estoit autrement, toutes choses seroyent en confussion. Pour l’ordre, soit entendu quand les choses tant artificielles que naturelles, montent ou descendent chascune par son degré. Par ainsi il est à sçavoir que il y a deux manieres d’ordre : l’un venant du haut en bas, qui est celuy que les anciens Philosophes nomment l’ordre resolutif, qui est interpreté en françoys desjoignant d’ensemble. L’autre ordre est montant du bas en haut, nommé en Latin Compositif, c’est à dire qui conjoinct & assemble. Et pour en donner exemple, mettons les quatre saisons de l’annee en comparaison à l’ouvrage d’un homme. Car comme les cieux ont leurs degrez pour passer d’une saison en l’autre, commençants par l’inferieur & montants jusques à ce qu’ils soyent parvenuz au plus hault pour redescendre, tout ainsi les hommes en toutes leurs operations tant de l’esprit que du corps, se tiennent en l’ordre compositif, pour monter de bas en hault pour conjoindre & assembler leur ouvrage en un corps : ou bien à l’ordre resolutif, descendant du haut en bas, pour separer & deffaire les pieces d’ensemble, & en faire diverses parties. Nous voyons que un Roy, Empereur, ou autre prince s’aidant de l’ordre compositif, assemble telle armee de galeres, navires, & vaisseaux de mer, en un corps, comme ses forces ou son affaire le requierent : & tel camp par terre, comme il fault avoir des bendes d’hommes, lequel puis il despece & separe jusques à une personne par l’ordre resolutif. Tout ainsi un Philosophe considerant la nature du corps d’un animal par l’ordre compositif, le trouve ja en son estre & matiere, tout composé des choses naturelles, c’est asçavoir elements, temperaments, humeurs, parties corporelles, facultez, actions, & esprits. Mais s’il le considere par l’ordre resolutif, il le despece & separe, pensant chasque petite partie à part soy, ainsi comme pourroit faire un charpentier despeçant une maison, quand il met les tuilles, lates, limandes, chevrons, pierres, & chaulx chascune à part soy. Aussi un Philosophe qui entreprendroit separer toutes les parties d’un oyseau, & les vouldroit considerer par le menu, commenceroit par ce qu’il trouve plus particulier en un chascun, comme par une plume, par un bec, un ongle, par la teste, col, aelles, cuisses, jambes, pieds, & ainsi des autres : car peau, chair, os, & telles autres choses, sont communes a touts autres animaux. Tout ainsi nous, desirants observer un ordre en cest ouvrage, prendrons la premiere difference des oyseaux de ceux qui vivent de rapine, commençants par les especes des Aigles, des Vaultours, des oyseaux de proye nommez en Latin Accipitres, des Milans, & leurs semblables. Ceux en c’est ordre dont baillerons les pourtraicts, & que descrirons par propres noms Françoys, sont le Vaultour noir & fauve, l’Aigle noire & fauve, le Gerfaut, l’Autour, le Sacre cogneu & aussi l’Egyptien, le Faucon, l’Espervier, le Mouchet, l’Esmerillon, le Hobreau, le Lanier, le Tiercelet, l’Offraye, la Cresserelle, la Buze, la Boudre, le Goyran, le Faux perdrieux, l’oyseau nommé Jan le blanc, les Pies griesches tant grande que petite. Et pour la similitude y adjousteray le Coqu, & y comprendray touts les oyseaux de nuict, nommez en Latin Nocturnae aves, entre lesquels celuy qu’on nomme l’Effraye la Hulote, la Chevache, le grand & petit Duc, le Hibou ou Chahuant, & l’Ossifragus, le Charadrias, le Corbeau de nuict, & le Faucon de nuict, y seront nombrez. Apres ceux cy metterons le Phoenix qui est oyseau estranger. La seconde difference des oyseaux sera prinse de ceux qui vivent es eaux doulces & salees, nageants sur l’eau : & contiendra touts ceux qui ont le pied plat, comme sont diverses manieres de Plongeons, le Cigne, le Pelican qui est nommé en Latin Onocrotalus, les Oyes tant la privee que la sauvage, l’Arcanne & Caniart, le Canart, le Herle, le Cormoran, le Cravant, la Sarcelle ou Garsote, la Mouëtte, le Morillon, la Piette, le Bievre, le petit Plongean fauve nommé Castagneux, le grand Plongeon, & le noir nommé la Macroule, qui de faux nom est dit le Diable de mer, la Jodelle, autrement nommee Poulle d’eau. La tierce difference des oyseaux sera prinse de ceux qui hantent les rivages des lacs, marais, estangs & rivieres, qui n’ont le pied plat, & qui ne nagent sur l’eau, comme est la Grue, le Heron gris, & le blanc, & l’estelé, qui est celuy que nous nommons Galerand ou Butor, l’Aigrette, le Bihoreau, le Flammant ou Flambard, la Pie ou Beccasse de mer, la Cigogne, & l’Ibis, l’Alouette de mer, la Barge, & le Chevalier noir & rouge, le Corlis, la Poullette d’eau, le Martinet pescheur, le Blanculet, la Palle, le Rasle noir, & le Porphyrio. La quatriesme difference des oyseaux sera prinse de ceux qui font leur demeure & nichent sur terre, tant par les bois que par les campagnes, comme sont l’Autruche, l’Otarde, la Cane petiere, le Francolin, la Perdris de Grece, noz Perdris rouges & grises, les Perdris de Syrie, les Perdris de Damas, les Perdris blanches, le Pluvier, la Beccasse, le Coc de bois, autrement nommé le Faisan bruant, la Gelinote de bois, le Rasle de genest, le Paon, les Poulles d’Inde, les Poulles de la Guinee, le Coc privé & les Poulles privees, la Caille, le Faisan. La cinquiesme difference des oyseaux sera prinse de ceux qui hantent indifferemment en toutes contrees, volants tantost sur les rameaux des bois de haute fustaye, tantost es taillis, comme aussi par les prairies, pastits, gueretz, noëz, & le long des rivages, & qui se passent diversement de toutes sortes de viandes, comme les Corbeaux, les Corneilles, les Emmantelees, les Communes, & d’hyver, les Freux ou Grolles, les Chouëttes tant rouges que noires, les Pies, Ramiers, Bizets, Pigeons privez & fuyars, le Jay, la Huppe, la Litorne, le Loriot, le Merle noir, le Merle blanc, le Merle au collier, le Merle bleu, le Papegay ou Perroquet, le Trafle, autrement nommé Grive, le Touret, autrement nommé Mauvis, la Turterelle, le grand Pic qui a le bec crochu, le Pic jaulne, qu’on nomme Piverd, le Pic rouge qu’on nomme Epeiche, le Grimpereau, le Torchepot, le Tercot, & le Pic de muraille que les Auvergnats nomment un Ternier, l’Estourneau, la Paisse solitaire. La sixiesme difference des oyseaux sera prinse des plus petits, qui se logent par les hayes, buissons, & buchettes, desquels mettrons trois differences, & dont les uns se paissent seulement de vermine, les autres des seules semences, tant d’espines que d’autres herbes sauvages : mais la tierce se paist indifferemment tant de vermine que de semences ensemble. Tels sont les Paisses, autrement nommez Moyneaux, le Friquet, le Moyneau à la Soulcie, le Becafigue ou Pivoine, le Bruant, & consequemment les Fauvettes tant brune que rousse, & le petit Mouchet, le Gros bec, la Linotte, le Picaveret, les Mesanges tant la Nonnette que la bleuë, & la Mesange à la longue queue, le Merops, que les Latins nomment Apiaster, les Pinssons tant le commun que le montain, le Pinson d’Ardenne, la Rubeline, autrement nommee Roupie, ou Rougegorge, les Rossignols tant de bois que de muraille, le Chardonneret, le Serin, le Tarin, le Traquet, le Verdier, le Roitelet, la Soulcie, le Culblanc, qu’on nomme Vitrec, les trois sortes d’Hirondelles, comme aussi la Lavandiere, & la Bergeronnette jaulne & cendree, se paissent seulement de mouches, qui toutesfois ne font leur demeure auxs lieux dessusdicts. Voila donc quant aux particulieres differences des oyseaux nommez selon nostre vulgaire. Mais nous leur imposerons encor plusieurs dictions pour leur denomination, prinses des autres nations, non que les ayons transcriptes de quelques livres des autheurs modernes : Car ce que en mettrons, sera de les avoir ouy nommer aux habitants des provinces desquelles avons apprins les langues pour y avoir sejourné & hanté les oyseleurs : & dirons presentement en quelle maniere. C’est que observants les poissons qu’on apportoit aux marchez des villes ou avons passé, & principalement du levant, desquels avons baillé partie des descriptions & pourtraicts en autres œuvres, aussi avons eu soing de observer les oyseaux. Nous avons esté coustumiers estans de sejour à Padouë, de descendre les jeudis au soir & aller toute nuict par la brente pour estre à Venise des le vendredi matin, & y demourer les samedis & dimenches, tant pour la commodité de voir les oyseaux, que les poissons, & nous rembarquants des le dimenche au soir, apres avoir conferé aux oyseleurs & pescheurs, sachant que le bateau va toute nuict pour ne perdre temps, estions des le lundi au matin à la poursuitte de nostre estude. Pendant lequel temps desdicts jour du vendredi & samedi, n’y avoit oyseleur ne pescheur qui n’aportast ce qu’il avoit peu recouvrir de rare pour les nous monstrer. Mais si quelque homme curieux de telles choses, vouloit rapporter les corps d’un païs en l’autre, ceste en est la façon comme il luy convient faire. Il fauldra couper la peau de l’oyseau par le travers en l’endroit de l’excrement dur, & luy oster toutes les trippes, & jecter du sel leans, & le farcir dedens le ventre, aussi en emplir la gorge, puis pendre loyseau par les pieds. Cela fera qu’il sera tousjours en son entier avec sa plume sans estre consumé des verms, & si lon voit que le sel ne se peust fondre, il faudroit l’humecter d’un peu de fort vinaigre, ou bien luy oster toute la chair : car tout l’oyseau peult facilement estre escorché, & luy ayant salé la peau laissant les aelles & les cuisses entieres avec la peau, on le contregardera tel temps qu’on vouldra. Et aussi que ce soit advertissement à touts hommes lisants cest histoire, & desireux du bien public, que s’ils se trouvoyent avoir quelque oyseau en leurs contrees, qui ne soit en c’est œuvre, ou dont n’ayons point parlé, l’acoustrent selon ce que leur avons enseigné, & le gardent pour monstrer leurs cabinets, & si bon leur sembloit le nous envoyer, nous rendroyent obligez. Lon peult faire le semblable des peaux de touts autres animaux, car mesmement la peau humaine conroyee, se trouve espoisse comme une forte peau de bœuf ou de cerf, & se garde tout de mesme sans se corrompre. Au surplus avant entrer à la poursuite de la description de leurs differences, avons bien voulu commencer par la diversité de leurs generations en termes generaux, avant venir aux particulieres descriptions d’un chascun.

La disposition des premiers elements es corps des oyseaux, & autres animaux, & plantes, conferant la nature des uns avec celle des autres.
CHAP. III.


IL EST requis à celuy qui s’entremet d’enseigner quelque science, ou mestier, ou autre chose qu’on apprent par exercitation, commencer par les premiers elements & principes d’icelle, sçachant qu’il fault que l’apprentis n’ignore les noms de ses outils. Donc apres avoir declaré les principaux articles de c’est œuvre, & l’ordre d’iceluy, avons mis la consideration de toutes les parties des animaux tant composees que simples en avant, à fin que cy apres n’ayons à redire les choses tant de fois. Mais pource qu’il advient souvent que quelque tiltre facheux desgouste le lecteur, pensant iceluy n’estre de la matiere proposee, ne fauldra trouver estrange voir les oyseaux mis en comparaison à l’encontre du naturel des autres animaux, & plantes, joinct qu’il n’y eut onc Philosophe qui ait exactement parlé de la nature du corps humain, que par la comparaison faicte d’iceluy, avec celle des dessusdicts, & des plantes : car pendant qu’elles sont en vigueur, ont leur accidents comme les bestes terrestres : & parce les advouons participer de vie comme les autres animaux, & avoir leurs principes, leurs aages, & fin, & estre sains & malades, & s’enviellir, & mourir, comme les animaux : & que comme il est en la puissance du masle d’engendrer en autruy, & à la femelle de recevoir en soy mesme, ainsi la terre est comme femelle & mere de ses productions, & le Ciel, Soleil, Lune, Estoilles, & L’aer, comme le pere de tout ce qui est produict es elements. C’est de la qu’il est estimé comme animal parfaict en toutes ses parties, enfermant les quatre principales differences d’animaux en sa circunference, desquelles Platon en met une, qu’il nomme espece de Dieux coelestes de nature ignee, c’est à dire de feu, & qui sont de ronde substance, pource à nostre jugement, que la figure orbiculaire ou spherique, est la figure entre toutes les autres la plus parfaicte & absoluë : mais nous n’en avons rien d’avantage en ce lieu, non plus que des aquatiques, ou de ceux qui ont leur demeure en terre, sinon que conferant la nature des uns & des autres, & des substances qui sont en l’estre de nature, les rapporterons à celles des oyseaux, desquelles substances entendons les unes non engendrees de quelque pere ou mere, & estre permanentes & immortelles à toute eternité, c’est à dire n’estre subjectes à corruption : & les autres avoir esté engendrees, & estre subjectes à prendre fin. Mais pource que communement les hommes ne peuvent aisément contempler les premieres, pour estre matiere trop haulte & divine, & de laquelle n’en ont rien manifeste à leurs sens, ils s’aydent des puissances d’icelles pour rechercher ce qu’ils appetent sçavoir es dernieres, qu’ils cognoissent estre subjectes à prendre leur commencement d’autruy, & se aneantir sur la fin. Ce sont telles dernieres substances qui peuvent tumber soubs nos sens, c’est à dire qu’on peult voir, gouster, toucher, ouïr, sentir, esquelles les medecins s’arrestent le plus. Car ayant mis leur principal devoir sur la contemplation des œuvrres de nature, lontl’ont nommee Physiologie, c’est à dire en celle partie de medecine qui precede les autres & dont elles dependent totalement. Et qu’il soit vray,la science de maintenir l’animal en santé, & le sçavoir garder d’estre malade, encor que cela se refere à la vie, & discourir sur la cause & accident de son mal quand il y est tumbé, & avoir cognoissance de la maladie par l’observation du present, & par presage de l’advenir, ou par la souvenance du passé, ou estre expert en la guerison des corps par l’exterieur ou par l’interieur, ne depend elle pas de Physiologie ? Or si nous la voulons definir, nous ne dirons pas que c’est une partie de medecine, par laquelle lon dispute particulierement de la nature de l’homme, mais dirons que c’est une partie de Philosophie moult universelle, par laquelle lon peut estre enseigné que c’est de la nature & constitution des corps des animaux. Car l’homme n’estant qu’une espece, ne doit estre prins que pour un particulier. Puis donc que touts animaux de quelque qualité qu’ils soyent, ont leurs actions differentes pour se maintenir en nature, il fault conceder que leurs substances sont participantes chascune en son endroit, de la perfection des complexions des premiers elemens, feu, eau, aer, terre : & sont temperez de chaleur, froideur, humidité, & siccité, qui sont proportionez en la disposition de leurs matieres & substances, ayans telles humeurs qu’il a fallu pour leurs membres. Car aux animaux qui n’ont point de sang, nature bailla humeurs proportionnez en puissance à ceux des animaux sanguins, choleriques, phlegmetiques, & melancholiques, tant pour l’acompagnement des membres principaux munis d’os, cartilages, muscles, nerfs, venes, arteres, charnure, & gresse, que des autres parties principales donnees aux animaux pour leurs mouvements soubdains ou tardifs, & avoir facultez, c’est à dire puissance en leurs actions, dont procedent leurs sens, & esprits. Car de leur cerveau ou chose correspondante vient le commencement & origine des nerfs. Ils ont eu le sentiment du toucher sans avoir certain endroit deputé : qui est chose commune à touts animaux : & ont la veuë mise aux yeux, l’ouye es temples, l’odeur, & l’election des saveurs en la langue, & narines : comme aussi pour estre en vie, ont les arteres respondentes au cœur : & pour prendre nourriture, les venes provenantes du foye, ou chose correspondente à cela. Si donc les corps des animaux sont maintenus en vigueur par les choses susdictes, qui sont toutes naturelles, il a esté necessaire pour l’entretenement d’icelles user encor d’autres choses non naturelles, toutes exterieures, qui les peuvent conserver jusques au juste cours de leur aage, ou les corrompre avant leur temps, selon qu’elles leur sont appliquees à propos ou au contraire. Pour l’un j’entens de l’aer inuisible ou propice : l’autre du boire & manger en qualité & quantité : puis le dormir, ou veiller ou de jour, ou de nuict : finalement du repos, & travail violent, ou foible : comme aussi de divers accidents, qui peuvent leur esmouvoir le’sprit. Or donc si le Philosophe ne s’estoit proposé contempler que la seule fabrique de l’homme & ame d’iceluy, pour acquerir l’intelligence des susdictes considerations, auroit il si grande occasion d’annoncer la puissance infinie de nostre Dieu immortel ? Quel moyen trouveroit-il pour prouver l’immortalité de noz ames ? Parquoy il n’y a rien plus beau en l’homme, de quelque qualité qu’il soit, ne qui le rende plus digne ou plus honneste & aggreable à son Dieu, & luy face mieulx cognoistre la grandeur de ses œuvres, que l’eslever son esprit en la contemplation des matieres, formes, & actions des animaux, & des plantes. C’est le commencement par lequel les Philosophes sont parvenus à la cognoissance des substances superieures des corps celestes & autres telles choses, qu’on ne peut comprendre que par imagination & longue observation d’iceux. C’est ce que dit sainct Paol au commencement de son espistre aux Romains. Les choses inuisibles de Dieu faictes des la constitution du monde, ont esté cogneuës par les choses visibles. Si donc la diversité & ample constitution des choses naturelles est si admirable, ce n’est merveille si l’ordre de la difference des genres a voulu faire les animaux de diverses especes, & avoir leurs naissances dissemblables, & les membres differents, & vivre des aliments en diverses manieres, & estre affectees de maints accidents : & de mœurs differentes, & que le temps de vivre soit inegal aux uns plus, aux autres moins : & leurs corpulences arrestees ou plus grandes ou plus petites : & prendre diverses formes, couleurs, voix, & esprits, & offices differentes, & que des leur naissance, ils sont disciplinez & sçavants pour la conservation de leur vie, & changer de place quand il en est besoing. Desquelles choses si la consideration en est contenuë en Physiologie, il faudra estendre sa definition plus loing, que d’avoir seulement esgard à la constitution de l’homme, la ou il la faudroit aussi estendre à celle de tous autres animaux & des plantes, & oyseaux. Il est beaucoup plus facile à observer les mœurs des animaux qui vivent longuement, que des autres dont la vie est plus courte : mais pource que ne traicterons en particulier que des oyseaux en cest œuvre, c’est assez d’en avoir faict comparaison des uns aux autres, pour en avoir telle inteligence qui puisse servir à nostre propos. Il est donc difficile que celuy qui se met à contempler les mœurs des animaux, ne trouve infiniz exemples assez suffisants à l’induire & esmouvoir à vertu, & luy donner l’intelligence de plusieurs subtilitez, desquelles l’esprit humain ne se pourroit bonnement adviser. Qui croiroit que les hirondelles & autres petits oysillons, qui demeurent seulement l’estè en nostre Europe, peussent avoir si tost basty leurs nids, & avec si grande industrie ? Il n’y a homme qui ne doibve estre incitè à son devoir par l’exemple de la diligence des oyseaux passagers, qui en moins de trois jours & trois nuicts ont passé d’Europe en Afrique. Qui leur apprend l’election des vents propices à cest effect, & choisir l’endroit du ciel pour l’eslever en l’aer, & ne faillir leur chemin sans guide, sinon nature ? Aussi est-ce elle qui les y conduit, & qui leur consent avoir amitiez & inimitiez, c’est à dire concorde & discorde, que les Grecs nomment Sympathie & Antipathie, desquelles à peine sçauroit-on trouver la raison, non plus que de plusieurs autres choses dont tout le monde est en propos. Si donc nous mettons en avant leur guerre, leur paix, leurs haines, concorde, assemblees, & discorde, & qu’on en cerche la raison, autre chose n’en sçaura lon dire, sinon que tel a esté le plaisir de nature, qui est ouvrage caché en elle, se resentant autant de la majesté divine que nulle autre chose que les hommes puissent exprimer par escript. Mais puis que toutes choses sont pour l’utilité de l’homme, nous aurons moindre admiration d’en ignorer la raison, ne pourquoy c’est que le petit Roytelet est ennemy de la Cheveche, & de l’Aigle, & que le Loriot, & Charadrios guerissent la jaunisse de ceux qui en sont malades, pour les avoir regardez ? ne pourquoy les Chardonnerets sont ennemis des Alouettes ? Et l’Epeiche de Pics verds ? La Tourtrelle mene guerre avec le Loriot, le Loriot avec le Jay. Puis donc que tous animaux ont quelque particuliere affection d’esprit, on les trouve aussi participants de sagesse, de folie, de force, de diligence, d’amour, de paresse, de douleur, & fierté, comme aussi de docilité, & rudesse d’esprit. Les femelles en toutes especes d’animaux, sont moins robustes que les masles, hors mis quelques oyseaux de rapine, mais s’aprivoisent plus facilement, & pour la plus part sont de plus grande corpulence : toutesfois sont de moindre courage. Les oyseaux masles apprennent mieux que les femelles : mais pour parler des femelles en general, elles sont plus malicieuses, tromperesses, & cauteleuses, & plus soigneuses en nourrissant leurs petits, au contraire des masles qui sont plus fiers, & de plus grand courage.

Distinction de diverses generations, & conceptions des oyseaux, & plusieurs autres animaux aellez.
CHAP. IIII.


POUR CE que la matiere de la generation humaine est si plausible, & agreable à un chascun, il n’y ha celuy qui ne desire en sçavoir quelque chose, toutesfois il est mal aisé d’en avoir si soubdaine intelligence, sinon par la comparaison avec celle des autres animaux. Et à fin de la rendre intelligible, nous userons des propos & paroles faciles, sans rien desguiser, ou sortir de nostre commune maniere de parler : car comme l’estude des choses, qui sont presque palpables, & sensibles à nostre esprit, c’est à dire prochaines, & familieres à nostre nature, nous donnent plus grande delectation, quand sans nous travailler les trouvons faciles, & intelligibles : aussi les faciles peuvent induire chaque personne à contempler les difficiles haultaines, & divines, d’autant que la comparaison de celles qui sont prochaines à noz sens, nous donnent l’intelligence des esloignees & precieuses. Lon peult dire que comme il est plus agreable à quelqu’un de voir une maison & possession, ou attoucher le visage, ou une petite partie d’une fille, ou femme, qu’il aime familierement, que de voir tout le païs d’un Roy, ou Empereur, ou d’attoucher ou voir les presences d’infinies autres personnes, à qui il n’a aucune affection : tout ainsi une petite partie de la cognoissance des substances superieures nous est plus agreable & chere quand nous y prenons plaisir, que beaucoup d’infinies autres inferieures, ou nous n’avons point mis d’affection. Par superieures, ou divines, j’entends les Idees des substances perdurables, qui n’ont esté engendrees, & qui toutesfois sont en l’estre de nature, & desquelles les inferieures qui nous sont sensibles prennent commencement, & retournent en elles. Mais comme la varieté des choses produictes en nature est cause d’attirer les personnes à diverses estudes, aussi chascun s’adonne ou il prend plus grande delectation. Toutesfois pour ce que les choses que Dieu ha faictes en nostre usage, sont infinies : trop seroit difficile que chascun de nous les peult bien cognoistre, & contempler, tant pour leur varieté, que pour la grandeur de l’ouvrage. Car si c’est à contempler les estoilles, le ciel, les elements, ou chose produicte d’iceux, à peine peult on venir à bout d’en pouvoir parfaictement contempler une seule. Si donc le sçavoir de telles choses est trouvé si excellent, & de si grande majesté, ce n’est merveille si quelque peu que la capacité de l’esprit humain en puisse comprendre, delecte beaucoup plus que ne font toutes les autres ensemble. Quelle chose se pourra proposer l’homme qui luy doive sembler de plus grande admiration, que d’imaginer la vertu d’une petite semence, dont est puis engendré un arbre si hault eslevé en l’aer ? & qu’en une si petite portion de matiere issuë des entrailles d’un animal, se doive engendrer une si grosse masse de chair ? & que d’un si petit œuf doive naistre un si grand oyseau ? Dira l’on pas que c’est pas rencontre de quelque matiere en une autre qui avoit tel douaïre en sa puissance ? Cecy n’est il pas digne de grande contemplation, & d’un homme speculatif ? Parquoy les generations de toutes choses, qui ont commencement, & fin en l’estre de nature, sont en telle consideration, qu’elles se rendent faciles à celuy qui veult travailler à les apprendre. Et pour faire meilleure comparaison des conceptions, & commencement des generations des oyseaux, avec les animaux qui rendent les petits en vie, n’avons voulu laisser en arriere sans toucher quelque petit mot de certains animaux aellez, tels que sont les Papillons, & plusieurs autres especes d’Insectes, qui sont engendrez des œufs. Mais en oultre pource que touts animaux tant aellez, terrestres, que aquatiques ont quelques enseignes en leurs anatomies & natures, qui peuvent convenir avec celle des plantes, ou au moins en approcher de bien pres, si que comme telles fois les plantes sont eslevees des semences que les autres herbes ont produict, les autres sont engendrees du bon gré de nature, & attirent leur nourriture les unes de la terre, & les autres sont trouvees s’engendrer, & vivre avec autruy, ainsi que fait le Guy, & Lycion : tout ainsi quelques animaux naissent les uns des autres, les uns par semence, les autres de quelque putrefaction tant de terre & des plantes, que de quelque partie corrompue en autre animal, comme advient de diverses especes de petites vermines qui sont nommez Insectes. Quant aux oyseaux, serpents, & bestes à quatre piedz, & quasi toutes especes de poissons, il n’y en ha aucun qui ne soit engendré par la meslange du masle, & de la femelle. Soit que quelques animaux s’engendrent de pourriture, comme sont les verms du ventre, ou la vermine du bestial : toutesfois lon trouve evidente distinction en plusieurs especes d’iceux, du masle & de la femelle, tellement que s’acouplants ensemble, peuvent engendrer quelque chose : mais de laquelle, il ne peut plus estre rien engendré. Cecy appert par l’exemple des Poux, & Pulces qui engendrent les lendes, & les Mouches engendrent de moult petits verms, & les longues Teignes du ventre nommez Ascarides, engendrent quelques autres vermines, qui sont semblables à la semence d’un concombre. Lon en cognoist aussi d’autres, qui sont seulement engendrez de putrefaction, & vivent sans avoir distinction de masle & femelle : & parce ne peuvent rien engendrer : comme sont les Cirons des mains. Toutes especes de Papillons & autres tels animaux aellez engendrent des Chenilles, qui aussi ont prins naissance de l’œuf. Toutes especes de Papillons se transforment en plus de six figures en moins de demie annee : desquels pour en bailler l’exemple, avons mis les verms qui nous filent la soye, que les Grecs & Latins nomment Bombyces, & les Italiens Cavalieri : desquels comme il fault garder les œufs depuis l’autonne jusques en hyver, tout ainsi toutes manieres de Papillons que nous voyons voler le long de l’esté, ponnent leurs œufs en diverses manieres, qui toutesfois sçavent bien faire qu’ils n’en perdent pas un, & desquels les uns les mettent contre quelque tronc d’arbre, les autres dedens terre, les autres contre quelque rameau : desquels œufs s’engendrent quelques petits verms, qui ne l’espace de trois jours deviennent totalement en Chenilles, dont peu apres est engendree une autre maniere de verm totalement immobile. Toutes Chenilles ont puissance de former une certaine toile semblable à celle d’une Aragnee. Il y en ha d’autres qui font comme une maniere de bogue dure pour s’enveloper, qui est de la figure d’un gland : Car on les trouve diversement enfermez, selon la diversité de la Chenille : qui puis est transformee en verm, & demeure long temps leans : mais sur la fin rongeant sa bogue, ou couverture pour sortir, alors prend forme de Papillon, qui devient en telle couleur que celle de la Chenille, dont il a esté transmué : lequel de la en apres se maintient en vie sans manger, comme aussi ne fait aucuns excrements. Touts Papillons s’accouplent masle & femelle, mais peu apres la femelle pond des œufs, qui sont de la grandeur des semences de mil. Et comme diverses manieres de vermines se transmuent en diverses especes de Mouches, tout ainsi deviennent en diverses figures, comme il appert par les Cantarides, Freslons, Tavans, & autres infinis qui portent des aelles, les unes doubles & separees, dont ils ont esté nommez Quadripennes. Mais ceux qui en ont de plus dures, qui en couvrent d’autres transparentes par dessoubs, sont autrement nommez Vaginipennes, qui sont dictions qu’on ne peut rendre en Françoys par un seul mot. Nature octroyant à toutes manieres des Chenilles & Mouches venants de verms, de se paistre des fueilles & bourgeons pendant qu’elles se maintiennent en tel estre, leur ha aussi permis de rendre leurs excrements. Mais depuis qu’elles deviennent Papillons, elles ne mangent plus. Les Papillons sont de diverses couleurs, comme aussi estoyent les Chenilles, desquelles ils ont esté transmuez. Nous n’en dirons d’avantage pour le present, non plus que des Sauterelles, Cigales, Mouches guespes, Fourmis, & autres insectes aellez : remettant à les specificier, & pourtraire en autre endroit mieux à propos avec les animaux infectes, lesquels avons observez en aussi grande nombre comme les oyseaux, & avons plusieurs choses merveilleuses & notables en leurs anatomies.

Description des choses necessaires servantes à la conception, & generation des oyseaux, conferee avec celles de autre animaux.
CHAP. V.


AFIN que cy apres lors que dechifrerons les matieres servantes à la generation tant des oyseaux, que des autres animaux, les lecteurs ne trouvent noz propos impudiques, userons des termes le plus chastement que faire se pourra, sçachants qu’il y ha maints secrets en nature, dont l’intelligence en est plaisante, & desquels le sçavoir est reputé honneste, les pensant en son esprit : toutesfois qui les pronunceroit, en seroit trouvé deshonneste. Parquoy mettant telles choses en escript, & voulant que les personnes chastes ne se sentent offensees de la lecture d’icelles, ferons qu’ils ne les trouveront en mots mal convenants à l’honnesteté de nostre langue. Donc nature ayant voulu que les generations, & conceptions des animaux fussent diverses les unes aux autres, feit que les uns, qui sont produicts moyennant la semence du masle & qui rendent leurs petits en vie, seroyent dissemblables, à ceux qui proviennent des œufs, comme il appert par les œufs des oyseaux encor vierges. Parquoy comme les unes sont produictes de semence par forme de generation, les autres sont engendrez du bon gré de nature sans aucune evidente apparoissance de semence : aussi ceux qui n’ont peu estre engendrez que de la semence de leur prochain genre, prennent leur naissance par la commixtion du masle & femelle, moyennant qu’il y ait difference au sexe : car lon trouve quelques fois aucuns oyseaux qui peuvent concevoir du vent, & pondre des œufs sans avoir esté conjoints le masle à sa femelle. Mais tels œufs d’oyseaux encor vierges ne peuvent estre couvez pour esclorre, d’autant qu’ils sont infeconds, c’est à dire steriles. Les oyseaux ont telle difference du masle & femelle en leurs membres genitaulx, qu’ilz sont dissemblables à ceux de toutes autres especes d’animaux terrestres : car les femelles des autres qui ont vessies tant terrestres qu’aquatiques, rendent l’urine par lentreel’entree d’un mesme conduit : mais les oyseaux tant masle que femelle, & autres animaulx qui n’ont point de vessie, ont leurs membres genitaulx dedans le conduict de l’excrement dur, comme aussi ont leur semence blanche : qui est chose commune à touts animaux. Les animaux qui rendent leurs petits en vie, sont plus long temps conjoints masle & femelle, que ceux qui font des œufs. Les oyseaux ont beaucoup de choses communes tant des parties simples que composees, avec les autres animaux : desquels nous parlerons maintenant en termes generaux, à fin de ne repeter tant de fois les mesmes paroles, en faisant comparaison des uns avec les autres, & principalement sur la matiere de leurs generations. Nature proportionnant leurs membres à son plaisir pour composer les corps entiers des animaux, & les douänt de leurs sentiments, ne les voulut former pour neant : Car chascun fut dedié à exercer l’office auquel il seroit ordonné, voulant que les membres qui estoyent pour quelque action, rendissent les corps parfaicts suyvants leur effect pour quelque fin. L’exemple en est de la dissection, qui n’est pas faicte pour le bien d’un couteau, ou la cousture pour le bien de l’alesne, ou de l’aguille, ou le labourage pour le bien de la charruë : ne la Musique, & Geometrie pour le bien du Luc, ou d’un Astrolabe : mais en tout le contraire. Car les instruments qui sont faicts pour le bien d’une chose premiere, sont aussi pour la fin des autres dernieres. Parquoy il est manifeste, que les corps ont esté formez pour l’ame, & non pas l’ame pour le corps, non plus que le corps pour les membres : aussi les membres sont baillez pour la fin de ce dont ils ont à servir, sçavoir est pour leur action. Et tout ainsi comme il estoit necessaire que les animaux prinssent vie, & puis se nourrissent pour croistre : aussi ha faillu qu’il fust en leur puissance d’engendrer, dormir, veiller, marcher, & tels autres accidents. Touts les animaux sanguins sont engendrez par la commixtion du masle & femelle, desquels le masle est constitué comme celuy qui est autheur de l’origine, & moteur de la generation, & la femelle comme recevant la matiere, ayants leurs facultez contraires. Il est donc requis à tout principe servant à generation qu’il y ait masle & femelle, attendu qu’il est en la puissance du masle d’engendrer en autruy, & de la femelle de recevoir en soymesme. Les oyseaux & autres animaux ont certain temps deputé pour engendrer : mais les uns sont plus prompts à reïterer l’effect de la generation, & les autres sont plus tardifs. Les plus petits sont plus vistes, & plus frequents à saillir les femelles, ausquels combien qu’on ne voit aucune apparence de genitoires exterieurs, toutesfois ils en ont qui sont cachez leans. Nature baillant si gros genitoires à certains animaux, n’a pas faict qu’ils fussent aussi vigoreux en l’acte de generation, que les oyseaux qui les ont si petits. Mais attendu qu’il n’y ha aucun masle, s’il ensuit l’ordre de nature, qui n’ait deux genitoires, tout ainsi les femelles de touts animaux, n’en exceptant aucunes, en ont aussi deux. Et comme les semences des plantes se fendent en deux parties pour mettre le germe en terre, tout ainsi la matrice, & genitoires des femelles, & ceux des masles, & de touts animaux sont separez en dextre, & senestre partie. Les femelles des oyseaux ont certains conduicts cachez leans, qui se rendent à quelques charnures glanduleuses, nommees Prostates, ayants cela correspondant aux genitoires des masles : comme aussi les oyseaux masles en oultre que leurs testicules leurs sont apparents attachez aux reins, ou encores les Prostates. L’Elephant, & le Herisson, comme aussi toutes especes de serpens, & lezards, ont cela de commun avec les oyseaux, que leurs genitoires sont attachez en dedens contre les reins : Mais (à ce que dit Aristote, au premier livre de la generation des animaux, chapitre cinqiesme) le Herisson ne se peut conjoindre à la femelle, si tous deux ne sont debout sur leurs pieds de derriere, pour l’empeschement des esguillons. Et comme les membres des masles ont diverse situation, aussi les matrices sont diversement colloquees. Les oyseaux & autres animaux qui ont les testicules cachez en dedens, n’ont beaucoup de destours es vaisseaux spermatiques. C’est la cause pourquoy ils sont plus prompts & plus vistes à faillir leurs femelles, au contraire de ceux qui ont eu à faire de plus long genital, & qui ont les genitoires gros & pédants, esquels lon trouve beaucoup de revolutions & anfractuositez. Mais comme nature leur feit ce bien pour eviter la violence, aussi elle les rendit tardifs en saillant leurs femelles : car aussi bien avoient-ils à faire de contrepois, pour tenir le membre tendu, sçachans qu’il y ha longue distance de la premiëre entree exterieure, à l’interieure qui est conjoincte à la matrice. Or maintenant que voulons parler des conceptions des oyseaux, & en faire ample discours sans nous esloigner de nostre principal propos, ne le pouvons bonnement faire, que par la comparaison, avec celle des autres animaux, lesquelles conceptions nous pretendons acorder avec ce qui nous est manifeste des renouvellements de toutes herbes & arbres, pour rapporter au naturel de l’homme. Et qu’il soit vray, cognoist-on aucun arbre qui ne se purge de ses excremens, au moins une fois l’an ? Ceuls que nous voyons retenir leurs fueilles en hyver, ne sont exempts pour cela, de se despouïller lors que les nouvelles productions des bourgeons sont venuës aux autres. Et pour le sçavoir, il faut y prendre garde. Les nouveaux germes des arbres sortent avec leurs fleurs, qui est chose correspondente aux purgations des animaux, puis que cela advient avant leurs conceptions. C’est donc alors que nous jugeons les plantes estre pregnantes, quand nous leur voyons porter beaucoup de fleurs : car c’est dont puis aprés est engendré le fruict pour maintenir son espece. Mais tout ainsi qu’ils sont diversement produicts, selon diverses especes, ainsi est des oyseaux & autres animaux : desquels les uns portent fruit une, deux, ou trois fois l’an : les autres de deux, ou de trois en trois ans une fois. Tout ainsi se peut dire des plantes. Car il y en ha qui portent semences incessamment, Les autres une fois l’an, les autres de deux en deux ans, les autres de trois en trois, & ainsi des autres tant du plus que du moins, comme nous dirons par cy aprés. Les plantes auront plus long discours, pour leur part en autre endroit en nos commentaires sur Dioscoride. Parquoy pour mieuls faire la comparaison des conceptions : des oyseaux intelligible, y entremeslerons presentement celle de l’homme.

Discours touchant les conceptions & generations des oyseaux, & autres animaux, mises en comparaison de celle de l’homme, à l’encontre de l’opinion du vulgaire.
CHAP. VI.


CEST endroit s’est trouvé opportun, pour mettre beaucoup de choses en avant, que possible plusieurs pourront trouver problematiques, & contre l’opinion du vulgaire : joinct que sera à propos contre ceux qui nous ont pretendu reprendre sur quelques passages des choses observees en la matrice tant des femelles du Dauphin, que de quelques autres poyssons. Car comme nous oyons plusieurs opinions entre le vulgaire, tenuës d’un chascun comme pour vrayes, qui toutesfois sont faulses : tout ainsi n’y ha celuy entre nostre populaire, qui ne pense que les Lievres masles portent comme les femelles. Si cela estoit vray, nature sembleroit avoir esté inique : sçachant qu’il n’est possible que les masles ayent les membres propres pour la conception, comme ont les femelles, non plus qu’elles n’ont de mesme ceuls des masles. Icy ne comprendrons les Hermaphrodites autrement nommez Androgynes, qui sont monstres en nature, & qui sont imparfaicts, defaillant en un sexe, ou en l’autre. Car si bien quelques animaux se trouvent avoir apparence de sexe de femelle, ce n’est pas à dire que leur conduict parvienne jusques à quelque cavité interieure qui leur soit donnee pour matrice, non plus que les autres ayent les membres des masles parfaicts. Qui veit onc que tels Hermaphrodites ayent engrossé, & esté engrossez ? & s’ils ont engrossé, ils ne sçauroyent estre engrossez. Ce n’est pas à dire que s’ils ont un conduict de femelle, & l’instrument de masle, que touts deux soyent acomplis selon l’ordre de nature. Parquoy il est impossible que quelque animal sanguin prenne origine autrement, que par la conjonction du masle, & de sa femelle. Possible que ceste opinion du vulgaire en l’endroit des Lievres n’estoit point anciennement au temps d’Aristote : car il est à presupposer qu’il en eust fait mention, si elle y eust esté. Il est bien vray qu’il ha dict choses en cest endroict qui sont à ce propos. Car ou il escript que les Lievres femelles saultent le plus souvent les premieres sur les masles pour s’emplir de leur semence : Ce n’est pas chose qu’on ne puisse mettre en consideration en l’exemple de ce que peuvent faire les femelles sur les masles. Pour monstrer que ce discours n’est mis en avant sinon à bonne occasion, fault premierement voir la version du texte du second chapitre du cinqiesme livre de l’histoire d’Aristote de la nature des animaux. Verum non omnia (dit il) simili modo conjunguntur : sed que retro urinam mittunt, aversa coëunt, ut Leones, Lepores, Lynces. Leporum etiam foemina saepenumero marem prior supervenit. Ne veult il pas entendre en cecy que la femelle saulte sur son masle ? la preuve en est facile. Il fault sçavoir que le genital des Lievres se tient caché en son fourreau, tout ainsi comme celuy d’un Dauphin : & parce l’entree est quasi semblable à celle de sa femelle, qui est située en mesme endroict : mais qui l’entrouvre, apperçoit son membre leans, lequel on peut pinser, & tirer hors à la maniere de celuy de touts autres animaux. Il n’est donc mal aysé que sa femelle saultant sur luy, & luy trouvant son genital tendu contre mont oultre la commune maniere des autres animaux, n’en puisse estre emplie par ce moyen. C’est ce qui ha trompé nostre vulgaire de voir leurs femelles saulter sur les masles. Les anciens avoyent d’autres opinions, aussi faulses que ceste cy : Car ils pensoyent que la Civette qui avoit nom Hyaena, & le Bedouaut ou Blaireau, qui avoit nom Trochus, & le Rat de Pharaon, qui avoit nom Ichneumon, n’eussent point de distinction des masles aux femelles, qui est chose contre le verité, comme aussi est de penser que les os des femelles se desassemblent par les eines, lors qu’elles mettent leurs petits hors des matrices. Toutes femelles des animaux sanguins, & qui rendent leurs petits en vie, sont subjectes à certaines purgations appellees menstrues. Mais entant que ce sont excrements provenants du sang de la derniere digestion, il fault dire à quoy ils servent : C’est que comme nous voyons que les animaux ne peuvent concevoir sans avoir entré en chaleur : aussi ceux à qui nature ha denié telles purgations, sont communement steriles, au contraire des autres qui les ont euës, lesquels se trouvent preparez pour recevoir les semences, & concevoir des masles. Il fault entendre que les purgations des femelles sont excrements utiles : & pour utile excrement soit entendu celuy qui peut ayder à nature : comme au contraire inutile, celuy qui ne peut plus de rien servir. Tels excrements, qu’on nomme menstrues, ne sont si abondants en une espece d’animant, comme en l’autre : Car il y en ha plusieurs qui n’en ont point du tout, comme ceux qui sont couverts de plumes & d’escorce dure, c’est à dire oyseaux, & serpents, & quelques lesars, d’autant que nature ha fait consumer tel humeur en la generation des plumes, & escorces desdits animaux. Ceulx qui ont quatre pieds, & qui rendent les petits en vie, ne les ont pas en une mesme maniere, ains en ont beaucoup moins que l’homme. Et entant qu’ils sont de plus seiche nature les uns que les autres, ils les ont diversement. Il n’y ha aucun animal à quatre pieds couvert de poil, qui ne se mue une fois l’an, comme aussi touts oyseaux se despouillent de leurs plumes en quelque saison de l’annee, principalement apres avoir eslevé leurs petits. Nature ha assigné les portees à chascun animal en certain temps deputé : mais entant qu’ils sont de diverses especes, les uns portent plus long temps, les autres moins, selon leur genre. Mais l’homme ha esté aucunement mal traicté en cest endroict : car telles fois les femelles prennent leur terme à sept mois, les autres à huict, à neuf, à dix, & bien souvent durent jusques à unze. Il est en proportion à toutes femelles pour le devoir de la conception, d’avoir leurs purgations sevants à la generation, comme aux masles est leur semence. Les menstrues leur proviennent de l’excrement de la derniere digestion, comme la semence des masles, & aux femelles celle humeur qui leur est au lieu de semence. Cecy se prouve par la comparaison des masles, qui ne peuvent donner leur semence, s’ils ne sont en aage competent, auquel temps les femelles encor jeunes n’ont leurs purgations. Mais au contraire lors qu’ils commencent d’avoir vertu à tel effect, aussi les femelles de mesme aage, commencent à avoir leurs purgations, & leurs mammelles à croistre : comme encor au contraire lors que la puissance d’engendrer commence à s’abolir es masles aagez, les purgations cessent aux femelles ja vieilles. Ceux qui sont entrez en erreur de cuider que les femelles sont de nature plus chaulde que les masles, ont prins leur occasion de ce qu’on voit les femelles des animaux terrestres entrer en chaleur, & que les masles n’y entrent pas : mais en ce ont esté mal informez. Si ce n’estoit que l’Anatomie nous donne cognoissance de plusieurs choses naturelles par l’inspection des parties interieures, nous ignorerions beaucoup de secrets de la conception : car communement les femelles ne sçavent en raporter chose certaine, ains ce qu’elles en dient est par conjecture : mesmement ignorent beaucoup de raisons sur les termes de la generation, qui neantmoins sont manifestes à un homme qui aura anatomisé les animaux pregnants, ne croira lon pas que celuy qui aura fait la dissection des femelles de divers animaux trepassez en leurs gesines, pourra mieuls parler des choses des femelles, que ne feront toutes les sages femmes du monde ? Lon trouvera peu de gents, & les femmes mesmes, qui ne veullent bien maintenir que la semence des femelles est necessaire pour concevoir du masle : & toutesfois nous pouvons bien prouver par l’authorité d’Aristote que c’est chose faulse, car au premier livre de la generation des animaux, au chapitre dixneufviesme il ha dit pareils ou semblables mots. Sed quum menstrua sint quod foeminis fait perinde ut maribus genitura, nec fieri prossit ut duae simul secretiones seminales agantur, ideo semen à foemina non conferri ad generationem, apertum est : nam si semen esset, menstrua non essent : nunc ideo illud dcest, quia haec sunt. sed menstrua esse excrementum, ut semen, explicatum iam est. C’est à dire : Mais comme ainsi soit que les menstrues sont en l’endroit des femelles, comme la semence generative est es masles, il ne se peut bonnement faire que les femmes puissent avoir deux matieres seminales tout à une fois : parquoy il est manifeste que la semence de la femelle n’est pas necessaire, ains de nulle utilité, ne servant rien à la generation : car si c’estoit leur semence qui y servist, il n’y auroit aucun besoing des menstrues. Donc puis que les menstrues y servent, la semence y est inutile. Et tant la semence que les menstrues sont excrements utiles, chose qui ha esté des-ja dicte. Tout cela, ou choses semblables ha dict Aristote. Or pour declarer mieuls son opinion, il faudra voir ce qu’il ha escript au vingtiesme chapitre du premier livre de la generation des animaux. Ceux, dit il, qui pensent que la semence des femelles puisse servir à la conception, allegants qu’elles ont quelque fois autant de plaisir que les masles, & mettent hors de l’humeur seminale, sont abusez : car tel humeur n’est pas proprement humeur de semence : joinct aussi qu’elle n’advient pas tant à celles qui sont de bonne couleur, plus robustes, & comme demis hommes, comme à celles qui sont delicates, & molles, & plus feminines. Gaza traduisant Aristote l’a escript en ceste maniere. Quod autem semen conferri à foemina per coitum nonnulli existimant, propterea quod interdum simili voluptate afficiatur, ut mas, simulque aliquid humoris secernat, in non huntor seminalis est, sed loci proprius : uteri enim excretio est, quae aliis evenit, aliis non. Evenit (quod plurimum dixerim) iis quae nitidae foeminaresque sunt, non evenit iis, quae fuscae atque viragines. Copia vero quibus evenit, non pro seminis emissione interdum est, sed multo excedit, etc. Galien au livre de sectis philosophorum n’a du tout contrevenu à telle opinion. Car il dit en ceste maniere. Pythagoras, Epicurus, & Democritus (dit il) foeminas quoque semen profundere arbitrantur, ut pote quae praeditae sint seminabilibus vasis quae in uterum ex adverso emittunt, quod deinde in causa est ut etiam mulieres seminis usum appetant. Aristoteles, & Zena humorem quidem ab eis profluere aiunt, qui tamen non sit concoctum semen, vel quidam veluti sudor ex fatigatione congressus excitatus. Hippo foeminas non minus maribus, effundere semen credidit, quod tamen ad conformationem foetus non com ducat, cum extra uterum incidat unde & mulieres aliquot, imprimis vero viduas, absque virt li complexu semen interdum profusisse. Or Aristote voulant prouver que ce qu’on pense estre la semence des femelles n’est pas vraye semence, & qu’elle ne sert rien à la conception, adjouste que les femelles conçoyvent le plus souvent sans y mettre rien de leur propre : c’est à dire qu’elles engendrent de la seule semence du masle : & aussi que souventesfois les semences des deux sexes sont concurrentes en mesme temps & en semblable plaisir, & toutesfois les femelles ne concevent pour cela. Et si bien la femelle reçoit souvent autant de plaisir de l’agitation du masle, sans toutesfois qu’elle espande rien de sa semence, & l’autrefois sans avoir eu plaisir ne d’elle, ne du masle se sent avoir esté engrossee, il faut dire que la seule semence du masle jectee en la matrice ja preparee apres les menstrues, est cause de la generation, & suffisante à la conception. Il est necessaire pour la conception, que l’humeur des purgations ait premierement temperé mediocrement la matrice, & que ce soit aprés qu’elles ont coulé. Il faut donc attribuer la force d’engendrer à la semence du masle, & ne penser que l’excrement des femelles, que lon pense estre semence, le soit : car cela est seulement vapeur telle que sentent les hommes jeunes encor impuissants en la conjonction des deux sexes. Car il advient que ceuls de trop jeune aage se mettants en devoir de lexecutionl’execution de cest acte, combien qu’ils n’ayent encor puissance de mettre leur semence, toutesfois ne laissent de prendre delectation de certaine vapeur qu’ils sentent en l’emotion pour l’attouchement tel qui est en l’endroit de quelques hommes qui n’ont puissance de donner aucune semence. L’experience en est des Eunuches, qui ne sont exempts de prendre plaisir pour euls, & donner delectation aux femelles sans genitoires, & toutesfois ce seroit abus de penser qu’ils aient puissance d’engendrer. C’est la cause pourquoy ils ont aucunement moult pleu à certaines dames Romaines, & femmes des Empereurs qui les avoyent en delices, dont le peuple n’en sçachant la raison, ne aussi Martial, s’en est esmerveillé. Soit donc faite comparaison de la nature d’un homme bien jeune, ou d’un Eunuche, c’est à dire un chastré, à celle d’une femme. Car la femme est comme un masle sans semence : & les Eunuches hommes effiminez. Car comme les Eunuches ont la voix, & le visage de femme, & sans barbe, aussi estimons qu’il n’est en leur faculté naturelle d’avoir puissance d’entendrer. Pour laquelle raison estants exempts de tous excrements, deviennent aucunement gras. Mais pource que les femmes ont affaire du sang de la derniere digestion de leur nourriture pour leurs purgations, pensons que leurs purgations sont de la mesme matiere que la semence des hommes. Ce n’est donc merveille si à leur comparaison les masles, qui n’ont que faire de tel sang, & qui ont leur semence toute entiere, en ont plus grande quantité, & sans comparaison en donnent plus souvent qu’elles. C’est de la qu’on juge les hommes de nature plus chaulde.

Des qualitez de diverses generations tant des oyseaux, que des preparations pour la purgation, avant la conception des animaux.
CHAP. VII.


NATURE considerant l’aage de touts animaux, voulut avoir esgard au profict tant des oyseaux que des autres bestes. Car elle ha prefix certaines saisons en l’annee à un chascun pour accoupler les masles avec les femelles, & leur ha assigné le temps de leurs portees, laissant liberté à l’homme de choisir telle saison qui luy seroit agreable pour s’adjoindre à sa femelle : n’estoit qu’il se trouvast debile. Car de touts animaux on ne cognoist que la jument, & la femelle de l’homme, qui prennent plaisir de se joindre au masle, pendant qu’elles sont pregnantes. Mais l’homme n’estant contraint à la susdicte loy des autres animaux, est rendu plus enclin en temps d’hyver à l’execution de cest acte, comme au contraire sa femelle y est plus prompte en temps d’esté. Et pource que l’homme avoit à vivre longuement, elle ne luy ha pas octroyé en sa puissance d’engendrer environ l’huictiesme jour de sa naissance, comme ha faict aux Poux : ou environ deux mois comme aux Verons, & plusieurs autres petits poissons : ou environ trois, ou quatre mois, comme aux Lievres, Rats, & Souriz : ou environ six ou huict mois, comme à plusieurs petits oyseaux : ou dedans neuf, ou dix mois, comme aux Porceaux : ou dedens quinze, ou seize mois, comme aux Ouailles, Vaches, Chevres, Chiens, Loups, & Regnards : ou dedens deux ans, comme aux Chevaux, & Asnes : ou dedens trois ans, comme aux Chameaux : ou dedans douze, ou quinze ans, comme à l’Elephant : ains ha voulu que ce fust vers la seziesme ou dixseptiesme annee, qui est le temps que le sexe est en sa puberté, c’est à dire, que le poil follet commencé à couvrir les parties honteuses, lors que les hommes commencent à se declarer par leurs barbes, & les femmes par leurs mammelles & purgations. Car si lon voit les femmes porter enfants, ou avoir purgations dés la douziesme, ou treziesme annee, & les jouvenceaux avoir engrossé leurs femelles dés ce temps la, c’est contre le devoir de l’aage : joinct qu’il faut croire que l’homme de tel aage n’ha encor pouvoir de bailler semence parfaicte, attendu que le commun cours de nature est assez tost à la quatorziesme annee, & d’estre en vigueur environ la vingtiesme. Toutesfois d’autant que le masle & femelle commencent à se cognoistre plus tost, & plus jeunes, d’autant plus en deviennent ardents sur leur aage. Soit admis que les femelles peuvent bien estre grosses autant le temps qu’a esté dict : toutesfois il fault penser que c’est d’un homme ja en aage competent, pource que la semence des jeunes est infeconde, comme il appert par l’exemple de ceux qui sont des-ja par trop vieux. Car comme un homme de bon aage peut engrosser une femelle d’aage encor juvenil, tout ainsi peut estre en l’endroit d’une de bon aage en l’endroit d’un jouvenceau : comme au contraire, ne l’homme par trop jeune ne peut en l’endroit de la femelle d’aage competent, ou bien quand il est par trop envieilly. Toutesfois ne voulons attribuer ceste tardive d’engendrer à la longueur de l’aage : Car lon voit au sexe des chevaux, qui ont vertu d’engendrer dés la deuxiesme annee, avoir puissance de continuer toute leur vie, dont les femelles durent souvent jusques à quarante ans, & les masles plus de trente. Touts animaux, ne mesmes les oiseaux, n’ont mesme temps deputé pour se joindre aux femelles. Vray est que les oyseaux ont le printemps pour eux : parquoy ils ne font effort de les saillir pendant qu’elles couvent, ou sont empeschees à nourrir les petits : non plus que les terrestres qui ne suyvent leurs femelles, sinon lors qu’elles ont leurs purgations, c’est à dire quand elles sont entrees en chaleur. Car ils ne font effort contre elles, quand ils les trouvent pleines, hors mis le Cheval, duquel (comme ja est dict) la femelle ha cela de commun avec l’homme, qu’elle ne monstre semblant d’estre desplaisante d’estre saillie du masle, lors qu’elle est pregnante. La providence du souverain createur, voulant maintenir l’espece de chascun animal, bailla certains preparatifs, aux femelles, à fin qu’elles se purgeassent en quelque sorte, tant pour esmouvoir les masles au temps de leur preparation, que pour estre plus capables à recevoir la semence vitale, attendu que la matrice est lors ouverte, & les conduicts interieurs humectez : chose qu’on aperçoit quand leurs membres genitaux en deviennent plus enflez. Les oyseaux & autres animaux qui ponnent des œufs, n’ayants point tels accidents, n’ont aucun excrement qu’on puisse trouver sortant de leur matrice pour estre au lieu de purgations : mais sont incitez par autres enseignements que leur apprent nature. Car lon en voit aucuns s’entrebaiser avant qu’ils chauchent leurs femelles. cela font les Corbeaux, & Pigeons. Il y en ha aussi qui se couchent devant leurs masles pour les esmouvoir à les couvrir, qui est chose correspondante à ce qu’on apperçoit des animaux terrestres, qui sont coustumiers qu’en touchant les membres genitaulx des femelles chauldes, ils se incitent autant à les saillir, comme elles à les recevoir. Cecy ha esté dit contre les opinions du vulgaire, qui pense qu’entre les animaux la femme seule soit subjecte aux purgations qu’on nomme menstruës : & toutesfois il en appert autrement : Car mesmement ce qui est nommé Apria en la Truye, & Hippomanes en la Jument, sont certaines choses qui sont cause de la purgation des femelles. Cest endroit nous met en souspeçon de penser que comme les masles de touts animaux sont chastrez par la privation de leurs genitoires, lon puisse aussi faire des femelles non seulement des bestes à quatre pieds, mais aussi en celles qui n’en ont que deux, comme es oyseaux, & en l’homme.

La raison pourquoy plusieurs oyseaux, & autres animaux masles & femelles sont steriles, & en quelque maniere se font les conceptions.
CHAP. VIII.


IL FAIT mauvais aborder les masles de touts animaux sauvages, pendant que les femelles sont en leurs purgations, c’est à dire quand elles sont chauldes : car alors ils se separent de leurs troupeaux, & sens’en vont seul à seul, d’autant qu’ils se combatent entre eux pour l’amour d’elles, comme aussi font violence aux animaux d’autre sexe quand ils les rencontrent, s’ils sont les plus forts. Mais les femelles sont autrement : car elles sont plus dangereuses quand elles alaictent leurs petits. Cela ne font les animaux privez, qui sont moins effrenez que les sauvages. Puis donc que nature ha donné certain temps à touts animaux pour estre preparez à recevoir la semence des masles, il fault penser que sans telle preparation, elles seroient steriles. Les masles peuvent aussi bien avoir certains accidents par lesquels ils sont steriles. Parquoy avons voulu escrire avec Aristote, que puis que les corps des femelles sont preparez par tel moyen, nature leur ha assemblé quelques humeurs en la matrice pour entretenir la semence du masle quand il la luy ha envoyee. Pourquoy est-ce que plusieurs femelles, bien disposees, & promptes à bien executer le devoir des termes de generation, encor qu’elles n’ayent de fault ne de leurs purgations, ne de l’humeur seminale, toutesfois ne peuvent estre engrossees ? Des-ja ne pouvons mettre le defaut en la faulte des deux excrements servants à la conception, c’est à sçavoir ou à leur vapeur de semence, ou aux purgations. Parquoy fault accuser leur temperature qui n’est bien disposee à recevoir la semence du masle. L’exemple en est aussi es oyseaux. Car lon voit advenir que quleques Poulles sont steriles, c’est à dire qu’elle ne ponnent aucuns œufs qui vaillent rien à couver, & toutesfois on les ha veuës avoir esté couvertes du Coc, ce neantmoins demeurent infecondes. Donc suyvant l’opinion d’Aristote, la semence des femelles ne sert rien à la conception. Car au quatriesme chapitre du second livre de la generation des animaux, il escript en ceste maniere. Humorem autem qui à foeminis cum voluptate emittitur, nihil ad conceptum conferre dictum est ante. Sed potissimum inde videri potest, quod ut maribus, sic & foeminis accidat noctu per quietem, quod pollutionem appellant. Puys apres il dit : Res it a se habet, ut sine maris emissione concipi impossibile sit, atque etiam sine menstruorum excremento, quod aut redundans effluat foras, aut intus satis sit. C’est à dire que telle humeur ou vapeur, que les femelles rendent avec volupté estants acompagnées des masles, ne sert rien pour la generation de leurs petits. Nous avons allegué cest exemple de l’homme, pour le referer au naturel de touts autres animaux : desquels ne pouvons mieuls declarer la nature de leurs semences par figure, que par la semence des plantes. Ne cognoissons-nous pas qu’un grain de bled, ou semence d’arbre humectee, devient enflee avant que jecter son germe ? Ce seroit pour neant de le semer en terre, si elle n’est preparee, & bien temperee pour le recevoir. Car si on le seme en terre qui n’ait humidité suffisante, le germe de la semence se deseiche par faulte de nourriture, & aneantit du tout. Comme au contraire si le grain trouve lieu à propos, alors il espand ses racines, cherchant l’humeur en terre, & quant & quant il forme ses fueilles, & envoye ses rameaux en l’aer, à fin que prenant augmentation, sa plante croisse de jour en jour, & se conduise jusques à sa fin. Et sa fin est de produire son fruict, & le meurir en perfection. Car la terre baille corps aux plantes, & les semences baillent la matiere. Il fault imaginer tout ainsi comme les semences des plantes sauvages apportees d’estrange païs, semees en terre autrement temperee que la leur, sont quelque peu abastardiës pour la nature du lieu, & diversité du climat : que semblablement quand les oyseaux, & autres animaux de diverses especes du genre prochain, s’assemblent avec les autres especes d’animaux d’autre genre, font leurs petits communs à touts deux, c’est à dire aux deux differentes especes : mais retournants à se mesler avec les diversitez, dont ils ont prins origine, ils rengendrent les mesmes animaux semblables à leurs premieres especes. Parquoy comme les semences produisent telles plantes, que celles dont elles ont esté cueillies, aussi les animaux prenants augmentation de la semence de leur sexe, deviennent à la part fin tels que ceux dont ils ont prins origine. Les semences sont excrements des corps, qui ont leurs mouvemens tels que les substances dont elles sont sorties, & qui procedent de la derniere digestion de leur nourriture. La semence des masles esmeut l’excrement de la femelle, aprés qu’elle est entree en la matrice, de mesme mouvement que celuy qui est en elle mesme. Cecy est conforme à ce que dit l’axiome de Philosophie tant commun, Agens facit sibi simile. Mais la semence de la femelle estant aussi excrement, ha toutes les parties du corps en vertu qui en sont engendrees, non pas en action presente, mais seulement en matiere, & les parties en puissance : par lesquelles nature ha faict la femelle estre differente au masle, & dont il advient que quelques fois les animaux contrefaicts engendrent des enfants contrefaicts, l’une fois masle, l’autre fois femelle. L’estre de la femelle est comme d’un masle mal acompli, & les purgations comme de semence impure. Quand les animaux envoyent leurs semences sans que la femelle en conçoive pour celle fois, elles tumbent lors au conduict ou est reçeu le genital du masle. Car il fault que la semence qui ha vertu d’engendrer, & dont la femelle conçoit, entre par l’entree ou bouche estroicte en la matrice : Car il y ha une ample cavité leans donnee pour contenir le fruict qui en est engendré. Et ce que le ventre de la femelle reçoit de la semence du masle, est la partie la plus pure. Car comme il y ha quelque partie inutile es menstrues, tout ainsi est en la semence de l’homme. La raison pourquoy plusieurs masles (comme advient à ceux qui sont Eunuches de Nature) n’ont point de semence servant à generation, & aussi que les femelles qu’avons comparees à un Eunuche, sont steriles, est, que l’animal estant defini avoir un corps animé, prend tousjours sa matiere de la femelle, laquelle nature n’ha enduré estre privee de matiere genitale pour la formation : par ainsi il est necessaire que le masle baille le commencement de l’emotion d’engendrer. Car c’est luy qui ha la vertu & force de formation en forme, & la femelle est comme baillant la matiere. Parquoy un animal vivant ne peut consister, sinon de la mixtion du masle en la femelle assemblez à c’est effect : comme aussi fault que le petit prenne sa grandeur & croissance de la femelle, n’ayant rien à faire du masle, depuis qu’il ha prins son commencement de sa semence par la vertu de l’excrement de la femelle, qui est tel en puissance que l’animal est en sa nature. Ceste est la prouve demonstrant qu’il prend sa corpulence de la mere, & la vie de son pere : car l’ame est ce qui fait qu’un corps est substantiel, sans laquelle il ne se peut maintenir en vie. Le pere, c’est à dire le masle, est comme autheur & ouvrier de quelque besongne : & la mere cest à dire la femelle, est comme la matiere de laquelle l’ouvrier forme son ouvrage. Par ainsi nulle femelle ha puissance d’engendrer aucune chose, qui puis devienne en vie avec ses sentiments, sinon par la commixition du masle : car tout animal ne prend vie si ce n’est pas la semence du masle, qui en baille le commencement à l’excrement de la femelle, c’est à dire la matiere dedens la matrice : car alors s’eschauffants ensemble, se couvrent de telle petite crouste qu’est celle que nous voyons sur la boullie refroidie. Et estants ainsi attachez à la matrice, prennent leur croissance jusques à la fin. Les nouveaux Anatomistes, c’est à dire ceux qui ont mis leur estude à voir les parties interieures des animaux, ont prins occasion de tel passage d’estre contraires à Galien. Car si Galien veult entendre que le petit estant au ventre de sa mere, est entourné tout à l’entour d’une membrane nommee Chorion, c’est la mesme opinion d’Aristote, laquelle nous declarerons ailleurs en parlant de la nature de l’œuf. Les animaux qui sont de moins parfaicte nature, tels que sont ceux qui ponnent, rendent leurs conceptions plus imparfaictes : desquels les petits sortants des ventres de leurs meres, monstrent evidente distinction du masle & femelle. Car, comme dict est, les conceptions sont diverses selon la diversité des animaux. Quant est à ceux qui conçoivent l’œuf en leurs ventres, & engendrent leurs petits en vie sans secondines, nous en avons amplement parlé au livre des serpents au chapitre de la Vipere, & en celuy des poissons aux chapitre des Chiens de mer. Or à fin que nous puissions prouver que les purgations nommées menstrues, sont necessaires à toutes femelles, ou avoir chose correspondente à cela pour les conceptions, nous ferons voir que les animaux femelles qui ne monstrent avoir abondance de semence ne de menstrues, en recueillent & gardent autant en leurs ventres qu’il est necessaire à la proportion de ceux qui en perdent plus grande quantite. La semence qui avoit son siege au dextre ou au senestre costé des parastates des masles, que l’animal envoye à une seule fois, faict que la distinction des masles s’en ensuyve. De lá vient que si celle du costé dextre peut vaincre celle du gauche, s’engendrent des masles, comme au contraire en viennent des femelles. Les oyseaux ont aussi bien leur distinction de masle & femelle, comme les autres animaux. Aristote au quatriesme chapitre du second livre, De generatione animalium, suyvant ce propos ha escript en ceste maniere. At sine ea voluptate quae foeminis per coitum evenire solet, concipitur, si locus turget, & vulua descendit propius. Mais pource qu’il avoit dit en une precedente clausule, Sine maris emissione concipi impossibile est, atque etiam sine menstruorum excremento, quod aut redundans effluat foras, aut intus satis sit : pour, locum turgere, il entend de la matrice qui est rendue espoisse à cause des purgations : mais c’est au temps que les femelles sont en chaleur. Il dit bien que le plus souvent la conception est faicte accompagnee de la semence de la femelle : car il adjouste, Veruntamen magna ex parte sic accidit, ut cum profusione foeminae agatur, quoniam os uteri se comprimat, quum profunditur. In qua quidem profusione voluptas & mari & foeminae contingere solet : semen etiam maris melius ita dirigitur & ivuatur. Profusio autem non intus fit, ut quidam volunt, os enim uteri angustum est : Sed ante, quo foemina mittit vaporem illum nonnullarum recrementum eodem enim mas etiam mittit quod fuderit. & aut ibidem manet semen emissum, aut intro ab utero trahitur, si calidus est, & modice temperatus. Cuius rei indicium, quod locus qui modo madebat, resiccatus mox sentiatur. C’est à dire, qu’il advient souventesfois, que la conception se fait avec la vapeur que la femme espand, d’autant que quand elle baille sa semence, la bouche de la matrice se serre estroicte : & en celle profusion de semence il advient, que le masle & femelle ont plaisir touts deux ensemble : & aussi lors la semence du masle est mieux aydee & adressee. L’effusion des semences du masle & femelle ne se fait pas incontinent en la matrice, comme plusieurs ont pensé : mais elle est faicte devant ladicte entree : car la bouche de la matrice ou entre la semence, est estroicte, & demeure lá sans y entrer quand il ne se fait point de conception : ou bien si la matrice est moyennement chaude & temperee, elle attire la semence dedens, pour faire la conception. De laquelle chose les femelles s’asseurent, quand elles sentent que le lieu qui estoit auparavant humide, devient tout deseché. Cela, ou choses semblables ha entendu Aristote, touchant la conception : mais disputant encores autres choses sur ceste matiere, adjouste telles ou semblables paroles. Trahit genitur am hic locus suo calore, menstruorum etiam decessio & confluvium fomitem in ea parte caloris parat. Itaque ut Vasa non illita, calido diluta humore, aquam in se trahunt ore inverso, ita attrahitur semen. Nec audienti sunt, qui partibus accommodatis ad coitum officialibus id fieri opinantur : nullo enim pasto sic fieri potest. Contra etiam evenit its, qui semen à muliere quoque emitti aiunt. Accidit enim ut postquam for as emiserunt, retrahant intro. Si quidem quod emissum est, misceri debet cum maris genitura : quod it a fieri supervacancum est. At vero natura nullam rem supervacane am facit. Quum autem excrementum foeminae in utero constiterit à maris genitura, quae simile facit ut lactis coagulum. Coagulum enim lac est continens calorem vitalem, qui partes similes ducit eodem, & unit, atque constituit. Et genitura ita se habet ad menstruorum naturam eadem enim natura lactis & menstruorum est. Itaque coactis iam partibus, corpulentus humor excernitur, obducunturque circum parte resiccescente terrena membranae, tum necessario, tum etiam alicuius gratia. Nam & calescentis frigescxentisve rei extrema siccescere necesse est : & animal non in humido, sed seorsum contineri oportet. Il est manifeste qu’Aristote veult entendre que la matrice tire la semence de l’animal à soy par sa chaleur : & que c’est apres que les purgations & menstrues ont cessé, & de leur chaleur ont preparé le lieu. A la comparaison desquelles lon peut dire de la matrice, comme de quelque vase de terre, qu’on ha fait cuire sans estre plombé, lequel estant tout abreuvé d’eau chaude, & luy ayant renversé la gueulle sur l’eau chaude, il l’attiré à soy par la vertu de la chaleur : tout ainsi la matrice attire la semence du masle. Il ne faut adjouster foy, dit il, à ceux qui dient que la conception se fait par certaines parties interieures accommodees à cest effect, servantes à la conception : qui est chose qui ne se peut aucunement faire. Comme aussi advient au contraire à ceux qui pensent que la femelle mette sa semence hors des vaisseaux dedans le genital qui reçoit le membre honteux du masle, & que la se meslants l’une avec l’autre, la matrice les tire au dedens. Parquoy Aristote entend que cela est chose outre le devoir de nature, qui ne fait rien d’inutilité en son ouvrage. Il est donc d’opinion, que la semence du masle peut entrer leans, & faire la generation, sans celle de la femelle : car ou il escrit, Quum autem excrementum foeminae in utero constiterit à maris genitura, Il fait puis une comparaison que l’excrement de la femelle, c’est à dire les menstrues, font tout ainsi que la tourneure dedens le laict : car la tourneure retenant une chaleur vitale, est comme la semence de l’homme entrant en la matrice avec les menstrues de la femme, faisants comme le laict qui se convertit en fourmage : car la tourneure, qui est matiere de fourmage, unit icelle substance, qui luy est semblable tout en une masse, separant d’avec le maigue qui est aqueux, & d’avec le laict qui est de la nature des menstrues : car communement les nourrices allaictants les enfants, si leurs menstrues les prennent, leur laict en diminuë & en devient mauvais : ou si elles deviennent grosses, leur laict se tarist. Tout ainsi faut dire que comme le laict & la semence sont sang ja digeré, aussi les menstrues sont de sang indigeste, lequel nature digere beaucoup mieux lors que le petit est leans quand il y est nourry. Parquoy la semence du masle entrant leans, est comme la tourneure dedens le laict, de laquelle se conjoignant avec les menstrues, est faicte une paste dure, comme advient en la tourneure faisant le fourmage, separant l’humeur plus corpulente d’avec la liquide, & ce qui est de plus solide, prend racine à la matrice en se couvrant de membranes, elle y demeure envelopée jusques à ce que tout sorte en lumiere. Mais pource que ce mystere se peut mieux comprendre es petits qui sont encor dedens les œufs au temps qu’ils sont prests à esclorre, nous en dirons d’avantage en ce suyvant chapitre.

De la nature des œufs.
CHAP. IX.


LES modernes escrivants de la nature, forme, & constitution des choses naturelles, doivent considerer s’ils en trouvent aucune enseigne es escripts des anciens, à fin que par eux ce qu’ils en dient, soit confirmé : & en ce faisant ne se desdaigner descrire chasque chose par le menu. A peine pouvons dire chose, qui n’ait esté des-ja sceuë. Dont possible qu’il semblera par trop puërile, à quelques uns si leur disons que les Françoys mangeants les œufs en coque, les entament par la poincte delice, & puis ayants vuidé la coque la remettent dans le plat sans la rompre, & que les Almants les ouvrent par le costé, & puis quand ils les ont mangez ont coustume d’en rompre la coque. Mais voyez que ceste chose ha esté anciennement disputee, & dont quelques philosophes ont essayé donner la raison. Pline ha escrit au second chapitre du vingt & huictiesme livre en ceste maniere : Defigi quidem diris depracationibus nemo non metuit. Huc pertinet uvorum, ut exorbuerit quisque, calyces cochle arumque protinus frangi, aut eosdem cochlearibus perforari. Voulant dire, qu’anciennement apres qu’ils avoyent mangé les œufs, c’estoit mauvais augure de remettre les coques au plat sans les rompre. Il advient aucunesfois que quelques oyseaux ponnent sans avoir esté couverts des masles, mais (comme dirons par cy apres) leurs œufs ne valent rien à couver. Ja avons dict que tous animaux ne sont si parfaicts les uns comme les autres, & mesmement entre les oyseaux, lon en trouve qui ne ponnent aucuns œufs. La frequente diffection des animaux nous peut donner à cognoistrer, que les femelles de ceux qui rendent le petit en vie, peuvent estre emplies de la seule semence des masles, moyennant les purgations precedentes : qui est chose conforme à ce qu’avons dit, parlants des oyseaux steriles, & seconds. La semence humorale des femelles tant des oyseaux, que des autres animaux qui rendent le petit en vie, passe par certains conduicts, sans entrer dedens la cavité de la matrice : toutesfois que ne voulons nous eslongner de l’opinion de ceux qui en avoyent dict autrement sans en avoir veu l’experience : car tout ainsi qu’on cognoist que c’est chose inique de s’adjoindre à l’opinion contraire de son precepteur, sans en avoir cogneu le contraire : aussi est encor plus inique, maintenir la mensonge si lon en ha cogneu le contraire : car c’est le devoir de l’homme, ne dissimuler la verité, & ne dire rien oultre sa pensee. Celuy qui ha aperceu en diverses especes d’animaux pregnants, que leur vapeur est envoyee par canaux bien prés du conduit interieur, ha cognu qu’elle vient à sortir en icelle cavité qui reçoit le genital du masle, entre la bouche honteuse & celle de la matrice. Ceci est aussi escrit en l’anatomie interieure du Dauphin au livre des estranges poyssons marins. Si donc l’humeur de semence des femelles, sortant hors avoit à passer par le dedens de la matrice, comme plusieurs ont pensé, il fauldroit imaginer que leur matrice s’ouvrist : car lors qu’elles sont pregnantes, elles espandent leur humeur tout ainsi comme quand elles sont vuïdes : mais estants pregnantes, leur matrice est exactement close, & toutesfois ne laissent à mettre hors leur humeur. Parce fault penser qu’elle n’ha pas issuë par la cavité de la matrice. Aussi voyons nous les Poulles & touts autres oyseaux avoir les œufs ja formez en leurs portieres, & pondre touts les jours, & toutesfois estre chauchees des masles. Il est donc à presupposer, que ne la semence des masles n’entre jusques à l’œuf, ne celle de la femelle n’ha issue par celle cavité ou est l’œuf. Ce propos nous servira quand ferons comparaison de la nature des animaux qui rendent le petit en vie, les conferant avec les oyseaux, & autres bestes qui ponnent les œufs. Les bestes qui engendrent l’animal ja parfaict, ont le commencement de leurs generations plus pur & parfaict que ceux qui rendent l’œuf, qui ont à faire de chaleur exterieure pour le faire esclorre. Il n’y ha gents de quelque condition qu’ils soyent, qui ignorent que le commencement des choses est premierement en nature qu’en quelque matiere substantielle. Parquoy tout animal masle se conjoingnant avec sa femelle, envoye l’esprit en la matrice avec sa semence. Car combien que le poisson, l’oyseau, le serpent, le papillon, & tout autre insecte rendent l’œuf immobile, & quasi comparé à une semence d’arbre : ce neantmoins il est tout manifeste, que la puissance & la vertu vitale y est actuëllement, en sorte que le poisson, ou autre animal insecte, oyseau, ou serpent, qui aura ja mis ses œufs hors, les pourra faire esclorre, & devenir animal vivant, en leur administrant seulement quelque peu de chaleur, à l’exemple des œufs de Poulles, Canes, Oyes, & autres oiseaux, qu’on peult faire esclorre d’une chaleur exterieure que nous y aurons temperee, sans que l’animal qui l’aura ponnu le retouche jamais : comme aussi les œufs des serpents sont esclos de la chaleur de quelque fumier. Si donc l’esprit y est puys apres suscité par la chaleur, à quoy attribuera lon la vie de l’animal ? ou à la chaleur, qui est cause de les faire esclorre, ou à la matiere qui s’est trouvee preparee en l’œuf, dont est engendré l’animal ? Nul corps quel qu’il soit, je dy vegetatif, ne se peut remuër & nourrir sans ame. Parquoy il fault attribuër telle puissance à touts deux. Pourquoy est-ce qu’il ne peut estre rien engendré des œufs des Poulles, des Canes, Paons, & Oyes vierges, comme aussi ceux des poyssons, qu’on nomme Ova Arenida, ou Arenulentae, & les Grecs Psatyra, sinon qu’ils ont faulte de l’esprit, c’est à dire de la semence du masle ? Car il n’y ha aucune matiere qui sans esprit se puisse disposer à prendre forme. La semence des masles qui rend le petit en vie, entrant en la matrice des femelles, n’y faict pas grand sejour, qu’elle ne s’y couvre d’une pellicule deliee, tellement qu’on ne trouve pas grande difference du premier commencement des animaux qui envoyent leurs petits en vie, à ceux qui rendent leurs œufs. Car qui les regarde leans avant qu’ils ayent la coque dure, les voit attachez comme à un lien. Mais la difference se manifeste au sortir : car les œufs ont l’escorce dure, & les animaux en vie ont leur delivrance ou arriere faix mol. Donc tout ainsi comme il fault que le petit nay en vie, soit alaicté longue espace de temps de la mammelle, jusques à ce que les dents luy soyent creuës, aussi fault que les oyseaux abechent leurs petits jusques à ce que les plumes leur soyent venuës. Puis qu’il est ainsi que touts oyseaux prennent naissance de l’œuf, il est necessaire escrire quelque chose de leur nature. Chascun sçait que les œufs de Poulle sont meilleurs à manger que touts autres, & que c’est l’une des choses du plus grand profict qui soit pour la nourriture du peuple : parquoy il convient les mettre au premier degré. Il y ha plusieurs animaux terrestres qui font aussi des œufs quasi semblables à ceux des oyseaux, comme les Serpents, Lezars, Chameleons, Stellions, Crocodiles : mais touts sont inutiles à manger, desquels ne voulons parler nomplus que des œufs des poissons. Les œufs des Tortuës tant terrestres que de mer sont de fort bon manger : Ceux des longues Tortuës de mer sont les meilleurs. Car les grandes Tortuës ont l’escorce quasi de la hauteur d’un homme : dont en avons veu au Tor qui avoyent l’escaille plus grande qu’un van. Et nous qui avons faict experience des œufs tant des grandes que des petites, les avos trouvez plus gros que les œufs des poulles, & d’aussi bon goust, ayans leurs coques de pareille durté, & distinction du blanc & du moyeu : chose que n’ont ceux des poissons. Nous avons trouvé le nid d’une grande Tortuë de mer, au rivage de l’Isle de Crete, & cinquante œufs leans, combien qu’une Tortuë en face une centeine d’une mesme couvee : & qui regarde ses interieures parties, en trouve sept ou huict dens son ventre ja durs & formez, qui nous fait dire qu’elles en ponnent quatre ou cinq par jour : lesquels pour quelque espace de temps qu’on face boullir, la glaire ne s’endurcist non plus que faict le moyeu de l’œuf de la Perdris de Grece. Les œufs des oyseaux sont indifferemment bons à manger, mais sont trouvez de meilleur aliment les uns que les autres : Car ceux de Pigeon sont estimez de complexion trop chaude, de mauvais goust, & mal aisez à digerer, comme aussi ceux des Autruches, & Paons, & des oyseaux de riviere qui ont le pied plat, tant des Canes, Oyes, que des Cygnes. Les œufs des Autruches servent aux Aphricains, & autres plusieurs nations, à faire des vases à boire. Les œufs de Poulle estants les meilleurs, & vulgaires ont election : Car lon choisist ceux qui sont de forme longue. Horace au recit de Pline au dixiesme livre de l’hystoire naturelle, chapitre cinquantedeuziesme, ha escript qu’ils sont meilleurs que les ronds. Il y ha eu plusieurs personnes en nostre France, qui ont attribué l’occasion aux œufs fraiz, de quoy ils ont vescu longuement : & ha esté bruit que le Pape Paul en ha allongé sa vie de beaucoup : pource, disent-ils, qu’ils en mangeoit deux mollets fraiz, touts les matins. Les œufs ponnuz d’une Poulle qui ha esté ja chauchee du coq, sont beaucoup meilleurs que ceux des Poulles vierges : Car les œufs des Poulles qui viennent sans le coq, que les Latins nomment Subvent anea ova, & les Grecs Hypenemia, ne sont si naturels que les autres, attendu qu’ils sont beaucoup plus humides, & n’ont si bon goust, aussi sont plus petits & steriles. On les nomme aussi Zephyria, c’est à dire Favonia : pource que les oyseaux femelles les ont ponnuz sans avoir eu la compagnie du masle, ayants esté secondees du susdict vent : mais cela se faict seulement au printemps, lors que le vent Zephyrus soufle. Les œufs ne sont totalement ronds ne longs : car tousjours l’une partie est plus large par un des bouts que par l’autre qui est agu. Le bout large sort le premier hors la matrice, qui semble estre la reigle de naistre des autres animaux, qui mettent leurs petits, la teste la premiere. Lon pense que les œufs longs soyent les masles, & les plus ronds les femelles. Tout le commun peuple Françoys, & plusieurs gents doctes pensent que les œufs de Poulle sont chauds, qui nous semble erreur, dont plusieurs malades se les deffendent eux mesmes, les pensants de trop chaude nature. Mais pour monstrer qu’ils sont deceuz de leur opinion, nous alleguerons une clausule que Pline, au vingtneufiesme livre de l’hystoire naturelle, chapitre troysiesme, ha escripte en leur louange : Nullus est alius cibus qui in aegritudine alat, neque oneret, simulque vim potus, & cibi habeat. Car le naturel de l’œuf est d’estre froid & humide, beaucoup plus le blanc que le moyeu, comme il appert en l’appliquant exterieurement sur toutes parties eschaufees. Il est bien vray que pource qu’ils sont faciles à digerer, & sont de grand & bon nourrissement, font le sang subtil. Et de ce en sont confortatifs, & augmentent la matiere spermatique : dont on les pense estre chaulds, & plus les fraiz que les vieux, & mieux ceux des Poulles qui ont esté chauchees que des vierges : toutesfois celle augmentation de semence ne provient de leur naturelle chaleur, ains de leur temperature, & de l’humidité qu’on prend de les avoir mangez. Soit donc conclud, qu’on peut dire des œufs tout ainsi comme lon fait communément des Trufles, Huistres crues, & des Artichaux. Car combien qu’on lise tels mots de l’Artichaut au livre des aliments en Galien : Cinara pravi succi est edulium, praesertim quum plusculum obdurverit. Et enim tunc succum biliosum contient copiosiorem, adeo ut ex ea quidem succus melancholicus ex ipso autem succo tenuis ac biliosus gignatur : Toutesfois il fault noter qu’ils les mangeoyent cruds. Mais maintenant que nous les sçavons moult bien assaisonner, nous voyons communement à l’experience que ceux qui mangent des Artichaux, en sont bien nourriz, tellement que de ce temps chasque grand seigneur fust il malade, ne veult faire repas sans en avoir à son issue de table. Les autres les mangent, pensants que cela leur provoque le desir des femelles, comme à ceux qui se l’incitent en mangeant des œufs fraiz. Plusieurs mettent grand interest en cuisant les œufs pour les trouver meilleurs ou pires : Car mesmement ils prennent divers noms selon diverses cuissons, & en acquerent diverses temperatures. Car ceux qui ont esté cuits en la braise, ne sont tant prisez pour donner aux malades, que s’ils avoyent esté boullis en l’eau : & toutesfois ils sont les plus savoureux. Les œufs que les Grecs nomment Tromita, les François molletz, & les Latins Tremula, sont les mieux estimez, pource qu’ils sont de facile digestion, & engendrent bonnes humeurs. Tels œufs sont des-ja cuicts, mais bien peu. Les autres ont esté nommez Rophita, & en Latin Sorbilia : qui sont ceux que les Françoys pourroyent nommer œufs seulement eschauffez, & qui sont encores liquides, si que la chaleur ne les ha encor espoissis. Tels œufs sont de moindre nourriture, & laschent mieux le ventre. Par cela sont contraires à un estomach debile : car ils provoquent à vomir. Les œufs endurcis d’estre trop cuits sont durs à digerer, de grande nourriture, & engendrent grosses humeurs, comme aussi ceux qu’on ha par trop frits. Les œufs pochez en l’eau sont maintenant bien estimez : comme aussi estoyent anciennement ceux que les Grecs, nommoyent Pincta, qu’on mettoit cuire avec du vin huile & garum, & boullis en un vaisseau qui trempoit en eau boullante. Les œufs des oyseaux de riviere sont cogneuz differents des terrestres, à ce qu’ils ont beaucoup plus de jaulne à la proportion du blanc, que les terrestres. Nature n’ha pas determiné que les oyseaux feissent tel nombre d’œufs, les uns comme les autres : Car il est commun à touts que le Coquu est seul entre les oyseaux qui ne pond qu’un œuf. Il y en ha plusieurs qui n’en ponnent que deux les autres trois, & ainsi consequemment, en sorte qu’ils montent souvent jusques au nombre de quarante. Touts œufs d’oyseaux ont germes conjoincts au moyeu, qui est ce que les Grecs nomment Chalazae, & les Latins Grandines. Lors que nous naviguions sur le Nil, lon nous monstroit les fours, esquels les Aegyptiens font couver les œufs des Oyes, Canes, Poulles, & autres tels animaux, avec la chaleur artificielle : mais cela ne nous sembla trop nouveau : Car Aristote au sixiesme livre de natura animalium, au second chapitre avoit des-ja escrit, Incubitu avium foetum escludi, naturae ratio est non tamen ita solum ova aperiumtur, sed etiam sponte in terra, ut in Aegyp to obruta fimo puliciem procreant. Il y ha une chose en Suetone, que Pline raconte au cinquante & cinqiesme chapitre du dixiesme livre, qui est à noter en ce lieu, cest que Livie Auguste encor jeune, femme de Neron, grosse de Tibere Cesar desirant enfanter un fils masle, voulut en faire la prouve avec un œuf, lequel le tenant ordinairement en son sein, ou bien le baillant à une nourrice à fin qu’il ne refroidist, trouva bon augure : car comme il nasquist un poulsin male, aussi engendra son fils masle, qui fut Tibere. Touts œufs ne sont pas tousjours d’une mesme couleur : car les uns sont touts blancs, les autres palles, les autres de couleur de plomb, les autres bleuz, les autres rouges, les autres madrez de diverses taches : mais touts œufs sont naturellement de deux couleurs par le dedens, blancs & jaulnes, au moins si ce n’estoit que les oyseaux les eussent ja couvez : car ceux qu’ils ont ja couvez trois jours, sont particulierement nommez Schista. Ceux qui se corrompent par le temps chauld, dont le moyeu est depravé, qu’on nomme en Françoys œufs couvis, ou pourris, furent anciennement nommez Ova urina, ou Cynosura, & aussi Canicularis, & en Grec Ovrica. Les œufs ja couvez sont souvent corrompuz quand il fait grand tonnerre. Or comme les choses froides & humides sont conservees en leur estre naturel par leur semblable, c’est à dire en lieu froid & humide, tout ainsi qui veult engarder les œufs de se corrompre par le chaud, il les fault tenir en lieu frais, ou du dedens sel, ou tremper en saulmure. Les œufs tant des oyseaux, des Tortuës, des Lezars, des Chameleons, Stellions, des Papillons, des Saulterelles, des Cigales, des Escharbots, que des Phalangions, & des poyssons, & autres tels animaux, sont ponnuz separez l’un de l’autre, comme aussi ceux des Serpents : mais les Serpents ont l’industrie de les faire entretenir ensemble, combien toutesfois qu’ils ayent les coques durettes peu moins que celles des oyseaux. Les Limas tant de mer que terrestres ponnent environ une cinquantaine d’œufs ou plus, qu’ils enfouïssent en terre, dont puis sont procreez les petits limaçons : mais ceux de mer les attachent, & disposent par ordre contre quelque roche. Il y ha des herbes, qui en naissant font leurs germes envelopez en pomme, tellement que les autheurs ont appellé cela de nom d’œuf, que nous ferons plainement apparoir es commentaires sur Dioscoride en ceste langue, quand declarerons quelle chose est Ovum ferulae. Il y ha aussi quelque parties d’animaux ayants des œufs, comme est ce, qu’Aristote au dixhuittiesme chapitre du cinquiesme livre de la nature des animaux, ha nommé Ovum Polypi. Mais lon pourra voir cecy plus à plain au livre ou sont baillez les portraicts des poyssons. Lon trouve differentes opinions d’Hippocrates, d’Aristote, & Galien, touchant la nature des animaux, qui est advenuë à cause de l’œuf. Car Aristote au troiziesme chapitre du sixiesme livre de la nature des animaux, ha escrit toute la maniere, comme le Poulsin est couvé, & escloz de l’œuf, tout par le menu, qu’il semble avoir fait couver les poulles luy mesmes : & d’en parler beaucoup apres luy, ne seroit que repetition dicte deux fois. Il s’efforce en c’est endroit nous monstrer que l’origine du petit oysillon est en l’aubin, & que le germe est comme le nombril. Et de fait au cinquantedeuxiesme chapitre du dixiesme livre de l’hystoire naturelle Pline le nomme Umbilicus, par lequel l’oyseau se nourrist du myœu. Mais Hippocrates qui avoit escrit long temps avant Aristote, parlant des petits enfants au livre du partu (si le texte n’est corrumpu) entendit que les Poulsins s’engendrent du moyeu, & se nourrissent du blanc. Aristote au troysiesme chapitre du sixiesme livre de la nature des animaux, est d’opinion que le moyeu vient sur la glaire lors que l’oyseau couve, & qu’en ce temps la on peut voir le cœur resemblant à une petite goutte de sang dedens le blanc. Pline au cinquante & troysiesme chapitre du dixiesme livre traduisant ce passage, n’ha pas dit dedens le blanc, mais ha dit estre dedens le moyeu. Toutesfois Aristote veult que ceste goutte est celle qui donne le premier mouvement au Poulsin entretenant vie à l’animal, & qu’on la voit remuër & debatre, & que d’elle sortent deux petits rameaux qui se vont inserer l’un entour le blanc, l’autre pour entourner le moyeu, & se referer en la tunique, c’est à dire en celle pellicule, qui est dessoubs la coque de l’œuf. Ce passage d’Aristote nous donne argument de conferer ce que Galien ha escrit des autres animaux : car en lieu ou Aristote veult que le cœur soit formé le premier, Galien est d’opinion que ce soit le foye en l’homme, & non pas le cœur. Les œufs souventefois ont deux moyeux, aussi est ce de là qu’on voit le petit qui en sort estre monstrueux. Mais des œufs desquels les deux aulbins, & les deux moyeus sont separez, les petits en sortent separement, sans estre attachez l’un à l’autre. Comme nature ha assigné diverses saisons aux oyseaux pour faire leurs nids & pondre, tout ainsi elle leur a donné divers temps de couver : car les Poulles & Pigeons ponnent & couvent communement en toutes saisons. Toutesfois comme il y ha diverses especes de Poulles, aussy ponnent diversement : Car il y en ha qui ponnent deux fois le jour : mais d’autant que leur nature ne peut supporter telle violence, elles sont de moindre duree. Nous en parlerons plus amplement au chapitre des Poulles. Ce qui reste de la nature des œufs, se voirra au dixseptiesme chapitre de ce present livre, ou traicterons de la nourriture du petit, luy estant encor dedans l’œuf.

De la grandeur des oyseaux, & de leurs parties exterieures.
CHAP. X.


PUIS qu’avons proposé mettre la description des oyseaux suyvant les propres termes Françoys, il nous sera l’oysible d’en adjouster plusieurs autres, desquels les autheurs Latins, & Grecs ont fait speciale mention, qui sera pour la comparaison de plusieurs autres qui nous sont vulgaires, principalement de ceux qui sont particulierement nommez selon qu’Aristote les nous ha signifiez. Toutesfois ayants entendu quelque doubte qui demeure à esclaircir sur ceste matiere, cest à dire en la diversité d’iceux, qui pourroit arrester le lecteur, ce lieu sera à propos pour le donner à entendre. C’est que comme la terre est diverse selon divers climats, & est de diverses temperatures, & en laquelle vivent les oyseaux diversement temperez, par cela il y en pourroit avoir qui en mesme espece seroyent de diverses grandeurs, & grosseurs. Parquoy ne voulons estre excusez de faulte de ne distinguer la corpulence d’un oyseau, ou autre animal d’un païs, d’avec l’autre. Car si contre ceste opinion lon alleguoit que ceux d’Europe ont difference aux autres d’Asie, & ceux d’Aphrique aux autres d’une autre region, la response est qu’une Hirondelle, Francolin, Perdris, Autruche, Paon, Poulle, Estourneau, & tout autre oyseau est de telle forme & maniere en un païs, comme en l’autre : & s’il y ha quelque difference, il la fault distinguer autrement, & l’entendre en toute son espece. Il y ha plusieurs passages en divers autheurs, & principalement en Galien parlant des facultez des medicaments, qu’on pourroit alleguer sur ce point contre nous, ou il dict que comme les hommes sont plus refaicts en une region, ils sont plus maigres en l’autre : mettant l’exemple des habitants d’Egypte, Ethiopie, & des autres païs chauds, hommes maigres & deliez : au contraire de ceux des regions froides de Galatie, Thrace, & d’Asie, mieux nourriz, de plus grande, & grosse corpulence : ou bien alleguer le sixiesme livre de Vitruve au premier chapitre, ou est traicté chose totalement conforme à ce qu’avons dit de Galien : car au commencement parlant tant des gents que des edifices, il dict, Nanque aliter AEgypto, aliter Hispania, non eodem modo Ponto dissimiliter Romae. Peu apres il adjouste, Sub Septentrionibus nutriuntur gentes immanioribus corporibus, candidis coloribus, directo capillo, & ruffo, etc. Parquoy il pourroit sembler par mesme raison que les bestes qui vivent en païs humide, sont plus grasses qu’en païs sec : & pourroit on dire, que tout ainsi peut advenir aux oyseaux. A ce la respondra lon pertinemment, qu’il n’est des oyseaux, comme des bestes terrestres : car les oyseaux retiennent leurs grandeurs plus constamment. Les Chevres vivants en Asie, qui portent la fine laine de camelot, sont de petite corpulence, & ont petites cornes à la comparaison des nostres. Les Moutons d’Auvergne de petite corpulence, ont le poil dur comme d’une Chevre, toutesfois la chair en est delicate. Ceux de Syrie sont plus grands & gras qu’en un autre païs, & ont la queuë grosse oultre mesure. Aussi touts animaux privez nourriz en Egypte, comme Bœufs, Boufles, Chameaux, sont grands & gras, au contraire de ceux d’Afrique, qui sont secs, & de petite stature : & les Chevaux d’Espaigne, & de Turquie sont plus minces & prompts que ceux d’Almagne, qui sont gros & lourds : & ainsi des autres. Mais les oyseaux sont autrement : car en quelque part qu’on puisse voir une Aigle, Ramier, Turtrelle, Roytelet, Phoenix, Corneille, tousjours sera une mesme corpulence : & s’il y ha difference, soit entenduë en toute l’espece du païs ou elles vivent : car une Oye, Chapon, Grive, & tel autre oyseau, peut bien estre autrement temperé en un païs qu’en l’autre, & de sa temperature en devenir plus gras, ou de plus grande corpulence : mais en advouant cecy, soit entendu qu’ils ne perdent rien de leurs couleurs formes & nature. Et pour n’aller si loing, nous voyons en noz païs mesmes, que les uns sont plus grands & les autres plus petits, les uns plus gras, & les autres plus maigres, selon qu’ils sont diversement temperez. Prenant donc chascun en particulier, tel est le Coc vivant en Afrique, que celuy d’Europe, ou d’Asie : car s’il y avoit difference, il fauldroit les nommer diversement, & en faire distinction en toute son espece, & dire, comme avons parlé des hommes & autres animaux. Celuy qui sera desireux de vouloir observer la juste grandeur des oyseaux cognus, & incognus, aille les regarder sans plumes, & des-ja prests à manger, au moins s’il en veult faire certain jugement : car il advient souvent, qu’ayant seulement veu un oyseau revestu de ses plumes, pensera qu’il soit de moindre, ou plus grosse corpulence qu’il n’est. Parquoy il est requis pour voir le principal gibbier d’une province, se trouver en deux lieux, ou bien au marché ou ils son exposez avec leurs plumes, ou bien ja apprestez sur la table des plus riches. Tel oyseau ja appresté pour manger, sera de petite monstre, qui toutesfois apparoissoit moult gros avec sa plume. Il advient le plus souvent, que les cuisiniers ne prenants garde à l’oyseau qu’ils accoustrent, ne le sçavent nommer non plus que leurs maistres, lesquels s’il vient à propos d’en avoir quelquun qui soit rare, on les trouvera incertains de leur appellation, quasi comme s’il estoit mal seant à un grand seigneur de se soulcier de telle chose. Soit donc accordé une certaine grandeur en chasque oyseau, ayant esgard à l’habitude & à l’aage d’iceluy : car la nourriture les peult rendre plus gras ou plus maigres, plus petits ou plus grands. Et si lon dict que les Poulles ou autres oyseaux sont de moindre corpulence en France qu’en autre lieu, la response est, qu’elles doivent prendre le surnom de leur region : car transportees aillieurs, se resentent tousjours de leur terrouër, ainsi que font les plantes d’une region transposees en l’autre. Les anciens qui nous ont definy que c’est que l’Oyseau, ont dict qu’entre les animaux, celuy qui est couvert de plumes, & qui chemine à deux pieds, & ha des aelles, est appellé Oyseau. Les Grecs disent Ornis>, & les Latins Avis : & de la les Latins ont appellé les vollieres Aviaria : Les Grecs Ornithotrophia, & Ornitonas : & les lieux, ou pour certaine corruption d’aer ou autres causes, les oyseaux ne peuvent vivre, Avernum les Latins, les Grecs Aornon. Varro en son livre de lingua Latina dict : De his animalia in tribus locis quod sunt in aere, in aqua in terra, etc. Primum nomen nomine alites, alu volucres à volatu deinde generatim : de his pleraeque à suis vocibus, ut haec, Upupa, Cuculus, Cornus, Hirundo, Ulula, Bubo. Item haec, Pavo, Anser, Gallina, Columba. Sunt quae alijs de causis appellata, ut Noctua quod noctu canit ac vigilat : Lusciola quod luctuose canere existi natur, atque esse Attica Progne in luctu facta avis. Sic Galerita, & Mot acilla : altera quod in capite habet plumam elata : altera quod semper moueat caudam. Merula quod mera, idest sola volitat. Contra ab eo Graculi quod gregatim, ut quidam Graeci greges gergera Ficedul, & Miliariae à cibo, quod alterae, fico, alterae milio fiant pingues. Or comme les bestes terrestres ont les parties du corps quasi toutes parfaictes, tout ainsi ont les oyseaux. Car leurs testes sont accomplies pour touts sentiments, mais ont le col plus long, separé d’avec l’espine du dos de plusieurs vertebres. Ils ont aussi des costes & chair & os correspondants à la poictrine : & ont deux cuisses, pieds, & jambes, comme un homme, qui est cause que l’oyseau est aussi nommé Bipes : mais sont en ce differents, que les hommes en s’agenouïllant plient les genoux en avant, & ont la rouëlle par dessous, & les pieds derriere : mais est au contraire es oyseaux, qui en s’agenouïllant ont les pieds & jambes en avant, & la rouëlle derriere : & au lieu que les hommes ont les braz, & les animaux terrestres ont les jambes de devant, les oyseaux ont leurs aelles. Aussi ont deux yeulx & paupieres, comme les autres animaux. Ils couvrent leurs yeulx d’une membrane en ciglant, qui sort du coing de l’oeil de la partie du dehors, l’amenant de devers le bec contre bas : ce que ne font les hommes, ne autres bestes. Touts oyseaux voyent fort clair, mais plus les uns que les autres : car les uns voyent de jour, & les autres de nuict. Les oyseaux de proye ont les yeux ombrez, comme de sourcils, quasi d’os. Mais tout ainsi comme touts animaux ont certaines choses qui leur sont particulieres, semblablement les oyseaux n’ont ne cils qu’on puisse nommer en Latin Cilia, ne sourcils nommez Supercilia, au moins qui soyent sur les yeux portant du poil, comme en l’homme & autres animaux. Il est bien vray que grande partie ont chose qu’on peut bien nommer sourcils, comme dirons des Faisants, Cocs de bois, & plusieurs autres. Les oyseaux ont deux pertuïs par dessus le bec pour odorer : lesquels on ne peut bonnement nommer narines. Aussi ont le bec sans dents, sinon que quelques oyseaux de riviere l’ont coché de telle maniere, qu’on peut dire qu’ils l’ont dentelé. Mais Aristote l’avoit des-ja escrit au chap. premier, du troysiesme livre des parties des animaux. Quinetiam aves (dit il) quae lato sunt rostro, radicesque esitant, & reliquarum victus similis, nonnullae serratum rostri extremum habent : ita enim herbarum carptus quo vivunt, facilius agitur. Les oyseaux n’ont aucunes levres. Mais pource qu’ils ont diverses manieres de becs, nature les leur ha donnez propres à leurs pastures : car elle ha baillé le bec crochu à ceux qui vivent de rapine : & à ceux qui vivent de vermine & chose tendres, octroya le bec graisle, & foible, dont l’ouverture de la gueule est assez grande : à ceux qui vivent de grains entiers, le leur bailla fort, & propre à mouldre. Car les oyseaux qui cassent le grain, avoyent necessité d’un bec court, & propre à le froisser avant que l’avaller. Quand aux palustres qui nagent sur l’eau, ils l’ont large, & crochu par le bout, au contraire des autres qui ont les jambes longues : car tels oyseaux ont le bec gresle, longuet, & le col long & delié, lequel ils peuvent tourner ça & la, oultre la maniere de faire des terrestres. Les uns ont le bec rond & droit, les autres l’ont voulté, & les autres l’ont tranchant. Aristote au mesme lieu en avoit des-ja parlé en ceste sorte. Avium rostrum utile ad victum cuiusque est : verbi gratia, roboriseci generis & corvini, robustum atque praedorum os est : minuti generis latum ad terrae fructus colligendos, & ad bestiolas capiendas idoneum. Tout ainsi que les oyseaux ont divers becs, aussi ont diverses langues : les uns l’ont courte, les autres large, les autres deliee, dont la plus part l’ont dure. Tous ceux qui nagent sur l’eau, ont les jambes & le col plus court que les autres palustres qui n’ont les pieds distinguez de membranes, desquels nageants sur l’eau se servent comme d’avirons, ayants toutesfois autant de doigts es pieds que les autres qui les ont distinguez. Tous oyseaux ont quatre doigts es pieds, excepté quelque petit nombre, qui n’en ont que trois. Aussi y en ha plusieurs qui les ont mipartiz, deux devant, & deux derriere. Les oyseaux d’ongle crochu, cheminent mal-aisement sur terre, & principalement ceux qui vivent de rapine. Les oyseaux ont une queuë, non comme les poyssons & bestes terrestres, mais un cropion, ou les plumes sont attachees, qui leur servent de gouvernail en volant : dont y en ha plusieurs, qui l’ont moult longue, & les autres courte. Il s’en trouve qui n’en ont point du tout. Touts ont les plumes fenduës & attachees à la peau, dont la racine est creuse : mais oultre les plumes, ils sont aussi trouvez avoir du poil. Les anciens, comme encor pour le jourdhuy les Grecs, Turcs, Arabes, Siriens, Perses, & touts autres hommes qui habitent en levant, n’ont aucun usage des plumes d’oyseaux pour se servir en leurs escriptures, comme nous faisons maintenant : mais ont des tuyaux de rouseaux ou cannes, qui est cause que nous ne pouvons exprimer tel nom en Latin que le nommer Calamus. Car lon ne dira Penna pour parler d’une plume à escrire. Mais parlant comme Aristote aux livres de natura & partibus animalium, dirons la tige ou caule : car ce qu’il ha nomme, les interpretes ont dit Caulis in pennus. Nous avons des-ja dit que les medecins s’efforcent de leur pouvoir, reduire toutes choses en ce qu’on peut apercevoir visiblement, mettants leur derniere intention en la conservation & integrité de noz corps. Parquoy leur est necessaire estre exercitez sur la cognoissance, tant des exterieures que interieures parties des corps, non seulement humains, mais aussi des animaux, laquelle ne peuvent mieux aquerir que par la frequente dissection d’iceux. Mais comme avons des-ja dit, noz premiers precepteurs & excellents philosophes, comme furent Plato, & Aristote, qui en ont amplement escrit, avoyent leur but plus avant que les medecins, sçachants qu’il failloit avoir esgard à parler generalement de touts animaux pour avoir meilleure intelligence de celle de l’homme, & à ce propos parlerons presentement de celle des oyseaux.

L’anatomie des parties interieures des oyseaux.
CHAP. XI.


QUI trancheroit le corps d’un animal en pieces, assez menuës pour les considerer, & les voulust nommer par leur nom propre il ne sçauroit dire sinon les avoir mises en parts simples, ou composees. Car s’il met une aelle, une cuisse, ou une teste à part, il l’appellera partie composee, participante des os, chair, nerf, cartilage, membrane, ligament, vene, artere : & s’il depece la partie composee & qu’il tire chascune chose susdicte à part soy, alors elle sera nommee partie simple : car l’os, la chair, nerf, cartilage, ligament & autres, qui sont toutes parties simples, sont les principes & elements des bestes. Mais en termes de medecine, on les nomme parties similaires, & dissimilaires. Or pour mieux entendre les parties composees, qu’on nomme dissimilaires, dirons premierement que les os, les cartilages, la gresse, la mouëlle, les membranes, les ligaments, & la chair sont parties similaires, c’est à dire simples : car elles ne se peuvent diviser qu’en leurs semblables. Et les dissimilaires qu’on interprete composees ou organiques, dissimilaires instrumentaires, ou officiales, sont les aelles, jambes, col, & telles autres parties composees. Puis que la nompareille diligence & excellence divine n’ha rien fait sans cause, ne qu’on doive nommer superflu, lon maintiendra que l’observation de l’anatomie des animaux n’est point superflu, & sans utilité : Car comme ainsi soit qu’il n’y ait aucune petite partie es corps des animaux, qui ne soit faite à quelque usage, ou qui n’ait son office particulier pour aider l’action de quelque autre, il appartient bien à un homme soigneux & curieux de science, de s’enquerir & entendre la conjonction des parties simples, & composees, & production d’icelles. Monstrant ceste anatomie, dirons premierement que les os sont es corps des animaux tout ainsi comme les murailles d’un bastiment, ou les pauls à une tente : attendu que c’est par leur appuy que les corps se tiennent debout, ayant l’usage divers selon leur situation & figure, & difference d’office. Celuy donc qui voudroit ensuyvre l’ordre de nature & composer un corps, il luy conviendroit commencer par les os quasi comme donnant la matiere du premier fondement. Il n’est animal en quelque element que ce soit, qui pour le moins n’ait deux conduicts ouverts : l’un pour donner aliment & soubstenir le corps en vie, l’aultre pour mettre hors les superfluitez & excrements : mais touts animaux, ne sont pas munis dos. Or puis que trouvons merques qui nous enseignent la difference des oyseaux par leur exterieur, aussi pouvons cognoistre qu’ils sont dissemblables par leurs anatomies interieures. Aristote pour grand personnage qu’il fust, ne desdaigna les regarder & escrire par le menu, & en faisant l’anatomie d’un chascun, y trouva si grande utilité qu’il nous ha fait apparoistre beaucoup de choses cachees en nature, dont luy mesmes eust esté ignorant sans telle observation. Ce point pourra servir contre la calumnie de quelques personnes inutiles, qui en accusant les observations des hommes curieux, les taxent comme escrivants choses non necessaires : mais eux qui ne loüent, ou trouvent bon que ce qui est de leur façon, sont contents qu’on ne s’arreste sur leur ignorance. L’anatomie des parties interieures des oyseaux, est quasi correspondante aux autres animaux terrestres. Car ils ont aussi bien le jargueul, que les autres nomment l’artere, ou siflet, & la conformation de la luëtte à la racine de la langue, & de laquelle ils se servent à inspirer & respirer, en la serrant ou ouvrant, comme aussi en avalant leur manger à la maniere des autres bestes terrestres. Mais touts ne l’ont pas de mesme façon : car les oyseaux qui se plongent entre deux eaux, ont une cavité leans qu’on ne trouve es autres. Mais comme la diversité des voix des oyseaux provient de la diverse position du siflet, aussi celle voix haultaine que font les Gruës, les Oyes, & tels autres, provient de ce qu’ils l’ont autrement situé. Touts oyseaux ont les poulmons assez petits & sanguins. Aussi sont ils spongieux & membraneux, & sont moult aptes à s’enfler & estendre : parquoy l’inspiration & aspiration des oyseaux, est plus soudaine qu’elle n’est de touts autres animaux. Il semble que leurs poulmons sont de deux pieces. Le foye des oyseaux est de moult belle couleur sanguine, qui approche de bien pres celuy des animaux terrestres, & qui est aussi divisé en lambeaux, que les Latins nomment Lobi. Ils ont la rate moult petite, & y en ha qui n’en ont point du tout. Dioscoride au septantiesme chapitre du second livre De medica materia, ha expressement nommé le fiel de la Perdris, de l’Aigle, & de la Poulle blanche pour la maladie des yeux. Aussi Galien ha escrit que les fiels des Milans, & Aigles sont plus acres, & plus secs que des bestes terrestres, qui cheminent à quatre pieds. Les oyseaux n’ont point de rongnons, ne de vescie : mais ont des charnures qui resemblent à des rongnons. Tous oyseaux n’ont pas le jabot ou se reçoivent les viandes, avant entrer en jesier, les uns contre les autres : Car quelques uns n’en ont point, mais pour ce defaut nature leur ha baillé un gosier moult large & ample, qui est ce qu’on appelle l’herbiere. Il y en ha qui ont le jesier dur, charnu, & caleux : les autres n’ont ne jabot, je jesier. Les oyseaux masles ont les genitoires cachez au dedans, qui sont adjoincts aux reins. Quelques uns ont les membres honteux blancs, les autres les ont rouge : mais les femelles ont la matrice jusques au dessus des intestins, qui est moult deliee & mince, & fenduë en deux cornes. Touts oyseaux n’ont pas leurs os plains de mouëlle : comme aussi leurs os sont differents les uns aux autres. Car quelques uns les ont plus durs, & les autres plus mols, les uns plus lasches, les autres plus espois & compactes. Mais à fin qu’on puisse mieux entendre l’anatomie des os de chascun en son particulier, nous monstrerons leur culiere compaction pour les conferer aux nostres, & avec ceux des animaux terrestres.

L’anatomie des ossements des oyseaux, conferee avec celle des animaux terrestres, & de l’homme.
CHAP. XII.


COmme les oyseaux sont de diverses natures, aussi ont les membres diversement façonnez : Et ainsi que l’exterieur monstre les membres proportionnez en grands ou petits, les os qui font le fondement de l’interieur, ensuyvent ce qu’on voit de leur exterieur. Ceux de rapine ont les os plus robustes que les palustres, & terrestres. Onc ne tumba animal entre noz mains veu qu’il fut en nostre puissance, duquel n’ayons fait anatomie. Dequoy est advenu qu’ayons regardé les interieures parties de deux cents diverses especes d’oiseaux. Lon ne doit donc trouver estrange si nous descrivons maintenant les os des oyseaux, & les portrayons si exactement. Car qui observera ceux des animaux à deux pieds, & les conferera à lencontrel’encontre des autres qui en ont quatre, n’en trouvera aucun, qui en se reposant ou dormant ne se couche sur les costez, hors mis les oyseaux qui sont tousjours sur leurs jambes. Il est bien vray qu’ils s’appuyent dessus leur poictrine, toutesfois il y en ha qui peuvent dormir sur un seul pied estants debout sans s’appuyer aucunement, ou bien se mettent sur les genoux, comme advient à ceux qui ont les jambes longues. Mais ceste consideration gist totalement es distributions que j’ay fait des oyseaux de rapine, palustres, terrestres, de bois, & des buissons. Qui prendra toute l’aelle ou la cuisse & jambe d’un oyseau, & la conferera avec celle d’un animal à quatre pieds, ou d’un homme, il trouvera les os quasi correspondants les uns aux autres : Car tout ainsi, comme si un homme se marchoit sur les ergots, c’est à dire sur les bouts des pieds, auroit le talon à mont avec touts les ossements du pied touts droicts, tout ainsi les bestes à quatre pieds se marchants sur les ergots, & ayants le talon, orteuls, & doigts touts droits, monstrent semblant d’estre en la proportion à la jambe d’un oyseau. Mais pour en faire voir telle experience que chasque paisant la puisse comprendre, à fin de ne perdre le temps en l’explication des parties, nous nommerons chasque os en particulier, & le confronterons avec ceux des autres animaux, & de l’homme. La description generale des os du corps humain est necessaire pour apprendre à discerner l’endroit qu’il fauldra medeciner, quand quelque patient s’adresse à nous pour avoir remede. Mais nous n’avons que faire d’en parler beaucoup en cest endroit : car estant ja descrite, & mise en portraicture par tant de personnes, ne pretendons escrire autre exposition d’icelle, sinon sur ce qui est requis pour enseigner comme nature se jouë diversement en ses œuvres, quasi comme si celle d’un animal dependoit de l’autre : & monstrer combien celle des oyseaux en approche, plus possible qu’il n’est advis au vulgaire. Parquoy voulons qu’on entende que mettons ceste anatomie des os humains seulement en comparaison de celle des oiseaux, promettants faire tout de mesme des autres animaux chascun en son endroit en noz commentaires sur Dioscoride en ceste langue. Qu’on tuë tel oyseau qu’on voudra, & qu’on luy rascle diligemment l’os de la teste (car c’est par la teste que voulons commencer nostre anatomie) on ne luy voirra aucunes coustures, ou suturers manifestes au test, toutesfois ne nions que les oyseaux n’en ayent. Car qui prendra le chef d’un oyseau boulli & le depecera, y pourra discerner les six os correspondents aux nostres & avoir leurs futures coronales, sagitales, occipitales, & les commissures des os pierreux manifestes, & la recognoistra l’os du front ou coronal, & les os pierreux es temples, les os parietaux sur le sommet de la teste, & celuy qui fait le derriere qu’on nomme Os occipitis, qui est joint à la base du cerveau, & au dessus du palais l’os basilaire. Ils ont le bec pour maschouëre, car aussi n’ont ils aucunes dents, sinon quelques uns de riviere, qui ont le bec dentelé. Et au lieu que grande partie des animaux terrestres ont deux osselets dedens la racine de la langue, les oyseaux les ont aux costez, par le benefice desquels ils l’estendent & retirent. Les os qui suyvent la teste sont les vertebres ou rouëlles du col qu’on pourroit bien nommer en Françoys les pesons, lesquels les Latins dient Vertebrae, & les Grecs Spondyli. Les oyseaux n’ensuyvent pas le naturel des autres animaux en l’endroit des vertebres du col. Car la ou les autres n’en ont que sept, les oyseaux en ont douze. Et suyvant le col ils en ont encor six en l’espine du dos moult differentes en figure à celles du col, ausquels six, sont attachees six costes en chasque costé : car les oyseaux n’ont en tout que douze costes entieres, & une petite en chasque costé au dessoubs des aelles, mais toutes sont tressees par le travers avec des autres petits osselets suyvant l’espine. On leur trouve les deux grands os larges que nous nommons plats, ou sacrez, esquels il y ha un pertuïs au travers en chasque costé, & l’enboisture ou s’insere l’os des cuisses, qui est ce que nous nommons la hanche. Mais la poictrine est bien d’autre maniere qu’es autres animaux. Car à eux, qui avoyent à faire de grande force es aelles, nature ha donne les muscles gros & forts, & renforcez d’un grand os par la poictrine, dedens lequel est l’habitation des poulmons : aux deux costez duquel les clavicules sont conjointes aux palerons de derriere pour tenir l’os de l’aelle en sa fermeté. Encor ont un autre os d’abondant qu’on nomme en Françoys la lunette ou fourchette : car communement on la met dessuz le nez en forme de lunette, ou bien on le nomme le bruchet : car il prend par devant l’estomach, & est conjoint aux bouts des deux clavicules en l’endroit des espaules, & de l’autre costé est joint au corselet, c’est à dire à l’os de la poictrine. Car il est fait en maniere de fourchette. Au dessoubs des os larges autrement nommez os sacrez, ils ont le cropion composé de six osseletz, qu’on peut separer l’un de l’autre. Lon trouve quasi mesmes os en leurs aelles, qu’es braz des hommes, ou es jambes de devant des animaux à quatre pieds. Car le gros os du bras nommé en Latin Os adjutorij, que nous pouvons nommer l’avant-bras qui sort des palerons de la fourchette & des clefs, est recogneu en mesme proportion que celuy des autres animaux, & de l’homme, ayant les mesmes eminences, cavitez, & rondeurs, suyvant lequel les autres deux os du bras sont conjoints. Nostre vulgaire n’ha point de nom pour les exprimer. Les anciens nommerent le plus gros Ulna, & le moindre Radius : nous les nommerons touts troys indifferemment les os du bras : d’autant qu’avons ja nommé le gros, l’avant-bras. Mais ayants monstré l’anatomie des os humains la premiere, faisants comparaison d’icelle, avec les os des oyseaux, & donné l’intelligence d’iceux par figure, aurons meilleure commodité de poursuyvre à l’exposition d’un chascun en particulier, suyvants l’ordre commencé.

Nous estions demeurez sur le propos d’une aelle d’oyseau, faisants comparaison de ses os avec

ceux des autres animaux, parquoy voulons maintenant faire voir que comme nous avons les mains, & les autres animaux les pieds, aux uns separez du bras, & aux autres des jambes, ayants divers osselets pour faire les jointes des orteuls, ou doigts : aussi les oyseaux ont un petit osselet de l’aelleron correspondant au poulce en l’homme, ou au pasturon, ou ergot de derriere es autres animaux : car il n’y ha oyseau, qui oultre sa grande aelle n’ait un petit aelleron, lequel pouvons nommer en Latin Appendix ou Pinnula : au dessous duquel, gist un osselet rond & veule, correspondant à ceux qu’on nomme Carpi. Combien qu’il y en ait huict osselets en la main, qui touchent aux deux os du bras, aussi cestuy cy faisant la separation des os susdicts d’avec les derniers, qui est respondant à la premiere partie de la paulme de la main, pourra obtenir ce nom de Carpus, & en françoys Pongnet. Et tout ainsi qu’on dit la main estre le bout du bras, aussi y ha six os, qui font le bout de l’aelle, dont le premier est formé comme la navette d’un tissier, au bout duquel est attaché un petit, & agu osselet, delié comme la poincte d’une alesne. Et au bout de cest os de navette, y en ha encor un autre de mesme façon, mais moindre, & qui a aussi un petit os pointu conjoint à lextremité d’iceluy. Les cuisses, jambes, & pieds : sont quasi conformes aux aelles, ou aux bras, & mains : car ils ont l’os de la cuisse, de mesme celuy des autres animaux terrestres, court, & trape au regard de l’autre de la jambe, qui est longuet, delié, & double. Mais il y en ha un moult petit respondant à celuy qu’on nomme Os Surae : Car le grand est celuy qu’on nomme en Latin Tibia. Car ce que nous voyons de descouvert, & que nostre vulgaire, & nous avons nommé jambe en l’oyseau, sera mis en comparaison de tout le pied, d’autant que comme lon voit plusieurs osselets es pieds de touts animaux avant venir aux orteuls, ou ergots, aussi y ha plusieurs petits os en une cavité entre les doigts & le bout des pieds que mettons pour talon, qui servent pour ouvrir, & serrer les griffes, & doigts des oyseaux. Il fault donc que les orteuls ou doigts des oyseaux soyent comme à nous les nostres, puis qu’avons comparé leurs jambes au dessous de noz pieds. A peine s’est trouvé oyseau, qui excedast le nombre de quatre orteuls, ou qui n’en eust pour le moins troys, mais les articulations ou entredeux des os d’iceux, ne sont pas pareils. L’ergot, ou doigt de derriere ha une articulation, l’autre d’apres n’en ha que deux, celuy du milieu en ha trois, & le dernier en ha quatre, ou bien contant l’articulation, ou tient l’ongle pour une. Celuy de derriere en ha deux, l’autre d’apres en ha trois, le tiers en ha quatre, & le quart en ha cinq.

Les principales merques qui nous sont donnees pour enseignes à distinguer les oyseaux.
CHAP. XIII.


LE BEC, & les pieds sont les principales enseignes que les autheurs anciens ont sçeu choisir pour observer à cognoistre, & discerner les oyseaux. C’est de la dont les uns sont appellez de diction Latine Fidipedes, c’est à dire de pied fendu, à la distinction des autres qu’ils nommoyent Palmipedes, c’est à dire qui ont les pieds plats. Ceste distinction enseigne que les oyseaux de rapine qui ont l’ongle crochu, nommez en Latin Uncungues, ont difference aux autres d’ongle droit, nommez en Latin Rectungnes. Encor avons des merques qui nous enseignent prendre la difference des oyseaux de leur demeure, qui sont bien requises de les sçavoir pour leur donner leurs surnoms propres : Car les anciens Grecs, & Latins y ayants prins garde, voyants que les uns ont les ongles crochus, & vivent de proye, les ont nommez Sarcophaga, & les Latins Carnivora, & en Françoys, mangeants chair. Les autres qui ne vivent que de vermine ont esté nommez par lesdicts Grecs Scolicophaga, comme qui diroit en Françoys, mange-verms. Les autres qui communement se paissent de semences de chardons, & d’herbes espineuses, furent nommez Acantophaga, comme qui diroit, mangeants chardons. Et parce que les autres vivent de formis, & moucherons, furent nommez Scnipophaga, comme qui diroit mange-mouches. Ceux qui ne vivent que de grains entiers estoyent dicts Carpophaga, de diction correspondente à ce que nous disons mange-fruicts. Et les autres qui devorent indifferemment toutes choses, grains, verms, & semences, furent nommez Pamphaga, qui est à dire en Françoys vivants de toutes choses. Ceux qui hantent & nagent sur les eaux, ayants le pied plat, ont este nommez Steganopodes, & en Latin Palmipedes à la difference des autres nommez Fidipedes. Ceux qui vivent es lieux sauvages, ont esté nommez Aves agrestes, à la difference de ceux qui sont tousjours privez. Car il y ha plusieurs oyseaux qui se tiennent es montaignes, les autres es forests, les autres par les rochers. Plusieurs oyseaux ont acoustumé changer leur demeure : car pour la grande froidure qui est aux montaignes, ils descendent l’hyver pour venir vivre en la campagne, puis s’en retournent en temps d’esté, tant pour eviter le chaud, comme pour y trouver pasture. Plusieurs se partent des eaux doulces en hyver, pour aller vivre en la salee, d’autant qu’elle ne se glace point. Les autres vivent es sources des fontaines & bourbiers. Il en y a qui sont totalement passagers ayants certain temps deputé en l’annee de s’en partir d’un païs, & d’arriver en l’autre quasi comme au jour nommé. Telles considerations nous mettent en propos qu’on cognoist beaucoup de nations en diverses contrees du monde, qui n’ont autre soing qu’à entendre à se nourrir, qui peuvent estre mises en comparaison aux oyseaux passagers. Car comme nous voyons que nature ha enseigné aux Cicognes, Cailles, Millans noirs, & Hirondelles de se trouver seulement en temps d’esté en nostre Europe, evitans la chaleur violente des païs ou ils ne peuvent vivre l’esté, ou en Afrique, & Indie. Semblablement les Albanois & Vallaques sortent au printemps hors de leurs contrees, & vont demeurer tout l’esté par Turquie, ou ils gaignent quelque argent à recueillir les grains, & puis s’en retournent en leur païs en autonne, ou ils vivent tout l’hyver de l’argent qu’ils ont gaigné l’esté precedent. Les Hirondelles ne se pouvants tenir l’hyver en nostre Europe, tant pour la grande froidure, que pource qu’elles n’y trouveroyent pasture, s’en vont en Afrique, Egypte, & Arabie, & lá trouvants leur hyver quasi aussi à propos que nostre esté, n’ont faulte de mengeaille. Tout ainsi ceux qui habitent es summitez des haultes montaignes Pyrenees, comme aussi en quelques contrees d’Auvergne, Souïsse, & de Savoye, font en tout le semblable. Mais tout ainsi comme les Beccasses qui ne peuvent vivre en hyver sur les summitez des montaignes, que la glace, & la neige couvrent, descendent à la campagne, qui en ce temps lá est humide, & nourrist abondance de verms de terre, dont elles sont repües : tout ainsi les paisants des montaignes, delaissent leurs maisons, & viennent demeurer tout l’hyver en divers lieux des plaines, ou ils s’amusent à scier les bois, ou exercer autres divers mestiers. Cecy est manifesté par ceux des haultes montaignes d’Auvergne, & Savoye, qui vivent tout l’hyver les uns en Espagne, les autres en Italie, ou ils trouvent les durs bois des chesnes verds, & pouples pour scier, puis l’esté sentants les glaces, & neiges fonduës, retournent en leurs maisons, & lá s’amusent aux mols bois de sapin, pignets, & meleses, & tels autres qui leur donnent moindre peine. Tout ainsi les gruës que nous voyons communement l’hyver, ne se pouvants paistre es regions septentrionales pour la vehemente froidure, passent en noz païs : car la chaleur de l’esté qui ha deseiché l’humeur, les fait aller vers le Septentrion, ou la froidure est appaisee, & y trouvants pasture, y demeurent durant le temps chaud. Le mesme est de ces pauvres gents qu’on voit errer en toutes les contrees du monde, que nous pensons estre Egyptiens, ou Baumiens. Lesquels combien qu’ils soyent assez longue espace de temps sans retourner en leur païs, toutesfois estants leur langage Bohemine, qui est tont un avec le Vallaque, Esclavon, Sercasse, & Bulgaye, & qu’ils ont leur origine du païs de Vallachie, il semble qu’ils s’en retournent à la part fin en certain lieu deputé, dont ils sont partis. Car quelque tard qu’ils attendent ils s’en revont en leur païs. Mais tout ainsi comme il y ha plusieurs oyseaux qui sont contraints par necessité d’estre passagers, tout ainsi il y en ha d’autres qui sont contraints de ne bouger d’un lieu. Car comme lontl’ont voit certaines forests en quelques contrees esquelles croissent des arbres particuliers, qu’on ne trouve point ailleurs : tout ainsi il y ha certains oysillons vivants en icelles, & qu’on ne pourroit commodement nourrir ailleurs si on les y transportoit. Ce n’est donc merveille si nous ne pouvons avoir cognoissance de touts les oyseaux, dont Aristote ha fait mention aux livres De natura, partibus, & generatione animalium. Car comme diverses manieres d’arbres des païs d’Aristote, portent diverses semences, & fruicts, dont possible n’en avons de tels par deça : aussi les oyseaux nourris de telles semences n’en pouvants trouver ailleurs, sont contraints de se tenir constamment sans s’esgarer plus loing pour cercher leur mengeaille, non plus que plusieurs autres de la mer, des marais, & des lacs : esquels trouvants pasture conforme à leur nature, ne se peuvent esloigner sans se mettre en danger de perdre leur vie, & se discommoder grandement. Les oyseaux ont grande distinction en eux touchant leur boire : car les uns boyvent à grands traicts, comme les pigeons, les autres ne peuvent avaller l’eau, s’ils ne haulsent la teste apres l’avoir prinse du bec, comme les gruës : les autres en beuvant semblent mordre en l’eau, comme le Porphirio. Il n’est aucun animal qui puisse boire de l’eau de la mer : parquoy les oyseaux & autres animaux de double vie, qui s’y nourrissent vivants de poyssons humides, n’ont que faire de boire nomplus que les Daulphins, Veaux de mer, & tels autres qui ont vescies.

De la diversité des meurs des oyseaux, avec la duree de leur vie.
CHAP. XIIII.


TOUTS oyseaux n’ont pas mesme duree, & longueur de vie : car il est manifeste que les uns vivent plus long temps, les autres moins, Il ha esté des-ja observé par ceux qu’on nourrist en cage, & par les observations des oyseleurs, comme aussi par certaine conjecture, que plusieurs ne passent gueres la deuxiesme annee, les autres la cinqiesme, les autres vivent dix ans, & y en ha qui arrivent jusques à cinquante. Les faulconniers qui conservent les oyseaux de proye, & traictent delicieusement, dient avoir grande varieté en leur duree de vie. Mais pource que ceste chose sera traictee en particulier, nous laisserons à specifier leur aage en autre lieu. Quelques oyseaux sont amis entre eux, & vont par bendes, les autres ennemis, & vont seul à seul. Aussi tout ainsi que les oyseaux se gouvernent selon leurs affections, tout ainsi changent de meurs, & sont affectez selon leurs actions, & tellement muëz de leur premier naturel, que les masles prennent quelque fois l’office des femelles. Car si une Poulle se defendant du masle à quelque fois vaincu, elle s’essaye de le changer, & de chanter comme luy. Les oyseaux ont aussi difference entre eux en se nettoyant les immondicitez de leurs plumes. Car les uns se lavent d’eau, les autres se veaultrent en la pouldre à la chaleur du soleil, les autres n’usent ne de l’un ne de l’autre : ceux qui ne vollent moult hault, sont aussi coustumiers de se veaultrer en la pouldre. Les oyseaux qui ont les ongles droicts, & qui hantent les rivieres, se lavent en touts temps avec l’eau, sans se veaultrer aucunement. Les saisons de l’annee sont beaucoup à la mutation des oyseaux. Car le temps quelque peu pluvieux est beaucoup plus profitable aux oyseaux estants encores en leurs nids, que n’est la continuëlle chaleur. Car la pluye les fait druger, & sortir leurs plumes, tout ainsi qu’elle ayde aux nouvelles productions des drageons des plantes au printemps. Il est bien vray que les pluyes de longue duree les rendent offensez ne plus ne moins, comme aussi fait les poyssons en l’eau, & les graines nouvellement semees. Lon cognoist les oyseaux estre malades, quand ils tiennent leurs plumes mal ordonnees, & plus dressees que de coustume : car estants sains les tiennent tousjours en bon ordre, & joinctes les unes contre les autres. Les oyseaux se vont coucher de bonne heure : mais ils ont cela de bon pour maintenir leur santé qu’ils s’esveillent des le point du jour, & vont de bon matin chercher leur vivre, n’estoit que le mauvais temps les retardast aucunesfois.

La difference qui est au voler & marcher des oyseaux.
CHAP. XV.


L’HOMME contemplatif doit trouver le voler des oyseaux aussi esmerveillable que nulle autre chose qui est en nature : car encor que le voler se face par mouvement, & que tout mouvement est fait par un contraire qui luy est repugnant en force, toutesfois lon ne trouve qui est contraire à la force de l’oyseau en volant, que l’aer. Donc quelle repugnance trouve lon en l’aer à la force de l’oyseau ? Or il y ha deux especes de mouvements, l’un est volontaire, l’autre est forcé. Il n’est animal qui puisse engarder que ses arteres ne battent : c’est donc un mouvement forcé. L’autre qui est volontaire, est quand nous allons remuants quelque membre, qui est en nostre volonté de ne le bouger, ou de le remuër. Et comme le corps est fait pour le bien de l’ame, tout ainsi les membres sont pour le service du corps, & pour la commodité des ouvrages d’iceluy. De lá vient que d’autant que les membres servent à plus d’actions ou affaires, d’autant ont à servir à plusieurs mouvements. Et d’autant qu’un corps ha affaire de plusieurs membres, d’autant est il requis qu’il ait plusieurs instruments servants aux mouvements : mais au contraire, les animaux immobiles qui ne sont subjects à se remuër beaucoup, n’ont eu affaire de beaucoup de membres. Oultre les membres, les actions & mouvements des animaux, ont encor eu affaire d’une tierce aide, c’est à sçavoir des affections & passions, comme de voler & se remuër d’un lieu en autre, avoir soing de leur vivre, croistre, engendrer, inspirer & respirer, s’envieillir, veiller & dormir, & telles autres affections. Il fault donc mettre telle consideration en leur voler, comme d’une chose legiere portee en l’aer, & attribuër tel mouvement à la repugnance de l’aer contre la legereté des plumes qui le fendent, comme par force : car les plumes qui empongnent grande quantité d’aer pour la forme des aelles, font en leur endroit, comme noz pieds ça bas marchants dessus terre. Aristote dit que pour remuër l’un de noz membres, il fault que l’autre soit immobile : nous ne sçaurions mettre un pas en avant, sans avoir l’autre pied coy & affermé contre quelque chose, ne plier une articulation d’un membre, que l’os qui est prochain, ne soit immobile. L’exemple en est de celuy qui poulse ou tire une charette ou bateau. Les orages si violents qui desracinent les arbres, & poulsent les nefs si impetueusement, & touts autres vents, ont leurs mouvements tels qu’on pourroit dire de celuy qu’on fait sortir de la bouche, ou d’une sarbataine. Parquoy leur repugnance est en l’aer, non pas en la terre : car telles fois estants en plaine campagne de mer, avons veu les borasques des vents souffler tout à un coup seulement en l’endroict ou estions : (car tout autour de nous, voyons la mer calme :) desquels l’un nous laissant tout à un coup, en avions tantost un autre tout contraire & si fort impetuëux qu’il sembloit qu’il deust tout rompre. Lon ne peut dire que ce soit exalation de terre, veu que cela vient de l’aer. Lon voit ce mesme en terre ferme, que quelque vent sera violent en un endroict, & à un quart de lieuë de la, il n’y en ha aucunement. Il fault donc attribuër ce mouvement du voler des oyseaux, pour la plus part à la forme d’iceux. Lon penseroit en un mouvement circulaire ou spherique tel qu’on dit estre es cieux, qu’en se faisant egalement, il fust perpetuël sans aucun repos. Toutesfois par nostre religion, ne pouvons conceder le mouvement des cieux estre perpetuël, joinct que les Egyptiens, Assiriens, & Gymnosophistes nous ont asseuré, qu’il fault quelques fois que le ciel se repose. On les doit croire en cecy, car leur science est si asseuree & vraye, que par l’observation qu’ils ont faicte du chemin de toutes estoiles, planettes, comettes, soleil, & lune, ils ont compté par infallibles regles d’Arithmetique, combien le soleil, lune, estoiles ou recule ou approche l’une de l’autre jusques à la moindre partie d’un degré, depuis plusieurs mil ans en ça. Pourquoy donc n’avouërons nous qu’ils puissent calculer, combien de temps fault que le soleil, lune, estoiles, & signes celestes facent de chemin avant venir à leur terme ? Nos anciens autheurs Latins & Grecs, nous en font foy, comme ferons voir au chapitre du Phoenix. Ce n’est donc erreur de croire qu’il n’est aucun mouvement perpetuël : ains que par necessité il doit avoir repos. La mer se regorge contremont & se remuë incessemment, toutesfois elle ha deux poses par chacun jour. Les arteres des animaux batent tandis que l’animal ha vie, si est-ce quelles ont manifeste repos, l’un en l’elevation, l’autre en la depression. Lon ne peut ainsi dire des rivieres, qui sont en perpetuël courant : car c’est que toute chose pesante tire contre bas à son centre, tout ainsi comme le feu, la fumee, & choses legieres montent contremont. Nous maintenons le Dauphin le plus viste des animaux, & qu’il n’y ha oiseau en l’aer, qui puisse voler si soubdain qu’il nage : toutefois c’est un poisson lourd à voir, & mal habile, lequel de propre nom François est dit un bec d’Oye & Marsouïn. Des-ja ne peut on dire que ses aelles soyent cause de si soudain mouvement : car elles sont si petites à la proportion de son corps, que celles d’un Milan, ou Irondelle de mer, estenduës dessus, les pourroye bien couvrir. Parquoy voulons sa celerité estre attribuëe à sa forme. Quand lon prend garde à quelque chose pour en faire recit, l’observation en est certaine : Et nous qui avons eu le vent en pouppe en mer calme acompaignez des Dauphins, avons peu prendre garde à leur vistesse. Ce n’est donc par la foy d’autruy qu’en avons fait le raport. Encor dirons d’avantage, un Hobreau poursuyvant l’Irondelle, n’aproche de la vistesse du Dauphin. Or maintenant faisants comparaison du soudain mouvement de l’oyseau fendant l’aer, & du poisson en l’eau, voulons en attribuër la cause à leur forme. Car la forme sert beaucoup aux mouvemens tardifs ou vistes : car comme le plomb, pierre, & tout metal peut nager sur l’eau s’il est en forme creuse, tout ainsi les oyseaux pour leurs diverses natures, volent plus pesamment ou plus legierement. Les uns ne peuvent voler sans faire bruit des aelles, les autres n’en font point du tout. Puis doncqu’ que les oiseaux volent en diverses manierres, il est aisé de les cognoistre selon la difference de leur voler, & marcher. Car il y en ha plusieurs qui en cheminant vont tousjours pas à pas. Les autres ne peuvent aller qu’en saultant, les autres en courant, les autres en jectant leurs pas devant eux. Et y en ha d’aucuns qui ne peuvent marcher sur terre, & qui ne cessent de voler, ou pour le moins s’arrestent bien peu. Les oyseaux qui ont grandes aelles, comme sont ceux d’ongles crochus vivants de rapine, ne sçavent gueres bien cheminer. Il y en ha qui pressent leurs aelles en volant, ayants seulement frappé l’aer un seul coup. Les autres ne peuvent voler, qu’ils ne remuënt souvent leurs aelles. Les uns ne s’eslevent de terre qu’ils ne jectent un cry avant que partir, contraires aux autres qui ne sonnent jamais mot. Les uns partants de terre se jectent droit en amont, en ce contraires aux autres, qui ne peuvent s’eslever sans prendre course, ou bien qu’ils partent de dessus quelque hault tertre. Les autres volants semblent se laisser tumber, puis se relevent de roideur, quasi comme qui les auroit jectez par force.

La difference des voix des oyseaux.
CHAP. XVI.


PUIS qu’il est arresté que la voix vient des poulmons, comme lon prouve par ce que ceux qui n’ent ont point n’en font aucune, ce n’est de merveille, si les oysillons sçavent si bien chanter veu qu’ils les ont assez grands. Toutesfois touts animaux qui ont poulmons ne sçavent chanter, & faire voix. Car les Serpents, dont y en ha de plus de trente differentes especes, ont poulmons, qui toutesfois ne sçavent faire autre voix que sifler. Et les Tortuës, dont y en ha de six, ou sept especes, & qui ont moult grands poulmons, ne sçavent faire aucune voix nomplus que les Lesards, Stellions, & Chameleons. Encor vient autre doute sur ce passage assez difficile à esclaircir : c’est, qu’ayants maintenu qu’il fault que les oyseaux, & animaux aquatiques, qui ont poulmons, sortent souvent hors de l’eau pour venir respirer en l’air, ausquels si quelcun auroit attaché une pierre au pied (soit dit d’une Grenoille, d’une Loutre, d’un Veau, Loup, ou Chien marin, d’une Tortuë, d’un Serpent, d’un Plongeon, Cormarent, & tout autre oyseau nageant entre deux eaux) & l’auroit laissé long temps leans, qu’il se noiroit ne plus ne moins qu’un homme, ou tout autre animal à quatre pieds : & qui plus est, un Dauphin, qu’interpretons une Oye de mer, une Balene, un Chauldron, une Ouldre, un Marsouïn, & tels autres poyssons cetacees, se noiroyent en l’eau, s’ils estoyent detenuz une seule heure leans. Car comme avons dict, ils ont poulmons, & parce ont affaire d’inspirer & respirer en l’aer : car l’aer est tellement confus en l’eau que pour l’avoir pur, ils sortent hors, & en remplissent leurs poulmons, puis retournent en l’eau. Il est assez manifeste que les poyssons de double vie, c’est à dire les animaux qui vivent dedens & dehors l’eau, peuvent voir leans : car c’est un corps diaphane & transparent. Mais il n’est sans doubte, à sçavoir si les oyseaux nageants entre deux eaux, ou bien ceux qui ne mettent que la teste en l’eau pour se paistre, comme les Oyes, Cignes, Pelicans, Canes, & autres, y peuvent voir clair, comme quand ils sont dehors. Quant aux poyssons il est manifeste qu’ils voyent seulement en la diaphaneïte, & transparence : car quand l’on ha troublé l’eau, ils ne voyent aucunement. Mais j’oseroye bien dire des oyseaux, ou poyssons, comme des animaux qui vont de nuict. Car si bien nous entendons tous animaux saulvages aller la nuict, ce n’est pas à dire qu’ils puissent si bien voir, comme de jour : parquoy lon se peult assurer qu’ils vont partie à tastons, partie de ce peu de lumiere, telle que peuvent appercevoir les hommes, & chevaux, qui font leur chemin de nuict. Car ne les oyseaux qui se plongent, ne les animaux qui ont poulmons, & qui vivent en l’eau, ne cherchent leur pasture, quand la nuict est grandement obscure : & toutesfois on les apperçoit bien en ce devoir, lors qu’il faut clarté de lune. Les Marsouïns, Chauldrons, Daulphins, & Balenes ont poulmons, qui toutesfois n’expriment leur voix articulee, mais font seulement tel bruit que les muëts, & animaux qui n’ont point de langue. Car ce n’est pas le seul poulmon en plusieurs animaux qui fait que la voix est articulee, ains c’est la langue, les levres, les dents, & le palais, par le benefice des nerfs recurrents de la sixiesme conjugation, moderants les muscles qui serrent, & ouvrent le gavion, ou siflet des animaux : lesquels d’autant qu’ils sont plus sains, d’autant en est la voix plus entiere. Or les oyseaux qui ont le siflet assez longuet, & la luëtte bien proportionee, & sont douëz de membres propres à cest effet, ce n’est merveille s’ils sçavent chanter, & ont leurs chansons particulieres differentes les uns aux autres, ce qui n’est pas aux animaux de double vie. Parquoy l’homme curieux de sçavoir l’harmonie tant des corps celestes que vivants, ne doit prendre moindre estimation d’iceux, les oyant avoir divers tons de leurs siflets, que de l’accord des corps celestes, & concurrences d’iceux avec les substances terrestres : Car qui vouldra prendre garde aux oyseaux, & les ouïr attentivement, recevra un parfait sentiment de la douceur de leurs chansons gratieuses, non moins armonieuses que le ronflement des nerfs d’animaux estenduz sur divers instruments de musique, ou d’un vent entonné bien delicatement es dulcines d’iviere. Puis que lon voit que les artisants, & bourgeois des villes n’ont rien qui recree leur esprit ennuyé plus promptement, que le chant des petits oysillons qu’ils nourrissent en cage, aussi voit lon aysément que l’homme champestre, qui se plaist en leur chant, est en grand soulas, se trouvant en l’ombrage des petits arbrisseaux escoutant si plaisante melodie. Mais des oyseaux les uns ont meilleure voix, & chantent plus doulcement que les autres. Si est ce qu’il n’y en ha aucun qu’on ne puisse bien recognoistre par son chant. Les oyseaux de proye tiennent meilleure silence que les autres, toutesfois chascun à la voix particuliere, par laquelle on les peut discerner de loing. Parquoy l’observation que chacun peut faire sur la voix des oyseaux, donne enseignement de ceux qui vivent en chasque province. Nous n’entendons pas comme faisoyent les Arioles, ou Aruspices, qui faisoyent à croire qu’on pouvoit diviner par leurs voix. Nous en dirons plus à plain quand nous parlerons des divinations trouvees par les oyseaux. Seulement voulons entendre qu’on puisse cognoistre l’espece, c’est à dire, quel oiseau c’est, par sa voix, comme nous est quelques fois advenu d’avoir recognu les oiseaux vivre en des païs, esquels ne les eussions cerchez. Car cheminants tout exprés par maintes forests, telles fois entre les arbres de perpetuëlle verdure, & autres diversitez d’arbres sauvages, tant de plaines, que des montaignes, les oyseaux se sont maintesfois declarez à nous par leurs voix, en les oyant chanter : Car lors que le temps est serain, & qu’il tumbe quelque petite rosee pluvieuse, & principalement au cœur du jour, chasque oysillon se desgorge, & tenant sa perche chante melodieusement. Donc entant que touts oyseaux ont poulmons, & langues libres, peuvent exprimer leurs voix hautaines, ou basses, ainsi que font tous animaux, & l’homme. Il n’en y ha aucun qui puisse mieux proferer les paroles articulees, que l’oyseau : & entre autres ceux qui ont la langue tenüe & large, le sçavent beaucoup mieux faire. Les oyseaux masles sans en excepter aucun, chantent mieux & plus long temps que les femelles, Dont y en ha quelques uns en leurs especes desquels, la femelle ne chante aucunement. Ce n’est donc merveille si les oyseaux s’entr’entendent, se respondants les uns à la voix des autres, & interpretants en leur sens la signification du chant des autres : & s’entrerespondent ainsi qu’ils l’entendent. Aussi les oyseaux ramages muënt leurs voix, & la changent selon diverses saisons de l’annee. Il en y ha plusieurs entre eux, qui muënt la couleur de leur plumage sans perdre la plume, telement que lon voit mesmes plumes estre d’une couleur en une saison, se changer soudainement en un autre, en sorte qu’on ha peine à les recognoistre. Les uns sont moult prompts à chanter, les autres sont tardifs. Il y en ha quelques uns qui ont leurs langues longues, larges, charnuës, & deliees, ausquels toutesfois nature n’ha permis pouvoir bien chanter, comme advient à toutes sortes d’oyseaux de rapine d’ongle crochu. Il y ha plusieurs oyseaux, & principalement les terrestres, qui se combatent pour l’amour des femelles, desquels les uns chantent en combatant, les autres avant le combat, les autres apres avoir vaincu. Le vray temps pour ouïr le plaisant chant des oyseaux est lors qu’ils sont en amours. C’est chose trop absurde de vouloir rendre raison pouquoy les Cocs chantent sur jour, la nuict, & avant le jour. S’il n’y avoit autre oyseau que le Coc qui chantast à nuict close, la nuict, & au point du jour, lon pourroit bien inventer quelque raison suffisante pour en prouver la cause. Mais sçachants que plusieurs autres chantent la nuict, & avant le jour, comme est l’Oye, les Sarcelles, l’Alouëtte, le Vanneau, le Corlis, le Pluvier, la Gruë, le Rossignol, la Perdris, & autres infinis oyseaux : il nous est advis qu’on n’en peut trouver autre raison, sinon que nature ha ainsi fait, les douants de ce qu’elle ha voulu en c’est endroit estre fait à son plaisir.

La saison en laquelle les oyseaux font leurs nids, leurs œufs, & s’acouplent.
CHAP. XVII.


A PEINE pourroit on trouver meilleure exemple pour faire apparoistre la providence de nature, & la sagesse du souverain conditeur tout puissant, que par la consideration de la nature des oyseaux. Car ayants le prim-temps determiné pour leur conjonction, nous ne voyons qu’ils transgressent son ordre, & ne s’entrecherchent sinon lors qu’ils doivent faire leurs petits, tellement que se tenants compagnie fidele, passent toute la reste de l’annee sans s’acoupler pour leur amour. Et d’autant que le sexe les fait estre de diverse nature, les masles des oyseaux de rapine sont communement plus petits que les femelles : mais tant masles que femelles sont plus convoiteux l’un que l’autre, c’est à dire que quelques masles sont plus convoiteux des femelles, & les femelles plus convoiteuses des masles. Touts ne chauchent pas leurs femelles en une maniere : car les uns tiennent la femelle contre terre, les autres la tiennent tout debout. Quelques oyseaux ponnent en toutes saisons de l’annee, les autres une fois l’an, au prim-temps tant seulement, les autres en hyver, comme aussi les autres deux fois l’an. Les uns ponnent moult grande quantité d’œufs, les autres en mettent peu. Les uns ne peuvent faire leurs nids sinon à terre, les autres sur hault arbre, les autres dens un arbrisseau, les uns en un creux, les autres dedens terre, les autres es rouseaux aux rivages des lacs, les autres entre les aspres rochers. Touts œufs indifferemment ont la coque, ou escorce dure, ayants une molle membrane au dessous qui enclost le moyeu & l’aubin. Le germe est manifeste en tous œufs : mais comme il y ha difference en leur couleur par le dehors, aussi voit on quelques uns estre differents aux autres par le dedens : Car les oyseaux de riviere ont le moyeu rouge, contraire aux terrestres qui l’ont jaulne. Touts oyseaux couvent leurs œufs quasi en mesme maniere, & font esclorre leurs petits de leur chaleur naturelle. Mais il y ha difference en ce que touts masles ne sont si soigneux d’ayder la femelle les uns, comme les autres. Aussi il y en ha quelques uns, qui ne s’en soucient point du tout. Et comme avons dit, entant que l’origine du petit est de prendre corps de l’aubin, & se nourrir du moyeu en la coque, ne voulons entendre, qu’il le mange leans avecques le bec : car nature estant courtoyse le luy envoye par le nombril, tout ainsi comme elle fait es petits des animaux terrestres, lors qu’ils sont es ventres de leurs meres. Et comme les animaux terrestres portent en leur ventre, les uns plus long temps que les autres, tout ainsi y ha des oyseaux qui ont plus tost couvé, & esclos leurs petits, les autres plus tard. Car ceux de plus grosse corpulence ont affaire de plus long temps que les petits. Au commencement que lon essaye à discerner le petit nouvellement formé en l’œuf, lon voit sa teste, & ses yeulx assez gros, aussi ne luy peut on rien discerner autre chose des autres membres que cela, principalement avant le dixiesme jour. Car puis apres toutes ses parties sont manifestes, comme aussi les entrailles, & autres parties interieures. Le vingtiesme jour d’apres il commence à se couvrir de plume, auquel temps si on luy rompt la coque, on le voirra remuër leans, & luy oirra lon faire commencement de son cry, qui est nommé en Latin Pipire, qu’on ne peut exprimer de nom Françoys : & de lá en avant le petit drugera de plus en plus, se couvrant de plumes, & beaucoup plus tost, s’il est arrousé d’eau de pluye. Qui trancheroit le petit dix jours apres qu’il est esclos, on luy trouveroit encor de l’humeur du moyeu de reste dans son ventre. Cela peut on plus facilement appercevoir es gros oyseaux, car les petits sont trop difficiles à voir, sçachant que leur grande exiguïté, rend les parties cachees. Encor dure une opinion entre les paisants de nostre temps, conforme à celle du temps d’Aristote, que les oyseaux qui font beaucoup de petits, ne nourrissent le dernier esclos. Et de nom Françoys l’ont voulu appeller le Closcuau. Cela est ce que Pline dit en l’unziesme livre de l’hystoire naturelle, chapitre quarenteneufiesme, en ceste maniere : Pomilionum genus (dit il) in omnibus animalibus est, atque etiam inter volucres. Mais tout ainsi que ce qu’il ha de bon est prins de divers autheurs, tout ainsi ha il prins ce passage d’Aristote au douziesme chapitre du livre huictiesme de la nature des animaux, ou il parle des Gruës, quand il dit : Grues quae ex Scythicis campis ad paludes Aegypto superiorres, unde Nilus profluit, veniunt. Quo in loco pugnare cum Pygmaeis dicuntur : Non enim id fabula est, sed certe genus tum hominum, tum etiam equorum pusillum (ut dicitur) est. Sur ce point Pline au dixiesme livre, chapitre cinquantesixiesme, dit en ceste maniere. Est & pumilionum genus non sterile in iis, quod non in alio genere alitum, sed quibus certe foecunditas rara, & incubatio ovis noxia. Ayants donc assez escrit des oyseaux en termes generaux, & de leurs differences, fault maintenant que commencions les specifier en particulier, suyvant l’ordre des six distinctions, que nous avons ja entreprinses. Parquoy apres avoir fait un discours sur les facultez prinses des aliments des oyseaux, nous commencerons par les oyseaux de rapine.

Les qualitez, & temperaments que noz corps prennent en se nourrissants des oyseaux diversement apprestez.
CHAP. XVIII.


QUICONQUES prendra esgard à la maniere de faire des modernes, & la comparera avec celle des anciens, trouvera grande varieté d’opinions sur les temperaments que noz corps prennent de la nourriture des oyseaux, qui toutesfois ne semblera difficile considerant les autheurs qui en ont fait mention. Car il est à presupposer que les Grecs en leur manger ont tousjours eu quelque maniere diverse à celle des Latins, & Arabes, & autres nations. Nous trouvons que les oyseaux n’ont esté en plus haulte dignité que les poissons, & maintenant les oyseaux nous sont en delices, & le poisson vilipendé. Mais on ne le trouvera estrange ayant esgard aux raisons qu’avons alleguees au troisiesme chapitre du premier livre de noz observations. Nous voyons maintenant les Françoys ne convenir en l’apprest des viandes avec les Italiens, non plus que les Almans aux Espagnols, & ainsi des autres. Un Almant, un Turc, Espagnol, Anglois, ou d’autre nation, se trouveroit nouveau estant à un repas des Françoys, qui ont coustume de desmembrer, tant les oyseaux, qu’autres animaux par les joinctes, & trouver honnesteté es assemblees à qui le sçait bien faire, attendu qu’on les sert sur table tous entiers, au contraire des Florentins, & plusieurs autres nations qui les servent ja hachez à morceaux. Donc maintenant que ce propos nous tire sur la nourriture que prenons des oyseaux, suyvons un particulier discours sans alleguer autre autheur que de nostre commune maniere de faire, ne prenants toutesfois si grande liberté que ne fondions nostre appuy, sur ce que Dioscoride, & Galien Grecs, & sur ce que Pline, Varro, Macrobe, & tels autres Latins en ont dit, voulants aussi avoir esgard à l’histoire naturelle d’iceux. Galien au tiers livre des aliments ha fait un chapitre particulier, demonstrant quel aliment les oyseaux baillent au corps humain. Toutes especes d’oyseaux estants conferez aux animaux terrestres, sont de petite nourriture, c’est à dire au regard de la chair des bestes à quatre pieds : toutesfois sont plus faciles à digerer. Les oyseaux de facile digestion (dit Galien au tiers livre des aliments) sont Perdris, Francolin, Pigeon, Chapon, & Poulles. Aussi dit que la chair des Tourds, Grives, Merles, Estourneaux, & petites Paisses, qui hantent les tours, est autant, ou plus dure que des susdicts, & encores plus des Turtrelles, Ramiers, Canes. Aussi dit que la chair des Faisants est semblable en nourriture à celle des Chapons : mais qu’elle est plaisante à manger. La chair de Paon, dit il, pour estre fibreuse, qui est ce qu’on nomme eguillette en Bœuf, est dure & de difficile digestion. Les saisons de l’annee font beaucoup pour le temperament des animaux terrestres. Parquoy il est manifeste que les oyseaux sont plus maigres, ou plus gras, plus tendres, ou plus durs, de meilleur goust, ou fade, selon le temps chaud, froid, sec, ou humide : car grande partie d’iceux lors qu’ils couvent, ou font leurs nids, ou bien nourrissent leurs petits, & principalement en temps d’esté, sont trouvez de dure digestion, de chair fibreuse, & beaucoup plus excrementeuse, qu’en temps d’hyver. Au contraire des jeunes qui sont tendrelets, au regard de vieux. Et comme il y en ha plusieurs qu’on ne voit point en hyver, sinon prisonniers, aussi y en ha d’autres, qu’on ne peut voir en esté, sinon en cage. Il est manifeste que les oyseaux encor jeunes sont meilleurs, que quand ils sont des-ja vieux, comme aussi ceux qui sont d’aage competent, sont meilleurs que ceux qui sont des-ja beaucoup envieillis, hors mis le Coc, qui est souvent pris pour medecine. Tous oyseaux encor jeunes sont plus tendres & plus humides, & par consequent en sont plus glutineux, & plustost digerez. Les oyseaux qu’on ha rostis ou fris, en sont beaucoup plus secs, & le plus souvent plus savoureux. Ceux qu’on ha boullus, baillent le nourrissement au corps plus humide que des rostis. Lon mange les uns chaulds, les atures froids : car comme ceux qui ont esté rostis ont moindre humidité que les boullis, tout ainsi les boullis sont souvent de moindre saveur que les rostis : comme aussi quelques oyseaux refroidis sont meilleurs à manger aux hommes sains, & plus utiles en aucunes maladies, que s’ils estoyent chauds. Parquoy si quelcun en escrivant du temperament de la chair des oyseaux, se trouvoit en un païs, ou lon en mengeast de quelque espece qu’on ne trouve point ailleurs, & avenoit qu’on luy presentast de quelque oyseau masle des-ja vieil, & endurcy, il ne devroit pourtant conclure que la chair en est fibreuse, & dure, non plus qu’en parlant des petits encor jeunes, qui s’endurcissent & vieillissent, les juger de facile digestion. Parquoy fault principalement regarder deux choses, c’est à sçavoir si cest au jour de chair, ou de poisson : car comme les hommes entrent en diverses opinions pour leur vivre, aussi fondent les principes de leur religion en diverses manieres. Les Juïfs, Turcs, Grecs, Indiens, Perses, Georgiens, Latins, & autres plusieurs nations observent diverses manieres de faire en leur manger tant des poissons, que des oyseaux. Car comme nous avons quelques jours deputez pour les poissons, & deffences de ne manger de la chair, tout ainsi les Juïfs ont certains oyseaux, & poissons deffendus, qui toutesfois nous sont en delices. Nous qui avons nostre estre au rivage de la mer, employons nostre temps aux pescheries, pour recouvrer des meilleurs poissons : tout ainsi ceux qui habitent es regions mediterranees, s’estudient de prendre les oyseaux en diverses manieres, sçachants qu’il y ha grande election es gouts d’iceux. Mais comme ceux qui ont les pescheries de bon poisson de mer à leur commandement, ne se soucient trop de se nourrir des oyseaux, & animaux terrestres, comme appert par les seigneurs de Turquie, tout ainsi les hommes qui habitent es contrees esloignees de la mer, ne peuvent bonnement avoir delice en mangeant le poisson : toutesfois je veul attribuër tel refus, ou mespris de poisson, non pas pource qu’il est plain d’arestes, comme plusieurs ont pensé, mais à ce que communement on ne le sçait guere bien habiller en terre ferme : Car estant fade de soy, il ha affaire de forte saulce. Il peut donc grandement chaloir de quel ouvrier les viandes soyent apprestees. Car comme les cuisiniers peuvent donner grace de bonté à diverses especes de poissons, tout ainsi peuvent rendre les oyseaux de meilleur goust de les sçavoir bien apprester. Nous voyons mesmement, qu’on ne fait rostir aucun oyseau en nostre France, qui ne soit premierement broché de lardons, ou bardé tout à l’entour, ou entourné de fueilles d’herbes, comme aussi sembleroit trouver chose de trop mauvais goust, si nous avions failli à les avoir apprestez, & mangez sans saulse. Je di donc que tout ainsi comme les cuisiniers peuvent adoulcir la rude saveur du mauvais poisson par leur artifice, qu’ils peuvent aussi faire le mesme à l’endroit des oyseaux, qui sentent par trop la saulvagine. Nous en dirons encor d’avantage au vingt & uniesme chapitre, ou nous dirons que les anciens seigneurs Perses, Asiatiques, Grecs, & Latins n’avoyent coustume de si bien apprester les oyseaux, comme nous faisons maintenant, & qu’ils se trouvoyent aussi contents de manger des poyssons, que nous de toute maniere de gibbier. Nous nommons maintenant les jours maigres, quand lon n’y mange rien de gras, & pour ne manger rien de gras, entendons vivre de poysson. Car comme les Latins par les termes de leur religion ont le vendredi, & le samedi en la sepmaine, & les vigiles, & un caresme par chasque annee, tout ainsi les Grecs ont le mercredi, en eschange du samedi. Et pource qu’ils ne font les vigiles en divers temps, ils ont deux caresmes par chacun an, qui sont en diverses saisons. Et nous ayants dedié les jours, les uns pour les viandes terrestres, & volailles, avons horreur de voir manger du poysson es jours gras. Mais les Anglois absouls par la loy du Roy, au moins leur ayant donné liberté, toutesfois les ha contraincts au poysson. Non qu’il veulle attribuër cela à la religion, mais ne voulant perdre le profit qu’ils resentent de la mer, & que les hommes ayent occupation en mer s’exerçants au fait de la pescherie.

Particuliere distinction de la nourriture prinse de chaque oyseau, ou de leurs parties interieures.
CHAP. XIX.


TELLE est la consideration de la pasture des oyseaux, que de la nourriture de l’homme. Quand nous voulons nourrir, quelque oyseau de proye, de campagne, ou de riviere, nous approchons de son naturel le plus que nous pouvons : aussi les hommes, qui au regard des autres animaux, ont election sur toutes les viandes, sçavent nommer diverses saveurs, sur les oyseaux. Il y ha plusieurs especes d’animaux, qui avalent ce, dont ils vivent, sans le mascher, & toutesfois ont telle election de la saveur de ce qu’ils mangent, qu’ils laissent tousjours le pire pour le meilleur. Il ne fault donc que nostre vulgaire pense, que ce que nous appellons friandise, doive estre prise en mauvaise partie, attendu que les hommes ont encor meilleur jugement des gousts que les autres animaux, & desquels ils trouvent diverses parties estre de differentes saveurs : Car comme les bestes terrestres ont le groing, les aureilles, les pieds, le foye, les intestins, la sang avec diverses parties interieures : tout ainsi il y ha plusieurs oyseaux, desquels lon acoustre les parties exterieures separement. Cecy est pour nous conformer à ce que Pline ha escrit, disant ce que les Romains avoyent coustume de faire, mettre les crestes & barbillons des Poulles en paste, & les manger en delices. Galien parlant de la vertu des aliments en son troisiesme livre, s’accorde au dire de Pline en ceste maniere : Gallorum autem gallinaceorum cristas ac palearia (dit il) nemo nec probarit, nec etia damnaverit. Voulant dire que quant à luy il ne louë ne blasme l’usage de les manger. Il appert par ce qui ensuit au mesme chapitre ja allegué, qu’il louë grandement les genitoires des Cocs, qui n’est chose hors d’usage : Car je sçay qu’il y ha des hommes de nostre temps qui se les sont fait amasser par les boutiques des pasticiers, & rostisseurs des villes pour les mettre en paste, lesquels ont asseuré n’avoir trouvé chose entre les aliments, qui eust plus grande vertu pour remettre sus un corps extenué de maladie, & aux sains d’augmenter la semence. Je trouve ceste opinion en plusieurs autres autheurs modernes, Arabes, & Grecs, & en Tacuïnus : mais touts l’ont prins de Galien, qui dit qu’ils ont encor plus grande puissance, si la mangeaille dont les Cocs ont esté nourriz, est trempee dedens du laict : car les testicules en sont de meilleur nourrissement, & plus faciles à digerer : & qu’ils ne hastent, ne retardent les excrements. Le cerveau des oyseaux estant de plus dure consistence que des animaux terrestres, en est d’autant meilleur : Car celuy qui est plus humide, est plus phlegmatique, & par consequent le cerveau des oyseaux palustres est moins louable que des oyseaux terrestres, ou de montaigne. Celuy du Chapon, ou Coc, & des Moineaux est recommandé par les anciens medecins. Les oyseaux n’ont leurs jesiers de mesme façon : car les oyseaux de proye l’ons moins charnu, que de campagne, & de riviere, qui l’ont communement moult grand & espois. Les jesiers sont en proportion es oyseaux, comme l’estomach est aux terrestres. Et pource qu’ils sont charnuz, ils ont plaisants au goust, & desquels lon prend bonne nourriture, sinon qu’ils sont aucunement difficiles à digerer. Or si les oyseaux peuvent mieux digerer une viande, & vivre plus commodement de chair cruë, que l’homme, lon ne peut dire qu’il y ait plus grande chaleur sur leur estomach, nomplus qu’en celuy des animaux terrestres, ou de l’eau, sçachant que les poissons plats mangent des moulles, flions, & virliz, avec leurs coquilles : & les Rais mangent les cancres touts entiers avec leurs dures escorces : les Chapons mangent des petits caillous : les Pigeons, les Irondelles, & toute maniere de petits oyseaux, mangent les petits caillous : Et l’Autruche avalant du fer n’en est aucunement blessee, estant en son pouvoir de le digerer. Encor y ha des oyseaux de moindre corpulence qui digerent choses plus difficiles. La pierre dont est fondu le voirre, ou bien la mine de fer, ou d’acier encor cruë, est moins purifiee, & plus difficile à digerer que le fer qui est ja escoulé, & toutesfois chasque petit oyselet en mange : & si un homme en avoit mangé il auroit difficulté à le digerer, car il n’ha pas l’estomach de mesme. Que dira lon touchant cecy, sinon en s’accordant avec Galien, dire, que les natures sont diversement temperees es animaux à l’experience des Cailles qui prennent de l’ellebore pour pasture, & l’Estourneau de la semence de ciguë, qui toutefois seroyent venin à l’homme : Or tout ainsi que nous trouvons les oyseaux estre differents les uns aux autres en leur maniere de vivre, tout ainsi sont de diverses temperatures. Chacun sçait que ceux qui sont privez, sont de temperament plus humide que les sauvages, tant pour ce qu’ils vivent en aer plus humide, qu’estants en repos usent leur vie sans travail. Mais les sauvages, qui se travaillent plus, & hantent en l’aer plus sec, sont communement plus maigres. C’est la raison pourquoy ils se gardent plus longtemps morts sans se corrompre. Parquoy sainct Augustin ne trouva si estrange d’avoir gardé de la chair d’un Paon rosty longue espace de temps sans se corrompre. La nourriture des oyseaux sauvages est moins excrementeuse, que celle qu’on prend de ceux qu’on ha nourry privez. Mais à fin que nous puissions continuer par meilleur ordre, à parler de la nourriture qu’on donne au corps humain, en mangeant les oyseaux, nous suivrons celuy qu’avons desja tenu en leurs descriptions, recitants succintement le temperament d’un chacun, commençants par les oyseaux de proye.

Les oyseaulx, desquelz lon prend nourriture, nommez par ordre, tant selon l’ancienne coustume, que moderne : & les faisons d’iceux.
Chap. XX.


CEluy qui n’aura eu moyen de se trouver es festins publics, & repas des grands seigneurs de diverses contrees, aura peine d’entendre, quel jugement ils ont de chasque espece de gibbier, comme aussi un grand seigneur qui ne s’est trouvé vivre par les petites tavernes, & cabarets entre les paisants, ne pensera qu’on y mange de telle maniere d’oyseaux, & par ce ignorera comme ils les estiment. Commençants donc à en parler par les oyseaux de proye, & sçachants qu’ils sont de nature plus aëree, & plus agile que les autres, dirons qu’ils sont communement maigres. Lon sçait par l’experience qui ha esté faite en Crete, que les petits des Vaultours desnichez d’un rocher precipiteux entre Voulismeni anciennement nommé Panormus, & la Cytie anciennement nommee Cytennine, se sont trouvez de moins bon manger, que d’un gras chappon. Et combien que les habitants pensent que les peres n’en vallent rien, pource qu’ils vivent de charongne, toutesfois il en est autrement : Car lon trouvera authorité de bons faulconniers, qu’un Sacre, Vaultour, & Faulcon ont esté trouvez bons à manger, & qu’estans rostis, ou boullis en guise de volaille, se sont trouvez de bon goust, & tendres. Lon voit journellement que si quelques uns se tuënt volants apres le gibbier, ou rompent quelque cuisse, ou aelle, que quelques Faulconniers les apprestent. Joint aussi qu’Aristote escrivant le septiesme chapitre du sixiesme livre de l’histoire de la nature des animaux, dit, Pulli etiam accipitrum suaves valde, pinguesques efficiumtur. Pline aussi au dixiesme livre de l’histoire naturelle, chapitre quarenteneufiesme, parlant des isles Baleares, a escrit, que les Bisarts sont en delices aux habitants de ce païs lá. Ibi & Buteo accipitrum generis (dit il) in honore mensarum est. Qui est chose conforme à ce qu’on pourroit raconter des Auvergnats, car il n’y ha homme tant en la Limagne, qu’en la montaigne, qui ne mange en hyver de la chair d’un Goiran, qui est espece d’Aigle. Somme qu’on peut maintenir que les oyseaux de rapine tant vieux, que jeunes, sont tendres. Il est bien vray que ce n’est pas la coustume d’apprester les plus nobles oyseaux de proye : car les hommes penseroyent faire chose de grand meffait, de les tüer expressement, comme sçachants qu’ils sont dediez pour le deduit, & passetemps de la noblesse, & aussi que le plus souvent sont de maigre charnure. Le peuple ha horreur de manger des Milans, Orfrayes, Cresserelles, & tels autres, d’autant qu’ils se paissent de viandes deshonnestes. Ce n’est pas la coustume, que les riches mangent les Ducs grands & petits, Hullotes, Hibous, & Cheveches, ne plusieurs autres oyseaux de ceste espece, qui ne vont que de nuict, si est ce que les paisants ne les espergnent quand ils les ont prins. Le petit du Coqu est d’excellent goust, & bon à manger, duquel les anciens, & Aristote au septiesme chapitre du sixiesme livre de la nature des animaux, ont fait grand cas. Les oyseaux qui ont le pied plat sont aussi jugez avoir quelque difference entre eux : car ils acquierent diverses temperatures, & saveurs selon leur demeure. Mais de tous la chair en est excrementeuse, & de difficile digestion, & pour exemple je mettray ceux qui font le plongeon. On les trouve d’une saveur qui sent si fort la sauvagine, que plusieurs n’en peuvent gouster, au contraire des autres, qui les appetent grandement : car les appetits des hommes ne se resemblent en aucune maniere. Les petits Cygnes plus tendres que leurs peres sont vouëz le plus souvent pour les repas des Princes de ce païs cy, combien que les paisants les mangent ailleurs. Nous les mangeons plus souvent pour la nouveauté, que pour leur tendreur & bonne charnure. Les Pelicans, autrement nommez Poches, sont de mesme nourriture, & semblables aux Cygnes, toutesfois sont encor de plus dure digestion. Ils sont rares en France, mais vulgaires en Macedoine, & Egypte. Une Oye privee bien grasse, comme aussi la sauvage, sont en destimation, principalement en temps d’hyver. Les Oysons sont en leur saison au printemps & en esté, mais les hommes n’ayants esgard ha l’usage des viandes, encor qu’ils sçachent bien que touts oyseaux de riviere, & qui hantent les marais sont de chair escrementeuse, & de plus difficile digestion que les terrestres, ne laissent ha s’en nourrir, & s’estudier de les prendre avec divers engins. Les Canes, Canards sauvages, & privez, Harles, Sarcelles, Piëttes, Morillons sont communement de meilleur manger, & moins excrementeux que les Plongeons, Cormarans, Cravans, Castagneux, Macroulles, Jodelles. Les Mouëttes, & Caniards, comme aussi est l’oyseau qu’on appelle Bievre sont de chair rude, fibreuse, & beaucoup excrementeuse & maigre, quasi de mesme saveur que celle du Cormarant. Les oyseaux de riviere, qui ont jambes longues, & n’ont le pied plat, & qui ne nagent sur l’eau, mis en comparaison avec ceux qui ont les jambes courtes, & le pied large, & qui nagent sur l’eau, sont trouvez beaucoup plus delicieux en comparaison des autres : Car les oyseaux sont d’autant plus humides, & limonneux, qu’ils se treuvent tousjours par les marais, comme ceux qu’on voit tousjours en l’eau, ou dormants au rivage des estangs, qui ont la chair excrementeuse. Ne dira lon pas que les autres, combien qu’ils hantent en l’eau, neantmoins ne se mettent à nager dessus, & ne s’y tiennent que bien peu le jour, ne soyent de temperament moins humide que celuy des dessusdicts ? Aussi la plus grande partie est principale es delices des Françoys. Car encor que la Gruë ne fut onc louëe pour estre de bonne digestion, toutesfois ils la mangent es grandes assemblees, d’autant que les hommes ont plus d’esgard à sa rareté, qu’à la bonne nourriture qu’on en prend. Les Herons blancs & gris, Butors, Pales, Bihoreaux, Aigrettes sont de mesme. Mais les nations de differentes opinions ne s’accordent à telles delices : car nous voyons que les Venitiens ne font grand’ estime des Aigrettes, & moins des Butors, & quasi point du tout des Pales : desquels toutesfois les Françoys font moult grand cas. Pline & Macrobe parlants du Flambart, dient que quelques Empereurs ont eu extreme friandise d’en manger les langues. Mais Galien au troisiesme livre des aliments, est d’opinion contraire, disant que qui voudroit parler des langues des oyseaux, pour en donner nourriture aux personnes, luy sembleroit estre babillard. Et de vray il n’est oyseau qui ait langue charnuë, qu’on ne trouve dure, ou s’il y ha rien de bon, c’est si peu, qu’à peine s’en peut on appercevoir. Quand au demeurant, la chair en est viande royale. La Pie de mer, qu’interpretons Hematopus, est de tresmauvais manger. Quant à la Cigogne, Pline disoit au dixiesme livre de l’histoire naturelle, chapitre vingtroisiesme : Cornelius Nepos, qui divi Augusti principatu obiit, cum scriberet Turdos paulo ante coeptos saginari, addidit Ciconias magis placere quam Grues, cum haec nunc ales inter primas expetatur, illam nemo velit attigisse. C’est donc à dire qu’on mangeoit la Cigogne du temps de Pline, & estoit en delices comme est encor maintenant l’Alouëtte de mer, la Barge, le Chevalier noir, & rouge, entant qu’ils sont seulement prins en hyver, & sont bien gras, & en bon point, sont estimez de tous habitants des villes de bonne saveur, qui nous semble à bon droit, sçachants qu’ils sont de bon manger. Les Corliz, la Poullette d’eau sentent merveilleusement le sauvage. Le Martinet pescheur n’est quasi rien estimé, pource qu’il est gardé sec pour sa couleur exquise. Le Blanculet est singulier en excellence de bonté. Le Rasle noir sent aussi le sauvage, aussi est de mauvaise digestion. Les oyseaux terrestres ont ceste difference entre eux, que les uns sont de grande corpulence, les autres de petite : desquels les uns sont meilleurs que les autres. L’Autruche est viande commune aux Africains, comme à nous une Oye, ou Cane. Galien au tiers livre des aliments, escrit, que la chair des Ostardes est moyenne entre la chair de Gruë, & la chair d’Oye. La Cane petiere n’est moins louëe en bonté que les Perdris, dont y en ha de diverses sortes, lesquelles, comme aussi le Francolin, & la Gelinote, & Coc de bois, sont jugees faciles à digerer, & engendrer le sang subtil. Lon pense qu’il y ha trois sortes de chair au Coc de bois : la premiere chair de sa poictrine est dure comme de bœuf : l’autre plus profonde, ressemble totalement à celle d’un Faisant : & la tierce contre l’os, sent la Perdris. Les Poulles d’Inde & d’Afrique ont tousjours esté estimees delicates en touts repas, encor plus refroidies que chauldes. Les Cailles, encor qu’elles soyent viande dediee pour friandise, ont esté desdaignees, comme encor sont defenduës, sinon à gents bien sains, comme aussi le Rasle de genet. Le Pluvier, la Becasse, qui toutesfois sont viandes d’excellent manger, & de bon goust, engendrent gros sang. Le Paon est estimé es banquets, toutesfois c’est viande durette, comme aussi sont les Poulles de la Guinee. Le Faisant, les Poulles Autrucheres, & les nostres privees, avec les Chapons, Poullettes, & Poullets sont tousjours concedez en toutes maladies. La Calendre, le Cochevis, l’Alouëtte, la Farlouze, le Proyer, & autres petits oyseaux terrestres pour estre de seiche temperature, sont plus souvent baillez pour medecine, que pour nourriture, mais à gents sains sont au lieu de grande friandise. Les Corbeaux & Corneilles sont du tout deffenduës, mais les Freus, & Chouëttes tant rouge que noire, & aussi la Pie & Corneille emmentelee, encor qu’elles soyent dures à digerer, sont mangees en temps d’hyver, dont les petits sont tendres, lesquels lon mange au printemps. Et pource que c’est grosse viande & melancholique, il n’y ha que les gents de basse condition qui sens’en servent. Les Ramiers, Bisets, & Pigeons fuyars, & aussi les privez sont colloquez quasi en mesme temperature, lesquels comme les Turtrelles, & Pigeons privez, estants morts monstrent estre sanguins, & avoir la chair noire. Parquoy sont communement estimez par trop chaulds. Il n’est aucune nation qui vueille bonnement manger de la chair de Hupe : mais trop bien du Jay, & toutesfois est dure. Les Loriots ne sont en aucune authorité entre nos oyseaux, non plus que toutes les especes de Pics, toutesfois on les mange aux villages. Les Papegaux servent seulement pour la beauté de leurs plumes, & pour parler en cage. Les Merles noirs & blancs, & le tiers du collier, & aussi la Litorne, le Merle bleu, les Trasles, ou Grives, & Tourets, & Mauvis, l’Estourneau, & Turtrelle sont en semblable comparaison de saveur & bonté. L’Epeiche, le Tercot, le Grimpreau, & le Ternier ne sont grandement estimez, combien que quand on les ha prins à la pipee, on les rotist, & mange à la maniere des dessusdits. Tous petits oysillons qui hantent les hayes, & buissons sont quasi d’une mesme livree : mais il y ha election entre eux, tant à cause de leur pasturage, que pource qu’ils sont de diverses meurs. Toutes especes de Moineaux, qu’on nomme autrement Paisses (au jugement de Galien au tiers livre des aliments) sont de plus dure digestion que les Pigeons, Poulles, Perdris, & Francolins : mais moins durs que les Grives, Merles, Ramiers, & Turtrelles. Le Becafigue, ou Pivoine est es delices des seigneurs d’Italie. Les Rossignols, Fauvettes rousse & brune, Rougegorge sont prins l’esté allants boire en quelque mare des forests : touts lesquels sont de tresbon goust. Il y en ha d’autres qu’on ne mange point, pource quils n’ont rien de chair en leurs corps qui en vaille l’abillage, comme es petites Mesanges, au Poul ou Soulcie, au Roitelet, au Serin. Les Cretes ne mangent pas le Guespier nommé Apiaster, non plus que nous n’estimons beaucoup les Irondelles. Les Bruants, Grosbecs, Linotes, & Picaverets, les Montains, & Pinsons, Chardonnerets, Tarins, Verdiers, Lavandieres, Bergerettes sont quelque fois mangez, tant pource qu’on en prend grande quantité, que pource qu’ils sont gras en hyver. C’est merveille que l’estomach de l’homme puisse faire son profit de toutes manieres d’oyseaux, & toutesfois y en ha plusieurs dont les chiens affamez ne veulent gouster.

Discours sur les principales friandises es banquets de diverses nations : & des viandes qui ont esté exquises es aprests, tant des anciens seigneurs, que modernes : & de leur maniere de servir à table.
CHAP. XXI.


APres avoir estendu nostre parler sur diverses matieres apartenantes à la generation des oyseaux, en comparaison de celle de plusieurs autres animaux & plantes, avant finir ce premier livre, voulons encor conferer nostre maniere de vivre de maintenant & de servir à table, avec celle des estrangers, & raportants le tout à la maniere des anciens, aurons plaisir de sçavoir l’estimation sur la diversité de leurs friandises & viandes exquises. Parquoy il est à presupposer que comme nous avons profit, & plaisir de veoir les livres escrits, les uns de mille, les autres de deux mille, & trois mil ans, contenants ce dont les plus riches, & pauvres de ce temps lá se souloyent festoyer en leurs repas, aussi que d’icy à autant d’ans qu’il y ha que les susdits ont escrit, ceux qui voirront ce discours, ne le trouveront moins à leur gré qu’à nous est de voir maintenant ce qu’ils nous en ont escrit. Et tout ainsi qu’ils n’ont desdeigné nous mettre la maniere de vivre de leurs temps, aissi ne sera hors de nostre observation en la nature des oyseaux en dire sommaiment quelque petit mot : Car celuy qui entreprendroit assembler les escrits des autheurs qui en ont parlé, pourroit trouver matiere suffisante pour en composer un livre. Si entremettons les mesmes paroles de plusieurs autheurs Latins, ne pretendons l’entendre comme beaucoup d’hommes, qui en repetant quelques propos, dient que le Roy le leur ha ainsi prononcé, voulants par ce qu’on croye qu’ils ont faveur de parler avec luy, ou comme advient des autres qui entre-lardent leurs livrets de mots Latins, Grecs, & Hebrieux sans raison, voulants que ce soit enseigne pour les faire aproistre estre meslez de diverses langues. Mais l’avons fait pour monstrer que lesdits autheurs parlants des banquets & friandises anciennes, y ont tousjours entremeslé quelque nom d’oyseau, duquel nous voulons servir à ce propos. Nous monstrerons que la coustume des païs & l’opinion des hommes fait, qu’ils estiment les viandes, & les aiment ou haïssent plus ou moins : Car anciennement, lors que la loy ne les contraignoit à eslire leur delice en chair, en choses venuës de terre, ou en poisson pour les manger à jours deputez, ils se nourrissoyent egalement ou d’herbages, ou de chair, ou de poisson. Encor pour le jourdhuy les Turcs y ont leurs delices, sans qu’il leur soit defendu de s’en abstenir à l’un jour, non plus qu’à l’autre. Donc parlants des viandes & de l’appareil des banquets, pouvons comprendre quasi toutes les plus exquises friandises es trois susdites choses comme lon voirra par cy apres. Parquoy lors qu’il estoit libre aux Payens de manger herbages, chair, ou poisson, sans que la loy les y contraignist (car les Juifs ont tousjours eu leurs cerimonies à part) il estoit au chois de chasque personne se nourrir touts les jours de ce qui luy venoit en appetit. Et si les hommes d’estude curieux des bonnes choses, ne l’eussent mis par escrit, nous ne pourrions maintenant asseoir aucun jugement sur telle maniere de vivre, ne dire que nostre façon de faire convienne, ou soit differente à la leur. Aussi ferons voir que les anciens, de quelque langue qu’ils fussent, au païs du levant, ne souloyent permettre que leurs femmes banquetassent peste-mesle avec eux, comme lon fait maintenant es regions Septentrionales, ou ils ont acoustumé leur donner le lieu le plus honorable entre les assistants, qui est un point de grande consideration pour entendre la difference qui estoit entre les Romains, & les Grecs. Et si quelqu’un s’enqueroit de cecy, & le mettoit par escrit, ne feroit chose qui en meritast lecture, n’estoit pour conferer les choses anciennes avec les modernes : Car on voit encor pour le jourd’huy que les Turcs, les Grecs, & les Juïfs retiennent je ne sçay quoy de leur antiquité : Car mesmement les hommes des mestiers mecaniques boyvent & mangent à part separez de leurs femmes. Que doyvent donc faire les autres de plus grand estat ? Mais quant à nous, croyons que la coustume ha tousjours esté entre les nostres, que les femmes ayent obtenu lieu, & degré honorable es assemblees au dessus des hommes, & qu’il n’y eut onc nation en quelque païs que ce soit, que les personnes n’ayent en un certain lieu deputé en leurs logis, dedié pour y manger, separé de celuy auquel ils avoyent acoustumé dormir : & qu’ils ne l’ayent aproprié selon les saisons de l’annee. Car nous cerchons les sales aerees pour l’esté, & nous enfermons l’yver en lieu chauld. Les anciens aussi eslisoyent diverses places en leurs maisons pour prendre leurs repas selon diverses saisons de l’annee, l’une pour l’esté, l’autre pour l’hyver. C’est ce que Vitruve ha entendu, escrivant le septiesme chapitre du sixiesme livre, ou il dit : Hyberna triclinia, & balnearia occidentem hybernum spectant : Triclinia verna, & autum nalia ad orientem : Aestina ad septentrionem. Mais en mangeant ils estoyent assiz sur des tapiz, & contrepointes appuyez sur des aureillers : comme font maintenant les Turcs qui mangent à plat de terre. Les Grecs n’ont leur table eslevee de terre gueres plus de deux pieds de haulteur. Or puisque voulons faire voir les mets qu’on ha servis devant quelques Empereurs Romains estimez friands oultre mesure, confererons leurs viandes, & leurs appareils anciens avec noz apprests modernes, & possible qu’on ne trouvera comparaison d’excellence de leur friandise à la nostre. Mais pour la difficulté qui seroit trouvee es noms propres des animaux, & plusieurs autres choses en divers autheurs, serons contraints mettre les clausules Latines, autrement les propos en seroient mal intelligibles, sçachants qu’ils ne peuvent estre si bien entenduz en ceste langue. Ceux qui pensent que les anciens ne faisoyent deux repas par jour, comme lon fait maintenant, sont en erreur : car nous trouvons par Hypocrates, Galien, & autres Grecs, qu’ils disnoyent au matin, & souppoyent au soir ainsi que nous : toutesfois les Turcs font autrement. Macrobe autheur Latin descrivant la friandise des anciens Romains au treziesme chap. du tiers livre des Saturnales ha escrit telle chose : Accipite inter gravissimas personas (dit il) non defuisse luxuriam. Refero enim pontificis vertustissimam coenam, quae script ha est in indice quarto Metelli illius pontificis maximi, in haec verba. Ante diem nonum calend. Septembris, quo die Lentulus flamen Martialis inauguratus est, domus ornata fuit, triclinia lectis eburneis strata fuerunt, Duobus tricliniis pontifices cubuerunt, Quintus Caetulus, etc. In tertio Popilia, Perpenia, Licinia, Arundia, etc. Cecy monstre que les femmes Romaines n’estoyent à table pesle-mesle avec les hommes, mais qu’elles avoyent leur table à part. Peu apres dit : Ante coenam Echinos, Ostreas crudas quamtum vellent, Peloridas, Spondylos, Turdum, Asparagos subtus Gallinam altilem, Patinam Ostrearum, Peloridum : Balanos nigros, Balanos albos. Iterum Spondylos, Glycomaridas, Urticas, Ficedulas, Palumbos (ou bien) Lumbos caeprugnos, & aprugnos : Altilia ex farina involuta, Ficedulas, Murices, & Purpuras. In coena summa, sinciput aprugnum, Patinam piscium, Pati nam Suminis, Anates, Querquedulas elixas, Lepores, Altilia assa, Amylum, panes, Picentes. Ubi jam luxuria tunc accusaretur : quando tot rebus farta fuit coena pontificum ? Ipsa vero edulium genera quam dictu turpia ? Nam Cincius in suasione legis Fanniae objecit seculo suo, quod porcum Troianum mensis inferat. Quem illi ideo sic vocabant, quasi aliis inclusis animalibus gravidum, ut ille Troianus equus gravidus armatis fuit, etc. Si maintenant lon avoit fait un festin de telles viandes ce seroit par moquerie : car ce qu’il nomme Echinos, nous l’interpretons Herissons de mer, qui sont gros comme œufs, & ronds comme esteufs, & couverts de longues espinez : qui n’est guere bonne viande. Ceux qui habitent le long des rivages de nostre grand mer, les nomment Chastaignes de mer : mais ils n’en mangent point : car à la verité, ils sont fades à manger. Les autres mets estoyent des Huistres cruës, puis apres des Palourdes : ce qu’il nomme Spondylus, se trouve bien en nos rivages attaché aux rocs de nostre Ocean, comme avons prouvé au livre des poissons : mais ne leur sçavons aucun nom Françoys, sinon qu’on les voulust nommet Truffes de mer. Puis apres ils met des Grives, & Asperges dessoubs une Poulle grasse, puis des Huistres.Ce qu’il nomme Balanos albos & nigros, ne peuvent estre exprimez de nom Françoys, non plus que Spondylus & Glycimeris. Ce qu’il entent pour Urtica, est un poisson qui est nommé Cul d’asne. Semble que Ficedula soit un Pivoine : puis il dit Palumbos, ce sont Ramiers : pour Lumbos aprugnos, & caprugnos, fault entendre une longe de sanglier, & Chevreau : & ou il dit Altilia & Ficedulas ex farina involuta, se peut dire de la volaille & Pivoines mis en paste : & pour Murices & purpuras, lon peut interpreter une maniere de Limats de mer. Or à fin de faire voir que n’avons choisy ce passage mal à propos, lon pourra cognoistre par iceluy, que tout ce qui est cy dessus nommé, estoit pour entree de table : car il ha desja dit, ante coenam : & maintenant suyvant le mesme texte, il adjouste, In coena : comme nous dirions maintenant au second service. Pour Sumina, se peuvent dire des tettes des Truyes, qui ont nouvellement cochonné : les Italiens les nomment maintenant Scrofae : & pour Sinciput aprugnum, des groings de pourceau Sanglier : puis pour Patina piscium, des poissons cuits en saulse dedens la poësle, comme aussi Patina suminis, les tettes de Truye cuites tout de mesme. Pour Anates, Canes : pour Querquedulas elixas, Sarcelles bouïllies : Lepores, Lievres : Altilia assa, volailles roties : Amylum, de l’empois : & Panes Picentes, des pains de ce païs lá. Martial en ha escrit au troiziesme livre, en ceste maniere : Picentina Ceres niveo sic nectare crescit, Ut levis accepta spongia turget aqua. Il semble par tel apprest qu’on ne les servoit que de l’entree de table, & de second mets : Car ou il escrit Panes Picentes, on se peut douter, que c’est pour le dernier service : car il y failloit du pain pour manger avec les autres entremets, n’estoit qu’on les pensast tels que nos Goffres, Cassemuseaux, Craquelins, & Eschauldez. Toutesfois y ha encor autre soupeçon qu’on leur servoit l’issuë de table avec les fruits. Martial au quarente & huitiesme epigramme du dixiesme livre, ha dit en ceste maniere : Saturis mitia poma dabo. Toutesfois qui vouldroit en faire reigle generale se trouveroit court : car ne les Espagnols, Portugalois, Anglois, Flamans, Italiens, Hongrois, Almans, & touts autres subjets à l’Eglise Romaine, n’ont telle magnificence en leurs appareils en matiere de viandes, que les Françoys. Et de vray les Françoys ont je ne sçai quelle majesté plus grande : car on leur sert mille petits desguisements de chairs, pour l’entree de table, en diverses pieces de vaisselles : qui est plus pour la ceremonie, qu’autrement : esquelles lon met le plus souvent tout ce qui est de mol, & liquide, & qui se doit servir chauld : comme sont potages, fricassees, hachis, & salades. Ce premier service est ce qu’on nomme l’entree de table. Le second service est du roty & boully, de diverses especes de chairs, tant d’oyseaux que d’autres divers animaux terrestres : sçachant (comme dit est) qu’il n’est question de poisson à jours de chair. Mais encor que ce soit à jour de poisson, il y aura tel ordre au service, comme aux jours de chair : d’autant que lon sert aussi bien pour l’entree, & pour le second service, comme pour le dessert, qui nous est quasi commun avec les anciens. L’issuë de table ordinairement nous est de choses froides, comme de fruictages, laictages, & doulceurs. Il appert que ce qu’avons ja allegué, que les anciens servoyent chair, & poisson en leurs banquets. Mais c’est à s’emerveiller des Françoys, qui se delectent si fort en la variete des viandes tellement qu’au repas d’un simple bourgeois lon voirra deux, ou trois, ou quatre douzaines de vaisselles salies, qui sont assez pour empescher deux hommes un jour pour les nettoyer. C’est bien loing de la facon des anciens, qui en leurs grandeurs, & seigneuriës n’avoyent accoustumé mettre ne serviettes, ne couteaux sur table, n’en bailler à ceux qui venoyent manger avec eux. Martial l’ha signifié au douziesme livre en un long epigramme, en ceste maniere : Hermogenes tantus mapparum, Pontice, sur est, etc. Et sur la fin : Ad coenam Hermogenes mappam non attulit unquam : A coena semper rettulit Hermogenes. Toutesfois qu’en ce mesme epigramme il semble monstrer qu’il y avoit aussi des serviettes de table : Car il dit, Attulerat mappam nemo, dum furt a timentur, Mantile è mensa surrioit Hermogenes. Nous lisons quasi choses semblables en Aulugelle, en l’huictiesme chapitre du quinziesme livre Noctium atticarum, en ceste maniere : Praefecti popinae, at que luxuriae negant coenam lautam esse, nisi cum libentissimè edis tum aufferatur, & alia esca melior, at que amplior succenturietur. Is nunc flos coenae habeatur interistos, quibus sumptus, & fastidium pro facetiis procedit, qui ne gant ullum aven praeter Ficedulam tot am comesse oportere. Caeterarum avium at que altilium nisi tantum apponatur, ut à cluniculis inferiori parte saturi fiant, convivium putant inopia sordere. Superiorem partem avium, atque altilium qui edunt, eos palatum non habere. Si proportione crescit luxuria, & debere epulas crescere. Videte quid relinquitur, nisi ut delibari sibi coenas jubeant, ne edendo defatigentur, quando stratus auro, argento, purpura, amplor aliquot hominibus quam diis immortalibus adornatur. Et au seiziesme chapitre du septiesme livre, detestant les friandises de son temps, ha inseré les vers d’Euripide tresancien poëte, contenants telle sentence : Quelle chose est en plus prompt usage pour nourrir les mortels, que le don de Ceres, & le breuvage d’eau ? Mais l’abondance est ce qui les esmeut à recercher les friandises des autres viandes. Genera autem (dit il) nominaque edulium, & domicilia ciborum omnibus aliis praestatia, quae profunda ingluvies vestigavit, quae Varro opprobrans executus est haec sunt ferme, quantum nobis memoriae est : Pavus è Samo, Phrygia Attagena, Grues Melissae, Hoedus ex Ambracia, Pelamis Chalcedonia, Murena Tartessia, Aselli Pessinuntij, Ostrea Tarentina, Pectunculus Chius, Elops Rhodius Scari Cilices, Nuces Thasiae, Palma Aegyptia, Glans Iberica. Hanc autem gulae peragrantis, & in succos insuetos inquirentis industriam, atque has undique vorsum indagines cupediarum majore detestatione dignas censebimus, etc. Toutesfois qu’iceluy considerant les choses de plus loing, & escrivant la frugalité qui estoit envers le peuple Romain avant qu’il fust creu en son extreme grandeur, ha intituté le tiltre du vingt & quatriesme chapitre du second livre, De vetere parsimonia, deque antiquis legibus sumptuarius populi Romani. Et Macrobe au dix-septiesme chapitre de son tiers livre, prenant le mesme argument ha escrit, De Legibus latis contra luxuriam veterum Romanorum. Mais Pline plus anciens que les susdits, ha encor mieux dit au quatriesme chapitre du dixneufiesme livre, en ceste maniere. Romae quidem per se hortus ager pauperus erat. Ex horto plebei macellum, quanto innocentiore victu ? Mergi enim credo in profunda satius est, & ostre arum genera naufragio ex quiri, aves ultra Phasidem amnem peti, & fabuloso quidem terrore tutas, imo sic preciostores. Alias in Numidia, atque AEthyopia in sepulchris aucupari, aut pugnare cum feris mandi ab eo cupientem quod mandat alius. Al hercule quam vilia haec, quam parata voluptati, satietatique, nisi eadem quae ubique, indignatio occurreret ? Puis apres il dit : Hortorum Cato praedicat caules : hinc primum agricolae aestimabantur prisci, & sic statim faciebant iudicium, nequam esse in doma matrem familias (etenim haec cura foeminae dicebatur) ubi indiligens esset hortus. Quippe è carnario, aut macello vivendum esse. Nec caules (ut nunc) maxime probabant, dannantes pulmentaria quae egerent alio pulment ario. Id erat oleo parcere. Nam gari desideria etiam erant in exprobratione. Horti maxime placebant, quia non egerent igni, parcerent que ligno, expeditares & parata semper : unde & acetaria appellabantur, facilia concoqui, nec oneratura sensum cibo, & quae minime accenderent ad desiderium panis, etc. Mais tout ainsi que diverses saisons de l’annee nous livrent diverses manieres de viandes pour nostre usage, tout ainsi sçavent s’en accommoder pour leur vie, les ayants recuëillies en leur saison, & conservees en diverses manieres : car comme il n’y ha rien de plus exquis es festins qu’on faict au printemps que d’y voir quelques jeunes volailles tendres pour leur aage, aussi l’hyver lors qu’on les ha bien nourriz & gras, en sont trouvez meilleurs. Parquoy apres avoir escrit les mets des anciens, extraicts de leurs livres, mettrons encor les nostres, selon qu’on les sert communement à la maniere Françoyse, selon que l’avons extrait d’un petit livret intitulé, Le memoire pour faire un escriteau pour un banquet, nous avons pensé meriter pouvoir estre inseré en cest endroit, pour la diversité des noms Françoys qu’on y trouve. Quand tu vouldras faire un banquet (dit il) regarde en ce chapitre & tu trouveras des memoires pour faire ton escriteau. Premierement auras Chapons pelerins, Cercelles confites, Lions de blanc chapon, Andouïlles de Gelee, venaison de Sanglier aux marrons, Cresme fromentee, Perdris à la tonnolette, Pastez à la tonnolette, Pastez de venaison, Sallades vertes, Sallades d’entre-mets. Autrement, trouveras Faisans, Levraux, Butors, venaison de Chevreau, Pluviers, pastez d’Allouëttes, Gelee en poincte de diamant, Paons revestuz, Pigeonneaux, Chevreaux farcis, Oysons à la malvoisië, Pieds à la saulce d’enfer, plus à esturgeon, Perdris, Connins, Cercelles, Poulsins au vinaigre, pastez de Pigeons, Pastez de venaison, Chevreaux au formage de Millan, Gelee embree, Gelee mouluë, Gelee blanche picquee, Tanches Lombardes, Taillis d’Angleterre, Marsouïn contrefait, Jaspe, Olives, Perce-pierre, Pourpier confit, Concombres confits. Patisserie : Pastez de coings, Escussons de gelee, Tartes fanaydes, Blanc manger, Fleurs de lis de gelee, Gasteaux fueillettez, Tartes d’Angleterre, Bauldriers de pommes, Flaiols, pastez de Marrons, Tartes de cresme, Angelots de gelee, Sallades de poires de bon crestien, Poires à l’hypocras, Poires de bon crestien entieres, Gauffres coulisses, Estriers de pruneaux, Biscuit, Bignetz, Neffles à l’ypocras, Hypocras, Marchepin, Pommes au gastelin. Autrement : Sallades de laictuës, Cailles au laurier, Fromentee à venaison salee, Perdris aux capres, Soleil de blanc chapon, venaison aux navets, Gelee undee, pastez de Chapon, Gasteaux Italiens, Saulcisses de veau, Andouïlles de gelee. Autrement : Sallades blanches, Oysons farcis, Pigeons de bois, Chapons gras de Lodun, Pluviers, Chevreaux, Herons, venaison de sanglier, Pastez de Cercelles, Gelee dechiquetee, Sallade de houbelon, Asperges, Pastez d’Artichaux, Artichaux à la poyvrade, Jambons de Mazence, Blanc manger, Sallades vertes, Sallades blanches, Connins à la grenade, Poulletz, Cercelles, hure de Sanglier, longes de Bœuf, Friteaux, Bignets, Pasquenades, Cresme de Mesles, Limonts confits, Papillons de marrons, Gasteau joly, Escus de gelee, Lesches Lombardes. Plus, Perdris à l’orange, Cervelats, civé de Cerf aux naveaux, langues de Mouton à la vinaigrette, pastez de Becasse au bec doré, pastez de pieds de Bœuf, pastez de langues de Bœuf, Paons revestus, Tarte de vin blanc, Testes de chevreaux, Chapons rotiz, Cercelles, Butors, Pigeons, Chapons, Citrons, pastez d’Allouëttes, pastez de pieds de Mouton, Tarte ancienne. Plus : Saulce de veau, Faisans, Pluviers, Poullets, Oysons, Lapereaux, Olives, pastez de Pigeons, Fontaine de gelee, Ramiers en poyvrade, Tartes de pommes, Herons, Becasse à lequesat, Allouëttes, Tartes de mouëlle de Bœuf, pastes de Poulets, Oriflants de gelee, Moust, Tartes de pruneaux, Perches, Becasses, Levraux, Cailles, Cines, Albanois, Pastez de pommes, Tartes angoulousees, Tartes de pommes hachees bien en broc, venaison de Chevreau, Hure de sanglier, Gelee commune, Neige en romarin, Pastez de Coings, Tartes de cresme, Tartes d’Angleterre, Gasteaux feuïlletez, Gasteaux joyeux, Formage plaisantin, Butors, petits Poulsins. Plus, Rissoles, petits Chouz touts chaulds, Gastelets baveux, Ratons de formage, Poires à l’ypocras, Poires en sallade, Marrons, Pommes de Capandu, Sallade de Citrons, Sallade de Grenade, Escus de gelee. Nous n’avons entreprins nommer tout ce qu’on pourroit bien nombrer entre les mets des festins, toutesfois que qui le voudroit lire, le trouvera au quatriesme de Pantagruël, au lieu ou il parle des gastrolates. Quant à notre part, nous estimons que les autres nations ne sçauroyent tant nommer de mets en leur langue que les Françoys : Car encor que Martial au quatorsiesme livre parlant De Pistore dulciario, qu’interpretons un succrier, ait dit, Mille tibi dulces operum manus ista figuras Extruet, huic uni parca laborat apis : Si est-ce qu’ils n’avoyent noms propres pour les nommer, comme nous faisons maintenant les nostres. Les Turcs me semblent retenir beaucoup de la maniere des anciens Romains en leur manger, à qui lon avoit accoustumé apporter un grand plat, contenant ce qu’on devoit manger, comme pain, & chair, mises en plusieurs autres petites Vaisselles, esquelles estoit la viande qu’on avoit servië. La maniere de servir les Princes Françoys, à nostre jugement, excede toutes les autres en honnesteté, & ceremonies bien ordonnees : & croy que ce que les panetiers de la court nomment Nefs, est ce que les anciens Empereurs, & Pontifes Romains nommoyent en Latin, Delphini. Une ceremonie est gardee en nostre France, que nulle autre nation n’ha accoustumé faire : C’est, qu’es mesnages & mesmement des personnes privees, lon ne met vaisseau, ne voirre dessus table pour boire : car si quelqu’un ha soif, on luy en apporte du buffet, sur lequel lon tient les vases, & autres utensiles d’argent, ou vaisselles en parures. Il ne fut onc que les seigneurs anciens n’ayent eu leurs sommeliers, & eschansons en office different, comme est maintenant à nostre mode : mais je doute s’ils avoyent des escuïers trenchants, qui leurs coupassent les viandes devant eux. Quelles qu’ayent esté les delices, les repas, le vivre des anciens ou modernes, il n’est aucun qui ne sçache que c’est le lieu, auquel les hommes tiennent divers propos : car lors se trouvants en tranquillité d’esprit, apres avoir vacqué grande partie du jour à leurs exprés affaires, & principalement en lieu propice au souper, chasque personne se trouvant en ces guogues, prononce mots joyeux : Car comme les hommes pour se maintenir en estre, se sentent avoir affaire des biens de nature, ils veulent maintenir leur esprit, & sustenter le corps, & sont contraincts vacquer à leur devoir, pour n’avoir deffault de nourriture. Car il n’est homme qui soit exempt d’un certain devoir deu à tout corps animé. Parquoy l’homme prenant son repas prononce son langage, selon lentretienl’entretien de la compagnie presente : Car encor qu’il soit à part soy, ou il est pire qu’un autre animal, il fait quelque discours en soymesme. Voyons un oysillon tant en sa liberté, qu’esclave, il ne se peut tenir qu’il ne murmure tousjours quelque chose : tout ainsi l’homme au moins s’il ensuit la loy de nature, se trouvant en assemblee pareille à luy, communique ce que luy est advenu de nouveau en la journee. A l’exemple dequoy lon peut reprouver l’austerité de ceux qui font autrement. Parquoy telles que sont les assemblees, tels sont les propos qui y sont tenus : car entre hommes de sçavoir, modestes, & d’autorité, lon n’y entend autre propos que de science, chose d’estat, & de philosophie : toutesfois que le plus souvent ceux qui se pensent demis-dieux terrestres, & qui s’essayent de prononcer en juges, se font moquer d’eux. Car encor que leur revenu les maintienne en authorité, si est-ce qu’ils sont subjects aux jugements de ceux qui les oyent parler. Bien est vray qu’il est en leur puissance de faire estaller force viandes sur table : toutesfois il n’y ha charcuitier qui n’en fist bien autant, ains encor plus d’extrement, s’il en avoit le revenu. Quelques uns parlants des choses produictes en nature, ont esté ouïs, qui ont maintenu qu’il y ha de deux mil sortes d’oyseaux, & deux fois autant de poissons, & innumerables especes de bestes à quatre pieds : ausquels avons quelques fois respondu, que tout homme raisonnable doit tellement borner son dire, qu’il y constituë quelque fin. Car qui nieroit qu’il n’y eust de deux mille sortes d’oyseaux, ou dix mille, n’estant asseuré de l’infiny ouvrage de nature, ne seroit reputé sage. Mais l’homme de bon jugement qui ha beaucoup pratiqué de bonnes choses, se propose un arrest pour la certitude sur la cognoissance des choses naturelles. Car si quelcun maintenoit deux mil especes d’oyseaux, seroit comme celuy qui diroit, qu’il est plusieurs mondes, & qu’il y ha un Soleil, & une Lune en chascun monde, qui est chose du tout incroyable. Toutesfois que le souverain conditeur des choses animees ha donné la perspicacité, & entendement à l’homme, & ha voulu qu’il fust en sa puissance de nombrer à peu pres les choses produites es elements, qui sont faictes pour son usage. Parquoy semble qu’il n’est du tout hors de la puissance de l’homme diligent observateur des choses, de les reduïre jusques à un certain nombre. Aristote & les autres anciens en ont parlé de la plus part d’iceux. Parquoy dirons librement selon nostre jugement qu’il est hors de la puissance des hommes de trouver à peu pres plus de cinq cents especes de poissons, plus de trois cents sortes d’oyseaux, & plus de trois cents de bestes à quatre pieds, & plus de quarante diversitez de serpents, & plus de trois cents choses propres à manger, issuës des herbes, ou des arbres : Sçachants mesmement qu’il y ha plus de mil ans qu’un discours tel qu’est cestuy cy ha esté mis en avant entre les gents de sçavoir. Pline nous en est tesmoing, qui ha l’unziesme chapitre du trente & deuziesme livre, fait apparoir bonne partie de ce qu’avons dit, parlant en ceste maniere, Peracta aquatilium dote, non alienum videtur indicare per tot maria tam vasta, & tot millibus passuum terrae infusa, extraque circundat ha mensura pene ipsius mundi, quae intelligantur animalia centum septuagint a sex omnium generum esse, eaque nominatim complecti. Quod in terrestribus, volucribusque fieri nom quit. Neque enim omnis Indiae, Athyopiaeque, aut Scythiae, desertorum ve novimus feras aut volucres, cum ho minum ipsorum multo plurimae sint differentiae quas invenire potuimus. Accedat his Taprobane, insulaeque aliae Oceani fabulose narratae. Profecto conveniet, non posse omnia genera in contemplatione universam vocari. At hercule in tanto mari Oceano quaecunque nascuntur certa sunt, notioraque (quod miremur) quae profundo natura mersit. Quant à ce qu’il dit, non posse omnia genera in contemplationem universam vocari, nous ne voulons entendre qu’on les puisse bien tous cognoistre, mais qu’on en peut approcher de bien pres.

Divination des anciens, que les Augures, Arioles, Aruspices, Vaticinateurs, & Nigromanciens souloyent trouver en contemplant les interïeures parties des oyseaux, & autres animaux trepassez, en faisant leurs sacrifices.
CHAP. XXII.


JA avons rendu raison pourquoy les Egyptiens souloyent adorer plusieurs animaux, & quelques oyseaux, & au livre De Vedicato funere avons dit qu’ils les souloyent confire lors qu’ils les trouvoyent morts par les champs : mais nous en parlerons encor au chapitre de l’Ibis, & de la Cigogne. Il n’est aucune chose moderne qui ne se resente je ne sçay quoy de l’antiquité : Car les hommes n’ont rien de meilleur que de s’accommoder par les lois & coustumes de leurs ancestres, & moyennant qu’ils le facent avec discretion en comparaison du pire au meilleur, lon n’y trouvera que reprendre. Il est quelque fois necessaire dire beaucoup en parlant des choses que le vulgaire les ignorant estime petites : telles possible, qu’es divinations, & aruspices, que certains hommes constituëz en tels offices faisoyent anciennement sur les chants des oyseaux : Car ils pretendoyent diviner les choses futures, ou pour les avoir veu voler, ou de leur avoir regardé les entrailles, ou par leurs contenances. Galien au livre De sectis philosophorum, n’a du tout rejecté leur doctrine : Car il escrit ainsi : Plato, necnon & Stoici divinatione introducunt, quae vel nu ninis alicujus praesentia, vel propriae mentis divinatate, vel soluto per sonnum animo excitatur, praeterea Astrologica, & haruspicina. Verum ut hi plura divinationis genera ponunt, ita omnia Xenophanes, & Epicurus tollunt. Pythagoras haruspicina tantum improbat. Aristoteles, que sequitur Dicaearchus, duas reliquit, somnium, & furore. Quanuis enim animas immortales esse non arbitrentur, eas tamen divinitatis fatentur cujusda esse participes. Nous avons encor plusieurs autheurs qui font grande mention des anciennes ceremonies, & superstitions de tels sacrificateurs, & principalement Aulugelle en ha parlé en divers chapitres, par lesquels lon peut voir, qu’il advient souvent que ce, que les hommes introduïsent au commencement en bonne partie soubs espece de bien faire, est puis apres subtilement mis en valeur jusques à prendre grande authorité : & que quand quelque chose supersticieuse ha peu frauduleusement gaigner l’entendement de l’homme, vient à la part fin à luy commander totalement. Mais pour bien declarer cecy, il fault commencer de plus loing. Les anciens voyants advenir quelques choses prodigieuses ou es elements, ou en l’estre de nature, principalement en l’aer, en l’eau, ou en terre : comme quand il pluvoit choses monstruëuses, ou que quelque feu, ou nuëe obscure, fouldre, ou tonnerre les avoit espoventez : ils se conseilloyent à aucuns vaticinateurs, c’est à dire divinateurs, sur la matiere advenuë : qui faisoyent à croire qu’ils divinoyent par leurs sciences, dont y en avoit aucunes hommees Eromancie, Geomancie, Piromancie, & Hydromancie. Encor y en avoit d’autres, auquels quand les Republiques, ou princes vouloyent faire une entreprinse hazardeuse, se souloyent conseiller : & iceux estants constituëz en certaines offices de dignité, estoyent diversement nommez, les uns Aruspices, les autres Arioli : desquels le peuple pretendoit sçavoir l’issuë de toutes choses, dont ils seroyent requis. C’estoit la cause, qu’on adjoustoit moult grande foy en leurs responces. Tels divinateurs faisoyent leur mistere en contemplant les interiëures parties tant des oyseaux, que des autres animaux, sur leurs sacrifices. Soit donc mis en question à sçavoir si par l’inspection d’icelles, ils pouvoyent diviner les choses advenir, & s’il y avoit aucune chose de verisimilitude en leur fait, dont lon se peut asseurer de ce quils promettoyent ? Premierement qui ne sera bien d’opinion que le commencement de tels Aruspices, & Arioles ait prins sa source soubs espece de simplicité, & que blandissant chascun, & luy promettant les choses desirees (qui est le plus grand plaisir que puisse recevoir l’homme en vivant) ait esté appliquee au commencement aux ceremonies de la religion, & que puis ils y ayent meslé encor plusieurs autres choses avantageuses pour ceux qui l’exerçoyent ? Car comme le genre humain est facilement esprins des tenebres soubs vertu de faulse religion, & est tousjours desireux de sçavoir ce qui luy doit advenir, tout ainsi laissant posseder ses sens à ceste science, il n’est bonnement en luy de s’en demettre, estant saisy de tel lien, qui ha desja occupé son esprit. Voyant donc que plusieurs gents doctes, & Senateurs Romains s’en sont voulu entremettre, & l’excercer, il semble que superstition ait tousjours dominé entre les nations de toutes contrees, & qu’il ne fut onc, que les grands seigneurs n’ayent bien sçeu dissimuler le fait de la verité : Car si les Ducs, Roys, & Empereurs, non seulement Romains, mais aussi Egyptiens se sont attribué ce droit, il fault qu’ils ayent entendu qu’il y eust certitude en la science, ou bien voulussent dissimuler la fallace, & tromperie d’icelle. L’ethimologie de ceste diction Auspicium, nous enseigne qu’elle vient ab avibus inspiciendis, c’est à dire, de regarder les oyseaux : Comme aussi Aruspicium ab aris : c’est à dire de regarder les autels : & de la lon dit que Arioli estoyent ceux qui brusloyent les chairs des bestes sur les autels. Augurium estoit dit ab avium garritu, c’est à dire du desgorgement des voix d’iceux. Or s’il y avoit certitude en leur science, pourquoy ne dure elle encor maintenant ? & si c’estoit fallace, pourquoy en abusoyent ils le vulgaire ignorant ? Lon prouvera bien par divers passages de la Bible que la science des Arioles, Aruspices, & Augures est moult antique. Parquoy lon pourroit penser que c’est de l’invention des Chaldees, ou Egyptiens, & que les Tuscains l’ont aprinse d’iceux. Il y ha quelques modernes lisants ce que Cicero en ha escrit, qui ont pensé que l’origine de ladite science n’en estoit plus ancienne que des Tuscains : mais si lon veult confronter les anciens autheurs, il ne sera mal aisé de s’en rendre esclarcy. Pline ha escrit au cinquantesixiesme chapitre du septiesme livre, qu’un personnage nommé Car, ou Caras, trouva les Augures par les oyseaux : & Delphus trouva ce que les Latins nomment Aruspicium, & Thyresias Auspicia avium : mais si ce n’estoit qu’on voulust entendre qu’ils en eussent prins l’invention des dessusdits, ou qu’ils fussent d’autre nation qu’Italienne, ou Grecque, serions d’opinion qu’on trouveroit lieu pour s’abuser. Jamblicus au livre De Mysteriis AEgyptiorum, ha dit les suyvantes paroles, qui sont tout à propos à ceste maniere. Superi dant dona paratis, non solum naturaliter, sed per intellectum, & libera voluntatem ipsorum deorum. Dij dant futurorum ostent a in extis, avibusque, & stellarum novis prodigiis, etc. Peu apres : Viscero in ostentis transmutatur contra natura in animalibus ab anima eorum. In auguriis captandis aves miraculose moventur ab anima sua, etc. Mais qu’on puisse bonnement exprimer quelle estoit la maniere de proceder en Augurium, & en Aruspicium, & en Auspicia aviu, possible qu’il ne se peut sçavoir : car nous n’en trouvons rien par escrit, sinon que par souspeçon. Nous en pourros deduire quelque petite chose de certains passages de plusieurs autheurs anciens, tant Hebrieux, Grecs, que Latins, qui en ont parlé quelque mot en passant : Joinct que nous trouvons, que Augurium & Aruspicium, sont aussi prins pour tout autre enseignement tant des arbres, des poissons, & autres animaux, & aussi des plantes : Car Theophraste au quatriesme chapitre du second livre de l’histoire, des plantes, parlant des choses monstruëuses advenuës sur les plantes, dit en ceste maniere : Ergo haec tanqua prodigia, & praeter naturae norma accidere arbitrantur. Neque enim aruspices ista interpretatur, etc. Ad haec fortuit a quoque mutatione, fieri aiumt interdum fructuum, nonnumqua arborum sumatim ipsarum, quae quide Aruspices ostenta esse existimat. Pline parlant des Augures qu’on prenoit des poissons es fontaines, en ha pensé de mesme, comme il appert par ce qu’il en escrit au II. chap. du XXX. livre. In Cantabria Tamarici fontes (dit il) in augurio habentur. Et en mesme passage, Fons Limyrae transire solet in loca vicina, portendens aliquid. Mirum quoque est, quod cum piscibus transit. Responsa ab his petunt incolae cibo, quem rapiunt annuentes. Si vero eventum negent, caudis abigunt. Aristote aussi au second chapitre du sixiesme livre de la nature des bestes, monstre qu’on avoit coustume de sacrifiër des poulles quasi ordinairement. Car il ha escrit : Gallina etiam discita, talia sub septo, quo loco foeminis ova adhaerent, reperta sunt corpore luteo tota magnitudine ovi perfecti : quod proostento Augures capiunt. Mais pource que telles superstitions estoyent faites pour diverses fins, ils avoyent aussi accoustumé tuër diverses especes de bestes. Et qu’il soit vray, quand les prestres Romains vouloyent appaiser les jours caniculiers, nommez Canis ardor, c’est à dire, la chaleur de l’estoille, que tant eux, que les Grecs nommoyent Procyon, ils tuoyent des chiens de couleur rousse telle qu’est le chamelot, à fin qu’en les sacrifiant à la Canicule, la chaleur qui gastoit les bleds en esté se refraischist aucunement par le sacrifice des chiens. Les Romains avoyent les Auspices en si grande recommandation, qu’ils nourrissoyent des Poulsins tout expressement, & les portoyent en touts temps, allants à la guerre tant sur mer que sur terre, ou estants en leurs maisons, pour assoir leur jugement de la contenance d’iceux, & se regler en ce qu’ils devroyent faire sur les gestes, qu’ils voirroyent faire aux Poulsins. Car Suetone en Tybere dit, que Claudius Pulcher capitaine Romain, voyant ses ennemis sur mer, voulut voir manger les oyseaux : mais iceux refusants le manger, les jecta en la mer pour boire en mespris des Auspices. Suetone dit ainsi. Claudius Pulcher non pascentibus in auspicando pullis, ac per contemptum religionis mari demersis, ut biberent, quando esse nollent, etc. Lors que noz soldats tenoyent les champs, ils mettoyent un Coc sur leur bagage allants par païs, comme se resentants de la maniere de faire des antiques Auspices Romains : mais nous le faisons à autre fin, car c’est pour enseigner les heures de la nuict. Cicero dit qu’ils n’avoyent pas seulement coustume de regarder les Poulsins en guerre, ains aussi en leurs maisons en privé. Mais les Aruspices avoyent autre office different aux Auspices, comme il appert par ce que Tybere ordonna qu’on n’allast se conseiller à eux en secret, & sans tesmoings. Suetone escrit au soixantequatriesme chapitre, en Tybere : Aruspices secreto, je sine testibus consuli vetuit. Donc Aruspicia, Auguria, & Auspicia avoyent diverses actions, comme tendants à diverses fins, lesquelles (comme ferons voir par cy apres) n’avoyent non plus de certitude, que la foy que le vulgaire y adjoustoit. Or puis qu’il y ha eu plusieurs especes de telles frivoles divinations, & que les unes se prenoyent de voir manger les oyseaux, les autres de leur marcher, les autres de leur voix & voler, les autres de leur contenance, & que le principal estoit de l’inspection de leurs interieures parties, & que nous cognoissons de ce temps cy, que toutes ces choses estoyent faulses, il fault conclure que lors que les hommes estoyent sans la cognoissance de Dieu, les diables faisoyent tels miracles, qu’il semboit que les divinateurs evocassent les umbres de l’enfer pour parler à eux. Car s’il y avoit quelque certitude, les seigneurs de la terre, tels que furent les Empereurs Romains, qui n’avoyent rien de plus genereux en leurs pensees, & souhaits, que de commander à leurs Dieux, se fussent renduz immortels. Dequoy lon se peut asseurer que s’ils y eussent trouvé quelque chose à leur advantage, qu’ils n’eussent esté si infortunez sur l’issuë de leur vie : Car eux, qui n’avoyent faulte d’aucune chose duïsante à leurs entreprinses, ne devoyent trouver empeschement à leurs desseings, s’il y eust eu apparence de verité. Mais pource que souvent est advenu que les responses des Aruspices pouvoyent estre convaincuës gaulses, il y avoit tousjours quelque excuse pour eschaper : Car s’ils avoyent failly en ce qui avoit esté mal prononcé, ou ils disoyent que le jour avoit esté infortuné, ou bien que l’animal qu’ils sacrifioyent estoit de mauvaise couleur, ou bien trouvoyent telle autre excuse. Le meilleur estoit que lors qu’ils sacrifioyent les animaux, il sembloit que c’eust esté chose de nulle vertu, s’ils n’eussent proferé quelques paroles de devotion en tuant les bestes. Il est question de sçavoir maintenant si la vertu de telles divinations procedoit des paroles, ou de la mort des bestes, & oyseaux. Si lon disoit que la vertu procede des paroles, il fauldroit par cela qu’on determinast telles vertus aux hommes. Parquoy tout ainsi qu’il estoit arresté, que l’homme avoit telle puissance en ces paroles, aussi estoit necessaire qu’il observast bien l’ordre de prononcer ce qu’il devoit dire, à fin qu’il ne nommast quelques paroles les premieres, qui devoyent estre les dernieres. Tout ainsi comme il ha esté de touts temps commun à toutes personnes, que les hommes ayent eu crainte des maledictions d’autruy, & principalement des hommes vouëz au fait de la religion, tout au contraire il n’y eut onc aucune nation qui n’ait eu plaisir d’ouïr se saluër par son nom. Il nous est commun en France qu’en esternuant prions qu’il soit à bien, toutesfois les Almans, Flamans, & Anglois, & ceux des regions Septentrionales n’ont pas tel usage, ne aussi les Turcs. Et toutesfois ceste coustume est ancienne, tant aux Grecs, que Latins : comme il appert par les mots d’Aristote, & dont Pline au second chapitre du vingthuictiesme livre de l’histoire naturelle, demandant la raison disoit, Cur sternutamentis salutamur ? & aliqui nomine quoque consulatare religiosius putant. Mais pource que c’est plus grande majesté d’alleguer l’authorité des premiers autheurs, il semble qu’il avoit prins cela de l’unziesme chapitre du premier livre de la nature des animaux en Aristote, qui dit que l’esternuër est un signe augural, reputé sacré, & sainct. Item pars faciei nasus (dit il) quae meatum prabet spiritui. Aërum enim ea parte reddimus, & accipimus. Sternutamentum quoque eadem agitur parte, quod flatus universi eruptio est. Signum augurale, & unum ex spirituum omnium generibus sanctum, & sacrum. Il est donc manifeste qu’il y ha tousjours eu des grandes ceremonies à garder en la discipline des Augures, & que les hommes l’ont eu pour usage principal en leur religion, veu que se trouvants en estrange païs ne cessoyent pourtant de faire tel sacrifice, comme il appert parce qu’Aristote au dix-huictiesme chapitre du mesme livre, en ha escrit : Fellis privationem (dit il) vel in victimis non nunquam per cipi certum est : quippe cum parte quadam agri Chalcidici Fubois, fel nullum pecori sit. At in Naxo omnibus ferme quadrupedibus adeo grande, ut advenae, qui sacra fecerint, stupescant, re scilicet prodigij loco sibi arbitrantes, non talem esse naturae terrae illius quadrupedum. Quasi comme s’il disoit, que quelque part qui se trouvassent les hommes de sa religion, ils avoyent tousjours accoustumé tuër, & sacrifier des animaux selon leur usage. Cecy est tout à propos pour prouver qu’on sacrifioit toutes especes d’animaux, tant oyseaux, & quadrupedes, qu’aussi les poissons, & que les sacrificateurs trouvants les fiëls es uns plus grands, & es autres moindres, ignorants l’anatomie des animaux s’en esmerveilloyent, quasi comme de chose prodigieuse. Les hommes pressez du tonnerre, ravines, ou tempestes, n’ont remede plus singulier que de se vouër, & invoquer leurs dieux par prieres & oraisons : Comme aussi en la peur conceuë de jour ou de nuict, ou par les visions ou illusions qui trompent noz yeux, certains modernes les nomment Phantosmes, retenants ce mot de la diction Greque Phantasmata, contre lesquelles n’avons meilleur recours que de proferer certaines paroles sainctes. Les Ethniques pensoyent que les principales vertuz de leurs sacrificateurs fussent es paroles proferees & edits prononcez tant en vers de rithme qu’en autre maniere : les autres mipartoyent les vertus les uns aux paroles, & les autres à la mort des bestes. Parquoy les sacrificateurs ont tousjours eu puissance envers le vulgaire. Si est-ce qu’il n’est pas que les plus sages entendants l’abbus, ne s’en soyent moquez en eux-mesmes. Mais il appert que le vulgaire de mediocre fortune, de quelque condition qu’il fust, ha plus tost pensé que le principal remede de ses maux, ou de ce qu’il pretend de singulier en ses desirs, estoit fondé sur les paroles prononcees des hommes de sa religion. Et iceluy se fiant en cela, le croyoit sans voir aucune chose : car en telles manieres penseroit faire contre sa conscience, d’en demander l’experience visible. Ceste est la raison pourquoy les Augures, Arioles, & Aruspices, usoyent de moult grandes ceremonies : Et que lors qu’ils sacrifioyent, il failloit qu’il y eust un homme devant le sacrificateur, tenant un livre escrit, ou estoyent les paroles du sacrifiant. Oultre ce il failloit qu’il y eust encor un autre homme à costé, qui regardast attentivement ce que le sacrificateur lisoit, à fin qu’il ne laissast quelque parole sans la prononcer, ou bien en transposant quelque autre. Encor failloit un quart à ce mistere qui faisoit faire silence entre le peuple, à fin que la voix fust ouyee d’un chascun : Car c’estoit chose estimee leur denoncer malheur, quand le ministre failloit en la prononciation de ses prieres. Parquoy ils avoyent des musiciens qui jouoyent de quelque maniere de fluste, à fin que nulle autre chose ne fust exaulsee de leurs dieux, que ce qu’ils disoyent en leurs prieres. Soit donc conclu que la puissance des Arioles & Augures estoit telle qu’ils la faisoyent valoir envers le peuple, & qu’ils faisoyent valoir leurs coquilles, selon ce qu’ils pensoyent que le peuple les accepteroit. Parquoy il est croyable que les ministres de tels sacrifices estoient tels fins fretez, que ceux à qui les Romains bailloyent leur front à regarder, comme encor maintenant faisons voir noz mains aux Chiromanciens, & à ces gents ramassez nommez Egyptiens, pour nous dire nostre bonne aventure. Mais (comme avons dit) ce n’est chose nouvelle. Car Juvenal en sa sixiesme Satyre ha dit, Frontem que, manumque Praebebit vati. Nous pensons souventesfois les choses autres qu’elles sont, & de petites, les crions deux fois plus grandes. Il semble à ouïr nostre vulgaire parlant de Necromantie, que ce soit la chose la plus espouventable du monde, & toutesfois c’est seulement une science qui print son origine de divination faicte par les charongnes des corps morts : qui depuis ha esté tournee à l’invocation des esprits. Tout ainsi l’art magic n’est ce que le vulgaire pense : car le sçavoir de telle science gist en l’Astrologie, attendu que les Magiciens ont esté ceux desquels avons aprins le cours des cieux, Soleil, Lune, Estoiles, & astres, & touts autres mouvements celestes. Cicero ha eu bonne grace à la fin du premier livre de divination, parlant des faux divinateurs, qui par mocquerie superstitieuse, promettent richesses, & thesors à autruy, qui toutesfois sont tousjours pauvres belistres, indigents, & malheureux. Les anciens avoient crainte de ceux que les Latins ont nommé Praestigiatores, ou Fascinatores, qui est chose conforme à ceux, lesquels, sans sçavoir pourquoy, disons Sorciers. Mais qu’on lise à la verité ce qui en estoit, & ce qui est advenu de telles fascinations, & prestigiatures, lon trouvera estre abbus sans aucun effect, non plus que ce qu’on raconte des sorciers. Tout homme contemplatif aura lieu de se moquer du peuple ignorant, qui pense que les sorciers ayent telle puissance, qu’on les estime avoir. Ja ha lon veu que plusieurs ont esté condamnez es païs de diverses langues, mais touts pauvres idiots hommes forcenez. Ja ha lon ouï les jugements de la condamnation de plusieurs, par lesquels lon trouvera que les pauvres gents avoyent l’esprit transporté & troublé. Or faut il de deux choses l’une, que s’ils font nuisance, ce soit pour la vertu de quelque drogue venimeuse baillee par la bouche, ou autrement appliquee : mais selon cela conviendroit la nommer poison, & eux empoisonneurs. Ou bien nuisent par paroles prononcees, c’est à dire par invocations : & si par invocations, il fauldroit nommer cela enchantement, & eux enchanteurs : Lon n’a pas souvent veu que gents de grande qualité ayent esté accusez de sortilege : mais tousjours un tas de pauvre quenaille, & gents villageois. Et à dire le vray, un homme de bon jugement n’apliquera son esprit à choses si foles. Et à fin qu’un tas de pauvres gents de village ne s’y appliquent, nous avons coustume de le leur defendre une fois la sepmaine. Ceste maniere de parler d’user d’enchantement & de sorcelerie ainsi prononcee en ceste langue, est dicte sans que plusieurs sçachent l’origine des dictions. Parquoy pensons que enchanter n’est autre chose que prononcer ses veuz, requestes, & oraisons aux Dieux, qu’on invoque en chantant. C’est de la qu’on ha inventé tant de faintises poëtiques, comme est en Virgile de Meduse, & de l’enchanteresse Circé, qui part art magic mua les compagnons d’Ulisses en pourceaux : Carminibus Circe (dit il) socios mutavit Ulissis. Et elle qui se tenoit en la montaigne Circee pres de Caiete, monstroit faire choses admirables, & effects merveilleux, au moins s’il est vray, ce qu’ils en ont pensé. Car Virgile dit en outre que par ses chansons elle pouvoit gaster les bleds, & les transposer de lieu en autre. Atque satas (dit il) alio vidi traducere messes. Aussi dit que les hommes en estoyent infects, & les pensees des hommes troublees : & que sans poison, ne breuvage, & sans faire playe, le sang humain en estoit espandu : & que par ses seules conjurations suffoquoit les hommes, & les faisoit mourir. Voila donc comment les anciens pensoyent que les enchantements se feissent par chansons. Carmina vel coelo (dit Virgile) possunt deducere luna. Cecy est ce qui ha esmeu tant de gents à parler du trou de la Sibille : car comme chascun veult repeter quelque souvenance de son antiquité, aussi la souvenance de l’habitation de Circé est demeuree imprimee en la memoire des paisants, laquelle ils veulent appeller le trou de la Sibile. Aussi avoyent anciennement opinion que les enchanteurs pouvoyent arrester le cours des eaux, & faire mille autres choses incroyables, desquelles lon n’ha onc veu aucune experience, non plus que des sorciers qui font leurs factions par sort, ou hasard : desquels voulants en sçavoir quelque chose, sera trouvé que c’est pure fable & mensonge, & ou il n’y ha rien de vray. Une pauvre personne troublee, & hors de ses sens, se peut bien imaginer quelque chose supernaturelle, & estant atteinte & convaincuë par tesmoings, advouër choses incredibles à nostre esprit : mais à la verité nous pensons attribuër ce vice à sa maladie. Parquoy lon doit juger d’eux, comme des gents qui par maladie melancholique, & songes fantastiques s’imaginent diverses choses faulses, qui trompent & troublent leurs seus. Les uns pensent devenir loups, & vont courants par les ruës & lieux champestres, hurlants comme les loups, dont les medecins les ont nommez Lycanthropi, & leur maladie Lycanthropia, & en Françoys Loups guaroux. Les autres pensent estre roys, ou Empereurs, & ainsi des autres diversement troublez d’esprit. Mais quand les hommes malings se sont imaginez de se venger de leurs ennemis, ils leur peuvent bien nuire par poison. Car n’osants les affaiblir ouvertement, ce n’est merveille s’ils songent mille manieres pour se venger & les endommager frauduleusement. Parquoy ne fault estimer telles gents estre sorciers, mais empoisonneurs : & si c’est par poison, c’est par la vertu de quelque drogue, & non par sort, comme leur nom l’emporte, car le sort est deffendu : mais c’est que les hommes estants plus convoiteux des choses deffenduës, voyants que la loy ne permet les sorceleries, pensent que c’est quelque autre chose, & y adjoustants foy, s’essayent en choses impossibles, & lá se trouvent si fort deceuz qu’ils sont souvent transportez d’esprit, tellement qu’ils confessent, & advouënt choses impossibles. Les hommes qui ont faulte de sens, & de vertu naturelle, demeurent les uns opiniatres, & meurent soubstenants une opinion contraire à celle des autres, comme au contraire il y en ha qui se laissent persuader tout ce qu’on veult qu’ils croyent. Qui se sera trouvé es assemblees entre diverses nations de langues dissemblables, & aura entamé quelques propos de sorcelerie, en entendra en brief encor plus qu’on n’en sçauroit escrire : Car lon n’y trouve jamais fin, nomplus qu’en ce qu’on dit des visions de nuict, & en l’interpretation des songes. Et un homme croyant beaucoup de telles folies, ne nous semble moins malade, que ceux qui se les font imaginees vrayes : car la raison enseigne, que touts deux ont faulte de bon sens. L’un ha l’imagination & apprehension blecee, de penser choses qui ne peuvent estre en nature, & les reciter pour vrayes : l’autre ha faulte de bon jugement, & l’esprit debile de les croire. C’est de lá que les hommes se laissent vaincre à leurs passions, à l’exemple de deux, qui en mesme endroict ont affections contraires, l’une d’amour, l’autre de jalousie. Mais pour ce que cela ne leur peut tousjours durer, ils peuvent bien dire lors qu’ils sont retournez à eux, qu’ils sont gueriz de griefve maladie. Si anciennement quelqu’un estoit transporté d’esprit, il y eut un proverbe qui vint des Grecs aux Latins, par lequel on disoit luy estre besoin Navigare Anticyra : Car le bon Hellebore qui purge l’humeur melancolie dont estoyent gueriz les fols, croist en ce païs lá. Mais maintenant les Françoys dient à tel malade, qu’il ha affaire d’estre mené à saint Mathurin. Il y ha certains endroits, esquels lon monstre encor pour l’heure presente choses de plus grande folie, & difficiles à croire, que tout ce qui fut recité : mais il n’est libre de le declarer plainement. Toutefois lon monstre des paniers plains de plume, des lozanges de voirre, des carreaux de fer, des tuilles, des pierres & caillouz, des faulcilles, des rasoërs, du bois, de l’acier, du drap, des crapaux, des pieces de chair, & telles autres barbouilleries, qu’on dit estre sortiës hors des corps de certaines personnes malades, & qu’on dit avoir esté gueriës, apres avoir mis hors l’une des choses susdites, telles fois par l’espaule, l’autre fois par le bras, par la mamelle, l’autre fois par la bouche. Comment qu’il en soit, il n’y ha medecin & philosophe oyant ce qu’ils en dient, qui ne s’en esmerveille. Car de cracher de la plume, du voirre & telles autres choses, cela passe l’entendement des hommes. Somme que le monde n’a esté sans subtiles tromperies en quelque maniere que ce soit advenu, combien que maintenant n’ayons aucuns de telz ouvriers, qu’avons diversement nommez Aruspices, Arioli, Augures. Toutesfois il s’en trouve pour le jourd’huy plusieurs qui sont encor plus subtils : tels dis-je que ceux dont quelques autheurs Latins ont parlé, & qui promettent les royaumes à ceux, desquels ils empruntent, ou demandent un escu. Ce sont noz abstracteurs de la quinte essence, les faiseurs de pierre philosophale, qui s’adressent communement à ceux qui ont argent en bourse, & qui croyent ce qu’ils dient : Car sans la credulité, & persuasion que les riches ont de tel sçavoir, ils ne se laisseroyent si finement tromper, sans avoir esgard, qu’eux qui n’ont rien, promettent les richesses aux autres : toutesfois que s’il y avoit aucune esperance qu’il fust en leur puissance de tenir ce qu’ils promettent, ce seroit eux mesmes qui se devroyent enrichir les premiers, & puis besongner pour les autres. Mais puis que nature nous ha donné l’intelligence des arrests quelle ha prononcé sur ses productions, & la raison pour quoy elle l’ha fait : nous monstrerions grande inconstance de penser choses supernaturelles, la ou il ne les fault advouër. Car si c’est chose qui se demonstre à noz sens, ce sera luy faire tort de chercher cinq pieds en un mouton, à qui elle n’en ha baillé que quatre. Toutesfois il n’y eut onc assemblee d’hommes vivants d’autre maniere que le peuple commun, suyvants une maniere superstitieuse, ou il n’y ait eu quelque secret. Et les Druydes n’avoyent-ils pas plusieurs choses reservees à eux ? Et les Vestales ne sçavoyent-elles pas bien que sans donner nourriture à leur feu qu’il se fust estainct ? Il fault doncques croire que les Augures & tels autres contemplateurs d’oyseaux en vie, ou morts, avec telles autres bestes s’entr’estoyent donné le mot du guet, tel possible comme en toutes assemblees de ce temps cy : & qu’ils faisoyent entendre aux ignorants qu’il n’appartenoit à quelcun avoir puissance de faire bien ou mal par sa priere, s’il n’estoit bon observateur de toutes les ceremonies appartenantes à tel estat : & semble que cela se faisoit pour le regard de la dignité : Voulants que comme ceux qui ont occupé le supernaturel, soyent en plus grande authorité : & eux maintenants leur office, l’estimoyent de plus grand privilege, que de touts les autres qui sont en la juridiction des hommes.

Que la dissection des oyseaux, & autres animaux ha esté necessaire à noz ancestres pour apprendre les sciences, & principes d’icelles : & de la santé & maladie des oyseaux.
CHAP. XXIII.


CE N’ESTOIT en esperance de faire medecines aux oyseaux, poissons, serpents, mousches, bestes terrestres, & autres animaux, que les anciens contemplateurs des choses naturelles, les ont premierement anatomisez. Mais ce ha esté à fin d’avoir meilleure intelligence de leurs actions, sçachants qu’elles ne se donnent à cognoistre sinon aux hommes speculatifs. Celuy donc qui ha estimé la contemplation des partiës interiëures des animaux de nulle utilité à nostre vie, ha demonstré qu’il veut estre ignorant des plus hautains ouvrages du grand architecte qui les ha formez : & encor plus quand il enquiert à quoy l’inspection en est profitable. Mais qui mettra son ineptie en comparaison à la prudence d’un fourmy, ou sa nonchaillance à l’industrie & artifice du nid d’un oysillon, possible qu’il en apparoistra d’autant plus ignorant. Car comme les hommes qui veulent apprendre les sciences ne peuvent rien sçavoir sans la cognoissance des premiëres lettres, tout ainsi tels idiots qui n’ont rien apprins en vivant, & qui n’ont point de sens acquis, ne peuvent dire choses plus haultaines que celles, que leur naturel leur ha apprins. Et par cela ne sçavent que c’est que de science : toutesfois veulent qu’on les estime sçavants sans se travailler à apprendre quelque chose. Qui leur parleroit des lettres a, b, c, & leur demanderoit pourquoy les unes sont nommees consonantes, & les autres voyelles, & les autres muëttes, c’est à dire Consonantes, Vocales, & Mutae, ils ne sçauroyent que respondre. Car comme avons dit, il fault prendre peine pour acquerir science : mais ils n’y ont point travaillé, aussi sont ils ignorants. Entendent donc que sans la dissection des interiëures partiës des animaux, noz premiers docteurs, ne les eussent ainsi distinguees & nommees. Les Voyelles sont dictes à cause qu’il fault ouvrir la bouche, & faire voix en les prononçant, d’autant qu’elles sortent de l’aspre artere, qu’interpretons le siflet, sans lequel il n’y ha animal qui puisse exprimer aucune espece de voix. Et les Consonantes sont dictes à cause de quelque consonance de son, qu’on fait en les prononçant. Mais les Muëttes sont quand on ne fait ne voix, ne son, ainsi quand on les prononce en fermant la bouche, s’essayant à parler sans langue, comme font les muëts : c’est de lá qu’on dit Mutire en Latin, pour ne sçavoir parler. Qui est-ce qui ha apprins cela à noz ancestres, sinon l’anatomie ? Quand nous oyons une cigale, mousche guespe, ou autre animal faire grand bruit, comment sçaurons nous discerner si c’est son, ou voix, sinon par la dissection de l’animal ? L’ignorant trouvera il point ceste enqueste de trop grande subtilité ? C’est donc par tel commencement que noz majeurs, ont apprins à faire & former leurs lettres, pour les distinguer, à les assembler en syllabes. Somme que c’est ce qui leur ha enseigné qu’il failloit ainsi ortographier. Il ne fust onc qu’il ne se soit trouvé hommes entre diverses nations, qui pour apparoistre quelque chose envers les Princes ou republiques, ont essaié controuver nouveaux mots, & escrire ainsi comme lon prononçoit de leur temps, & toutesfois il n’est en la puissance d’un homme pour grand seigneur qu’il soit, de faire changer l’orthographe accoustumee, & inventer des mots qui ne sont en usage si tout le peuple ne s’y accorde. Suëtone tressusfisant & ancien autheur, ha osé blasmer l’Empereur Auguste, de ce qu’il se mettoit en effort d’escrire en Latin ainsi comme lon prononçoit de son temps. Et Auguste mesme quand il l’eust entreprins, n’eust sceu faire qu’on l’eust ensuyvi : de laquelle chose Suëtone en rend ainsi la raison : pource, dit il, que c’est erreur commune en la prononciation, de muër, ou laisser quelques lettres, ou syllabes sans les proferer. Il est donc difficile que ceux de nostre temps, qui controuvent nouveaux mots, puissent faire qu’on les reçoive, ne aussi que leur orthographe nouvelle en nostre langue soit ensuyvie de ceux qui viendront apres nous : sçachants qu’il fault que la plus part du peuple s’y accorde, d’autant qu’il est requis que les paisants des villages, bourgeois, & artisans des villes, & hommes qui nentendent Arabe, Latin, Grec, ne Hebrieu, puissent aussi bien comprendre les significations des dictions Françoyses, comme les gents de plus grand sçavoir. Donc pour monstrer que ce n’est sans utilité, qu’on fait dissection, & observation des parties interiëures des oyseaux, & de touts animaux, Aristote en sert de tesmoin, & Theophraste, Galien, & Dioscoride des plantes. Comme eussent-ils sceu que les uns estoyent sans rate, & quelques autres n’avoyent point de fiel, & les uns sans jabot, que les Latins nomment Ingluviem, & les autres n’avoyent, ou avoyent l’estomach calleux, c’est à dire dur ou mol ? Et que des plantes les unes sont sans moëlle, les autres sans fruict, & telles autres enseignes, s’ils ne les eussent veu toutes par le menu tant dedens que dehors ? Des bestes ruminantes, les unes ont deux estomachs, aussi ont les oyseaux : les causes de telles choses ne sont-elles pas de grande contemplation à un Philosophe ? Quelques oyseaux ont deux intestins que les Françoys nomment les Sacs, & en Latin Caeci, ou Coli : les autres n’en ont qu’un. Parquoy personne ne trouuve estrange qu’on luy ait escrit l’anatomie des oyseaux. Les Faulconniers, pourquoy portent ils de la Myrrhe, de la Mumie, Rhubarbe & autres telles drogues en leurs bougettes, sinon pour medeciner les oyseaux malades ? Donc ne fault il pas qu’ils sçachent les dispositions d’iceux, pour avoir cognoissance de leurs maladies ? car puisqu’ils ont toutes leurs parties interieures bien accomplies pour leurs actions, il advient qu’elles peuvent estre mal affectees, & engendrer maladie à tout animal. Les membres ont esté faicts pour l’unité de tout le corps, ayants esté deputez pour quelque action. Et comme les Faulconniers sont tenus pour medecins des oyseaux de proye, aussi les mareschaux sont pour les chevaux : mais c’est pource qu’ils les ont en charge. Il n’est donc hors de propos, traicter ce discours sur la santé, & maladie des oyseaux. Nous trouvons divers autheurs tant anciens que modernes, Grecs & Latins, qui ont escrit remedes sur les maladies des oyseaux : mais seulement de ceux dont recevoyent plaisir ou profit. Nous trouvons que les Romains lors qu’ils estoient dominateurs sur les natïons estrangeres, faisoyent grande despense en leurs festins publics : parquoy chascun s’estudioit de faire valoir sa terre, ou d’avoir revenu des oyseaux qu’ils nourrissoyent en volieres & cages : aux maladies desquels remedioyent selon l’oportunité, car ha ceux qui sont en liberté aux champs, nature leur apprent ce que leur fault. De ce temps cy, n’avons guere esgard qu’aux maladies des oyseaux de rapine, sçachants qu’on les achete cherement, & estants nourris mal à propos, en demeurent souvent malades : à ceste occasion s’est trouvé plusieurs Faulconniers qui se sont employez, & ont mis livres en lumiere, contenants plusieurs remedes à propos ausquels renvoyons pour le present, ne voulants consumer temps à transcrire ce qu’ils ont escrit. Les oyseaux peuvent estre disposez bien ou mal, maigres ou gras, si les partiës interieures sont deuëment ou mal temperees : Car aussi bien leur peuvent advenir douleurs comme aux animaux terrestres, & mourir pour estre trop extenuëz, ou avoir trop grande abondance de graisse, avoir mal à la teste, endurer le flux de ventre, au contraire l’avoir trop estraint, avoir catarres, le chancre au bec, avoir mal aux yeux, surdité aux ouïes, estre puants des narines, avoir l’esquinantie en la gorge, porter la pepie sur la langue, avoir le siflet empesché, & estre enrouëz, avoir les poulmons deseichez, ou trop humectez, & faulte d’haleine, & defaillance de cœur, tomber du haut mal, endurer vomissements, defaillance d’appetit, ou bien l’avoir trop grand, le foye eschauffé, estre malades de la jaulnisse, avoir la galle, & estre mangez des pouls, avoir des verms au ventre, & endurer les trenchees, estre tormentez de la podagre, & avoir les nerfs retirez : comme aussi telle fois leurs ongles tombent par maladies, & meurent pour avoir le bec mal ordonné. Mais nature estant benigne ha voulu leur apprendre infinis remedes pour se medeciner eux mesmes. Et qui plus est, aucuns d’iceux ont esté nos docteurs à nous enseigner plusieurs secrets en medecine. Lon tient que sans les Cigognes l’usage des chysteres ne nous seroit frequent. Le Pelican, qui fait son nid contre terre, trouvant ses petits blessez du Serpent, leur tire de son sang pour les guerir. Les Cailles se purgent de la semence d’hellebore, & les Estourneaux de Cicuë. L’herbe de Chelidoine ha prins son nom de ce que l’Irondelle medecine ses petits avec son just. La Cigogne se medecine avec de l’Origan. Les Ramiers, Corbeaux, Merles, Jays, & Perdris se purgent de Laurier. Les Turtrelles, les Pigeons, & Cocs se purgent avec de la Campanette. Les Canes, & Oyës avec de l’herbe d’orvalle. Les Gruës, & Herons avec du Jonc palustre, les Grives, Merles, Litornes, & Ramiers s’engressent l’hyver des semences de Lierre, qui seroit viande mauvaise à l’homme. Les republiques bien constituees, veulent que la police ait esgard sur les oyseleurs de leurs contrees, laquelle ne sera hors de nostre observation, d’estre escrite avant finir ce premier livre. C’est que les chefs qui ont soing sur le trafic des oyseleurs, veulent que comme il n’y ha petit estat & mestier, qui ne soit mis en valeur de maistrise, aussi ceux qui se meslent de porter vendre les oysillons vivants en cage, ayent certain lieu deputé es villes, pour se trouver es jours de feste, les matins seulement. Les autres qui apportent les oyseaux morts pour manger, ont autre place. Ces oyseleurs peuvent vendre toutes manieres d’oyseaux en toutes saisons, hors mis au prin-temps, lesquels encor qu’ils ayent lors congé de vendre les petits, toutesfois il leur est defendu en ce temps lá, de prendre les peres, sçachants qu’ils sont empeschez à couver & eslever leurs petits. Ceux qui font trafic d’oyseaux à Paris, doivent donner liberté à plusieurs petits oysillons sur le pont au Change, quand le Roy y passe, le jour de son entree.

De plusieurs oyseaux incognuz.
CHAP. XXIII.


MAINTES choses ont esté escrites de divers oyseaux, qui nous ont semblé fabuleuses : qui est cause que les avons separees de celles qu’estimons vrayes : joinct qu’on en ha autresfois cognu aucuns, desquels n’avons que le seul nom. Encor n’avons peu sçavoir quel oyseau est Brinthus. Aristote au neufiesme livre de la nature des animaux, ha dit, qu’il habite par les montaignes, & forests, comme la Huppe, ayant la voix harmoniëuse, & qui est industrieux en cherchant sa mangeaille. Encor ha dit au treziesme chapitre du mesme livre, que Cinnamulgus, ou Cinnamus, est oyseau d’Arabie, faisant son nid es arbres moult haults, avec des rameaux de Canelle, sur les branches deliees : parquoy les habitants le voulants avoir, à cause de la Canelle qui est plus fine que l’autre, & n’y pouvants avenir pour l’exiguïté, & foiblesse des branches, sont contraints l’abbatre avec des plombets. Lon dit que les Egyptiens attachent certains oyseaux nommez Dacnades, aux coronnes des plus riches, à fin que par leur chanter & debatre, ils les gardent de dormir lors qu’ils se mettent à boire. Pline au dixiesme livre de l’histoire naturelle, confesse ignorer quel oyseau est Incendiaria, ou Spinturnix : & aussi Clivina, autrement nommee Clamatoria, & Prohibitoria. Et tout de mesme de Subis. Tragopanades (dit il au mesme livre parlant De novis avibus, & fabulosis) ou Tragopana, est maintenu plus grande qu’une Aigle, ayant des cornes courbees sur les temples, de couleur de fer : ayant aussi teste de couleur de dacte. Et Pegasus (dit il au lieu mesme) est oyseau ayant teste de cheval. Ovide en met qui ont plumes & pieds d’oyseau es eaux d’Achelous, ayants face, & voix humaines, qui ha esté aussi attribué aux Sirenes. Aristote ha aussi escrit Gnaphalus, comme oyseau estranger, de belle couleur, bien chantant, & ingeniëux à vivre. Lon fait mention de certains oyseaux de la grandeur d’une Oyë, qui vivent es isles de la mer Caspie, qui ont les pieds de Gruë, le dos moult rouge, le ventre verd, le col blanc entremeslé de taches jaulnes, long de deux couldees, & le bec noir, le col blanc entremeslé de taches jaulnes, long de deux couldees, & le bec noir, ayant la voix comme grenoilles. Clitarchus ha fait mention d’un oyseau d’excellente beaulté qu’il nomme Catreus, de la grandeur d’un Paon, ayant les extremitez des plumes de la couleur d’une Esmeraulde. Les Indiens nomment un oyseau Cela, qui est plus grand qu’une Ostarde, ayant grande bouche & longues jambes. Encor en ont un autre nommé Cercio, approchant à la grandeur d’un Estourneau, peinct de diverses couleurs, encor plus babillart que les Papegaulx, & apprend mieux à parler comme les hommes. Mais il porte le service de l’homme mal-aisement, parquoy il se laisse mourir de faim, & est difficile à apprivoser : il remuë la queuë, comme le Cinclus. Les Indiens nomment un oyseau de couleur rouge Dicerus, & les Grecs Dicœus : lon escrit qu’il estoit de la grandeur d’une Perdris, faisant son nid es haults rochers. Si quelcun avoit prins de sa fiante la grosseur d’un grain de mil, destrempée en brevage, il mourra des le soir de mort semblable à un doux dormir sans sentir mal. Parquoy les Indiens s’estudient d’en recouvrer, sçachants qu’il fait oublier touts les maux. Lon parle de certains oyseaux qu’on dit avoir esté veuz es confins de la forest noire, nommee Hercynia, dont les plumes luisent comme feu, lesquelles combien que la nuict obscure les couvre, & les tenebres les espoisissent, toutesfois elles ne reluysent d’avantage, donc souvent les hommes du païs allants de nuict, en sont esclairez. Quelques autheurs ont raporté, qu’il voloit des oyseaux d’Ethiopie à Troye au sepulchre de Mennon, & par cela qu’on les nommoit Mennonides aves ou Mennonias : habitants en la region nommee Mariandinea, & estants de couleur noire, ressemblent à un oyseau de rapine, & ne vivants de chair, ont assez de manger des semences. Les habitants du mont Casius, en Seleucie, priants Juppiter, impetrerent qu’il vient certains petits oyseaux manger les Saulterelles qui leurs gastent les bleds, mais ils ne sçavent de quel costé ils viennent, ne qu’elle part ils retournent. Aristote au trente-troisiesme chapitre du neufiesme livre De natura animalium, en nomme un, Avis Scythica, de la grandeur d’une Ostarde, habitant en Scythie, qui pond deux œufs dedens la peau d’un Lievre, ou d’un Regnard, & ainsi enveloppez les encruche à la summité d’un arbre les laissant lá, lesquels il regarde quand il est retourné du pourchas de son vivre : Et si quelcun monte sur l’arbre, il les defent en frapant des aelles, comme font les Aigles. Les magiciens ont fait entendre qu’on trouve une Gemme nommee Chloriten, dedens le ventre de l’oyseau qui ha non Scylla, laquelle ils commandent estre enchassee en fer pour s’en servir à quelques choses prodigieuses. Pausanias faisant mention des oyseaux nommez Stimphalides, qu’on dit avoir mangé les hommes pres des eaux Stymphalides, & avoir esté tuëz par Hercules, ne voulut affermer s’ils ont affinité avec ceux qu’on surnomme Archadiens d’Arabie : mais qu’il se peut faire qu’estants premierement naiz en Arabie, quelque partie vola en Arcadie en la riviere Stymphalis, ou ils furent ainsi nommez : mais qu’il peut bien estre qu’ils obtiennent autre appellation en Arabie. Lon dit qu’ils sont de la grandeur d’une Gruë, ressemblants à l’Ibis : mais leurs becs sont plus forts, qui ne sont voutez & croches comme de l’Ibis, & portent une huppe sur la teste. Lon dit qu’ils se tiennent es lieux deserts d’Arabie, n’estants moins cruëls aux hommes, que les Lions & Pantheres, & les assaillent s’ils les veullent chasser, & les frapants de leur bec, les navrent à mort. Cardanus fait mention d’un oyseau nommé Manucodiata, que Postel nommoit Apus. Les Grecs nommerent Syrnia, iceluy que les Latins appelloyent Strix. Et les anciens Latins disoyent Picos, ceux que les recents nomment Gryphas. Nous mettons encor Penelops, entre ceux qu’ignorons. Aristote ha seulement dit, Penelops, vole entour les lacs & les rivieres. Si nous croyons au gloseur d’Aristophanes, nous le penserons semblable à une Canne : mais les uns le veulent entendre plus grand, les autres plus petit, les autres de la grandeur d’un Pigeon : autres autheurs veulent qu’on lise ainsi en Pline au vingtdeuxiesme chapitre, du dixiesme livre, Anserini generis sunt Penelopes, au lieu de dire Chenalopeces. Combien qu’au trente-septiesme livre, chapitre deuxiesme, il die que les oyseaux nommez Meleagrides, & Penelopes, vivent en un lac appellé Cratis. Encor advouons Cheramus, nous estre incognu, soit que pour Ceramides, on lise au mesme lieu en Pline Chenerotes, ce nous est mesme livree. Pline dit, que c’est un oyseau plus petit que l’Oye sauvage. Aristophanes parlant des oyseaux en une comedie intitulee les oyseaux, en ha cogneu un nommé Cerchnes, qui mange les sauterelles. L’interprete ha dit en ceste maniere. Primum quidem ipsorum vineas Parnopes non edunt, sed noctuarum insidiae in ipsos & Cerchneidum invebet. Mais peu apres il se declare mieux, disant qu’il est oyseau d’ongle crochu : Ibat autem omnis ungues curuatus, Cerchneus, Triorches, Vultur, Cumindis, Aquila, etc. Il fait encor mention d’un nommé Sporgilus, & tout incontinent escrit ceux cy comme sensuit, toutesfois qu’il y en ha aucuns qui ne nous sont incognuz. Citta, Turtur, Corydus, Eleas, Hypothymis, Columba, Nertus, Accipiter, Palumbus, Cuculus, Erythropus, Ceblepyres, Porphyris, Cerchneis, Colymbis, Ampelis, Phenedriops. Et en autre endroit escrit comme sensuit. Et Porphyrioni, & Pelecanti, & Pelecino, & Phlexidi, & Tetraci, & Pavoni, & Eleae, & Bascae, & Elasae, & Erodio, & Cataracta, & Melancorypho, & Aegillato, etc. Donc voila la plus part des noms d’oyseaux incognus prins de divers autheurs, reste maintenant suyvant nostre entreprinse, nous prendre à ceux desquels avons meilleure cognoissance : comme on pourra voir par noz discours des livres suyvants.

FIN DU PREMIER LIVRE.

LE SECOND LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX VIVANTS DE RAPINE, TANT DE JOUR que de nuict, avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel. Par Pierre Belon du Mans. A PARIS, Chez Guillaume Cavellat, devant le college de Cambray à l’enseigne de la Poulle grasse. 1555. Avec privilege du Roy.

AU ROY.


SIRE, pour faire meilleure distinction de chascun Oyseau à part soy en son propre chapitre, commencerons par les oyseaux de rapine : & ayants trouvé que les Vautours sont les plus grands en toute ceste espece, seront descrits les premiers, consequemment les Aigles, puis les oyseaux de fauconnerie, & autres vivants de proye, puis finirons par les oyseaux de nuict. Nous avons expressement laissé à parler des Griffons, comme de chose oyseuse, & fabuleuse. Car s’il en eust esté quelque chose en l’estre de nature, il est tout certain qu’Aristote ne l’eust laissé en arriere : joinct que tous autres anciens autheurs Grecs, & Latins, confessent que ce qui en ha esté racompté, est pure fable. Nostre vulgaire mesme, voyant quelque peinture lourdement esbauchee, l’appelle ouvrage Griffonné. Parquoy nous sommes deportez d’en dire davantage. Lon fait monstre d’un pied d’excessive grandeur en la sainte chapelle de vostre Palais à Paris, qu’on estime de Griffon : toutesfois q’uil semble artificiël, & non naturel. Aussi nous sommes voulu taire des Harpyes, Chimeres, Pegasi, qu’on dit Chevaux aellez, Cocs-atris, Dragons, Sphinges, & tels autres animaux, qu’on feinct estre aellez, d’autant que ne les advouons en l’estre de nature, joinct qu’en avons plus amplement escrit en noz observations des païs estranges. Nous esperons ne faillir en ce que monstrerons des oyseaux de rapine de nostre païs, qui ont obtenu nom Francoys : mais estant toute la difficulté mise à leur rendre leurs noms anciens, userons de noz conjectures, faisants comme les aveugles, qui s’essayent de diviner les nombres & figures à tastons. Et lá ou se trouveront autres qui en puissent mieulx prononcer, que nous, nous submettons à changer d’opinion, lá ou aurons trouvé le contraire : car tout ainsi comme il est à presupposer qu’Aristote ha mieulx cognu les oyseaux de proye des païs de Grece, aussi peut estre que nous en avons en noz contrees, & qu’on nous en apporte des païs estranges, desquels ne les Latins, ne les Grecs n’ont fait aucune mention.

LE SECOND LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX DE PROYE,

tant de jour que de nuict, avec leurs portraicts & figures.

Du grand Vautour cendré.
CHAPITRE PREMIER.


ON peut cognoistre qu’il y ha deux especes de Vautours moult communs en plusieurs endroits tels que les anciens les nous ont signifiez. Parquoy estants asseurez que le Vautour cendré est le plus grand oyseau de rapine, dont ils ont parlé, au moins qui est venu en nostre cognoissance, & duquel Aristote ha fait expresse mention, l’ayant separé de l’Aigle, & qu’il est quasi une fois & demie plus grand, il nous ha semblé bon le descrire le premier en cest ordre. Et tout ainsi comme Aristote en ha cognu des cendrez & des bruns, c’est à dire qui blanchissent au regard des autres, il fault que nous les distinguions presentement, & descrivions par le menu. Plusieurs autres oyseaux de rapine ont telle difference de la femelle ha leurs tiercelets, qu’ils semblent quasi estre d’espece differente. Mais ne les Vautours, ne les Aigles n’ont telle distinction : toutesfois que les femelles sont plus grandes que les masles. Les Grecs exprimants un Vautour dient Gyps, & les Latins Vultur. Les paisants de Crete, & les autres qui habitent par les montaignes de divers païs, & ceux des plaines d’Egypte & Arabie deserte s’estudient de les prendre en diverses manieres. Et apres qu’ils les ont prins, ils les escorchent, à fin de vendre les peaux aux pelletiers, qui les sçavent conroyer, & accoustrer soigneusement. Ils vendent aussi la plume des aelles, & de la queuë aux artilliers pour empenner leurs flesches. Le Roy Françoys pere nourrissier des lettres (que Dieu absolue) avoit un grand oyseau de rapine, lequel, à ce qu’on dit, luy fut nommé un Milion. Plusieurs nous ont raporté l’avoir veu à Fontainebleau, & ayants ouï les enseignes, pensons que ce fust un Vautour. Nous estimons qu’ils sont passagers en Egypte, comme les Cigognes. Les autres oyseaux de rapine sont differents aux Vautours, pource qu’ils ont le dessoubs des aelles tout nud sans plumettes, mais les Vautours l’ont couvert de fin duvet. Leur peau est quasi aussi espesse que celle d’un chevreau : & mesmement lon trouve un endroit au dessoubs de leur gorge, de la largeur d’une paulme, ou la plume est rougeastre, semblable au poil d’un veau : car telle plume n’a point ses tuyaux formez, non plus que aux deux costez du collet, & au dessus du ply des aelles : auquel endroit le duvet est si blanc, qu’il en est luisant & delié comme soye. Les pelletiers sçavent tirer les plus grosses plumes de la peau des Vautours laissants le duvet, qui est au dessous, & ainsi la conroyent faisants pelices, qui valent grand somme d’argent. Mais en France s’en servent le plus à faire pieces pour mettre sur l’estomach. A peine pourroit lon croire que les peaux en fussent si fortes, qui ne l’auroit veu. Estants en Egypte, & es plaines de l’Arabie deserte avons observé, que les Vautours y sont frequents & grands : parquoy est à penser qu’il n’en fault que quelque couple de douzaines pour en fourrer une robe, toutesfois qu’en France en faisons seulement les parures. Les Vautours ont cela de particulier, que leurs jambes sont couvertes de poils, chose qui n’advient à aucune espece des Aigles, & oyseaux de rapine. Qui seroit au Caire, & iroit voir les marchandises par les Basestans qui sont exposees en vente, trouveroit des vestements de fine soye fourrez de peaux de Vautours, tant des noirs, que des blancs. N’estimons les seigneurs Egyptiens, Arabes, & Turcs si peu : car ils sont plus braves en despense de fins vestements, que noz gentils hommes d’Europe, & principalement en fourrures. Nous avons approuvé telles paroles, escrites en un livret ancien, dont l’autheur ne s’est nommé. Vultur (dit il) à volatu tardo nominatus putatur. Magnitudine quippe corporis praecipites volatus non habet. Aristote au huictiesme livre de la nature des animaux, chapitre troisiesme, nomme ce Vautour Spodoidesteros, c’est à dire plus cendré, à la difference des noirs. Les blancs ont le duvet si blanc, qu’on jugeroit estre la peau de fine fourrure d’hermine ou regnards blancs. Aussi est elle plus belle que des noirs. Descrivants les Vautours noirs, & les separants d’avec les blanchastres, ou bruns, dirons premierement que les uns sont aussi communs que les autres, & qu’il s’en fault peu que ne les ayons trouvez de mesme corpulence. Qui penseroit qu’il n’y ha distinction entre eux, que du masle à la femelle, fauldroit : car des noirs, le masle & femelle sont noirs, & sont plus grands : & aussi que Aristote a esté de ceste opinion. Et pour ne faire les choses plus rares, on les voit souvent es courts des grands seigneurs : parquoy n’avons eu si grande difficulté à en recouvrer les portraicts. Et nous, qui avons aidé à tendre au sauvage pour les prendre en diverses montaignes, ne nous sera peine de les distinguer. Donc chascun pense qu’il nous ha esté loisible d’observer leurs mœurs, figure, & couleur, & les descrive. Voulons encor faire sçavoir, ores que ne les eussions peu voir au sauvage, que les estrangers, qui apportent vendre diverses peaux d’animaux pour fourrures, les nous apportent entiëres, ayants encor leurs pieds, leurs testes, & aelles avec toute la peau : lesquels lon peut recognoistre & observer les uns des autres, & les distinguer d’avec les peaux des Aigles.

Du moyen Vautour brun ou blanchastre.
CHAP. II.


FAISANTS distinction des deux especes des Vautours, monstrerons que le Vautour brun est different au noir, d’autant que estant quelque peu moindre que l’Aigle, le plumage de son col, du dos, le dessous du ventre, & tout le corps sont de couleur fauve ou brune. Mais les grosses plumes des aelles & de la queuë sont de la mesme couleur du noir. Touts deux ont la queuë courte, au regard de la grandeur des aelles : qui n’est de la nature de celle des autres oyseaux de rapine, mais de celle des Pics verds : car on la leur trouve tousjours herissee par les bouts, qui est signe qu’ils la frottent contre les rochers, ou ils font leur demeure & leur nid. Les Vautours bruns ou blancs sont plus rares à voir que les noirs, aussi ont cela de particulier, que les plumes de dessus la teste sont assez courtes, au regard de celles des Aigles : qui ha esté cause que quelques uns les ont trouvez chauves, combien qu’ils ne le sont pas. Ils ont les jambes courtes, toutes couvertes de plumes jusques au dessus des doigts : qui est une enseigne entre touts oyseaux de rapine qui convient à eux seuls, & qu’on ne trouve en nul autre oyseau ayant l’ongle crochu, hors mis aux oyseaux de nuict. Ce brun ha les plumes du col fort estroictes & longues (comme celles qui pendent au col des Cocs, & Estourneaux) au regard de celles de dessus le dos, des costez, & des coings du ply des aelles, qui sont petites, & largettes en maniere d’escailles : mais celles qui sont dessous l’estomach, comme aussi celles de dessus le dos, & les autres qui couvrent la racine de la queuë sont rousses, au roux, & au noir, noires : mais en touts deux sont larges. Les Vautours pour estre de corpulence grosse, lourde, & pesante, ne peuvent voler de terre, qu’ils n’ayent premierement prins advantage en courant, ou bien qu’ils se partent de dessus une grosse bute. Nous sommes esmerveillez d’avoir veu tant de Vautours en troupe par les campagnes es deserts entre le Caire & la mer rouge. Mais cela advient pource que communement ce chemin lá est si frequenté des chameaux d’Egypte, dont plusieurs y meurent, qu’on peut dire que c’est leur vray cemetiere, & les Vautours qui vivent de charongne, y ont tousjours pasture. Les anciens ont escrit que les Vautours sont duits à suyvre les exercites, c’est à dire les camps : mais il fault l’entendre du païs de levant : car on les voit rarement par les plaines d’Italie, Almaigne, & France, sinon en hyver, qu’on les voit voler en touts lieux : car ils laissent les summitez des haultes montaignes, evitants la grande froidure, & passent oultre la mer es regions chauldes : comme aussi nous, estants lors de la famille de M. Guillaume du Prat, evesque de Clairmont, en ayons veu l’esté sur le mont d’or en Auvergne. Encores dient que les Vautours prevoyent deux jours avant, ou les camps doyvent arriver : mais l’occasion en est l’esperance de se saouler des tripailles, charongnes, & vuïdange des bestes. Les Vautours ne font communement que deux ou trois petits, mais il y ha mout grande difficulté à les denicher : car le plus souvent ils font leur nid au costé de quelque falaise en lieux precipiteux, & de difficile accez. Il estoit en dispute des le temps de Pline, du’n oyseau, lequel leurs ancestres nourrissoyent pour leurs sacrifices, & augures, nommé Immussulus. Immussulum (disoit Pline) aliqui Vulturis pullum arbitrantur esse, & Sanqualem Ossifragae. Massurius Sanqualem Ossifragam dicit esse, Immussulum autem pullum Aquilae priusquam albicet cauda. Quidam post Mutium augurem visos non esse Romae confirmavere. Ego (ce disoit il) quod verisimilius est, in desidia rerum omnium non arbitror agnitos. Nous avons mis cecy pour monstrer que deslors ils avoyent doubte, & incertitude, quel oyseau est Sanqualis, & Immussulus : il serait donc difficile que nous en puissions sçavoir nouvelles.

Division des especes des Aigles, selon le recit d’Aristote, & Pline.
CHAP. III.


GRANDE ha este la diligence des anciens autheurs Grecs, & principalement d’Aristote, qui au trente-deuxiesme chapitre, du neufiesme livre de la nature des animaux ha enseigné, qu’il y ha diverses especes d’Aigles. Les unes sont plus grandes, les autres sont moindres, & les autres petites. Mais il les ha toutes distinguees de noms propres, constituant les unes plus nobles, les autres bastardes. Or avant que commençons à les distinguer de particuliëre appellation Francoyse, ferons premierement entendre qu’Aristote qui les observa par le menu, mit la vraye Aigle au sixiesme lieu, la nommant de nom Grec Aetos. Mais ha Pline en ce ne l’a pas ensuyvi. Touts oyseaux de proye sont comprins soubs ces deux noms, Aetos, ou Hierax, c’est à dire Aquila, ou Accipiter. Or doncq puis qu’il y ha plusieurs oyseaux de rapine cognuz, & nommez de noms Françoys, qui toutesfois ne se peuvent bonnement prouver à quelque nom ancien Grec, ne Latin, les rechercherons tant par souspeçon, qu’autrement. Et pource qu’il y ha six especes d’Aigles, ausquelles Aristote imposa le nom tel que les habitants de Grece leur avoyent baillé, il nous laissa enseignes pour les sçavoir cognoistre, beaucoup plus apparentes, que des autres oyseaux de rapine nommez Accipitres, dont parlerons par cy apres. La premiere espece d’Aigle fut nommee par les Grecs Pygargus, pource (dit Aristote) qu’elle ha la queuë blanchastre : c’est celle, dit il, que nous voyons se tenir par les buissons, & autour des villes, & qui est aussi nommee d’autre nom Grec Neurophonos, & en Latin Hinnularia. Et elle se sentant gaillarde, & se fiant en sa force & vertu, mange les faons des bestes doulces, tant Cerfs, que Chevreux, Daims, & autres, qu’elle trouve paisants par les chaintres des pastitz. Nous souspeçonnons que cest Aigle est ce que nous nommons un Jan le blanc : car tel oyseau frequente aussi par les montaignes & forests. La seconde espece d’Aigle est surnommee de divers noms par Aristote : Car pource qu’elle ha des taches en ses plumes, on la nommoit Morphna (dit Gaza) comme qui diroit Naevia. Aussi pource qu’elle se paist d’oyseaux de rivieres & de Canes, est nommee Nittophonos, c’est à dire Anataria. On la nommoit aussi Planca, Planga, ou Clanga. Il nous est advis estre celle, que nommons maintenant, un Gerfault. La tierce espece d’Aigle est nommee en Grec Melaenactos : mais c’est pource qu’elle est noire. Les Latins dient Pulla, ou Pulvia : & pource qu’elle assault les lieüvres, Lagophonos, & Leporaria. On la nomme aussi Valeria. Elle est de plus petite corpulence que les autres, mais pour cela ne laisse à estre de grande vertu & bonne nature : c’est celle que nommons l’Aigle noire. La quatriesme espece ha la teste blanchastre : & pource qu’elle ha quelque similitude de Vautour, elle fut dicte en Grec de nom composé Gypaetos, qui signifie Aigle-vautour. Et aussi parce qu’elle porte des taches es aelles, fut nommee Percnopterus : & pource qu’elle est de grande corpulence, fut nommee Oripelargos, qui est à dire Cigoigne de montaigne. Or est-elle Aigle bastarde, debile, pesante, & lourde, criarde, se plaignant tousjours. Aussi est elle batuë des corbaux, & dechassee de moindres oyseaux, & se tient communement le long des forests. Laquelle nous semble estre celle que nommons Buse. La cinquiesme espece est celle que les Grecs nomment Haliaeetus, car elle hante les rivages de la mer, & mange le poysson es estangs en terme ferme. Qui voudroit rendre ce nom en Françoys pourroit dire Aigle de mer. Nous la nommons en Françoys, Orfraye. La sixiesme Aigle, pource qu’elle est vraye, & legitime en ceste espece, ha esté nommee de nom Grec Gnesion, ou bien d’autre diction Greque pour sa couleur fauve Chrysaetos, & en latin Stellaris : c’est celle que nous nommons l’Aigle royal, qui est de plus grande corpulence que nulle des autres, aussi est plus rare à voir : car elle se nourrist par les summitez des haultes montaignes. C’est ceste cy, qu’on ha nommee l’Aigle de Juppiter. Quelques autheurs pensent que l’Aigle de Juppiter ne se paist de chair, mais seulement mange de l’herbe. Ce neantmoins ceste sixiesme cy prend Gruës, Lieüres, Chevreux, & autres bestes terrestres. Voyla donc l’ordre, qu’Aristote ha tenu en descrivant les Aigles : mais nous les voulons examiner, à fin qu’en les descrivant separement ayons lieu de les nommer de noms modernes. Les especes d’Aigles, entant que toutes sont d’ongle crochu, se paissent naturellement de chair, toutesfois aucunes estants pressees de la faim, se saoullent de fruicts d’arbres. Toutes les dessusdictes especes ne nourrissent leur petits de mesme façon : car l’une leur est plus fascheuse, & l’autre plus benigne. Et y en ha mesmement de si courtoises, qu’elles nourrissent les petits dejectez & delaissez des autres. Parquoy commençants à la description de chascune, dirons premierement de la fauve, puis apres la noire, & ainsi consequemment des autres, qui sont venuës à nostre cognoissance. Pline au troisiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, les distingue comme sensuit. Melaenaetos, (dit il) fut nommee Valeria. Elle est de petite corpulence, mais principale en vertu. Elle seule ne fait aucun cry, & se tient es montaignes. La seconde est nommee Pygargus, qui ha la queuë blanche, qu’on voit par les champs entre les villages. La tierce est nommee Morphna, & par Homere Percnos, par les autres Plancus. Elle est la plus noire des Aigles, & qui ha la queuë plus longue. Ceste-cy trouvant les Tortuës, les enleve à mont, à fin qu’en les laissant tomber, leur escorce se rompte à terre, pour les manger : dont Eschylus le Poëte, qui ne se vouloit tenir es bastiments de peur de ruine, fut tué. La quatriesme Oripelargus, fut aussi nommee Percnopterus, ressemblant à un Vautour, ayant petites aelles, de plus grande corpulence que les autres. Elle est criarde, bastarde, & foible, & ayant prins sa viande l’emporte, & la mange en laer, au contraire de toutes autres qui mangent leur viande à terre. La cinqiesme est la vraye Aigle de moyenne grandeur, rare à voir, & de couleur rougeastre. La sixiesme est Haliaeetus. Or pource que ne pretendons interpreter le parler de Pline, ou Aristote, ou autre autheur, sinon entant que voulons nous en servir en la description des oyseaux, prendrons à les specifier chascune en particulier, commençants par l’Aigle fauve. Il ha esté faict mention d’une Aigle toute blanche, qu’on nommoit Cycnia, qui ha prins son appellation du Cyne, qu’on disoit vivre en Arcadie autour le lac nommé Tantalus.

Du grand Aigle Royal de couleur fauve, & à sçavoir si l’art de fauconnerie est invention ancienne.
CHAP. IIII.


ESTANTS en doubte, à sçavoir si les anciens avoyent usage des oyseaux de fauconnerie, avons esté meuz de cercher beaucoup de lieux es autheurs, avant que nous en pouvoir esclarcir : mais à la fin sommes resoluz de conclure que les Princes Romains, & Grecs tant de l’orient, de l’Asie, que de nostre Europe n’avoyent anciennement coustume de les leurrer, comme lon fait maintenant : & par consequent croire que les hommes privez & de petite puissance, ne vouloyent faire despence à telle chose, veu qu’elle est sans profit. Nous trouvons bien par Aelian autheur Grec que les Indiens avoyent coustume d’apprivoiser les Aigles, & en les nourrissant les apprenoyent à la vanerie : mais à c’est effect ne se soucioyent tant du plaisir que du profit. Nous avons plusieurs livres en lumiëre de quelques bons fauconniers : desquels les escrits ne contiennent que bien peu d’erudition, tellement qu’il n’y ha un seul passage qui puisse enseigner pour sçavoir cognoistre un oyseau de nom ancien. Puis doncques que ce n’est institution nouvelle d’aduïre les Aigles, & les leurrer pour la chasse, & qu’icy ayons proposé escrire les especes des oyseaux, tant de rapine, qu’autres inutiles à la fauconnerie, au moins dont ayons eu la cognoissance, declarerons en particulier qu’ellessont les especes d’Aigles que nous ha enseigné Aristote. Mais ce faisants ne suyvrons son ordre : car nous commencerons par la sixiesme espece nommee Chrysaetos, qu’avons des-ja dit cy dessus avoir esté dediee à Juppiter, & qui est la legitime entre toutes les autres especes. C’est celle qu’on doit cognoistre pour la principale. Aussi Aristote en sa langue la nomme Gnision, qui signifie en Françoys, legitime, & non bastard. Nous avons bien voulu adjouster les mots Latins de la traduction d’Aristote, au trente-deuziesme chapitre, du neufiesme livre De natura animalium, d’autant que ce qu’il en dit nous semble singulierement bien dit à ce propos. Sextum genus Gnision (dit il) verum, germanumque appellant. Unum hoc ex omni avium genere esse veri, incorruptique ortus creditur : Caetera enim genera & Aquilarum, & Accipitrum, & minutarum etiam avium promiscua, adulterinaque invicem procreant. Maxima aquilarum omnium haec est, major etiam quam Ossifraga. Sed caeteras aquilas vel sesquialtera portione excedit. Colore est ruffa, conspectu rara, more ejus quam Cymindem vocari diximus. Cela disoit Aristote de l’Aigle Royal, lequel chascun sçaura bien recognoistre d’avec les Vautours, par ce qu’elle n’ha le pied aucunement velu, & couvert de plumes, comme lon voit au Vautour. Il est bien vray que la jambe de l’Aigle est courte & jaulne, & ha des tablettes par devant, mais les griffes sont larges & le bec noir, long, & crochu par le bout. Les queuës du grand Aigle Royal & aussi du petit noir, sont courtes, & robustes par le bout quasi comme celles des Vautours. Il y en ha plusieurs entre lesdictes six especes d’Aigles, de si petit courage, qu’on ne les sçauroit leurrer à la fauconnerie : qui est cause que nous ne cognoissons maintenant soubs le tiltre d’Aigle, que le noir, & le fauve. Ceux qui dient qu’il y ha des grandes Aigles, des autres moindres, & des plus petites, faillent en la distinction, s’ils ne l’entendent en diverses especes d’oyseaux, & qui ont appellation diverse : car de ceste espece d’Aigle, il n’y en ha aucune qu’on puisse nommer moyenne, ou plus grande, qui ne luy donne un surnom de noire, fauve, ou autre tel nom propre : Car l’Aigle est tousjours de mesme corpulence. Et si ce n’estoit qu’elle est si lourde à porter sur le poing (& de vray elle est moult grande) & aussi qu’elle est difficile à apprivoiser du sauvage, lon en voirroit nourrir aux fauconniers des Princes plus qu’on ne fait. Mais pource qu’elle est audacieuse & puissante, pourroit faire violence si elle se courroussoit contre le fauconnier, & luy blesseroit le visage. Parquoy qui la veut avoir bonne, il la fault prendre au nid, & l’apprivoiser avec les chiens courants, à fin qu’allants à la chasse, & la laissant voler suyvant les chiens, lesquels ayants levé le Lievre, Regnard, Chevreul, ou autre telle beste, l’Aigle descende dessus pour l’arrester. Rouge couleur en l’Aigle, & les yeux parsons, principalement s’est elle nee es isles occidentales, est signe de bonté : car rousse Aigle est trouvee bonne. Aussi blancheur sur la teste, ou sur le dos, est signe de meilleur Aigle. L’Aigle partant du poing qui vole au tour de celuy qui la porte, ou s’assied à terre, est signe qu’elle est fugitive. Quand l’Aigle espanouïst la queuë en volant, & tournoye en montant, est signe quelle dispose de fuïr : le remede est de luy jecter lors son past, & la rappeller moult fort. Et si elle ne descend à son past, ou pour avoir trop mangé, ou pour estre trop grasse, il fault luy coudre les plumes de sa queuë à fin qu’elle ne les puisse espanouïr, ne voler d’icelles : ou bien luy plumer le tour du fondement, en sorte qu’il apparoisse, & lors craignant la froidure de l’aer ne taschera à voler si hault. Mais ayant la queuë consuë, fault doubter les autres Aigles : car alors elle ne les pourroit eviter. Quand l’Aigle tournoye sur son maistre en volant sans s’esloigner, est signe qu’elle ne fuïra point. Ja ha esté veu que l’Aigle ha peu arrester un Loup, & le prendre avec l’aide des chiens. C’este Aigle fait communement son nid au costé de quelque roche precipiteuse à la summité d’une haulte montaigne, combien qu’elle la face aussi sur les haults arbres des forests. Lon dit que les paisants qui sçavent le nid d’une Aigle, voulants desnicher les petits, se font bien armer la teste de peur que l’Aigle ne leur face mal, & s’ils ostent un seul petit, & le tiennent lié à quelque arbre aupres du nid, icelluy appellera sa mere, laquelle l’ayant trouvé, luy apportera tant à manger, que celuy qui l’aura attaché, trouvera assez de gibbier touts les jours pour luy, & six autres compagnons : car la mere luy apporte Lievres, Connins, Oyës, & autres telles viandes. Il ha esté trouvé que l’Aigle ait peu empongner une Poulle couvant ses petits dessoubs l’aelle, & la porter toute vive, & entiere sans la blesser, jusques au lieu ou son petit estoit lié au pied de l’arbre. Les Aigles nourrissent leurs petits jusques à ce qu’ils ont puissance de voler : car des l’heure qu’ils sçavent voler, les peres les chassent hors du nid, & oultre ne leur permettent se tenir en celle contree, à fin que le païs ou iceux ont fait leur aire ne soit depeuplé, dont ils puissent avoir faulte, sçachants que si les petits y demouroyent, ne laisseroyent en bref temps assez de proye qui leur peust fournir. Toutesfois si est-ce que l’Aigle ne se paist communement pres de son nid, ains se va pourvoir au loing. Et si d’avanture luy est rresté de la chair du jour precedent, elle la reserve, à fin que si le mauvais temps l’empeschoit de voler, elle ait assez de viande pour le jour ensuyvant. Une Aigle ne change point son aire durant sa vie, ains retourne à un mesme nid par chascun an : & ha lon observé par cela que l’Aigle est de longue vie, & devenant vieille, son bec s’allonge tant qu’il en est si crochu, qu’il l’empesche de manger, tellement qu’elle en meurt, non pas de maladie, ou l’extremité de vieillesse, mais pour ne pouvoir plus user de son bec, qui luy est si fort accreu. L’aigle meine guerre avec le petit Roytelet, mais ce qui en est cause, au penser d’Aristote, est son seul nom : car aussi est il appellé le roy des oyseaux, lequel tiltre l’Aigle veult luy estre deu. Encor y ha un autre petit oyseau, qu’Aristote ha nommé Sitta, & les Françoys un Grimpreau, qui luy fait de grands oultrages : car lors qu’il sent l’Aigle absente, il luy casse ses œufs. L’aigle Royal est celuy qu’avons des-ja cy dessus dit estre de couleur fauve : & pour fauve couleur entendons, comme est celle du poil de Cerf. Et si bien Aristote la nomme Chrysaetos, qui est à dire Aigle doree, il ne fault pourtant entendre que sa couleur soit tant doree, mais est plus rousse que des autres especes. Les peintres, & statuaires Romains la desguisent en leurs portraicts, mais chascun sçait qu’elle est autrement, & que ce qu’ils en font es armoiriës de l’Empire, est pour le plaisir du peintre. Les Aigles tant noire que fauve, sont escorchees comme les Vautours : car leur tirant les longues plumes, la peau demeure avec le fin duvet, qui ressemble proprement à une fine pelice d’ermines. Parquoy les paisants advertis de cela, les prennent par les montaignes, & les nous envoyent avec les autres peaux, & estants venuës en France, les peletiers des grosses villes les font conroyer avec les peaux des Vautours : chez lesquels on les peut voir avec leurs aelles, testes, & pieds, de telles couleurs, qu’avons cy dessus representé en portraict.

De l’Aigle noire.
CHAP. V.


BERGERS, & hommes champestres peuvent bien souvent enseigner les bourgeois, & habitants des villes, en beaucoup de choses dont la cognoissance est totalement mise en l’observation d’icelles. Qui auroit il dedens les villes si on ne l’avoit apporté des champs : Ce seroit en vain de nous vouloir entremettre sçavoir cognoistre les oyseaux, & les mœurs d’iceux, sans estre allé les voir es lieux ou ils se tiennent. Parquoy pour comprendre que L’aigle noire (qu’Aristote au trente-deuxiesme chapitre du neufiesme livre de la nature des animaux, nomme Melanoaetos, & Lagophonos,) est autant differente à la rousse, comme est le Milan noir au Royal, le fault avoir observé aux montaignes. C’est celle que les Latins ont nommé Pulla, Fulvia, Leporaria, & aussi Valeria. Il est bien vray qu’on ne les peut bonnement distinguer, sinon par la seule grandeur : car ceste noire est plus petite : Aristote, à ce qu’on peult sçavoir par conjecture, ayant touts les moyens qu’il vouloit, & autant de gents qu’il estoit besoing pour prendre les oyseaux en toutes les regions du monde, avoit si grande facilité de les recouvrer, que quand il mettoit gens en besongne ce n’estoit pas pour un petit. Et luy parlant de ceste Aigle noire, l’a mise au tiers ordre des Aigles. Pline au dixiesme livre de l’histoire naturelle, chapitre troisiesme, ne l’a pas ensuyvi : car il l’ha colloquee au premier ordre entre les Aigles, quasi comme s’il l’eust voulu preferer à toutes autres especes. Aristote en ha dit telles louanges, qu’on la peut encor plus estimer que la sixiesme, dont avons des-ja parlé, & qu’avons mise la premiere. Ceste noire estant de moindre corpulence que les autres (dit il) est de plus grande vertu, & à fin que puissions mieux exprimer ses louanges en Françoys, telles que Aristote les ha dictes, il nous ha semblé bon mettre les mots en Latin. Una haec, dit il, foetus suos alit, atque educit, pernix, concinna, polita, apta, intrepieda, strenua, liberalis, non inuida est, modesta etiam nec petulans, quippe quae non clangat, neque lippiat, aut mur muret. Pline, qui de mot à mot en autres endroicts ha suyvi Aristote, n’ha pas mis telles paroles, mais s’est contenté de mettre ce qu’il en ha trouvé au commencement du chapitre. Aristote l’a nommee aussi Lagophonos, par ce qu’elle prend des Lievres. Il dit que les Aigles volent hault pour voir de plus loing, & pource qu’elles voyent si clair, les hommes ont dit quelles sont seules entre les oyseaux, qui sont participants de divinité. Et aussi que pour la crainte que l’Aigle ha des eschauguettes, devalle non tout à coup contre terre, mais petit à petit, & ayant avisé le Lievre courant, ne le prend incontinent à la montaigne, mais sçait bien temporiser & attendre qu’il soit en belle plaine : & l’ayant pris, ne l’emporte incontinent, mais fait premierement experience de sa pesanteur, & de la l’ayant enlevé, elle l’emporte. Les anciens autheurs ont raconté encor plusieurs autres choses de de la nature de l’Aigle, que n’avons voulu mettre à cause de briefveté, nomplus que ce que certains fauconniers modernes en ont escrit. Les historiens escrivants des vies de quelques Empereurs dient, qu’ils faisoyent nourrir des Aigles tout expressement, à fin de les avoir le jour de leurs funerailles, & que les attachants par les pieds à une corde obliquement tenduë, quand le feu estoit en l’amas du bois, ou lon brusloit le corps du defunct, lors que la corde à quoy estoit liee l’Aigle, s’estoit bruslee, elle s’en volast vers le Ciel : Voulants par ce faire à croire au peuple, que c’estoit l’ame du trespassé que L’aigle emportoit à Juppiter vers le Ciel. Si les Romains ont fait cas des Aigles, ce ha esté pour la finesse des Roys, qui faisoyent entendre au peuple qu’ils en avoient veu un grand nombre en troupe, qui luy pretendoyent signifier quelque bon augure. Mais puis qu’on sçait que les Aigles vont seule à seule, ou pour le plus à couples fuyants à se hanter l’une l’autre, il est à presupposer que oncques homme n’en vit seulement quatre ensemble. Elle fut principale es armoiriës, baniëres, & monnoyes Romaines, comme il appert par les antiquitez d’iceux. Celle dont avons premiërement baillé le portraict, nommee Chrysaetos, est quelque peu la plus grande. Mais il y ha si grande affinité entre le noir & le fauve, que la distinction gist seulement en la couleur. Sainct Hierosme en dit encor plusieurs choses, & Plutarque, qu’avons omises à cause de brefveté.

Du Gerfault.
CHAP. VI.


PUIS qu’Aristote ha nombré tant d’especes d’Aigles, nous avons facilement pensé que le Gerfault y devoit estre comprins, veu que c’est l’un des plus glands oyseaux de proye que noz fauconniers nourrissent. Or est-ce qu’on ne le peut bonnement mettre au nombre des oyseaux de rapine appellez Accipitres, car il est de trop grande corpulence. Parquoy fault conclure qu’il est du nombre des Aigles. Il nous est advis que c’est luy qu’Aristote au neufiesme livre de la nature des animaux, trente-deuxiesme chapitre, descrivant les Aigles, a mis au second ordre, lequel il nomma Nittophonos, c’est à dire Anataria, ou bien Morphna, & ce à cause des taches blanches qu’il porte sur ses plumes. Son appellation Françoyse semble avoir esté trouvee d’ailleurs. Car en l’exprimant de diction Latine Girofalus, se conforme à la nostre Gerfault, quasi comme qui diroit en Françoys Giroufaulcon. Nous eussions creu que le Gerfault deust avoir esté plus tost nommé du nom de Vautour Gyps, & d’un Faulcon Falco, & qu’on eust dit Gyps falcus : Car c’est une espece d’oyseau de rapine de plus grande vigueur apres l’Aigle, que nul autre que nous ayons. Et de fait n’estoit qu’il est moult bel oyseau, & specialement quand il ha mué, & est ainsi hardy, nous l’eussions peu soupçonner Gypaetos : car l’allusion des noms en approche. Mais sçachants que Gypactos, est oyseau couard, avons rejecté telle opinion. Nous en dirons davantage en parlant de la Boudree. Le Gerfault se tient droit assis sur le poing, aussi est de longue corpulence ayant le bec, les jambes & pieds de couleur bleuë, & les griffes moult ouvertes, & longs doigts. Il est une fois & demie plus grand que le Faulcon, & est de nature fiere & hardie. Nous trouvons par escrit en quelques livres de fauconnerie, qu’il s’est ausé hazarder contre un vray Aigle, & en avoir esté le maistre. Nous ne le voirrions point, s’il ne nous estoit apporté d’estrange païs, & dit on qu’il vient de la partië de Russie, ou il fait son aire, & qu’il ne hante point ne Italie, ne France, & qu’il est oyseau passager en Almagne, tant en la haulte, que la basse : ou les habitants le prennent à la maniëre des Faulcons pelerins, & de lá le nous apportent en France, autrement nous n’en aurions aucuns. C’est un oyseau bon à touts vols : car il ne refuse jamais rien, & est plus hardi que nul autre oyseau de proye. Ceste espece d’Aigle, dit Pline, est ouvriere de prendre les oyseaux de riviere : car elle les lasse tant qu’à la fin sont contraincts de se rendre, ne povants plus faire le plongeon : car encor que les oyseaux de riviëre soyent duicts à se plonger, si est-ce qu’ils se lassent à la fin, & se noyent comme les autres animaux. Celle part, ou Pline au troisiesme chapitre, du dixiesme livre dit, Eandem aquilarum nigerrimam prominentiore caudae, entendons estre attribué au Peronopterus, qui est moult noire, hor mis la teste & le ply de ses aelles qui sont blancs, & la queuë longue. Et s’il estoit vray que Morphna fust noire, pourquoy est-ce que les Grecs l’auroyent ainsi nommee ? Le Gerfault est plus fort à faire que nul autre oyseau de proye, dautant qu’il est si hagard & bizarre, que s’il n’ha la main doulce, & le maistre debonnaire qui le traicte amiablement, il ne se advïra jamais bien. C’est un oyseau bien rare à voir, sinon esmains des fauconniers des grands seigneurs : car si lon en apporte quelcun de par deça, il est communement vendu vingt-cinq escus, autre fois plus, autrement moins : & trouve lon en avoir eu bon marché, quand on l’ha bon pour vingt. Il est difficile de le representer par le portraict : car il y en ha aussi qui sont tannez, & madrez de cendre.

D’un oyseau de rapine, qui mange le poisson, nommé en Grec Haliaeetus, & en Françoys, une Orfraye.
CHAP.VII.


QUAND il est question de parler proprement de quelque chose, il fault necessairement qu’elle n’ait aucune difficulté en son appellation. Comme aussi est difficile qu’un personnage puisse exactement traicter d’un animal ou plante, s’il n’a estudié les escrits des autheurs Latins, ou ce qui est prins des Grecs qui ont fait mention de la chose qu’il pretend esclaircir. Ceste chose appert par le discours de ceste Orfraye, ou Offraye, ainsi nommee à la difference de la Fresaye, ou Effraye, dont parlerons en descrivant l’oyseau nommé Caprimulgus. Ceste diction Françoyse semble se resentir quelque peu par l’antique Ossifragus, mais pour Orfraye voulons entendre Haliaeetus : parquoy sommes en esmoy de sçavoir qui ha apprins à diverses contrees Françoyses d’exprimer ce nom d’Offraye pour nous signifier l’oyseau de rapine, qui fut anciennement nommé Haliaeetus, & qui est celuy que les Latins ont nommé Aquila marina, c’est à dire Aigle de mer, qui toutesfois est different à l’Ossifragus. Ossyfragus est diction Latine, qui nous est donnee à exprimer un autre oyseau qu’Aristote ha nommé Phinis, different à l’Orfraye, & aux Aigles. Parquoy il est maintenant question à sçavoir si Phinis & Haliaeetus sont touts une chose. Mais lon trouve qu’Aristote en a parlé separement, & en deux diverses significations, comme ferons voir au suyvant chapitre. Parquoy fault dire, si ce n’est une mesme chose, que c’est par erreur que nous la nommons Orfraye. Soit donc conclu que nostre Orfraye est Haliaeetus, & non pas Ossifragus. Il n’y ha personne qui ne puisse bien entendre de quelle espece d’Aigle pretendons parler : car c’est un oyseau qu’on cognoist trop mieux en France qu’il ne seroit besoin, pource qu’il fait grand degast des poyssons par les estangs, & principalement d’eau salee. Pline au dixiesme livre Naturalis historiae, chapitre troisiesme, est d’opinion que c’est oyseau est engendré des especes d’Aigles meslees ensemble : toutesfois il semble qu’Aristote l’entend autrement : & nous en nostre endroit en avons fait l’espreuve au contraire. C’est oyseau (dit Pline) estant de tresbonne veuë & claire, void de moult loing, & met ses petits encor jeunes à regarder le Soleil, & si quelcun refuse de le regarder, il le bat des aelles, & le contraint de ce faire, & tuë le premier dont sortira larmes, & nourrist les autres. Mais ayant dejecté ses petits un autre oyseau nommé Ossifragus les reçoit, & les acheve de nourrir. Il est advenu que ceste Orfraye ayant entreprins trop grand fardeau, & ne le pouvant enlever de l’eau, & n’ayant sur quoy se reposer, s’est noyee avec sa proye. Les habitants des provinces ou il y ha belles pescheries es estangs maritimes sçachants bien que ceste Orfraye ne porte sa proye gueres loing, & voyants qu’il n’y ha aucuns arbres ou paux, ou elle se peut aller seoir, font des engins pour les prendre aux lassets rechargeouërs & repoulsouërs. Elle ha la jambe plus courte que nul autre oyseau de proye, mais bien fournie & trappe : aussi ha une marque qui convient à elle seule : c’est que comme les autres oyseaux ont des tablettes sur les jambes, ceste-cy y ha seulement des escailles. Aussi ha difference en l’ongle : car aucunes l’ont quelque peu applaty par dessous, mais ceste cy l’ha totalement rond.

D’un oyseau de proyë qui voit la nuict, nommé en Grec Phinis, & en Latin Ossifragus.
CHAP. VIII.


OSSIFRAGUS eust esté descrit entre les Hibous, Ducs, & autres oyseaux de nuict, n’eust esté qu’avons voulu garder l’ordre de la comparaison de Haliaeetus, avec Ossifragus. Parquoy apres avoir monstré que ce que nous nommons en Françoys Orfraye, n’est pas Ossifragus, deliberons consequemment escrire de l’Ossifragus. Avant que poursuyvre à son histoire, voulants en faire ample discours, & ne luy sçachants aucun nom Françoys, ferons voir ce qu’en avons observé. Ossifragus, est diction Latine signifiant la Greque Phinis : Car mesmement Dioscoride, qui estoit Grec, l’a expressement escrite au second livre De medica materia, chapitre quarente-cinqiesme, en ceste substance, ou paroles semblables : L’oyseau que les Grecs nomment Phinis, ha esté aussi nommé par les Latins Ossifragus : enseignant que c’est oyseau est bon à la gravelle, & à la pierre. Parquoy les medecins en ont fait grand estime. Cela est cause que plusieurs autheurs en ont parlé. Pline au trentiesme livre de l’histoire naturelle, chapitre huittiesme, escrit propos semblables à ceux de Dioscoride en cest Ossifragus : semble qu’il les ha prins de luy, ou d’un autre autheur dont Dioscoride les avoit transcrits. Il est bien vray qu’iils ne dient bonnement une mesme chose, mais il n’y ha pas moult grande difference. Haliaeeti (dit Pline au dixiesme livre, chapitre troisiesme suyvant Aristote) suum genus non habent, sed ex diverso aquilarum coïtu nascuntur. Id quidem quod ex iis natum est, in Ossifragis genus habet, è quibus vultures progignuntur minores, & ex iis magni qui omnino non generant. Quidam adjiciunt genus aquilae quam barbatam vocant, Thusci vero Ossifragam : tellement qu’il veut entendre que Aquila barbata & Ossifragus est tout un. Encor dit en ce mesme chapitre : Haliaeeti expellunt pullos taedio nutriendi, sed ejectos ab iis cognatum genus Ossifragae excipiunt & educant cum suis. Et entre autres passages, il dit au septiesme chapitre du trentiesme livre Unum est Ossifrago intestinum mirabili natura omnia devorata conficiendi. Aristote parlant de l’Ossifragus, au trente-quatriesme chap. du neufiesme livre De natura animalum, avoit dit tout cela plus au long : Phinis (dit il) est quasi aussi grand comme une Aigle, mais il ne voit gueres bien le jour, ains vole la nuict à la maniëre des Hibous, & Cheveches : & de fait il l’ha descrit avec les oyseaux nocturnes, disant Parum haec oculis valet. Nubecula enim oculos habet laesos. Estant donc cest oyseau Ossifragus du genre des Aigles, il vit de chair, & ha l’ongle crochu : sa couleur tire sur la cendree. Aristote au mesme livre dit qu’il fait son nid, & vit religieusement, & estant de besnigne nature & de provision nourrist les petits de l’Aigle quand elle les ha delaissez, lesquels il garde cherement jusques à tant qu’ils soyent assez grands. Aristote met encor plusieurs choses de sa nature qu’avons laissé à cause de briefveté. Mais lá ou Aristote entend des petits de l’Aigle, Pline ha interpreté des petits de Haliaeetus. Il est maintenant question de sçavoir que c’est Ossifragus. Nous avons des-ja dit que les Françoys nomment Haliaeetus, une Offraye, ou Orfraye & dirons par cy apres que Caprimulgus est nommé une Effraye, qui est aussi oyseau nocturne. Quelque fois avons esté d’opinion que ceste Effraye estoit Ossifragus, mais voyants qu’Arist. l’ha nommee Aegotilax, & l’ha separement escrit de Phinis, avons resolu en faire difference. Nous avons ouï parler quelques gents d’authorité qui dient avoir veu des oyseaux de proye moult grands qui avaloyent, & mangeoyent les os quand on leur en bailloit, & par cela on les souspeçonnoit Ossifragi : mais considerants la corpulence qu’ils dient de tels oyseaux, pouvons asseurer que c’estoyent Vautours. Cognoissant que quand quelcun n’escrit que par authorité, & s’arreste & appuye sur celuy qu’il approuve, laisse quel quesfois son jugement en arriere, & fait le plus souvent nuisance à la chose dont il prend parler, avons determiné escrire d’un oyseau rare & non souvent veu en noz contrees, qu’avons nommé petit Vautour. Non que vueillons nous attribuer ceste authorité de luy composer nom moderne, ne luy en sçachant aucun, ou qu’ayons onc ouï homme qui l’ait ainsi nommé en Françoys : mais c’est que voyants un oyseau de la corpulence, couleur, & contenence d’un Milan hor mis deux taches noires qu’il ha au costé des aelles, portant la teste d’Autour, les jambes & pieds de Vautour, & de couleur jaulne, & estre moult bien garny de duvet dessous les grandes plumes, comme un Vautour, avons prins argument de le penser estre celuy, dont Pline suyvant l’ombre d’Aristote ha parlé, au dixiesme livre de l’histoire naturelle, chap. troisiesme, ou il disoit : Quod ex Haliaeetis natum est in Ossifragis genus habet, è quibus vultures progeneratur minores, etc. Encor dit : Haliaeeti suum genus non habent, sed ex diverso Aquilarum coit unascuntur : & id quidem quod ex iis natum est in Ossifragis genus habet. Mais nous qui avons eslevé les petits de Haliaeetus, ne nous accordons à ce qu’il en dit, comme avons fait voir au chapitre du Haliaeetus. De touts oyseaux de proye, n’avons cognu aucun, qui eust plumes dessoubs les aelles, aux aisselles, & aux jambes que les Vautours, cestuici, & les oyseaux de nuict. Monsiëur d’Aramont l’apporta à son retour de Turquie, & l’ayant monstré à plusieurs fauconniers de la court, ne sçeurent onc quel oyseau c’estoit, attendu q’uil est rarement apporté en noz contrees. Il disoit qu’on le print en Esclavonië sur une Turtrelle : & toutesfois qu’ayant esté leurré, ne s’est trouvé de hardy courage. Ses griffes estoyent moult ouvertes, le bec & doigts jaulnes. Ils pensent qu’il se repaisse de charongne. Si cest oyseau eust veu clair de nuict, nous l’eussions peu totalement asseurer Ossifragus : car Ossifragus est oyseau qui vole la nuict, toutesfois il nous est difficile l’ayants aprivoisé, pouvoir si bien observer ses mœurs, comme qui les auroit considerees quand il est sauvage. Et mesmement combien que la vraye Aigle Royal cherche sa pasture en l’obscur, toutesfois estant domestique semble ne voir goutte la nuict. Donc serons contents pour ceste heure d’ouïr nommer cest Ossifragus petit Vautour, pendant que prendrons loisir de nous esclaircir à sçavoir s’il s’en trouve quelque autre que cestuicy, nous submettants à changer d’opinion, la ou nous en sera monstré un autre, à qui les enseignes de l’Ossifragus puissent mieux convenir. Nous en repeterons encor quelque petits mots, en descrivant Nicticorax, c’est à dire Corvus nocturnus, que Gaza interprete d’Aristote ha tourné Cicunia.

De la Buse, ou Busard.
CHAP. IX.


JA AVONS descrit cinq especes d’Aigles, & distinguees par leurs propres noms Françoys. Et voulants ores parler des autres, possible qu’on trouvera aussi estrange, si disons qu’Aristote ha mis la Buse au nombre des Aigles, comme lon ha peu faire de l’Orfraye, dont avons parlé cy devant. Ceste Buse est l’un des oyseaux de rapine le plus mal à droit que nul autre que nous cognoissons. Aristote au chapitre des Aigles, au livre de la nature des bestes, l’ha escrite en son Percnopterus, qui est diction Greque signifiant avoir taches es aelles. Et combien (dit Aristote) que cest oyseau est de plus grosse corpulence que les autres especes d’Aigles, toutesfois il n’ha point d’enseigne de la generosité des autres : car il est bastard, tellement qu’il se laisse battre au Corbeau, & à plusieurs autres oyseaux moindres que luy, qui le font fuïr : car il est pesant (dit il) mal à droit, tousjours ayant faim, & crie sans cesse, & se paist de bestes mortes. Ces paroles susdictes d’Aristote, monstrent qu’il est tout manifeste que l’oyseau que les Françoys nomment une Buse, est celuy qu’il entend pour son Percnopterus : Car il adjouste qu’il ha les aelles courtes, mais que sa queuë est longue. Les Grecs le nommerent encores d’un autre nom Oripelargos, c’est à dire Cigogne de montaigne, & Gypaetos, c’est à dire Aigle Vautour : car il tient à moictié de l’un, & de l’autre. Cest oyseau fait grand dommage sur les Connins des garennes : car il les depeuple. Aussi est nuisant à touts oyseaux de riviere, tellement que s’il y ha quelque butte sur un estang, il se tient dessus espiant sa pasture : comme aussi sur les hayes le long des villages pour prendre les Poulles, Cocs, & tels oyseaux domestiques, non pas en volant, comme font les autres, mais se departant de quelque haye, se va jecter dessus. Or pour ne confondre les especes, ferons distinction entre une Boudree, & une Buse. Car la Buse est d’autre corpulence, & plus grande, joinct que la Boudree est cendree, comme l’Orfraye, mais la Buse est de la couleur d’une Aigle noire. Nous avons veu un oyseau de rapine, qui fut apporté au feu Roy Françoys restaurateur des lettres, à Fontainebleau, qui estoit de la grandeur d’un Autour plus hault enjambé que nul autre : & pource qu’il n’y avoit fauconnier qui luy imposast nom propre, nous la soupçonnasmes Percnopterus, ou Oripelargus. Toutesfois pource que Percnopterus est nostre Buse, ou Busard, il est demeuré envers nous sans aucun nom ancien, ne moderne.

Du Goiran, ou Boudree.
CHAP. X.


IL N’Y ha petit berger en la limagne d’Auvergne qui ne sçache cognoistre le Goiran, & le prendre par engins avec des grenoilles, telles fois avec de la gluz, mais le plus souvent au lasset. Puis que chasque oyseau est de nature differente l’un à l’autre, cestuicy pour oyseau de grande corpulence qu’il est, se tient quoy sur quelque arbre en espiant sa pasture, & ainsi volant d’arbre en arbre, ou de pré en pré, se repaist de vermine. Il ne vole pas en l’aer, comme font les Milans, & n’estoit cela, il seroit fort semblable à un Milan noir tant en couleur, qu’en forme. Ce qui est cause que les hommes en prennent beaucoup & souvent, & principalement en hyver, est qu’ils sont bons, & tendres à manger : Car ils sont si gras, qu’on ne peult trouver aucun autre oyseau qui approche de la graisse d’un Goiran. Ils le lardent, ou font bouïllir, & n’y trouvent moins à manger qu’en une Poulle, & par ainsi sont en delices à plusieurs Auvergnats, tant des montaignes, que de la plaine. On ne tend pas à l’avanture pour le prendre, mais seulement quand on l’ha apperceu voler, ou se reposer en quelque arbre. Il mange des Rats, Souris, Grenoilles, Lezars, Escharbotz, de la Cherree, du Muguetin, Scolopendres, & Chenilles, & quelquefois des Limatz, & Serpents. Quand il vole en l’aer, on le recognoist incontinent à ce qu’il n’ha la queuë fourchuë, non plus que la Buse, & qu’il est de moindre corpulence, au contraire du Milan qui l’ha fourchuë, & aussi qu’en volant il bat souvent des aelles comme la Buse, ce que ne fait le Milan, ne le faux Perdriëux. Il est autrement nommé Boudree. Et pour sçavoir la verité des choses, & s’en asseurer, il peut beaucoup chaloir de voir par le menu quelles enseignes lon trouvera en la chose pour la signifier. Parquoy qui luy renversera les aelles, luy trouvera les bouts des cinq premieres plumes noires, mais toute la reste est blanche, hors mis le dehors. Quand il vole en l’aer il apparoist blanc par dessus à cause de la tache blanche qu’il ha en chasque aelle : mais estant perché il apparoist cendré noirastre. Et les cinq dictes premiëres plumes, ou pennes sont tellement merquees, qu’elles ont une coche, lá ou commence le blanc. Ses plumes de dessoubs le ventre seroyent blanches, n’estoit qu’elles ont une tache noire qui accompagne le cicot par le bout. Ses jambiëres sont noirastres. Il n’a pas moult grandes griffes, toutesfois il ha bons ongles voultez. Sa queuë est semblable en couleur à celle d’un Attagen, qu’interpretons un Francolin : car elle est ainsi merquetee. Ses jambes sont courtes, qui ne sont totalement rondes, ayants seulement tablettes derriere & devant : dont les costez sont escaillez, & qui sont de couleur jaulne. Son bec est court, noir par le bout, & croche : mais l’endroit des narines est jaulne, & aussi le bort de son ouverture. Cestuy est celuy que Aristote au trente & sixiesme chap. du neufiesme livre de la nature des animaux, ha nommé Rubetarius Accipiter. Accipitrum genus (dit il) etc. Rubetarij qui abunde vivunt, atque humivolae sunt, etc. Parquoy nommons le Goiran Accipiter Rubetarius, que les Grecs ont dit Phrynolochos Hierax, pource qu’il mange les petites Grenoilles qui ont nom Phrynes. Nous ne l’eussions pas mis en cest endroit, n’eust esté pour le doute qu’on pourroit faire, à sçavoir si la Boudree est une Buse. Mais quand ores ainsi seroit, pour Buse entendons celle espece d’Aigle qu’on voit parmy les champs, criarde & lourde, telle qu’avons descrite au precedent chapitre.

De Jan le blanc, autrement nommé l’oyseau sainct Martin.
CHAP. XI.


LES habitants des villages cognoissent un oyseau de proye à leur grand dommage qu’ils nomment Jan le blanc : Car il mange leur volaille encor plus hardiment que le Milan. Les Grecs lors qu’Aristote escrivoit son histoire, le nommoyent Pygargus, quasi comme si nous disions Queuë blanche : car avec ce qu’il ha le corps entre cendré & blanc, & les bouts des aelles noires : il ha tout le dessoubs du ventre, & partië de la queuë blanche & sans taches. Tout ce que pouvons deduire de l’appellation antique de cest oyseau, est seulement par soupçon : car il n’est beaucoup descrit. Quiconque le regarde voler, advise en luy la semblance d’un Heron en l’aer : car il bat ainsi des aelles, & ne s’esleve pas en amont comme plusieurs autres oyseaux de proye, mais vole le plus souvent bas contre terre, & principalement soir & matin. C’est de lá que le voyants ressembler au Heron l’avions autresfois soupçonné Percnopterus, ou Oripelargus. Toutesfois pour les merques qu’avons trouvees en Oripelargus, avons pensé que c’estoit la Buse, & cestuicy Pygargus. Et pource qu’avons dit qu’il vole soir & matin, & qu’il se trouve difficile en nourrissant ses petits, avons eu occasion d’enquerir à sçavoir si c’est une mesme chose, Phinis (qu’interpretons Ossifragus) & Pygargus : mais avons remis à en parler au suyvant chapitre. Ce Jan le blanc assault les Poulles des villages, & prend les oyseaux & Connins : car aussi est il hardy. Il fait grande destruction des Perdris, & mange les petits oyseaux, car il vole à la desrobee le long des hayes, & l’oree des forests. Somme qu’il n’y ha paisant qui ne le cognoisse soubs tel nom qu’avons dit. Nous ne l’eussions bonnement sceu faire representer estant dessus ses pieds, on le voirra portraict estendu, à fin qu’on puisse mieulx faire voir le bout des plumes de ses aelles noires, & la couleur des plumes du dos.

D’un autre oyseau saint Martin.
CHAP. XII.


IL EST encor une autre espece d’oyseau saint Martin, semblablement nommé Blanche queuë, de mesme espece que le susdit, mais il ressemble beaucoup mieulx à la couleur d’un Milan Royal n’estoit qu’il est de moindre corpulence. Il vole legerement, hantant les bois, & les buissons comme le susdit. Son bec est quelque peu noir & croche, mais ses jambes & pieds sont gresles, & moult jaulnes, couvertes de tablettes, par le devant. Il ha les ungles gresles, noirs, courts, voutez, & moult bien aguïsez. Il ressemble au Milan Royal de si pres, qu’on ny trouveroit difference, n’estoit qu’il est plus petit & plus blanc dessous le ventre, ayant les plumes qui touchent le cropion en la queuë tant dessus, que dessous, de couleur blanche, aussi est-ce de cela dont il est nommee Queuë blanche. Sa queuë est longue, & beaucoup madree, comme aussi sont ses aelles. Les plumes de dessous le ventre sont tachees en long de faulve couleur le long de la tige : car la reste est toute blanche. Ses jambiëres sont de mesme. Les racines des plumes du col, & du derriere de la teste sont blanches, mais les extremitez sont faulves, comme aussi sont celles du dos, & du dessus des plumes des aelles : car les grosses pennes sont plus brunes. Il y en ha qui pensent que c’est un Fau-perdrieu : mais le Fau-perdrieu est tel que le descrirons cy apres. Cestuy volant par les campagnes, chasse aussi aux Allouëttes : & s’il en advise aucune, est coustumier de se jecter dessus : mais elles ont recours à se garentir en l’aer, & gaigner le dessus. Mais si le Hobreau s’y trouve, c’est chose plaisante à voir : car le Hobreau, qui est beaucoup plus agile, n’arreste guere à l’avoir devancee, & alors elle ha eschappé des deux ennemis qui la combatent : Et si le Hobreau la prend, lors ce Jan le blanc l’entreprent contre le Hobreau : & combien que le Hobreau soit sans comparaison le plus viste, si est-ce que nous sommes trouvez voyants un tel combat, ou le Hobreau, apres avoir prins l’Allouëtte, fut acroché du Jan le blanc, & tumbants touts deux à terre furent prins liez les uns aux autres : qui nous fait dire que leur inimitié est mortelle. Onc ne nous ha esté possible sçavoir, pourquoy on le nomme l’oyseau saint Martin.

Des oyseaux de proyë, servants à la fauconnerië.
CHAP. XIII.


IL EST manifeste que la science de fauconnerië ha esté mise en art depuis peu de temps. Les autheurs anciens, admirateurs des choses haultaines n’eussent laissé en arriere si grande industrie du sçavoir de l’homme, de leurrer, & aprivoiser les oyseaux de proyë, qu’ils ne l’eussent escrit, si elle eust lors esté en usage : Car c’est merveille de voir un oyseau qui ha esté sauvage ja aprivoisé, fondre du Ciël, & retourner sur le poing de son maistre. C’est une science qui est maintenant si fort ennoblie, que les grands seigneurs se la sont voulu dedier, & reserver pour leur passetemps, tellement que si un gentil homme est ignorant de ceste science, la noblesse Françoyse l’en prise moins, d’autant qu’elle est reduicte à ce point, qu’apres les armes, il n’est rien plus haultain & magnanime, que de la sçavoir, avec la venerië. C’est de lá que ceux qui ont escrit de la fauconnerië desdiants leurs livres aux Princes Françoys n’ont eu rien de plus magnifique, que leur louër les vertus d’un Prince & homme noble, sçavant en l’exercice de la chasse, venerië, & fauconnerië : voulants mettre le principal des exercices d’un homme noble, & d’un Prince en ceste science. Toutesfois nous ne lisons qu’on ait onc loué les vertus d’aucun Prince ancien de telle maniëre. Si entreprenons la description des oyseaux de fauconnerië, ne voulons pretendre toucher ce qui est en la science, mais seulement conferer ceux que trouvons nommez de noms Françoys, & les approprier avec les noms Grecs, & Latins. Touts oyseaux de rapine ne servent pas à la fauconnerië : qui est cause que nous ayons seulement sceu choisir ceux qu’avons trouvez hardis, & de franc courage : car les appropriants pour faire voler, avons fait que la principale distinction eust deux differences nommees par deux termes communs, dont l’un est nommé, voler pour riviere : lautre, voler par les champs, qui est au jugement de tout homme le plus plaisant vol, & qui delecte le mieux. Possible qu’il n’est homme de quelque basse condition, & de gros esprit qui n’admire beaucoup le plaisant vol des Sacres au Milan, & Heron. Nul ne doit penser qu’il y ait aucune autre nation, qui approche en rien en ce deduit de fauconnerië, à nostre façon de faire : car les estrangers n’y veulent faire si grande despence. Les Grecs qui pour le jourd’huy vivent au païs de Levant, nomment un fauconnier Hieracaros, quasi comme qui diroit en Latin Accïpitrarius : & de fait ce que les Latins ont nommé Accipiter pour tout oyseau de rapine, ha esté nommé des Grecs Hierax. Et toutesfois n’y ha terme, ou nom Françoys, qui le puisse naïfvement exprimer : car combien qu’Hierax signifie proprement un Sacre, les anciens Latins, & Grecs ont indifferemment signifié touts oyseaux de rapine en ces deux dictions Accipiter, & Hierax : joinct aussi que Falco est un nom Grec signifiant la mesme chose. Aristote en l’histoire des animaux, livre neufiesme, les ha descrits en particulier, & nommez selon que le vulgaire de son païs leur avoit imposé propres appellations. Il est à presupposer, que comme les Françoys donnent nom en leur vulgaire aux choses qui leur sont communes, aussi Aristote, qui est le premier qui les ha descrits, feist le semblable. Toutesfois il semble qu’il ait aussi parlé en particulier de Hierax, quasi comme s’il l’avoit separé d’avec les autres especes, desquelles il en ha mis dix differences en ce terme general. Et Pline, qui ha traduit ce qu’Aristote en ha escrit, en adjouste six davantage : mais il ne les specifie touts. Toutesfois ne l’un ne l’autre n’ont laissé enseignes suffisantes pour nous faire sçavoir desquels ilz veullent parler. Parquoy est bien difficile de les approprier aux noms, qu’ils ont obtenuz de nostre Françoys, fors que par soupçon nous le pouvons deviner. Aristote au neufiesme livre de la nature des animaux, chapitre XXXVI. les ha mis en l’ordre qui sensuit. Le premier & principal en ceste espece est Buteo, autrement nommé Triorchis, pource (dit il) qu’il ha trois testicules : Nous estimons que c’est le Sacre. Le second d’apres est nommé Aesalo, que pensons estre le Lanier : Le troisiesme, Circus, que pensons estre le Fau-perdrieux : Le quatriesme, Stellaris, qui à nostre jugement est l’Autour : le cinqiesme, Palumbarius, que maintenons estre le Faucon :

Le sixiesme Pernes : Le septiesme Subuteo, autrement nommé Hypotriorchis, pour lequel prenons le Hobreau : Le huictiesme Percus, ou Spiza, parce qu’il menge les Pinssons, qui est l’Espervier : Le neufiesme Phrinolochos, que voulons advoër Goiran, ou Bondree : Les autres qu’il nomme Leves, nous semblent estre les Emerillons : La dixiesme espece est, dont Homere ha fait mention en son Iliade, la nommant Chalcis. Puis donc que les Françoys donnent certain nom vulgaire à touts oyseaux de rapine qui vivent en leur païs, avons pensé leur pouvoir rendre leurs appellations antiques, en les conferant avec les modernes : car tout ainsi comme les anciens ont voulu que le Sacre, que les Grecs nommoyent Hierax, & les Latins Accipiter, fust le terme principal, dessous lequel sont comprins toutes autres especes d’oyseaux de proyë, semblablement les Françoys de nostre temps, ont fait que le Faucon seroit le principal en son genre, voulants que le Sacre, Gerfaut, Autour, & tels autres tinssent aussi le surnom de Faucon : car nommants les uns Faucons de leurre, ils mettent le Faucon gentil au premier lieu, & consequemment le Faucon pelerin, le Faucon de Tartarië, le Faucon de Barbarië, le Faucon Gerfault, le Faucon Sacre, le Faucon Laniër, le Faucon Tunicien, ou Punicien. Mais voulants les descrire par ordre, & cherchants oster la confusion, sçachants que nous avons huit principales especes d’oyseaux de proyë assez cogneuës d’un chascun, & familiaires en France, dirons qu’il y en ha quatre qui volent de poing, & prennent de rendon, qui sont l’Autour, l’Espervier, le Gerfault, & l’Emerillon : & quatre qui volent hault, qui sont le Faucon, le Laniër, le Sacre, & le Hobreau. Quant aux Aigles & Vautours, qui aussi sont oyseaux de proyë, nous les avons des-ja specifiez ailleurs. Les oyseaux de nuict seront deduicts par cy apres. Grande partië des oyseaux de rapine, excepté les Vautours, & aussi le Coqu, ont communement les plumes de la queuë & des aelles beaucoup madrees. Touts ont l’ongle & le bec crochu, & sont presque semblables les uns autres : car ils semblent n’estre differents qu’en grandeur : veu mesmement que leur couleur se change diversement selon leur muë, qui fait qu’ils en sont appellez Hagars, ou sors, tout ainsi qu’on fait des Harans enfumez surnommez Sorets. Il y ha grande partië des oyseaux de proyë qui sont passagers, que nous ne sçavons bonnement dont ils viennent, ne ou ils s’en revont : mais d’autant que les estrangers sçavent y avoir profit, font diligence de les prendre & les nous apporter, qui est cause de les nous faire cognoistre : car sans cela nous n’en pourrions avoir aucune espece estrangere. Et pource qu’on les prent le plus souvent avec de la gluz, qui est cause de leur froisser les pennes à qui ne la scet oster, nous en avons voulu dire la maniere. Il fault avoir du sablon menu & sec, & cendre nette meslez ensemble : & de cela saulpouldrer le lieu, & plumes en gluees, & le laisser ainsi une nuict. Le lendemain ayant batu des moyëux d’œufs, fauldra oindre le lieu englué avec une penne, & le laisser deux jours : de rechef prendre du gras de lard, & beurre fraix fondus ensemble, & oindre les places engluees, & les laisser ainsi une nuict. Le lendemain ayant fait tiedir de l’eau, fault laver l’oyseau, puis lessuyer avec linge net, & desseicher l’oyseau. Les oyseaux de fauconnerië sons communement prins niaiz, branchers, ou fors. On ne les doit oster du nid qu’ils ne soyent forts, & se sachent tenir sur leurs pieds, puis les tenir sur un bloc ou perche, pour mieulx demener leur pennage sans le gratter en terre. Il fault les paistre de chair vive le plus souvent qu’on pourra : car elle leur fera bon pennage. Si on les prend trop petits, & qu’on les garde en lieu froid, ils en pourront gaigner mal aux reins, en sorte qu’ils ne se pourront soubstenir. Ceux qu’on prend sors est quand ils ont mué. Le past & chair bonne oultre l’ordinaire des oyseaux de fauconnerie est leur donner des cuisses, ou du col de Poulles. Les chairs froides leur sont mauvaises. Les chairs de bœuf, de porc, & autres leurs sont de forte digestion, mais particuliërement celle de bestes de nuict les pourroyent faire mourrir, sans qu’on se apperceust de la cause. La chair de Poulle estant doulce & delectable, trouble le ventre de l’oyseau s’il l’a mangee froide. Parquoy l’oyseau affriandé de telle chair pourroit laisser sa proye en volant, & se ruer sur les Poulles s’il en voyoit aucunes. A tel inconveniënt fault paistre l’oyseau de petits Pigeons ou petites Irondelles. Chair de Pie, & vieils Colombs est amere & mauvaise aux oyseaux. La chair de Vache leur est mauvaise pour estre laxative, qui advient par sa pesanteur, qui leur cause indigestion. Et s’il est necessité de paistre l’oyseau de grosse chair par faulte de meilleure, soit tremperee & lavee en eau tiede : si c’est en hyver, il la fauldra espraindre : en esté il ne la fault laver qu’en de l’eau froide. Il fault entretenir l’oyseau de quelque bon past vif & chauld, autrement on le pourroit mettre trop au bas. La chair qu’on doit donner aux oyseaux, soit sans gresse, nerfs, ne veines : & ne les fault laisser manger leur saoul tout à la fois, mais par poses, en les laissant reposer en mengeant, & par fois leur musser la chair devant qu’ils soyent saouls, puis la leur rendre : mais qu’ils ne voyent la chair de peur de les faire debatre. Aussi est bon leur faire plumer petits oiseaux comme ils faisoyent au bois. La chair de Pourceau donnee chauldement avec un peu de pouldre d’aloës fait emutir l’oyseau : mais il fault observer, apres qu’il aura esté purge qu’on le mette en lieu chauld, & le tenant sur le poing le paistre de quelque oyseau en vie : car alors il ha les entrailles destrempees. Ja avons maintesfois dit que les oyseaux peuvent faire des œufs sans la compagnie du masle : Tout ainsi les femelles des oyseaux de rapine en engendrent souvent en leurs ventres, tant en la muë comme ailleurs, & alors elles en deviennent malades jusques à estre en peril de mourir. Les fauconniers nous ont laissé par escrit à quels signes on le cognoistra. Alors le fondement leur enfle, & devient roux. Les narilles aussi, & les yeux.

Du Sacre, & son Sacret.
CHAP. XIIII.


TOUT ainsi comme Aristote au neufiesme livre de la nature des animaux, chapitre trente-sixiesme ha constitué Buteo principal entre les oyseaux de rapine, aussi noz fauconniers tiennent le Sacre principal entre tels oyseaux de proyë. Parquoy nous ha convenu entrer en diverses opinions pour trouver son nom ancien, joinct que le nom de Sacre en Françoys confermoit beaucoup nostre premiëre opinion, sçachants que Hierax en Grec, est à dire un Sacre en Françoys. Or sur ce point lon demanderoit, pourquoy les Françoys l’ont ils nommé un Sacre, sinon entant qu’ils ont emprunté son appellation des Grecs ? Toutefois ayants trouvé en Aristote que Buteo mene guerre aux Greffets & Serpents : & aussi que Pline au dixiesme livre de l’histoire naturelle, chapitre quarentehuittiesme, disoit que Buteo estoit en delices aux habitants des isles Baleares : & voyants que nostre Sacre ne tient rien de cela, estions entrez en soupçon de prendre le Goiran ou Bondree pour Buteo, quasi comme si la Bondree avoit affinité de nom, & nature avec Buteo. Parquoy voyants que ce n’est inconvenient qu’il puisse estre ennemy des Greffets, & Serpents, & les habitants de Majorica, & Minorica, le peuvent bien manger, avons resolu de le maintenir pour Buteo. Aristote le nomme aussi Triorchis, lequel il interprete, pource qu’il ha trois testicules. Accipitrum genus primum (dit il) viribusque valentissimum Triorchis à numero testium nuncupatus : Buetone hunc appellat Romani : Miluo aequiparatur magnitudine, semperque cernitur. Ceste derniere clause pourroit estre alleguee contre nostre opinion, car il nous est passager : mais nostre excuse seroit, qu’Aristote pouvoit bien dire, semperque cernitur, l’ayant entendu de son païs. Le Sacre est de plus laid pennage que nul des oyseaux de fauconnerie : car il est de la couleur comme entre roux & enfumé, semblable à un Milan. Il est court empiëtté, ayant les jambes & les doigts bleux, ressemblant en ce quelque chose au Laniër. Il seroit quasi pareil au Faucon en grandeur, n’estoit qu’il est compassé plus rond. Il est oyseau de moult hardy courage, comparé en force au Faucon Pelerin : aussi est oyseau de passage, & est rare de trouver homme qui se puisse vanter d’avoir oncques veu l’endroit ou il fait ses petits. Il y ha quelques fauconniers, qui sont d’opinion qu’il vient de Tartarië, & Russie, & de devers la mer majeur, & que faisant son chemin pour aller vivre certaine partië de l’an vers la partië du midy, est prins au passage par les fauconniers, qui les aguettent en diverses isles de la mer Egee, Rhodes, Carpento, Cypre, Candie, Naxie. Et combien qu’on face de haults voltz avec le Sacre pour le Milan, toutesfois on le peut aussi dresser pour le gibbier, & pour la campagne à prendre Oyës sauvages, Ostardes, Olives, Faisants, Perdris, Lievres, & à toute autre maniere de gibbier. Encores reste à parler de son Tiercelet, que nous nommons un Sacret. Donc tout ainsi comme lon peut avoir opinion que le Sacre estoit anciennement nommé Triorchis, aussi pourroit on penser que le Sacret est celuy qu’Aristote ha nommé Hypotriorchis, lequel Pline tourne en Latin Subuteo : parquoy le Sacre, & son Sacret seront nommez, l’un Buteo, l’autre Subuteo. Le Sacret est le masle, & le Sacre sa femelle : entre lesquels il n’y ha autre difference sinon du grand au petit : car comme avons dit, nous voyons en plusieurs oyseaux de rapine que les masles sont plus petits que les femelles. Aristote a ainsi nommé beaucoup d’oyseaux de rapine, comme en disant de Aquila, il dit, Subaquila. Les autres Grecs ont aussi prins la signification de Hypo, tout au contraire. Car ou Hypo signifie en cest endroit moindre, ils l’ont mis ailleurs pour exprimer grand, comme en Hypomaratrum, Hyposelinon : mais es couleurs composees Hypo ha autre signification, comme en disant Subrabrum, Subnigrum : ou es vents comme quand ils nomment Subsolanum.

Du Sacre Egyptien.
CHAP. XV.


LORS que arrivasmes en Egypte, prinsmes nostre chemin par dessus le Nil pour arriver au Caire, ayants les campagnes steriles d’un costé, & les fertiles d’Egypte de l’autre. Encor estions à plus de six lieuës du Caire, quand commençasmes à voir les Pyramides : c’estoit de ce costé lá que nous apperceusmes les oyseaux dont parlerons maintenant. Celle partië qui est inundee du Nil nous apparoissoit blanche, tant estoit tapissee de Cigognes, Onocrotales, ou Pelicans, Cygnes & tels autres oyseaux de riviere, de couleur blanche : car elle estoit en plus bas endroit. Mais la ou le Nil ne donne, & principalement vers la partië d’Afrique, qui est en lieu beaucoup plus hault, & qui n’est que sablon, il n’y croist beaucoup de choses, auquel nous voyons de moult grandes trouppes de Vautours en compagnie, & d’autres oyseaux, qui pour lors nous estoyent incogneus : mais les voyants si frequents, & se repaistre de mesme viande que les Vautours, ayants aussi toutes les merques & la couleur d’un oyseau de rapine, il nous tumba en opinion que c’estoit le Sacre Egyptien, duquel Herodote ha fait mention : mais au demourant il est oyseau sordide & non gentil, se seant tousjours à terre. Parquoy de prime face le pensions estre Vautour Egyptien : toutesfois tantost apres, pource que voulumes chercher l’authorité de quelques anciens avant que nous en resouldre, trouvasmes qu’Herodote en avoit parlé. Et à fin de le declarer mieulx, avant qu’en faire autre resolution, dirons premierement de quelle forme il est. C’est que quiconque faindra voir un oyseau ayant la corpulence d’un Milan, le bec entre le Corbeau & l’oyseau de proyë, & crochu par le fin bout, & les jambes, & pieds, & le marcher comme d’un Corbeau, aura la perspective de l’oyseau pont est cy faicte mention. Il est frequent en Egypte : mais rare ailleurs. Car mesmement lon n’en voit que bien peu en Syrië. Vray est qu’en avons aussi veu jusques en Caramanië, qui toutesfois nous sembla chose rare : desquels en avons observé de diverses couleurs. Laurent Valle traduisant Herodote l’ha nommé en Latin Accipiter Aegyptius, du Grec Hierax d’Herodote : car au douziesme livre en Euterpe dit, que quiconques tuoit Ibis, & le Sacre Egyptien, encores qu’il ne le pensast faire, la loy par necessité le condamnoit à mourir. Et pour entendre la raison, fault sçavoir qu’il mange les Serpents d’Egypte. Parquoy quand ils en trouvoyent un mort, comme aussi un Ibis, ils avoyent soing de le mettre en sepulture, & le confire, tout ainsi comme ils faisoyent plusieurs autres bestes qu’ils avoyent en reverence, & principalement celles qui estoyent dediees à quelque Dieu. Si aucun en veult sçavoir la maniere, lise ce qu’en avons escrit un livre intitulé De servato funere, ou De medicato funere.

De l’Autour, & de son Tiercelet.
CHAP. XVI.


LAFFINITE de ceste diction Autour, nous avoit quelquesfois fait penser qu’il fust du genre des Vautours : mais pretendons monstrer qu’il en est autrement, ains qu’il est du nombre de ceux qu’on nomme en Latin Accipitres. Et mesmement ce que nous disons Autours, & les Italiens Astures, se resent de la diction Greque ancienne Asterias. Et Aristote le voyant grand oyseau mouscheté d’estoilles, comme l’Aigle Royal, le surnommant comme les paisants de Grece (qui nommoyent l’Aigle Royal Aetos Asterias, pour signifier ses madrures dorees) & colloquant entre les oyseaux de proye, au trente-troisiesme chapitre, du neufiesme livre de la nature des bestes, l’ha nommé Hierax Asterias, que les Latins ont tourné Stellaris Accipiter. Et alia Accipitrum genera sunt (dit il) Asterias, id est stellaris, & Pernes, & Palumbarius, qui in ferociorum accipitrum numero cesentur. L’Autor est plus prisé que son Tiercelet : Car les masles des oyseaux de rapine monstrent à l’oeil en plusieurs especes, evidente distinction de leur femelle : aussi cognoist on l’Autour pour femelle, qui est beaucoup plus grande que son Tiercelet. Les fauconniers en constituent encor une autre espece, qu’ils nomment Demy-Autour, comme moyen entre l’Autour, & son Tiercelet. Touts deux sont plus haultz enjambez que les Gerfaults, & Faucons. Ils sont oyseaux de poing, au contraire des dessusdicts, qui sont de leurre. La femelle raporte moult à la couleur de l’Aigle. Et faisant comparaison du grand au petit, ils ont le col plus long que l’Aigle, & sont encor plus madrez de rousses taches, ayants principalement le champ de la madrure roux. Ceux qu’on nous apporte d’Armenie, au recit d’aucuns livres de fauconnerie, & de Perse sont les meilleurs apres ceulx de Grece, & en dernier lieu sont ceulx d’Afrique. Celuy d’Armenie ha les yeux verds. Celuy de Perse est gros, bien emplumé, les yeulx clairs, concaves & enfoncez, sourcils pendants. Celuy de Grece ha grande teste, gros col, & moult de plumes. Celuy d’Afrique ha les yeux, & le dos noir, quand il est jeune, & quand il muë les yeux, ils luy deviennent rouges. Mais les nostres que nos fauconniers ont pour le jourd’huy, sont principalement venuz d’Almaigne, ayants le tour des yeux, & celle partië du bec qui touche la teste, comme aussi les pieds, & les jambes, de couleur jaulne, au contraire du Gerfaut qui les ha blesmes. Leur queuë est bien fort madree de taches larges & obliques, partië noires, partië grises, comme aussi les plumes de dessus le col, & de la tuest, sont plus roussettes, & bien marquetees de noir : mais celles des cuisses & de dessous le ventre, sont autrement tachees : car n’estants si fauves, ont les taches rondes, telles qu’on voit à l’extremité de la queuë d’un Paon. Lon en prend moult grande quantité en la forest d’Ardenne, & en plusieurs lieux d’Almagne. La bonne forme d’Autour, est d’avoir teste petite, face longue, & estroicte comme le Vautour, & le gosier large, & qu’il ressemble à l’Aigle : ses yeux grands, parfons, & en iceux une petite rondeur noire : narilles, oreilles, crouppe, & pieds larges, col long, grosses poictrine, chair dure, cuisses longues, charnues, & distantes. Les os des jambes & des genoux doyvent estre forts, ongles gros & longs. Et des le fondement jusques à la poictrine doit estre comme en rondeur de croissant. Les plumes des cuisses vers la queuë doivent estre larges, & peu rousses, & molles. La couleur de dessous la queuë doit estre comme celle qui est à la poictrine. La couleur de l’extremité des plumes de la queuë doit estre noire en la partië des lignes. Des couleurs la meilleure est rouge tendant au noir, ou au gris clair. La maulvaise forme d’Autour tant en petits que en grands, est quand ils ont la teste grande, le col court, les plumes du col meslees, fort emplumez, charnus, & mols. cuisses courtes, & gresles, jambes longues, doigts courts, couleur tannee, tendant à noir, aspre sous les pieds. Encor voulons repeter nostre excuse sur les couleurs des oyseaux de rapine : souvent est advenu qu’ayants observé un Gerfault, Autour & tel autres, luy avons trouvé les jambes, pieds & bec blesmes, es autres bleuz, & es autres d’autre couleur, selon leur aage, & muë.

Du Fau-perdrieux.
CHAP. XVII.


NOUS mettons le Fau-perdrieux au nombre des oyseaux de rapine, auquel n’avons trouvé aucun nom ancien Grec, ne Latin mieux à propos que de le nommer Circus : Aristote, dit, Tertium Circus, claudum altero pede. Nous n’avons gueres accoustumé les nourrir pour nous servir à prendre les oyseaux sauvages : car ils sont moins gentils que les autres : joint qu’ils ne volent trop hastivement. Si est-ce qu’en avons veu ja leurrez pour la Perdris, pour la Caille, & pour le Connin. Ils volent encor mieulx que le Milan, mais moins que le Faulcon, Sacre, & son Tiercelet, qui nous est assez notoire, apres les avoir veuz au vol des Sacres, & Faucons, au lieu de Milan. Ils descendent au Duc comme le Milan : mais soubdain qu’ils voyent qu’on lasche les Sacres pour les prendre, essayent à fuir au loing, & non pas en hault, comme fait le Milan : parquoy leur vol est penible. Mais le Fau-perdrieux qui est aussi de grande force, se deffend vaillamment : car il est beaucoup plus fort q’uun Milan. Cela est cause qu’il fault pour le moins lascher quatre oyseaux pour le prendre. Il n’est pas amy du Hobreau, ne de la Cresserelle, comme il appert quand lon va à la chasse de la Caille avec les Chiens, que le Hobreau ha coustume suyvre : car si le Fau-perdrieux y arrive, le Hobreau est contraint de s’en fuïr pour eviter sa passee : car le Fau-perdrieux est oyseau qui vole assez roide pres de terre sans gueres battre des aelles. Mais à fin que facions mieux entendre de quelle especes d’oyseau de rapine pretendons parler, dirons la figure & couleur. Il est quelque peu de moindre corpulence qu’un Milan, toutesfois plus hault enjambé, ayant le bec, & les ongles moins crochus que touts autres oyseaux de rapine. Aussi boit il quand il se trouve à quelque mare. Sa jambe est bien deliëe, & jaulne, couverte de tablettes. Sa queuë est noire, comme aussi le bout des aelles : mais les plumes sont tannees obscures. Le dessus de sa teste, & dessous la gorge est blanchastre sur le rougeastre, comme aussi est le dessous du ply des aelles au deux costez de l’estomach. Les plumes qui luy couvrent les ouïes sont noires : son bec joignant la teste est de couleur plombee : mais le bout est comme noir. Ce n’est pas un oyseau passager au païs de France : car on le trouve faisant son nid sur les summitez des haults arbres separez, par les plaines d’Auvergne le long des clapiers, ou il fait moult grands dommages sur les Connins. Il ha le col moult court au contraire de l’Autour qui l’ha long. Nous l’eussions facilement prins pour celuy qu’Aristote nomme Percnopterus, ou Oripelargus, luy voyants la teste blanchastre, comme avoit dit Aristote : mais ne le voyants criard, ne batu des Corbeaux, avons attribué ces enseignes à la Buse. Parquoy ne demeurera sans aucune appellation antique.

De touts Faucons en general, & leurs Tiercelets.
CHAP. XVIII.


NOUS desirons que nostre ignorance en l’art de fauconnerië, puisse esmouvoir quelques meilleurs fauconniers de ce temps cy, ou autres qui viendront apres nous, es mains desquels parviendra cest œuvre, qu’ils se mettent en devoir d’escrire des oyseaux de rapine, & fauconnerië plus exactement, que nous. Si noz fortunes nous eussent permis la puissance d’y avoir peu faire despense competente, selon la diligence de nostre labeur, n’eussions eu que faire de nous excuser des portraicts mal proportionnez. Parquoy leur remonstrons qu’un homme (quelque diligent qu’il puisse estre) entreprenant ouvrage de si grande despense, ne le peut parfaire, s’il n’ha moyen d’y employer plus que son labeur. Ils ne trouvent donc estrange s’ils ne voyent les portraicts d’aucuns oyseaux, qui ne sont rares, & desquels possible nous eussent bien peu bailler la copie. Avant que d’entrer en propos de ce que avons à traicter des Faucons selon l’art de fauconnerië, & en parler comme font les fauconniers, ferons premierement un discours touchant ceste appellation : car possible que les Latins anciens ne nommerent Falco, pour exprimer tel oyseau : mais trop bien les Grecs desquels les Françoys ont prins tel nom : car Suïdas autheur Grec voulant que ce nom Falco soit general à tout oyseau de rapine comme est Hierax, ha aussi concedé qu’il s’attribuast à un seul en ce genre. Festus pense qu’on le nommoit à cause de ses ongles tournees en faulx. Aristote n’ha point use de telle diction, mais semble que pour nostre Faucon il ait entendu nommer Accipiter Palumbarius. Et de fait les oyseleurs n’ont meilleur moyen pour prendre les Faucons, que avec des ramiers. Et maintenant que parlerons de ce Faucon en particulier, à fin de n’estre trouvez en larrecin, confessons que quelques passages des livres de fauconnerië nous ont servy, en y adjoustant ou diminuant ce qui ha semble à propos pour la description des oyseaux de fauconnerië. Et d’autant que la fauconnerië est desdiee pour le plaisir des grands seigneurs, & principalement de nostre France, les estrangers estants advertis de leur profit, sçachants que en apportant tels oyseaux d’estrange païs, sont asseurez de recouvrir argent content de leur payement, toutes nations s’estudient de les prendre en diverses manieres. C’est de lá que nous en avons ja recouvert diverses sortes, dont possible Aristote n’a fait aucune mention. Et possible ce qui ha engardé que les Latins ne les ont touts exprimez en leurs langues, est qu’ils n’ont point eu l’usage de les aduïre au leurre. Et par consequent n’estoyent point maniez des hommes de ville. Nous les distinguons maintenant en muez de bois, en sors, en niardz, ou niedz, en grands, moyens, & petits : mais telles differences ne sont aysees à descrire en particulier : car ils sont de diverses tailles, & ont diverses pennes, selon divers païs, aussi sont de divers pris, selon diverses louanges de bonté. Les Faucons sauvages, qu’on ha cognu hanter es lieux marescageux, & se paistre d’oyseaux de riviere, sont surnommez Riviereux. Les autres qui se nourrissent de Merles, Estourneaux Corneilles, Mauvis, sont nommez Champestres. Il y en ha aussi qu’on nomme Faucons apprins de repaire. Encores en y ha d’autres, qui sont appellez passants. Les autres sont nommez estrangers, pource qu’ils viennent de loingtains païs : & par ainsi sont autrement nommez Faucons pelerins. Il y en ha qu’on apporte de Cypre, qu’on cognoist à ce qu’ils sont de petite corpulence, ayants leurs plumes rousses, qui sont plus hardis que les autres. Lon pense que ceux de Sardaigne sont moult semblables aux Cypriens, & que tels Faucons sont fort bons Gruyers, & Heronniers, & assaillent hardiment les Cignes. L’election des Faucons est de choisir les moyens qui ne sont ne des grands, ne des petits, comme sont ceux qu’on nomme Pelerins, qui ont esté prins sur la falaise de la mer, qui n’ont gueres sejourné au païs pour se nourrir, & qui n’ont entendu sinon à venir. Tel Faucon Pelerin qui ha grosses espaules, longues aelles, gisants au bout de la queuë, & que celles de la queuë monstrent grosses plumes bien mouluës, & la queuë moult longue, & qui se termine en filant, comme celle d’un Espervier, & que les pennes soyent bien rondes, & que le bout de la queuë ne soit blanc de plain pousse, ayant les nerfs bien vermeils, sera loué entre touts autres. Aussi doit avoir les pieds de la couleur de ceux d’un Butord, & bien fendus, & verds, les ongles noirs bien pointus & trenchants, & ne doit estre ne trop hault assis, ne trop bas, & que la couleur des pieds, & chiere du bec soit toute une. Aussi doit avoir le bec brossie, & grosset, grandes narines & ouvertes, & doit avoir les sourcils un peu haults & gros, les yeux grands & cappes, & la teste un peu voultissee, & rondette par le dessus. Et quand il est seur, qu’il face un peu de barbette dessus le bec avec sa plume. Aussi doit avoir le col long, & haulte poictrine, & un peu rondette sur les espaulles à l’assembler du col, & se doit seoir large sur le poing, peu revers, mordant, & familleux. Ses plumes blanches & colorees de vermeil, & les nouëes grosses & bien vermeilles. Les sourcils, & les jouës blanches, colorees de plumes vermeilles, la teste grize, le dos de bize couleur comme celuy d’une Oyë, les plumes larges & rondes : & sur tout ne doit point estre grand, mais se doit entresuïr de plumes, de pied, & de bec, & doit aussi avoir l’ouvre grande, & dedens l’ouvre ne doit point avoir un bout de l’escofraye. Les Faucons se perchent en diverses manieres, dont y en ha qui tiennent leurs perches longuement & n’ont gueres accoustumé de les prendre dedens la forest, mais au rivage du bois dessus les branches des haults arbres de fousteaux, ou chesnes en l’endroit ou il y ha meilleur abry, & ou il ne vente point, ou bien se asseoyent sur les guignons des roches es haultes falaises. Entre les Faucons celuy qu’on nomme Gentil, les fauconniers le louënt pour estre bon Heronnier, & à toutes manieres d’oyseaux de riviere tant dessus que dessous, comme à Rouppeaux, qui ressemblent à un Heron, à un Esplugebant, aux Poches, & aux Garsotes. Si ce Gentil est prins niaiz, on le peut mettre à la Grue : car s’il n’y estoit fait de niaiz, il n’en seroit si hardy : pource que n’ayant jamais rien cognu, le laissant premierement sur la Grue, il ne sera trouvé plus vaillant. Le pelerin est naturellement vaillant, hardy, & de son affaire, & moult courtois à son maistre. On le prend en la saison d’Automne : car lors il passe de païs en autre. On le leurre pour la Grue, pour l’oyseau de Paradis, qui est plus petit que la Grue, pour les Rouppeaux, pour les Poches, Garsotes, Ostardes, Olives, Faisans, Perdris, Oyës sauvages, & toute autre maniere de gibbier. Cest oyseau est de sa propre nature franc à tout faire. Le Faucon de Tartarie est aussi nommé de Barbarie : car on les prend lors qu’ils passent de Tartarie pour aller en Barbarie. Il est passager comme le Pelerin, & est quelque peu de plus grande corpulence, roux dessus les aelles, & moult bien empietté de longs doigts. Quelques uns ont opinion que tels Faucons sont espece de Pelerins, & ou il y ha peu de difference. Quoy qu’il en soit c’est un oyseau bien volant, & qui assault hardiment toutes manieres d’oyseaux de riviere. Aussi le peut on mettre à voler touts ceux que nous avons nommez du Pelerin. De touts deux peut on voler pour tout le mois de May, & de Juin : car ils sont tardifs à leur muer : mais quand ils ont commencé à despouiller leurs plumes, ils n’arrestent gueres à estre muez. Les nobles qui habitent es Isles de Cypre, Rhodes, & Candie usent desdits Faucons, Tartares, ou Barbares, plus volontiers que ceux qui se trouvent niaiz en leur païs. Encor y ha un Faucon qu’ils nomment Tunicien, qu’on pourroit aussi bien nommer Punicien : car ce que nous lisons de la guerre Punique contre les Carthaginois, estoit contre les habitans, ou est maintenant situee Tunis. Ce Faucon Tunicien est moult grand, approchant de la nature du Laniër, aussi est de tel pennage, & de tels pieds, mais est plus petit, & de plus long vol, mieulx croisé, & ha grosse teste & ronde. Il est appelle Tunicien, pource qu’on l’apporte du païs de Barbarie, ou il fait son aire ne plus ne moins que le Laniër en France. Aussi est apporté par ceux de Tunis, qui est la maistresse ville de Barbarie. Il est bon pour riviere & bien montant sur aelle, & aussi pour les champs à la maniëre du Laniër, mais il est rarement apporté de par deça. Tiercelet est prononcé, suyvant l’ethimologie d’un tiers, & possible que le Tiercelet ha gaigne ceste appellation Françoyse de sa petitesse, & que les Latins l’ont nommé Pomilio. Cecy ha esté des-ja dit cy devant, en alleguant un passage de Pline disant au second chapitre, du douziesme livre de l’histoire naturelle : Nanque & Chamaplatani vocantur coactae brevitatis, quoniam arborum etiam abortus invenimus. Hoc quoque ergo in genere Polilicnum infoelicitas dicta erit. Et au quatriesme chapitre, de l’unziesme livre : Pomilionum (dit il) genus in omnibus animalibus est, atque etiam inter volucres. Ceste sentence est conforme à ce qu’Aristote en ha escrit en lá fin du dernier chapitre, du second livre de la generation des animaux : ou il dit : Pygmaeorum etiam, id est nanorum pomilionum, & pusillorum generatio similis est : nam eorum quoque membra & magnitudines vitiantur in utero, & sunt veluti aporcella, & ginni. Toutefois pource que la matiere des Tiercelets est autre, vouldrions plus tost penser qu’ils les ont entenduz sous la signification de Hypo preposition, qui signifie en Latin sub, & en Françoys dessous : comme avons fait voir plus à plain en descrivant le Sacret : parquoy nous ha semblé que c’est erreur d’escrire Tercelet. Les Tiercelets des autres oyseaux de rapine sont autrement nommez : car celuy de l’Espervier est nommé Mouchet, celuy du Laniër, Laneret, du Sacre, Sacret. Touts lesquels fault entendre estre les masles. Le Tiercelet de Faucon est de moindre corsage que le Faucon, & luy est si semblable, qu’il ne differe qu’en grandeur, ayant les plumes beaucoup madrees, duquel la teste est fort noire : aussi ha il les yeux noirs, & est cendré par le dos, & dessus la queuë, qui toutesfois est madree, comme aussi sont les plumes des aelles, desquelles le bout est noir. Il y en ha six entieres, qui luy sortent dehors, comme au Faucon : car la septiesme, qui est la derniere, est petite, & se cache dessous les autres. Il est oyseau de leurre, comme aussi est le Faucon, & non de poing. Ses jambes & pieds sont jaulnes, & ha communement la poictrine palle. Il porte deux taches bien noires sur les plumes es costez des yeux.

Du Hobreau.
CHAP. XIX.


DE TOUTS oyseaux de fauconnerie, lon n’en cognoist aucun de moindre corpulence que le Hobreau, apres l’Esmerillon. Le Hobreau est oyseau de leurre, & non de poing : aussi est il du nombre de ceux qui volent hault, comme le Faucon, le Laniër, & le Sacre. Quand avons voulu descrire un Hobreau, le voyant conferé à un Sacre, n’avons trouvé moult grande difference, sinon en la grandeur. Cela nous fait penser que quelques uns qui ont dit que le Hobreau ressembloit justement à un Faucon, eussent peu dire à un Sacre. Il n’y ha contree ou les Hobreaux ne suyvent les chasseurs, car le vray mestier du Hobreau est de prendre sa proye des petits oysillons en volant. Parquoy il n’y ha aucun paisant, ou homme de basse condition, qui ne le cognoisse. La comparaison des petits poissons en l’eau, pourchassez des plus grands, est conforme à celle des petits oysillons en l’aer pourchassez du Hobreau. Car tout ainsi comme les poissons chassez par les Dauphins, ne se sentants estre en seureté dedens leur element, ont recours à se sauver en l’aer, & ayment mieulx estre à la mercy des Caniards, & Mouëttes, & autres oyseaux de marine qui volent au dessus de l’eau, que de se donner en proyë à leur ennemy : tout ainsi les Hobreaux advisants les chasseurs aux champs, allants chasser le Lievre, ou la Perdris, accompagnent les chasseurs en volant par dessus leur testes, esperants trouver rencontre de quelque oysillon, que les chiens font lever. Mais comme advient que les Farlouses, Proyers, Cochevis, & Allouëttes ne se branchent en arbre, se trouvants sur terre à la gueule des chiens sont contraints de s’eslever en l’aer, par ainsi se trouvants combatues des chasseurs, & des Hobreaux, ayment mieulx se donner en proye aux chiens, ou chercher moyen de trouver mercy entre les jambes des chevaux, & se laisser souvent prendre en vie, plustost que d’experimenter la mercy de leur ennemy mortel. Un Hobreau est si leger qu’il se hazarde contre un Corbeau, & luy ose donner des coups en l’aer. Il ha cela de particulier, qu’ayant trouvé les chasseurs, il ne les suyt que certaine espace de temps, quasi comme s’il avoit ses bornes limitees : car se departant, va trouver la rive de son bois de haulte fustaye, ou il se tient, & perche ordinairement. Le Hobreau ha le bec bleu : mais ses pieds & jambes sont jaulnes. Les plumes qui sont au dessous de ses yeux, sont fort noires, tellement que communement depuis le bec elles continuent de chasque costé des temples, & vont jusques derriere la teste, dont sort une autre courte ligne noire en chasque costé du bec, qui luy descend vers les orees de la gorge. Quant au sommet de la teste, il est entre noir & fauve : mais ha deux taches blanches derriere par dessus le col. Le dessous de la gorge, & les deux costez des temples sont roussettes sans madrures. Les plumes de dessous le ventre ont la madrure de telle façon, qu’estants brunes par le milieu, ont quelque petite partië des bords blanchastre. Les aelles sont bien mouschetees par dessous : mais cela est que les plumes ont les taches sur les costez par intervalles, ne touchants point au miliëu. Tout le dos, la queuë, & les aelles apparoissent noires par le dessus. Il ne porte aucunes larges tablettes sur les jambes, sinon que commençant depuis les trois doigts, lesquels il ha longs au regard des jambes qui sont courtes. Sa queuë est fort bigaree par dessous de taches rousses tressees en travers entre les noires. Les plumes (qu’on nomme les jambiëres) qui couvrent l’aer, lon les cuysses sont plus colorees d’enfumé qu’en nul autre endroit. Le voyant voler en apperçoit le dessous de la queuë, & l’entre-deux des jambiëres, rougeastre.

De l’Esmerillon.
CHAP. XX.


L’ESMERILLON est le plus petit oyseau de proyë dont les fauconniers se servent. Il est de poing & non de leurre, combien qu’à un besoin on le puisse aussi aduïre au leurre. Il est de moult hardy courage : car combien qu’il ne soit guere plus gros qu’un Merle, ou Pigeon, toutesfois il se hazarde contre la Perdris, la Caille, & tels autres plus grands oyseaux que luy. Il represente si naïfvement le Faucon, qu’il ne semble differer sinon en grandeur : car il ha mesmes gestes, mesme plumage, & est de mesmes meurs, & en son endroit ha mesme courage. Parquoy il le faut maintenir estre aussi noble que le Faucon. Il est seul entre touts les autres oyseaux de proyë, qui n’ha distinction de son masle à la femelle : car lon ne trouve point de Tiercelet en l’Esmerillon. Aristote (à notre jugement) endroit de luy, ou il l’ha surnommé Leius : en cas que ce ne fust Leios Hierax, n’avons aucun nom ancien pour l’exprimer.

De l’Espervier.
CHAP. XXI.


QUELQUE part qu’il y ait des Pinssons, & que l’Espervier passe, on les oirra crier à haulte voix, & se le signifier de l’un à l’autre : car entre les oysillons les Esperviers ayment à manger les Pinssons. Mais c’est que les Pinssons descendants l’hyver es plaines, & volants à grandes trouppes, se donnent pour pasture aux Esperviers : lesquels (sauf meilleur jugement) il nous semble qu’ils ne partent aucunement de noz contrees. Aristote (à nostre advis) entend des Esperviers par ceux qu’il ha nommé Fringillarij. Nous estions à la bouche du Pont Euxin, celle part ou commence le destroit du Propontide estants montez dessus la plus haulte montaigne qui est lá, ou trouvasmes un oyseleur qui prenoit des Esperviers, de belle maniere. Et pour autant que c’estoit vers la fin d’Avril, lors que touts oyseaux sont empeschez à faire leurs nids, il nous sembloit estrange voir tant de Milans, & d’Esperviers venir de la part de devers le costé dextre de la mer majeur. L’oyseleur les prenoit avec grande industrie, & n’en failloit pas un. Il en prenoit plus d’une douzeine chasque heure. Il estoit caché derriere un buisson, & au devant duquel avoit faire une aire unië, & quarree, qui avoit environ deux pas en diametre, distante environ à deux, ou trois pas du buisson. Il y avoit six bastons fichez au tour de l’aire, qui estoyent de la grosseur du poulce, & de la hauteur d’un homme, trois de chasque costé, à la summité desquels y avoit en chascun une coche entaillee du costé de la place, tenant un rets de fil verd fort delié qui estoit attaché aux coches des bastons tenduz à la haulteur d’un homme : & au miliëu de la place il y avoit un piquet de la haulteur d’un coulde : au feste duquel il avoit une cordelette attachee, qui respondoit à l’homme caché derriere le buisson. Aussi avoit plusieurs petits oyseaux attachez à la cordelette, qui paissoyent le grain dedens l’aire, lesquels l’oyseleur faisoit voler, lors qu’il avoit aduisé l’Espervier de loing, venant du costé de la mer. Et l’Espervier ayant si bonne veuë, des ce qu’il les voyoit d’une demie lieuë, lors prenoit son vol à aelles desployees, & venoit si roidement donner dedens le filé, pensant prendre les petits oyseaux, qu’il demouroit encré leans ensevely dedens les rets. Alors l’oyseleur le prenoit, & luy fichoit les aelles jusques au ply dedens un linge, qui estoit la tout prest expressement cousu, duquel il luy lioit le bas des aelles, avec les cuisses, & la queuë : & l’ayant cillé laissoit l’Espervier contre terre, qui ne pouvoit ne se remuër, ne se debatre. Nul ne sçauroit penser de quelle part venoyent tant d’Esperviers : car estants arrestez deux heures, il en print plus de trente, tellement qu’en un jour un homme seulet en prenoit bien pres d’une centene. Les Milans, & Esperviers venoyent à la file, qu’on advisoit d’aussi loing que la veuë se pouvoit estendre. Les fauconniers, qui traictent diverses especes d’Esperviers, les nomment diversement selon divers accidents : car ceux qui sont muëz de bois, & ne tiennent point au sort, sont nommez Ramenages. Les autres qui ne sont muëz, & qui sont nouvellement sortis du nid, & ont esté quelque peu à eux, sont nommez Niais. De telle sorte fait bon choisir our apprendre : car ce sont ceux qu’il fait le mieulx apprester pour s’en servir, comme aussi est de ceux qu’ on surnomme Branchers, sçavoir est qui ne sont encores muëz, & qui n’ont point faire d’aire, & n’ont nourry des petits. Les Esperviers, comme aussi touts oyseaux de rapine sont couverts de diverses pennes selon leurs aages, & aussi sont differents selon leur tailles. Il y en ha qui sont couverts de menuës plumes blanches traversaines : Les autres sont couverts de grosses plumes. Les fauconniers les appellent mauvaises. Puis donc que l’Espervier brancher est le meilleur, il y ha encor election à l’avoir bon : car il fault qu’il ait la teste rondette par le dessus, & le bec assez grosset, & bien prisé : les yeux un peu cappez : & les cercles d’entour la prunelle de l’oeil, de couleur entre verd & blanc : le col long & grosset : grosses espaules, & un peu bossues. Doit aussi estre un peu ouvert en l’endroit des reins, & affilé par devers la queuë. Ses aelles soyent assises en avalant le long du corps, si que le bout s’appuye sur la queuë, laquelle il doit avoir de bonnes pennes & larges, & qui ne soit trop longue. Aussi fault que ses jambes soyent plattes & courtes : & les pieds longs & deliëz : la couleur entre verde & blanche : les ongles poingnants bien noirs & deliez. Quand les plumes traversaines d’un Espervier sont grosses, vermeilles, & bien colorees, & les nouëes grosses, & que celles de la poictrine ensuyvent bon ordre, & que le brueil soit meslé de mesme traversaine ainsi que le corps, & les sourcils soyent blancs un peu meslez de vermeil, qui prennent le tour jusques derriere la teste, & ayant les pennes larges, & soit tousjours familleux, sera entre touts autres de bonne eslite. Les Esperviers ne tiennent leurs perches si constamment comme font les Faucons. Parquoy on ne les prend si souvent aux lacets. On les trouve volontiers perchez en temps d’hyver aux bois de haulte fustaye sur un arbre gresle en lieu ou il y ha abry le long de quelque haye, plus tost qu’en un bien gros arbre en une haulte forest. Et venant à sa perche est environ l’heure de Soleil couchant, volant principalement contre le vent. L’Espervier est de moyenne corpulence entre les oyseaux de proye, mais son masle est de moindre stature. Il y ha si peu de difference de l’Espervier & son masle, qu’on n’y cognoist que la grandeur qui les puisse distinguer. Son masle de nom propre Françoys est appelle un Mouchet. Et pource qu’il n’est hardy, & de franc courage, lon n’a pas souvent accoustumé de le nourrir pour s’en servir à la fauconnerie. La description des couleurs du Mouchet que metterons maintenant, pourroyent aussi convenir à l’Espervier. C’est la cause que les avons descritz touts deux ensemble pour eviter prolixité. L’Espervier, comme aussi le Mouchet, ont le dessus de la teste couvert de plumes brunes, mais la racine en est blanche. Quelques plumes de celle partië des aelles, qui touchent le dos, sont merquees de taches rondes, & blanches. Les plumes qui couvrent le dos, & les aelles, ne luy apparoissent madrees, sinon qu’on les regarde par le dedens, qui sont principalement merquees par le travers. Les petites plumes qui sont entour les plis des aelles, & au costé de l’estomach sont roussettes, comme aussi sont celles qui sont dessous le ventre, qui luy apparoissent fort mouchetees par le travers, ayants cela de particuliër, que les costez en sont noirs.

Du Laniër, & Laneret.
CHAP. XXII.


LE LANIER entre les oyseaux de fauconnerië prend aussi le surnom de Faucon : car ils dient communement Faucon Laniër. Il est ordinairement trouvé faisant son aire en nostre France. Et pource qu’il est de meurs faciles, lon s’en sert communement à toutes propos. Il fait toutes les ans son aire tant es haults arbres des forests de haulte fustaye, comme aussi es haults rochers, selon le païs ou il se trouve. Il est de plus petite corpulence que le Faucon gentil, aussi est de plus beau pennage que le Sacre, & principalement apres la muë, & plus court empiëtte que nul des autres Faucons. Les fauconniers choisissent le Laniër ayant grosse teste, les pieds bleuz & orez. Le Laniër vole tant pour riviere, que pour les champs. Et pource qu’il n’est dangereux pour son vivre, il supporte mieulx grosse viande, que nul des autres Faucons de gentes pennes. Les merques sont infallibles pour recognoistre le Laniër : c’est qu’il ha le bec & les pieds bleuz, & les plumes de devant meslees de noir avecques le blanc, non pas traversees, comme au Faucon, mais de taches droictes le long des plumes. Le plumage du Laniër de dessus le dos luy semble estre madré, non plus que par dessus les aelles, & que de la queuë. Et si d’avanture il y ha des madrures, elles sont petites, rondes, & blanchastres : mais quand il estend ses aelles, & qu’on le regarde par le dessous, ses taches apparoissent contraires à celles des autres oyseaux de proye : car elles sont rondes, & semees par dessus, comme petits deniers : nonobstant, comme avons dit, les pennes de devant, & de dessous la poictrine, ont les bigarures estenduës en long sur les costez de la penne. Son col est court & grosset, comme aussi est son bec. Le Laniër est femelle, & dont le masle est nommé Laneret. Le Laneret n’est de si grosse corpulence que sa femelle, aussi est il moins estimé : mais au demeurant est presque semblable en plumage. Il n’est aucun oyseau de proyë qui tienne plus constamment sa perche. Et pource qu’il ne s’en part l’hyver, il convient aucunement avec ce que Pline dit de Aesalon. Aesalon (dit il au dixiesme livre de l’histoire naturelle, chapitre huittiesme) demeure avec nous l’hyver, & nous apparoist en touts temps, contre la façon de faire des autres, qui ne se tiennent que l’esté en noz contrees. Les fauconniers voulants faire le Lanïer Gruyer, le mettent en une chambre basse si obscure qu’il ne puisse voir aucune lumiere, sinon lors qu’ils luy baillent à manger, & aussi ne le tiennent sur le poing que de nuict. Et lors qu’ils sont prests de le faire voler, font feu en la chambre pour l’eschauffer à fin de le baigner en pur vin : puis l’ayants essuyé, le font repaistre de cervelle de Geline : Et se partants devant le jour, celle part ou est leur gibbier, le jectent de loing à la Grue, deslors qu’il commence à estre jour. Et s’il ne prend pour ce jour lá, c’est tout un : car les jours ensuyvants il sera bon, & principalement depuis la my Juillet, jusques vers la fin d’Octobre. Encor apres la mue sera meilleur que paravant : mais il n’est bon en temps d’hyver.

De la Cresserelle.
CHAP. XXIII.


COmbien que la Cresserelle soit oyseau de rapine, toutefois Aristote ne l’ha mise en ce nombre. Aussi la cognoissons nous pour l’un des oyseaux de moindre courage qui y soit. Elle ne se paist gueres sinon de Souris, & Mullots, Rats, Lezars, & autres vermine qu’elle trouve par les champs, ou elle fait un bien que nous devons beaucoup estimer, principalement par les terres labourables. Il nous fault confesser, que si ce n’estoit elle, & les Milans, & Buses, il y ha plusieurs païs ou les Rats, Mullots, & Souris feroyent si grands dommages, quils contraindroyent les habitants de delaisser leurs terres. Il n’y ha aucune difficulté en son appellation Latine & Greque, sinon à sçavoir si celle qu’Aristote, au premier & second chapitre, du sixiesme livre de la nature des bestes, ha nommee Cenchris, est celle que Pline au trente-septiesme & cinquante-deuxiesme chapitre, du dixiesme livre de l’histoire naturelle, tourne en Latin Tinunculus. Aristote veult que Cenchris face ses œufs rouges comme vermillon : ce que Pline attribue aussi à Tinunculus. Et en cas que la Cresserelle ne les feist de telle couleur, elle ne pourroit obtenir ce nom de Cenchris. Quant à ce qu’elle ne puisse bien obtenir ces deux noms, lon n’y trouve aucune difficulté : car l’on sçayt qu’elle ha aussi ses œufs rouges. Pline au chapitre trente-sixiesme, du dixiesme livre de l’histoire naturelle, dit, que Tinunculus est une espece d’oyseau de rapine, qui fait presque tousjours son nid es haults edifices, & es tours eslevees, & que par sa puissance naturelle deffend les Pigeons contre les injures des autres oyseaux de rapine, & que par cela les Pigeons luy portent amitié. Iceluy mettant quelque chose de la nature des Pigeons en ce mesme endroit, parlant des oyseaux de rapine, dit que les Colombs cognoissent le vol de tous oyseaux de proyë, & que quand ils advisent ceux qui prennent leur proyë en volant, qu’ils s’arrestent tout coy : mais si c’est de ceux qui prennent leur proyë à terre qu’ils s’en volent incontinent : & autres plusieurs passages, desquels Pline prend son argument d’entrer en propos de parler de cest oyseau, ou il dit que l’oyseau nommé Tinunculus deffend les Pigeons des oyseaux de proyë, & que pour ceste occasion il y ha grande alliance d’amitié entre eux. Nous trouvons difficulté en ce qui est escrit en Columelle, ou il nomme un oyseau Miliaris. Et Miliaris en Latin, est le mesme oyseau, qui en Grec est nommé Cenchris, qui signifie en Françoys, comme qui diroit de la millere : mais nous en parlerons d’avantage au chapitre du Proyer. Ceux qui ont pensé que la Linote est Miliaris, nous semblent estre trompez : car Columelle entend que Miliaris est de grande corpulence, & qu’on lengressoit avec de la graine de Mil à Romme, comme aussi les Cailles, pour les vendre plus chairement. Ceste Cresserelle fait jusques à six petits. On les voit souvent desnicher de quelque haulte tour des villes, ou bien en un creux de chesne sur les orees des bois. Il y ha difference entre le masle & la femelle : car le masle est plus cendré dessus le dos, & la femelle y est plus tachee de noir. Touts deux sont fauves, ou cendrez, madrez de diverses taches noires, & sont presque de la corpulence d’un Mouchet, ayants le bec, les yeux, & la teste de mesme. Les grosses pennes de ses aelles sont communement noires, ayants la queuë moult longue, au bout de laquelle y ha une tache noire en travers. Ses jambes sont asses haultaines, jaulnes, qui n’ont point de tablettes larges, sinon joignant la joincture du pied, & sur les quatre doigts. Aristote parlant de cest oyseau ha monstré qu’il avoit regardé son anatomië interieure : ou il nous fait entendre que son jesier est lasche & large, qui ne ressemble rien qu’à un autre boyau : Car ou les autres l’ont dur & calleux, cestuy l’ha mol comme chair. Les Italiens luy ont donné un nom deshonneste Foutivento : car prenant sa pasture elle se tient en l’aer, ne se bougeant d’une place, ou il semble qu’elle endorme les Souris : toutesfois elle s’y tient à celle fin, que regardant soigneusement le moyen de les prendre à son ayse, elle descende dessus à la despourveuë.

De la grande Pie griesche, que les oyseleurs nomment la blanche.
CHAP. XXIII.


IL y ha deux especes de petits oyseaux de proyë, qui n’ont gueres plus de charnure qu’un Merle, desquels l’un est plus grand, l’autre est plus petit, mais au reste si semblables, qu’ils n’ont difference qu’en la grandeur. Qui vouldroit considerer l’appellation vulgaire de cest oyseau, penseroit qu’on deust entendre que ce fust quelque Pie estrange, venuë du païs de Grece : mais la raison en est autre : c’est que les Françoys voyants cest oyseau assez commun par tout en leurs contrees, ayant les taches blanches par les costez comme une Pie, & ne luy ayants trouvé nom mieux à propos, l’on nommé Pie griesche. Les Italiens le nomment Falconello, comme s’ils disoyent Fauconnette. Aussi est il du nombre des oyseaux de rapine. Celuy qui prendroit le loisir d’en leurrer, le trouveroit de grande entreprinse, & n’estre de moindre courage, que celuy d’un bon Faucon. Aussi est il de si hautain & hardy courage, qu’il ose entreprendre combatre un Merle, & le manger. Ceste grande Pie griesche ha la teste assez grossette & large, ayant grande intervalle entre les deux yeux. Son bec est dur, noir, & grosset, quelque peu recroché par le bout, & ha grande ouverture de bouche. Les pennes de dessus le dos commençants dessus la teste, & suyvants dessus le col jusques à la queuë, sont grises & si finement deliees, qu’il semble que ce soit du poil. Il est blanc par dessous la gorge : mais entre le blanc de la gorge, & le gris de dessus la teste, il ha une ligne de plumes noires, qui commencent des le bec, & de lá suyvant, vont finir celle part, ou commence le col. Il est tout blanc par dessous le ventre, & la queuë. Ses aelles seroyent toutes noires, n’estoit qu’elles sont distinguees d’une ligne blanche par le dessous, qui luy occupe petite portion de la plume. Sa queuë est moult longue, qui luy surpasse la longueur des aelles, tout ainsi comme en une Pie, en laquelle n’y ha que deux plumes, qui soyent noires dedens le milieu de la queuë. Car les quatre de chasque costé sont blanches par les bouts, croissants par degrez. Qui luy estend sa queuë en largeur, voit comme un croissant imprimé dedens. Et estants les plumes blanches à la racine & aux deux costez de la queuë, est noire par dessus. Ses jambes, & pieds sont noirs, munis de bons ongles crochus. Elle fait son nid de mousse, laine, & herbe à coston, dont l’enfonceure est faicte de bruyere, & l’induit par le dedens de quelques verges deliëes, comme de foin, de rameau, de chien-dent : dens lequel lon trouve six petits retirants si mal au pere & mere, qu’à peine portent une seule merque commune, excepté le bec, les jambes, & pieds. Aussi ont ils toutes les racines des plumes, qui sont encores en tuyaux tirantes sur la couleur verde. Elle ha cela de particulier, qu’on ne la voit guere brancher sur jour, sinon sur la summité d’un arbre, ou d’un buisson, ou si ce n’est en Autonne, on l’oit chanter quelque voix de divers tons : mais en hyver elle fait une voix seule, comme quand lon oit japper un Chien de bien loing, ou une Cheveche qui appelle l’autre. Elle crie assez aigrement, comme qui diroit Houïn ouïn, & le reïtereroit souvent. lá ou Aristote ha dit, Collurio avicula similis est Meralae, nisi quod magnitudine sit Pardali, Mollicipitis, atque aliarum ejusmodi : il ha entendu de ceste Pie griesche. Parquoy aucuns autres considerants qu’il estoit oyseau de proyë, l’ont nommé Avem venaticam, ou Merulam venaticam. Merulis affine genus (dit Aelian) quoddam est venaticum, colore nigrum, splendide canorum, recte ex eovenaticum appelatum, quod ex avibus multas sui cantus permulsione ad se allicit & capit, quod si quando captam illam concluseris in cavea, muta permanet, atque elinguis. Et de vray ceste Pie griesche estant en cage ne sonne mot en façon quelconques. Et si Aristote dit, Collurio similis est Merulae, ce n’est à dire qu’il entende que Collurio soit noir : car il adjouste, Ut in Merularum genere alia nigra tota est, alia vero candida : ita & suum habent colorem Coeruleus, Chlorion, Molliceps, & Pardalus.

De la petite Pie griesche.
CHAP. XXV.


LON peut sçavoir qu’il y ha deux maniëres de Pies griesches : l’une est plus grande, l’autre de moindre corsage. Toutes deux font leurs nids de mesme façon. Tant les peres que les petits font mesme voix en criant. Et n’estoit qu’avons eslevé les petits de l’un, & de l’autre jusques à parfaicte grandeur, nous n’eussions peu bonnement sçavoir, qu’il y eust eu si grande affinité en leur espece. La difference qui est es petits de l’un & de l’autre, est que ceux de de la plus grande, ont la teste moult grosse, & grande ouverture du bec, & que leur couleur n’est si fauve & madree, comme celle de la petite : Et aussi que suyvant les merques des pennes, ont ja le ventre blanc, comme aussi les extremitez des plumes des bouts des aelles, & de la queuë. Mais ceste petite Pie griesche esleve encor plus grand nombre de petits que la grande, jusques au nombre de huit, quelque fois six, & la grande n’en ha communement que quatre, cinq, ou six pour le plus, lesquels lon congnoist estre differents des autres, pource que toutes les deux apparoissent quasi verds avant qu’ils ayent beaucoup de plumes. Et quand ils sont ja parvenus à leur juste grandeur, ne sont gueres plus grands qu’un Cochevis, & sont grivelez dessus l’eschine, ayants les plumes fauves bordees de noir, à la maniëre des Cresserelles, & le pennage des aelles de mesme façon. Aussi ont une tache noire en chasque costé des temples, qui leur couvre les pertuïs des ouyës, & trois poils de barbe en chasque costé du bec, qui est coché à la maniëre des oiseaux de proyë. Ces Pies griesches empongnent leur viande en la mangeant avec le pied eslevé en s’appuyant de la jambe dessus la perche : & lá ou elles auront peur de quelque chose, font un cry d’effray, & remuants leur queuë de costé & d’autre, la tiennent beaucoup haulsee. Ceste Pie griesche delivre les terres labourables des Mulots & Souris. Elle se tient penduë en l’aer en la maniëre des Cresserelles, mais non si hault, & s’assied souvent sur les chardons : car ayant failly sa proyë, se repose sur la premiere tige d’herbe qu’elle trouve lá.

Du Milan Royal.
CHAP. XXVI.


TOUT ainsi que les Françoys cognoissent deux especes de Milans, l’un nommé le Milan Royal, l’autre le Milan noir : Semblablement Aristote en ha escrit deux especes au sixiesme chapitre du sixiesme livre de la nature des animaux, les nommants en son langage, Ictini, & les Latins Milvi. Maintenant les Grecs qui ont changé leurs noms anciens, les nomment Licadouria. Le Royal n’ha aucun surnom ne en Latin, ne en Grec : mais le noir est surnommé Aetolius. Ce Royal est ainsi appellé, pource qu’on en fait un moult plaisant vol pour le Sacre : qui est communement dedié pour l’esbatement, & plaisir des grands Seigneurs, & est ja venu que telle distinction du Milan Royal au noir, est cogneuë d’un chascun. Le Milan noir est oyseau de passage. Le Royal est quelque peu plus noir, & est beaucoup plus commun. Pline au X. livre de l’hist. naturelle, X. chap. l’ha mis au nombre des oyseaux de proyë, ce que n’ha fait Aristote. Pline au mesme lieu dit, qu’il est nostre enseigneur de sçavoir gouverner les bateaux, nous monstrant au ciel, comme il faut faire en l’eau. Aussi dit qu’il demeure caché en hyver apres les Irondelles, & qu’au temps du Solstice il devient malade de la Podagre. Ce Milan est coustumier de se tenir l’esté assez hault en volant. Parquoy les grands seigneurs, qui veullent avoir plaisir de son vol, le font combatre au Sacre, & pour le faire descendre font tousjours porter un Duc sur le poing d’un fauconnier, à qui ils pendent une queuë de regnard au pied, & le laissants voler en quelque plaine, donne soubdainement vouloir au Milan de descendre : Car quand le Milan avisera le Duc, incontinent descendra à terre, & se tiendra joignant luy, ne luy demandant autre chose sinon que de le regarder. Alors on lasche les Sacres sur luy : mais se sentant leger, espere le gaigner à voler. Parquoy il monte soudainement contremont en tournoyant : car comme il est oyseau leger, & de foible nature, monte tousjours le plus hault qu’il peut, & lá le combat est plaisant à voir, principalement si c’est sur plaine sans arbres, & que le temps soit clair & sans vent. On les voirra, & Sacre & Milan monter si hault, qu’on les perd tous deux de veuë. Mais rien ne luy sert : car les Sacres le rendent vaincu, l’amenants contre terre à force de coups qu’ils luy donnent par dessus. Lors qu’il fait si grand chauld au cœur d’esté que toutes choses bruslent d’ardeur, & que nul oiseau ne peut durer s’il n’est en l’ombre, ne prend lon point de merveille de voir les Milans si hault en l’aer à l’effort en plain midy, qu’on les perd quasi de veuë ? Ne doit on point penser qu’ils sont en un chauld intolerable ? Nous bruslons ça bas, s’il n’y ha quelque petite halene de vent qui nous refraichisse. A cela fault respondre, qu’il n’y ha umbre si fresche ça bas, qu’est celle ou ils se tiennent lá hault à aelles desployees : ains disons en oultre, qu’ils ne s’y pourroyent tenir long temps pour la grande froidure qu’ils y trouvent, tellement qu’ils y pourroyent geler de froid, s’ils s’y tenoyent longue espace de temps. Soyent pour exemple les summitez des treshaultes montaignes, d’Olympe, d’Atos, d’Ida, & autres telles haultes montaignes situëes en païs fort chauld, ou toutesfois la neige demeure sur le coupet tout l’esté sans se fondre, à cause du grand froid qu’il y fait, attendu qu’elles parviennent jusques à la moyenne region de l’aer. Et pour n’aller si loing que dirons nous des montaignes d’Auvergne, de Suisse, de Piedmont, & Savoye ? Chascun ne sçait il pas que passants les monts dessusdicts aux plus chaulds jours d’esté, lon ha grand peur pour le froid qu’il y fait sur le hault faiste ? Parquoy les Milans se trouvants lá hault en celle fraischeur, demeurent tout le jour evitants la chaleur du midy, dont ne descendent jusques au vespre. Aristote ha escrit au sixiesme chapitre du sixiesme livre de la nature des animaux, que le Milan Royal ne fait le plus souvent que deux petits, ou bien ne passe point le troisiesme : mais que l’Etolien, c’est à dire le Milan noir, en fait quasi tousjours quatre. Les paisants l’ont nommé autrement : car de son cry l’on dit Huo : les autres prononcent Huau : d’autres le nomment aussi un Escoufle. Il fait moult grand dommage sur les Poulsins par les villages. Si est-ce qu’en quelque païs il delivre de charonne. Il est deffendu sur peine de grosse amende, de luy faire aucune violence. Cela font ils en Angleterre, comme encor dirons des Corbeaux. Les Turcs qui vivent à Constantinoble prennent souvent plaisir à leur jecter des morceaux de poumon de beuf, ou autre chair bien hault en l’aer : Car les Milans descendent de roideur, & empongnent la chair avec leurs griffes avant qu’elle soit retumbee en terre.

Du Milan noir.
CHAP. XXVII.


ILl n’y ha chose qui puisse mieux monstrer que le Milan noir est autre que le Royal, que de le voir de diverses meurs, & estre de nature differente : car ou lon trouve escrit, Colore spectantur eruginoso, & nonnunquam atro : Cela fault entendre en diverses especes, comme aussi Aristote au sixiesme livre De natura animalium, chapitre sixiesme en ha nommement fait distinction particuliëre, ou il dit : Sed qui Aetolius nuncupatur, vel quaternos aliquando excludit : Voulant par ce donner à entendre que de son temps les Grecs en cognoissoyent de deux sortes. Nous avons cogneu par ces Milans noirs, que les oyseaux de rapine en default d’autre viande, peuvent aussi vivre de fruicts. Cela dy-je pour confirmer l’authorité d’Aristote qui l’avoit des-ja dit : Car estants en Egypte en autonne, auvons sceu qu’ils s’y retirent en hyver, & y sont si privez qu’ils n’ont gueres peur des gents. Aussi les avons veu manger les dattes sur les palmiers, & venir jusques sur les fenestres des maisons du Caire. Ils sont plus tardifs à s’en venir en France que les Royaux, comme aussi s’en retournent plustost que les autres. Nous estions sur la fin du mois d’Avril au rivage du Pont Euxin, du costé de Thrace, sur la plus haulte coline, joignant celle columne droicte, qui est sur la bouche du Bosphore, sur laquelle y avoit un oyseleur qui avoit tendu pour prendre les Esperviers, qui venoyent de devers le costé dextre de la mer, alors observasmes que les Milans venoyent à la fille en si grande compagnies qu’en avons prins grand merveille. Et ne pouvons imaginer ou si grand nombre trouvera lieu à se pourveoir de vivre : car s’il en eust passé durant quinze jours autant qu’il en passa ce jour la, auserions dire qu’ils seroyent en plus grand nombre que touts les hommes vivants sur la terre. Aussi est-ce grand cas de les voir passer aussi espaiz que Formis, & continuër beaucoup de jours. Ce Milan noir est aussi bien volé pour le Sacre, comme le Royal : & donne plus d’affaire aux oyseaux : car il est plus agile, & de moindre corpulence.

Du Coqu.
CHAP. XXVIII.

LA similitude qui est entre le Coqu & les oyseaux de proyë, est cause que l’ayons mis en ce lieu avant parler des oyseaux de nuict. Les Grecs qui anciennement nommoyent le Coqu Coccix, le nomment maintenant De cocto. Les Latins l’ont nommé Cuculus, & les Françoys Coqu, qui est cause de son cry. Nature ha monstré en son endroit qu’elle est soigneuse de son ouvrage : Car comme le Coqu ne pond qu’un œuf, & lequel il pouvoit bien mettre au nid d’un Serin, Tarin, Pinsson, ou autre animal, qui abesche ses petits de grain, toutesfois elle ha voulu luy chercher le nid d’un oyseau decent à sa nourriture, luy enseignant qu’il failloit qu’il le mist en celuy d’un oyseau qui nourrist ses petits de verms, & principalement d’une Fauvette, qui estoit anciennement nommee Curruca. Il ha esté aussi veu pondre au nid d’une Allouëtte contre terre, & au nid d’un Coulomb Ramiër, & au nid d’un Verdiër. Si nature eust permis que le Coqu eust mis son œuf dedens le nid d’un plus petit oyseau que luy, elle eust esté injuste si elle eust fait, qu’il eust ponnu plusieurs œufs : car luy qui est de grosse corpulence, estant repeu par un si petit oyseau comme est la Fauvette, fust mort de faim, si le pere & la mere n’eussent fourny à la mangeaille. Mais comme les pere & mere pouvoyent bien fournir à une quantité de petits, aussi pourront bien satisfaire à la nourriture d’un seul, ou deux Coqus, encores qu’ils mangent par jour autant de viandes, qu’eussent peu faire leurs six petits oysillons. Le Coqu est bon à manger, principalement quand il est petit : car autrement lon n’en fait grand estime. Il est quasi de la grandeur d’un Espervier : mais il n’ha les jambes & les cuisses si longues, & aussi il n’ha son bec si crochu, ne si fort. Le Coqu ha les jambes pattuës, c’est à sçavoir qu’il y ha des plumes attachees par le dehors, qui luy couvrent les jambes jusques dessus les pieds, qui sont de telle nature qu’il ha deux doigts derriere, & deux devant, & desquels ceux de la partië du dehors sont les plus grands, comme es Pics-verds. Aristote l’ha assez diligemment examiné, & descrit au septiesme chapitre du sixiesme livre des animaux, disant que le peuple de son temps estimoit, que le Coqu fut engendré d’un oyseau de proye : pour ce (dit il) qu’il est moult semblable à un oyseau de proyë. Mais de quel oyseau il ait voulu entendre, il est difficile de le sçavoir, n’estoit que nous voulussions dire que c’est de l’Espervier : car mesmement le Coqu est semblable à un Espervier, sinon que l’Espervier ha ses taches blanches par longues lignes, mais le Coqu ha les taches rondes comme poincts tels que le Lanier. Aristote avoit aussi entendu ses couleurs, quand au mesme lieu il dit : Cuculus neque aduncis unguibus est, ut Accipiter, neque capite Accipitri similis, sed ex utraque parte Columbum potius quam Accipitrem repraesentat : nec alio, quam colore imitatur Accipitrem, nisi quod Accipiter maculis distinguitur, seu lineis, Cuculus velut punctis. Magnitudo atque volatus similis Accipitrum minimo, qni magna ex parte per id tempus non cernitur quo Cuculus apparet : nam vel ambo una visi aliquando sunt. Nous trouvons une equivoque en nostre langue, qu’on ha faicte du Coqu, quasi conforme à ce qu’on lit en Aristote. Cuculus (dit il) ex Accipitre fieri immutata figura a nonnullis putatur : quoniam quo tempore is apparet, Accipiter ille cui similis est, non aspicitur : or Accipiter signifie aussi bien le Faucon, que l’Espervier. Parquoy ceux qui dient que le Faucon est le pere du Coqu, conviennent en partië avec ce qu’ils disoyent anciennement Cuculum ex Accipitre fieri, toutesfois ils n’y entendoyent aucun equivoque.

Des dix especes d’oyseaux, qui volent la nuict.
CHAP. XXIX.


IL est mal aysé qu’on puisse rendre raison, pourquoy nature feit, que quelques oyseaux voleroyent la nuict, & ne bougeroyent le jour, sinon qu’en comparaison d’eux, lon en die comme des bestes à quatre pieds : car nous voyons quelques animaux sauvages se paistre la nuict, & demeurer le jour en une place, qui toutesfois voyent plus clair le jour que la nuict. L’experience en est es Rats, Cerfs, Regnards, Loups, Lievres, & quasi toutes maniëres de Serpents iceux sentants le jour finer, partent les uns de leurs creux, les autres de leurs formes, les autres de leurs bauges, & se reposants quelques heures de la nuict, se remettent encor au pourchas vers le poinct du jour. Le semblable est des oyseaux de nuict, esquels lon trouve enseignes, qui monstrent que nature les ha favorisez plus que les bestes terrestres, leurs donnant de moult gros yeux à fleur de teste, bien umbrez de touts costez, ayants choses correspondentes aux sourcilles, tellement qu’oultre que la prunelle de leurs yeux est propre à cest effet, est bien garnië de ses couleurs. Aussi ont encor autres umbrures vers les ouïes, qu’ils peuvent haulser & abaisser, & qui les fait clerement veoir la nuict. Toutesfois ils ne sont en pourchas sinon au soir, & matin, chose que Aristote ha des-ja approuvee disant au trente-quatriesme chapitre du neufiesme livre, Noctus, Cicuniae, & reliqua, quoe interdiu nequeunt cernere noctu venando cibum sibi acquirunt. Verum non tot a nocte id faciunt, sed vespertino, & matutino, etc. Qui prendra garde à leur veuë, trouvera qu’elle n’est si imbecille le jour comme lon crie. Et qui s’enfermera la nuict avec l’oyseau le plus clair voyant de touts ceux qui seront nombreux cy apres, le mettant en une chambre, ou il n’y ait aucune clarté, en sorte que le lieu soit totalement obscur, & aille vers l’oyseau, trouvera qu’il ne voit rien luy mesme. C’est une prouve facile à essayer, pour monstrer que ou il fait extreme obscurité, ne les oyseaux, ne les animaux de nuict ne voyent aucunement. Pour oyseaux de nuict entendons ceux que les Latins nomment Nocturnas aves, & que les Grecs de terme general nomment Glaucopis, qui est à cause de leurs yeux qui sont de couleur veronne, c’est à dire ce que les Latins ont nommé Caesius color, telle qu’on estimoit estre es yeux de Minerve, & Neptune, & qu’on nomme es chevaux d’oeil veron, & en Italien bais ou bayez. Nous cognoissons cinq especes de tels oyseaux assez vulgaires : Sçavoir est, le grand Duc, & le petit, & un autre qu’on nomme une Hulote, & la Cheveche, & le Hibou : mais les anciens nous en ont signifié encor plusieurs autres, dont en avons mis un entre les oyseaux de proyë, au chapitre de l’Ossifragus. Encor mettons le Corbeau de nuict, que les Grecs nomment Nicticorax, & Aegotilas que les Latins nomment Caprimulgus, comme aussi Rupex, ou Charadrias. Capriceps aussi est oyseaux de nuict : qui (à nostre jugement) est celuy que les anciens ont comprins en ceste espece. Theodore en Aristote au troisiesme chapitre du livre huittiesme des animaux, disoit en ceste maniere : Nocturnarum etiam nonnullae aduncis sunt unguibus, ut Cicunia, Noctua, Bubo. Il ha traduit Cicunia pour la diction Greque Nicticorax : & pour la diction Greque Glaux, Noctua : & pour Byas, Bubo. Encor au mesme lieu dit Aristote : Species similis Noctuae Bubo est, sed magnitudine non minor quam Aquila. Item Aluco, Ulula, Asio. Theodore ha mis en Latin Aluco, pour la diction Greque Eleos : & Ulula, pour Aegolios : & Asio, pour Scops. Il est manifeste que Aristote aux livres des animaux ha fait mention de dix oyseaux qui volent la nuict : car il y ha Nicticorax, Glaux, Byas, Eleos, Aegolios, Scops, Phinis, Otus, Aegotilax, Charadrios. Arist. au lieu que dessus, dit : Aluco major Gallinaceo est, Ulula compar. Picas utrique venantur. Asio minor quam Noctua est. Haec tria simili specie constant, & carne vivunt. Or avoit il des-ja dit, Bubo magnitudine non minor quam Aquila : & s’il disoit par apres, Asio ou Eleos major Gallinaceo est, il ne seroit aucune distinction de la grandeur entre Bubo & Aluco : Car quasi autant vauldroit qu’il les feist de mesme corpulence disant que l’un est plus grand qu’un Coq, & l’autre n’est moindre qu’une Aigle. Pline escrivant le trente-septiesme chapitre de son unziesme livre, ha dit en ceste maniere, Pennatorum animalium Buboni tantum, & Oto, plumae velut aures, caeteris cavernae ad audiendum. Simili modo squamigeris, atque Serpentibus. Et de vray il n’y ha que les oyseaux de nuict qui semblent avoir aureilles. Pline traduisant Aristote ne l’a pas ensuivy en cecy : car parlant des oyseaux au douziesme chapitre du dixiesme livre, il n’en nomme que bien peu. Uncos ungues & nocturnae aves habent (dit il) ut Noctuae, Bubo, Utulae. Omnium horum hebeter interdiu oculi. Parquoy il est manifeste qu’il ha prins cela d’Aristote : & toutesfois Gaza ne l’ha ensuivy en sa traduction : mais ha usé des pures dictions prinses du vulgaire Italien, ou des paisants de son païs. Reste maintenant à parler d’un chascun en particulier, commençant par le Duc, le plus grand entre les autres.

De nostre grand Duc.
CHAP. XXX.


GRANDE est la difficulté de bien rendre l’appellation Greque & Latine au grand Duc : car quand on lit en Pline au sixiesme chapitre du vingt & neufiesme livre, ce qu’il ha escrit des fiels : Felle recenti Asionis, etc. Puis ou il dit, Noctuarum id est genus maximum, cui pluma aurium modo emicat : Cela fait que ne trouvions difficulté que ne le peussions bien appeller Asio : Joint qu’Aristote aussi au 3. chap. du 8. livre, ha dit : Species similis Noctuae Byas est, sed magnitudine nom minor que Aquila. Mais quand on lit en mesme endroit d’Aristote, ou il fait difference entre Asio & Bubo, il faut avoir recours aux appellations Greques : car des-ja ha esté dit que Theodore ha traduit Asio pour la diction Greque Scops, & pour Byas, Bubo. Mais ou Pline s’expose, au vingt & trosiesme chapitre du dixiesme livre disant, Otis Bubone minor est, Noctuis major, auribus plumeis eminentibus, unde nomen illi. Quidam Latine Asionem vocant : Il semble n’estre ferme en l’opinion premiere, joint qu’il avoit prins tels mots du texte d’Aristote. Comment qu’il en aille ne laisserons à d’escrire nostre Duc, tel que nous l’avons. On le nomme un Duc en Françoys, possible quasi comme s’il estoit conducteur de quelques oyseaux, quand ils partent pour s’en aller en estrange païs : Car Aristote confermant ceste opinion, ha escrit au douziesme chapitre du huittiesme livre des animaux : Cum hinc abeunt Coturnices, ducibus Lingulaca, Oto, & Matrice proficiscumtur. Theodore tournant Aristote, met tousjours Asio pour Scops. Mais faut entendre qu’on trouve Scops estre des deux maniëres : sçavoir est majeur & mineur : & aussi que Scops n’est ce que Aristote nomme Otus, & Asio. Pline au 49. chap. du 10. livre dit ces mots. Nominatur ab Homero Scopes avium genus. Neq;uesharum satyricos motus cum insident plerisques memoratos facile conceperim mete, etc. Par tels mouvements satyriques il entend les gestes que font les Bouffons : car nous voyons les Chahuants faire gestes folastres, en remuant tout le corps, & la teste diversement, la tournant ça & lá, & en les regardant franchement font encores plus laide grimace qu’un Bouffon. Tout cela print Pline d’Aristote, au huittiesme livre de l’histoire des animaux, chapitre douziesme, qui disoit, Otus Noctuae similis est pinnulis circiter aures eminentibus praeditus, unde nomen accepit, quasi auritum dicas. Nonnulli Ululam eum appellant, alij Asionem. Blattero hic est, & hallucinator, & planipes. Saltantes enim imitatur. Voila donc que Pline nomme Satyricos motus. Apres le Duc le plus grand des oyseaux de nuict est le petit Duc : mais il est esgal en grandeur au Chahuant : & apres le Chahuant, la Cheveche : apres la Cheveche est la Hulote : & puis l’Effraye, qui est moindre que la Cheveche. Estant donc l’art de fauconnerie venuë à ce point en nostre France, que les grands seigneurs y prennent le principal passetemps en temps de paix : Aussi faut par consequent qu’ils y facent grande despense. Le plus plaisant vol, est celuy du Milan. Mais sçachant que le Milan ne viendroit ça bas sans Duc, il est necessaire que celuy qui veult voler pour Milan, face porter un Duc, qui est la cause qu’on le voit sur le poing des fauconniers es plaines de France. Il est tout arresté que sans cela on n’en voirroit aucuns, d’autant qu’ils hantent tant seulement en païs de montaigne, ou ils font leur aire, quelques fois dedens les rochers, ou bien es pertuïs des haultes tours. Quand les fauconniërs font en plaine campagne avec leurs Sacres, & Faucons, ayants advisé le Milan, ils laissent soudain voler leur Duc, auquel ils ont attaché une queuë de Regnard. Le Duc s’en vole à fleur de terre assez loing, & lá demeure dedens un champ sans se brancher sur arbre. Or puis-que le Milan ne fait rien de mal au Hibou, sinon que se tenir pres de luy, n’y ha il pas occasion de demander qui est la cause qui fait amuser le Milan à le regarder ? Lon ne trouvera autre raison que celle qu’Aristote ha enseigné parlant des oysillons, qui s’amusent à contempler la Cheveche, esmerveillez de sa forme, qui sont attentifs à la regarder. Il y en ha qui pensent qu’ils ont naturellement inimitié, pource que les oyseaux mengent les oysillons la nuict : mais ceste raison n’est suffisante : car touts oyseaux de rapine font le mesme, qui toutesfois sont aussi leurs ennemis. Ce grand Duc est de la grandeur d’une Aigle, & moult roux, merqueté de diverses taches noirastres. Sa queuë est courte tellement que ses aelles l’outrepassent. Il y ha difficulté à nommer les plumes, qui luy apparoissent des deux costez : car lon trouve que ou nous disons Cornes, les anciens autheurs les ont nommees Aureilles. Ceste consideration ha esmeu encor plus grande confusion en leurs escrits : Car il est advenu que l’Ostarde ha esté confonduë avec le Duc, d’autant que touts deux ont esté nommez Otides Mais quant à ceste difficulté, nous en avons amplement disputé en parlant de l’Ostarde, sçachants que l’Ostarde n’ha point de telles aureilles. Parquoy est necessaire voir le chapitre de l’Ostarde pour avoir meilleure resolution du Duc, d’autant qu’il y ha choses à ce propos qu’on pourra repeter.

Du moyen Duc, ou Hibou cornu.
CHAP. XXXI.


NOUS avons cognoissance de trois oyseaux portants plumes eslevees en maniëre de cornes, & deux qui n’en ont point, lesquels sont aucunement frequents en toutes contrees de nostre France, mais en divers lieux : Car mesmement le moyen Duc, dont parlerons maintenant, ne se tient gueres par les plaines. Nous l’avons surnommé Hibou, ou Chahuant cornu, à la difference de celuy qui n’en ha point. Il est beaucoup plus grand qu’une Cheveche, & Hulote. Lon en trouve plusieurs en Auvergne, differents en espece à touts les autres susdicts. Nous le descrirons par le menu, à fin de faire entendre quel oyseau c’est : Car avec ce qu’il n’est rien moindre qu’un Hibou, aussi ha les gestes de mesme, & quasi tels mouvements satyriques. Ses ouyës ont l’ouverture encor plus grande que nul autre oyseau qu’on cognoisse. Le bec est noir, & croche : & fort bons ongles. Ses pieds & jambes sont couvertes de plumes jusques dessus les ongles : & sa couleur differente à touts autres oyseaux de nuict : car comme le grand Duc ha la couleur plus rousse, & la Cheveche, Hibou, & Hulote apparoissent plus blancheastres, cestuy cy tire plus sur le fauve, & sur le noir, ayant les plumes plus madrees que celles des oyseaux de proyë, & la coronne quasi telle que celle des Hibous, mais la couleur est autre. Il ne se faut esmerveiller si Aristote ha nommé quelques Oyseaux de nuict Otides, & en Latin Auritas, c’est à dire ayants aureilles : car veritablement touts oyseaux de nuict ont quelque cavité à l’endroit de leurs ouïes qui sont les plus esmerveillables merques qu’on puisse observer es oyseaux. Et d’autant qu’ils avoient à voler de nuict, nature leur umbra les yeux, qu’ils ont moult grands & noirs par le meillieu, & jaunes tout ha l’environ : Car s’ils voyent la nuict il est à presupposer qu’elle leur ha donné choses conformes à cest effect : mais qu’on attribuë ce qu’ils en peuvent avoir à la couleur interiëure : Car aussi est il manifeste qu’ils peuvent bien voir de jour, & lá ou le lieu est si obscur qu’il n’y entre aucune clarté, on les trouve aveugles. Parquoy estants au sauvage, ne volent pas toute nuict, mais seulement le soir, & le matin, n’estoit que le temps les empeschast. Une chose est trouvee estrange en ce Hibou, c’est que l’avons trouvé sur jour en une plaine de Cilicie caché entre les plantes d’Ambrosia, & toutesfois n’y avoit aucun arbre à quatre lieuës à la ronde. Mais ce moyen Duc, & aussi le plus grand, vivent communement en païs de montaigne, au contraire de la Hulote, & Cheveche, qui se tiennent communement par les plaines. Quand cestuy cy est rencontré de quelque oyseau, ou animal qui le veulle assaillir, il se deffend de ses griffes & du bec, & fait un grand sifflet à la maniëre des Chats. Les cornes de ce petit Duc luy procedent de quatre ou cinq plumettes qu’il ha en chasque costé sur le sommet de la teste, qui sont rousses par les orees, & noires par le milieu, & merquees de quelque peu de blancheur. Il est fort bien bourru de plumes, & vole legerement. Qui luy haulse l’aelle, la voit plus blanchastre, & principalement environ les pliz. Sa queuë & longuette, en egalle longueur à ses aelles, qui est madree à la façon de celles des oyseaux de proyë : comme aussi les madrures des plumes de dessous son ventre sont telles, que la couleur noire tient le long de la coste en la plume : mais les orees sont tachees de blanchastre & de fauve, autrement que le dessus du dos, ou les griveleures sont fort menuës.

Du Hibou sans cornes, ou Chahuant.
CHAP. XXXII.


DES-JA ha esté dit que les oyseaux de nuict, qui nous sont les plus communs, sont Ducs, grands, moyens, & petits, Cheveches, Hulotes, & Hibous : mais le Hibou est encor le mieux cogneu, entant qu’il est plus commun. Il est plus grand que la Cheveche & la Hulote, mais est plus petit que les deux Ducs. Tous ces oyseaux ont cela de particuliër, qu’ils ciglent des yeux amenants la paupiëre de dessus à celle d’embas, comme aussi font touts oyseaux de rapine. Le Hibou, & Cheveche n’ont point de cornes ou aureilles, comme le grand Duc, & le petit, & la Hulote : mais ont comme une coronne de plumes, qui leur entourne le devant de la teste, sçavoir est dessus les yeux, comme si c’estoyent sourcils eslevez hault, & leur prennent par les costez de la teste, & par dessous la gorge, comme si c’estoit un collier. Le Hibou ha les yeux enfoncez leans moult profonds, gros, & noirs. Tout le devant, & le dessous du ventre est blanc merqué de quelque peu de taches noires : & le bec blanc, & les ongles croches. Ses jambes sont blanches, couvertes de plumes : mais les pieds sont seulement pelus. Aussi ha le dos plombé, moucheté de taches blanches, estant moult bien garny de plumes, qui le font apparoistre gros quasi comme un Chapon, & toutesfois n’a chair pour une petite Poulle. Ses aelles sont bien grandes, & qui passent outre sa queuë, & quand il vole, il ne fait aucun bruit. Mais nature ha fait cela, voulant qu’il peust aller si bellement, que volant de nuict il n’espouventast point sa proyë. Il prend les Souris comme un Chat, dont il en tient son appellation Françoyse. Car on le nomme aussi un Chahuant, d’autant qu’il crie la nuict en huant, & huer est un mot Françoys, qui signifie appeller hault. Les Hibous, ou Chahuants entre les especes des oyseaux de nuict, font beaucoup de mines de la teste, qui est ce qu’Aristote au douziesme chapitre du huittiesme livre des animaux, ha dit Saltantes imitari, c’est à dire, faire les gestes des danseurs. Mais Pline au douziesme livre de l’histoire naturelle, chapitre quarente-neufiesme, en parlant de Scops, pour Saltantes imitari, ha dit Satyricos motus : Nominantur ab Homere (dit il) Scopes avium genus : naque harum Satyricos motus cum insident plerisque memoratos facile conceprim mente : neque ipsae iam aves nascuntur : Aristote l’ha nommé en Grec Eleos : les Italiens le dient vulgairement Aluco, qui est diction dont Gaza ha usé escrivant en Latin. Si le Hibou ha prins un oysillon, une Souris, ou un Rat, il l’avalle tout entiër, mais il rend sa cure en sorte, qu’avant qu’il se remette à manger autre chose, il revomist les plumes, & les os, tout ainsi que l’Alcion rend les arestes des petits poissons. C’est merveille tant il ha le gosiër large : car il avalle les morceaux aussi gros qu’un œuf. Si le Hibou est assailly, ou pressé de se deffendre, il se met à la renverse, & se defend avec les ongles, & griffes : comme aussi font les autres oyseaux de nuict. Ce que Pline ha noté au chapitre des Cheveches. Le Hibou vole de travers, comme fait le Heron. Mais il y ha deux especes de Hibous, dont le petit est plus rare à voir, combien qu’on le puisse bien ouïr la nuict, & faire peur aux hommes timides, & qui est celuy qu’on nomme une Fresaye, ou Effraye, de laquelle sera parlé par cy apres.

Des deux maniëres de Cheveches.
CHAP. XXXIII.


IL y ha deux maniëres de Cheveches, toutes deux differentes au Hibou tant cornu, que sans cornes, & à la Hulote : L’une est petite, l’autre est plus grande, qui est moult commune, & cogneuë d’un chascun. La grande est de moindre corpulence qu’un Hibou, mais plus grande que la Hulote. La petite n’est de si grande corpulence que la Hulote. Elles ont une particuliere merque qu’on ne doit laisser en arriere, c’est que leurs jambes sont pattuës, & leurs pieds pelus, & aussi que les doigts sont mipartis : car elles ont deux ongles derriere, & deux devant. Leur queuë n’est guere longue, & sont totalement tachees de blanc, & gris, ayants la teste fort grosse, & les yeux fort grands, qui sont noirs au milieu, & jaulnes tout à l’entour, c’est à dire en celle partië que les Latins appellent Iris, en loeil. Aussi ont le dessus de la teste quasi comme encavé ; mais telle merque provient des plumes, qui sont ainsi ordonnees.

De la Huette, ou Hulote.
CHAP. XXXIIII.


HUETTE, & Hulote sont dictions Françoyses, donnees pour exprimer une espece d’oyseau nocturne moult commun en noz contrees. Il advient souventesfois qu’une vulgaire diction Françoyse enseigne grandement à trouver l’antique appellation de quelque animal, & ayde beaucoup à en avoir la cognoissance : mais toutesfois faut diligemment considerer, si cela luy est bien attribué. Est il possible qu’on sçache mieux exprimer l’oyseau que les Latins ont nommé Ulula, par une diction Françoyse, que de la nommer une Huette, ou Hulote ? Plusieurs la nomment aussi un petit Duc : car elle n’ha aucune merque differente au grand, & moyen Duc, sinon en la grandeur de corsage, & quelque peu en couleur. Il n’y ha point d’oyseau de nuict qui soit de moindre corpulence que cestuy cy. Touts oyseaux de nuict ont bigarreures en leurs plumes, toutesfois cestuy cy les ha plus frequentes que les autres : Car toutes ses plumes grises, sont semees de plusieurs taches blanches sur ses aelles, sa queuë & autres parties du corps. Mais sur tout le bout des aesles est merqueté de taches noires. Elle ha les jambes peluës, & est en ce differente de la Cheveche, qu’il n’y ha aucun poil dessus les doigts de ses pieds. La Hulote n’a que deux orteilz devant, & deux derriere, comme aussi ont tous autres oyseaux nocturnes : & le bec de la mesme façon. Ses yeux sont jaulnes, & luisants. Lors que parlions du grand Duc, nous avons fait entendre qu’Aristote le nomme Byas, qui est à dire Bubo. Mais pource que plusieurs noms conviennent à un seul animal, il s’engendre confusion en leurs especes, si on ne les sçait bien distinguer, comme aussi avons fait mention de celuy qu’Aristote nomme Scops.

De l’Effraye, ou Fresaye.
CHAP. XXXV.


OULTRE les susdits oyseaux de nuict, encor y en ha un autre ja cogneu d’un chascun : car il n’y ha celuy en toute nostre nation, qui ne sçache que l’oyseau de cry effrayant, qu’on oit crier la nuict en volant, ne soit nommé une Effraye ou Fresaye. Mais qu’on garde que l’affinité du nom d’Orfraye prins pour Fresaye ne trompe : car c’est un autre oyseau. Et par ce qu’il est de cry espouventable, chascun en ha peur, aumoins ceux qui sont subjects à avoir peur de l’umbre des esprits. C’est la raison pourquoy il ha esté nommé Strix, comme qui diroit en ceste langue oyseau sorcier. Il nous est advis que c’est luy, que les Grecs ont nommé Aegotilas, qu’on ha traduit en Latin Caprimulgus : & que Pline au quatriesme chapitre de son dixiesme livre nomme Furem nocturnum. Aristote racompte chose estrange de son meffait, c’est qu’il vole la nuit dedens les estables pour succer le laict des tetines des Chevres, d’autant qu’il ne voit goute sur jour : & par ce cherche sa pasture la nuit. Aussi est-ce de lá, dont il est nommé en Grec Aegotilas. Il semble que c’est de cestuy, dont Ovide ha parlé au sixiesme livre des Fastes : Strix, lequel nomme Strix. Nocte volant (dit il) puerosque petunt nutricis egentes, Et vitiant cunis corpora rapta suis. Carpere dicuntur lactentia viscera rostro : Et plenum poto sanguine guttur habent. Est illis Strigibus nomen : sed nominis huius Causa, quod horrenda stridere nocte solent. Nous pretendons parler de l’oyseau de nuit, que nous oyons de cry si effrayant, & qui est de si horrible voix. Lon peut asseurer qu’il est espece particuliere differente à touts autres oyseaux de nuit. Ses yeux sont ronds & moult petits, chose en luy digne d’estre regardee à deux fois, sçachant que les autres oyseaux de nuit les ont egarouillez, & excessifs en grandeur Il est de corpulence beaucoup moindre qu’un Hibou, portant mesmes madrures sur ses plumes : toutesfois il est d’autre couleur, sçavoir est quelque peu plus noirastre, moucheté de plombé, principalement sur le bout des aelles, & de la queuë. Ses jambes & pieds sont couvertes de plumes, ayants bons ongles voultez, agus, & noirs, ainsi ordonnez comme est dit des Chatshuants. Sa teste & son bec monstrent incontinent manifeste distinction : d’autant qu’il est plus droit, aprochant de celuy d’un Corbeau, & au demeurant porte telle ouverture d’aureilles sur les ouïes, comme ha esté dit des autres oyseaux de nuit. Si d’aventure cestuy qu’avons descrit, n’estoit l’Aegotilas d’Aristote, Fur nocturnus de Pline, & Strix d’Ovide, au moins sera il tousjours advoué pour l’Effraye ou Frezaye des Françoys, lequel pourrons monstrer estre d’espece differente, tel qu’encor maintenant gardons salé, conservé avec ses plumes. Aristote dit que Aegotilas fait sa demeure en Grece par les montagnes : toutesfois nostre Effraye est aussi trouvee en noz plaines, faisant son nid es pertuïs des vieilles tours, & des rochers precipiteux : comme aussi es creux des chesnes. La courtoisie de Monseigneur de Vieille ville, du païs d’Anjou, tresprudent & sage, gentil homme de la chambre du Roy, Chevalier de son ordre, & son lieutenant à Mets, ha esté moyen de nous faire recouvrer ceux desquels avons fait retirer les portraicts : Car peres & petits nous ont esté apportez en vie, prins es prochaines forests des contrees de Mets, lors qu’il nous y employa pour servir en l’estat de nostre profession.

Du Corbeau de nuit, nommé en Grec & Latin Nicticorax.
CHAP. XXXVI.


CE MOT Grec Nicticorax, ha esté tourné par Theodore en Aristote, au troisiesme chapitre du huittiesme livre des bestes, en ceste maniëre. Nocturnarum etiam nonnullae aduncis unguibus sunt, ut Cicunia, Noctua, Bubo. Car il met Cicunia en Latin, pour le Grec Nicticorax : & toutesfois Nicticorax signifie Coruus nocturnus, comme qui diroit en François Corbeau de nuit. Lon ne trouve Cicunia en aucun autre autheur Latin : parquoy se seroit autant dire Cornus nocturnus pour Nicticorax, que de prononcer Cicunia : veu mesmement que Pline, qui l’avoit peu lire en Aristote, n’ha onc usé de telle diction Latine Cicunia, ains ha dit Cornus nocturnus. Comme aussi est à presupposer qu’Aristote ha mis le Nicticorax comme pour oyseaux de nuit, tel, possible, que le grand Duc. Certains autheurs veulent que Asio & Nicticorax, soyent une mesme chose. Et Strabo qui estoit de Crete, est contraire en opinion à Solin, qui escrit, qu’il n’y ha aucun oyseau nocturne, vivant en Grete. Mais Strabo dit que Nicticorax n’est pas semblable en touts lieux. En nostre païs (dit il, entendant de Crete) il est egal en grandeur à une Aigle, & crie hault : mais en Egypte est seulement grand comme un Grole, ou Graye, & crie diversement. Des-ja ha esté qu’il y ha moult grande affinité de l’Ossifragus, aux oyseaux de nuit. Aussi ce Nicticorax est de ceste affinité. Aucuns qui ont parlé de cest oyseau, l’ont entremeslé avec Otus, qui est interpreté Duc, non pas Ostarde, comme plusieurs ont pensé. Parquoy advouons librement n’avoir onc rencontré oyseau que peussions penser Nicticorax, nom plus que le Faucon de nuit, qui sera descrit au suyvant chapitre.

Du Chalcis, ou Faucon de nuit.
CHAP. XXXVII.


RESTE encor à parler d’un oyseau de nuit, duquel Aristote ha fait mention, & dont n’eussions rien escrit, n’eust esté qu’il nous ha semblé estre insigne, & qu’apres avoir parlé du Corbeau de nuict, il y avoit lieu pour traicter de cestui-cy. Nous traduirons à peu pres ce qu’Aristote en ha escrit au douziesme chapitre du neufiesme livre de l’histoire. Chalcis (dit il) n’approist gueres le jour : car il ne voit pas bien cler, parquoy il vole la nuict. Il mene si aspre guerre à l’Aigle, que touts deux se combatants tombent souvent en terre liez ensemble, de sorte que les pasteurs les prennent en vie, separants l’un oyseau de lautre. Il fait son nid es rochers caverneux, & pond deux œufs, & n’apparoist gueres aux hommes : car il habite par les montagnes, estant de couleur noire, de la grandeur de Palumbarius Accipiter, c’est à dire d’un oyseau de proyë (que nous interpretons un Faucon) mais est de forme longue, & gresle. Ceux de Jonië le nomment Cymindis, & duquel Homere ha fait mention en son Iliade, disant : Chalcida dij perhibent, homines dixere Cymindem. Encor dit qu’il est aussi nommé Ptynx. Il y en ha aucuns qui advouënt, que Phinis & Chalcis, est un mesme oyseau. Cela, ou choses semblables ha escrit Aristote. Mais pource que Pline l’a nommé Accipiter nocturnus, & qu’il en ha traduit ce qu’on en lit au huittiesme chapitre de son dixiesme livre, prenant le passage d’Aristote ja allegué, mettrons cy ses mots Latins. Accipiter nocturnus (dit il) Cymindis vocatur. Rarus etiam in sylvis, interdiu minus cernens. Bellum internecinum gerit cum Aquila, cohaerentesque saepe praehenduntur. De touts oyseaux de rapine, qu’avons observé, n’en avons onc osé soupçonner aucun pour Chalcis, Cymindis, Ptynx, ou Accipiter nocturnus, hors-mi celuy qu’avons nommé l’oyseau saint Martin, qui ha esté ja d’escrit apres le Pygargus : car il tire à la couleur noire enfumee, excepté la racine du dessus de la queuë, qui est blanche. Comme aussi ce qui nous ha induit d’en soupçonner d’avantage, est qu’il vole communement sur le clorre de la nuit, & sur le poindre du jour approchant à ce qu’il fauldroit pour estre Accipiter nocturnus : joinct qu’estant de corpulence d’un Tiercelet de Faucon, porte un collier dessous la gorge, de plumes ainsi ordonnees, comme celles d’un Hibou. Parquoy en cas que cestuy ne soit Cymindis, ne luy sçavons aucun nom ancien, ne penser quel de noz oyseaux est Cymindis.

D’un autre oyseau de nuit, & de ceux que les Daulphinois nommment Harpens.
CHAP. XXXVIII.


QUELQUESfois avons esté empeschez de l’appellation de certains oyseaux solitaires, qu’on voit seulement frequenter es lieux inaccessibles des haultes montagnes du Daulphiné, & au territoire de Briançonnois, faisants leurs nids es ouvertures dedens les rochers, ou les Boucs-estains se tiennnent communement, dix ou douze pieds en avant, que les habitants nomment Harpens. Et nous desirants leur trouver quelque nom ancien, lisants ce qu’Aristote avoit escrit du Charadrios, eussions maintenu les Harpens estre Charadrij, n’eust esté qu’il les descrit entre les oyseaux palustres. Nous en faisons mention en cest endroit, à cause qu’il dit au neufiesme livre des animaux, chapitre unziesme : Charadrios noctu apparet, die aufugit : toutesfois ha esté assez d’en faire briefve mention entre les oyseaux de nuit, remettants à en dire davantage, lors que parlerons des oyseaux palustres. Et quant aux Harpens, encor ne leur sçavons aucun nom ancien. Monsieur Jan Choul Lionnois bailly des montagnes du Daulphiné, homme curieux des excellents ouvrages de nature, nous ha quelques fois fait sçavoir qu’il en avoit des vivants, qu’il nourrissoit en cage, que les paisans de son bailliage luy avoyent apportez. Desquels esperons voir les portraicts, avec infiniës autres singularitez qu’il ha, ja long temps ha, recouvertes à grands fraix, & indefatigable diligence : comme aussi une sienne singuliëre bonté de nature, communiquant ce qu’il ha d’exquis à ses amis, nous ha obligez de ne le taire.

De la Sourichauve.
CHAP. XXXIX.


LONG temps ha qu’on ha mis en doute, à sçavoir si la Sourichauve devoit estre mise au nombre des oyseaux, ou au reng des animaux terrestres. Parquoy ayants trouvé lieu à propos entre noz oyseaux de nuit, nous ha semblé bon ne passer oultre sans en faire quelque petit discours : car la voyant voler, & avoir aelles, l’avons advouee oyseau. Pline ayant traduit, ce qu’il en ha escrit, d’Aristote, & Aristote aussi, ont fait entendre qu’ls n’ont ignoré qu’elle alaicte ses petits des deux mammelles de sa poictrine, qui sont en elle, comme en l’homme. Aussi au livre premier de l’histoire, chapitre premier, il la nombre entre les bestes qui ont deux pieds. Et nous, qui en avons observé quelque chose, adjousterons ce qu’en avons trouvé. Les Grecs l’ont nommee Nicteris, & les Latins, Vespertilio : mais pour l’affinité que luy voyons avec une Souris, l’avons nommee Chauvesouris. Sa principale pasture est de mousches : combien qu’elle mange aussi la chair pendente au plancher, & la chandelle, & telles autres choses grasses, se ressentant quelque chose de la nature des Souris. C’est ce en quoy elle est differente aux oyseaux : car elle n’ha bec ne plumes, mais participe des deux. Elle ha dents, & la langue à delivre. Aussi ha machouëres, & leüres, & est couverte de poil. Les autheurs en font de diverses especes, nommants l’une d’Assyrie, qu’ils dient estre de plus grande corpulence, que la nostre. Dient aussi qu’il y en ha d’autres, qui vivent es confins des paluds d’Arabie, qui donnent empeschement aux habitants de cueillir la Casse. Mais pource que ne les avons veuës, n’en dirons autre chose. Et si bien la Chauvesouris se repaist de nuict, toutesfois elle ne vole le long de la nuict, mais seulement le soir & le matin. Et cherchant l’obscurité à se cacher sur jour, se contient en diverses maniëres, selon les païs ou elle doit vivre : car en païs de montaigne elle se tient entre les gros rocs, ou bien en une cave. Celles qui se logent en la grande Pyramide d’Egypte, portent la queuë longue comme font les Souris, & rendent les crotes aussi dures, & de mesme façon. Nous arrivasmes en liste de Crete au temps qu’elles avoyent leurs petits, & estants entrez dedens une perriere, que le vulgaire appelle de faux nom, le Labyrinthe, qui est situee entre les ruines de Gnosos & de Gortina, en laquelle on peut aller sans torche, en trouvasmes si grand nombre leans, qu’a peine pouvions porter nos torches allumees, tant elles volent autour de la lumiëre en grand troupe. Mais plus grande nouveauté nous fut, de les voir attachees au Roc, ou elles se tenoyent penduës par deux petits crochets qui sont en leurs aelles, qui est une merque que nous ne trouvons point en celles de deça. Chacune fait deux petits, & ne se trouvent jamais passer ce nombre, & le plus souvent n’en ont qu’un seul : car nature ne leur ha octroyé que deux mammelles. Chose que sçavons pour en avoir tranché une vingtaine des pregnantes, & pour avoir veu leurs anatomiës, que maintenons estre comme celle d’une Souris. Ceste Chauvesouris porte ses petits en la matrice envelopez de leurs arrieres fais. Elle ne fait aucun nid, & lors qu’elle rend ses petits, ne se tient appuyee contre aucune chose. Mais se pend par les pieds & par les crochets de ses aelles & demourant penduë est renversee, & tient ses petits sur sa poictrine les allaictant comme un animal terrestre. Et au bout d’un jour ou deux, les pend par les crochets de leurs aelles, à fin qu’ils demeurent lá, pendant qu’elle va au pourchas de sa pasture. Mais puis qu’elle les rend envelopez de leur arriere fais, il est necessaire qu’elle ait l’industrie de les desnuer avec les dents, & les separer da’vec le nombril. N’est-ce donc pas grande benignité de la sagesse de nature en l’endroit des animaux, que les amusant à rendre leurs petits, & les detenant quelques jours sans leur donner loisir de pourchasser leur pasture, lors qu’ils ont plus grand affaire de nourriture pour les alaicter, ha sceu prevoir à ce qu’ils ont default ? Ce qu’elle leur ha apprins à manger leurs arrieres fais, ou secondines, est à fin qu’elles e’en nourrissent deux ou trois jours, pendant le temps qu’ils sont amusez à faire leur gesines. Mais celles de ce païs cy, & autre d’Europe, que nature ha desnuez de crochets, se tiennent es fendaces des poultres, ou des soliveaux, ou elles eslevent leurs petits en autre maniëre. Lon ne trouve point que les Chauvesouris emportent leurs petits en volant. L’exemple est en plus de quatre mil dedens la pierriere de Crete, qui toutes les avoyent laissez pendus, dont n’y en eut pas une qui bougeast son petit pour nostre arrivee. Les Chauvesouris sont quasi aussi noires que Rats, ayants les aureilles beaucoup grandes, dont y en ha qui en ont quatre. Toutes les ont noires, comme aussi sont les prunelles de leurs yeux. Elles ont le bec bien grand, les naseaux à la maniëre d’un Veau, & les maschouëtes entournees de poil long, & noir, bien garniës de dents jusques au nombre de trente & quatre, desquelles dixhuit sont en la maschouëre denbas, & seize en celle d’en hault. Les dents sont rondes, & longuettes, & entre autres y en ha deux dessus, & deux dessous à la maniëre des canines, chose qui n’advient aux Rats, & Souris. Sa langue est longue comme celle des animaux qui vivent de chair. La voix qu’elle fait en criant, est claire & plus aëree, que d’une Souris. Ses aelles sont faictes de membranes qui ne contiennent point de sang, & luy commençants depuis l’espaule, leurs prennent tout le long des aelles : & entournent les jambes, qui ont quatre articulations, dont se servent au lieu de pieds, tant de devant que derriere. Elles ont cinq doigts en chasque pied, assez bien munis dongles crochus, ayants une paulme ouverte es pieds de derriere, ressemblant à une main. Leur queuë est toute entournee de membranes, au moins en Europe : car elle passe oultre en celles d’Afrique. Au reste les autres partiës interieures conviennent totalement avec celles d’une Souris.

FIN DU SECOND LIVRE.

LE TROISIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX VIVANTS LE LONG DES RIVIERES, aynants le pied plat, nommez en Latin Palmipedes aves : avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel. Par Pierre Belon du Mans. A PARIS, Chez Guillaume Cavellat, devant le college de Cambray à l’enseigne de la Poulle grasse. 1555. Avec privilege du Roy.

AU ROY.


SIRE, voulants descrire les oyseaux de riviere, & trouvants que nostre maniëre de parler Francoys ne peut exprimer naïfvement la diction Latine Palmipes, l’avons dicte par circunlocution de pied plat, comme aussi pour Avis aquatica, ou Palustris, oyseau de riviere & marais : entre lesquels seront comprins, tant ceux d’eau douce que salee. Parquoy pour oyseau de pied plat, voulons estre entendu de ceux qui hantent les eaux de mer, des fleuves, & estangs, & qui scavent nager par dessus l’eau. Le Cygne est un des plus grands d’entre eux, puis le Pelican, autrement nommé Libane, & en Latin Onocrotalus. Aussi y mettrons les Oyes, le Biëvre, les Canards, & Canes. Les Plongeons de mer, & de riviere, y seront comprins sous diverses especes, & les Sarcelles, Caniards, Mouëttes, Grisards, Piëttes, Tardones, & tels autres. Touts lesquels pource qu’ils ne se veautrent en la poudre, comme les terrestres, & que se sentants offensez de la vermine, nettoyent leurs plumes avecques de l’eau, ont esté nommez Lotrices aves, à la difference des terrestres, qu’on ha appellez Pulveratrices.

LE TROISIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX DE RIVIERE,

qui ont le pied plat, & nagent sur les eaux, avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel.

Du Cygne.
CHAPITRE PREMIER.

LE CYGNE est diction venuë des Grecs : car les Latins dient Olor. Entre les oyseaux de riviere le Cygne est de plus grande corpulence, comme des terrestres est l’Autruche. Et pource qu’il est cogneu d’un chascun, n’est ja besoing le descrire par le menu. Le proverbe du vulgaire, enseigne qu’il est tout blanc, d’autant qu’on dit estre blanc comme un Cygne. Son bec, ses jambes, & pieds sont noirs. Son bec seroit semblable à celuy d’une Oye, n’estoit qu’il est quelque peu plus rond, & noirastre, & recroché contrebas par le bout, ayant une bute noire par le dessus, qui touche la teste. Les deux costez des temples au dessous des yeux sont noirs, comme est du cuïr poly. Aristote sçachant que le Cygne est oyseau cogneu d’un chascun nous ha laissé peu de merques à le bien sçavoir discerner, sinon qu’il ha seulement dit en l’histoire des animaux, que les Cygnes sont oyseaux de pied plat, vivants environ les lacs, & palus, & qu’ils ne sont ignorants des bonnes meurs, & bonne maniëre de vivre, & de bien conserver & nourrir leurs petits, & se nourrir en vieillesse : & que si l’Aigle les assaut, ils se defendent tellement qu’ils ne sont superieurs, qui toutesfois ne se combatent jamais s’ils ne sont premiërement assaillis. Aristote donne assez à entendre qu’il en ha beaucoup escrit par le rapport des mariniërs : car au douziesme chapitre, du neufiesme livre des animaux, escrivant que les Cygnes chantent quand ils veulent mourir, il ne le dit pas pour les avoir ouys : Ils s’en volent bien avant en la mer (dit il) & y ha quelques uns quui ont navigué en la mer d’Afrique, qui nous ont rapporté en avoir veu plusieurs chantants de voix lamentable. Et combien qu’Aristote n’ait totalement descrit le Cygne, ce n’est pas qu’il ne l’ait bien veu & consideré par le menu jusques à en avoir descrit son anatomië interiëure en ceste sorte. Appendices quasdam habet Olor, paruas infra apud intestinum. Cela nous signifie que pour avoir l’intelligence plus certaine de la difference des animaux, ne se faut desdaigner de leurs regarder les entrailles. Tous oyseaux ont naturellement deux intestins, que les medecins ont nommé Caeci, qui accompagnent le droit boyau de costé & d’autre, & qui commencent depuis que celuy, que les Latins nomment Ileon, finit. Il n’y ha oyseau qui n’ait lesdicts intestins les uns plus grands, les autres plus petits. l’interprete d’Aristote les appelle Appendices : mais les poyssons, qui n’en ont certain nombre, les ont tousjours sur l’endroit de la caillette, & sont nommez Apophyses. Nature ha baillé les jambes moult courtes à touts oyseaux qui nagent sur l’eau, mais ont les pieds larges. Et les Cygnes ayants à vivre sur les marais, ont les cols longs pour arriver bien bas au fond de l’eau, car ils se paissent des fanges qui sont au fond, qui est la raison que les Hebreux l’ont jugé oyseau immonde, c’est à dire, mal net. Nous voyons que les Cygnes ont baillé plusieurs occasions aux Poëtes de faindre leurs fables, & dont les peintres suyvants l’invention des Poëtes ont ja remply beaucoup de tableaux de belles peintures, & principalement de Laeda, qui estoit femme de Tyndarus Roy de Laconye : Et Jupiter estant amoureux d’elle, se transmua en Cygne pour en jouïr : dont advint qu’elle enfanta deux œufs, l’un fist esclore Poulux & Helene, de l’autre naquirent Castor & Clitenestra. Ovide l’a ainsi declare en ses epistres. Dat mihi Laoda Jouem Cygno decepta parentem. Les Cygnes sont oyseaux exquis es delices Françoyses : car l’on ha acoustumé de les nourrir es douves des chasteaux situëz en l’eau. Lon n’a gueres coustume de les manger, si non es festins publiques, ou es maisons des grands Seigneurs.

Du Pelican.
CHAP. II.


APRES le Cygne il n’est oyseau de riviere en nostre cognoissance, de si grande corpulence que celuy que les Grecs ont nommé Pelecanes, & les Latins Onocratalus ou Platalea. Ce Pelican est si semblable au Cygne, qu’il n’y ha difference entre eux, fors qu’on luy voit comme un grand sac de cuïr par dessous la gorge, ou lon pourroit bien mettre une quarte de liqueur, & duquel les pescheurs d’Egypte se servent sur le Nil en lieu d’autre vaisseau pour tenir l’eau en leur nasselle. Car c’est une matiëre moult resemblante à du cuïr, qui ne se corrompt en l’eau. La partië du bec qui est attachee à la machouëre par dessous, luy sert de manche, par laquelle on ha accoustumé le tenir pour s’en servir. Il est à presuposer que ceux qui ont nommé la Pale ou Cueillier du nom de Poche, ont prins argument de cestui Onocrotalus : car ce seroit mal à propos le nommer Poche : veu qu’il ha un sac sous la gorge de si grande estendue. Il ne seroit different au Cygne n’estoit que le susdit sac en fait difference, & aussi qu’il ha des plumes longues par le derriere de la teste, qui luy font une hure, tenant quelque chose d’une creste telle que dirons en l’oyseau, que les Françoys nomment un Biëvre, ou prouverons que le Biëvre est comparé en forme à l’Onocrotalus. Et à fin qu’on entende de quel oyseau voulons parler, nous le descrirons selon que l’avons observé, l’ayant veu vif à Rhodes, à Salonici, & sur les rivieres du Nil, & de Strimone, & sur la mer Mediterranee, & au Propontide, & aussi sa peau remplie de bourre penduë aux portaux des maisons & places publiques en plusieurs lieux d’Alemaigne & Boheme. Quelques pourvoyeurs & chaircuitiers Françoys (comme dit est) nomment aussi les Pales de nom Poches, mais c’est improprement. Encores y a quelques uns qui nomment ce Pelican Livane, de diction qui est trouvee commune en la bouche du peuple de Brabant & Henaut. Un oyseau de corpulence d’un Cygne, à ce qu’on nous ha raporté, fut pris en vie au païs de Flandre, & presenté à l’Empereur Charles cinqiesme de ce nom, ayant la gorge si grande qu’on y pouvoit aysement mettre le pied dedens, & duquel ayant veu la peincture, l’avons recognuë estre Onocrotalus. Parquoy ne sçavons de quelle occasion le nomma Libane. Les Flaments le nommoyent en leu langue Vokel vonetne, qui signifie oyseau de l’Etna. Mais delaissant ces dictions, reprendrons à son ancienne appellation. Combien qu’elle soit Greque, toutesfois les Latins l’ont gardee entiëre Onocrotalus sans la tourner, qui leur signifie autant que qui diroit le brayëment d’un asne. Possible que ce sont eux que Festus ancien autheur ha nommé en Latin Truones. Plusieurs sçachants que Onocrotalus prend son appellation de son cry, comme qui diroit, Asmi rugitum, ont pensé que ce fust le Butor : mais nous monstrerons en autre chapitre parlant des Herons, que c’est bien autre chose, n’estoit que voulussions ensuyvre l’opinion de quelques autheurs qui en ont constitué deux especes, l’une aquatique, l’autre terrestre. Onos en Grec est à dire Asne, & Crotalos, signifie bruit, quasi comme si c’estoit cest oyseau qui fait le bruit que nous entendons des Butors en esté en noz marais de France. Mais sçachant que chascun observe telle voix, & toutesfois peut voir des Pelicans, doit penser tel nom luy estre mal attribué, luy donnant ce qui est deu au Butor. L’appellation Françoyse du Pelican est venuë commune à cause des saincts escrits : parquoy chacun en ha entendu quelque chose, tant par les peinctures qu’on en fait, que par ce qu’on en parle à touts propos. Quand le Serpent ha tué les petits du Pelican, qui fait son nid contre terre, les peres en pleurent, & se batants la poictrine se font sortir du sang, dont les petits retournent à vie. Ce pelican estant de grosse corpulence & oyseau palustre, amasse des buchettes au rivage de quelque lac ou riviëre, & la fait autant d’œufs que le Cygne, & nourrit ses petits en la mesme maniëre : parquoy est facile que le Serpent face oultrage aux petits en l’absence des peres. Ce que les Latins nomment Platea, Platalea, ou Onocrotalus, Aristote aussi au huittiesme livre, douziesme chapitre de la nature des animaux, le nomme Pelecanes. Tous lesquels noms sont Synonimes signifiants une mesme chose. Les Pelicans sont oyseaux si communs en la riviëre Strimone, que quand passions par dessus les ponts, & parvenus sur les Collines, voyons les lacs blanchir pour la grande quantité qui s’y nourrissent en esté, comme aussi font en Aegypte en temps d’hyver. Laquelle chose avons ja cottee es discours de noz voyages. L’oyseau que nous appellons une Pale, & qui ha le bec comme une cueillier, n’est pas Pelecanes. Car nous voyons quelle ne peut nager sur l’eau, non plus que le Heron, pour ce qu’elle n’ha le pied plat. Combien que Pline au chapitre quarente-septiesme du dixiesme livre face mention de l’Onocrotalus, lequel il dit, resembler à un Cygne, & qu’il ait aussi fait distincte mention du Pelican, toutesfois il appert par ses paroles, qu’il veult entendre d’un mesme oyseau, qui peut bien nager sur l’eau. Aristote au dixiesme chapitre du neufiesme livre, escrivant de cest oyseau vouloit entendre que les Pelicans se nourrissent sur les rivieres, & aussi qu’ils volent aux plongeons de mer, quand ils les voyent sortir hors de l’eau, les prenants par la teste en les mordant, à fin que les Plongeons leur rendent leur proyë. Ce passage nous sert à prouver qu’il n’est aucun animal de double vie ayant poulmon & prenant sa pasture en l’eau, qui la puisse avaller leans : car si les Plongeons la pouvoyent avaller en l’eau, ils la mangeroyent avant sortir hors, sçachants que les Pelicans la leur osteront, s’ils ne fuyent : mais leur convenant la venir avaller en l’aer sont destroussez des Pelicans. Possible que les poissons Cetacees, tels que nous nommons l’Oyë de mer, c’est à dire le Daulphin, & Phocana, c’est à dire le Marsouin, Prister, c’est à dire le Chauderon, Orcha, c’est à dire L’ondre & la Balene, & autres de double vie, comme est le Veau de mer qu’on nomme aussi Loup de mer, la Loutre, le Bievre, le Rat d’eau, la Tortuë, & toutes sortes d’oyseaux qui se plongent en l’eau, ne aussi la Grenouille, & les Serpents ne peuvent avaller ce qu’ils prennent en l’eau, s’ils ne se viennent monstrer en l’aer, ou bien y ont prins leur proyë : car si les Plongeons, dont y en ha beaucoup de sortes, pouvoyent avaller leur viande lá bas, ils ne sortiroyent hors pour se mettre en danger d’estre pillez des Pelicans. Si Moyses autheur Hebrieu ha dit en l’unziesme chapitre du Levitique, que le Cygne & Onocrotalus estoyent oyseaux immondes, & deffendus aux Juifs de n’en manger, faut penser qu’il avoit eu cognoissance de touts les deux, & non sans cause : Car ils sont frequents par les lacs de toute Egypte & Judee. Et de fait, lors que passions par la plaine de Rama, qui n’est qu’à demië journee de Hierusalem, nous les voyons passer deux à deux comme Cygnes, volants assez bas par dessus noz testes : combien qu’on les voye aussi voler en grosse troupe comme les Cygnes. Ce qui ha souventesfois fait que Pline ha mis une mesme chose sous divers noms en divers chapitres est, qu’ils les ha prins de divers autheurs Grecs. Et par ainsi au chapitre de Platea, il escrit de mot à mot, tout ce qu’Aristote en avoit dit. Or est-ce que nature luy ha baillé un sac de cuïr sous la gorge tenant à son bec pour y mettre des grosses coquilles fermees, qu’il trouve en la mer : mais estants dedens ledit Sac, & sentants la chaleur, se separent & s’ouvrent. C’est ce qu’Aristote & Pline ont dit que quand le Pelican s’est remply de Conches, & se sont ouvertes à la chaleur, il les revomist, & eslisant le bon d’avec le mauvais, mange la chair du poysson laissant les escailles. Pline dit aussi au chapitre de Onocrotalus que c’est un oyseau si semblable au Cygne, qu’il n’est different sinon qu’il ha un second ventre dessous la gorge de moult grande capacité, dedens lequel il met tout ce qu’il ha trouvé, & peu à peu apres l’avoir cuit, le rapportant à la bouche, le renvoye dedens le vray ventre à la maniëre d’un animal ruminant, & que tels oyseaux se tronvent en la Gaulle septentrionale. Cela ou choses semblables disoit Pline, & toutesfois lon pense que Plutarque ha attribué ceste merque au Heron. Lon ha remerché qu’en certaine faison de l’annee il y en ha au lac de Mantouë, & d’Orbetelo pres des Maremmes de la ville de Sienne, ou les habitants le nomment Agrotti. Albert le grand eut bien cognoissance de cest oyseau, mais possible qu’il ignora son nom ancien : le voulant maintenir pour Ossifragus, qui toutesfois est un autre, dont avons ja par cy devant parlé. Il y ha quelque apparence de soubsonner que cestuy cy est une mesme chose, que ceux, qu’on appelle autrement Diomedeas aves, & Juba Catharactas, qui ont les yeux de couleur de feu, ayants aussi le bec garni de dents, & reste du corps blanc comme des Cygnes. Solin autheur Latin en ha aussi parlé : mais il n’en ha rien dit qu’il ne l’ait prins de Pline, ou Aristote. Et pource qu’avons trouvé un passage difficile en Solin sur cecy, nous y sommes retardez pour l’exposer, formaque fulicis, dit il, color candidus : toutesfois trouvons qu’il nentend par cela, que Fulica est oyseau de couleur blanche, mais que cest oyseau Onocrotalus est de couleur blanche, ayant la forme de Fulica. Or pour retourner à Diomedeas aves, trouvons que ce n’est chose moult nouvelle, de voir un bec d’oyseau dentelé. Car les Canes, les Oyes, les Cygnes, comme aussi cest oyseau Onocrotalus, & autres plusieurs de riviere, l’ont dentelé par les bords. Ovide trouvant l’appellation de ces oyseaux en doute, feit des vers à ce propos. Si volucrum quae sit dubiorum forma, requiris : Ut non Cygnorum, sic albis proxima Cygnis, Magna pedis digitos pars occupat, oraque cornu Indur ata rigent, sinemque in acumine ponunt. Les autheurs font difference de l’oyseau nommé Catharacta & Catharracta avec deux rr, mais il nous en souviendra en toucher encores un petit mot en parlant du Cormarant. Donc ce Pelican entant qu’il est oyseau palustre, & se paist de mesme viande que le Cygne, & fait son nid contre terre, tout ainsi comme le Cygne, il vit principalement en lieux mareschageux tant de mer que d’eau douce. Par ainsi faut juger sa chair estre de mesme temperature, & en aliment pareil comme est celle des Oyes & Canes.

De l’Oye privee.
CHAP. III.


S’IL y ha difference entre l’Oye privee, & la sauvage, c’est si peu qu’il ne se peut quasi cognoistre. La privee ha prins son origine du sauvage. Lon en trouve de deux sortes de privee : dont l’une qui est plus franche, est plus grande & de meilleure couleur, & trouvee la plus feconde : l’autre qui retire à l’Oye sauvage, est de moindre corpulence, & aussi de moindre revenu. Les bons mesnagers sachants bien que la nourriture des Oyes est de moult grand profit, en font grande estime, pource qu’elles ne font aucune despence, & pour les avoir meilleures les font choisir de grande corpulence, & de blanche couleur, fuyants celles dont les oysons sont d’autre couleur. Car celles qui ne sont constantes à tenir leur couleur, sont estimee de mauvaise race. Nous ne trouvons que les anciens eussent l’usage ordinaire de se coucher sur la plume. Il est bien vray que Pline au XXII. chap. du X. livre, ha dit qu’on en faisoit des aurilliers, & que pour cela la plume en estoit un second revenu : mais, comme il dit, c’estoit tant seulement pour se mettre dessous la teste. Ce qui nous fait penser que les anciens n’avoyent l’usage de se coucher sur lit de plume, est qu’encor pour le jourd’huy les hommes du levant n’y couchent point, ains sur lodiers de bourre de Chameau, ou de laine, coton, ou summitez des rouseaux. Les Grecs ont nommé l’Oye Ghin, & les Latins Anser. Varro & Columelle, qui ont beaucoup escrit de la chose rustique, ont assez amplement parlé de la maniëre de les faire couver. Aristote ha esté si diligent inquisiteur de la nature des animaux, qu’il s’est voulu empescher à regarder l’anatomië des Oyes, & la descrire. Il ha seulement distingué les Oyes en grande & petite : toutesfois Pline constituë l’une sauvage, l’autre domestique. Sçachant donc que l’Oye est cogneuë d’un chascun, nous n’en ferons autre description. Mais pource que les medecins en ont fait mention, trouvons qu’ils ont desestimé ses œufs & sa chair comme chose excrementeuse, & difficile à digerer, ayants eu esgard que c’est un oyseau palustre. Sa chair est beaucoup humide & visqueuse, toutesfois maintenant que nous sommes venus plus friands qu’ils n’estoyent en ce temps lá, nous ne faisons gueres moindre estime d’une jeune Oye bien ourrie & grasse, & principalement farcie de bonnes drogues, qu’ils faisoyent de leurs Bars, Scares, Mullets. Ils n’ont rien jugé de meilleur en l’Oye que le foye, & l’ont trouvé de bonne digestion. Les Latins n’ont nommé le Jesier Jecur, car c’est le foye, parquoy lá ou nous pensons entendre du foye en ceste diction Jecur, ne l’ont entendu du Jesier. Onc ne fut que la gresse d’Oye n’ait eu louange & vertu pour medecine. Il appert en plusieurs passages des anciens, qu’elle estoit en commun usage es delices des Romains.

De l’Oye sauvage.
CHAP. IIII.


SOIT que nous distinguions l’Oye en grande ou petite, toutesfois il y en ha une qui est tousjours sauvage, l’autre privee. La sauvage ne la Grue ne sont veues en ce païs, sinon en temps d’hyver. Combien que l’Oye soit du nombre des oyseaux qui nagent sur l’eau, toutesfois pource qu’elle n’entend qu’à vivre en ce temps lá, ne hante que les terres labourables pour y trouver pasture, broutant l’herbe de blé, qui luy est de facile digestion. L’Oye sauvage est differente à la privee, car elle ha plusieurs enseignes evidentes qui la distinguent. C’est à bon droit qu’Aristote en la descrivant, la entenduë comme pour la moindre : car aussi est elle de moindre corpulence que la privee. Pline au vingt-deuxiesme chapitre du dixiesme livre la distingue d’avec la privee par ce nom de sauvage, la nommant Ferus anser. Et de fait la principale distinction ne consiste sinon en ce lá. Si voyons qu’elles feissent leurs petits en ce païs, nous acorderions qu’on pourroit bien prendre leurs œufs, & les faire couver aux Oyes privees, ou aux Poulles, & lors les pourroit on apprivoser. L’opinion de ceux qui pensent que les Oyes que nous voyons sauvages, soyent privees en quelques païs, & qu’elles s’en partent l’hyver de lá pour nous venir trouver, & s’en retournent l’esté en leur païs, est facile à confuter. Car nous les voyons si sauvages, qu’il appert qu’elles n’ayent onc esté privees. Une Oye sauvage bien grasse est meilleure à manger, qu’une privee, & est mieux estimee.

De l’Oye Nonnette, autrement nommee un Cravant.
CHAP. V.


IL EST ja venu une commune nouvelle de certains oyseaux nommez Cravants, que le vulgaire estime estre néz de pourriture des mas des navires. Mais ayants veu les oyseaux Cravants pondre & faire des œufs, & esclorre leurs petits : par celle maniëre, avons pensé dire librement nostre avis, que c’est abus de le croire. Et lá ou nous serions trompez de n’avoir cognu les Cravants, sçavoir est que celuy que baillerons maintenant en peinture n’est ce que les autres nomment Cravant, pour le moins est celuy qu’on nomme autrement Oye Nonnette. Car estant de la contenance d’une Oye, semble estre coloree de perspective, comme l’habillement d’une nonnain. Sa corpulence est moindre que d’une Oye, mais plus grande que d’un Canard. Le dessus de sa teste, le long du col par le derriere & par le devant de l’estomach porte les plumes fort noires, mais dessous le bec devant le jargueul jusques à moictié du col, & au dessous des yeux la couleur en est blanche, se rapportant à l’habit des Nonnains qui ont leurs couvrechefs noirs doublez de blanc. Sa queuë est courte & noire : ses aelles, & sur le dos sont de couleur plombee, ayant ainsi les madrures aux deux costez des cuisses, comme l’Oye & la Cane de mer. Estant donc de la forme d’une Oye, & le col long, & la corpulence plus petite, semble estre haut enjambee. Ses pieds sont plats & larges & fort noirs, comme aussi est sa jambe, & son bec & ses yeux : mais le bec est rond & plus court que celuy de l’Oye, & avec sa rondeur est mousse par le bout. Sa maniëre de cheminer, de se nourrir, crier, & faire voix est comme d’une Oye. Et nous cherchants quel nom pouvoit obtenir ceste Oye des anciens, & nayants trouvé aucun autre oyseau qui pust raisonnablement avoir le nom de Vulpanser, avons facilement accordé, qu’elle doit estre nommee Vulpanser, & en Grec Chinalopix. Les anciens le nommerent ainsi, pource que lors qu’elle nourrit ses petits, elle use de finesse de regnard en les faisant eschaper. Chenalopex est diction Greque signifiant Oye regnard. Car quand quelqu’un ha trouvé ses petits, elle vient au secours faisant semblant de se vouloir laisser prendre : l’une fois monstre avoir l’aelle rompuë, l’autre fois la cuisse. Ce pendant ses petits eschappent : alors elle prend son vol & se salve. On la nourrit es cours des grands seigneurs seulement : parquoy n’est encor guere commune par les villes, & villages de France.

Des Canards & Canes.
CHAP. VI.


QUELQUES Grecs ont nommé les Canes Nittae ou Nissae & les Latins Anates. Communement les Canes & autres oyseaux de riviere sont de corpulence moult pesante : parquoy font bruit de leurs aelles en volant. La mesme difference qu’on trouve es Oyes, est aussi veuë es Canes. Car l’on voit manifeste difference du privé au sauvage, tout ainsi comme en l’Oye. Lon ha trouvé des Canes & Canards sauvages aussi gros que le privez, & du tout semblables. Il y en ha une autre sorte qui sont plus petits : car nous voyons à lexperience que quelques fois un gros Canard sauvage pendra à l’estal d’un chaircuïtier aupres d’un privé, qui ne semblera avoir aucune difference, qui toutesfois sera sauvage : & le cognoistra lon different à toute autre sorte pour estre plus petit que le susdit, ayant sa femelle de mesme, & de semblable plumage. Parquoy constituerons maintenant deux sortes de Canes, ne les distinguants en privee & sauvage, mais en grande & petite comme l’Oye. Car nostre Cane privee ha prins son origine de la grande sauvage, comme aussi ha fait la petite, s’il s’en trouvoit de privee. Estants au sauvage tiennent constamment leur couleur, mais advient souvent que leur couleur se muë es privees qui sont quelques fois mi-parties de blanc, autrefois toutes blanches, le plus souvent retiennent toute la couleur du sauvage. Encore y ha plusieurs autres sortes d’oyseaux de riviëre, qui resemblent aux Canes : toutesfois n’y en ha point à qui les plumes de dessus le cropion soyent revirees contremont, qu’aux masles des Canes. Les masles sont tousjours les plus grands. Aristote faisant leur anatomie, au dix-septiesme chapitre du second livre de l’histoire, ha dit que leur gosier est large & ample, & ont des intestins pendus apres de celuy ou se termine le droit boyau. Les oyseaux de riviere comme aussi les Canes sortants de l’eau, s’eslevent incontient contremont pour aller vers le Ciel. Les Canes ont l’industrie de faire leur nid & esclorre leurs petits dedens les arbres, & les apporter avec le bec en l’eau. Les anciens pensants que les Canes du païs de Pont se repaissent de venin, ont donné leur sang contre toutes poysons : & de fait Mithridates, qui n’estoit moins medecin, que Roy, & duquel nous avons ce tant renommé medicament de son nom, faisoit endurcir le sang des Canes, à fin qu’il le peust mieux garder, & le destremper en medecine quand il vouldroit. La chair des Canes est mise en comparaison avec celle de l’Oye, pource que touts deux hantent les rivieres & marais. Or pource que les autres oyseaux de riviere, qui ont le pied plat, de petite corpulence, sont dits estre du genre de Cane, & aussi que les anciens autheurs en ont fait mention de beaucoup de sortes, prendrons chascune à part soy, à fin que en leur rendant leurs noms anciens, les accompagnons avecques les noms Françoys, pour mieux les descrire par le menu. Il n’y ha contree en nostre Europe & Asië, & principalement vers les rivages des eaux, ou les paisants, n’ayent acoustumé de nourrir des Canes & Canards, tout ainsi comme des Oyes, qui est la cause que ne les voulons descrire aucunement, car le portraict nous semble suffire en leur endroict.

Du Cormarant.
CHAP. VII.


LE Cormorant est cogneu en toutes contrees, & est seul entre touts les oyseaux qui ont le pied plat, (hor mis le Biëvre, que descrirons cy apres) qu’on puisse voir se percher sur branche. Il est du nombre de ceux qui font le plongeon, & qui se paissent aussi bien en l’eau salee comme en la douce. Les seigneurs prennent souventesfois plaisir en luy donnant la chasse, principalement entour Venise : car ils choysissent un temps calme, & se mettent sur certains petits bateaux legers, deux ou trois douzaines de compagnie, qu’ils nommment fissoleres voguees à cinq ou six hommes chascune, & estants sur mer, vont comme un carreau d’arbaleste : parquoy ayants entourné le Cormorant, lequel ne pouvant prendre secousse à se darder en l’aer, demeure suffoqué. Car les Seigneurs tenants les arcs à jalets, luy tirent soudain qu’il luy voyent la teste hors de l’eau, & à la fin le rendent si lassé, qu’ils le prennent en plaine mer. Cest un beau spectacle de voir un tel deduit, comme aussi de voir un Cormarant tenant une anguille moyennement grosse. Car l’ayant prinse en l’eau, & luy convenant venir dessus pour l’avaler, faut le plus souvent qu’il la combate longuement avant que d’en venir à bout. Le Cormarant & le Biëvre font de grands dommages sur les estangs de reserve : car ils en mangent le poisson. Ils font leurs nids dessus les arbres, & tiennent leurs perches sur les rives des estangs tant d’eau douce que salee. Chacun lisant Aristote pourra facilement juger qu’il n’y en avoit beaucoup environ les confins d’Athenes : comme il appert par le vingt-quatriesme chapitre du neufiesme livre, parlant des Chouëttes nommees en Grec Coliae, ou il dit. Tertium quod familiare est Lydiae, ac Phrigiae terrae, idemque palmipes est. Nous l’interpretons qu’il y ha plusieurs lacs en Lydië & Phrigië, comme aussi sçavons qu’ils sont frequens au Propontide, & es goulphes de la Montanee & Nicomedië anciennement nommez Astacenus sinus & Nicopolis. Pline nous donne faveur de croire qu’Aristote ha entendu du Cormarant au lieu ja allegué : car il le nomme expressement Phalacrocorax, escrivant le trenteiesme chapitre de l’unzeiesme livre, lequel il met en ceste sorte. Et quaedam animalium naturaliter caluent, sicut Strutiochameli, & Corni aquatici, quibus apud Graecos nomen est inde.

Du Biëvre oyseau.
CHAP.VIII.


BIEVRE est un moult gros oyseau de riviere, & ou il n’y ha gueres moins à manger, qu’en une moyenne Oye sauvage. Nostre vulgaire Françoys le nomme un Biëvre, luy ayant imposé ce nom par accident, d’une beste de double vie semblablement appellee un Biëvre, & en Latin Fiber, & en Grec Castor : car comme la beste, qui ha quatre pieds, entrant en l’eau fait de grands degasts sur le poisson : tout ainsi c’est oyseau, qui se plonge à touts propos, estant en un estang en fait aussi grand deluge comme un Biëvre à quatre pieds. C’est de la qu’il ha esté ainsi nommé. Il y ha bien des autres oyseaux, qui luy sont moult semblables : car le Pelican, qu’avons nagueres descrit, porte quelques merques qui luy sont communes, comme aussi à un autre, qu’on nomme sur la riviere de Loire un Harle. Mais entant que ce Biëvre est different à touts autres oyseaux, nous dirons presentement qu’elles enseignes lon trouve en luy pour le sçavoir distinguer des autres. Il ha le bec long, gresle & dentelé, comme aussi est celuy de la Piette de mer, mais tous deux sont recrochez par le bout. Il ha une creste dessus la nuque, non par dessus le sommet de la teste, comme ont les Paons, Huppes, & Cochevis, mais par le derriere, comme l’Onocrotalus & plusieurs especes de Plongeons. Sa teste, comparant le petit au plus grand, est plus grosse que celle d’une Oye, dont tout le dessus, & jusques à demy le col, est de couleur fauve, comme qui l’auroit peincte d’Ocre de Ruz. Ses yeux ne sont gueres grands. Le dessus de son dos & des aelles est cendré, tirant sur la couleur plombee. Ses aelles sont moult petites au regard de tout le corps, ayants une ligne blanche par le travers. La couleur de dessous son ventre est quasi blanche tirant sur le paillé. Son bec ha trois doigts de longueur, rouge par le dessous, & brun par dessus, ou il y ha un pertuïs en chasque costé pour odorer. Ses jambes & pieds sont rougeastres : sa queuë est ronde comme celle des oyseaux de riviere. Mais la voyant errussee par le bout, avons eu occasion de penser qu’il se perche & fait son nid par les rochers, & sur les arbrres, comme aussi fait le Cormarant. Nature s’est monstree admirable en la fabrique interïeure de cest oyseau, comme aussi en celle de plusieurs plongeons, & quelques autres oyseaux de riviere : car elle luy ha baillé le siflet, autrement nommé le Chalumeau, d’autre sorte qu’es autres oyseaux de riviere : qui n’est pas rond, mais quasi plat, & non tout d’une venue, mais plus gros par intervalles en un endroit qu’en l’autre, c’est à dire qu’il y ha deux nœuds au milieu. Et quand il est parvenu jusques dedens l’estomach, on luy trouve une cavité leans renfermee de membranes, qui contiennent pareillement un gros os inegal, en sorte qu’on diroit, que comme on enferme une chandelle en la lanterne contre les injures du vent, que tout ainsi nature luy ha fait celle cavité pour la conservation de l’aer entour ses poulmons : car lors qu’il se tient lá bas plongé en l’eau, il ha affaire de vent. Lon ne trouve aucuns autres oyseaux avoir ceste merque, sinon ceux qui font le plongeon : combien que touts ne l’ont pas. Le peuple n’a bonne opinion de cest oyseau : car quand lon on apporte au marché, comme aussi des Cormarants, il y ha un proverbe de dire, que qui voudroit festoyer le Diable, il luy faudroit donner de tels oyseaux : les estimants de mauvais manger : & toutesfois ne sont si mauvais qu’on crië.

Du Herle.
CHAP. IX.


CEUX nous semblent avoir petite occasion de se louër tant qui se vantent, pour avoir imposé quelque nom Françoys à une chose moderne : car nous voyons plusieurs choses nommees diversement, prenants leurs appellations propres en diverses contrees de France : & toutesfois ceux qui sçavent bien parler Françoys, les ignorent. Nous avons trouvé un oyseau de riviere de moult belle couleur orengee, que les habitants des Orees sur la riviere de Loire, comme est Cosne, la Charité, Nevers, ont constamment nommé un Herle, ou Harle : & toutesfois l’ayant monstré à Paris, n’avons trouvé homme qui ait onc ouï tel nom : car en le vendant, ou ils le nomment un Tiers, ou un Morillon, ou luy imposent tel autre faux nom. Sa grosseur est moindre que d’une Oye sauvage, mais il resemble mieux à la contenance d’une Cane, tant pour avoir les jambes & le col cour, comme aussi retire mieux au plumage d’une Cane. Cela est cause qu’ayons esté de le soubsonner Vulpanser. Ce Herle est bien garny de plumes, dont celles du tour du col & de dessous le ventre, sont de moult belle couleur orengee, tirant sur le jaulne. Les plumes de dessus la teste, du dessus du col, & du dos sont noires. Il auroit toute l’aelle blanche, n’estoit que les allerons sont noirs. Son bec est long de trois doigts, qui est en ce different à celuy des Oyes & Canes, qu’il est rond & recroché par le bout, & est de couleur tirant sur le rouge, ayant les coches par les costez ainsi que les oyseaux de riviere : mais il ha une caveleure noire d’abondant, qui est droicte par le dessus, & sa langue cochee, à la mode des autres oyseaux de riviere. Ses jambes & pieds sont rougissantes, semblables à celles d’une Cane. Aussi ha la queuë courte comme touts autres oyseaux de riviere.

Du Morillon.
CHAP. X.


IL y ha une particuliëre espece d’oyseau de riviere, que nostre vulgaire nomme un Morillon, moult semblable à une Cane, & qui est de mesme grosseur, ayant le bec entaillé par les bords de profondes coches à la maniëre d’une sië. Le Morillon ha le dedens des pieds & des jambes rougeastres, mais le dehors en est noir. Il ha toute la teste tannee jusques à la moitié du col, ou il commence à prendre un collier blanchastre. Et de lá en avant sa poictrine est cendree, & est blanc dessous le ventre. Il seroit totalement noir par dessus le dos & aelles, n’estoit que quand on les luy estand, lon voit sept plumes en chasque costé, qui luy font l’aelle toute bigaree ainsi comme à la Pië. Mais au reste toute l’aelle, comme aussi la queuë, est noire, qui ressemble proprement à celle d’un Cormarant. Sa principale nourriture estant en l’eau, est des petits animaux qu’il trouve au fond : car sçachant faire le plongean, & se contenir lá dessous, moult longue espace de temps, prend du petit poisson & des Escrouëlles, qu’on pourroit nommer en Latin, Millepedae aquaticae ou Pediculi. Il se paist aussi des semences des petites herbes, qui croissent le long des ruisseaux, & des Escrevisses tendres, comme aussi de toute sorte de petits Limas. Sa langue est charnue, tellement qu’il semble en avoir un autre à la racine. Sa poictrine est fort large, comme aussi est en toutes maniëres de Canes. Il ha les cuïsses courtes & tirees en dehors, comme ont touts oyseaux qui se plongent. Son anatomië interieure ne semble rien avoir de particulier, que de ne luy trouver point de fiel. Son foye est divisé en deux lopins, dont l’une partie couvre le gesier, & l’autre les intestins. Nous ne separerons celle espece de Morillon, qu’on nomme vulgairement un Tiers. Parquoy le descrirons en ce mesme chapitre. Nostre vulgaire recognoist le Tiers à ce qu’il est Tiers entre Morillon & Cane. Il est ainsi bigaré par les aelles comme le Morillon, mais son bec est comme celuy de la Piette. Quant au reste, qui faindroit voir une Piette coloree entre le Morillon & Canard, ayant les aelles bigarees, auroit la perspective d’un Tiers en son idee. Il est donc moindre en grandeur que le Canard & Morillon, & au manger est trouvé de mesme goust. Nous voyons les Morillons communs es rivieres & estangs de toutes contrees, qui nous induit à croire que les anciens ne les ayent ignorez. Parquoy n’ayants onc trouvé oyseau qui l’eust l’oeil de couleur si veronne, l’avons facilement pris pour celuy, que les Grecs ont dit Glaucion, le voyants mesmement semblable à une Cane, & quelque peu moindre.

Des Canes de mer.
CHAP. XI.


POURCE que les oyseaux palustres font leurs nids contre terre, & sont aisez à nourrir, les paisants apres avoir trouvé leurs œufs, les font couvert aux Poulles, & ainsi rendent les oyseaux privez, lesquels puis presentent aux Seigneurs des villes & villages. Si ce n’estoit cela, il y en ha beaucoup d’especes qu’on cognoist, qui seroyent demeurez incognus. Nous avons eu la cognoissance des Canes que descrirons maintenant de la susdicte maniëre, confessants ne les avoir veu sauvages. Mais ayants tousjours eu esgard de rendre les noms anciens aux choses modernes, soudain que les veismes porter un collier blanc comme une Cane petiëre, soubsonnames qu’Aristophanes avoit entendu d’elles ou il disoit, Nittae periesosmenae, que l’interprete exposoit pource qu’on leurs trouve comme une ceinture blanche au tour du col. Et de vray estants de couleur tannee, portent un collier blanc autour du col. Leur corpulence est moyene entre une Oye & une Cane : mais leur bec est noir & longuet, comme celuy d’un Onocrotalus, ou Biëvre, c’est à dire qu’il n’est large comme en l’Oye, Cane, ou Morillon, ains poinctu comme celuy de la Piette. Toute la teste & le col jusques dessous l’estomach, est beaucoup plus noir que le dos & les aelles. Les deux costez des cuisses sont ainsi madrees comme en l’Oye, & la queuë blanche par dessous : les jambes sont noires. Au surplus des mœurs, sont approchantes de celles de l’Oye : mais la voix en est plus obscure. Encor qu’elles soyent oyseaux aquatiques, si est-ce qu’on ne les voit point s’aymer dedens les estangs d’eau douce, ains qui les y fait entrer par force, ils s’en sortent soudainement.

Du Caniard, Colin, ou Grisard.
CHAP. XII.


LE CANIARD est oyseau de marine ayant le pied plat, etva nageant dessus l’eau, beaucoup plus frequent au rivage de l’Ocean, qu’il n’est en la mer mediterranee. Son cry est cause de luy avoir trouvé telle appellation. Il n’est guere veu es partiës mediterranees esloignees de la mer. Aussi est il contraire en cela à beaucoup d’autres oyseaux de marine, n’estoit qu’on l’y eust apprivoisé, & porté des sa naissance. Il n’est de plus grande corpulence qu’est une moyenne Oye : mais sa grosseur ne luy provient que de sa plume, dont il est bien garny. C’est ce qui est cause de si grand monstre par le dehors : Car il n’ha pas charnure d’un petit Morillon. Sa couleur grise est cause que les uns l’appellent un Grisard. Sçachants donc qu’il est des especes de la Mouëtte, que les Grecs nomment Laros, & les Latins Gavia, & ne luy ayants trouuvé aucun nom ancien pour l’exprimer, nous ha semblé bon le descrire en cest ordre. Il ha les pieds d’une Cane, dont il se sert pour avirons, mais il ne se plonge aucunement. Il a la teste quasi aussi grosse comme celle d’un Aigle Royal, & le bec aussi gros comme celuy d’un Plongeon de mer, & moult grande ouverture en iceluy : Aussi avalle il de fort gros poissons touts entiërs : car il ha le gosier fort large. Il se paist de toute infection de mer, & des poissons dejectez au rivage. Sa queuë est ronde, qui n’est pas plus longue que ses aelles. C’est un oyseau qui vole moult longuement, suyvant ordinairement les Daulphins en la mer. Car il mange les poissons qui saultent en l’aer de frayeur pour eviter la fureur du Daulphin. Il fait la guerre au poisson nommé Exocetus. Quand ce poisson se met sur terre, il court si viste qu’on ne diroit pas qu’il fust oyseau de pied plat. Il fait un estrange cry, qu’on oit de bien loing, & quand il vole en l’aer, il se monstre autant ou plus estendu que ne fait une Aigle. Il est moult gourmant, & par consequent moult difficile à saouler, & est communement maigre. Sa peau est quasi aussi dure comme celle d’un chevreau. C’est un oyseau de saveur mal plaisante, dont la chair est dure à digerer : Et par ce ne le vend on aucunement au marché des villes. Si est-ce que si les habitants des rivages le prennent, ils ne laissent à le menger. Ce’st un oyseau cogneu d’un chacun qui habite sur le rivage de l’Ocean, lequel pour estre facile à nourrir, est aussi veu es villes mediterranees : Car quand les paisants ont trouvé son nid, ou il y ha communement deux petits, ils les portent pour donner à leurs seigneurs es villes.

De la Mouëtte cendree.
CHAP. XIII.


S’IL y eust eu quelque difficulté en la cognoissance de cest oyseau, estants au païs des Grecs, elle nous eust esté facile à vaincre. Car encor pour le jourdhuy, tout le monde le nomme Laros, comme aussi en Italie Gavia ou Gavina. Nous trouvons deux especes de Mouëttes, que les anciens autheurs ont assez bien descrites. L’une est cendree, qui est celle dont parlons maintenant : L’autre est blanche, que descrirons par cy apres. Toutes deux viennent de la mer jusques bien haut es lieux mediterranees, suyvants les lacs & rivieres. Ceste cendree n’est pas mal nommee de sa couleur : car elle ha tout le dos cendré : mais est toute blanche par dessous le ventre, comme aussi est sa queuë. Ses pieds & jambes sont noires, dont les doigts s’entretiennent de membranes, comme font ceux des Oyes & Canards. Le dessus de sa teste est tout blanc, ayant une tache noire en chasque costé assez pres du coing de l’oeil. Son bec est long & quelque peu courbé en arc, & creux par le dedens, comme est l’estuy ou manche ou lon met l’alumelle d’un rasouër : lequel bec est de la couleur de celuy d’un Butor, quasi comme de corne. L’extremité de ses deux aelles est noire, & principalement le bout des cinq grosses plumes, desquelles la premiere ha une bien petite partië noire en longueur. Il n’y ha quasi point d’ergot derriere en son pied : Et ce qu’il en ha, n’est gueres plus gros qu’est la teste d’une espingle. Il n’est oyseau pour sa corpulence plus leger que cestuy cy. Car combien qu’il soit gros comme une Poulle, il n’a de chair vaillant une Caille, toutesfois qu’il est beaucoup gourmant. Il nage sur l’eau, & se conduit de ses pieds. Il ha donné son nom à un poisson en Grece, & dont il est moult friant. La couleur de l’ouverture de son bec, comme aussi de sa langue, est de jaune orangé.

Des Mouëttes blanches.
CHAP. XIIII.


IL EST de deux sortes de Mouëttes, dont l’une est plus grandette, l’autre est plus petite, de laquelle parlerons cy apres. Ceux du Hable de grace & Dieppe la nomment Maulves, comme aussi font les Mouëttes cendrees. On les trouve penduës à l’estal des pasticiers es villes maritimes, toutesfois qu’on n’ha pas acoustumé d’en manger la chair ailleurs. Les ayants goustees, ne nous ont semblé de si mauvaise saveur comme lon penseroit. Ceste Mouëtte blanche est de plus petite corpulence que la Cendree. C’est un oyseau moult plaisant à la veuë, & de belle corpulence & gaye, retirant à celle d’un beau Pigeon blanc : mais semble estre de plus grand corsage à cause de son plumage, qui toutesfois est de moindre charnure que d’un Pigeon. Elle est blanche comme neige, ayant toutesfois quelque peu de cendré sur les aelles. Ses yeux sont grandelets, ombrez tout à tour d’une ligne noirastre, ayants une tache noire en chasque costé, ou est le pertuïs de l’ouyee. Avant aussi moult bonnes aelles, & qui surpassent la queuë en longueur. Leurs jambes & becs sont rouges, chose contraire à la cendree. Ils se tiennent guays & droits dessus les jambes, ayants la partië de derriere moult haulte, tellement que la perspective de leur dessous, se tourne en courbeure. Car venant de devers l’estomach, & passant par dessous le ventre, se terminant à la queuë, monstre se tourner en dos de cercle. Leur bec est poinctu & gresle, & ont les extremitez des aelles noires. Il ne se faut pas taire d’un proverbe ancien pour les hommes babillars, encor qu’ils ne sachent ce qu’ils dient, toutesfois veulent tousjours parler : C’est qu’on dit en ceste sorte, Larus parturit. Car lors que cest oyseau ha ses petits, & va volant ça & lá, il crie contre les hommes & animaux qui en aprochent. Son nid est contre terre parmy les landes entre le bruyëres. Lors l’oiseau fait si grand bruït, qu’il estonne les passants de son cry. Sauf l’honneur de quiconque ha eu opinion que les Mouëttes se plongent en l’eau, osons dire au contraire, & que onc homme ne les veit faire le plongeon. Toutes ces especes, selon le rapport d’Aristote, batissent aussi leurs nids es rochers pres de la mer, & font deux ou trois œufs en esté, & ont lors inimitiez contre certains autres oyseaux, dont l’un est Brentus, & l’autre Harpa, dit il, comme aussi avec les Canes & Canards. Mais il y ha difference entre Brinthus & Brenthus, comme ferons voir cy apres.

De l’autre petite Mouëtte blanche.
CHAP. XV.


INCONTINENT qu’il commence à faire froid, les petites Mouëttes blanches apparoissent assez avant en terre ferme volants par dessus les rivieres. Il est manifeste qu’elles sont de differente espece aux dessusdictes : car elles portent le dessus de la teste tout noir, & sont de moindre corpulence, & volent encor plus long temps que les autres Mouëttes. Si ce n’estoit que les pescheurs trouvent des subtilitez à les prendre, à peine en voiroit on si non en volant : mais estants prisonnieres, elles se apprivoisent quasi en un jour, lesquelles lon nourrit facilement : car elles mangent toutes choses qu’on leur baille, comme tripaille, chair, & poisson. Pour les prendre ils usent de cest artifice. Ils mettent un ecroix de bois sur l’eau, & au quatre coings mettent quatre gluaux droits fichez, & au milieu de la croix mettent de la chair ou du poysson : car la Mouëtte descend en volant pour prendre la chair qui nage sur l’eau, & trouvant les gluaux à ses aelles, tumbe en l’eau ne pouvant plus voler. Ils prennent aussi les Caniards en ceste maniëre, & quelques fois les Milans. Elle est si criarde, quelle en estonne l’aer & fait ennuy aux gents qui hantent l’esté par les marais, & le long des petites rivieres.

De la Piette.
CHAP. XVI.


POUR prouver que ce nom de Piette est pure diction Françoyse, ne voulons que l’experience. Cest quiconques aura un oyseau, qui est si frequent par noz rivieres, & familier en toutes boutiques des pasticiers, tel que monstre ceste peincture, le portant en sa main, & demandant son nom aux paisants, il n’y aura celuy qui ne le nomme ainsi qu’avons dit. On le trouve moult commun en Soissonnois & Beauvoysin. Car communement on l’apporte vendre aux villes de ce païs lá en moult grande quantité, pris es rivieres de Aree, Somme, & autres tels ruisseaux. Piette semble estre nom diminutif d’une Pie : car c’est nostre coustume de nommer beaucoup de choses de nom de Pie : comme quand nous voyons c’est oyseau mi-party de noir & blanc, nous le nommons à l’exemple d’une Pie, comme aussi disons un cheval pie. C’est oyseau est coustumiër de se tenir en l’eau, assez plus grand qu’une Sarcelle, mais moindre qu’un Morillon. Et tout ainsi que la couleur des Canes n’est pas constante, si que telle fois l’une sera toute grise, & l’autre toute blanche, ce neautmoins ne perd rien de sa figure : tout ainsi est de la Piette. Car il y en ha, qui quelque fois sont toutes blanches par le col & par le corps, & quelques fois meslez de couleur noire. Mais la plus constante couleur & commune en cest oyseau, est d’avoir le dessous de la gorge & du ventre tout blanc, & le dessus du corps noir : les aelles comme celles d’une Pie, & au reste les pates & la queuë comme d’un Morillon. Nous donnerons une merque pour monstrer que ceste Piette est differente à touts autres oyseaux de riviere : c’est qu’elle ha le bec non pas large, comme plusieurs autres qui hantent l’eau, mais comme rond, qui n’est pas voulté par le dessus, & qui est dentelé par les bords. Elle ha pareillement une petite huppe par le derriëre de la nuque, non pas droite dessus la teste, mais en l’endroit ou luy commence le col. Ses interieurs, ses intestins & Jesiers sont gresles & moult deliez, ayants le siflet gros comme le doigt, & menu par devers la teste, & qui est different à touts autres qu’on puisse observer. Car il est tout rond, & d’une seule piece, dont les anneaux ne sont aucunement cochez. Noz conjectures nous ont peu esmouvoir de la soubçonner estre celle que les anciens nommoyent Phalaris.

De la Tadorne.
CHAP. XVII.


LA TADORNE est oyseau moult resemblant à une Cane : mais on le voit rarement en nostre France, sinon es courts des grands seigneurs, à qui on les apporte des autres provinces de dehors. Leur corpulence excede celle des Caniards, faisant monstre d’une moyenne Oye. Le plumage de leur teste est tout noir, comme aussi sont leurs yeux. Leur bec seroit tout rouge par dessus, n’estoit qu’il ha une tache noire de chasque costé, en celuy endroit ou sont les pertuïs pour odorer. Leur bec est aussi court comme celuy d’une Cane, & large comme celuy d’une Oye, merqué d’une tache noire par lebout, qui ressem ble à un ongle. Cest oyseau est plus haut enjambé qu’une Cane. La couleur de ses jambes & pieds est palle, tirant sur le rouge. Il porte un colier de couleur rousse, qui luy entourne la poictrine : mais le devant de l’estomach & tout le tour du col est blanc. Aussi seroit il tout blanc par le corps, n’estoit que le dessus de ses aelles est noir, ou il y ha une ligne rousse en chasque costé. Le bout des plumes des aelles, comme aussi l’extremité de la queuë, sont noires. Il ne se plonge pas volontiers entre deux eaux, toutesfois qu’il aime à estre sur l’eau, & porte sa queuë comme les Canes. La voix qu’il fait est moult semblable à celle du Canard. Ses aelles estenduës apparoissent quasi toutes noires, sur lesquelles lon trouve des plumes vertes & luisantes, comme sont celles des aelles des Canards : mais pource qu’il plië les plumes noires de l’aelle en dedens, les trois qui demeurent dessus, sont celles qui couvrent l’aelle de rousseur.

De la Cane à la teste rousse.
CHAP. XVIII.


IL y ha une maniëre de petite Cane moult semblable à un Morillon, qui ha la teste rousse : mais la poictrine & le dessous du col sont noirs. Tout le reste du corps est de couleur plombee. Son bec, ses jambes & pieds, sont noirs ressemblants à ceux d’une Cane, & les yeux rouges. Elle n’est de si grande corpulence qu’une Cane.

De la grosse Cane de la Guinee.
CHAP. XIX.


IL n’y ha pas long temps qu’on ha commencé à nourrir & eslever une maniëre de Cane trape en nostre France, qui est de moyenne corpulence entre une Oye & un Canard, & qui ne fait point de bruit en criant, d’autant que sa voix est enrouëe, & semble qu’elle ait les poulmons blessez. Il s’en trouve des-ja si grande quantité par toutes noz contrees, que maintenant on les nourrist par les villes, jusques à avoir commencement de les vendre publiquement par les marchez, pour s’en servir es festins & noces. Ceste Cane est basse enjambee, dont le masle est plus grand que sa femelle. Tout ainsi qu’il y ha beaucoup d’oyseaux inconstants en la couleur du plumage, que tantost le masle est blanc ou noir, ou de diverses couleurs meslees, tantost la femelle est d’une couleur, & le masle d’une autre : tout ainsi dirons en cestuy cy que tantost le masle est blanc, tantost la femelle est blanche, tantost tous deux sont noirs, tantost de diverses couleurs. Parquoy lon ne peut escrire bonnement de leur couleur, sinon entant qu’ils sont semblables à une Cane. Ils sont communement noirs & meslez d’autres diverses couleurs. Leur bec, oultre la coustume des Canes & des Oyes, est recroché par le bout, & au demeurant court & larget, ayant comme une creste rouge, non comme un Coq, mais portent une tuberosité, c’est à dire comme enflure, ou eminence entre les deux pertuïs du bec, par lequel ils inspirent qu’on diroit proprement que c’est une cerise rouge, & aux deux costez de la teste, autour des yeux ils n’ont point de plumes, ains comme du cuïr rouge de la mesme nature de la cerise, qu’avons dit qu’ils portent au dessus des yeux. C’est une merque suffisante pour donner cognoissance de quel oyseau pretendons parler. Lon s’esmerveillera d’entendre qu’un tel oyseau ait si grand membre genital, qui est de la grosseur d’un gros doigt, & long de quatre à cinq, & rouge comme sang. Si ce n’estoit qu’il est de grande despence, lon en esleveroit beaucoup plus qu’on ne fait : car leur baillant à manger autant qu’il appartient, ils ponnent beaucoup d’œufs, & en brief temps ont grande quantité de petits : mais lon craint à les nourrir pour la despence qu’ils sont si excessive. Leur chair n’est pire ne meilleure que d’une Cane ou Oye privee.

D’un petit Plongeon espece de Canard.
CHAP. XX.


IL y ha maniëre de petite Cane qui est moindre que le Morillon, dont à nostre jugement les anciens autheurs Grecs ont entendu parler, quant ils ont escrit de Colymbitis, que les Latins ont dit Colymbides. C’est un joly oyseau bien troussé, rondet & racoursé. Ses yeux sont si jaulnes & luisants qu’ils sont plus clairs que l’aerain poly. Et pour sa petite corpulence, ha les pieds, & jambes, & le bec noir, aussi large comme celuy d’un Canard. Il est bas enjambé, ayant les pieds bien larges. Il ha la teste, tout le col, & le devant de la poictrine de couleur noire : mais les plumes qui sont dessous le ventre, sont plombees. Les Françoys le nomment aussi Cotee : car il porte une ligne blanche par le travers de l’aelle comme le Morillon. Mais si est-ce qu’il s’en faut beaucoup qu’il soit vray Morillon : car il ha la huppe par le derriere de la teste comme le Biëvre & Pelican : & toutesfois le Morillon n’en ha point.

De la Sarcelle.
CHAP. XXI.


LA SARCELLE seroit en tout & par tout semblable à un Canard, n’estoit la grandeur qui l’empesche. Et y ha telle difference du masle à la femelle des Sarcelles, qu’est celle qu’on trouve es Canes & Canards, en sorte que qui faindroit voir un Canard & Cane de petite corpulence, auroit la figure de la Sarcelle. Elle retient ce nom constamment en plusieurs lieux de France : toutesfois, il y ha des contrees ou les habitants la nomment une Garsote, les autres un Halebran. Ceux de Milan dient Garganei. Elle ha esté fort celebree en banquets

que souloyent faire les anciens Romains. Et d’autant qu’elle est plus cogneuë, elle ha d’autant moins affaire de description particuliëre. Les Grecs & Latins l’ont nommee Boscas & Phoscas. Elle est en grande reputation es cuïsines Françoyses, tellement qu’une Sarcelle sera bien souvent aussi chairement venduë, comme une grande Oye ou un Chapon. La raison est qu’un chacun cognoist qu’elle est bien delicate. Sa couleur ne varie gueres : car le plus souvent les femelles sont grises autour du col, & jaunastres par dessous le ventre, brunes dessus le dos, dessus les aelles & dessus le cropion, ayants une tache luysante sur l’aelle, comme les Canars, & une ligne blanche au dessous, venant de l’extremité des plumes par le milieu de l’aelle, tout ainsi qu’on voit es Morillons. Les douze premiëres plumes de l’aelle sont d’une mesme couleur : mais les autres qui les suyvent sont blanches par les extremitez, & qui font encor une autre seconde ligne blanche. Car aussi bien la premiëre estoit de l’extremité des grosses plumes. Et d’autant que les plumes de l’aelle sont noires par le dessus, aussi font apparoistre une tache noire en chasque costé. Les Sarcelles ne se plongent pas volontiers entre deux eaux comme font les Morillons, & n’ont le bec gueres large.

D’un petit Plongeon nommé un Castagneux ou Zoucet.
CHAP. XXII.


CE petit Plongeon & la Poulle & Poullette d’eau sont seuls, dont ayons cognoissance, qui ont les orteux separez les uns des autres, & nagent sur l’eau. Ceste appellation de Plongeon s’estend à touts oyseaux qui nagent entre deux eaux, & qui viennent prendre l’aer quand ils ont esté long temps leans. Cestuy est si familier à cest element, que nature ne luy ha voulu permettre qu’il peust bien cheminer sur terre. Aussi est il composé de telle sorte, que ses cuïsses sont cachees leans, & ne luy apparoissent au dehors. Et mesmement ses jambes luy trainnent par derriere, tellement qu’on le jugeroit quasi tout esrené. Il a les aelles moult petites pour la proportion de sa corpulence, n’ayant en tout point de queuë ne de cropion qui aparoisse. Il est couvert de plumes imparfaictes, si qu’on diroit proprement à le voir, que c’est un Oyson nouvellement esclos. Car ses plumes n’ont point de tuyau, parquoy resemblent à fin duvet. Sa grosseur est d’une petite Sarcelle, de la couleur de la bogue d’une Chastaigne : dont il semble que la cause pourquoy on l’a nommé Castagneux, est venue de lá. Et par-ce qu’il est si habile plongeur, nature luy ha baillé instrument propre à ce mestier. Car ses pieds ne sont pas bonnement muniz de membranes, mais ont les doigts separez, & ne laisse à les avoir larges, resemblants grandement à ceux de la Poulle d’eau. Et n’y ha pas le petit ergot de derriëre, qui ne soit aussi large. Ses jambes sont cochees par derriëre, faictes en maniëre de double Sië. La couleur de dessous son ventre est de couleur de laict, combien qu’il y en ait d’autre sorte, qui ont le poil de couleur de Souris. Son bec est rond, petit & rougeastre, beaucoup plus court que celuy du Rasle. A peine se peut mettre à voler, toutesfois depuis qu’il est eslevé en l’aer, il vole fort loing. Et quand on le trouve en quelque petite mare, ou il n’ha secousse à s’eslever en l’aer, souventesfois les petits enfants se mettent à le pourchasser à coups de pierres, & le rendent si bien lassé, qu’il se laisse prendre à la main, ou bien autrement on le prend aux gluaux. Il se peut aussi bien paistre dedens la mer, comme dedens l’eau douce. Quelque part qu’il soit prins & mangé, il sent tousjours la sauvagine, & est fort gras en hyver. Aussi est-ce le temps auquel l’on ha acoustumé le voir plus souvent. Et attendu qu’il vit tousjours en l’eau, nature n’ha oublié à le munir contre l’injure du froid, luy donnant des plumes deliees. Qui luy regarde en l’estomach, trouve qu’il mange indifferemment toutes sortes de petits poissons. Car s’il est en la mer, il se saoule de Chevrettes, Crado ou Meletes, Espellans. Mais s’il est es rivieres, il mange les petites Escrevisses, & tout autre menu poisson : car il ne se paist que d’animaux en vie, c’est à dire qu’il ne mange volontiers de semences d’herbes, n’estoit en default d’autre viande. Il ha le foye moult tendre, & les intestins autrement que les autres, & moult gresles & deliez. Il fait son nid contre terre dedens quelque mote herbue en marais, & lieu difficile à trouver.

Du grand Plongeon de riviëre.
CHAP. XXIII.


NATURE benigne & sage, n’ayant rien omis au devoir de sa charge sur le proportionnement des membres de touts animaux, fit choses merveilleuses es membres de ce Plongeon : car comme les hirondelles nommees Apodes, qui volent sans fin pour prendre leur pasture en l’aer, n’ont eu que faire de sçavoir cheminer sur terre : Aussi ce Plongeon estant aquatique, residant tousjours sur les eaux, ha esté douë de membres agiles pour l’eau, mais manques & imparfaicts sur la terre. Car comme l’Apus estendu sur terre, demeure impotent sans se pouvoir eslever en l’aer, aussi cestui-cy se trouvant à terre au sec, n’ayant espace de prendre l’aer pour voler, ne l’eau pour se musser, demeure prins sans grande difficulté. Car il n’ha pas les cuïsses propres pour la terre, d’autant quelles sont cachees leans en la peau. Et mesmement ce qu’il ha de jambes, sont derriere le cropion. Et si d’avanture il est contraint de se tenir sur ses pieds, il faut qu’il soit tout droit, & tenir contenance, qu’on ne voit point es autres oyseaux. Ses jambes & pieds sont proprement comme ceux de la Poule d’eau, c’est à dire fenduz & larges, ayants trois doigts en chasque pied, & ausi les ongles plats : il est presque de la grosseur d’un Canard, noir dessus le dos, & blanc dessous le ventre. Quand ses aelles sont retirees, l’on n’y cognoist rien de blanc, mais estants estendues, sont trouvees toutes blanches par dessous, & dessus en deux endroicts. C’est un oyseau de cry moult estrange, & pertinent à se defendre. Son bec est long, rouge, & tranchant par les bords. Il semble estre huppé : car ayant le dessus de la teste noir, les plumes de derriere sont longues, lesquelles il haulse & abbaisse selon que son courroux, ou tranquilité luy esmeut. Le dessous de la maschouëre d’embas, est moult blanc : mais en celle part ou commencent les vertebres du col, il sort des longues plumes noires en chasque costé, qui font apparoistre l’oyseau de moult bonne grace. La plume qui est attachee à sa peau, comme aussi en touts autres Plongeons, est deliee

comme fin duvet tenant fort à sa peau. Communement touts Plongeons sont sans queuë, & ont les aelles petites en proportion de leurs corps. Et quant au manger, touts sentent la sauvagine. Le portraict fera voir la disposition de son corps. Les merques, desquelles lon se peut servir pour tesmoignage de son nom ancien, peuvent enseigner, que c’est luy qu’on devroit nommer Uria ou bien Ouria.

Dn Plongeon de mer.
CHAP. XXIIII.


TOut ainsi qu’il y ha diverses especes d’oyseaux qui particuliërement se plongent en l’eau douce & qui n’entrent en la mer : aussi y en ha en la mer, qui ne se partent point de lá, pour venir entrer es estangs d’eau douce. Non pas que ne veuillons entendre qu’ils ne puissent bien endurer l’eau douce : car tout animal qui se plonge en l’eau douce, pourra aussi bien vivre en la mer, sinon qu’on excepte la Loutre. Parquoy le naturel du Plongeon, est de se tenir en la mer, & non en l’eau douce. Aristote à nostre advis ha entendu de ce Plongeon de mer, lors qu’il ha parlé au quatriesme chapitre, du huittiesme livre de l’histoire de Aethia. Les Latins l’ont nommé Mergus, qui est à dire Plongeon. Mais c’est

à sçavoir qu’il y ha difference entre les Plongeons, entant qu’ils obtiennent divers surnoms. Donc la diction Françoyse, Plongeon, s’estend plus que ne fait la Latine Mergus : car l’on y comprend aussi touts ceux qui sont nommez aves Urinatrices. L’oyseau que les Latins ont nommé Urinatrix, & les Grecs Colymbis se peut exposer en nostre langue par le seul mot de Plongeon. Mais celuy est different aux autres susdits. Le Plongeon de mer n’est guere plus gros qu’une Sarcelle, blanc par dessous le ventre, & noir partout le dessus du corps. Il ha une enseigne que n’avons trouvee en aucun autre oyseau hantant l’eau, c’est qu’il n’a point d’ergot derriëre, & aussi qu’il ha quelque chose sur le bec joignant la teste, eslevee grosse comme une demië noix, en l’endroit ou les Coqs ont les crestes, surquoy croist un toffet de plumes noires. Il ha la queuë si courte & noire, qu’il semble quasi qu’il n’en ait point, & les cuïsses courtes. Il est tout couvert de fin duvet, qui tient si fort à la peau, qu’on jugeroit proprement, que c’est du poil. Son bec, ses jambes & pieds sont noirs, qui tiennent quelque chose de la façon de ceux d’une Mouëtte, ayant le bec de mesme ouverture & creux par le dedens, & tranchant par les bords, bien durt & fort chargé de duvet jusques bien bas, qui provient de celle merque, qu’avons dicte estre en ce toffet de plumes eslevees. Ses yeux ressemblent à ceux d’une Cane. Si on l’escorche, on luy trouve la peau bien espoisse, & si on la fait conroyer, semblera à une peau de quelque animal terrestre : car c’est fin duvet, qui se monstre aussi fin que velours. Les medecins en ont fait mention, escrivants, Mergi stomachus : mais cela ha prins son origine de Dioscoride au chapitre des foyes des animaux. Car ou il dit en sa langue, Aethias hipar, les interpretes ont tourné Mergi jecur. Les praticiens dient autrement, car ils mettent Venter Mergi.

De la Poule d’eau.
CHAP. XXV.


MAintenant voulons faire voir que la Poulle & Poullette d’eau, n’ont les doigts des pieds qui s’entretiennent de membranes, ains sont distinguez, & toutesfois ne laisse à faire le plongeon & nager entre deux eaux, comme aussi fait le Diable de mer, chose que ne fait la Poullette, à qui les doigts sont totalement divisez. C’est chose rare de voir prendre une Poulle d’eau, si ce n’est en hyver. Ce n’est pas à tort qu’on la nomme Poulle d’eau. Car elle est de la corpulence d’une Poulle domestique, ayant la teste quasi de mesme façon : mais est totalement noire, n’ayant rien de blanc sur elle, sinon au ply de l’aelle, qui toutesfois n’est apparant, si on ne la luy estand. C’est oyseau estant aquatique est bien garny de plumes, ayant les aelles petites, la queuë courte & noire, d’esgalle longueur à ses aelles. Mais nature ha fait cela aux oyseaux de riviere, cognoissant qu’ils doyvent chercher leur pasture plus en se tenant en l’eau, que en volant. Aussi ha une tache blanche dessus la teste, en l’endroit ou une Poulle porte la creste, qui provient d’une callosité sans poil ne plumes, qui est conjoincte au dessus du bec, correspondent en grosseur & en forme à celuy d’une Poulle, sinon qu’il est plus blanc & quasi comme de couleur pale sur le cendré. Ses yeux sont noirs & petits. L’on ne trouve aucune distinction pour discerner son sexe, comme lon ha acoustumé trouver autres oyseaux. Car tant le masle que la femelle sont de couleur noire, & quelques fois les uns sont de couleur plus tanee par le dessous du ventre, que les autres. La Poulle d’eau est tousjours sur les eaux par les marais. Et combien qu’elle n’ha pas les pieds plats, comme les Oyes : toutesfois nature ha monstré en avoir eu soing : car sachant qu’elle devoit hanter es fondrieres marescageuses, luy ayant donné les jambes raisonnablement longues, de belle couleur verdoyante en obscur, luy ha aussi baillé quatre doigts longs, dont les trois de devant ont une large plataine en chasque articulation, tellement que combien que son pied ne soit plat, toutesfois est estandu bien large. Car aussi y ha des membranes plates qui ne s’entretiennent aucunement. C’est oyseau se porte droit sur ses jambes, & court vistement. Sa langue est plus molle que celle d’une Poulle. Ses ongles sont grandelets & noirs. Ses aelles sont voultees suyvants l’arondissement de son corps. Les Poulles d’eau sont grasses en hyver : Aussi est ce leur saison : car elles ne sont bonnes en temps d’esté. Les paisants les sçavent prendre au lasset. Car quelconques qu’on puisse voir au marché, est sans estre engluee ne blessee. Elles font leurs œufs en temps d’esté, quasi aussi gros comme ceux d’une Poulle, & leurs nids sur terre : car elles ne montent jamais sur branche, mais dorment à terre. Le Jesier d’une Poulle d’eau n’est rien moindre que celuy d’un Chapon, ayant la rate tout joingnant, estroite & gresle par un bout, & espesse par l’autre, ainsi ployee comme un fer de cheval, large comme demië noix. Elle ha le foye conforme à la grandeur du Jesier, ayant le fiel attaché dessous le lopin dextre en une vessie grosse comme le petit doigt. Les oyseaux ont le diaphragme comme les bestes terrestres, & ont aussi les poulmons dessous les costez. On trouve les Poulles d’eau avoir les œufs ja formez & attachez au dos des l’hyver. Qui suyvra le droit boyau des Poulles d’eau jusques bien haut, trouvera deux intestins en chasque costé, ayants un paulme de long, qui sont repliees à l’extremité d’enhaut, chose quasi commune à touts autres oyseaux. Elle se paist d’herbe & mange indifferemment toutes maniëres de grains, comme aussi des petites pierres luysantes & des senelles. Sa chair est de bon goust & tendre, & sent quelque peu le sauvage, qui ne la rend de difficile digestion.

Autre espece de Poulle d’eau, autrement nommee Macroule, ou Diable de mer.
CHAP. XXV.


APRES avoir parlé des Plongeons & de la Poulle d’eau, voulons parler d’une autre maniëre de Poulle d’eau differente à la susdicte, que les habitans de Normandie nomment Macroule, & à Paris un Diable de mer. Elle se plonge incessamment en l’eau douce, & est de si exquise couleur noire que l’oyseau en semble terni. La tache blanche, qui est sur sa teste, est encor plus large que à la Poulle d’eau : aussi est quelque peu de plus grande corpulence. Elle traine ses jambes apres elle, & ha ainsi les doigts larges & separez les uns des autres, comme la Poulle d’eau. Somme que estants semblables, n’y ha en ceste cy qui n’ait esté dit en la susdicte, & se peut on ayder de son portraict pour ceste cy.

Du Charadrios.
CHAP. XXVII.


LORS que faisions mention des oyseaux de nuict, avons touché quelque mot en passant de ce Charadrios : mais c’est suyvant l’authorité d’Aristote, qui entend qu’il est oyseau nocturne : iceluy au neufiesme livre des animaux chapitre unziesme, semble qu’il le face oyseau sauvage. C’est un oyseau mauvais, dit il, qui ha la couleur mauvaise, & apparoist la nuit, & s’enfuit le jour, se tenant es cavernes entre les rochers es lieux precipiteux, dont il ha gaigné son nom chez les Grecs, parquoy avis Charadrios, est autant comme qui diroit en Françoys oyseau habitant es ouvertures, entre montaignes & rochers de difficile accez sur les rivages des torrents. Gaza en Aristote le tourne Rupex & Hiaticola. Voicy comme il l’ha traduit. Volucres colunt aliae loca fragosa & saxa & cavernas, dit il, Ut quem à praeruptis torrentium alveis Charadrium appellamus, quasi Hiaticelam dixeris. Prava haec avis, & colore & voce, & noctu apparet, die aufugit : Mais Aristote se declarant mieux au huictiesme livre, troisiesme chapitre, ha dit, qu’il hantent sur l’eau, & par consequent avons facilement pensé qu’il est de pied plat. Cela est cause que l’avons mis en cest endroit. Aristophanes veult expressement que Charadrios est oyseau aquatique. L’autheur de l’histoire Ethyopique l’ha encor plus amplement fait entendre. Mais il y auroit doute de son raport, sçachant qu’il n’y ha aucunes montagnes en Egypte, si ne l’exposions. Parquoy interpretons en ce Charadrios, tout ainsi comme lon pourroit bien dire des Biëvres, Cormarants, Plongeons, & Mouëttes : C’est que en la saison de faire leurs petits, cherchants lieux commodes, vont pondre es lieux champestres sur les rochers le long des eaux douces ou salees, puis apres retournent chercher les lieux palustres d’Egypte & ailleurs. Il semble que Ephranius autheur Grec, ait dit du Charadrios, ce que Pline ha attribué au Loriot : c’est à sçavoir qu’il guerist de la jaunisse : mais il faut que ceux qui vendent l’oyseau, le cachent de peur que le malade ne l’ait veu le premier, avant qu’on l’ait acheté, & en tout, que l’oyseau ne regarde le malade. Les difficultez qu’on pourroit trouver es saincts escrits sur ce Charadrios, ne nous retarderont, ne aussi les autres qui dient que c’est un oyseau tout blanc, & si c’est de luy dont est fait mention au Deuteronome, dont estoit deffendu d’en manger aux Juïfs, le laisserons à esclarcir à ceux qui interpretent la langue Hebraique.

Du bec d’un oyseau des terres neufves, incognu aux anciens.
CHAP. XXVIII.


CEUX qui navigent aux terres neufves, faisants leur profit de toutes choses, apportent ce qu’ils trouvent de bon, pour vendre aux marchands. Or est-ce qu’il y ha un oyseau en ce païs lá, ayant le bec long de demy pied, gros comme le bras d’un enfant, poinctu & noir par le bout, mais blanc en touts autres endroits, & quelque peu coché par les bords. Il est creux par dedens : estant si finement delié, qu’il en est transparent & tenue comme parchemin, & par ce est moult legier. Cest sa beauté qui fait qu’on en voit ja plusieurs par les cabinets des hommes curieux de choses nouvelles : Car au demeurant, lon ne s’en sert à aucune chose. Et nous n’ayants veu l’oyseau qui l’ha produit, n’en pouvons dire autre chose, sinon que par soupçon le pensons estre de pied plat. Et par ce l’avons mis en cest endroit avec les oyseaux de riviëre. Mais pour faire voir quel est ce bec, en avons cy mis le portraict. Il est seul entre touts ceux qu’avons observez, à qui n’ayons veu conduicts pour odorer.

FIN DU TROISIESME LIVRE.

LE QUATRIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX DE RIVIERE, QUI N’ONT LE PIED plat, avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel. Par Pierre Belon du Mans. A PARIS, Chez Guillaume Cavellat, devant le college de Cambray, à l’enseigne de la Poulle grasse. 1555. Avec privilege du Roy.

AU ROY.


SIRE, ce quatriesme livre contiendra les oyseaux de riviere qui n’ont le pied plat, & ne nagent sur l’eau, ausquels nature, qui scavoit qu’il leur convenoit vivre le long des rivages, fit qu’ils auroyent les jambes, les cuïsses, le bec, & le col longs. Et pource qu’ils avoyent à hanter les frondrieres & marais, leur estendit les doigts en longueur, ou bien pour avoir meilleure prinse sur terre, ou de peur qu’ils n’affondrassent leans. La Grue est le plus grand entre touts : parquoy commencerons par elle, & consecutivement par les Herons & tels autres, dont a esté des-ja faicte mention au premier livre : puis finirons par le Porphyrio oyseau estranger.

LE QUATRIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX DE

riviere qui n’ont le pied plat, avec leurs descriptions & portraicts retirez du naturel.

De la Grue.
CHAPITRE PREMIER.


IL N’Y ha aucune contree en païs labourable ja semé, qui soit exempt de nourrir les Grues quelque temps de l’annee. Parquoy elle est ja cogneuë de toutes personnes. Les Grecs, Latins, Françoys, l’ont nommee à cause de son cry. Elle ha donné nom à une petite herbette, qui fait ses semences à la façon d’une teste de Grue. C’est un oyseau passager, qui fait son cry qu’on oyt en diverses saisons de l’annee, lors qu’il s’en va, & qu’il retourne : car ne pouvant trouver pasture l’hyver es regions Septemtrionales pour l’intolerable froideur, ha recours aux contrees, ou les eaux ne sont glacees en ce temps lá. Il y ha difference assez evidente du masle à la femelle. Car le masle ha la teste bien rouge, chose que n’ha pas la femelle. Nous ne la voyons qu’on temps d’hyver, sinon qu’on l’eust aprivoisee de jeunesse. Et communement ne fait que deux petits, ou il y ha masle & femelle. Et si tost qu’elles les ont eslevez & apprins à voler, elles s’en vont. Encor que la Grue soit un grand oyseau, si est-ce que maints petits oyseaux de proyë, aduïts par les faulconniers, osent entreprendre & se hasarder à la combatre corps à corps : mais lon ha coustume d’en lascher plusieurs, à fin d’avoir plaisir en regardant leur combat : car ce que les seigneurs en font, n’est pour y avoir profit, mais plaisir. Quoy qu’il en soit elles vont passer l’esté bien loing vers les contrees ou de la mer glaciale, ou autres lieux marescageux : car estants lá, en esté trouvent les eaux à propos pour leur paistre lors que noz marais sont deseichez pour la trop grande chaleur. La Grue ha une chose en son anatomië que n’avons trouvee en aucun autre oyseau : c’est que son siflet, qui se rend aux poulmons, est en autre maniëre qu’en touts autres : car il entre de costé & d’autre dedens la chair suyvant l’os du cofre de la poictrine, de quoy ne nous est merveille si elle ha la voix qu’on oyt de si loing : car à la verité, il n’est oyseau qui face la voix si haultaine que la Grue. Nous trouvons plusieurs choses de la nature de la Grue escrites des anciens autheurs, comme lá ou Aristote au chapitre du huitiesme de l’histoire, & Pline au second de son septiesme livre, ont dit qu’elles combatent contre les nains : & aussi qu’elles ont quelque partie de prudence, & se sçavoir gouverner en volant, & d’entendre & obeïr à leur conducteur, qui les met en ordre de triangle pour passer la mer à venir vers nous, ou s’en aller. Lesquelles ne voulons repeter de mot à mot, ne aussi de ce qu’on racompte que leur conducteur veille, tenant une pierre au pied, pendant que les autres dorment. La queuë des Grues est comme celle des autres oyseaux, parquoy les plumes noires qu’on voit sur leur cropion ainsi voultees, comme celle d’un Coc, proviennent des aelles & non de sa queuë. Les Gruaux sont nommez en Latin Vipiones. Pline ha dit, au quatorziesme chapitre, du trentiesme livre, qu’il y avoit anciennement un oyseau en Sardaigne, qu’on nommoit Gromphena, resemblant à une Grue, mais que des son temps il n’y estoit des-ja plus cognu. N’eust esté que le Bihoreau, dont parlerons tantost, est espece de Heron, nous l’eussions mis apres la Grue : car nous pensons que c’est celuy que les anciens ont nommé Gruem Balearicam, d’autant qu’il porte une creste sur la teste à la maniëre d’un Vanneau. Estants en Halep ville de Syrie, avons veu un oyseau tenant moytié entre Heron & Grue, que soupçonnasmes aussi estre Grus Balearica : toutesfois il n’avoit point de plumes sur la teste comme le Bihoreau. Combien que la Grue soit reputee delicieuse, toutesfois Galien l’avouë de chair fibreuse & dure.

Du Heron cendré.
CHAP. II.


ARISTOTE descrivant le Heron, le nomma Herodios, & Pline Ardea. Il en met au neufiesme livre, chap. 18. de trois especes, que nous cognoissons toutes. Il escrit le Heron gris ou cendré, au premier lieu : Au second le Heron blanc, & par apres le Butor, le nommant Stellarem Ardeam, qui est à dire l’estellé. Mais pource que specifirons chacun à part soy, parlerons premierement du Cendré. Lon ha coustume de faire grand traffic de ses petits, qui monte jusques à grande somme d’argent par chacun an. Car les hommes de ce temps cy ayant inventé la ma maniëre de faire certaines loges haultes eslevees en l’aer, fermees le long de quelque ruisseau, seulement couvertes à claire voye, les ont nommees en Françoys Heronnieres, & sur lesquelles les Herons ont si bien apprins à dresser leur aire, que les petits, qui sont denichez de la dessus, vallent un grand deniër. Il est vray semblable que c’est de l’invention des modernes. Car il est à presupposer que si les anciens autheurs curieux de mettre les choses par escrit, eussent veu tel bastiment de Heronnieres, qu’ils ne s’en fussent teuz. Car mesmement les Romains ont esté aussi bons mesnagers & ouvriers de faire leur profit de toutes choses, comme nous sommes pour le jourdhuy, & possible qu’ils l’ont esté d’avantage. Et comme les anciens n’en ont eu cognoissance, aussi pouvons dire que les autres nations n’en ont usage. Car si telles Heronnieres estoyent ou en Angleterre, Alemagne, Italie, Espagne, ou en autre païs, lon en trouveroit quelque chose par escrit, sçachant qu’elles sont faictes de grand artifice pour utilité. Toutesfois qu’es autres contrees, comme lon voit en basse Bretagne, les Herons sont moult frequents, ou ils font leurs nids sur les rameaux des arbres des forests de haulte fustaië. Et pource qu’ils nourrissent leurs petits de poisson, & qu’en les abechant, grande quantité en tumbe par terre, plusieurs ont prins occasion de dire avoir esté en un païs, ou les poissons qui tumbent des arbres, engressent les Porceaux : qui est chose veritable, & ou il n’y ha difficulté, moyennant qu’on entende la raison. Entre les choses notables de l’incomparable dompteur de toutes substances animees, le grand Roy Françoys, fit faire deux bastiments, qui durent encor à Fontainableau, qu’on nomme les Heronnieres. Il sembloit que les elements mesmes, & les qualitez temperees d’iceux, obeissent à ses commendements : car de forcer nature, c’est ouvrage qui se resent tenir quelque partië de divinité. Aussi ce divin Roy, que Dieu absolue, avoit rendu plusieurs Herons si aduïts, que venants du sauvage, entrants leans, comme par un tuyau de cheminee, se rendoyent si enclins à sa volonté, qu’ils y nourrissoyent leurs petits. Mais cecy est peu, sçachants que comme nous tenons quelque petit chien pour compagnië, que faisons coucher sur les pieds de nostre lict pour plaisir : iceluy y avoit telles fois quelque Lion, Once, ou autre telle fiere beste, qui se faisoyent chere comme quelque animal privé es maisons des paisants. Lon dit communement, que le Heron est viande Royale. Parquoy la noblesse Françoyse fait grand cas de les manger, mais encor plus des Heronneaux : toutesfois les estrangers ne les ont en si grande recommendation. Il sont sans comparaison plus delicats que les Grues. Il apert par le vol qu’on dresse maintenant pour le Heron avec les oyseaux de proyë, que les anciens n’avoyent l’art de fauconnerië si à main comme on l’ha maintenant. Aristote ha bien dit, au premier chapitre, du neufiesme livre, que l’Aigle assault le Heron, & qu’il meurt en se deffendant. Le Heron se sentant assailly, essaye à le gaigner en volant contremont, & non pas au loing en fuyant, comme quelques autres oyseaux de riviëre : & luy se sentant pressé, met son bec contremont par dessous l’aelle, sachant que les oyseaux l’assomment de coups, dont advient bien souvent qu’il en meurt plusieurs qui se le sont fiché en la poictrine. Les Herons sont solitaires se tenants seulets tant sur leurs perches, comme en leur pasture. Et pour ce qu’ils ont les jambes moult longues, leur demeure sur jour, est se tenir en l’eau : ainsi evitent les injures des oyseaux de proyë, & des bestes à quatre pieds. Il y en ha qui ne prennent point de perche pour dormir, si est-ce qu’on en voit plusieurs dormir sur les arbres. Il est moindre en proportion qu’une Grue & Cigogne, ayant les jambes & le bec long, parquoy fait grande destruction sur le menu poisson, car il en mange grande quantité. Et pource que sa queuë est courte, ses jambes & pieds apparoissent, lors qu’il vole, plus longs que sa queuë. Lon ha tenu que les Corneilles & les Herons ont aliance d’amitié contre les Regnards. Qu’ils soyent amis des Corneilles, cela est vray semblable, car lon les peut voir faisants leur aire sur un mesme arbre l’un aupres de l’autre. Le Heron cendré est aussi nommé Pella. Aristote ha eu opinion, au lieu ja allegué de l’histoire, que l’acouplement du masle & femelle est difficile, & que le masle se met à faire voix : & à ce que lon dit (dit il) il luy sort du sang par les yeux : aussi dit que la femelle pont mal aisement en grand douleur. Elle est songneuse en son vivre, & fait provision pour son manger, prenant grande peine sur jour en le cherchant, ayant le ventre humide. Mais est de laide couleur.

Du Heron blanc.
CHAP. III.


SUYVANT les enseignes d’Aristote, qu’il ha escrit du Heron blanc, trouvons quelles ne conviennent à l’oyseau, duquel pretendons parler, ains à la Pale, Poche ou Cuillier, comme apert par les mots Grecs, & la version latine de Gaza, disant au chap. 3. du huictiesme livre, Petit lacus & fluvios Ardeola, & Albardeola, quae magnitudine minor est, rostro lato perrectoques, etc. Qui sont merques evidentes, monstrants que ce ne peut estre de ce Heron cy, qui est de mesmes meurs que les Herons cendrez. Il est assez commun par noz rivages, ayants tesmoings modernes qui ont escrit, qu’on le voit aussi en Angleterre. De ceste diligence ne voulons frustrer le devoir deu à monsieur Tournerus sçavant medecin. L’on en voit beaucoup plus sur les rivages de la mer de Bretagne, qu’en terre ferme des plaines de France. Quoy qu’on lise ne la version Latine de Gaza en Aristote, ou il met telles fois Albicilla & Albicula, pour la Greque leukos, ne nous ha retardé de croire qu’Aristote n’avoit veu ce Heron blanc, non plus que l’Aigrette, nous asseurant qu’il ne s’en fust teu, ou bien faut dire que Gaza avoit autre exemplaire, ou que les Imprimeurs ont laissé ce mot, leukos, au troisiesme chapitre du huictiesme livre de l’hystoire, la ou sa version latine dit : Adhaec Junco, Cinclus, Albicula, Tringa. Car si telle diction, leucos, s’y fust trouvee, lon eut peut penser, qu’il eust entendu ou du Heron blanc, ou de l’Aigrette. Et si lon vonloit entendre que ce mot seul leucos, signifiast le Heron blanc, comme au dixhuitiesme chap. du neufiesme livre, ou il dit & lon fist difference à celle ou il met en un mot leukerodios, alors lon pourroit advouër, qu’Aristote en auroit parlé, s’il entendoit en deux especes. Cestuy Heron blanc n’estant en rien different au Cendré, ne peut estre leukerodios : Car Aristote au lieu susdit veult qu’il soit quelque peu moindre que le Heron. Le cendré & luy ont mesme cry, &, comme dit est, ils se hantent l’un l’autre, tellement qu’on les ha quelques fois veuz assemblez en une aire, & faire leurs petits meslez mi-partis, les uns blancs, & les autres cendrez. Et tout ainsi qu’il n’ha difference à l’Aigrette qu’en la grosseur, aussi n’est different au susdit qu’en couleur : Parquoy n’est ja besoing d’en bailler le portraict apres le cendré.

Du Butor.
CHAP. IIII.


LES Grecs ont eu bonne raison de mettre le Butor entre les especes des Herons. C’est un oyseau assez commun en touts lieux, & en France : & duquel l’appellation Françoyse se resent beaucoup de son antique appellation Latine. Car il est cotté en Pline, au quarente-deuxiesme chapitre, du dixiesme livre, que les Latins ont nommé un oyseau Taurum, à cause de son cry. Aristote l’ha nommé au 18. chap. du 9. livre, Astirias, qu’on ha tourné Stellaris, qui signifie Estellé, pource qu’ayant le corps de Heron, & estant d’autre couleur, est merqueté de diverses taches. Il fut aussi nommé Phoix, dit il, suyvant la fable d’un Esclave paresseux nommé Phoix, qui fut transmué en Butor. Encor pour le jourdhuy nostre vulgaire se resent de son antiquité sur ce passage, qu’en injuriant un homme paresseux, pense l’outrager de le nommer Butor. Cest oyseau ha cela de particuliër, qu’il essaye tousjours à crever les yeux. Pour laquelle chose les païsants qui en prennent, les voulants garder en vie, & estants advertis de ce vice, les tiennent tousjours ciglez. Il est de la grandeur d’un Heron, mais ses jambes sont plus courtes. Et au lieu que les plumes d’un Heron sont cendrees, cestui-cy les ha Rouännes, merquetees de taches brunes par le travers. Son col est long d’un pied & demy, bien entourné de plumes palles, distinguees de taches noires, & dont est mieux garny dessus que dessous. Les plumes qui couvrent le sommet de sa teste, sont noires. Il ha les trous des ouyës larges, entournees de petites plumes fauves. Son bec est droit, beaucoup moindre que celuy du Heron, ayant bien quatre doigts de longueur, de couleur entre cendree & plombee, & trenchant par les bords, gros comme le doigt, & poinctu par le bout, creux par dedens, & coché de petites entailleures, duquel la partie d’embas s’emboiste de celle de dessus, tellement qu’il en appert quasi carré & canellé par dessus. Il est garny de plumes noirastres. Les plumes de dessous son bec en l’endroit ou il ha la langue, sont blanchastres. Il ha les aelles grandes, chacune contenant vingt-quatre grosses plumes, & quatre en chasque petit aelleron. Sa queuë est courte, en laquelle y ha huit plumes qui ont gros tuyaux. Il ha aussi les yeux rouges non totalement ronds, & ses paupiëres sans poil. Ses jambes ont bien un pied de long, qui sont de couleur entre jaulne & plombé. Aussi ha de grands doigts es pieds, & desquels on ha acoustumé enchasser les ongles en fin metal, pour faire des curedents : mais principalement celuy qui est en l’ergot de derriere, est plus long que nul des autres. Il ha le siflet, que les Latins appellent l’aspre Artere, tout rond, fermé & gros quasi comme le doigt, & est continué d’anneaux, qui n’ont aucune separation, comme en celuy de plusieurs autres oiseaux. Il ha cinq costes entieres de chasque costé, & une moindre. Et tout ainsi comme les oyseaux changent ordinairement leurs appellations selon diverses contrees : tout ainsi le Butor change son nom en Bretagne, ou il est appellé Galerand. Il encruche son nid dessus les rameaux des haults arbres, & le fait de Buchettes ou il pond trois ou quatre œufs. C’est bien à s’esmerveiller qu’Aristote, qui ha escrit l’histoire des animaux soigneusement, ha laissé ce que dirons du Butor, c’est que quand il se trouve à la rive de quelque estang ou marais, mettant son bec en l’eau, il fait un si gros son, qu’il n’y ha beuf qui peust crier si haut. Car il fait retentir les confins de tel son, qu’on l’oit d’une demië lieuë de loing, dont il ha gaigné son nom Latin Taurus. Aristote disoit au dixhuitiesme chap. du 9. livre, Sed Asterias quae & Ocnos, id est pigra cognominata est, (ut cognomen sonat) iners otiosaque est. La fable racontee d’un serviteur paresseux mué en cest oyseau, est ancienne & de vray le Butor cheminant, va le plus lentement qu’on scauroit dire. Il est d’une saveur mal plaisante à qui ne l’ha acoustumé, toutesfois qu’il est entre les delices Françoyses. Les Veniciens n’en font pas grande estime. Pour l’intelligence de son portraict, encor qu’il ait le col long si est-ce que se tenant coy, il retire sa teste pres de ses espaules, & cache son col dedens ses plumes : tel la veu le peintre, toutesfois chacun estimant sa contenance, s’assure de le voir au naturel.

De la Pale Poche & Cueiller.
CHAP. V.


LA PALE est oyseau moult commun es rivages de nostre Ocean, sur les marches de Bretagne, comme aussi est le Heron blanc : mais il y ha difficulté à luy rendre son nom ancien. Et nous querants sçavoir si les anciens en ont eu cognoissance, avons trouvé quelques difficultez en Aristote qui nous ont retardé, telles que dirons cy apres. La difference d’entre la Pale ou Cueiller, & la Poche est mise en la grandeur : car une Poche est plus grande, & ha le bec plus large. Ceux qui ont pensé que la Poche devoit estre nommee Onocrotalus, se sont grandement abusez, comme aussi les autres qui la prenoyent pour Platalea. Il est manifeste que Aristote l’ha nommee Leukerodios, comme il appert en ce qu’il en ha escrit au troisiesme chapitre du huitiesme livre, en ceste maniëre. Leukerodios quae magnitudine minor est, rostro lato, porrectoque, etc. Il est beaucoup plus frequent d’en voir es païs maritimes le long des marais, que es regions mediterranees. Or tout ainsi que nous luy avons donné le nom de Pale & Cueiller, à cause de son bec, aussi Aristote suyvant le vulgaire de son païs l’a nommé Leukerodios, comme qui diroit en Françoys, Heron blanc : car nous sommes d’opinion qu’Aristote n’ha fait aucune mention du Heron blanc, tetl que l’avons descrit. Elle seroit semblable au Heron blanc, n’estoit son bec qui est rond à l’extremité & large. Mais, comme dit est, il y ha deux especes de Pales, l’une plus grande nommee Poche, & l’autre plus petite nommee Pale ou Cueiller. Nous repetons cecy pour la difficulté qui nous ha retardé en Aristote, ou il dit que Leukerodios, est plus petite que le Heron cendré. Cela nous avoit faire quelquesfois penser que l’Aigrette estoit celle, que Gaza nommoit Albicula de diction diminutive d’Albardeola : mais nous en dirons nostre advis plus au long au suyvant chap. parlants de l’Aigrette. La Pale fait son nid de buchettes, sur la summité des hauts arbres, pres de la marine, principalement sur les confins de Bretaigne & Poictou, eslevant jusques au nombre de quatre petits, qu’on trouve de goust assez delicat au manger à ceux qui aiment la saveur de la saulvagine : car ils la sentent encor plus que les Herons gris. Mais toute la difficulté qu’on trouve au discours de ceste Pale, est que pretendons luy attribuer les enseignes qu’on penseroit estre deuës au Heron blanc : Candida (dit Gaza en Aristote au neufiesme livre, chapitre dixhuitiesme) colore est pulchro, & coit, & nidulatur, & parit probe : pascitur paludibus, lacu, campis, & pratis. Pline en ha escrit au trente-septiesme chapitre de l’unziesme livre. Et inter aves Ardeolarum genere, dit il, quos Leucos vocant altero oculo carere tradunt optimi augurij cum ad austrum volant, septentrionemve. Les pales font grand bruit estants es forests, fors qu’elles abeichent leurs petits ayants la voix moult differente aux Herons & Galerans. Elles mangent de toutes especes de petits poissons, & se perchent la nuict sur les arbres pour dormir. Si on les apporte es lieux mediterranees, & on leur baille quelques tripailles & chair, elles ne sont trouvees difficiles à nourrir.

De l’Aigrette.
CHAP. VI.


L’AIGRETTE doit estre mise entre les especes des Herons, car elle vit, fait son nid, & est de mesmes meurs que les Herons. Les Françoys l’ont ainsi appelle, à cause de l’aigreur de sa voix, qui est beaucoup plus puissante que celle d’un Heron. Les Italiens la nomment Agroti. Nous doutons à sçavoir s’ils l’ont prinse de nous, ou que nous l’ayons prinse d’eux. Et pource que l’Aigrette est de moindre corpulence que le Heron, & de couleur blanche, fait que l’ayons soupçonnee celle que Gaza en Aristote ha nommee Albicula, de la diction Greque Leucos, à la difference de la Pale, qui ha esté nommee Leukerodios, & traduit Albardeola : mais nous en dirons librement nostre opinion sans rien deguiser ne dissimuler. Cest oyseau hante les bords des rivieres, parquoy nature luy ha baillé les jambes longues, qui sont de couleur cendree : ayant les pieds noirs & moult grands, comme aussi son col est long & communement courbé. C’est de lá qu’elle en apparoist estre bossuë comme le Heron. Ses yeulx sout ronds, entournez d’un cercle doré, ayant le bec comme celuy d’un Butor, mais plus gresle. Quand elle se pourmene par les orees de quelque riviere, mare ou estang, on la voit trembler d’un pied en l’eau, comme voulant espouventer le poisson pour le prendre & le manger. Les considerations de la nature du Heron blanc, & de l’Aigrette, nous ont induït à penser qu’Aristote n’en avoit aucunement parlé. Les Aigrettes importunent quelques habitants de regions Mediterranees : car aucunefois iront à grandes troupes faire leur aire en quelque touche de jeune bois de haulte fustayë, qui aura beaucoup cousté à eslever, lequel estant touché de leurs excrements, cessera d’estre en verdure, tellement qu’on est contraint souventesfois faire grande despense avant les en pouvoir chasser. Il y ha certaines plumes en deux costez des aelles sur le dos de l’Aigrette, qui sont deliees & blanches, & qui sont venduës bien cheres es basefaus de Turquië : dequoy quelques hommes se reservent à eux pour secret de les aracher de dessus les Aigrettes : car ceux qui les prennent ou apportent vendre es marchez, n’y prennent garde. Sa chair est delicate & tendre, se rapportant au goust de celle du Heron. Il semble que Gaza ait eu un exemplaire Grec d’Aristote, different à celuy de l’impression de Venise & Almagne : car en celle clausule Latine ou il dit, Petit lacus & fluvios Junco, Cinclus, Albicula, Tringa, etc : Leukos n’est trouvé es exemplaires Grecs : dont avons voulu amonester le lecteur. Comment qu’il en aille, nostre discours sur la description des Herons blancs, Aigrettes, & Pales, leur demeurera certain, encor qu’il y ait incertitude en leurs appellations antiques.

Du Bihoreau, ou Roupeau espece de Hron.
CHAP. VII.


IL N’EST meilleur moyen pour bien sçavoir si un oyseau est rare ou commun en une province, que quand lon ha trouvé le corps de quelcun au marché, ou se tiennent ceux qui se meslent de vendre les oyseaux : Car le monstrant en presence de plusieurs, chacun en dira ce qu’il en sçait, & selon leur parler, en fera son rapport. Nous avons trouvé un Bihoreau qui est espece de Heron, sur la fin du mois de Mars, qu’on vendoit au marché. Car les oyseaux qu’on prent es païs circonvoisins, sont apportez à la ville pour en avoir argent. Quelques chaircuïtiers le voyants plus petit qu’un Heron, pensoyent que ce fust un Heronneau, toutesfois il en estoit autrement, saçhants que les Herons n’ont encor fait leurs œufs en ce temps lá, & par consequent nuls petits. En ces entrefaictes divers bruits s’eslevoyent, car l’un disoit d’un, & l’autre d’autre. Les uns ne pouvoyent accorder qu’il fust un Bihoreau legitime, mais bastard, nay d’un Heron & d’un Bihoreau : toutesfois ont conclud sur la fin qu’il estoit Bihoreau, mais trouvoyent estrange qu’on en recouvrast en ce temps lá : car comme avons souvent dit, les oyseaux ont leur certaine saison en l’annee, en laquelle lon ha coustume de les voir communement. Et à fin de faire mieux entendre quel oyseau c’est le Bihoreau, on le pourra voir par ceste description. Il est plus grand qu’une Aigrette, mais moindre que un Heron. Ses yeux ont le cercle rouge, & la prunelle noire. Son bec est noir creux & tranchant, comme celuy du Heron. Le dessus de sa teste & du dos est de plumes colorees, comme le dos d’un Vanneau, ayant une ligne blanche commençant depuis l’oeil, & suyvant jusques à l’autre par le devant du front. Et entre les plumes noires de dessus sa teste, sortent d’autres petites plumes blanches longues & deliees, qui fait moult beau voir. Ses aelles sont comme de Heron de moult belle couleur cendree, & aussi est sa queuë, mais tout le dessus & dessous du col, & dessous le ventre, les cuïsses & les plumes de dessous la queuë sont blanches, & ses jambes longues. Il ha la cuïsse denuëe jusques bien hault au dessus du genoil : tant celle partië de la cuïsse que la jambe, sont de couleur jaulnette, tirant sur la couleur paillee. Ses ongles ne sont gueres longs. Les Bihoreaux sont plus communs aux rivages des mers, tant entour la mer de Bretagne, que ailleurs, Ils font leurs nids en lieux de difficile acces entre les rochers. Quant au manger on ne les estime rien moins qu’un Heron, & estre de mesme saveur, & les fault habiller en la mesme maniëre. Nous les nommons aussi Roupeaux, à cause qu’ils se tiennent par les rochers. Cela nous ha fait penser que ce fust Rupex en Aristote au troisiesme chapitre du huittiesme livre : mais trouvants que Rupex & Charadrios est tout un, que Gaza ha aussi traduit Hiaticola, avons pensé que nostre Roupeau n’est Rupex, comme il appert au chapitre du Charadrios. Mais voyants qu’il y ha certaines plumes sur le sommet de sa teste, & trouvants que les anciens ont dit que Grus Balearica est merquee de tel signe, avons eu occasion d’en toucher quelque mot en cest endroit, joint qu’en avons parlé au chapitre de la Grue. Nous n’avons moult grandes enseignes à les soupçonner Balearicas Grues : Car ne le trouvons es autheurs, sinon en Pline au trente-septiesme chapitre de l’unziesme livre, ou est escrit, Grus Balearica cirrum in capite gestat. Mais quant au nom Françoys, il n’y ha chaircuïtier qui ne le sçache cognoistre es villes de France. Nous trouvons mention d’un oyseau nommé Horion, qu’on attribue au recit de Clitarchus, qui ha escrit qu’on le trouve naissant en Indie, espece de Heron, ayant les jambes rouges, les yeux de couleur celeste, si bien chantant qu’il surpasse les Sirenes.

Du Flament, ou Flambant.
CHAP. VIII.


L’OYSEAU que les anciens Grecs & Latins nous ont signifié sous ce nom Grec Phoenicopterus, ha esté dit de nom Françoys Flambant, tant à cause de la couleur de sa plume, qui est de couleur de datte, que pource qu’elle est comme flambante. Les autres le nomment Flament. Cest oyseau ha esté en grand honneur es banquets des anciens Romains, comme il appert par les escrits des anciens livres Latins : mais c’estoit pour la friandise de quelques empereurs. Quand à ce qui ha esté prononcé par certains autheurs, comme Pline au dixiesme livre quarente-huittiesme chapitre, & Macrobe, que quelques empereurs aimoyent à en manger la langue, Galien est d’opinion que ce soit chose ridicule, comme il appert par ses mots. Quod si de volucrium animalium lingua, dit il, ac rostro dicere aggrediar, quum ea nemo ignoret, garrire merito existimabor. Parquoy lesdits autheurs Latins ont expressement taxé l’abondance de si friands empereurs, comme aussi Martial ha dit en un distique, Dat mihi penna rubens nomen, sed lingua gulosis Nostra sapit : quid si garrula lingua foret ? Il ha les jambes longues & rouges, comme est aussi son bec. Et au demeurant, de la grandeur d’un Corlis, & de moult belle couleur exquise tirant entre l’orengé & tanné. Il n’est point veu es païs de deça, si on ne l’apporte prisonnier : & combien qu’il soit oyseau palustre : toutesfois il n’est guere prins de ce costé de la mer Oceane : mais est quelquefois veu en Italie, & plus en Espagne qu’aillieurs : car on le fait passer la mer. Aristote n’en ha fait aucune mention, n’estoit qu’on pensast qu’il l’eust nommé de quelque autre nom que nous ignorions. Et de nous, demeurerons en ceste opinion, que si ce n’est Glottis, ne luy souspeçonner aucun autre nom en Aristote : Car il est à presupposer qu’il ne l’a ignoré.

De l’Ibis.
CHAP. IX.


LES anciens tant historiens, philosophes, que poëtes, ont beaucoup parlé d’un oyseau nommé Ibis, qui est particulier au païs d’Egypte, lequel Herodote ha comparé en grandeur à l’oyseau qu’on nomme Crex. Cest Ibis, dont pretendons parler, est quelque peu moindre qu’un Corlis, & totalement noir duquel la teste est comme celle d’un Cormarant, ayant le bec gros comme le poulce, poinctu, courbé, & voulté par dessus, & tout rouge, comme aussi sont ses cuïsses & ses jambes, aussi hault enjambé qu’un Butor, ayant l’habitude & contenance d’iceluy. Les Egyptiens ont eu l’Ibis en grande veneration, pource qu’il les delivre des Serpents : Car ou il en trouve, il les mange, & s’il en est saoul, il ne les laisse en vie. Touts autheurs sont d’accord que c’est une espece de Cigogne. Aussi Aristote au XXVII. chapitre du neufiesme livre, l’a tousjours mis en la compagnie de la Cigogne. Les Egyptiens, qui estoyent plus ceremoniëux que touts les autres hommes, sentants que tels oyseaux leur faisoyent profit en leur mangeant les Serpents, les avoyent en veneration, non seulement en leur vie, mais aussi apres leur mort : parquoy à fin qu’ils ne fussent privez de sepulture, les faisoyent confire en diverses maniëres, lesquelles avons descriptes au livre intitulé De medicato cadavere. Tout ce que plusieurs autheurs ont dit de l’Ibis, est prins de Herodote, & mesmement Aristote au neufiesme livre, chapitre vingt-septiesme, en ha fait mention de deux especes, des blanches, & des noires. Ibes Aegypti, dit il, duplici genere distinguntur : sunt enim aliae candidae, aliae nigrae : candidae apud Pelusium tantum non sunt, cum in reliqua tota Aegypto babeantur. Nigrae contra apud Pelusium tantum : in caetera Aegypto nullae : tellement qu’il ne comte point l’Ibis blanche pour espece de Cigogne : car il la descrit en autre endroit sous le nom de Cigogne. Mais ce qui nous fait penser qu’Herodote parlant de l’Ibis blanc, eust possible entendu de la Cigogne, est que la Cigogne estant si commune aux Egyptiens qu’il ne s’en devoit taire, toutesfois n’en ha fait mention en autre endroit. Fertur ex Arabia serpentes alatos ineunte statim vere in Aegyptum volare : sed eis ad ingressum planiciei occurrentes aves Ibides non praetermittere, atque ipsos interimere, & ob id opus, ibidem magnoin honore ab Aegyptiis haberi, etc. Eius avis (dit il) species talis est, nigra tota vehementer est. Cruribus gruinis, rostro maxima ex parte adunco. Eadem, qua Crex, magnitudine : & haec quidem species est nigrarum, quae cum serpentibus pugnant. At earum, quae pedes humanis similes habent (nan bifariae Ibides sunt) gracile caput ac totum collum pennae candidae praeter caput cervicemque & extrema alarum & natium : quae omnia, quae dixi, sunt vehementer nigra, crura & facies alteri consentanea. Voyla que Aristote & Herodote en ont escrit : mais il nous semble que Herodote ait descrit la Cigogne en parlant de l’Ibis blanc, comme ferons voir en ce suyvant chapitre. Et Strabo qui ha aussi cheminé par Egypte, suyvant les traces de Herodote, au lieu que Herodote a dit aliae candidae, Strabo ha mis aliae colore Ciconiae.

De la Cigogne.
CHAP. X.


LES Cigognes sont cognues de toutes gents : car on leur dresse souvent des rouës sur le faiste des palais des villes, ou elles font leur aire, ou bien choisissent la summité de quelque arbre en lieu marescageux, lá ou elles eslevent leurs petits. Il est tout arresté, qu’elles se tiennent l’hyver au païs d’Egypte, & d’Afrique : car nous avons tesmoings d’en avoir veu les plaines d’Egypte blanchir, tant il y en avoit des les mois de Septembre & Octobre : par ce que estants lá durant & apres l’inondation, n’ont faulte de pasture. Mais trouvants lá l’esté intollerable pour sa violente chaleur, viennent en noz regions, qui lors leurs sont temperees, & s’en retournent en hyver pour eviter la froidure par trop excessive : car estants lá ou il ne gele & ne neige aucunement, font leurs petits pour la seconde fois, & n’endurent aucun froid. Elles sont en ce contraires aux Grues : car les Grues & Oyes nous viennent voir en hyver, lors que les Cigognes sont absentes. Herodote ha entendu la Cigogne specifiant l’Ibis blanc : car comme dit est au precedent chapitre, il ha dit de l’Ibis blanc tout ce que pourrions escrire de la Cigogne. Et comme l’Ibis noir ha le bec rouge & les jambes longues comme d’oyseau palustre, tout ainsi est de la Cigogne : laquelle, dit il, seroit toute blanche n’estoit que les bouts de ses aelles sont noires, & quelque peu des cuïsses & de la teste. Qui eust voulu descrire nostre Cigogne n’en eust sceu dire d’avantage, pour la nous donner à entendre. Les poëtes faignent que Antigone sur de Priam devint si glorieuse pour sa beaulte, qu’elle osa se comparer à Juno. Dequoy icelle deesse estant moult courroussee, la convertit en Cigogne. Qu’on lise le cinqiesme de la Metamorfose d’Ovide. La Cigogne ha le bruit d’avoir enseigné l’usage des clisteres, & que les enfants nourrissent les peres en vieillesse. Son bec, ses jambes sont rouges. Ce n’est pas l’usage de manger ne les Cigognes, ne les Cigogneaux : nomplus que du temps de Pline, qui ha dit ainsi au vingt-troisiesme chapitre du dixiesme livre. Corn. Nepos, qui divi Augusti principatu obiit, cum scriberet Turdos paulo ante coeptos saginari, addidit Ciconias magis placere, quam Grues : cum haec nunc ales inter primas expetatur, illam vero nemo velit tetigisse. Voulant dire que les Grues estoyent en delices, & les Cigognes n’estoyent touchees de personne. Mais maintenant les Cigognes sont tenuës pour viande royale. Quand les Cigognes s’en vont, on ne les apperçoit en trouppe sinon en l’aer : comme il nous advint au mois d’Aoust, estants lors à Abidus, une grande bande de Cigognes venoyent des païs septentrionaux, & quand furent sur le commencement de la mer mediterranee, lá feirent plusieurs tours en circuït, & s’escartants par moindres compagnies, cesserent de plus aller en troupe. Ce qui fait que ne les voyons, que quand elles sont venues, est qu’on ne les oit criër comme les Oyes ou Grues. Parquoy le bruit qu’elles font, est un son que font les maschouëres se donnants les unes contre les autres, & non pas voix venant des poulmons. Cela ha esté cause qu’on les ait estimees sans langue. Le bruit ha esté de touts temps, que les jeunes nourrissent leurs peres & meres javieilliz, leur administrants tout ce q’uil leur fault. De lá est sorty un mot qu’on dit aux gents qui ne sont ingrats, Antipelargia, comme qui diroit en Françoys, comme la Cigogne : car Pelargus en Grec est à dire Cigogne. Lon ha estimé que le jesier de la Cigogne est bon contre les venins, & qui aura mangé d’un Cigogneau ne sera lousche en sa vie. Il ha esté deffendu en Thessalie sur peine de la teste, & estre puny comme homicide, de ne tuer les Cigognes, d’autant qu’elles delivrent les habitants des Serpents. C’est la mesme raison pourquoy les Egyptiens les ont en si grande recommendation.

De la Pie, ou Becasse de mer.
CHAP. XI.


IL y ha un oyseau palustre ja cogneu, lequel les uns, pource que ses aelles ont une ligne blanche par le travers comme une Pie, l’ont appellé Pie de mer. Les autres luy voyants le bec aussi long que celuy d’une Becasse, le nomment Becasse de mer. Ce bec est entre rouge & jaulne par l’endroit qui touche la teste, mais est brun par le bout, & long de quatre doigts, monstrant merques differentes à touts autres longs becs, par lesquelles on le peut facilement distinguer : car on le voit quelque peu applaty à l’extremité, & moult tranchant par les bords. Il ha bien autant de charnure qu’une Aigrette, toutesfois n’est de si grande monstre, comme aussi est plus bas enjambé. Il ha la teste, le col, & le dessous de la poictrine, comme aussi le bout de sa queuë (qui est longue comme celle d’un Caniard) de couleur fort noire. Le dessus du corps & des aelles est noirastre, tirant sur la couleur enfumee : mais ses costez, le milieu des aelles, le ventre, & grand partië de la queuë sont blancs. Il ha les jambes & pieds grossets, rougeastres, mols & delicats, contraire en ce à plusieurs autres oyseaux de riviere. Luy voyants les jambes & pieds rouges l’avont nommé Haemantopus. Il n’a que trois doigts en ses pieds, qui sont enseignes, qu’avons trouvees en Pline, qui dit en ceste sorte, au quarente-septiesme chapitre du dixiesme livre : Haemantopus multo minor est quam Porphyrio, quanquam eadem crurum altitudine : rostrum quoque & crura rubent. Nascitur in Aegypto, insistit ternis digitis. Praecipuum ei pabulum Muscae. Vita in Italia paucis diebus. Toutes lesquelles choses trouvons facilement convenir à ceste Pie de mer, qui autrement nous est aucunement rare en France, sinon qu’on les prend quelques fois par les marais de Saintonge, mais ne sont gueres bonnes à manger : car elles sentent par trop la sauvagine.

Du Corlis, & Corlieu.
CHAP. XII.


LE CORLIS est oyseau d’aussi grande corpulence comme une Aigrette. Il ha gaigné son nom Françoys de son cry : car en volant il prononce Corlieu. Les Milanois possible retenants ce nom des Françoys, l’appellent Caroli. Il est constant en son plumage, n’estant coustumier de changer sa couleur, & n’ayant beaucop de distinction du masle à la femelle. Il y ha un autre oyseau quelque peu moindre que cestuicy, qui ha ainsi le bec long, qu’on nomme en Françoys un petit Corlieu, que plusieurs pensent estre tout un, & toutesfois cela est fauls : car en quelques endroits de France, il nous ha esté nommé une Barge. Nous en parlerons plus au long par cy apres. Ce Corlis ha le bec tourné en faucille, beaucoup voulté, ayant un grand demy pied de long, qui est gros comme le doigt en l’endroit ou il touche à la teste : mais beaucoup plus delié par le bout. Sa langue nous semble moult courte pour la proportion de si long bec. Il est de couleur grise, tout merqueté de taches brunes & rougeastres. Il sent beaucoup la sauvagine. Le dessous de son ventre est blanc, mouchetté de noir, tellement que par cest endroit ressemble à un oyseau de proye. Les plumes de dessus ses aelles sont presque semblables à celles d’un Gerfaut. Sa queuë est courte, qui ne passe guere la longueur de ses aelles, aussi est tachee & bigarree en travers de brun & de blanc. Il ha le col longuet & gros tout entourné de plumes grises. Ses jambes sont longuettes de couleur perse, ayant quatre doigts en chasque pied, dont les trois de devant sont bien fournis & gros : celuy de derriere est court. La moytié de sa cuïsse au dessus du genoil est tout denuëe de plumes, chose qui advient aussi à touts autres oyseaux de marais. Nous n’en cognoissons aucun autre, qui ait le bec si long que cestuy lá. Et encores qu’il soit d’une saveur plus farouche, que nul autre, & sente la sauvagine à pleine bouche, ce neantmoins le voyons obtenir un degré d’honnesteté en dignité entre les oyseaux qu’on appreste es festins & banquets de noz contrees. Les Corlieux volent en trouppes, & se paissent dedens les prairiës humides des achees qu’ils tirent avec le bec hors de terre, comme aussi mangent toute maniëre de vermines sur les herbes. Nous n’avons encor trouvé aucun nom ancien pour l’exprimer, n’estoit que l’avouässions estre Elorius. Et de vray Elorios est diction approchante de la voix que fait le Corlieu. Elorius, dit Aristote, avis est apud mare victitans Creci similis. Coelo tranquillo ad littus pascitur. Et s’il est semblable à Crex, fault entendre que son bec soit long : car il dit : Habet porro Crex rostrum longum & acutum, etc.

De la Barge.
CHAP. XIII.


DES-JA avons fait entendre selon nostre advis que le Vanneau est nommé en Grec Aex, qui est à dire Cheüre : & ce à cause du cry qu’il fait comme le beellement d’une Cheüre. Et nous voulants recognoistre les oyseaux tant aux champs qu’en la ville, sçavons que la Barge, est oyseau de prairië, comme le Corlis, & qui hante aussi, la mer laquelle estant soupeçonneuse, & qui ne laisse approcher les hommes gueres pres d’elle, s’il advient quelques fois qu’elle s’esleve avec peur, commence à jecter un cry tel que les Boucs ou Cheüres font en beellant, lors qu’ils ont la gueule plaine. Cela ha esté cause de la nous faire soupçonner Capriceps, qu’Aristote dit au quinziesme chapitre du second livre, Aegocephalus, comme qui diroit en Françoys, teste de Cheüvre. Et si faillons à la nommer d’antique appellation, tousjours sa description demeurera entiere à la Barge, qu’on pourra referer lá ou il appartiendra. Elle est moindre qu’un Corlis, & quasi de mesme couleur, en ce differente, que son bec n’est si long, ne si voulté : mais estant droit l’ha quelques fois recroché en amont. Aristote au quinziesme chapitre du second livre des animaux, dit : Capriceps avis liene omnino caret. Et à la fin du mesme chapitre il adjouste encor : Aliis enim fel ventri, aliis intestino jungitur, ut Columbae, Corvo, Coturni, Hirundini, Passeri. Aliis iecori simul & ventri, ut Capricipiti. Aliis iecori simul & intestino, ut Accipitri, Milvo. Or maintenant il est question à sçavoir si nous trouverons les enseignes en ceste Barge, telles qu’Aristote nous les ha laissees. Donc remettons l’experience à ce qu’en rapporteront ceux qui ne se sentiront molestez d’en faire l’anatomie : car nous luy avons trouvé les interiëures partiës conformes à ce qu’en avons dit, allegants le texte d’Aristote. Cest un oyseau es delices des Françoys. Mais il est plus rare es regions esloignees de la mer : Car il aime ase paistre par les marais d’eau salee. Grande partië des oyseaux palustres sont aussi oyseaux de nuict, & de vray cestuy particulierement est plus duit à se paistre la nuit que le jour. Parquoy tiendrons cestuy cy pour Aegocephalus, ou Capriceps, jusques à ce qu’en aurons trouvé quelque autre qui nous y ait mieux satisfaict. Quelquefois pensions que le grand duc fust Capriceps : luy voyants avoir cornes, toutesfois l’avons mis en autre endroict, non sans soupçon de quelque affinité de nom avec le Tragopana.

De l’oyseau nommé Crex.
CHAP. XIIII.


LORS que passions sur le Nil pour aller au Caire, estants arrestez derriere une haye, voyons un oyseau d’assez pres, lequel pensasmes estre celuy qu’Aristote ha nommé Crex. Ce qui l’ha fait cognoistre le mieux, est que l’ayants ouy crier disant Crex, Crex, le descrivismes sur le lieu. Il est hault monté sur ses jambes, comme est un chevalier, mais est un peu plus gros, toutesfois moindre que le Corlis, & ha le bec long & noir, comme aussi sont ses jambes & toute la teste : mais le dessous du col, de la poictrine, & le dessus des espaules est blanc. Le parsus du corps tient du cendré, comme aussi les aelles sont brunes, ayants une ligne blanche sur chasque costé en travers. Cest oyseau prend sa mangeaille sur terre, volant en l’aer, & mange les mouches à la maniëre d’un Vanneau : & quand il vole, fait grand bruit de ses aelles. Possible qu’il n’est point veu entre les oyseaux Françoys, combien qu’auparavant l’eussions soupçonné nostre Barge. Aristote ha comparé le Corlieu, qu’interpretons Elorius, avec Crex, qui veult expressement que touts deux ayent le bec long.

Du Chevalier rouge.
CHAP. XV.


LES Françoys ayants un petit oysillon de la corpulence d’un Pigeon, hault encruché dessus ses jambes, quasi comme estant à cheval, l’ont nommé Chevalier. Il est tresbien muny de bonnes plumes, qui est cause qui’l ha moindre charnure qu’il ne semble. Son bec & ses jambes sont longues de couleur rouge, & qui demonstrent bien qu’il est oyseau aquatique : mais la partie de dessus le bec est noirastre. Il est blanc par dessous le ventre, cendré par la teste, & par dessus le col, grivelé dessous les aelles, & la queuë. Ceste est la raison pourquoy il nous ha semblé que c’est luy qu’Aristote ha nommé Calidris : car au troisiesme chapitre, du huittiesme livre des animaux, il dit. Quinetiam Calidris cui cinereus color distinctus varie. Et tout ainsi comme les plumes de l’Ostarde, & la Cane petiëre sont rouges à la racine, cestuy cy les ha noires, & porte deux taches noires par les deux costez des temples, qui luy umbrent les sourcils, sur lesquels il y en ha une blanche. Il ha les pieds tout ainsi fenduz que la Pie de mer : sçavoir est que les deux doigts de la partië de dehors sont liez d’une membrane, qui les separe de celuy, qui est de la partië du dedens. Le quatriesme ortueil est moult petit par le derriere. Aussi ses aelles sont ainsi faictes que celles d’un Pluvier, c’est à sçavoir que les plumes joignant le corps sont l’aegale longueur quand il ha l’aelle fermee aux grosses premiëres pennes. Telle petite corpulence montee dessus si haultes eschasses, chemine gayement, & court moult legerement. Il hante les prairiës, & le bort des rivieres, & estangs, & se tient communement dedens l’eau jusques aux cuisses. Il n’ha saveur de sauvage, ains est de goust delicat, & de bon odeur aromatique. On le louë le plus delicieux d’entre touts les oyseaux de son ordre.

Du Chevaliër noir.
CHAP. XVI.


IL EST manifeste qu’il y ha distinction du Chevaliër noir au rouge. La preuve en est facile : car le noir dés sa naissance ha les jambes & le bec noir, mais le dessus du bec qui touche à la teste est rougeastre. La distinction du plumage de ce noir, monstre aussi la difference, qui est plus noir que celuy du gris. Qui auroit coupé la teste, les jambes, & les aelles au Chevaliër noir, trouveroit le reste du corps quasi semblable à celluy d’un Pigeon ramage, qui est entre cendré & noir. Et s’il est question de parler des Chevaliërs qui sont muez, & distinguer leur couleur d’avec les autres, qui ont encor leurs jeunes plumes, dirons avoir observé un Pluvier noir en Autonne, lequel mescognoissions apres sa mue : mais toutesfois tant l’un que l’autre ont tousjours les pieds noirs. Leurs petits sont apportez à la fin du mois d’Avril, & lors estants encores jeunes, ont beaucoup de merques du plumage d’un Rafle : autrement on n’ha point acoustumé de voir les Chevaliers, sinon en hyver.

Du Vanneau.
CHAP. XVII.


LE VANNEAU est cogneu en touts lieux. Nostre opinion est qu’Aristote au trosiesme chap. du huittiesme livre des bestes l’ha nommé Aex, que Gaza ha traduit Capella, par ce qu’en criant il semble beller comme une Chievre qui dit Aex, Aex. Les Grecs le nomment en leur païs de nom vulgaire Trosagrios, qui signifie Paon sauvage. Les Italiens Paonchello, c’est à dire Paonneau : Mais les Françoys au lieu de Paonneau, dient Vanneau. Il est bien approchant de ceste signification : car il ensuyt le Paon en plusieurs merques. Il ha une huppe, qui est quelque peu dissemblable : car sa creste est faicte de cinq ou six plumes noires moult deliëes, & longuettes : dont les deux de devant, qui ont cinq ou six doigts de longueur, surpassent les autres. L’autre merque enquoy il est semblable au Paon, est qu’il ha le col ainsi gresle en celle partië ou il se termine à la teste, & la tierce est, qu’il ha ainsi les plumes de couleur changeante. Le Vanneau se paist de Mouches, qu’il prend en volant à la maniëre des Irundelles, de Ematopus & Crex. Mais cela n’est ordinaire, ains seulement quelques fois en esté : car il souffle en terre à la mode des Pluviers, & fait issir les verms de terre pour les manger. Il vole seulet en temps d’esté, toutesfois est veu en si grande compagnie l’hyver, qu’il semble à une grande nuee. Et lors s’ils descendent à bas sur une prairie, il fault qu’elle soit large & spatiëuse. Plusieurs le nomment diversement : les uns Dixhuit, pource qu’il semble qu’il crie dixhuit : les autres Papechieu. Il vole legierement, & quelquesfois fait grand bruit de ses aelles en volant. Et pource qu’il est reputé delicieux, aussi est quelquesfois autant vendu comme seroit un Chapon, & toutesfois il n’est de corpulence gueres plus grande que le Pluvier. Il est moult bien couvert de bonnes plumes, qui sont toutes noires à la racine, celle part ou elle touchent le corps. Toutesfois que la couleur en est bien autre par le dehors : car qui le met à la renverse luy estendant ses aelles, luy trouve bonne partië des plumes de l’aelle, & celles de dessous le ventre, & les cuïsses toutes blanches comme neige. Le dessous des aelles est tout noir, & le dessous de la queuë de moult belle couleur comme tannee. Il ha les jambes assez longuettes, & les cuïsses deschausses au dessus des genoux, dont la couleur est rousse. Les ortueils de la part du dedens sont conjoincts d’une peau : mais celuy de la partië du dehors, est beaucoup separé. L’ergot de derriere est moult petit. La couleur des plumes de dessus le jabot est toute noire, luy faisant un colier noir, comme ont les Merles en Savoye. Il ha la gorge toute madree de blanc & noir. Voyla quant à la peinture du revers. Mais si on le met à dent, & convient l’observer par la teste, on voit son bec court, rond, noir, la langue blanche, canelee en goutiëre. Tout le dessus de sa teste est noir, & reluïsant, comme meslé d’autres variëtez, qu’on appelle couleur germinante. Il a une tache blanche en chasque costé du bec, & les sourcils umbrez d’une ligne blanche, dessus laquelle en ha une autre petite, qui est noire. Les racines des plumes de sa huppe sont justement dessus le sommet de sa teste, & non pas dessus le front, comme elles sont à l’Alouëtte. Ce qui fait monstrer que le Vanneau ha le col si gresle, est qu’il ha peu de plumes à l’entour du col, & aussi que les plumes de sa teste sont beaucoup avancees par le derriere. Le reste des plumes de dessus les aelles est de la mesme couleur geminante de la teste, c’est à dire changeante, tirant de verd sur le rouge. Les plumes qui sont sur les racines de sa queuë sont tannees : mais celles de la queuë sont blanches par le bas, & noires à l’extremité, excepté une en chasque bord aux deux costez, qui est toute blanche. Ses aelles pour si petit corps, sont moult grandes. Des oyseaux qui ont huppes, ne cognoissons que le Vanneau, le Bihoreau, la Huppe, le Paon, & l’Alouëtte, quelquefois l’Aigrette, & Heron. Parquoy y estimons qu’il fut anciennement nommé Parcus en Latin. Il y ha plusieurs oyseaux, qui portent plumes ressemblantes à huppes, comme le Bieüre, le Pelican, & quelques Plongeons : mais ce ne sont vrayes huppes. Les oyseaux desquels l’on n’ha accoustumé oster ne les trippes, ne le jabot pour les faire cuire, sont estimez de bon goust, comme aussi le Vanneau en est l’un. C’est à bon droit qu’on le met en valeur de hault pris : car il est d’une petite corpulence, si refaicte & grasse, qu’il semble estre tout farcy de gresse. Il se paist de toutes sortes d’animaux qu’il trouve dessus les bledz, & mesmement mange les petits Limacs, les Escharbots, Saulterelles, & Chenilles. Il avalle aussi les petits Chailloux blancs, comme aussi font indifferemment toutes especes d’oyseaux. Il n’y ha pas grande distinction, d’entre le masle & la femelle : ains sont d’une mesme couleur. Son foye est grand, party en deux partiës, l’une deçà, l’autre dela. Il nous semble qu’il n’a point de fiel. Ses partiës interiëures sont fort tendres, comme aussi est toute sa chair. Lon trouve qu’il ha aussi bien deux longs boyaux qui partent du gras boyau, comme ont les autres oyseaux.

De la Poullette d’eau.
CHAP. XVIII.


NOUS Savons expressement separé la Poullette d’eau, de la Poulle & Macroulle : car ceste Poullette ne se loge, ne ne vogue sur l’eau, ne dedens, comme la Poulle, aussi n’a pas le pied plat. On la trouve estre nommee Poullette d’eau, pource qu’elle ressemble à la dessusdicte, excepté qu’elle est beaucoup plus petite : & plus grosse qu’un Rasle, tellement que la trouvons participante de l’un & de l’autre. Plusieurs oyseleurs, à qui avons monstré ceste Poullette, la voyants si semblable à la Poulle d’eau, vouloyent maintenir qu’il n’y avoit difference sinon en grandeur, & que ceste cy estoit jeune d’une annee, & la Poulle de plusieurs. Cela nous ha fait cercher quelques enseignes expresses pour trouver evidente distinction. Mais nous n’avons rien eu plus apparent, que de voir la Poullette avoir les pieds verds, retirants à ceux d’un Butor, n’ayants aussi les plataines & membranes larges comme sont celles des pieds de la Poulle d’eau. Cela monstre la difference, comme fait la queuë : car celle de la Poullette est beaucoup plus longue que de la Poulle d’eau : ayant aussi une tache sur le sommet de la teste encontre le bec, comme la Poulle, mais beaucoup plus petite. La Poullette porte le plumage de la couleur d’un Rasle, retirant toutesfois à la Poulle d’eau. C’est de lá que de prime face regardant ceste Poullette, lon jugeroit que c’est un Rasle : & la considerant exactement, on luy voit la paupiere de l’oeil blanche par le dessus, qui ne convient ne au Rasle, ne à la Poulle d’eau : & deux plumes blanches en la queuë, une de chasque costé. Elle est un peu cyanee par dessous la poictrine, c’est à dire, de couleur des blavez, ayant le dessus du dos bien fort tanné. Aussi y en ha qui sont plus noires que les autres, & ont les plis des aelles blancs, & une autre ligne blanche le long de l’aelleron, qui leur vient de ce qu’une partië de la premiëre plume est blanche le long du tuyau. Lon trouve mesme viande en son estomach, qu’au Rasle, & à la Poulle d’eau. L’os du Sternon, & celuy qu’on appelle Ischion, ont difference en forme à ceux des autres oyseaux, & aussi à ceux des Poulles d’eau. La chair de la Poullette est bien tendre, & ha les os moult fragiles : le jesiër moult gros, comme aussi le foye, est fragile, & au demeurant les intestins, & autres partiës interiëures semblables à celles de la Poulle d’eau. Qui la fait rostir, luy trouve mesme goust au manger, qu’à la Poulle d’eau. Sa maniëre de nicher, & nourrir ses petits, est comme celle du Rasle.

Du Rasle noir.
CHAP. XIX.


LON trouve deux especes de Rasle : l’un qui suit les ruisseaux, & est cogneu en toutes contrees : l’autre qu’on trouve es genets, duquel parlerons cy apres. Et pource que ce nom est moult approchant de celuy d’un Trasle, voulons le nommer, de peur que l’affinité ne trompast : car il en sera parlé par cy apres, en descrivant la Grive. Il n’y auroit difference entre le Rasle rouge, & le noir, qu’en couleur, n’estoit qu’il y ha difference aux becs, & que le noir nous est beaucoup plus commun que le rouge. Lon ha donné le premier lieu de bien courir au Rasle, tellement que disant, courir comme un Rasle, signifié courir bien viste. Les paisans sçachants qu’il se musse par dedens les hayes, le long des ruisseaux, observent ses marches pour y tendre : par ainsi le prennent souvent au lasset. On le vole aussi à l’Espervier : mais il n’ha qu’un bon vol : parquoy n’est difficile à prendre, & encor mieux si c’est en païs descouvert. Ses jambes sont courtes, comme aux oyseaux qui ont le pied plat. Il ha les articulations, & les doigts moult longs, & celuy de derriere fort court. Sa plume le fait apparoistre beaucoup plus gros, qu’il n’est : car il n’a charnure que d’un Merle. Les plumes des cuïsses ont des taches blanches des deux costez par le travers sur couleur tirant entre le noir & le bleu, comme aussi ont celles de dessous l’estomach : mais le dessus du dos est noir merqueté de tanné. Son bec est long de deux doigts, gresle, & rouge par le dessus. Sa queuë est courte, comme aussi est celle de touts autres oyseaux qui hantent le rivage, & qui ne nagent sur l’eau. Il nous semble que les anciens le nommerent Ortygometra. Et encores pour le jourdhuy le commun peuple d’Italie n’ha appellation plus ha propos à le nommer, que de le dire le Roy des Cailles. Les Grecs en leur langage ne le dient pas le Roy des Cailles, mais mer des Cailles. Aristote au XVIII. livre de la nature des animaux, chap. XII. de Ortygometra, dit qu’il est le conducteur des Cailles lors qu’elles partent pour aller en estrange païs : toutesfois il nous est en ce païs frequent en hyver, & principalement en autonne, auquel temps il est fort gras. Il est mediocrement hault enjambé, ayant le col longuet. Ses interiëures partiës sont telles que celles d’une Poulle d’eau, comme aussi est de mesme saveur, & bien renommé es festins de noz contrees : car estant de goust un peu sauvage, il irrite l’appetit pour mieux se saouller de boire.

Du Rasle rouge, ou de Genet.
CHAP. XX.


LE RASLE de Genet excede quelque peu le noir en corpulence. Il n’est totalement de couleur rouge, mais tirant sur le roux, que nous voyons au plumage d’un Vautour tanné. Il a le mesme pennage que le noir, ne different sinon en couleur, grandeur, & au bec. Ses jambes & pieds sont proportionnez de mesme. Sa teste ressemble à celle d’une Perdris grise, ou d’un petit Poullet. La principale couleur rousse, ou rougeastre de ses plumes est dessus les deux costez des aelles, & en celuy endroit ou le noir est taché de blanc sur la plume des cuïsses, ayant les plumes beaucoup plus tannees. Et comme le Rasle noir se nourrit par les boccages, pres des ruïsseaux, cestuy-cy se paist par les chintres des pastis, & bois taillis, mangeant la semence des Genets, Senelles, & Gremil. Les Romains, à nostre advis, le nomment Perdrix rusticula : car à le voir l’on diroit proprement que c’est une espece de Perdris champestre. Parquoy avons facilement creu, que quand Martial ha dit, Rusticasum Perdix. Quid refert si sapor idem ? Carior est Perdix, sed sapit illa magis, etc. Qu’il entendoit parler de ce Rasle de Genet, qui est quelque peu plus rare que l’autre, & est plus delicat, aussi est plus prisé pour estre plus grand.

De la Becassine, ou Becasseau.
CHAP. XXI.


CE QUE nous nommons Becassine, est nom diminutif de la Becasse, appellee en Italie Gallinella, à la difference de ceste petite qu’ils nomment Piczardella. La Becassine ou Becasseau seroit semblable à une Becasse, n’estoit qu’elle est plus petite, & est de meurs differentes. C’est un oyseau passager comme la Becasse, & se trouve en mesme temps. La maniëre de la prendre est differente à la Becasse : toutesfois qu’on les prenne toutes deux aux lassets. Elle retire par dessus le dos à la couleur d’une Caille, ayant les aelles plus noires par le dessus que la Becasse, & est plus blanche par dessous le ventre. Ses jambes, comme aussi les doigts de ses pieds, sont longs & noirs. Son bec est long de quatre doigts, & noir à l’extremité, qui est madré & canellé. C’est un gibbier si frequent en temps d’hyver, que nous n’avons quasi rien de plus commun par les plaines des païs mediterranees. Et d’autant qu’on les apporte entiëres, & non engluees, ou frapees, trouvons qu’on les prend seulement au rechargeouër, qui est un archet, auquel lon ha tendu un lasset, pour les prendre par le pied : car elles se vont paissant par prairiës, & lieux descouverts. Quand on luy estend l’aelle, on luy trouve une tache blanche en l’extremité. Touts ceux qui ont le palais delicat, & ne veulent manger sinon choses appetissantes, ne sont pas ignorants que les Bacassines sont oyseaux entre touts autres, les mieux fournis de haulte gresse, & desquels le seul goust reveille si bien l’appetit endormy, qu’il provoque à bien discerner les gousts des francs vins & friands : quoy sçachants ceux qui sont bien rentez, les mangent pour leur faire bonne bouche. En cuisant ceste cy, & plusieurs autres petits oyseaux de riviere, ne fault oster les tripes du ventre. Encor ne luy avons trouvé appellation antique, sinon que comme la Becasse ha nom Ascolopax en Grec, & Gallinago en Latin, nous pourrions bien dire Gallinago minor, & Ascolopakion.

De l’autre Becassine.
CHAP. XXII.


CESTE autre espece de Becassine est moult semblable au susdit Becasseau : aussi est elle indifferemment nommee de mesme nom, comme s’il n’y avoit distinction es deux : mais estants oysillons differents l’un à l’autre, avons biens voulu descrire ceste autre separement. Car si bien elle est de mesme corpulence ressemblant la premiëre, neantmoins il y ha difference & au plumage, & au bec, qui est delié, & long, se terminant en poincte en toutes deux : toutesfois le precedent l’a comme taché, & picoté vers l’extremité, auquel endroit il est quelque peu grosset. Davantage l’autre ha la couleur du dos, du col, & des aelles beaucoup plus mouchetee. Ceste Becassine ha les jambes longuettes, deliës & noires, comme aussi sont ses pieds, & son bec. Elle est brune sur la teste, & par dessus le dos, tirant sur le cendré obscur, de plaisante couleur. Elle n’ha rien de madré que sur la teste, & depuis le bec suivant la gorge jusques à la poictrine, ou ses plumes sont mouchetees de blanc. Et depuis l’estomach tout le long du ventre, des cuïsses, & le dessous de la queuë, porte les plumes blanches comme neige : mais les grosses de la queuë sont madrees de noir. Qui luy ouvre les aelles la regardant par dessous, luy voit des madrures de blanc de moult bonne grace. Possible est-ce elle qu’on lit en Aristote au huittiesme livre des bestes, chapi. troisiesme, & au neufiesme livre chapitre douziesme, sous le nom de Cinclus. Cinclus (dit il) item minor est quam Tringa : non apud lacus solum, & fluvios, sed vitam etiam apud mare truducit. Et d’autant qu’il est oyseau habitant es lieux aquatiques, estant de petite corpulence, assez hault enjambé, il ha bonne partië des cuïsses toutes nues, & noires. Il hante plus en l’eau, que la Becassine. Il est aussi prins au rechargeouër. C’est un oyseau d’aussi bonne grace que nul autre. Il hante tousjours les rivieres, & sent quelque chose de bon, qui recree les sens, & qui retire au musc. Tant ceste-cy, que la precedente hochent tousjours la queuë : mais ceste-cy est de meilleur manger que la precedente, & dont le goust provoque à avoir l’appetit aguisé, & sçavoir mieux entendre la diversité du goust des bons vins : somme que le susdit, & cestuy-cy sont oyseaux moult delicats à manger.

De la plus petite espece de Becassine.
CHAP. XXIII.


IL est une autre espece de Becassine, ressemblant mieux à la premiëre qu’à la seconde : car comme la premiëre ha le bec grosset à lextremité, & picoté, & la seconde ne l’a pas, aussi ceste petité cy l’ha ainsi grosset, & merqueté. Le dessus de son dos est de couleur changeante, comme le dos d’un Estourneau. Quelques uns le nomment aussi Deux pour un : car les chaircuictiers en les achetant des pourvoyeurs en prennent deux pour le pris d’un grand Becasseau. Le vray nom de ses Becasseaux est impudique, & toutesfois receu des paisans situëz aux riviages de l’Ocean, qui les nomment des Foutons : car c’est un oysillon qui remuë le plus souvent la queuë, que nul autre. Il est d’aussi bon manger que les dessusdits, & est appresté en la mesme maniëre.

De l’Alouëtte de mer.
CHAP. XXIIII.


LES Françoys voyants un petit oysillon vivre le long des eaux, & principalement es lieux marescageux pres la mer, & estre de la corpulence d’une Alouëtte, au moins quelque peu plus grandet, n’ont sceu luy trouver appellation plus propre, que de le nommer Alouëtte de mer, & le voyant voler en l’aer, on le trouve de mesme couleur, sinon qu’il est plus blanc par dessous le ventre, & plus brun dessus le dos qu’une Alouëtte. Il m’est advis qu’Aristote au troisiesme chapitre, du huittiesme livre des animaux, la nomme Schoeniclos : car il dit. Ad haec lacus & fluvios petunt Albiculae, Schoeniclos, Cinclus, & Tringa : quae omnes caudam motitant. Peu apres il dit : Schoeniclos in iis minor est Turdo : aquas adamat, & cauda illi motitat. Et pour autant qu’il est oyseau de rivage, aussi ha il les jambes noires, gresles, & longuettes, comme aussi le bec. Sa langue est noire, estendue le long du bec. Il seroit semblable à un Becasseau, n’estoit qu’il est en tout plus petit : aussi ha la mesme ligne blanche dessous l’aelle. L’on ne peut avoir plus grand merveille de ce petit oyseau, que d’en voir apporter cinq ou six cents douzaines un jour de Samedy en hyver. Cela nous fait penser qu’ils font grande quantité de petits à une fois, ou qu’ils sont moult frequents au païs dont on les apporte. On les trouve de meilleur manger que les Alouëttes de campagne. Ils hochent la queuë sans cesse, & sont si inconstants qu’ils ne se peuvent tenir en une place.

Du Martinet pescheur, Caeyx, & Cerylus.
CHAP. XXV.


IL n’y ha celuy qui n’ait cognoissance du Martinet pescheur : car il nous apparoist en tous lieux le long des rivages : mais il y en ha deux especes, dont ferons voir les peintures. Combien qu’ils soyent oyseaux passagers, toutesfois font leurs petits deux fois l’an : car il s’en partent en temps d’hyver des lieux mediterranees, & s’en vont paistre à la mer pource qu’elle ne gele point. Or dit on qu’ils y font leur nid, pendant que les rivieres sont glacees. Les Grecs ayants remerché le temps d’hyver, auquel ils font leurs nids, c’est à sçavoir sept jours avant le jour le plus court de l’annee, & sept apres, les ont nommé Dies Halcyonides, qui est le temps pendant lequel Halcyon est en besongne à son nid, car les autres d’apres il couve ses œufs & esclost ses petits, puis les nourrist. Aristote autheur Grec, qui avoit sa demeure au rivage de la mer, au quatorziesme chapitre du livre neufiesme de l’histoire, les ha nommez oyseaux de marine, & les ha descrits totalement semblables à ceux que nous avons es païs mediterranees : aussi sont ils de marine pendant le temps de l’hyver. Car ils sont l’esté seulement trouvez aux rivieres & marais. Nous n’avons oyseau de couleur plus exquise que le Martinet, auquel donnons le surnom de pescheur, à la difference de l’espace d’Hirondelle, qui est semblablement surnommee Martinet, & qui fait pareillement son nid au bord de l’eau, comme le Martinet pescheur. Il y ha une drogue en commun usage de medecine nommee Halcyonium, qu’on trouve maintenant es boutiques des grossiers, faulsement nommee Spuma maris. Elle est si frequente par les rivages du Propontide, ou les habitants la nomment en leur vulgaire Arkeilli, qu’il n’y ha rien de plus commun. Ce nom nous ha solicité d’observer le nid de cest oyseau. Car les Grecz ont ainsi nomme Alciquium, l’ayants veu ressembler au nid du Martinet pescheur. Parquoy nous estants maintesfois trouvez à desnicher des petits Martinets, & ayants bien consideré leurs nids, voulions entendre la difficulté de ce que les autheurs ont laissé en doute, à sçavoir de qu’elle matiëre il est composé. Nous en avons trouvé au rivage du fleuve Hebrus & Strimone, ou il n’est composé que de simple terre pour le commencement. Se trouvant en lieu à propos au rivage de quelque riviere, il creuse la terre quasi deux coudees en profond, avec son bec, tout ainsi que le Merops. Mais pource qu’il nourrist ses petits de grande quantité de poisson, nature les ha douëz de ce bien, que quand ils en ont digeré & confit la chair en leurs estomachs, les arestes demeurent entiëres en une pelotte, lesquelles ils revomissent en une petite masse ronde, tout ainsi comme un oyseau de proye rend sa curee des os & plumes de l’oyseau. Ceste masse d’espines & escailles demeure dedens le pertuïs avec les excrements de l’Halcyon : laquelle estant lá dedens entremeslee avec la terre, fait une mixture semblable à ce que les Grecs ont nommé Halosachne, c’est ha dire Plos salis. Et qui ne sçauroit ce qu’avons escrit desdictes arestes & escailles, considerant la structure du nid, diroit proprement que les Martinets pescheurs ont esté chercher les espines des poissons pour les mettre en leurs nids. Et nous mesmes au commencement trouvions estrange d’y trouver tant d’arestes : mais aytans sceu l’artifice de nature, qui veult qu’ils revomissent les espines quand la chair est digeree, il ne nous ha esté si difficile à croire. Nous mangeons indifferemment toutes autres especes d’oyseaux de riviere, fors les Halcyons, combien qu’ils se nourrissent de bon poisson. Car mesmement si les paisans en desnichent grande quantité au rivage des rivieres, il n’en feront autre estime, que de les bailler aux enfants pour s’en jouër, ou bien les seicher pour en garder les corps avecques les plumes, pour leur beauté exquise. Aristote au lieu susdit ha descrit le Martinet autant par le menu qu’aucun autre oyseau, lequel Pline ha ensuivy de mot à mot, au trentedeuxiesme chapitre, du dixiesme livre : mais il y ha esgard en la description de Pline : car ou il dit, & candidis admixtis pennis, cela n’ha dit Aristote, aussi n’est trouvé es Halcyons avoir celle blancheur. Descrivant ce Martinet pescheur tel que nous l’avons veu en Grece, & est en noz rivages, dirons avec Aristote, qu’il est quelque peu plus grand qu’un Paisseteau. C’est l’oyseau du plus beau plumage que nous cognoissions. Il ne se sied à terre non plus que le Picverd, car il ha les jambes si courtes & rouges, qu’on diroit quasi qu’il n’en ha point : aussi ha il les pieds d’une autre sorte que les autres oyseaux. Il n’ha qu’un doigt derriere : mais des trois de devant, il en ha un de la partië du dedens moult court : les deux autres sont conjoincts ensemble assez grands, garnis d’assez bons ongles. Le pied est plat par le dessous, & coché par tout. Son bec est noir & rond de deux doigts en longueur, & qui est poinctu par le bout. Et lá ou Aristote le met Subviride, avons fait difficulté de telle diction : car nul est veu l’avoir de telle couleur. Les plumes de dessous son ventre & des aelles sont de couleur phoenicee, c’est à dire rougeastre tirant sur le fauve, & celles de dessous la gorge, sont blanches. Mais le dessus de la teste, des aelles, du dos, & de la queuë sont mouchetees participantes de verd & bleu sur le champ noir. Il ha aussi une tache rousse en chasque costé de la teste à l’endroit ou sont les ouyees, qui luy commence des le canton de l’oeil. Il ha la queuë courte, qui ne luy passe guere oultre les aelles : toutesfois on luy compte douze plumes leans. Pline acompagne un autre oyseau avec le Martinet, lequel il nomme Coeyx. Aristote fait difference entre Cerylus, que Theodore tourne Carulus, & l’Halcyon : car il dit au troisiesme chapitre du huitiesme livre des animaux : Apud mare Halceda versatur & Cerylus. Antigone vouloit que les Halcyons masles avoyent nom Ceryli. Nous pretendons que l’oyseau qu’Aristote ha nommé Cerylus, & Gaza Carulus, est celuy que Pline nomme Coeyx, quand au trente-deuxiesme livre de l’histoire naturelle, chapitre huittiesme, il dit, Fit in mari & Halcyoneum appellatum, ex nidis ut aliqui existimant Halcyonum & Coeycum, ut alij e sordibus spumarum crassescentibus, alij e limo, vel quadam maris lanugine. L’interprete d’Aristophanes en la Comedie intitulee Aves, ha ainsi escrit : Corylus. Corylus enim est avis : non enim est Sporgilus, etc. Pour ne desguiser nostre opinion en ce Corylus, Cerylus, ou Coeyx, pensons que Coeyx des anciens est l’Halcyon vocal, esperants nous en esclarcir, comme aussi des autres oyseaux animaux, & plantes qui nous sont en doute, & ce par l’apellation du vulgaire, que nous apprendrons les paisans de Grece : qui sera en brief, si Dieu plaist, en cas que sa majesté nous vueille saulver la vie. Ce qui conforte le plus nostre conception est, qu’on l’ha ainsi nommé, à cause de sa voix : & de vray qu’on regarde les fables d’Ovide du Coeyx, lon trouvera tout de mesme en luy que Itis. C’est que comme le Rossignol en chantant semble prononcer Itis, Itis, les anciens ont pris occasion de parler de Itine, ou Itis (comme ferons apparoistre en descrivant le Rossignol) aussi ont eu occasion en Coeyx. Parquoy apres avoir baillé le portrait du grand Halcyon, ferons voir un plaisant discours du petit.

De la Rousserole, ou Halcyon vocal.
CHAP. XXVI.


SACHANTS donc qu’il y ha deux especes de Martinets pescheurs, & que le plus grand qu’avons ja descrit, est commun en touts lieux : reste à dire de ceste seconde espece, qui est l’un des oyseaux du plus plaisant chanter, que nul autre de riviere. Il est frequent en touts lieux marescageux, & sur les rivieres qui produisent des rousches. Aristote en ha fait expresse mention au troisiesme chapitre, du huittiesme livre des animaux, le nommant vocal, à la difference du susdit, qui ne chante point. Et encor qu’il ait surnommé le susdit Mutum, si est-ce qu’il ne l’entend estre totalement muet : car lors qu’il se depart d’une place, il fait quelque voix comme en cry, annonçant par ce à son compagnon, qu’il s’en est party. Qui voudra avoir plaisir indicible, alle l’esté s’assoir sur la rive de quelque douve, ou il y ait des rouzeaux, il oyrra une melodieuse harmonië des chants d’infinis petits Halcyons vocals, que nommons en Françoys Rousseroles. Il n’est homme, s’il n’est du tout lourdaut, qui infalliblement, s’il y prend bien garde, n’en soit rendu triste ou joyeux. Ils n’ont non plus de cesse que les Rossignols. A ceste occasion aucuns nomment les Rousseroles, Rossignols de riviere. Tout homme qui oyrra un chant si haultain proceder du sifflet de si petite corpulence d’oysillon, sera de gros esprit & lourd, s’il n’y repense deux fois : entendu que d’une mesme haleinee il maintient sa voix, tantost si haulte, qu’il n’est dessus d’instrument d’ivyre qui y puisse monter : tantost si basse, qu’il n’est dessous d’un pot cassé qui puisse descendre si bas. Il n’est homme si diligent observateur des voix, qui le puisse bonnement contrefaire en chantant. Entre autres il semble quasi prononcer comme qui diroit : Toro, tret, fuis, huy, tret : & en reïterant tel chant en diverses maniëres, passe les nuictees sans cesser. Il se branche aussi sur les arbres : mais il ne se depart jamais des eaux. Les paisans acoustumez de l’ouïr, ont tellement retenu son chant, qu’ils en ont fait des chansons si impudiques à la prononciation, qu’il ne seroit licite les escrire, non seulement les penser, sinon à gentz effrenez. Nous avions voulu les mettre en escrit, & changer les lettres, pour dissimuler les mots, toutesfois voyants que cela n’ha aucune grace, l’avons omis : d’autant que touts les mots se commencent par f, ou par c. Aristophanes autheur Grec, encor plus ancien qu’Aristote, ha eu plaisir de mettre son chant en escrit, l’ayant aussi bien observé qu’à peine personne le sçauroit mieux exprimer. Il est ainsi en sa comedie des oyseaux.

Huc, huc, huc, huc, Toro, toro, toro, toro, torotinx. Ciccabau, ciccabau, Toro, toro, toro, tolililinx.

Somme que son chant estant aussi variable que de nul autre oyseau, n’avoit moins à faire de l’excellent outrage de Janequin, du Tertre, Godimel, ou autres excellents musiciens, que le Rossignol. Cest Halcyon s’est demonstré comme en augure fatal, en un plaisant voyage d’une trouppe des plus doctes, & excellents poëtes de ce temps. Cela ne sera trouvé hors de propos, si en racomtons l’histoire ainsi qu’elle est advenuë, en l’an mil cinq cens cinquante-un. C’est, que au temps d’esté plusieurs poëtes de nostre nation s’estants alliez ensemble, en faveur de monsieur I. Brinon conseiller du Roy, pres de Poyssi sur la riviere de Seine, l’accompagnerent voir ses Muses Medan, & Villaines. Iceluy s’estant mis en devoir de les recevoir humainement, les festoya comme il appartenoit. Donc estants parvenuz lá, eurent bonne issuë en toutes choses : car errants plusieurs jours par les confins, trouverent maints appareils recreatifs de diverses maniëres de passetemps : comme à faire la chasse à plusieurs especes d’animaux, non encor mis en peinture, qui apparoistront quelquesfois. Ores cheminants par taillis, tendants aux oysillons en prenoyent de moult rares : tantost se trouvants par les forests, avoyent plaisir de voir beaucoup d’especes d’arbres avec leurs fruicts : autresfois cueilloyent diverses herbes sur les montaignes, & entre les vallees. Et la trouvants infinis arguments nouveaux, y firernt Sonnets, Odes, & Epigrammes Grecs, Latins, & Françoys en la louange de celuy qui les y avoit conduicts, & de ses nymphes. Et ayants consacré les fontaines, avec grandes ceremoniës, rapporterent toutes les reliques de leur enqueste. Dorat l’un de la compagnie, poëte eloquent, voyant que la limphe de Medan convertist ses larmes en Pierre, & voulant en perpetuër la memoire, imprima tels mots sur un tableau :

In Villanidem fontem. Nympha prius Villanis eram : Pan arsit, amantem Dum fugio : absorptam terra rogata rapit. Stat superum pro Pane favor : de Naïde lympha, De lympha fiunt viscera nostra lapis. Mais encor pour plus magnifier la grandeur de ce miracle naturel, en ha escrit un opuscule intitulé Villanis, qu’on peut voir avec ses œuvres. Or pour parachever la reste de l’exploit, estants vestus des livrees de leur conducteur, ayants fait voyle pour passer oultre, arresterent peu qu’ils ne se trouvassent au rivage des isles, & lá se reposants sous l’umbre des ramees, voicy un Halcyon branché sur leurs testes, qui degorgea son chant si haultain, que le comte d’Alsinois leur interpreta, que ce leur fust augure fatal, se souvenants de Roger en Arioste, qui obtint de la magicienne Alcine, des le premiër soir qu’il arriva au chasteau, ce que les amants souhaittent : interpretants que comme luy, obtiendroyent accomplissement de ce qu’ils avoyent le plus desiré. C’est l’oyseau du plus grand babil, qu’on puisse cognoistre. Parquoy qui prendra plaisir d’escouter une Rousserole, trouvera telle doulceur en son plaisant chanter, que desormais les voix haultaines des autres oyseaux en seront moins plaisantes. Les Rossignols, Fauvettes, Linottes, & autres oyseaux champestres excellents en musique n’en apparoistront harmonieux, si lon compare leurs voix contre celles des Halcyons. Cest oyseau est si persistant en son chant, qu’estant perché sur un rouseau, continuë jour & nuit, & s’opiniastre de si grande affection, que qui l’entendra, aura pitië de sa peine. Les centinelles des chasteaux, & villes situees en lieu aquatique, ou croissent des rouseaux, pourroyent donner tesmoignage, qu’il leur communique son sçavoir, ne cessant jour ne nuit pour temps qui face. Qui le voirroit courir à mont les rouseaux, penseroit que ses pieds sont à la maniëre de ceux des Pics verds : mais ils sont tels que ceux des Grives & Merles. Ce qu’on peut trouver de plus estrange en luy, est qu’il se remuë si fort en chantant, qu’il en tremousse & tremble. Il est de la couleur d’un Stercot, & la queuë de mesme, & de la grandeur d’un Proyer qu’interpretons en Latin Miliarium avem. Son bec est trenchant, tenant quelque chose de celuy de la Pie Griesche. Il semble estre huppé : mais cela luy provient de ce que les plumes de dessus sa teste, sont longuettes. Ses jambes & pieds, sont moyennement longs de couleur cendree. Il ne vole guere bien, & bat des aelles à la maniëre d’un Cochevis. Il sembleroit que Pline, en eust fait trois especes : car au trente-deuxiesme chapitre, du dixiesme livre de l’histoire naturelle, il escrit : Alterum genus earum magnitudine distinguitur, & cantu. Minores in harundinetis canunt. Mais il faut l’entendre de deux especes seulement : Car Pline suyt la traduction d’Aristote, qui n’en ha fait que de deux sortes : l’un qui chante bien, & est le plus petit, duquel parlerons maintenant : l’autre plus grand, & qui ne chante aucunement d’ont avons des-ja parlé. Nous avons quelquesfois esté d’opinion, que ce petit Halcyon fust passager, & qu’il s’en partist l’hyver pour eviter le grand froid : mais depuis avons cognu le contraire. Pline escrit Halcyon par une lettre aspiree : parquoy pensons qu’il faut l’escrire Halcyon, & non Alcyon. Il n’y ha paisant en noz contrees du Maine, & Touraine, qui ne scache, que cest Halcyon est nommé en Françoys Rousserole : mais les autres dient Roucherole. Ceux qui prononcent Rousserole, dient à cause de la couleur rousse, ou enfumee : Les autres qui prononcent Roucherole, dient à cause des rouches, ou il se maintient le jour. Rouche en Françoys, est ce qu’on dit en Latin Carecta Ceste Rousserole, qu’avons nommee en Latin Halcyon vocalis, bastist son nid au contraire de l’autre : car le grand Halcyon le fait dedens un pertuïs au rivage, mais le petit le bastist au descouvert entre les cannes & rousches avec des petites pailles de rouseaux, qu’il trouve le long des orees : & pond le plus souvent six œufs, comme aussi fait de cinq à six petits, & diroit on proprement à le voir par le revers que cest Adarca, c’est à dire que les drogueurs nomment Balla marina. Pour dire librement ce que nostre fantasie ha conceu sur ce nid, quoy qu’on ait dit De diebus Halcyoniis, nous ne les attribuons au precedent, ains à cestuy-cy : Car le grand Halcyon, ou Martinet pescheur faisant son nid dedens terre, & cestuy-cy au descouvert dedens les marais monstre duquel ils ont entendu. Parquoy les anciens voyants le nid si pres de l’eau de la mer, & en temps d’hyver, avoyent merveille dequoy les vagues ne le ruoyent jus. Aristote au cinqiesme livre des bestes, chapitre huittiesme, disoit : Dies Halcynias fieri circa brumam, non semper nostris locis contingit : At in Siculo mari pene semper id evenit. En cecy & autres qui sont de nostre observation, ne craignons que quelcun muny de l’authorité des anciens, vienne renverser noz discours : car comme dit est, c’est nostre deliberation de ne desguiser, ou dissimuler nostre opinion, pour nous accorder à ce qu’aurions leu au contraire.

Du Guespier nommé Merops.
CHAP. XXVII.


L’ORDRE requiert que mettions le Guespier apres les deux Halcyons. Ce qui fait que beaucoup d’oyseaux, & autres animaux n’ont aucun nom en nostre langue, est que ne les voyons point en nostre region. Comment donc un Françoys ou d’autre nation pourra exprimer le nom vulgaire de cest oyseau Merops en sa langue, s’il n’est veu voler en son païs ? Il est toutesfois si commun en Crete qu’il n’y ha contree en l’Isle ou lon ne le puisse bien voir, toutesfois qu’il est rare en Italie. Il y ha des Françoys, qui ont ja long temps ha pensé que Merops est une Mesange, & toutesfois cela ne peut estre. Car Merops qui est quasi grand comme un Merle n’estant bon à manger, est moult semblable à l’Halcyon bleu qui est appellé Martinet pescheur. Il n’est plus nommé Merops par les paisans de Crete, mais Melisophago de diction correspondante à la Latine Apiaster. Lon trouve une diction ja usitee en nostre langue, moult à propos pour exprimer cest oyseau, c’est que lon dit un Guespier : mais ce nom est deu à un autre que n’avons onc sceu congnoistre. Et pour cela l’avons traduit à ce Merops, qui prend sa pasture d’Avettes & Guespes en volant en l’aer à la maniëre des Irondelles : Car il ne vole gueres moins qu’une Irondelle aussi le voit on en grandes troupes, suyvant communement le long des montagnes pour manger les Guespes & Mouches à miel, qu’il trouve sur les arbrisseaux de Thym, qui est une herbe que nous ignorons : car ce que nous nommons le Thym est Serpoulet cultivé. Nous pensons qu’il est oyseau de passage, toutesfois pource que ne nous sommes tenuz l’hyver en Crete, ne l’avons sceu à la verité. Il est vestu d’aussi beau plumage qu’un Papegay, lequel se faisant ouïr de bien loing, chante une voix telle que feroit un homme en sublant ou siflant ayant la bouche close en rondeur, qui chanteroit Grulgruruurul, criant aussi haut comme un Loriot. Sa beauté exquise invite les petits garsons de Crete à le prendre avec des Cigalles, comme aussi font des grandes Irondelles. Et pour ce faire ils mettent une espingle crochue en forme d’un hameçon par le travers d’une Cigalle, à laquelle ils attachent un filet, & tenants le bout du filet, la Cygalle ne laisse de voler en l’aer, adonc ce Guespier ou Merops l’avisant de bien loing, descend de grande roideur pour prendre la Cygalle en volant, mais l’espingle crochue le retient à ce fillet, & par ce moyen demeure prisonnier. Le dessus de son dos est entre jaulne & fauve, ayant aussi le dessus du col tanné. Le dessous est entre cendré & couleur de blauets. Le dessous du bec & de la poictrine est de beau jaulne qui est separé de chasque costé, d’une ligne noire. Ses yeux sont petits bien umbrez de sourcils plumeux. Sa paupiëre est noire, mais la rondeur que les Latins nomment Iris, est si fort enflambee & rouge qu’il efface toute autre couleur. Il ha les ouyes couvertes de plumes brunes. Son bec est noir, longuet & courbé en faulx, & quasi triangle. Sa queuë est totalement de couleur de ciel, & qui passe oultre les aelles. Sa langue est longuette & gresle : les os de sa teste sont si durs, qu’ils peuvent estre comparez aux os durs. Ses jambes sont courtes, aussi ha il peine en se tenant sur terre : car il ha les pieds à la façon d’un Papegay : sçavoir est, deux doigts devant, & deux derriere. C’est un oyseau que nature ha fait bossu : dont ne puis trouver autre raison, sinon qu’il ayme tousjours à voler. Il ha aussi de coustume manger des petites pierres, comme font les Irondelles : parquoy ne me suis esmerveille trouver les semences des lampsanes, cancalles, naveaux, & du froment dedens son jesier, & de quelques autres aussi qui vivent de Mousches ainsi comme luy. Il ha le fiel bien grand, qui est verd comme une Esmeraude : & ha deux petits intestins au droit boyau. Il faut excuser la grandeur du portrait de cest oyseau, qui n’est en la proportion des autres : car il fut fait en sa naïfve grandeur & mis seulet au livre de noz observations : & par ce ne l’avons voulu changer.

Du Porphyrio.
CHAP. XXVIII.


LES anciens Romains hommes haultains amateurs des choses singuliëres, se faisoyent apporter les bestes de toutes parts pour avoir plaisir de les voir. Entre autres, il leur estoit apporté un oyseau de Lybie, lequel ils nommoyent de nom Grec Porphyrio. Pline est d’opinion qu’il en naisse aussi es isles Baleares, & en Comagene : car il dit, Baleares insulae Porphyrionem mittunt. Laudatissimi in Comagene. On trouve que c’estoit un oyseau de beaulté moult exquise, de la grandeur d’un Coc, de couleur azuree, ayant le bec & les jambes rouges & longues. C’est de lá qu’on l’estime estre oyseau palustre, ayant aussi les pieds fenduz : & par consequent son col est long. D’avantage puis qu’il est aquatique, sa queuë n’est pas longue : parquoy ses pieds en volant luy passent oultre, comme aux Herons, & autres, qui ont la queuë courte. Les anciens ont observé une taché en ce Porphyrio, qu’ils ont attribué à luy seul : c’est qu’il boit l’eau comme en mordant, & aussi qu’il trempe ses morceaux en l’eau, les apportant au bec avec le pied pour les manger. Aussi ont dit qu’il ne s’esleve pas en avant quand il vole : & qu’il est oyseau qui prend plaisir quasi insatiable de se veaultrer en la pouldre, & se baigner : mais qu’il cherche principalement le lieu ou les Pigeons ont coustume de se baigner : toutesfois qu’on ne l’a encor observé se laver en l’eau, ou veaultrer en la pouldre, qu’il n’ait premiërement couru certaine espace de chemin. On le tenoit seulement pour monstre, renfermé de barreaux : car Aelian mesme escrit, qu’il n’avoit encor ouï parler, que quelcun l’eust appresté es banquets. Polemon escrivant de ses proprietez, en dit chose merveilleuse, c’est que selon son opinion l’oyseau prenoit garde aux femelles de la maison ou il estoit nourry, & avoit cognoissance de l’adultere qu’on y commettoit : laquelle quand il avoit apperceuë, il signifioit au maistre de l’hostel, en monstrant signe de se vouloir estrangler.

Velia ou Helea.
CHAP. XXIX.


NOUS avons cognu un petit oysillon, de la grandeur d’une petite Mesange, bigarré de diverses belles couleurs, lequel se tenant es rouseaux en lieu marescageux, s’eslevoit incontinent en l’aer en chantant, & soudain retumboit à bas : en ce contraire à l’Halcyon, qui demeure coy en chantant, mais cestuy-cy s’esleve en l’aer pour chanter. Sans cela ne l’eussions veu : & quelque diligence, & despence qu’ayons sceu faire, n’en avons onc peu avoir un en nostre puissance. Toutesfois soudain que le veismes, le soupçonnasmes celuy qu’Aristote entendit pour Helea. Helea (dit il au seiziesme chap. du neufiesme livre des animaux) est de petite corpulence, mais il chante moult bien, hantant les rouseaux ou cannes des marais : & sur tout est cognu vivre commodement. Il se tient l’esté au vent, & à l’umbre : & l’hyver au soleil, & en l’abry.

FIN DU QUATRIESME LIVRE.

LE CINQUIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX DE CAMPAGNE, QUI FONT LEURS nids sur terre, avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel. Par Pierre Belon du Mans. A PARIS, Chez Guillaume Cavellat, devant le college de Cambray à l’enseigne de la Poulle grasse, 1555. Avec privilege du Roy.

AU ROY.


SIRE, nous dirons en ce cinqiesme livre de quelques especes d’oyseaux qui volent peu, & sont de pesante corpulence, qui est cause que nature ha voulu, qu’ils eussent à se paistre, & demeurer par les campagnes, & bois tailliz : desquels nous en trouvons moult grand nombre qui ne se branchent sur les arbres, & en hantent les eaux, & ne font leurs petits, & ne nichent que sur terre. Tels sont l’Autruche, l’Ostarde, le Francolin, & autres que nommerons, & descrirons cy apres en leurs propres chapitres. Et tout ainsi que ceux qui hantent es eaux, se nettoyent les plumes en se lavant, & chassent la vermine par l’eau, aussi les terrestres se veaultrent en la pouldre pour chasser les pouls, & vermine d’entour eux, & se purger la peau : qui est le souverain remede pour cest effet, ils ont esté nommez de propre appellation Latine Pulveratrices aves, comme aussi les oyseaux qui hantent les eaux, Lotrices.

LE CINQIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX DE

campagne, qui font leurs nids sur terre : avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel.

De l’Autruche.
CHAPITRE PREMIER.


POURCE que les Autruches vivent es campagnes d’Afrique, nous n’en voirrions aucunes en noz contrees, n’estoit qu’on leur fait passer la mer. Les paisans des regions de Lybië, & d’Afrique sçachants y avoir profit, prennent les sauvages en diverses maniëres, & apres les avoir apprivoisees, les vendent aux marchants, qui les chargent sur navires pour les nous apporter en nostre Europe : autrement s’ils les tuent, & ne les peuvent livrer en vie, au moins leur en livrent la peau avecques toutes les plumes : car ils les escorchent soudain, & envoyent les peaux aux marchants des prochaines villes. Lon se peut trouver en Alexandrië visitant les drogues par les magazins, ou avons veu plus de deux cents peaux d’Autruche, avecques leurs plumes toutes en un monceau, & si nous ha lon dit qu’ils en nourrissent des privees au païs de Lybië, comme nous faisons noz Oyes, & Canes, dont les paisans mangent la chair, & ont profit des plumes qu’ils vendent aux estrangers. L’Autruche est ja si commune qu’en oultre ce qu’on la cognoist de nom, aussi y ha peu de gens qui n’en ayent veu. Opian autheur Grec ha escrit au troisiesme livre de sa vannerië, de quelle industrie les habitants les prennent. Ce mesme ha fait Strabo en son seziesme livre. Aristote ha descrit l’Autruche par le menu. Les Grecs l’ont nommee Struthos, luy adjoustant un surnom Lybicos : pource que communement ce mot Strouthos est attribué à autres choses : car l’on dit Strouthomila, pour signifier des Coignasses : & mesmement un Passereau est nommé Strouthion. Les Latins prenants leur etymologie d’un Chameau, & d’un oyseau, ont mieux aymé dire Strouthiocamelus, le voyant animal de double nature ou douteuse, à sçavoir si on les doit referer à un animal terrestre, ou à oyseau. Ja n’est il pas oyseau : car il ne se peut eslever de terre pour prendre l’aer. Aussi ses aelles luy servent seulement pour luy ayder à courir. Il n’est pas couvert de poil comme les animaux terrestres, excepté sur les paupiëres & dessus la teste, & le long du col : parquoy on ne le peut bonnement referer estre terrestre, attendu qu’il est couvert de plumes par le corps. Il ha un long bec, fort, & poinctu. La teste, & le dessus du col est sans beaucoup de plumes, mais couverte de petits poils, comme l’Ostarde. Il ha les yeux gros, & noirs, semblables à ceux d’un Chameau. Au reste il ha toute la maniëre d’un oyseau, excepté qu’il excede touts autres en stature, & qu’il n’ha que deux ergots aux pieds, qui sont onglez comme ceux d’un Chameau faisant comparaison du grand au petit, duquel il tient beaucoup de merques : car ses pieds sont mols par le dessous, & ne sont point fenduz en doigts comme ceux des autres oyseaux. Quand on le chasse il ha l’industrië de jecter des pierres avecques les pieds en fuyant, contre ceux qui le pourchassent. Et si d’avanture l’Autruche trouve un buisson, lon dit qu’il est si sot oyseau, que se cachant seulement la teste, pense que tout le reste du corps est en sauveté. Il ne fut onc saison que ses plumes n’ayent esté estimees pour orner les acoustrements de teste, morions, & salades. Et n’estoit que les Turcs, & les Perses les ont pour le jourdhuy en plus grand usage que nous, elles ne nous seroyent si cheres. Ce n’est pas de maintenant qu’on commence à s’esmerveiller de luy voir indifferemment digerer le fer. Car Pline au premier chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, disoit. Concoquendi sine delectu devorata, mira natura, sed non minus stoliditas, in tant a reliqui corporis attitudine, cum colla frutice occultaverint, latere sese existimantium, etc. Et si nous considerions aussi bien la nature des petits oysillons, qui digerent les cailloux, & le sablon, nous ne trouverions si estrange que l’Autruche puisse digerer le fer. Si l’Autruche est assaillie de quelque petite beste, pour laquelle ne s’en vueille fuir, elle se defend à coups de pieds, tellement qu’il advient que quand un homme s’en fuit devant elle, elle ha la force de le ruer par terre. L’Autruche fait son nid en terre, & n’y ha oyseau qui ponne tant d’œufs qu’elle fait, qui sont si gros qu’ils pourroyent contenir une pinte de liqueur, ayants la coque si dure, qu’on s’en peut servir pour faire vaisseaux à boire. Grande partië des œufs que nous voyons pendus par les eglises, sont œufs de Crocodille : & toutesfois pensons qu’ils sont œufs d’Autruche. La gresse d’Autruche estoit anciennement venduë à Rome es boutiques des chirurgiens : car lon s’en servoit à tout ce que lon peut dire de la gresse d’Oye : mais elle ha esté trouvee de plus grande vertu. Ceux qui sont coustumiërs de manger la chair d’Autruche, ont rapporté qu’elle excrementeuse, & mal aysee à digerer. Les autres ont que le jesiër de l’Autruche mangé faisoit faire bonne digestion, confessants toutesfois que le jesiër de soymesme ne se peut bien digerer.

Du Paon.
CHAP. II.


LES PAONS ont esté nommez à cause de leur cry. Il y a beaucoup d’oyseaux, esquels lon ne peut distinguer le masle de la femelle, mais le Paon ha telle distinction à sa femelle qu’on voit du Coc à la Poulle : car comme les Cocs, & Chapons ont les plumes du col & de la queuë differentes aux Poulles, aussi le Paon ha la queuë, & le col different à sa femelle. Il est tant cogneu d’un chacun, qu’il n’ha que faire d’estre descrit par le menu. Sa beauté ha esté cause qu’il ha esté dedié à la deesse Juno. Le masle ha les grosses pennes phenicees en l’aelle : & combien que ses longues plumes apparoissent sortir de sa queuë, toutesfois elles sortent de dessus le dos aupres du croupion, lequel il ha gros, & large : ou nature ha mis des plumes noires, & courtes pour soustenir les longues qui sont dessus. Lon ne sçauroit trouver autre raison pourquoy nature luy ha baillé les plumes de dessus le sommet de sa teste ainsi eslevees, que pour elegance de beauté : nomplus que celles de sa queuë, qui luy tombent, sinon que pour aornement. La nourriture des Paons est de grande despence, & les petits difficiles à eslever. Lon en trouve aussi de touts blancs tant masle comme femelle, mais point d’autre couleur, au moins qu’on le puisse sçavoir. Ils ont les esperons, comme les Cocs, & se ressentent quelque chose de leur majesté. Il ne fut onc qu’on n’ait acoustumé faire couver les œufs des Paons aux Poulles : dont Aristote au neufiesme chapitre du sixiesme livre des animaux, ha rendu la raison. Lon ne peut bonnement accorder ce que quelques peres de famile racomptent : C’est que les Paons ne couvrent leurs femelles, ains qu’ils les emplissent en faisant la rouë devant elles : mais s’ils confessent les avoir veu couvrir des Poulles d’Inde, pourquoy ne pourront ils aussi accorder qu’ils peuvent couvrir leurs femelles ? Il ne fauldra donc attribuer ce defaut à la longueur des plumes de leur queuë : car ils les peuvent dresser. Les Paons ont eu à faire de moult grandes aelles pour eslever si gros faix de leur corps en l’aer. Parquoy nature leur en bailla des leur naissance de moult suffisantes, tellement qu’ils les portent asses mal aysement quand ils sont petits, tousjours pendentes jusques à ce qu’ils sont grandelets. Le Paon se mirant en sa rouë en devient moult orgueilleux, & principalement devant sa femelle. Il se mire devant le soleil, à fin que ses plumes recevants les rayons, soyent plus esclatantes en clarté. Pline au vingtiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, dit que le revenu fut grand à M. Aufidie Lurco, qui commença à les engresser à Rome pour les vendre : & que Hortense orateur fut le premiër qui les tua pour les manger es festins : qui me fait penser que les Romains les nourrissoyent seulement au paravant pour leur beauté exquise. Il est difficile d’eslever les poulsins des Paons, sinon en temps d’esté. Aristote en mesme lieu dit, qu’ils vivent communement vingt-cinq ans, & qu’ils se despouïllent quand & les arbres : mais que leurs plumes reviennent avec les fueilles. Suetone, en la vie de Tibere dit : Militem praetorianum, ob surreptum a viridaria Pavonem, capite punijt. Cela nous fait penser qu’ils les gardoyent anciennement en delices, enfermez es vergers, comme nous faisons encor maintenant. Il y ha aussi un poisson nomme Pavo, qui ha prins son nom du Paon.

De l’Ostarde.
CHAP. III.


LES Ostardes sont les plus grands oyseaux terrestres, qui sont venuz à nostre cognoissance apres l’Autruche. On les trouve si semblables à la Cane petiëre, que n’y avons sceu observer difference, sinon en grandeur. Une Ostarde est beaucoup plus grosse, & plus puissante qu’une Grue : & pourroit estre comparee à la charnure d’un Cygne. Lon diroit proprement à voir sa teste, que c’est celle d’un Vautour, tant est grosse & lourde. Elle ha le bec moult robuste, & bien fendu, fait à la maniëre de celuy d’une Poulle. La couleur du duvet & plumes qu’elle ha sur la teste, & col, est cendree & luy continuë jusques dessous l’estomach. Le dessus des aelles est blanc, qui est la seule merque, osté la grandeur, qu’on trouve en elle, qui ait monstré difference de la Cane petiëre. Et pource que ses jambes sont longues, aussi failloit que son col fust long, qui commence à estre couvert de plumes grivelees de tanné & noirastre depuis la poictrine qui continuë par dessus le dos. Au reste elle est blanche par dessous le ventre, & dessous les aelles, sinon que les extremitez sont noires. C’est un oyseau à qui avons trouvé le pertuïs des aureilles plus ouvert que de nul autre terrestre : Car lon met trois bien le bout du doigt dedens le conduit. Qui regarde leans, voit deux conduits, dont l’un tend vers la partië du bec, l’autre entre tout droit au cerveau. Qui ne descouvrira la plume de dessus les ouyes, ne luy voirra point le pertuïs qu’avons dit. Les plumes de l’Ostarde sont rouges à la racine, tout ainsi qu’à la Cane petiëre, ayant aussi les cuïsses couvertes de plumes blanches, qui sont descouvertes deux doigts au dessus de la joincture des genoux. Ses jambes sont grosses comme le poulce, longues de demy pied, toutes couvertes d’escailles. Elle ha les pieds moult gros, dessous lesquels lon voit un gros cal, qui est comme un muscle dedens le pied à la racine des doigts. Ses ongles sont courts, & ha seulement trois doigts en chacun pied, & toutesfois les autres oyseaux en ont quatre. Les plumes de sa queuë sont blanches à la racine vers la partië qui touche le croupion, tannees par dessus, merquetees de noir. Sa poictrine est grosse & ronde. Aussi sa langue est dentelee de chasque costé, poinctuë, & dure par le bout. La nature de l’Ostarde est de vivre par les spatiëuses campagnes, comme l’Autruche, fuyant l’eau sur toutes choses : Et ne monte jamais sur les arbres, ne ne hante les eaux, n’estoit de celle qui reste entre les seiglons apres avoir pleu, ou bien qu’elle hantast les mares pour en boire. Ce lieu ha esté trouvé propre pour parler de l’Ostarde apres l’Autruche : laquelle Ostarde Pline au vingt-deuxiesme chapitre du dixiesme de l’histoire naturelle, ha nommee Altera Tetrao. Or tout ainsi comme donnerons authorité au Coc de bois par le dire de Pline, qu’il nomma Tetrao, sçachants qu’il en met de deux sortes, aussi faut consequemment parler de ceste seconde espece de Tetrao, que croyons estre l’Ostarde : Car puis qu’il dit que l’autre espece de Tetrao, est de couleur d’un Vautour, & de plus grande corpulence que la premiëre espece, & qu’apres l’Autruche il n’y ha oyseau plus grand que luy : ce nous ha semblé poursuyvre la confirmation de nostre propos, sur les paroles d’iceluy essayants de recognoistre s’il y ha autre oyseau que l’Ostarde, à qui les merques susdictes puissent convenir : parquoy il sera facile prouver qu’il ha entendu de l’Ostarde. Alterum eorum genus, dit il au lieu susdit, Vulturum magnitudinem excedit, quorum & colore redit. Des-ja ha esté dit de quelle couleur sont les Vautours. Pline adjouste encor tels mots : Nec ulla avis excepto Struthiocamelo majus corpore implens pondus, intantum aucta, ut in terra quoque immobilis praebendatur. Et pource qu’on ne les prend par les campagnes d’Italie, il ha adjousté : Gignunt eos Alpes & Septentrionalis regio. Et à fin que ne ressemblons à ceux qui pour monstrer qu’ils n’ignorent rien, jugent de toutes choses à tort & à travers, voulons monstrer ce passage avoir esté dit avec jugement : car ou Pline met tels mots, suyvant le mesme teste : Proximae eis sunt quas Hyspania Aves tardas appellat, Graecia Otidas, domnatas in cibis : emissa enim ossibus medulla odoris taedium extemplo sequitur : Il entendoit du Duc. Car nous trouvons qu’Otus signifie le Duc & l’Ostarde. Et pour monstrer nostre persuasion, & la raison pourquoy ceste seconde espece de Tetrao est une mesme chose aved Avis tarda, est que comme Pline ha prins son histoire de divers autheurs, tout ainsi ou il met, Hispania Aves tardas appellat, Graecia Otidas : Strabo ha escrit la mesme chose quand il dit : Otides in Hyspania frequentes. Et lá ou Pline escrit : Otidas damnatas in cibis : Aristote ha dit que les Ducs oyseaux de nuit nommez en Grec Otides, ne vallent rien à manger. Mais comment seroit il possible que l’Ostarde fust si mauvaise, veu mesmes que l’experience monstre que c’est un delicieux oyseau, lequel nous preferons maintenant à tous autres es banquets privez : Et Galien au troisiesme livre De facultatibus alimentorum, n’ha il pas mis sa chair moyenne entre la Grue & l’Oye. Et plutarque, & Xenophon n’ont ils pas escrit que sa chair est delicieuse ? Par ainsi la diction signifiant deux oyseaux peut avoir trompé : sçachant qu’Aristote ha comparé sa grandeur à celle d’un bien grand Coc. Concluons donc que ceste seconde espece de Tetrao, est une mesme chose que Avis tarda.

De la Cane petiëre.
CHAP. IIII.


LA CANE petiëre nous semble oyseau particuliër au païs de France, ou il n’y ha paisant qui ne le sçache ainsi nommer : mais comme il advient que les choses ne sont nommees en un païs comme en l’autre, il en y ha qui la nomment aussi une Olive. Et à nostre jugement elle est rare en Italie : car l’ayant monstree aux embassadeurs de Venise, Ferrare, & du Pape, n’avons trouvé aucun de leur famille, qui en eust cognoissance. Et pource qu’elle ressemble quelque peu à une Faisande, quelques uns se voulurent opiniastrer, que c’estoit un Faisan : toutesfois c’est bien le contraire. Quelque chose qu’ayons sceu faire, n’avons trouvé son appellation antique, sinon que par soupçon nous ha semblé que c’est celuy qu’on appelloit Tetrax. Tetrax (dit Alexander Mindius) avis est magnitudine Spermologi, colore figlino, sordidis quibusdam maculis, lineisque magnis variegato. Frugibus vescitur, & quando peperit quadriplicem emittit vocem. Pour Spermologus entendez celle grosse Corneille nommee un Freux. Ce nom de Cane petiëre luy ha esté baillé, nom pas qu’elle soit aquatique, mais qu’elle se tapist contre terre à la maniëre des Canes en l’eau. Elle n’ha aucune affinité avec les oyseaux aquatiques : car c’est un oyseau de campagne, qui est de la corpulence d’un Faisan : la teste est toute semblable à celle d’une Caille, exceptant la grosseur : & ha aussi le bec semblable à celuy d’une Poullaille. Elle est plus cogneuë de nom, que de forme : car nous avons un proverbe en nostre langue qui la met en bruit, disant à ceux qu’on cognoist soupçonneux, qu’ils font de la Cane petiëre. On la prend en païs de campagne, à la maniëre des Perdris, au lasset, au fillet, & à la forme, comme aussi avec l’oyseau de proye : mais elle est bien rusee de s’en sçavoir defendre, ne faisant qu’un vol de deux ou trois cents pas, bas, & royde : & quand elle est tombee à terre, lors se met à courir si forot, qu’à peine un homme la pourroit suyvre en courant. Elle n’a que trois doigts es pieds non plus que l’Ostarde, & le Pluvier. Les racines de toutes ses plumes sont rouges & quasi comme sanglantes joignant la peau, tout ainsi que l’Ostarde : qui nous fait penser qu’elle est espece d’Ostarde. Car toutes deux, & principalement la Cane petiëre est aussi blanche dessous le ventre, comme est un Cygne : mais le dessus de leur dos est meslé de trois ou quatre couleurs, c’est à sçavoir fauve, bis, & roux entremeslé de noir. Les extremitez de ses quatre premiëres plumes des aelles sont noires par le dessus. Les plumes de dessous le bec sont blanches jusques à la poictrine. Il y en ha qui ont un collier blanc dessous en l’endroit du jabot, qui leur entourne la poictrine, comme aux Merles de Savoye. La couleur de la teste & de dessus le col ensuyt celle de l’eschine, & du dessus des aelles. Son bec est moins noir que celuy du Francolin. Ses jambes sont cendrees tirants sur le gris. Qui voudra avoir la perspective d’une Cane petiëre, s’imagine voir une Caille beaucoup madree, aussi grande comme une moyenne Faisande, & entendra de quelle maniëre est une Cane petiëre. Il n’y ha rien en son interiëur, qui ne soit commun aux oyseaux qui vivent de grain. Elle est du nombre des oyseaux deliciëux, aussi n’est moins prisee qu’un Faisan, & vit indifferemment de toutes maniëres de semences, comme aussi de Formis & Escharbots, & petites Mouches, & aussi d’herbe de blé. Soit que la couleur des Canes petiëres n’est tousjours mesme, tant au col & à la teste, comme aussi y ha difference du masle à la femelle : toutesfois le dessus du dos, & des aelles est tousjours constant en couleur.

D’un Ostardeau tenant quelques enseignes de l’Ostarde : à qui n’avons trouvé meilleur nom moderne, ne ancien, que Oedicnemus.
CHAP. V.


DES oyseaux dont avons baillé le portrait, n’en exceptons aucun que ne l’ayons manié, & eu en nostre puissance. Et en oultre que plusieurs sçavent qu’avons esté par certains lieux de Grece, & Asie pour les observer, & avons aussi passé en Angleterre : la courtoisie de monsieur Daniël Barbarus, gentilhomme Venicien, patriarche d’Aquilee, nous ha obligé confesser avoir eu maints portraits des siens, lors qu’il y estoit embassadeur pour la segneurië de Venise : car luy qui est prudent & diligent inquisiteur des haults faits de l’Eternel, ne voulant rien laisser en arriere, avoit un peintre avec luy, pour luy representer ce qu’il trouvoit digne. Lors estants en Angleterre veismes premierement un oyseau de tel plumage que celuy d’une Ostarde, & les pieds de mesme, parquoy le pensasmes un Ostardeau, & sans le sonder plus fort, le passasmes legerement. Mais l’ayants depuis retrouvé en noz contrees, & montré à ceux, desquels en attendons quelque nom vulgaire, disoyent qu’ils en manient souvent, & distribuent es festins : mais qu’ils n’ont ouï son propre nom. C’est un oyseau qui fait ses petits bien tard : car encor en avons trouvé qui ne sçavoyent voler à la fin d’Octobre. Il est quasi de la gradeur d’un Corlis. Auquel enseignons une particuliëre chose, pour le sçavoir cognoistre qui n’est en aucun autre oyseau : Cest, qu’il ha les jambes grosses au dessous du ply des genoux, à raison de ce qui provient de l’os de la jambe, qui est gros oultre mesure en ce’st endroit lá. Donc pour le faire mieux cognoistre luy avons laissé ce nom Oedicnemus. Il n’ha que trois doigts es pieds, nomplus que la Cane petiëre, Pluvier, & Ostarde. Si ce n’estoit que son bec est longuet, noir par le bout, jaulne contre la teste, & autre que celuy d’une Ostarde, lon penseroit qu’il fust Ostardeau : car à la verité il ha les aelles, comme d’une Ostarde, c’est à sçavoir blanches dessous, & noires aux extremitez. Sa queuë aussi ha les extremitez noires, dont les plumes sont merquetees de blanc : le dessus du dos est comme d’un Francolin : car ses plumes de couleur enfumee, sont tachees de noir, le long de la tige, & sont doubles, comme en plusieurs oyseaux de campagne. Ses jambes longues nous invitoyent à le mettre entre les oyseaux de riviere, & principalement luy voyant les cuïsses nues, toutesfois les doigts de ses pieds courts, nous en retiroyent, & induisoyent à le mettre du nombre des oyseaux terrestres de campagne.

Du Francolin.
CHAP. VI.


NOUS ne cognoissons aucun oyseau en nostre païs qui soit nommé Francolin : aussi est-ce un nom emprunté des estrangers. Il est Italien, exprimant l’oyseau que les anciens appellent Attagen. Et tout ainsi que maintenant, quand nous voulons louër quelque viande pour son excellent goust, & principalement le poisson, ou autre chose, nous le disons la Perdris de mer, tout ainsi anciennement perferents le Francolin à la Perdris, disoyent le Francolin de mer : car le Francolin estoit plus estimé, que la Perdris, Faisan, & tout autre gibbier. Cest oyseau est de montagne, qui ne descend es plaines, parquoy n’est gueres veu ça bas en noz païs de France, s’il n’y est apporté d’ailleurs. Il est bien vray qu’on en voit quelquesfois par les marchez des villes, qui ne sont assises gueres loing des haultes montagnes. L’on en voit à Venise, & Boulongne, & à Rome. Quelques hommes dignes de foy, nous ont rapporté qu’ils en avoyent veu manger en France, à la table du feu Roy Françoys restaurateur des lettres : qui avoyent esté envoyez des monts Pyrenees, & des montagnes des Foys. Pline parlant de cest oyseau, au quarante-huittiesme chap. du dixiesme livre de l’histoire naturelle, disoit que celuy de Ionië avoit eu le premier lieu en excellence, l’estimant plus friand que d’autre lieu. Qui est chose conforme à ce que Martial en ha escrit en tels mots. Inter sapores fertur alitum primus Ionicarum gustus Attagenerum. Dit d’avantage que le Francolin estant sauvage, fait quelque voix en chantant, mais captif ne sonne aucun mot, & que anciennement estoit entendu du nombre des oyseaux rares : mais (dit il) on le prend maintenant en Gaule, Espagne, & par les Alpes. Faut sçavoir sur ce passage, que lon en prend sur les montagnes d’Auvergne : car estants lors de la famille de monseigneur l’Evesque de Clairmont, monseigneur M. G. du Prat, docte & sage prelat, & curieux des sciences, en fut servy à sa table à Beauregard. Aristote nous ha laissé bien peu d’enseignes à le cognoistre, sinon ou il dit qu’il est de la couleur de la Becasse, & qu’il se repaist de grains, & se veaultre en la pouldre. Avis multipara est Attagen (dit il au neufiesme livre des animaux, chapitre quarente-neufiesme) frugibusque victitat, & pulveratrix est. Et pource qu’Aristote dit, Spermologos, nous pretendons que c’est ainsi comme l’interprete de Aristophanes, dit en la comedie intitulee les oyseaux : Et aliquis huc meorum simul volatilium, Quique bene seminatas agrorum vias Pascitis, tribus multae hordiphagorum, Seminile gorumque genera cito volantia, Mollem mittentia vocem. Et suyvant son propos, exprimant le chant du Francolin dit : Tio, tio, tio, tio, tio, tio, tio, tio. Et tout suyvant : Trioto, trioto, trioto, tobrix. Et sur la fin dit. Avisque varie pennata Attagas, Attagas. Nous pensons qu’Aristote ait veu ce qu’en avoit dit Aristophanes. Quand à ce qu’on dit, qu’il est oyseau vivant en lieux marescageux, & que pour cela il est frequent en la campagne de Marathon, accorderons bien à cela supposants qu’il puisse estre vray : car il est possible qu’il descende des montagnes voysines, & s’aille tenir lá quelque temps, puis s’en retourne en la montagne en autre saison, comme aussi fait la Beccasse. Lon en apporte quelquesfois vendre en pere de Constantinople, d’entour le mont Olympe de Phrygie, auquel lieu les Grecs qui y habitent le nomment en leur vulgaire Taginari. Cest oyseau est moult semblable à nostre Cane petiëre, mais est plus petit. Ses pieds & jambes sont couverts de plumes, comme au Coc de bois. Sa teste est comme d’une Perdris grise, & le bec de mesme façon, court, & fort. Il se nourrist de grains & vermines. Et combien qu’il soit communement constant en sa couleur, toutesfois on en trouve aussi de touts blancs, qui ne sont rien differents à la Perdris blanche de Savoye, sinon en grandeur : qui fait qu’osions bien asseurer que le Francolin blanc est celuy que les autheurs anciens ont entendu pour Lagopus alter. Nous trouvants à Venise, lors que monsieur de Morvillier estoit embassadeur pour le Roy, en avons veu en son logis, que n’eussions recogneu pour Francolins, n’eust esté que ses gents nous menerent vers celuy, de qui ils les avoyent achetez : & lors conferants les blancs avec ceux qui estoyent d’autre couleur, trouvasmes mesme corpulence, mesme teste, jambes, & pieds, hors mis la couleur. Le Francolin est du nombre des oyseaux qui se veaultrent en la pouldre : lon nomme cela en Latin Pulverare. Car comme les oyseaux de riviere se lavent d’eau pour nettoyer leurs vermines, tout ainsi les terrestres trouvent remedes en se veautrant en la pouldre. Ce Francolin fait son nid en terre, & esleve autant de petits que la Perdris. Les anciens medecins, Galien, Oribase, & plusieurs autres sont tesmoins que le Francolin ha tousjours tenu le premier lieu es delices anciennes : car si nous voyons à ce qu’ils en escrivent, entendrons qu’il estoit en mesme degré, que la Perdris : comme aussi en temperature es aliments. Aussi sont ils tousjours accompagnez ensemble, & en mesme dignité.

Du Coc, & Chapon.
CHAP. VII.


LON croit aysement qu’il ne fut onc que les Cocs n’ayent servy d’horloges en touts païs & en toute antiquité. Mais maintenant que nous avons les horloges en touts lieux, il n’y ha que les villageois qui prennent garde à son chant, auquel ils sont siduits, qu’ils sçavent à peu pres qu’elle heure il est en la nuict. Les horloges tels que nous les avons maintenant sont de l’invention des modernes, toutesfois les ancïens en avoyent d’autres qui avoyent leurs mouvements avec de l’eau, les autres avec du sable, desquels tout le neufiesme chapitre du neufiesme livre de Vitruve est composé, & par lequel il est aysé prouver qu’il n’y avoit aucune sonnerië : & aussi que la vertu de la pierre d’Aiment nommee en Grec & Latin Magnes, n’estoit encor cogneuë, & que les anciens n’ont eu l’usage de petits quadrants pour porter sur les champs pour sçavoir les heures en esté au soleil. Vray est qu’ils avoyent l’usage de bracelets, & anneaux : car Vitruve dit au commencement du mesme chapitre. Item ex his generibus uti fierent, plures scripta reliquerunt. Donc le Coc, n’ayant rien de plus insigne en sa nature que de servir d’horloge, est si vigilant qu’il annonce les heures de la nuit, & le jour à venir. C’est la raison pourquoy on l’ha tousjours porté en guerre, chose cogneuë à peu de gents, & dont lon ha nommé les veilles & guets des sentinelles, premiere, seconde, tierce. Et pour mieux le signifier, eux mesmes se frappent en se battant des aelles de chasque costé pour s’esveiller. Er des-lors ne cessent de chanter, qu’ils n’ayent veu le point du jour. Nature leur ha donné de longs esperons, que les Latins ont nommé maintenant Sudes, autrement Calcaria, ou bien Tela, & les Grecs Plictrona, lesquels elle n’ha onc onctroyé aux autres especes d’oyseaux. Elle leur ha mis une creste dessus la teste, & des barbes pendantes par le dessous de la gorge. Columelle nomme sa creste en Latin Galea, & Crista : car il dit : Africana Gallina rutilam galeam, & cristam capite gerit : quae utraque in Meleogride sunt coerulea. Mais telles barbes sont nommees en Latin Paleae, & Menta, & en Grec Pogona. Il y ha une coustume par tout le monde, que les enfants font jouster les Cocs à certain jour de l’annee. Nous faisons cela en Caresme. Il y ha autheurs qui dient que cela se faisoit aussi anciennement en Grece. Les anciens observateurs de la chose rustique ont dit qu’un Coc estoit suffisant à cinq Poulles, moyennant qu’il fust de bonne taille : car les Cocs qu’on nourrist, doyvent estre à chaucher. De telle taille faut qu’ils soyent grands & haults : les crestes haultes, droites, & rouges, & non de travers : les yeux noirs : le bec court, massif & crochu : les barbes entre rouges & blanches, comme aussi l’endroit des ouyes. Aussi faut que les plumes d’entour son col, qu’on nomme les crins, soyent de diverse couleur, espars sur les espaules, rouges, dorees, & fauves : large poictrine, & les membres bien fourniz : les aelles bien en-plumees : la queuë haulte, garnie de double ordre de plumes pendentes, & rempliees contre bas. Aussi faut qu’ils soyent vioges vigilants, & promps à chanter souvent, & qu’ils ne s’espouventent sinon forcez de grande occasion, & mesme jusques à se monstrer en courage de faire teste contre touts animaux nuïsibles, defendants tout le troupeau des Poulles : & de moult grand cœur, venger les injures que leurs feront les autres animaux. Aussi eux mesmes cherchants à manger, faut appeller tousjours les Poulles, pour le leurs departir. Tels Cocs veulent estre les maistres, & estre comme roys sur les autres : car ils maistrisent en chasque maison ou ils vivent, & s’aquierent ce tiltre par vertu de combat. Telle est donc la vertu des Cocs plus vioges que les autres, qui se trouvants inferieurs en resistant, & voulants perseverer, font combat jusques à les faire mourir : & soudain qu’un aura esté vainqueur, contraindra le vaincu à se cacher, & chantera à pleine voix au grand dueil de celuy qu’il aura vaincu : car tels animaux supportent le service mal aysement. Les anciens ont tenu que la presence des Cocs est espoventable au Lion. Mais ils n’en ont dit la raison, sinon qu’estant moult fiere beste, & regardant souvent vers le ciel ayant la creste levee, ont aussi la queuë droicte, & les plumes retournees en faucille, & se marchent de grande braveté. La vertu que les medecins praticiens anciens, & modernes ont attribué à la decoction, ou bouillon d’un vieil Coc, l’ont prins des escrits de Dioscoride, qui escrivit son histoire long temps avant Galien : & duquel les medecins Arabes en ont traduit ce que nous voyons en leurs receptes. Dioscoride ha ordonné qu’on doit choisir un Coc bien fort vieil, lequel apres estre acoustré, doit estre farcy par dedens le ventre des racines de Polipode, de la semence de Chartamus, du sel de la Mercuriale, de la Soldanelle, & puis recousu, puis bouillu en l’eau jusques à ce qu’il soit fort cuit. Iceluy fera une decoction laxative, à laquelle y adjoustant autres semences, & drogues propres es autres maladies : comme asmatiques, gouteux, & malades de la Jaunisse, & autres plusieurs, sont gueris sans grande difficulté : mais il faut que lon prepare le Coc pour estre meilleur : car tout ainsi comme un chevreau est nourry de Lierre pour avoir meilleur sang par ceux qui ont la gravelle, aussi faut que le Coc soit nourri avec de l’apast de bon blé avec du lait, lespace de huit jours. Les hommes sçachants les Cocs estre durs à manger, ont inventé de les chastrer pour les attendrir : & lors changent leur nom, & sont appellez Chapons. Mais les Cochets encores tendres ne sont moins utiles que les Chapons. Entre les Cocs, il y en ha quelques uns qui sont moins genereux, & de si failly courage, qu’on est quelquesfois en doute, à sçavoir s’il sont masles ou femelles. De telle maniëre est bon choisir pour chaponner. Les testicules des Cochets encores vierges sont bons à faire restauratifs, & s’est trouvé quelques experimentateurs, qui en ont nourry les ethiques, & les ont gueris, comme aussi ceux qui estoyent affoiblis par longues maladies. Auteurs suffisants asseurent, comme chose veritable, que tels testicules sont utiles à augmenter la matiëre spermatique, & aydent à la generation. Le Coc, la Poulle, & le Chapon sont oyseaux si communs à toute nation, & desquels tant d’autheurs ont fait mention, que d’en parler apres eux n’est que redicte. Et de fait n’en vouldrions parler un seul mot, n’estoit qu’il y ha difficulté es noms de diverses especes. Les gros Chapons du Mans de haute gresse sont estimez tendres, & de bon manger en touts lieux du royaume de France. Et pource que les peres de famille Romains anciens apperceurent que la nourriture des Poulles, & autre volaille estoit de moult grand revenu, en firent chercher jusques en Afrique, Medie, Parthie, Numidie, & autres regions, dont ils estoyent en seigneurs : & les nourrissants en diverses maniëres, apprindrent à cognoistre au plumage celles qui estoyent fecondes à porter lignee : & principalement les communes Poulles, esquelles le principal du cens de leur revenu consistoit. Et à fin de mieux les specifier, il nous ha semblé bon en parler en particulier chapitre.

Des Poulles de diverses sortes.
CHAP. VIII.


LES anciens donnerent divers noms aux Poulles : car lon en trouve de diverses sortes. Ils nommerent les unes rustiques, les autres Villatiques, les autres Meliques, les autres Cohortales, les autres Africaines ou Numidiques, les autres Meleagrides. Ils n’estoyent moins soigneux de leur mestairiës, que nous sommes des nostres, & sçavoyent aussi bien choisir la bonne volaille, comme nous faisons à present. Parquoy louants la couleur des Poulles communes pour estre les meilleures, vouloyent qu’elles fussent rougeastres, ou noirastres. Les blanches n’ont onc esté approuvees, pource qu’elles sont trop subjectes à estre ravies des oyseaux de rapine. Tels peres de famille Romains curieux de la chose rustique, nous ont exprimé par escrit grande partië de celles qu’ils nourrissoyent en leurs metairiës, & desquels nous pouvons sçavoir si nous en avons autant d’especes, qu’eux. Nous en cognoissons seulement de deux sortes, comme aussi faisoit Aristote, lesquelles au premier chapitre du sixiesme livre des animaux, il distingue, appellant les unes genereuses ou secondes, les autres non nobles, & infecondes. De celles que nous avons, l’une est de petite stature, commune en tous lieux : l’autre est de grande corpulence, qui n’est si commune que la precedente. Aristote au premier chapitre du sixiesme livre des animaux, & Pline au cinquante-troisiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, entendent que les communes petites Poulles estoyent nommees Hadrianes : car ils dient en ceste sorte. Les Poulles Hadrianes sont de petite corpulence, & qui ponnent par chacun jour, & sont de diverses couleurs. Varro ha nommé telles Poulles, Villatiques, c’est à dire, nourries en village : lesquelles Columelle appelle autrement Cohortales. Voila de nostre petite Poulle commune. Mais l’autre maniëre de Poulle, qui est de plus grande corpulence, est communement appellee des Françoys Poulle griesche, quasi comme qui diroit Poulle de gresse. Encores avoyent anciennement des Poulles, qu’ils faisoyent venir de Rhodes, qui estoyent de moult grosse corpulence, vulgairement nommees Rhodiennes. Entre autres merques qu’ils nous ont laissé à les cognoistre, est, que les masles sont tardifz à chaucher les femelles, qui aussi sont mal habiles à nourrir leurs Poulsins, & le plus-souvent steriles. Ils avoyent aussi une sorte de volaille qu’ils nommoyent Tanagricum, qui n’estoit gueres moindre que le Coc d’Inde, & qui estoit de meurs semblables à noz Poulles communes. Aussi avoyent une autre maniëre de volaille qu’ils nommoyent Poulle Chalcidique, & qui approchoit grandement des meurs des Poulles Tanagriques. Ils avoyent aussi une autre espece de volaille, que le vulgaire, lors que Varro vivoit, nommoit Melique, au lieu de dire Medique. Car luy, qui en donne la raison, dit, que c’est pource que premierement furent apportees de Medie pour leur beaulté & grandeur.

Poulles de la Guinee.
CHAP. IX.


TOUT ainsi comme la Guinee est un païs, dont les marchands ont commencé à apporter plusieurs marchandises, qui estoyent auparavant incogneuës à noz Françoys, aussi sans leurs navigations, les Poulles de ce païs la estoyent incogneuës, n’eust esté qu’ils les ont fait passer la mer, qui maintenant sont ja si frequentes es maisons des grands seigneurs en noz contrees, qu’elles nous en sont communes. C’est un oyseau d’aussi beau plumage qu’on puisse voir. Elles ont infiniës taches blanches en leur champ noir. Leur corpulence n’excede la grandeur d’une Poulle : mais sont plus haultes enjambees, & par consequent ont le corps longuet. Nous baillerons une enseigne par laquelle chasque personne les sçaura cognoistre : c’est qu’elles ont une bossette sur le front à la maniëre de la beste Camelopardalis, qu’on nomme en Françoys une Giraffe : qui est de la nature d’un cal, c’est à dire, quasi aussi dure comme une corne. Ces Poulles sont beaucoup secondes. Il nous est advis que les anciens ne les ont ignorees, ains que c’est dont Varro au troisiesme livre de la chose rustique fait mention, disant que la Poulle Africaine, ou Numidique est de diverse couleur, tout ainsi comme celle que les Romains nommoyent Gibbera, qu’avons interpreté Coc d’Inde. Columelle la nomme Numidique, comme aussi fait Pline. C’est le plus beau de tous oyseaux privez : combien qu’il n’ait autre diversité de couleurs sur ses plumes, que du noir & du blanc : toutesfois la couleur est si bien entremeslee, que la merqueture du blanc semé dedens le noir, garde son ordre sans y faillir aucunement. Ce sont oyseaux de meurs semblables à noz Poulles, & grattent la terre en la mesme maniëre. Leurs jambes, pieds, & ongles sont en mesme proportion, sinon qu’elles sont haultes enjambees, mais ont ceste difference que au lieu que les nostres vulgaires tant Cocs, que Poulles, tiennent la queuë dressee, elles la tiennent avallee contre terre, tout ainsi comme font les Cailles, & Perdris : qui est cause qu’on les nomme aussi, Perdris de terre neufve. Ce sont oyseaux qui n’aiment à se tenir en une place. Ils sont soigneux en pourchassant leur vivre, comme sont les Poulles domestiques : parquoy se pourmainent ça & lá. Il n’y ha enseignes fort manifestes qui nous facent cognoistre à l’exteriëur, pour discerner le male de la femelle : car touts deux ont mesmes madrures es plumes, & blancheur au tour des yeux, & rougeur par dessous, comme les rouges barbes des Poulles : mais il n’ont point de creste, sinon une callosité de couleur de cire, qui est dessus le sommet de la teste au lieu de creste, tellement qu’à les voir de prime face, & se souvenant de la Giraffe, on les trouve en retenir quelque chose : sçavoir est, la maniëre de tenir leur teste eslevee en courant, & la couleur des plumes madrees. Il y ha encor une particuliëre merque, qui convient à elles seules : C’est, que comme les Poulles d’Inde ont un toffet de poil en l’estomach, cestes cy l’ont dessus la teste disposé à contre poil, c’est à dire, qui est reviré en avant commençant depuis la premiëre vertebre ou os du col, & leur continuë par le derriere de la teste sur la peau du test. Elles ont cela de commun avec le Paon, qu’elles ont le commencement du col gresle. Les plumes du col, & principalement celles de dessous, reluisent comme le collier d’un Ramier. Leur cry est dissemblable à celuy des Poulles communes : car elles crient aigrement en voix haultaine, quasi comme les petits Poulsins nouvellement esclos. Elles prennent leurs perches comme font les Poulles privees. Leur chair est delicate, & leurs œufs bons à manger. Or maintenant voyons combien nostre vulgaire nous ha servy à recognoistre cest oyseau, le nommant Poulle de la Guinee. Et moyennant que nous considerions Afrique, trouverons convenir à son appellation. Car Numidie, & la Guinee sont en Afrique, l’un au rivage de l’Ocean, l’autre de la mer mediterranee. Les navigations des anciens Romains estoyent plus communes à traverser la mer mediterranee, que sortir hors du destroit de Gibaltar : & toutesfois ils le passoyent quelques fois, mais plus rarement. Aussi maintenant les Portugalois, & Normans, ou autres habitants es contrees de la mer Oceane, hantent plus l’autre oree d’Afrique, qui est la Guinee, que d’entrer au destroit de Gibaltar, en la mer mediterranee. Parquoy ce n’est merveille si telles Poulles Africaines sont des-ja plus communes en nostre France qu’en Italie, veu que les navires arrivent plus communement en noz villes venants de ces païs lá, que celles d’Italie. Telles Poulles sont moult fecondes, & soigneuses de bien nourrir leurs petits : qui est cause qu’elles se multiplient grandement, & feroyent encor plus, n’estoit qu’elles craignent moult le froid, comme venants d’une region fort chaulde.

Du Coc d’Inde.
CHAP. X.


CEUX qui pensent que les Cocs d’Inde n’ayent esté cogneuz des anciens se sont trompez. Car Varro, Columelle, & Pline monstrent evidemment qu’ils estoyent des leur temps aussi communs es mestairiës Romaines, qu’ils sont maintenant es nostres : lesquels ils nommoyent de nom Grec, Meleagrides, & de nom Latin Gibberas. Varro dit en ceste sorte. Gibberae quas Meleagrides Graeci appellant, etc. Ceste chose est conforme à ce que Pline en escrit au vingt-sixiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle. Meleagrides (dit il) hoc est, Gallinarum genus Gibberum variis sparsum plumis, etc. Parquoy il est facile à prouver que nostre Coc d’Inde est Gibbera Gallina, ou Meleagris. Car Columelle le tesmoigne, escrivant en ceste sorte : Africana est Meleagridi similis, nisi quod rutilam galeam & cristam capite gerit : quae utraque in Meleagride sunt caerulea : C’est à dire : la Poulle de la Guinee (car ainsi l’interpretons Aphricana Gallina) est semblable au Coc d’Inde, sinon que l’une porte la creste, & les barbillons rouges, qui au Coc d’Inde sont de couleur de ciel. Il est tout arresté que touts autheurs parlants du Coc d’Inde, que maintenons estre Meleagris, ont dit quils sont tachez de diverses madrures. Ces Cocs d’Inde ont un toffet de poils durs, gros, & noirs en la poictrine, resemblants à ceux de la queuë d’un Cheval, desquels ce seroit à s’smerveillé que les autheurs anciens Latins & Grecs neussent point parlé. Toutesfois Ptolomee en la penultime table d’Asie en ha fait speciale mention, le nommant Paon d’Asie. Pline ha escrit Meleagris, comme pour oyseau de riviere, duquel avons parlé au dernier chapitre du premier livre : c’est la cause que nous l’ayons escrit entre les oyseaux, qui nous sont incognuz : car nous pretendons qu’il vouloit entendre d’un autre, que de nostre Poulle d’Inde.

Du Coc de bois, ou Faisan bruyant.
CHAP. XI.


IL y ha telle distinction entre le masle Coc de bois, qu’entre nostre Coc privé, & la Poulle. Ce n’est merveille si les habitants des villes situees aux pieds des monts, n’ont les Faisants si communs, que ceux qui habitent en païs de plaine : qui toutesfois prenent grande quantité de Cocs de bois, qui nous sont rares au plat païs de France. La raison est que le naturel du Faisan luy enseigne vivre plus commodement par le païs plat, qu’à la montaigne : tout ainsi qu’elle ha enseigné au Coc de bois trouver commodement pasture par les forests situëes sur les montaignes. C’est ce qui ha fait que les Faisans ne sont si communs en Italie & Grece, comme en nostre France : car combien qu’il y ait aussi bien des plaines en ce païs lá, comme en cestuy-cy, & des bois taillis, toutesfois ils n’y sont si communs, mais ont des Cocs de bois, ou autres oyseaux à l’eschange. Nous, qui souventesfois avons cheminé par les haultes montaignes de diverses contrees, rencontrions de tels Cocs par les bois, vivants au sauvage. Parquoy il est difficile de les pouvoir apprivoiser. Lon ne sçauroit passer les monts en aucune saison de l’hyver, qu’on n’en puisse bien voir es boutiques des chaircuitiers, ou es hosteleriës des villages de Savoye, ou Auvergne, situëz par les montaignes, ou les habitants les nomment Cocs de bois : & es autres païs, Faisans bruyants : & en Italie Galli Cedroni : lesquels lon tue telles fois à l’arbaleste, l’autrefois à l’arquebouse : comme aussi sont prins aux rets, & lasset, à la maniëre qu’en escrirons des Faisans. Les Cocs de bois furent anciennement nommez Tetraones. Lon en voit à Venise qu’on y ha apportez des haultes montaignes du Friol, qu’on prend communement en hyver. L’oyseau nommé Tetrix, ou bien Ourax, des Grecs, dont Aristote ha fait mention, est possible une mesme chose avecques le Tetrao des Latins. Aristote dit en ceste sorte, au premier chapitre du sixiesme livre : Tetrix, quem Athenienses Uragem appellant, nec terrae, nec arbori suum nidum committit, sed frutici. Et combien que le Coc de bois ne puisse estre Tetrix, ou Ourax, il ne laisse d’estre Tetrao. Il n’est pas mal aysé qu’on ne puisse bien voir encrucher son nid dedens un arbrisseau. Les Faisans, Perdris, Ostardes, Cailles, Canes petiëres, & le Coc de bois ne le sont gueres que sur terre. Il est tout manifeste que ce Coc cy est Tetrao : car il y ha des merques en Pline au dixiesme livre, chapitrevingt-uniesme, qui le peuvent prouver, ou il dit en ceste sorte. Decet Tetraonas suus nitor absolutaque nigritia, in superciliis cocci rubor. Il faut maintenant voir si les enseignes de l’oyseau, dont parlons, conviennent, avecques celles de celuy que Pline ha descrit, c’est à dire qu’il ha les plumes bien fort noires, mais de couleur changeante, & les sourcils rouges, teincts comme escarlate. Le Coc de bois est plus massif, & plus gros une fois & demie que le Faisan domestique, & ayant la plume si noire & reluisant au dessous du col, & de l’estomach, qu’elle monstre en estre toute changeante : aussi ha les sourcils dessus les yeux si finement rouges, qu’il semble estre pure & fine escarlarte cramoisië, beaucoup plus rouge que celle qui est es Perdris & Faisants, ayants aussi cela de particuliër, suyvant ce que Pline ha escrit, au lieu allegué, qu’il ha seulement le dessus des yeux rouges, & non pas le dessous, comme ont les Perdris & Faisants. Les autres autheurs les nomment aussi Erythrotaonas, qui est diction Grecque signifiant Paon rouge, & ce à nostre advis à cause qu’il approche de la corpulence d’un Paon : car les sourcils sont finement rouges, & les plumes de l’estomach apparoissent terniës comme entre meslees de rouge. Il ha les plumes d’autre nature que celles des autres oyseaux, c’est que si on les regarde à la racine, on les trouvera doubles : & que d’un tuyau elles sortent deux à deux, qui est une enseigne si rare que n’avons trouvé à qui cela convienne, hors mis aux oyseaux terrestres, Cocs & Poulles privees. Sa queuë est composee de plumes noires, quasi faictes à la maniëre de celle d’une Poulle privee. Car les plumes sont voultees, c’est à dire courbees en arc, & larges par le bout, ayants quelques petites madrures blanches. Qui luy oste les aelles, trouve des plumes blanches par le dessous. Car le dessus est de couleur enfumee, ayants quelques taches blanches entremeslees. Sa teste n’est rien moindre que celle d’une Ostarde, ayant un gros bec massif trenchant entre pale & plombé, bien muny de plumes dessus & dessous. Les plumes qu’il ha dessus le col & le dos sont mouchetees de cendré, de telle maniëre qu’elles en sont toutes bigarees, mais le champ en est brun. Le Coc de bois ha une merque qui luy est particuliëre, c’est qu’il ha les jambes bonnes & fortes, & pieds gros toutes couvertes de plumes brunes, excepté le dessous surquoy il s’apuye le long de la jambe, quand il est couché contre terre. Tout ainsi advient à la Perdris blanche, & au Francolin. Il ha quatre doigts es pieds, dont les trois de devant sont moult bien garnis de bonnes escailles dures & beaucoup coches par les orees. Son jabot est grand oultre mesure, fait comme celuy des autres oyseaux terrestres, & le jesier de mesme. Il devore les fueilles de Sapins & toutes maniëres de fueilles d’herbes & les semences d’icelles. Nous avons esté renduz certains qu’il y ha des genevriërs majeurs aux monts d’Auvergne, tels que ceux qu’avons observez sur la summité du mont Taurus. Et sommes entrez en soupçon qu’il y ait des cedres dessus les monts au contour du lac de garde, d’autant qu’en avons veu tuer à l’Arquebuse au dessus de Vallarire, lors que cheminions par les montaignes pour voir l’origine de l’Agaric sur les Meleses, qui nous sembloyent en avoir mangé des fueilles, selon ce qu’en trouvions en leur jabot : Car le Tetrao vole par sus les branches comme le Faisan. Il y ha trois chairs au Coc de bois, Car à luy, auquel la poictrine est ronde & charnue, les trois muscles qui soit joincts à l’os de la poictrine semblent avoir trois divers gousts : l’on dit la premiëre de bœuf, car elle est dure : l’autre de Perdris : & la tierce de Faisan.

De la Gellinote de bois.
CHAP. XI.


UN oyseau nommé Gellinote de bois, est quelque fois apporté à la court, & à Paris venant des forests d’Ardene, & principalement en hyver, lequel estimons estre celuy qu’on nommoit anciennement à Rome Gallina rustica. Les Coquonniers qui apportent telles Gellinotes, viennent communement devers la Lorraine. Et sçachants qu’elle est de plus friand manger, que les Faisans, les vendent quelque fois deux escus la piece. Car quand ils en apportent, les pourvoyeurs des princes les envoyent à la court, ou bien les rostisseurs les retiennent pour les festins & banquets privez, & pour les nopces des grands seigneurs. C’est à bonne occasion que l’avons soupçonnee celle que les Latins ont nommee Gallina rustica. Car ou Varro disoit : Gallinae rusticae sunt in urbe rarae, nec fere mansuetae, sine cavea videntur Romae, similes facie non his villaticis Gallinis nostris, sed Africanis aspectu & facie contaminata in ornatibus publicis solent poni cum Psitacis ac Merulis albis. Item aliis id genus rebus inusitatis : neque fere in villis ova ac pullos faciut (in servitute enim non foetant) sed in sylvis. Il s’accorde entierement à ce qu’on peut rapporter de la Gelinotte de bois. Parquoy serons bien d’opinion que Gallina rustica des anciens, est-ce que nous appellons maintenant une Gelinote de bois. Elle ha donné le nom à une isle en la mer Ligustique, en laquelle ceux qui y venoyent, voyants beaucoup de telle Gelinotes, ont prononcé en Latin Gallinaria insula, qui me fait penser que ce que les paisans des Isles d’iere nomment grasses Perdris soyent noz Gelinotes de bois. Les plumes de dessus son dos, sont comme celles d’une Baccasse. Celles de devant l’estomach, par dessous le ventre sont blanches, tachees de noir : mais celles du col sont comme à une Faisande. Sa teste & son bec, est comme celuy d’une Perdris, ayant aussi de la rougeur sur les sourcils, comme les Perdris. Sa queuë est comme celle d’une Perdris grise, blanche à l’extremité, & puis noire à la largeur d’un poulce, & le suyvant comme la couleur des plumes du col du Coc de bois. Les plumes qui sont sur les os nommez Ossasacra, sont longues & doubles, de la couleur de celles du mesme endroit en la Perdris grise. Les grosses pennes de ses aelles, sont ainsi madrees depuis la tige en dehors que celles d’un Hibou. Ses jambes sont couvertes de plumes jusques à moytié. Elle ha le pied comme une Perdris grise. C’est une enseigne qui monstre qu’elle est differente au Francolin, comme aussi est de moindre corpulence. Son bec est court, rond, & noir. Aussi ha des plumes phenicees, c’est à dire, de couleur de dacte aux deux costez de l’estomach dessous l’aelle. Somme que qui se feindra voir quelque espece de Perdris metive entre la rouge & la grise, & tenir je ne sçay quoy des plumes de Faisan, aura la perspective de la Gelinote de bois.

Du Faisan.
CHAP. XII.


LE Faisan est coustumiër de se tenir en jaunes taillis, & ne se trouver sans femelle. Et pource n’ayme point à hanter la compagnee des autres Faisans masles : parquoy la part ou ils s’entretrouvent, ils courent sus les uns aux autres, & s’entrechassent se combatans à la maniëre des Cocs, jusques à ce que l’un demeure superieur, & face fuir l’autre. Il y ha de deux maniëres de Faisans, tout ainsi comme il y ha deux maniëres de Perdris, ayants tous deux les plumes eslevees dessus le sommet de la teste es deux costez des ouyes, qui leur font sembler deux petites cornes eslevees, comme à la Hulote, & au Duc : mais faut entendre qu’elles ne sont tousjours droictes. Car il les hausent & abbaissent ainsi qu’ils veulent. Quelque diligence qu’on face d’aprivoiser les Faisans de jeunesse, il est difficile qu’ils ne se ressentent tousjours de leur sauvage. Et si on les aprivoise, il suffit de bailler deux femelles à un masle. Ils ne ponnent qu’une fois par an, & mettent quelquesfois vingt œufs : mais ne leur en faut laisser couver que quinze pour le plus à une seule Faisande. Elles reçoivent les masles seulement en Mars, & en Avril. Les Faisans sont difficilement prins au sauvage, sinon en temps d’hyver, lors qu’on cognoist leurs traces dessus la nege. Car la trace de leurs pas & la fiante sont comme celle d’un Chapon, & en ce temps lá on les prend en diverses façons : car on les voit errer par les petits sentiers dedens le bois, & alors on leur baille des amorces de grain pour les acoustumer en un lieu. Les paisans sçachants quel est leur naturel, & qu’ils ne veulent endurer autre masle aupres des femelles, luy mettent un grand miroer appuyé à une languette couverte d’une cage tout joignant l’esmorce. Et le Faisan se regardant au miroer, pense que s’en soit un autre : Lors ne se peut tenir de luy courir sus, & marchant sur la languette, se trouve enfermé dedens la cage. Il y ha quasi telle distinction du masle à la femelle du Faisan, qu’elle est au masle à la femelle du Paon. Les Faisans se perchent la nuict dessus les rameaux des arbres : car ils sont coustumiërs de se retirer des taillis en un lieu deputé pour leur perche dedens les bois de haute fustaye. Lon pense que le nom soit venu du fleuve Phasis : car Martial dit, Argiva primum sum transportata carina : Ante mihi notum nil nisi Phasis erat. Ceux qui naviguent en terre neufve faisants leurs profits de toutes choses, raportent les plumes de maints oyseaux & entre autres en avons recouvert la queuë d’un qui retire moult à nostre Faisan : car comme le Faisan ha une longue queuë droicte & roide, aussi est en cestuy-cy, n’estoit que nous souvenons de l’oyseau dont est faite mention, qu’on envoya à Cesar du païs des Indes, qu’on disoit estre Perdris, mais plus grosse qu’un Vautour. Les queuës des Faisans servent à aucuns pour mettre à leurs chapeaux, au lieu de plumes d’Autruches.

De la Perdris de Grece.
CHAP. XIII.


CELLE grosse Perdris que les Grecs à l’imitation des Italiens nomment en leur vulgaire Cothurno, nous semble estre differente à noz Perdris tant Franches que Goiches : sçachants qu’elle est deux fois plus grosse que les nostres, ayant le bec & les pieds rouges, comme aussi est tachee par devant l’estomach comme la franche, de la grosseur d’une moyenne Poulle. Telle maniëre de Perdris est si frequente entre les rochers des Colme, es Isles Cyclades & de Grece, & principalement le long de la marine en Crete, qu’on n’y voyt oyseau plus frequent. Lon jugeroit à ouïr sa voix, qu’elle est beaucoup differente aux nostres : Car elle fait moult grand bruit en criant, & principalement quand elle pond, & au temps qu’elle est en amours. Elle dit en chantant Chacabis, & reïtere telle voix moult souvent. Elle se poursuyvent l’une l’autre entre les rochers. C’est de lá que les Grecs ont enseigné aux Latins que Chacabare, est chanter comme la Perdris. Nous avons prins ce mot Perdris de leur voix : car en chantant en leur langue dient Perdris, ou bien autrement Chacabis. Aristote à nostre jugement entend de ceste-cy, ou il dit que les Poulles sailliës des Perdris engendrent une espece differente, que pensons estre ceste-cy. Elle fait son nid exposé en lieu aëré, au mois de May, l’appropriant avec quelque peu d’herbe. Mais elle ha bien l’industrie de descendre des rochers, & faire son nid en lieu ou ses petits puissent estre commodement nourriz. Elle pond ses œufs contre terre dessous quelque grosse pierre, quelquesfois huit, dix, douze, autrefois seze, ou plus ou moins qui sont de la grosseur des petits œufs de Poulle, & sont blancs, mais tachez de merques rougeastres, qui sont moult frequentes, & menuës, desquels le moyeu ne se peut endurcir. Ils sont aussi bons à manger comme ceux de Poulles. Apres qu’elle ha esclos ses petits, les emmeine hors de lá pour les faire repaistre par la campagne. Ce qui nous rend plus asseurez que ceste Perdris est d’autre espece que la nostre, & qu’il y ha des lieux en Italie, ou ils ont toutes les deux, nommees de divers noms, faisants ceste distinction que l’une est appellee Cothurno, & l’autre retient le nom de Perdris.

De la Perdris franche.
CHAP. XIIII.


AYANTS ja parlé d’une autre maniëre de Perdris de Grece, voulons maintenant parler des nostres, qui toutesfois sont de meurs & nature semblables aux Greques. Et pource que Aristote en ha beaucoup parlé, comme au cinqiesme chapitre, du cinqiesme livre, & plusieurs autres lieux, & que Pline l’a ensuyvi de mot à mot, au dixiesme livre de son histoire chapitre trente-troisiesme, avons peu à dire de la Perdris, si ne repetons ce qu’ils en ont des-ja escrit. Toutes Perdris font leurs vols bas & roides, & ne se branchent sur arbre, & n’encruchent leurs nids, mais se tiennent contre terre, comme aussi touts autres oyseaux de grosse corpulence. Et sont en troupe tout le long de l’hyver : car sont de telle nature qu’elles eslevent quinze ou seze petits d’une niee, qui ne se laissent l’un l’autre tout le long de l’hyver, mais au printemps s’accoupplent deux à deux masle & femelle : Car lors la volee est separee d’ensemble. Lon dit que la femelle pond ses œufs en deux parts, l’un pour son masle, & l’autre pour elle. Son masle couve & nourrist les siens tout ainsi que la femelle : toutes deux meinent leurs petits par les champs, pour les faire vivre de grain, & ou la nuit les prend elles les couvrent de leurs aelles à la maniëre des Poulles. Et si d’adventure il survient quelcun qui trouve la Perdris avec ses petits, elle ne s’en volera pas bien loing, mais seulement courra ça & lá, & en criant rappellera ses petits, lesquels nature ha douëz de bien sçavoir courir, & se musser & cacher, tellement que trouvant une volee de Perdriaux en fort lieu, il sera difficile d’en pouvoir prendre un seul. Quant à ce qui ha esté dit, que la Perdris se presente à ceux qui l’ont trouvee avecques ses petits, faignant qu’elle se veut laisser prendre, se monstrant comme blessee d’une aelle, ou avoir une jambe rompuë, songeant à la malice pour donner temps à ses petits pour pouvoir eschapper semble estre vray semblable, qui est chose qu’on peut observer, tant en la Perdris de Grece, qu’en la nostre : car si lon pourchasse ses petits, elle ne cesse d’importuner & voleter au tour de celuy qui l’a trouvee. Et moyennant qu’on n’y ait point de Chien, il n’y ha aucun espoir d’en prendre. C’est une enseigne infallible oyant le chant des Perdris, que le point du jour est prochain. Elles se tiennent la nuit en troupe, mais se departent d’ensemble au point du jour, allants ça & lá à leur pasture : car elles sçavent se raliër en compagnee, rappellants l’une l’autre. Les Perdris, & les Cailles, ainsi qu’Aristote ha dit, au premier livre des animaux chapitre premier, sont beaucoup salaces. Il dit aussi au huittiesme chap. du neufiesme livre, que quand les femelles couvent, les masles, qu’ils nomment Coelibes, se trouvants veufs, se combatent ensemble, tellement que celuy qui sera vaincu suyvra le vainqueur le tenant pour son maistre, & le contraint de luy servir de femelle. Il dit en ceste maniëre. Qui autem victus in pugna fuerit, sequitur victoris venerem patiens, nec ab alio, nisi a suo victore subigitur. Sed si a comite principis, aut quovis vulgari vincatur, clam a principe, ac furto subigitur. Mais cela ne se fait, sinon en certain temps de l’annee. Il est manifeste qu’on les ha eu privees : car Aristote dit : Necnon Perdices mansueti iam & domestici subigunt feros, & spernunt, contumelioseque tractant. Il est bien à croire que les Perdris ont esté de touts temps en delices : car c’est l’un des oyseaux de la plus ferme charnure, & pour ce peu qu’il contient est de meilleur goust, que nul autre oyseau que nous ayons : toutesfois qu’on ne l’ha tant estimee anciennement, comme l’ont fait maintenant. Martial dit en ceste maniëre, Carior est Perdix : sic sapit illa magis. Si la chair de Perdris est de saveur delicate & delectable, aussi est elle louëe de grand nourrissement, & de bonne & facile digestion, & qui engendre bon humeur au corps : aussi est beaucoup meilleure d’avoir esté gardee quelque temps mortifiee. Hippocrates ha loué le fiel de la Perdris, gardé en une boite d’argent, pour les maladies des yeux, & pour faire voir plus clair. Le sang de la Perdris vault aussi aux recentes hulceres des yeux, & à en guerir les rougeurs.

De la Perdris grise, ou Gouache.
CHAP. XV.


AUSSI est à presupposer, que la Perdris grise ou Gouache, n’ha pas esté cogneuë en Grece, puis que les autheurs de celle nation n’en ont fait aucune mention, non plus que les anciens Latins, n’estoit qu’on voulust dire quils l’ayent entenduë sous le nom de la premiere. Elle est de plus petite corpulence que la rouge, & qui se ressent beaucoup de son excellence : mais est aussi inferieure en toutes merques à la rouge : parquoy on la vend beaucop moins par les marchez. Elle est nommee grise pour la couleur de sa plume, comme aussi son bec, ses jambes & pieds sont comme gris, & ha aussi du rouge au deux costez des temples, tout ainsi que la Perdris rouge, & la Greque : mais les Perdriaux encor jeunes n’en ont point, qu’ils n’ayent passé trois mois. Elle vole en troupe, comme les deux susdictes & s’accouple au printemps. Somme qu’elle est de mesmes meurs, & condition, & vulgaire en touts lieux.

De la Perdris de Damas, ou de Syrie.
CHAP. XVI.


COMBIEN qu’on trouve autheurs qui font mention d’une Perdris qu’ils dient en Latin Syroperdix, de couleur noire excepté le bec, qui est rouge, laquelle lon ne peut apprivoiser, frequente à Antioche en Pisidie, toutesfois nous ayants observé une autre espece estants en Damas, & ne luy sçachants nom ancien, l’avons nommee Perdris de Damas : & pour ne redire une chose diversement, nous avons transcrit cecy du quatre vingts & tresiesme chapitre du second livre de noz observations, ou avions ja escrit en ceste maniëre. Je n’ay veu autre gibbier en Damas plus insigne que les Perdris de ce païs lá. Telles Perdris sont moindres que les rouges, & Gouasches, ou grises. La couleur de dessus leur dos, & du col est comme celuy d’une Beccasse : mais les aelles sont d’autre couleur : car celles de la partië voisine du corps sont blanches, brunes, & fauves. Les dix grosses pennes sont cendrees. Le dessous des aelles, & du ventre, est blanc. Aussi porte un carcant autour de la poictrine, comme celuy du Merle au collier, ou d’une Cane petiëre, qui est de rouge, jaulne, & fauve. Le dessus du col, & de la teste, le bec, & les yeux est de Perdris. Sa queuë est courte : nous l’eussions escrite comme espece de Rasle de genet, ou de Pluviër, n’eust esté que ses jambes sont couvertes de plumes comme à une Perdris blanche de Savoye, ou un Pigeon paté. Lors ne baillasmes son portraict en noz observations, l’ayants gardé pour cest endroit. Il est fait mention qu’il fut apporté une espece de Perdris à Cesar, plus grosse qu’un Vautour : de laquelle avons parlé au chapitre du Faisan.

De la Perdris blanche.
CHAP. XVII.


TOUT ainsi que le Francolin, & Coc de bois, qui ont à hanter les froides montagnes, ont leurs jambes & pieds couvertes de plumes, tout aussi ceste Perdris blanche, qui hante semblables contrees, ayant les jambes & pieds couverts de plumes fut nommee en Latin Lagopus. Car qui voiroit une de ses jambes, diroit proprement que c’est le pied d’un Lievre. Possible qu’Aristote ne l’ha cogneuë nomplus que l’Ofre, entendu qu’il cognoist le Lievre seul qui à poil desous les pieds : mais l’Ofre en ha aussi, de laquelle baillerons le portrait au livre des bestes prises à la chasse de Medan, & Villaine, en faveur de M. Jan Brinon, conseiller du Roy. C’est à bon droit que les Savoysiens, & autres habitans des montagnes ont nommé ceste Perdris blanche : car elle ensuit la Perdris tant en meurs, en voix, comme aussi en la similitude & en saveur, sinon qu’elle est de moindre corpulence. On la voit si frequente en païs de montagnes, qu’on ne mange gibbier plus commun par les villages & villes situëes entre les hautes montagnes de Savoye. Aussi estoit anciennement venduë à Romme : car Pline au quarente-huittiesme chapitre, du dixiesme livre de son histoire, dit : Praecipuo sapore Lagopus est, pedes leporino villo ei nomen hoc dedere. Et peu apres dit : à Coturnicibus magnitudine tantum differt Lagopus, croceo tinctu, cibis gratissima. Il en dit beaucoup d’avantage. Et Martial en un distique, ha mis : Si meus aurita gaudet Lagopede Flaccus. Ce n’est de merveille si nous ne la voyons par les plaines de France : car elle se tient tousjours joignant la neige, es lieux qui ne sont eschauffez du Soleil. Si lon saignoit voir une Perdris de la grosseur d’un Pigeon blanc, lon auroit totalement la forme de la Perdris blanche, aussi ne vole non plus que fait la Perdris. On en prend au lasset, ou à la pautiere. Si on la garde en vie, on ne le peut nourrir, d’autant qu’elle ne peut estre apprivoisee, tant est de farouche nature. Il n’y ha eu gens par le chemin du mont Senis en hyver, vivants par les hosteleriës, à qui lon n’en ait servy à manger : mais peu y prennent garde. Leur chair est saine, & delicate aux gens sains, & dont les malades peuvent estre repeuz sans crainte. Les Latins ont ainsi retenu plusieurs dictions Grecques, n’ayant les Latines pour les exprimer : car Lagopus est diction Greque.

Du Pluvier, & Guillemot.
CHAP. XVIII.


PLUVIER est oyseaux qui retient constamment son appellation en touts lieux de noz contrees. Il semble qu’il est ainsi nommé pource qu’on le prend mieux en temps pluvieux qu’en nulle autre saison. Nous n’avons rien de plus notable en luy que de le voir si frequent en France, & toutesfois est rare oyseau à beaucoup d’autres nations. Lon en apporte vendre si grande quantité par les marchez des villes tout au long de l’hyver, que c’est chose nouvelle. Cest oyseau ne va jamais qu’en troupe, en laquelle lon n’en voit gueres moins que de cinquante pour volee. Et toutesfois il n’en apparoist aucun en esté, & peu au printemps : car alors ils sont empeschez, & accouplez deux à deux à faire leurs nids, & nourrir leurs petits en autre païs. Ils hantent communement les campagnes de terre grasse en plaines labourees. Leur couleur n’est pas variable à muer au masle & femelle, comme à plusieurs autres oyseaux, mais est si constante qu’on ne sçauroit distinguer le masle de sa femelle. C’est un oyseau passager qui commence à n’apparoistre plus gueres apres qu’il ha neigé, nonobstant qu’on en peust bien trouver jusques en Caresme. Lon en apporte souvent des contrees de la Beausse en si grande abondance, comme aussi des autres lieux labourables, que qui l’entreprendroit, en trouveroit au marché à charger charrettes. Et d’autant qu’il est delicat, & de bon manger, encores qu’il ne soit de corpulence que de Pigeon, quelquefois est vendu au pris d’un Chapon. Ce point est pour faire entendre, qu’estant cogneu de touts, il tient place entre les oyseaux delicieux. Et pource qu’il est en estime de haut pris, le gain que les paisans y pretendent, fait qu’ils s’estudient de le prendre en diverses maniëres, & quasi en toutes contrees de ce royaume, lesquelles il nous ha semble bon escrire en cest endroit. Les Pluviers s’appellants l’un l’autre au point du jour, s’entresifflent en faisant un tel son, que feroit un homme, qui en sublant diroit, huic. Et les paisans advertiz de cela, prennent garde sur jour s’ils en verront quelque volee : car le Pluvier est de telle nature qu’il se tient le jour en compagnee, mais la nuit il s’escarte de son troupeau. Et le lendemain matin est espars de costé & d’autre, quasi à un quart ou à demie lieuë, l’un de l’autre. Et pour se rallier, à fin qu’ils se rassemblent sur jour, ils s’entresifflent l’un l’autre. Il y en ha un en toute la troupe que les autres advouënt, & cognoissent comme pour maistre, & Roy de toute la bende. Cestuy lá ha la voix plus grosse que nul des autres, & laquelle ils sçavent bien entendre. Par cela touts se viennent rendre à luy de toutes parts. Les paisans le nomment l’Appelleur, lequel ils cognoissent à ce qu’il tient sa voix plus longue que les autres : car en sublant il dit Hu hieu huit. Les paisans des confins, qui sont alliez par bandes, ont fait l’assemblee des le soir, ou ils se sont fait entendre l’endroit ou chascun doit aller pour escouter le Pluvier, & ou ils se doyvent trouver au point du jour. Et ainsi s’en partans avant jour, s’en vont l’un ça, & l’autre lá par les terres ja ensemencees, attendants le point du jour. Les paisans oyants le siffleur roy des Pluviers, appellant sa compagnee, le peuvent ouïr d’une grande demië lieuë : lors les paisans s’en vont droit à luy, sçachants que toute la volee se viendra rendre lá. Le Pluvier ne chante si matin que la Perdris, l’Alouëtte, & Vanneau : mais quelque peu apres l’aube. Et depuis que le Pluvier appelleur aura entendu les voix des Pluviers de sa troupe, soudain touts s’en viennent rendre à luy. Et si d’aventure deux bendes se trouvoyent par la campagne, meslees ensemble toutesfois les Pluviers sçauront distinguer la voix de leur Roy, & se retirer vers luy. Le jour venu les paisans viennent à l’assemblee, & la se rapportent l’un à l’autre, tout ce qu’ils auront entendu, concluants ce qu’ils ont à faire. Alors toute l’assemblee se depart, marchants de front comme en bataille, tenants mesme chemin. Mais approchants des Pluviers, commencent à s’escarter à un traict d’arc l’un de l’autre, regardants attentivement à fin d’aviser la volee des Pluviers de plus loing, qui s’est alliee à son appelleur. Chasque paisan porte une marote quant & luy. Il y en ha un deux qui porte le harnois, ainsi appellent le ret à prendre les Pluviers, qui sont lá au descouvert en la plaine campagne. Et les paisans qui sçavent bien qu’ils ne sesfarouchent pour peu de chose, vont tendre le harnois assez pres des Pluviers : car pendant qu’un des paisans s’est empesché à cela, touts les autres vont les entourner par derriere, & de touts costez, se trainants sur le ventre pour aprocher des Pluviers le plus pres qu’ils peuvent. Et quand ils voyent que le harnois est tendu, & que le paisan est prest à le tirer. Lors touts les autres qui se trainent sur le ventre se levent de roideur, pour faire la huee, & jectans leurs marotes en l’aer, effarent les Pluviers, en les chassant devant eux. Et quand celuy qui tient le ret saillant les voit approcher de son fillet, il le tire, & les enclost lá dessous. Les marotes que les paisans jectent en l’aer, sont pour faire peur aux Pluviers, à fin de les faire tenir leur vol contre terre, & les faire donner dedens les rets : car les pluviers vont merveilleusement viste. Mais si la bande des Pluviers s’esleve en hault pour voler, ils n’en prendront aucun. Ceux qui ont estimé que le Pluvier ne vive que de vent, semblent s’estre trempez. Cela dient ils, par ce que communement, on ne luy trouve rien en l’estomach : mais lon sçait par experience qu’ils mangent, & aussi qu’on en ha surprins quelques uns, qui avoyent encores les achees vivantes dedens la gorge à demy avallees. Et aussi qu’ils mangent toutes sortes de vermines qu’ils trouvent par le blé, que les paisans d’entour Paris nomment de la mauve. Les Pluviers sont coustumiers de suyvre le vent, & est chose approuvee qu’ils ne volent gueres contre. Chasquefois que le Pluvier desloge fait un sifflet, qu’on diroit proprement estre celuy d’un homme. Cela fait il, advertissant ses compagnons de s’en partir quant & luy. Les Pluviers hantent les champs humides, à fin que trouvants la terre molle, ils puissent mieux souffler dedens terre, & tirer les verms au dehors. Les paisans qui apportent les Pluviers vendre à la ville, & aussi les chaircuitiers imposent noms particuliers à une espece d’iceux, qu’ils nomment Guillemot : comme s’il estoit totalement different au Pluvier. Et de fait ils sont lors d’autre couleur que le Pluvier : car le Guillemot est jeune Pluvier, qui n’ha encores mué. Aussi est il de plus petite corpulence, ayant semblablement le bec noir, rond, court, & ainsi poinctu que le Pluvier, & n’ha que trois doigts es pieds. Il est blanc dessous le ventre ayant le dessus de la teste, du col, du dos, & des aelles aussi tanné, & blancheastre, comme est la terre. Mais les bouts des plumes sont entournez de couleur fauve. Les grosses plumes des aelles sont noires à l’extremité, & la queuë courte, ayants quelque peu de blanc par le bout. C’est un des oyseaux le plus gras & le plus refait, qui soit en ceste espece, & le plus delicieux à manger. Le commun plumage du Pluvier est jaulne : non pas qu’il soit totalement jaulne, mais que sur les plumes brunes il ha beaucoup de taches jaulnastres. Il est de la grandeur d’un Pigeon, & ha ceste merque particuliëre, de n’avoir que trois doigts es pieds : & toutesfois il court moult viste, & aussi vole fort bien, & à la bec noir, rond, & court : duquel ne sçachants le nom ancien, serons content du moderne.

Du Pluvier gris.
CHAP. XIX.


ENCORES y ha une autre espece de Pluvier gris, qui seroit semblable au jaulne, n’estoit qu’il est plus gros & plus fourny : toutesfois il est tout manifeste que c’est un Pluvier. Car encor qu’il soit de pennage dissemblable, toutesfois il ha mesme habitude : & n’estoit que luy avons veu un petit ergot par le derriere du pied, que le Pluvier n’ha pas, n’eussions trouvé une seule enseigne qui nous l’eust distingué, fors la couleur. Les poullailliers le nomment un Pluvier de mer : toutesfois à nostre jugement, il peut estre le roy des autres, qu’avons par cy devant nommé l’Appelleur. Il ha le plumage moult semblable à la couleur d’un Caniard, & le bec plus long que celuy des autres, quasi long comme celuy du Merops. Somme son bec, ses jambes, & pieds, & façon de plumes sont comme celles du Pluvier jaulne.

Des Cailles, & de leurs conducteurs.
CHAP. XX.


TOUT ainsi comme il pourroit sembler chose indigne à celuy, qui n’escrit que choses graves, de declarer par le menu qu’elle est la figure d’une Caille, pource qu’elle est cogneuë d’un chacun, tout ainsi Aristote parlant, au douziesme chapitre du huittiesme livre des animaux, de certains oyseaux nommez Cynchramus, Glottis, Matrix, & Otus, en ha seulement fait mention en passant. Et Pline, qui ha presque traduit les escrits d’Aristote, en son dixiesme livre, chapitre vingt-troisiesme, les nomme en Latin quasi de mesmes appellations Greques, dont Aristote avoit usé : toutesfois il n’ha pas totalement suyvy la sentence d’Aristote : lequel au lieu dessus allegué, dit, que les Cailles arrivent en Grece sans aucun conducteur : mais quand elles s’en partent, elles ont des conducteurs nommez Glottis, ou Lingulaca, Orus, ou Auritus, Matrix, ou Ortygometra, & aussi Cynchramus, qu’interpretons Miliaris. Ce passage d’Aristote nous semble si difficile, que comme Pline ne l’ha bonnement comprins, aussi advouons n’entendre bonnement quels oyseaux Aristote prenoit pour Cynchramus, & Glottis, & Ortygometra : toutesfois que par soupçon en avons parlé plus à plain en leurs chapitres, suyvants l’opinion qu’avons conceuë sur le dire de Pline & Aristote en c’est endroit, n’ayants toutesfois entreprins sinon d’ensuyvre leur sentence. Les Cailles (dit Aristote) s’en partent de Grece, hors mis quelque petit nombre qui demeurent es lieux chauds, & peut grandement chaloir quel vent il face : Car le vent Austral ne leur est bon, d’autant qu’estant humide, les rend pesantes : qui est la cause que ceux qui les veulent prendre observent le vent Austral, qui est celuy de midy. Mais celuy de Septentrion, qu’on nomme Aquilo, leur ayde beaucoup à voler, & alors elles s’acompagnent. Cynchramus les appelle la nuit pour les advertir du depart lors qu’il fait temps serin : à la voix duquel les oyseleurs entendent que les Cailles se preparent à leur voyage. Voyla à peu pres ce qu’en ha prononce Aristote. Pline ha mis telles paroles, qui nous ont fait penser qu’il ne l’ha entendu, comme nous : car en mesme lieu il escrit : Coturnices ante etiam semper adveniunt, quam Grues : quasi comme si les Grues se tenoyent l’esté en Italie. Parquoy il semble qu’il y ha faulte de ce verbe, discedant, apres ce mot Grues : voulant dire que les Cailles arrivent en Italie, avant que les Grues s’en aillent : Car il est tout manifeste que les Grues s’en vont tout l’esté hors d’Italie. L’on ha enseignements infallibles contre l’opinion du vulgaire, par lesquels lon peut bien prouver que les Cailles sont passageres : car en outre que nous sommes trouvez sur la mer mediterranee en deux diverses saisons de l’annee, en Autonne, & au printemps, l’une fois lors qu’elles s’en alloyent, l’autre fois quand elles s’en venoyent, se rendirent lassees sur nostre vaisseau pour se reposer. Mais à fin que puissions donner foy à nostre dire, & alleguer noz tesmoins, l’avons fait voir au dixseptiesme chapitre du second livre de noz observations. Car mesmement lors que passions de Rhodes en Alexandrie, en mangeasmes de celles qu’avions prinses : es jabots desquelles trouvasmes du froment encor entier : qui estoit signe qu’elles n’arrestent gueres à passer la mer. Concedons toutesfois que toutes ne s’en vont pas, & qu’il en demeure quelcune : comme ausi Aristote l’ha dit en ceste maniëre, au lieu susdit : Nisi paucae locis apricis remanserint : mais c’est chose qui advient rarement. Plusieurs les trouvants pesantes, croyent qu’elles ne s’en vont, mais se cachent l’hyver, & vivent de leurs plumes qui est chose faulce. Aussi est-ce dont Pline au lieu dessus allegué, ha dit quasi pour merveille : Aura vehi volunt propter pondus corporum, viresque parvas hinc illa conquestio labore expressa, dont avons parlé au XV. chapitre du premier livre. Gaza interpret. d’Aristote ha dit : Sunt enim corpore grandiore quam ut suis pennis deferri possint ? Laborant enim quasi oppressae onere. Sçachant donc que nature leur à octroyé ce don pour douaire de sçavoir trouver le chemin, elles prennent leur volee plustost de nuict que de jour : & s’en vont deux à deux s’eslevants bien hault en l’aer. Car ayant plusieurs oyseaux de proyes ennemis, elles s’en sçavent bien contregarder. Et là ou Pline dit : Quippe velis saepe insident, & hoc semper noctu, merguntque navigia : il ne faut pour cela croire qu’elles aillent en troupe. Lors que noz champs sont desnuez de chaulmes & autres herbages, n’ayants lieu à se cacher, & que les grains commencent à faillir, elles s’en partent d’icy pour aller es regions loingtaines, ou à nostre opinion, les hommes y font leurs moissons, quand nous avons l’hyver. Parquoy accorderay qu’elles passent aux Antipodes. Les autheurs anciens Grecs, & Latins nous font foy, qu’elles se partent aussi bien de leur païs comme des nostres : ainsi disons d’Angleterre, d’Escosse, Irlande, Holande, Almagne, & autres partiës Septemtrionales, comme aussi de toute l’Asie, & de Syrie. Nous avons diverses maniëres de les prendre selon diverses saisons : car à leur nouvel advenement, lors que le bled est en verdeur, & qu’elles s’entrecherchent masle & femelle, on ha moyen de les attirer aux filets. Les hommes ont inventé certains petits instrumens de cuir & d’os, nommez Courcaillets, qui peuvent exprimer la voix de la Caille, laquelle oyant le Cour caillet, pensant que ce soyent les femelles, & voulants les venir trouver, tombe dans les filets. Mais apres l’esté lors qu’elles sont hors d’amour ne sonnent plus mot, & se tiennent par les rastroubles vivants des grains qui sont tombez des espics en siant le bled. Alors on les prend avec autres engins. C’est, que lon ha aprins un Chien de les sçavoir cognoistre : & soudain qu’il ha senty la Caille, il s’arreste tout court. Les chasseurs ont un rets large nommé une Tirasse, laquelle ils desployent, & vont l’un deçà & l’autre dela : dont ils couvrent le Chien & la Caille, & par ce moyen demeure prinse. Les vivandiers qui gardent les Cailles en cage, ne leur donnent gueres d’espace : car si la cage estoit haulte, elles ne cesseroyent de saulter & se frapper la teste. Parquoy chasque cage n’est haulte que d’une coudee & en pourra comprendre deux ou trois cents : car elle aura cinq ou six estages qui ne seront plus haultes que la Caille, esquelles lon met à manger & à boire. La Caille fait son nid contre terre. Et pource qu’elle ha abondance de pasturage en esté, elle est pour lors en fort bon point, & grasse. C’est de ce passage qu’Aristote veut prouver que les animaux sont plus gras, es lieux froids que chaulds, disant que quand les Cailles arrivent en Grece au printemps qu’elle sont maigres, mais que s’en partant elles sont plus grasses, & que cela les fait plus promptes au desir de leur joindre, pource qu’elles sont venuës des lieux tiedes. Il y avoit anciennement une opinion entre le vulgaire, qui faisoit desestimer les Cailles, comme aussi maintenant est de penser que les Jays tombent du hault mal. Pline s’accorde avec Galien, quand au lieu devant allegué, il dit : Cortunicibus veneni semen, gratissimus cibus : quam ob causam eas damnavere mensae.

Du Proyer, Preyer, ou Pruyer.
CHAP. XX.


LE PRUYER, ou Preyer est oyseau quasi couvert des plumes d’Alouëtte, ou de Linote, excepté qu’il n’ha pas tant de blanc le long des aelles. Nous l’estimons du nombre des oyseaux passagers, & pensons qu’Aristote l’ha nommé Cenchramus. Et possible qu’Areteus, & autres autheurs Grecs entendoyent de luy, parlants de Cenchris, lors qu’ils entendoyent qu’on le baillast à manger aux malades, le mettant du reng des volailles, toutesfois que voulons seulement nous accorder avec Aristote : car s’il y ha autres qui ayent confondu le nom deu à la Cresserelle avec Cenchramus, nous n’y pourrions remedier. Le Pruyer est plus grand qu’un Cochevis, auquel baillerons une enseigne qui fera cognoistre duquel entendons : C’est, qu’il ha le bec court, & grosset, ayant comme une petite bute ronde, dure comme un os, qui est dedens le palais dessus son bec, dont la partie d’embas semble avoir este expressement taillee en eschancrure de chasque costé : car il y ha une coche qui fait que l’ouverture de son bec descend en travers. Lon ne voit aucun oyseau qui ait le bec fendu de telle maniëre. Il est palle dessous le ventre, quelque peu moucheté de brun. Ses jambes, & pieds sont entre rouge, & tanné, semblables à celles de l’Alouëtte, ayants l’ergot de derriere bien long, qui monstre qu’il est oyseau terrestre. Il ne se perche gueres sur les branches. Quelques uns sont de plumage approchant si fort de la Linote, qu’ils ne semblent differer sinon en grandeur. Il voit dedens les prez : dont il ha gaigné ce nom Francoys Preyer. Aussi suyt les eaux, comme la Beccasse, combien qu’à luy regarder les jambes & le bec, il semble contraire. Il ayme sur tout à manger de l’orge & du mil. On le trouve quelquesfois perché sur les hayes, mais le plus souvent il se tient contre terre : & comme il est oyseau terrestre, tout ainsi ne fait son nid en lieu hault, n’estoit à la maniëre des Canes qui quelquesfois le font sur un tronc en quelque Saule. Et par ainsi cestuy-cy le fait communement contre terre dedens les avoynes, orges, & millierers, ou bien dedens un pré, faisant toutesjours cinq ou six petits. Les noms ne sont arrestez aux oyseaux en mesme maniëre : car lon en trouve qui obtiennent diverses appellations en mesme contree. Aussi cestuy-cy est appellé en quelques lieux un Teriz : car il se met sur jour dessus le bout d’un paliz, & chante, Tirtertirterüz reïterant souvent telle voix. Et quand il vole, ne retire ses jambes à soy comme les autres oyseaux : mais les laisse pendantes, & remuë ses aelles menu, menu, d’ordre incomposee. Aristote au douziesme chapitre du huittiesme livre des animaux, met un oyseau nommé Cenchramus, Cynchramus ou Cychramus : disant, Coturnices ducibus Oto, & Lingulaca, & Ortygometra proficiscuntur, atque etiam Cenchramo, à quo etiam revocatur noctu : evius vocem cum senserin : aucupes, intelligunt parari discessum. Qui vouldroit tourner ce mot Grec, Cenchramus, diroit en Latin, Miliaris : Parquoy pretendons que c’est celuy, dont est fait mention en Varro : car si on les gardoit à Romme, avec les Cailles en vie, & les engressoyent de mil pour les vendre es festins, il failloit qu’il fust gros oyseau. Il ne faut donc accorder que Miliaris soit la Linote (comme quelques uns avoyent pensé) mais que c’est le Proyer, ou Teriz. Ils nous sont si frequents, que les paisans nous en apportent les petits à douzaines au printemps, des-ja gros comme Mauvis, beaucoup plus aux villes situëes es plaines, que pres des monts, & forests.

Du Cochevis.
CHAP. XXII.


LE Cochevis est ainsi nommé à nostre mode, pource qu’il ha quelques choses qui tiennent du Coc : C’est à sçavoir celle creste de plumes qu’il tient dressees sur la teste à la maniëre d’un Paon. Il est si semblable à une Alouëtte, qu’il n’y ha difference sinon en la creste, & qu’il excede quelque peu l’Alouëtte en grandeur. Tels deux oyseaux ont esté indifferemment nommez de mesme nom Grec, & Latin. Les Grecs ont dit Coridos ou Coridalos, & les Latins pour exprimer les deux, Galerita. Le Cochevis en est le principal. Aristote parlant de ces oyseaux ha dit : Coridalus est de deux maniëres, dont l’un est terrestre & cresté, qui ne vole en troupe : L’autre espece n’est trouvee seule, & aussi n’est point crestee, & est de plus petit corage. Ceste difference n’est pas aussi bien observee en un lieu comme en l’autre : car le Cochevis estant oyseau terrestre, & qui chante mieux que l’Alouëtte, & plus plaisamment, est souventesfois prins pour l’Alouëtte. Le Cochevis ha le bec longuet, poinctu, & peu voulté. Les racines de sa creste sont justement situëes entre les deux yeux, & de laquelle les plumes sont quelque peu noyrettes, & n’y en ha que quatre de principale grandeur. Son dos estant de couleur cendree pallissante, est moucheté de blancheur, & le dessous du ventre, & des aelles est blanchastre. Les plumes de sa queuë seroyent toutes noyres, n’estoit que les deux premiëres de chaque costé sont de mesme couleur aux aelles. Il ha une petite langue quasi fourchuë. Et pource qu’il se pose rarement sur branche, ses ongles sont longuets. Sa creste luy fait avoir divers noms. Car on le nomme aussi Cassita, à Casside qui est à dire un heaume, & Galerita, à Galero, qui est à dire un chapeau. Pline nous fait entendre que les Latins emprunterent son nom Françoys pour l’exprimer en leurs langues, & ainsi changerent le nom de Galerita, en Alauda, qui toutesfois est deu à l’Alouëtte; & comme dit Suetone, Cesar donna nom à une legion Alauda, qui estoit Françoyse, pour ce, selon nostre jugement, qu’ils avoyent des coqueluchons comme chaperons d’escapuczins, à la maniëre d’un Cochevis. Voyants donc que ces mots Galerita, & Cassita, sont propres pour le Cochevis, serions d’opinion, qu’on ne nommast l’Alouëtte, Galerita, & Cassita : mais Alauda. Le Cochevis ne fut onc beaucoup plus doué pour estre propre à la cuisine : mais plus pour medecine qu’autrement. Dioscoride mesme, & duquel Galien l’ha prins, comme aussi ha fait Pline, dit que le bouïllon, dans lequel sont cuictes les Alouëttes, ou bien mangees rosties guerissent la maladie nommee Celiaque, & la cholique. C’est un oyseau peu farouche : car il hante les grands chemins, tant l’hyver que l’esté, & ne se part de noz païs. Il se resjouïst voyant les hommes approcher : & se prend à chanter. Parquoy soupçonnons faulte es exemplaires, & qu’Aristote n’ha entendu, comme on lit, que les Chochevis departent l’hyver.

De l’Alouëtte.
CHAP. XXIII.


LES Alouëttes sont plus grasses l’hyver que l’esté. Elles vont l’hyver en troupe, mais l’esté à couples. Si la temperature des corps estoit si facile à se muer, comme le vulgaire pense, nous rendrions raison de ce qu’on dit des Alouëttes : c’est, qu’il y ha un vent qui les rend grasses, & un autre qui les amaigrist : mais cela n’y fait rien. Il est bien vray que le froit les rend plus grasses & plus tendres, pource qu’il enclost la chaleur leans, qui n’ha lieu de s’exhaler : sçachant que la chaleur dissipe & fait exhaler leur nourriture, & l’engarde de se tourner en graisse. Qui vouldroit, en diroit tout autant du vent de Septentrion & midy, & rendroit l’opinion vulgaire tout de mesme. Il faut que l’Alouëtte soit differente au Cochevis, d’autant que l’un ha creste, l’autre n’en ha point. Elle est plus souvent prinse que le Cochevis : aussi est elle de meilleur manger, chose qu’Aristote avoit ja noté quand il parle du Cochevis, au vingt-cinqiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, disant : Alterum gregale, nec singulare more alterius, verum colore smile, quanquam magnitudine minus, & galero carens : cibo vero idoneum. Nous n’avons aucuns oyseaux, dont on en prenne si grand quantité que lon fait des Alouëttes, & ce en diverses maniëres. Les Alouëttes ont le bec plus court que celuy du Cochevis, & ont l’ongle de derriere, & l’ergot aussi longs comme les doigts de devant. Elles sont blancheastres pour dessous le ventre, & ont la poictrine beaucoup plus merquee, que le Cochevis. La teste est plus noire, entremeslee de couleur fauve, & le dos tanné de gris, & de brun : aussi ont deux plumes de la queuë de la partie du dehors aux deux costez, d’autre couleur que celles du dedens. Nous n’avons nommé l’autre Alauda : Car ou trouvons, Quae Galerita ab apice quem in capite gestat, quondam appellata est, postea Alauda gallico vocabulo dicta est : Interpretons ce mot Alouëtte, se ressentir de son antique, & que les Romains prindrent à dire Alauda du vulgaire parler des Françoys.

De la Calandre.
CHAP. XXIIII.


IL semble que la diction Calandre vienne aux Françoys de la Greque Coridalus. Plusieurs s’abusent, prenants la grande espece de Grive pour Calandre, qui est erreur commune à plusieurs pourvoyeurs de la court. Les anciens n’ont fait aucune mention de la Calandre que l’ayons peu sçavoir, aussi est-ce un oyseau qu’on ne voirroit en France, n’estoit qu’on l’eust apporté en cage. Sa voix est hautaine, & chante melodieusement. C’est une espece d’Alouëtte, tellement que pour avoir la perspective de la Calandre, il se faut imaginer voir une Alouëtte, quasi aussi grande qu’un Estourneau. Parquoy qui diroit que la Calandre est une grande Alouëtte, ne faudroit. Sa voix le tesmoigne : car tout ce qu’elle chante est comme de l’Alouëtte, sinon qu’elle crie encor plus haut. C’est mesme couleur de plumes, & mesme tetste, mesmes aelles, mesme queuë & contenance. Ses pieds, jambes, & ortueuls sont semblables, & ha pareillement l’ergot de derriere aussi long, & le col gresle en celle part ou les rouëlles sont conjoinctes à la teste, chose qu’avons aussi dites parlants du Paon, & qui est aussi particuliere à la Caille. Puis donc que n’avons chose qui nous distingue la Calandre d’avec l’Alouëtte, que la seule grandeur, & qu’avons dit que le Cochevis est plus grand que l’Alouëtte, & ha une hupe sur la teste, & que la Calandre, & Alouëtte n’en ont point, accorderons que ces trois peuvent estre nommees de mesme nom, & estre mises au genre de Galerita. La Calandre est de plus grosse corpulence, & par ce avoit à faire de plus gros bec : aussi est elle seulement dissemblable en ceste seule enseigne aux deux susdites, qui nous fait penser que nature le luy ha octroyé plus robuste pour casser les grains durs, dont il faut qu’elle vive : combien qu’estant en cage, on la nourrist d’avoine & de pain blanc. Lon peut prendre conjecture qu’elle vit, & vole en compagnie, comme l’autre petite Alouëtte, au contraire du Cochevis, qui vole seul à seul : confessants avoir observé ses meurs vivants au sauvage. Quoy qu’il en soit elles nous eussent du tout esté incogneuës, n’estoit qu’on nous les ha apportees en cage, & que pour leur plaisant chanter sont vendues bien cher : & sont quelque peu plus grandes que le Proyer.

De la Farlouse, Fallope, ou Alouëtte de pré.
CHAP. XXV.


NOUS cognoissons un oyseau moult ressemblant à une Alouëtte, excepté qu’il est de petite corpulence, lequel les habitants des confins des plaines de France nomment une Farlouse, ou Fallope : les autres Alouëtte de pré. Car il n’y ha difference sinon en la seule grandeur, comme aussi quelque peu en couleur : d’autant que la Farlouse est plus jaulnette, qui fait qu’elle ne soit totalement semblable à l’Alouëtte vulgaire, ains monstre estre espece differente. Aussi est bien fort roussette, & jaulnastre, & plus bigarree de noir que l’Alouëtte. Lon en fait grand estime pour tenir en cage : mais la difficulté qu’on ha de les eslever, & aussi qu’elle est mal-aisee en son manger, fait qu’on en voit en peu de lieux : Toutesfois que si lon en esleve quelcune, elle sera trouvee de moult plaisant chanter. Les Farlouses ont un ergot derriere tout ainsi que l’Alouëtte, & portent quelques plumes blanches es extremitez de la queuë, & ont le bec petit, delié, & longuet, ressemblant à celuy d’une Alouëtte. Le plumage de tout le corps qui touche la peau est totalement noir. Elle ne se perchent sur branche, & dorment en terre : toutesfois qu’en quelque temps de l’annee, s’eslevants en l’aer, font retentir les confins du desgorgement de la diversité de leurs voix : & ayants quelque arbre pres d’elles, appercevants l’ennemy se mussent par les branches : Ce que ne font les autres especes d’Alouëttes. On la nomme Alouëtte de pré : pource que les villageois la trouvent tousjours faisant son nid en l’herbe des prez. Elle est plus petite que toutes autres.

De la Beccasse.
CHAP. XXVI.


DES Francoys nomment la Beccasse à cause de son bec qui est longuet. Les autres contrees Françoyses la nomment Vit de Coc : mais c’est mal prononcé. Il fault dire Uvitcoc, de diction Angloise, qui signifie Coc de bois, qui est diction correspondente au vulgaire des Grecs, qui la nomment Xilornita, c’est à dire, Poulle de bois. Gaza suyvant son vulgaire Grec, luy ha fait un nom Latin à son plaisir, la nommant Gallinago, pour la Greque d’Aristote Ascolopax. Or que Ascolopax ne soit nostre Beccasse, cela est manifeste par les enseignes qu’en baille Aristote au vingt-sixiesme chapitre, du neufiesme livre des animaux. Elle est aussi grande qu’une Poulle (dit il) de la couleur de l’Attagen (c’est à dire, Francolin) mais elle ha le bec long : & court bien viste, & aime beaucoup l’homme, & fait son nid à terre, & ne se sied jamais sur branche. Cela escrivit Aristote. Mais pour verifier ce qu’il en dit, fault maintenant accorder les merques que nous en avons, les conferant avec les siennes. Le Francolin est de la couleur d’une Cane petiëre, comme est aussi la Beccasse, qui est oyseau passager, se tenant l’esté es haultes montagnes des Alpes, Pyrenees, de Souïsse, Savoye, & Auvergne, ou les avons souvent veuës en temps d’esté : mais elle se partent l’hyver pour venir chercher pasture ça bas par les plaines, & bois taillis. Et d’autant qu’il y ha de telles haultes montagnes en Grece, ce n’est chose trop rare qu’Aristote n’ait dit qu’elles sont passageres. Et de fait le Beccasse ne ressemble les autres, qui s’en vont du tout hors la region, entant qu’elles changent seulement leur demeure l’esté, en la montagne & l’hyver es plaines : car lors qu’il fait grand froid, ne se pouvants, plus tenir sur les haultes montagnes qui sont congelees, & couvertes de neige, descendent ça bas & viennent vivre sur les plaines, & lá hantants les sources des eaux de fontaine qui sont chauldes, & autres lieux humides pour pasturer, tirent les Achees, qu’on dit autrement les Verms hors de terre avec leur long bec. Et pour ce faire volent soir & matin, faisants leur demeure le jour es lieux couverts, & la nuit, descouverts. C’est à bon droit qu’en la cuisant tout ce qu’on reserve de meilleur pour luy faire sa saulse est ce qu’on jecte es autres oyseaux, sçavoir est, ses excremens avec les trippes : qui est chose qu’on voit semblablement advenir à un poisson nommé Scarus, au Pluvier, & à peu d’autres oyseaux, qui se pasturent de viandes molles, qui ne font aucun excrement qu’on vueille jecter. Aussi sont estimees n’avoir rien de fiel non plus que le Pluvier, le Pigeon, & Capriceps. On les prend soir & matin à la volee, tant aux Pentieres, comme aussi au Pannelet, & au Royzelet. Et à ce faire on se couvre d’un cheval à Perdris, ou d’un Folvel : Car la Beccasse est moult sotte beste, qui ne s’espouvente aysément. Parquoy l’homme ainsi couvert approche d’elle moult asseurément : & apres que l’homme ha tendu son Pannelet, ou Royzelet, il la conduit facilement jusques dedens : car les Beccasses ne sont oyseaux qui aillent en compagnie. Plusieurs modernes voyants la Beccasse se prendre ainsi aysément à la Pentiere, ont pensé qu’elle fust aveugle, tellement qu’il y ha aucuns autheurs modernes qui de mot nom Latin, mais barbare, l’ont nommee d’un mot nouveau Avicaeca, voulants dire Avis Caeca. Il y ha encor une autre maniëre de la prendre, qui de nom Françoys est nommee la Follastrerië : & d’autant que c’est moult plaisante maniëre, l’avons bien voulu escrire. Il faut que celuy, qui prendra les Beccasses, soit couvert d’un manteau de drap, ou toile de tanné : Sçavoir est de la couleur des fueilles de bois, qui sont fauves, & qui ait moufles de mesme, & un si grand chapeau qu’il couvre la face & les espaules, ou il y ait deux troux par ou il puisse voir. Aussi tiendra deux petits bastons en ses mains en forelles, couvertes de drap de mesme couleur. Et faut que les bouts des deux bastons soyent couverts de drap rouge à la longueur d’un poulce : & aussi que celuy qui veut approcher de la Beccasse soit appuyé sur deux potences, allant bien à loisir, & quand la Beccasse l’aura bien apprins, il faut qu’il s’arreste : & lors qu’elle commencera à errer, adonc faut qu’il la poursuyve, & qu’il porte une verge à sa ceinture, ou il y ait un lasset de soye de cheval attaché au bout, & qu’il poursuyve ladicte Beccasse jusques à ce qu’il la voirra s’arrester sans avoir la teste levee : alors frappera les deux bastons l’un contre l’autre moult bellement, & la Beccasse s’y amusera, & affollera, tellement que celuy quui la poursuit, pourra l’approcher de si pres, qu’il luy mettra le lasset, qui est au bout de sa verge, dedens le col : car c’est l’un des oyseaux, qu’on cognoisse, qui est le plus sot, & niais, & aussi comme dit Aristote, qui aime mieux l’homme. Elle ne fait point son nid, qu’elle ne soit retournee à la montaigne. La Beccasse ha aussi donné son appellation Greque à un poisson.

FIN DU CINQIESME LIVRE.

LE SIXIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX QUI HABITENT INDIFFEREMMENT en touts lieux, & se paissent de toutes sortes de viandes : avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel. Par Pierre Belon du Mans. A PARIS, Chez Guillaume Cavellat, devant le college de Cambray à l’enseigne de la Poulle grasse. 1555; Avec privilege du Roy.

AU ROY.


SIRE, nous descrirons plusieurs oyseaux en ce sixiesme livre, qui sont differents aux dessusdicts, tant en meurs, comme en conditions : d’autant qu’ils n’elisent une certaine place pour leur demeure. Parquoy sont trouvez viander tantost es guerets, tailliz, prairies, pastiz, & noëz : tantost es forests, & le long des rivieres, n’ayants esgard nom plus à leurt mangeaille, qu’a leur demeure. Tels sont les Corbeaux, les Groles, autrement nommees Grayes, ou Freux, Corneilles, Chouëttes, ou Choucas, & tels autres qu’avons ja specifiez au premiër livre. En ce nombre cy en a plusieurs passagers, mais si bien aprins de nature, qu’ils delaissent la region en quelque saison de l’annee, ou pour l’intemperature de l’aer, ou pour le default de pasture, & se vont paistre celle part ou ils scavent que la terre leur ha produict quelque chose à manger. Et nous ayants veu grande partie de ceux qu’avons descrit, & autres dont ferons mention, en diverses contrees, vivants sauvages, & en plaine liberté, ainsi que nature les avoit aprins, nous ha esté d’autant plus grand avantage de lesmieux observer.

LE SIXIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSEAUX, QU’ON

trouve viander indifferemment en touts lieux : avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel.

Du Corbeau.
CHAPITRE PREMIER.


AU GENRE Corbin, le Corbeau est le plus grand, & apres luy la Grole, ou Freux, puis la Corneille noire, la Corneille emmantelee, & la Chouquette rouge, & puis la noire. Et par ce que nature voulut que le principal de la nourriture de ce Corbeau fust de charongne, elle luy bailla un moult bon bec gros, & poinctu, quelque peu voulté, noir & trenchant par les bords, & barbu à la racine, dont le cry est espouventable. Et pource qu’il vit de toute infection, il est seulet entre touts les oyseaux, dont ayons coustume de n’en manger la chair : & toutesfois ne nous abstenons de luy manger ses petits. Un Corbeau est à peu pres aussi gros comme une Aigle, de couleur si exquisement noire, qu’on ne sçait chose mieux à propos pour la louange d’une teinture noire, que d’en faire comparaison à la couleur d’un Corbeau. Cela est cause qu’il ait donné nom à un poisson qui ha nom Corvus, ou Coracinus : pource qu’il ha les aelles noires. Les Grecs le nommerent Corax, à cause de son cry, & les Latins Corvus. Il prononce moult bien Colas & aprent à parler. Dont nostre vulgaire le nomme aussi Colas. Il est cogneu d’un chascun : & ha esté celebré par les escrits de divers autheurs. Il est maintenant defendu aux habitants d’Angleterre sur peine de grosse amende, de ne faire aucune violence aux Corbeaux, d’autant qu’ils se nourrissent en leurs païs, de charongne, dont ils les en delivrent, qui autrement pourroit empuantir l’aer : comme aussi vivent des poissons que la mer ha dejecté au rivage. Les Corbeaux font leurs nids au sommet de haults arbres, ou ils couvent communement quatre ou cinq petits, lesquels, apres qu’ils ont puissance de voler, ils dechassent du nid, & finalement hors de la region : Car les corbeaux veulent se maintenir en un païs, ou il y ait suffisante estenduë pour leur vivre. Et si leurs petits y demeuroyent, pourroyent les affamer. Le Corbeau se combat contre le Milan, qui luy est ennemy, pource qu’il luy ravist sa viande. Pline au quarente-trosiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, ha escrit une histoire assez plaisante d’un Corbeau, qui nous ha semblé digne d’estre mise en ce lieu. C’est que les corbeaux peuvent apprendre à parler : dont il y en eut un à Rome au temps de Tybere Empereur, dont le petit estoit venu de dessus le temple de Castor, qui vola en une boutique de cousturier, qui n’estoit guerers loing de la. Le Corbeau ayant esté nourry leans, n’arresta gueres qu’il n’eust apprins à parler : & par ainsi fut en recommandation au maistre de la boutique, & principalement pour la religion, d’autant qu’il estoit venu en sa boutique, de dessus le temple. Ce Corbeau partoit touts les matins pour aller vers le marché (in rostra) & saluant premierement Tybere, puis Drusus, les Empereurs, de lá saluoit le peuple qui passoit, le nommant l’un apres l’autre, puis apres retournoit à la boutique de son maistre : & ainsi dura plusieurs annees. Mais un des voisins de la boutique s’estant courroucé un jour contre le Corbeau, qui avoit esmuty sur son soulier, ou bien courroucé d’envie, tua la Corbeau, pour laquelle chose le peuple Romain fut si courroucé, que cest homme fut premierement banny, & puis apres mis à mort. Mais au Corbeau fist enterrement honorable, l’ayant mis dessus un lict que deux mores portoyent en pompe, ayants la trompette devant eux, & plusieurs gens portants beaucoup de diversité de couronnes : & ainsi conduisirent ce Corbeau jusques à son tombeau, lequel ils erigerent au costé dextre du chemin nommé Via Appia : voulant le peuple Romain que ce fust à juste cause qu’on luy fist enterrement honorable pour son bon entendement, ou pour la punition de l’homme homicide citoyen Romain. En Rome (dit il) en laquelle ne s’estoit trouvé personne pour conduire les corps de beaucoup de Princes trespassez, ne pour venger la mort de Scipion Emilian, qui par sa vertu avoit aboly Carthage & Numante. Cela, ou chose semblable escrivit Pline d’un Corbeau nourry à Rome, par lequel il appert que des ce temps lá lon avoit coustume d’apprendre les oyseaux à parler. Un Corbeau ha grosse langue noire, & large par le bout, & bien arrondie à la racine : parquoy est facile qu’il puisse bien prononcer. Aristote disoit qu’il y ha quelque amitié entre le Renard, & le Corbeau : pour ce que le Corbeau aide au Renard contre l’oyseau de proye nommé Aesalo, qu’interpretons un Laniër, quand il entreprend d’oultrager le Renard, ou ses petits, Quand lon voit que les Corbeaux se debatent & font voix comme en hoquetant, & continuënt quelque temps, c’est presage de vent à venir : & s’ils reïterent souvent, comme en reprenant leurs voix, signifient pluye venteuse : car à cela dit on quils appellent ou l’un ou l’autre. Ses pennes servent à faire des touches pour frapper les cordes d’espinettes, & aux artillers pour empenner les traicts. Il y ha un autre oyseau qu’on nomme Corbeau de nuict, dont avons parlé au chapitre du Nicticorax : & un autre qu’on nomme Corbeau de mer, dont avons parlé au chapitre du Cormarant.

De la Corneille.
CHAP. II.


AVANT que parler de la Corneille, voulons faire entendre que chacun s’abuse sur la cognoissance d’icelle : car nous n’entendons de celle espece de Corbin, qu’on voit si frequent par les terres labourables avec le bec blanc, qu’on nomme en bon langage un Freux, ou Graye, ou Grolle. N’en deplaise aux autres contrees de France, si disons que les paisans du Maine ont les dictions plus pures pour exprimer les oyseaux. Il nous est advenu en la cognoissance des oyseaux tout ainsi qu’en celle des herbes : car comme les anciens se fussent desdaignez d’employer leur temps à descrire une plante par le menu, qui leur estoit vulgaire, comme peut estre un chou, tout ainsi une Corneille, pour estre trop vulgaire, n’avoit esté descrite. Aristote ha fait cela sur beaucoup d’animaux : Theophraste, & Dioscoride es herbes. Cela ha fait, que nous ayons beaucoup d’animaux & d’herbes en doute, à qui nous ne sçaurions trouver nom ancien : car alors les autheurs descrivants une chose vulgaire, pensoyent satisfaire de se prendre à dire ce qu’ils trouvoyent de plus singulier en leur nature & vertu. Cela est advenu en l’oyseau que les Grecs ont nommé Coroni, que nous disons en Françoys une Corneille. Nous sommes maintenant en peine pour sçavoir que c’est que Coroni. Pensera lon point que soyons trompez de nous mettre en peine de chercher qui est la Corneille ? Ce neantmoins ce n’est sans raison : car on la confond communement avecques la Grolle ou Freuz, nommé en Grec Spermologus, & en Latin Frugilega, & Gracculus. Parquoy celuy qu’on nomme en quelques lieux un petit Corbin, est le Cornix des anciens : dont lon en voit une espece, qu’on nomme Corneille emmantelee. Et pource qu’elle est aussi nommee une Graye, il y en ha qui ont pris argument de dire que c’estoit Gracculus : mais nous monstrerons cy apres qu’il en est autrement, & que ce nom Françoys est prins de l’Anglois, qui nomme une Corneille, Craye. La Corneille seroit semblable au Corbeau, n’estoit qu’elle est plus petite, & moindre que le Freux, ayant le bec, les pieds, & jambes noires, avec toute la reste du corps. Elle hante en touts lieux, & le long des rivages tant des fleuves, que de la mer, mangeant de toutes choses. Cela est cause qu’Aristote au troisiesme chapitre, du huittiesme livre des animaux, l’ha mise au rang de ceux qu’il nomme Pamphaga, que les Latins dient Omnivora. Elle ressemble moult au Chouca, qu’on nomme autrement Chouchette, sinon que la Corneille est plus noire, & de plus grande corpulence. Et pource que nous la confondons avecques le Freux, c’est à sçavoir qu’au lieu qu’on les devroit distinguer, nous voyons aussi que le commun peuple appelle les Freux, Corneilles. La Corneille fait son nid sur la summité des arbres, dont les Corneillaux sont bons à manger, tout ainsi que des Corbeaux, & Grayes. Elle ne vole en moult grandes troupes, comme les Freux, mais communement vont deux à deux, ou pour le plus que demië ou douzaine entiere. Nous trouvons Coroni Thalassios es voyages d’Arian different à Corvus aquaticus, & dont avons ja parlé au chapitre de Aethia. On luy attribue l’industrie de sçavoir porter les noix en l’aer, & les laisser tumber sur les pierrres, pour les rompre, quand elle ne les peut casser de son bec. La Corneille meine guerre contre la Cheveche, & se vengeants, l’une mange les œufs de l’autre la nuit, & l’autre le jour. Encor ha inimitiez avec l’oyseau nomme Timpanus : mais elle estant la plus forte le fait trespasser. Lors que la Corneille en se lavant babille beaucoup, signifie la pluye à venir.

De la Graye, Grolle, ou Freux.
CHAP. III.


CES noms Françoys Grolle, ou Freux, ont esté donnez pour exprimer un oyseau, que plusieurs pensent faulsement estre la Corneille. Mais il appert autrement, & qu’ils viennent des Latins Frugilega, Gracculus. Les Latins l’avoyent traduit des Grecs, qui avoyent nommé Spermatologos. Il est maintenant à sçavoir si le Freux, & la Corneille sont une mesme chose, qui est autant à demander comme si lon disoit à sçavoir si Cornix, & Frugilega, est un. Et pour monstrer que ce n’est une mesme chose, ne voulons que le bec des deux pour le prouver, & aussi les meurs d’iceux : car un Freux ne hante jamais le rivage, & ne se paist gueres que de grain, & vermine par les terres labourables : & toutesfois la Corneille aime à hanter le rivage, & manger de toutes infections qu’elle y trouve. Ce Freux est oyseau si commun par les champs, & autant criard que nul autre que nous voyons, & de grosse corpulence. Varro en son livre de lingua Latina ha dit, que Gracculus ha esté nommé pour ce qu’il vole en troupe qu’on dit en Latin Gregatim. Gracculi (dit il) quod gregatim : ut quidam Graeci greges gergera, etc. Il est quelque peu moindre que le Corbeau, mais plus gros que la Corneille, & qui ha le bec long, droit, & poinctu par le bout, s’en servant quasi comme d’un pic, fonge en terre, & arrache les verms, & le grain. L’on ha eu occasion de le maintenir celuy que Pline ha nommé Gracculus : Car on le voit les soirs & matins voler en si grandes assemblees en trouppes, qu’à nostre jugement en avons observé d’une veuë plus de vingt mille en trois bandes, tant qu’ils couvroyent le ciel, comme aussi font les Chouchettes, tellement qu’elles apparoissent espaisses en l’aer comme nues, menants un si grand bruit, qu’elles en estonnent l’aer. Suyvant cecy voulons approuver un passage de Pline, du vingt & neufviesme chapitre du dixiesme livre, parlant en ceste maniëre. Immensa alioqui finitimo Insubrium tractu examina Gracculorum, Monedularumque, cui soli avi furacitas aura argentique praecipue mira est. Puis donc que Pline parle de la Chouchette separément, laquelle il nomme Monedula, & de la Rouge qu’il nomme Picrocorax, & du Loriot qu’il nomme Galgulus, & de la Corneille qu’il nomme Cornix, & du Corbeau qu’il nomme Corvus, & que nostre Grolle, Graye, ou Freux est differente aux dessusdits, avons conclud que c’est elle qu’il faut nommer Gracculus. Maintenant faut conferer avec Aristote, & sçavoir quels noms il luy ha baillé en sa langue. Ce mot Coliam pour exprimer quelque oyseau, il l’ha prins pour un terme general à la petite Chouchette, tant noire que rouge, & au Cormarant : car puis apres il les specifie. Parquoy ayants esté en erreur que le vulgaire des Grecs nous avoit fait concevoir pour l’appellation d’un petit Macreau, qu’ils nomment Colios, en parlerons encor au chapitre du Jay. Nous voyons ces Freux voler en trouppes par terres labourees, & toutesfois & la Corneille, & le Corbeau volent seulets, & ne hantent tels lieux en ce temps lá. C’est l’un des oyseaux le plus commun que nous ayons, & ou il se met à faire son aire, il couvre aucunefois tout une forest, pour le grand nombre qui s’en mettent ensemble. Ses petits ne sont moins delicats à manger que quelque petit Poullet, & aussi les peres sont bons, quand ils sont bien gras, pourveu qu’ils ne goustent à la charongne : car lors ils n’ont gueres moindre charnure qu’une Poulle : toutesfois pource qu’ils sont trop horribles à voir pour la couleur de leur chair, lon n’ha point acoustumé de les tenir exposez à la veuë es estaulx, comme lon fait les autres oyseaux. Ce qui fait, qu’il & estimé bon à manger, est pource qu’il ne se repaist de charongne, comme les Corbeaux, & Corneilles. Aulugelle autheur Latin, escrivant l’onsiesme chapitre du vingtiesme livre des nuicts d’Athenes, dit, Vetus adagium est, Nihil cum fidibus Gracculo, Nihil cum Amaracino Sui.

De la Corneille emmantelee.
CHAP. IIII.


CELLE maniëre de Corneille que nous voyons seulement en l’hyver, nous semble n’avoir esté escrite des anciens, ou si elle ha esté escrite, ne trouvons aucun nom Grec, ne Latin pour l’exprimer. Elle est passagere : car estant l’esté sur les haultes montagnes descend en hyver en nos plaines, vivant le long des villes & villages avec les hommes. Il est facile à prouver qu’il y ha autant de païs desert en guarigues, & montaigne, & delaissé à cause des vehementes froidures ou aspreté des rochers, comme des plaines habitees, tant en la jurisdiction des Roys, & Empereurs Chrestiens, que de Turcquie. Ce n’est donc merveille si tels oyseaux s’en vont paistre en ces lieux lá durant l’esté. Ceste espece de Corneille vit de mesmes viandes, que fait la noire, & est d’aussi grande corpulence, & hante semblablement le rivage : qui est cause d’avoir meu quelques uns de dire que les anciens avoyent entendu qu’elle avoit nom Cornix, ne sçachants qu’il y en eust une autre. Elle ha la teste, toutes les aelles, & la queuë fort noires, & un plastron devant l’estomach de mesme couleur, qui est bordé par le dessus comme de coches, faictes des plumes sur les cendrees, les noires encrans sur les autres : Car tout le dos, le dessus du col, les costez par dessous les aelles, les cuïsses, & le dessous du ventre sont de couleur cendree. C’est de lá qu’elle ha gaigné son appellation Françoyse : car il semble qu’elle est emmantelee de couleur cendree dessus le noir. Ceux qui la nomment Cornix marina, nous semblent n’avoir authorité, ou occasion de ce faire : car on la trouve aussi bien viander par les lieux mediterranees, comme on fait à la marine : joint que Arrian, qui ha parlé du Coroni Thalassios, entendoit d’une espece de Plongeon, ressemblant au Cormarant, qu’il avoit veuë en sa navigation sur le pont Euxin.

De la petite Chouchette, Chouca, ou Chouëtte.
CHAP. V.


CE N’EST de merveilles s’il y ha maintenant contention en appellation de l’oyseau, qu’Aristote nomme en son langage Colios : & de fait il semble qu’il le prend comme pour un terme general, disant en ceste sorte, au vingt-quatriesme chapitre du neufiesme livre des animaux : Il y ha trois especes de Colios. Et pour Colios, Theodore ha tousjours voulu tourner, Monedula, Erasme Gracculus. Mais Monedula, & Graccilus sont dictions Latines signifiantes quelques particuliërs oyseaux de differente espece. Or maintenant que parlons de la petite Chouchette, nommee de son cry Chouca, & en Latin Monedula voulons faire voir qu’Aristote l’ha escrite apres la Chouca rouge nommee Lycos, que pourrions tourner en Latin Lupus. Les Latins l’ont particulierement nommee Monedula, à cause qu’elle est larronnesse de la monnoye, comme voulants dire Monetula. Encore le nous enseigne le proverbe Françoys, qui dit, Estre larron comme une Chouëtte. Joint l’authorité d’Ovide au septiesme livre des Metamorphoses : qui dit, Mutata est in avem, quae nunc quoque diligit aurum, Nigra pedes, nigris velata Monedula pennis. Pline au quatorziesme chapitre du dixseptiesme livre de l’histoire naturelle, dit qu’elle nous ha monstré la maniëre de semer le grain : car quand elle trouve le bled, & quelque autre chose, apres s’en estre saoulee, elle ha l’entendement de le cacher en terre : & les hommes ayants veu que cela estoit cause de faire produire des espics, prindrent occasion à son exemple de semer les grains en terre, & la labourer pour les faire multiplier. Elle n’est de couleur noire si exquise comme le Corbeau, Corneille, & Freux : car ou les plumes du Corbeau, ont les couleurs changeantes, de force d’estre ternies, tout ainsi ceste Chouëtte semble tenir du cendré, qui se change en noir selon qu’on le remuë. C’est la plus petite de toute les especes du genre Corbin, & qui ne se nourrist de charongne. Elle fait son nid es creux des arbres, comme aussi sur les chesnes, & pertuïs des murailles. Les gents de village les mangent : mais les autres hommes qui ont meilleurers chairs, n’y veulent toucher.

De la Chouëtte, ou Chouca rouge.
CHAP. VI.


NOUS avons nommé ceste Chouëtte, rouge, à la difference de la noire : car elles se ressemblent si fort, qu’il n’y ha distinction qu’en la couleur du bec, & des pieds, & quelque peu en grandeur. Aristote au vingt-quatriesme chapitre, du neufiesme livre des animaux, la nomme en Grec Corakias, & Pline au quarente-huittiesme chapitre, du dixiesme livre de son histoire, l’appelle en Latin, usant toutesfois de diction Greque, Pyrrhocorax, qui signifie comme qui diroit Corbeau rouge : car, comme dit est, ses pieds, jambes, & bec sont entre orengez, & rouges tirants sur le jaulne : mais le bec est quelque peu recroché par le bout. Cestuy oyseau ne descend gueres en païs plat, mais hante tousjours les summitez des haultes montagnes, tant de terre ferme, comme de la marine, & des regions chauldes, comme des froides. Nous l’avons veuë sur les haultes summitez des montagnes de Crete, de Cornouaïlle en Angleterre, comme aussi en Souïsse sur le mont Jura, sur le mont d’Or en Auvergne, & en autres lieux infiniz. On les trouve aussi es Isles Cyclades, & en Bretagne sur les rivages de la mer. Aristote au mesme lieu dit, qu’il y ha trois especes de Colios, & que le premier est nommé Corakias. Gaza traduisant ce mot, disoit Gracculus. Toutesfois Gracculus est ce qu’avons ja nommé une Grole, Graye, ou Freux. Pline faisant mention du Gracculus, monstre assez qu’il ne veult entendre de cestuy la, sçachant que des-ja avoit parlé de Pyrrhocorax, en autre passage, qui neantmoins est le Corakias d’Aristote. Et qu’il soit vray, qu’on lise le vingt-septiesme chapitre du huittiesme livre, ou il dit en ceste sorte. Les Ramiers, & ceux qui sont nommez Gracculi, les Merles, & Perdris se purgent avecques les fueilles de Laurier. Et au dix-huittiesme livre, chapitre dernier, dit ainsi. Quand Gracculi retournent bien tard de leur pasture, signifient le froid advenir. Aussi dit au chapitre dix-neufiesme de l’onziesme livre, que les habitants de Lemnos adorent les oyseaux nommez Gracculi, pource qu’ils mangent les Sauterelles, qui font nuisance en leur isle. Et nous qui sçavons qu’en Lemnos n’y ha haultes montagnes, & que les Choucas rouges ne hantent les bas lieux de ce païs la, pouvons conclure qu’il ne les fault nommer Gracculi. Lon garde ce Chouca rouge aprivoisé, & luy apprend-on à parler. Il est quelque peu plus grand que la Chouëtte noirre. Pyrrhoclorax (dit Pline au quarante-huitiesme chap. du dixiesme livre) Alpium peculiaris, luteo rostro : niger, & praecipuo sapore. Et de vray il est d’excellent manger. Il est moult criard, & se fait ouïr de moult loing.

Du Jay.
CHAP. VII.


IL EST à presupposer que les anciens ont veu voler le Jay par les forest de leurs contrees, & qu’ils luy ont imposé quelque nom vulgaire : ou bien si je Jay n’ha aucun nom ancien, qu’ils n’en ont eu cognoissance. Toutesfois pource que nous sommes en doute de le sçavoir nommer de nom Grec & Latin, il faut entendre un peu noz propos sur ceste matiere. Le Jay estant cogneu en toutes contrees, fait que nous devons confesser, qu’il n’est demeuré sans avoir esté nommé. Quand on lit Pline au quarante-deuxiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, ou il parle de la Pie, oultre ce qu’il en fait deux especes, il semble qu’il en nomme une du surnom de Glandiere. Verum (dit il) addiscere alias negant posse, quam quae ex genere earum sunt, quae glande vescuntur. L’appellation Italienne de ce Jay, est cause qu’avons allegué tels mots. Nous voyons que par toute l’Italie, ils nomment les Jays, Glanderes, ou comme prononcent les Tuscans, Glandaiez. Mais voyants qu’Aristote ha dit tout cela, & que Pline ha prins tels passages de luy, qui dit au treziesme chapitre du neufiesme livre des animaux, Pica glandes cum deficiunt colligit, & in repositorio abditas reservat. Parquoy nous semble, qu’il seroit faulx d’imposer nom Pica glandaria, au Jay. Voulants donc maintenant luy trouver son nom antique, & sçachant que quelques poissons ont prins leurs noms des oyseaux, avons eu recours à les conferer ensemble : car le voyant obtenir les merques des petits Macreaux, que les Grecs nommerent, & encor’ nomment pour l’heure presente Colia, sommes entrez en opinion, que le Jay avoit anciennement esté nommé Choleos : car d’autant que nous lisons diversement trois dictions Greques es autheurs & en Aristote, dont l’une est Colios, generale aux Chouëttes : l’autre est Keleos, qui signifie le Loriot : & l’autre Coleos, laquelle semble obtenir la signification du Jay, on les ha tournees, ores l’une Gracculus, ores Galgulus, pource qu’elle se ressemblent moult. Mais les habitants de Chio moitié bastards des Genevois, moitié des Grecs, nous mettent à en penser diversement : car touts nomment le Jay vulgairement Bertina, qui est à dire, Cendree. Et nous cherchants quelque oyseau de ce nom en Aristote, ayants trouvé, que Molliceps est tout cendré, nous sommes arrestez à telle appellation. Gaza ha ainsi interpreté ce qu’en ha dit Aristote au vingt-deuxiesme chapitre du neufiesme livre des animaux. Molliceps colore totus cinereo : grandi, & cartilagineo est capite, magnitudine paulo minor, quam Turdus. Mais pource qu’avons dit que ceux de Lemnos nomment les Calugs de Marseille, qui sont petits poissons madrez comme Macreaux, du nom de Colios, avons cherché ce que les autheurs modernes, qui ont estudié à escrire les puritez de la langue Latine, en ont dit : & ainsi avons trouvé, qu’ils ont esté empeschez es dictions, Colios & Choleos : non pas qu’ils eussent soucy quel oyseau, ou poisson c’est : car Colios est nom d’oyseau & de poisson : mais seulement pour tourner la diction Greque, & la rendre Latine : en quoy Erasme, & Gaza n’ont peu convenir. Erasme pour Colios ha tourné Gracculus : & Gaza telle fois Monedula, telle fois Galgulus. Colios est quelquesfois prins pour un oyseau particulier, quelquesfois pour diction generale, signifiant les Chouëttes, noire & rouge, & y comprenant l’oyseau que nous nommons Cormarant : comme aussi est quelquesfois mis pour signifier un poisson semblable à un petit Macreau : & alors Pline le tournant d’Aristote, le nomme Gracculus. Puis donc que Monedula en Latin est particulierement nommé Lycos en Grec, & en Françoys Chouëtte noire, & que Corakias est la Chouëtte rouge, & que Pline, Varro, & autres anciens escrivent Gracculus separément d’avec Monedula, il ne faut accorder que Gracculus soit le Chouca rouge. Possible que le petit poisson nommé Colios, dont avons parlé, qui est presque s’emblable au Macreau, & qui ha des taches azurees le long des costez, pourroit bien avoir prins son appellation du Jay : car les oyseaux ont esté premierement nommez que les poissons. Nul ne doute que les oyseaux n’ayent eu leur nom devant les poissons, veu qu’ils ont esté les premiërs cognuz. Or maintenant que les livres de Grecs ont esté traduits es autres langues, lon trouve que Colios ha esté par divers autheurs traduit diversement. Gaza en Aristote ha dit Monedula : Hermolaus le nomme en Latin Gracculus. Il est escrit en quelques endroits des annales, qu’il s’est quelque fois assemblé une bande Jays, qui en trouverent une autre de Pies sur les confins de Bretaigne, qui estoyent en si grand nombre, qu’il sembloit une armee combatre contre l’autre, & que les Jays gaignerent la journee. Le Jay est de moindre corpulence qu’une Pie, ayant ceste enseigne, par laquelle chacun apprendra à le distinguer, d’autant qu’on ne la trouve en aucun autre oyseau : c’est qu’il ha les costez des aelles tachees de belles merques traversaines azurees, & grande ouverture du bec, d’autant qu’il avalle les glands & chastaignes toutes entieres à la maniëre des Ramiërs. Son bec est court, & rond, & grosset. Il dresse les plumes de dessus sa teste tachees de noir, tellement qu’il semble quasi qu’il s’en face une huppe. Aussi ha deux taches en chasque costé de la teste en l’endroit ou sont ses ouïes. Et pource que la plume de dessus son col, & de l’estomach est de couleur cendree, il ha esté nommé Baretino. Sa queuë, & le bout de ses aelles sont de couleur brune, ayants une tache blanche en chasque aelle. Il ha assez bons pieds, qui sont de couleur grise, mais il ne vole trop bien. Il est criard, & aprend moult bien à parler : & comme la Pie est encline à prononcer Margot, & les Corbeaux Colas, cestuy-cy appelle Richard : qui est cause qu’on le nomme en plusieurs endroits, un Richard. Il fait communément son nid sur quelque pommier par les vergiers, n’aymant à nourrir ses petits en lieu sauvage. Il n’est pas exquis en charnure : parquoy est reputé de dur manger. Il se nourrist de toutes choses, & ayme bien fort les pois. C’eest grand deduit de le voir voler aux oyseaux de fauconnerie, & aussi de le voir prendre à la passee. Le commun peuple tient qu’il tombe du haut mal, mais pour cela ne laisse à le manger, & principalement en Autonne : car alors on en prend grande quantite, quand il passe pour se muër : mais on ne tend pas à le prendre, comme on feroit à un oyseau delicat pour le manger. Les anciens medecins n’en ont onques voulu parler, nomplus que des Pies, & tels autres, dont le peuple n’ha usage de s’en nourrir.

De la Pie.
CHAP. VIII.


ARISTOTE en ses livres des animaux ha nommé la Pie Kitta, & les Latins Pica, à la difference d’un autre, qui est nommé Picus. Il n’y ha aucune difficulté en son appellation : car elle ha de si bonnes enseignes, qu’on la peut recognoistre en touts lieux, veu mesmement qu’il n’y ha rien de plus beau que de luy voir tout le dessous du ventre blanc, comme aussi le coing de l’aelle, & tout le reste du corps, sçavoir est la teste, le dos, le col, & la poictrine, les cuïsses la queuë, & les aelles de couleur bien fort noire. Si la Pie n’avoit rien de blanc sur elle, le reste du corps seroit semblable à une Corneille : car aussi bien ha elle le bec, les jambes, les pieds, & les yeux de semblable façon. Sa queuë & longuette, & dont la plume du milieu surpasse en longueur celle des costez. Aristote tesmoigne, qu’elle peut bien prononcer les paroles. Pline ha traduit de luy ce qu’il en ha escrit. Certains genres de Pies, dit il au quarante-deuxiesme chap. du dixiesme livre de l’histoire naturelle, sçavent mieux exprimer leurs langages, que les Papegaux. Il veut aussi que quelques Pies ayent cinq doigts es pieds, que Solin ha attribué aux Papegaux : mais nous serions bien d’opinion qu’il ne fut onques veu oyseau en avoir plus de quatre. La Pie fait environ neuf, ou dix œufs. Son nid est de telle industrie, qu’il est tout couvert par le dessus, ne laissant qu’un seul petit trou pour entrer, & sortir : les autres oyseaux ne le sçavent faire en telle maniëre. Il est manifeste par ce que Pline ha escrit, que les hommes ont de touts temps aprins à parler aux Pies. Et selon iceluy, il y ha deux especes de Pies : car il ha dit au vingt-neufiesme chapitre de son dixiesme livre. Nuper, & adhuc tamen rara ab Apenino ad urbem versus cerni coepere Picarum genera, quae longa insignes cauda Variae appellantur. Nous avons parlé de ceste autre espece de Pie avecques les oyseaux de rapine. Et pource que la Pie est cognuë d’un chacun, & aussi qu’on ne l’estime de bon manger, & qu’elle ha la chair dure, les anciens n’en ont point voulu manger, nomplus que les modernes pour le jourdhuy. La Pie ha cela de particuliër, qu’elle devient chauve toutes les annees, en muant les plumes de sa teste.

De la Pie de Bresil.
CHAP. IX.


N’AYANTS authorité suffisante de pouvoir imposer le nom Françoys à un oyseau estranger, qui n’en auroit aucun, ha semblé estre assez, de luy laisser celuy qu’avons ouy exprimer à ceux qui le nous ont apporté, lesquels le nomment Pie de Bresil : car comme la Pie est toute noire par le dessus du corps, n’ayant du blanc que dessus les aelles, & dessous le ventre, tout ainsi cest oyseau estant de corpulence, quelque peu moindre qu’une Pie, est totalement noir, excepté une ligne jaulne, qu’il ha par dessus les aelles, comme celle d’une Pie, qui est blanche, & aussi qu’il est tout jaulne depuis le milieu du dos, qui luy continuë jusques au dessus du cropion, & partië de la queuë. Mais au demeurant il est bien fort noir par les cuïsses, dessous le ventre, & par la teste. Il ha le bec agu, longuet, & poinctu, blanc & cendré. Ses jambes & pieds sont noires, & les ongles bien forts & crochuz, dont pourroit lon penser qu’il fust oyseau de rapine, n’estoit que son bec n’est croché. Somme qu’il est moult bel oyseau, quelque peu plus grand qu’un Merle, retirant grandement à la Pie, de telle forme que le representons en son portraict. Les anciens ne l’ont cogneu : car on l’ha nouvellement apporté du Bresil.

De la Huppe.
CHAP. X.


LA HUPPE est si congeuë, qu’il ne seroit ja besoin la descrire, n’estoit pour faire la difference d’icelle avec plusieurs autres, qui sont semblablement huppez, tels que le Vanneau, le Paon, la Soulcie, le Cochevis, & autres. Nous la voyons seulement au temps d’esté : car si tost qu’elle ha fait ses petits, elle s’en va trouver un autre païs, plus chault que le nostre, & s’y tient durant l’hyver. Nous luy donnons ce nom, à cause de sa creste, mais les Grecs l’ont nommee Epops, à cause de son cry. Nous la nommons un Puput : car en oultre ce qu’elle fait son nid d’ordure, aussi fait une voix en chantant qui dit Puput. Les Grecs de Crete l’ont nommee Agriopetinon, dont en avons cogneu deux especes. Il semble, à ce qu’Aristote en escrit au quinziesme chapitre du neufiesme livre des animaux, qu’elle ne se depart de Grece en temps d’hyver, comme de ce païs cy. Mutat faciem tempore aestatis, & hyemis (dit il) sicut & caeterarum avium quoque agrestium plurimae. Toutesfois pource qu’on sçayt bien qu’elle ne demeure l’hyver en Grece, ce passage pourra bien estre autrement interpreté : car si quelcun en fait nourrir en son logis, & qu’il ait veu qu’elle mue ses plumes en hyver, cela sera selon que l’entend Aristote. La Huppe ne vault rien à manger, & n’y ha personne en aucun païs, qui en veulle taster, combien que l’experience en ait esté faicte, que bien lardee & rostie, n’ha esté trouvee moins delicate, qu’un Merle. Avecques toute sa plume elle fait bien monstre d’un Pigeon : mais sa charnure n’appert gueres plus grosse qu’un Estourneau. Elle ne nous apparoist pas moult sauvage. Parquoy quand on la trouve le long des grands chemins, elle ne s’esfarouche beaucoup trop de la venuë des hommes. Estant donc ainsi bien garnië de plumes, comme elle est, vole legerement en battant l’ae’r de ses aelles à la maniëre des Vanneaux. Elle ha les pieds asses grandelets, mais ses jambes sont courtes. Sa queuë est noire, composee de douze plumes, qui passent beaucoup oultre celles de son aelle. Elle est merquetee d’une tache blanche en la queuë, qui fait un croissant en peincture, quand on la luy ouvre. Elle ha grande varieté de couleurs en ses aelles, qui sont madrees de noir, de blanc, & de cendré. Elle ha le col fauve, quasi comme rougeastre, mais est entournee d’un moult beau collier my-party de noir & de tanné. Son bec est long, noir, rond, & quelque peu courbé. Sa creste est plus estrange, que de nul autre Huppe : car estant composee d’une vingtaine de longues plumes rougeastres, toutes disposees par ordre, arrengees deux à deux, noires à l’extremité, elle les esleve, & abbat ainsi qu’elle veult. Et sçachant que nature ne la luy ha baillee sans raison, encor qu’ayons longuement pensé à icelle, toutesfois n’en avons encores peu rien sçavoir. La Huppe ayant le bec long ha une langue moult petite. Elle se nourrist de verms, & de toute maniëre de petits bagages de bois. Son nid est fait en quelque creux d’arbre, ou elle ne porte rien pour estre plus mollement, mais luy suffit mettre ses œufs dessus le bois pourry, ou bien (comme dit Aristote au lieu susdit) porte en son nid les excremens de l’homme. Elle fait une voix enrouëe, qu’on oit de bien loing : & n’est de merveille si elle ne fait bonne distinction en sa voix, consideré qu’elle est quasi sans langue. Il seroit impossible avecques une langue si courte, qu’elle peut mieux exprimer son chant : car ce qu’on oit, est quelque ton, qui n’est guere varié. La diligence & curiosité d’Aristophanes, nous admoneste de faire diligence en noz ouvrages : car luy suyvant le son qu’elle fait, l’ha ainsi imité : Epopoe, popopo, popoe, popoe. Io, io, ito, ito, ito. Il sera dit que les anciens ont mis en leurs fables, que Tereus fut converty en Huppe.

Du Loriot.
CHAP. XI.


ESCRIVANTS Charadrias entre les oyseaux de nuict, avons parlé du Loriot, qui est oyseau de passage, & qu’on ne voit que l’esté en ce païs, non plus que la Huppe, s’il n’est gardé, nourry en cage. Il ha gaigné ce nom Françoys, de ce qu’en criant à haulte voix, semble prononcer, compere Loriot. Aristote au vingt-deuxiesme chapitre, du nefiesme livre des animaux, dit, que le Loriot, qu’il nomme Colios, prend sa nourriture au bois, le long des eaux, & des fleuves, & qu’il est grand comme une Turtrelle, duquel la couleur est jaulne, tirant sur le verd. Et fait une voix hautaine, & habite volontiers au Peloponese. Pline au dixiesme livre de l’histoire naturelle, chapitre vingt-cinqiesme dit, que quand Galgulus ha fait ses petits, il se part d’Italie. Aussi dit en l’onziesme chapitre du trentiesme livre, que les Grecs l’ont nommé Icterus, à cause de sa couleur jaulne : & que si un homme Icterique, c’est à dire, ayant la jaulnisse, le regarde, que l’oyseau en meurt, & l’homme en guerist : ajoustant ce mot, qu’il pense que c’est luy que les Latins appellent Galgulus. Il dit aussi au trente-troisiesme chapitre, du dixiesme livre, qu’il se pend par les pieds pour dormir plus seurement & estre en seureté. Le Loriot est quasi tout jaulne, comme aussi sont plusieurs autres oyseaux, tels qu’est le Verdier, le Bruant, le Serin, & le Tarin. Lon trouve encor que suyvant nostre appellation de Loriot, les Grecs & Latins l’ont nommé Chlorion. Car Pline au vingt-neufiesme chapitre de son livre dixiesme, dit en ceste maniëre. Chlorion quoque, qui totus est luteus, hyeme non visus, circa solstitia procedit. Encor en un autre passage, au trente-troisiesme chapitre du mesme livre, descrivant les Pics verds, y ajouste une quatriesme espece, lequel il dit pendre son nid à un rameau, qu’il attache à la maniëre d’une couppe, à fin que nul animal y puisse arriver. Laquelle chose nous sçavons estre seulement deuë au Loriot, & qui en Latin est autrement nommé Lurida. Il y ha un oyseau en Aristote au treziesme chapitre du neufiesme livre des animaux, qu’il nomme Lutea, & en sa langue Chloreus, à la difference de Chlorion : mais nous en parlerons cy apres au chapitre du Pic verd. L’opinion de ceux qui pensent que le Jay est Galgulus, est facile à confuter : car Pline en un passage ja allegué dit. Cum foetum eduxere, abeunt : ut Galguli, & Upupa. Et nostre Jay ne s’en va point : aussi n’est-ce pas luy qui & Galgulus. Le Loriot est grand comme un Merle, mais est beaucoup plus long. Il ha les pieds bons, & gros, comme aussi ses jambes sont de couleur plombee : & est garny de bons ongles. Son bec est long, rond, & quelque peu courbé, & ha la gueule moult fenduë, & la langue du bec bien entiëre. Il est palle par dessous le ventre, tirant au jaulne : mais tout le dessus de la teste, du col, & de l’eschine, comme aussi la queuë, sont jaulnes. Les aelles sont noires par les deux costez, combien qu’elles soyent un peu tachees de jaulne, toutesfois pour la plus grande partië sont noires. Sa queuë est longuette, qui passe beaucoup oultre les aelles. Il mange communement les fruictages, & principalement les Cerises & Guines : toutesfois ne laisse aussi à se paistre de vermine, qu’il trouve par les bois. Nous n’avons coustume de le manger, soit parce qu’il est difficile à prendre, ou qu’on n’en trouve beaucoup. Si est ce qu’il est veu en touts lieux. Il fait beaucoup de petits jusques au nombre de cinq, quelquesfois trois, autresfois quatre, & lesquels suyvent long temps les pere & mere, jusques à ce qu’ils ayent bien apprins à se pourchasser eux mesmes. Nous avons un Proverbe Françoys, qui dit, que nul ne trouva onc nid de Loriot, qu’il ne fut pendu : car comme dit est, il sçait le composer de moult grande industrie, tousjours pendu. Nous pretendons que Chlorion, Colios, Vireo, & Galgulus, soyent synonimes, signifiants le Loriot.

Des Papegaux, & Perroquets.
CHAP. XII.


LE PAPEGAY est aussi nommé un Perroquet : mais tel nom luy ha esté imposé à cause de sa prononciation. Nous cognoissons maintenant plus d’especes d’oyseaux, venants des païs loingtains, qu’on ne faisoit anciennement : car la terre ha esté beaucoup plus frequentee par navigations, qu’elle n’estoit anciennement : comme il appert par diverses especes de Papegaux, qui nous sont maintenant apportez tant du Bresil, que d’ailleurs. Lon trouve que les anciens nommoyent aussi Indie, ce que nous appellons maintenant le Bresil. Pline au quarente-deuxiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, escrit : Super omnia humanas voces redaunt Psittaci, quidam etiam sermocinantes. India hanc avem mittit. Psittacem vocat viridem toto corpore, torque tantum miniato in cervice distinctam : tellement que le Papegaut que Pline ha descrit, avoit un collier rouge, lequel n’avons onc veu, sinon en peincture. Mais maintenant nous en cognoissons des grands, & des petits, des gris, des rouges, & de diverses autres couleurs : lesquels estants si cogneuz, baillerons seullement le portraict d’un grand, & consequemment d’un petit. Et tout ainsi qu’ils sont de corpulence, & couleurs differentes, aussi sont apportez de divers païs. Mais qui plus est admirable, ils sont de voix differentes : car les uns l’ont aigre, les autres amiable. Nous avons descrit le Papegaut, avant les Pics verds : car aussi ont ils les jambes courtes, & les doigts des pieds my-partis, deux devant, & deux derriere, comme aussi tiennent leur mangeaille avec un pied, enlevee en l’aer, & l’aportent au bec à la maniëre des oyseaux de Proye. Pline au quarente-deuxiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, ha presque suyvy ce qu’Aristote avoit prononcé du Papegaut : car comme Aristote au douziesme chapitre, de son neufiesme livre des animaux, avoit dit : Nam & Indica avis, cui nomen Psittace, quam loqui aiunt : il semble qu’Aristote n’en ait onc veu : car s’il en eust veu, il n’eust pas escrit, quem loqui aiunt. Et la ou il met, loquacior, cum biberit vinum, redditur : Pline dit, In vino praecipue lasciva. Les sauvages du Bresil, qui ont grande industrie à bien tirer de l’arc, ont les flesches moult longues, au bout desquelles il mettent un bourlet de cotton, à fin que tirants aux Papegaux ils les abattent sans les navrer : car les ayants estonnez du coup, ne laissent de se guerir puis apres. Nature leur ha donné un fort bec, pour casser les escorces des durs fruicts, dont ils avoyent à vivre sauvages : mais estants privez, mangent de toutes sortes de viandes, qu’on leur veult offrir. Et tout ainsi comme le commun bruit est, que la semence de l’Hellebore ne nuit aux Cailles, quand elles en mangent, ne celle de la Cicuë aux Estourneaux : Aussi les Papegaux peuvent estre nourriz commodement de la semence de Carthamus, qui toutesfois est au lieu de purgation à l’homme. Les Papegaux gris sont les plus grands. Ceux qui sont entremeslez de rouge, sont moyens : mais les verds sont les plus petits, qui n’ont autre couleur sur eux, que de la verdure : & ont la queuë moult longue, & n’excedent la grosseur d’un Estourneau. Il y en ha qui font difference entre eux, voulants que les uns soyent nommez Papegaux, comme estants les plus grands, & les autres Perroquets, qui sont petits & verds.

Du Pic verd jaulne.
CHAP. XIII.


NOUS cognoissons deux especes de Pics verds communs en touts lieux. Aristote au neufviesme chapitre, du neufviesme livre des animaux en ha mis trois, dont celuy que nous nommons le Pic mart, ou Pic verd nous est le plus commun : toutesfois qu’en mettrons encor’ quelques autres incogneues aux anciens. Le Pic verd jaulne est de longue corpulence, & plus gros qu’un Loriot, approchant de bien pres celuy d’une Pie. Il est d’une exquise couleur diverse, combien qu’il ne soit de trop bon manger. Il ha deux taches rouges dessus les yeux, une en chasque costé, venant des racines de la partië d’embas de son bec, qui est long de deux doigts, noir, droit, dur, fort, & poinctu : quasi limé en quatre quartes. Laquelle chose Aristote avoit des-ja dit au IIJ. livre, De partibus animalium, chapitre premier. Avium caeterarum (dit il) rostrum utile ad victum cuiuque est. Verbi gratia, Roboriseci generis, & Corvini robustrum, atque praedurum os est. Il ha la teste asses grosse, & est rouge par dessus, & en chasque costé y ha une tache de plumes blondes, celle part ou sont ses ouyës. Il est verd par dessus les espaules, comme aussi dessus les aelles : mais telle couleur est aussi meslee de jaulne. Celles qui sont dessous le ventre, & dessus le cropion sont encor plus jaulnes, tirants sur le paillé. Le Pic verd ha cela de particuliër, que sa queuë & ses pieds sont faits d’une autre sorte que les pieds des autres oyseaux : car en tant qu’il est oyseau prenant sa pasture des excrements des arbres, & vermines d’iceux, nature luy ha baillé les ongles moult voultez, & bien crochuz pour se tenir tant à la renverse, comme pour grimper en montant, & descendre le long des troncs & rameaux. Il ha deux doigts devant, & deux derriere : mais celuy en chasque pied qui est baillé pour l’ergot, est plus long que les autres. Sa queuë est moult propice pour sa façon de vivre : car son extremité est ronde, & les plumes moult rudes, dont il se sert rampant sur les arbres, s’appuyant à elle pour se servir de contrepoix : & au lieu ou quasi touts autres oyseaux y ont douze plumes, le Pic verd n’en ha que dix. Il ha l’aelle bigarree par dessous, comme sont celles d’un oyseau de proye : sçavoir est, de taches blanches dessus les plumes brunes. L’un des doigts de ses pieds est presque aussi long comme sa jambe, qui est noire. Ses yeux ne sont gueres grands. Sa langue est longue, & ronde, comme est celle d’un Chameleon, & qui ressemble à une Achee, autrement nomme un Verm de te terre. Encor que le Pic verd soit de grande corpulence, toutesfois il n’est vendu avec les autres oyseaux delicats par les marchez des villes, d’autant qu’il est estimé de charnure durette. Il est bien vray, que les paisans luy ayants osté la teste, & lardé, ne laissent à le manger, tant rosty que bouïlly. Entre les autres enseignes qu’on luy ha specialement attribuës, c’est qu’il ha peine à se tenir sur les pieds contre terre. Touts Pics verds & autres oyseaux, qui montent sur les arbres, ont les jambes courtes, mais les pieds sont assez grands. Aristote ha dit que le petit, qui est particuliërement nommé Epeiche, & en Grec Pipra, est en dissension avec le grand Pic mart, qu’il nomme proprement Latea, comme qui diroit en Françoys, le Pic rouge, & le jaulne ont haine ensemble, & parce il fait violence aux œufs, & aux petits de l’Aigrette. La Turtrelle ha aussi inimitié avec le Pic jaulne : mais estant superieur, & le plus fort, il la tue. Aussi dit Pline au dixiesme livre, chap. septente-quatriesme, que Chloreus, qu’interpretons le Pic jaulne, & le Corbeau se combatent de nuict, cherchants les œufs l’un de l’autre.

Du Pic verd rouge, nommé en Françoys une Epeiche.
CHAP. XIIII.


L’OYSEAU que nous nommons une Epeiche est aussi du genre des Pics vers. Les Latins dient Pipo, & les Grecs Pipra. Aristote l’ha nombrée pour la premiëre espece, en commençant par le plus petit : aussi est elle moindre que les deux autres. Et comme ce n’est pas à elle à qui le nom de Pic mart, ou Pic verd convient, aussi elle est rouge en deux lieux, mais au demeurant est toute merquee, comme le Pic verd : toutesfois que leurs madrures sont differentes. Quelques uns comme en nostre païs du Mans, la nomment un Cul rouge, pource que les plumes du dessus & dessous de sa queuë, comme aussi entre les jambes, sont rouges : mais lon en trouve plusieurs especes, qui ont difference entre elles, comme ferons apparoistre cy apres. Toutes ont mesme maniëre de se pasturer dessus les arbres, monter & descendre, comme aussi de voler en l’aer, semblable à celle d’un Pic verd, & ont les jambes, ongles, & le bec de mesme façon. Mais sa langue n’est pas egalement longue : car celle du Maine l’ha ronde, & fourchee, rouge & poinctue par le bout, & dure à l’extremité. Cest oyseau est de diverses couleurs, tant au col que par tout le corps : car le regardant dessous la gorge, on le trouve tout blanc. Le dessus du col est noir, & entremeslé de blanc, ayant six lignes de couleurs, une noire entre deux blanches, & une blanche entre deux noires. Les plumes de dessus sa teste & celles qu’il ha aux deux costez des temples, sont rouges, entretenuës de cendré. Le dessus du dos est brun, ayant une tache blanche, & large en chasque costé sur ses aelles, qui sont toutes mouchetees de blanc, & de noir. Le dessous des aelles est couvert de plumes rousses. Sa queuë n’ha que dix plumes, non plus que le Pic verd, & qui apparoistroit toute noire par dessous, n’estoit qu’il y ha deux plumes en chasque costé, qui sont participantes de blanc, & ont des taches noires parmy, noires à la racine, rudes, & dures par le bout, dont il se sert à s’appuyer contre les rameaux, quand il monte sur les arbres à la renverse. Ses ongles sont propres à cest affaire : car ils sont fort aguz, & crochez, deux devant & deux derriere : ayants les plus petits de la partië du dedens. Nature les luy ha ainsi baillez, pour autant qu’il est coustumiër de vivre contre les arbres, desquels il entourne les petits rameaux, tant à la renverse que de costé, montant & descendant. Aristote le distinguant d’avec le Pic jaulne, nomma particulierement Pipra, combien qu’il ayt comprins les trois especes de Pics verds en ce mot Grec Dryocolaptos. La chair de l’Epeiche sent la sauvagine, comme aussi fait le Pic verd. Aristote parlant de tels oyseaux au neufiesme chapitre du neufiesme livre, disoit qu’ils sont semblables entre eux, ayants la voix l’un comme l’autre, mais que le plus grand l’ha plus grande, & le petit plus petite : & que Pipra, qui est nostre Epeiche, mange les œufs du jaulne, & que par cela ils discordent ensemble. Qui ha conferé les Epeiches des autres contrees avec celles de France, les ha trouvees differer en quelques couleurs. Les unes avoyent tout le dessus de la teste, & le dos, & la queuë, & le cropion noir, les temples blanches : mais il y ha une reigle generale que toutes ont le dessous de la queuë rouge, & les aelles madrees, tachees de blanc.

Du plus grand Pic verd.
CHAP. XV.


LA PLUS grande espece des Pics marts, laquelle Aristote descrivant Dryocaloptis, qu’interpretons le Pic verd, ha mise au tiers ordre, nous est incogneuë en noz païs, & toutesfois est assez commune ailleurs. C’est elle qu’Aristote au neufiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, ha dit n’estre gueres moindre qu’une Poulle. Chacun entend bien que les Pics verds prennent si grande peine à creuser les arbres, pour en manger les verms. Mais cestuy-cy, qui ha le bec quelque peu crochu, semble ne l’avoir propre à cest effet. C’est ce qu’Aelian autheur Grec ha voulu entendre, quand il dit, que le Pic verd ha le bec crochu : qui eust esté passage soupçonneux, sinon que monsieur Gisbert Damstredam nous en monstra un à Rome, & sa peinture, lequel par curiosité l’avoit fait portraire en diverses sortes. Il ne fault douter qu’on ne trouve bien ceste tierce espece de Pic verd, telle qu’Aristote la nous ha signifiee, & aussi ayant le bec croché comme Aelian ha dit. Il ha les pieds à la maniëre des deux autres, c’est à sçavoir, deux doigts derriere, & deux doigts devant. Il ha aussi diverses madrures de plumes au travers de ses aelles, comme ont les precedents, mais la couleur est differente. Et la ou l’interpreté d’Aristote disoit, Sunt Pici martij cognomine tria genera : unum minus quam Merula, C’est nostre Epeiche : Alterum majus quam Merula : c’est le Pic Jaulne : Tertium non multo minus quam Gallina, est cestuy-cy, dont faisons mention. Ces trois Pics ont leurs langues longues, lesquelles ils tirent sur les Fourmis, & quand elles en sont chargees, & les ont retirees, avallent les Fourmis qui estoyent dessus.

Du Pic de Muraille, que ceux de Clairmont en Auvergne nomment une Eschelette.
CHAP. XVI.


IL Y ha une espece de Pic mart, qui jusques icy ha esté particuliërement au païs d’Auvergne, & cogneuë de peu de personnes : Car combien qu’on la puisse voir voler par les montaignes, & sur les villes, de Clairmont & plusieurs autres lieux en Auvergne, toutesfois pource que peu de gents se mettent en devoir de les observer, demeurent quasi incogneuz : & de fait tout ainsi que les Pics verds ayment à monter, & descendre le long des arbres, cestuy-cy n’ha autre lieu assigné à se poser pour vivre, que le long des murailles. Nous n’avons donc failly de le nommer Pic de muraille, ne luy ayants trouvé autre nom ancien, ne moderne. Il est bien vray que quelques habitants des confins de Clairmont, le nomment un Ternier : mais c’est en Auvergnac, comme aussi quelques autres le nomment Eschellette, qui est nom deu aux Pics verds. Sa couleur ne se peut mieux voir, que quand on luy ouvre les aelles, qui sont bien fort madrees de rouge. C’est un oyseau gay, & vioge, de la grosseur d’un Estourneau, qui se fait ouïr de bien loing, & qui ha asses bonne voix & melodieuse. Il est fort mobile : car il ne se peut bonnement tenir en une place, & s’arrestant n’est pas perché, mais pendu à la maniëre des Pics verds. Il ha la queuë courte & noire, & quelque partië des aelles : le bec, & la teste comme celuy d’un Estourneau : son dos, son col, & teste sont de couleur cendree : mais les aelles sont aussi mouchetees de rouge, comme celles d’un beau Papillon. Il vole à la maniëre des Huppes, c’est à dire, en batant des aelles : car aussi ses aelles sont tournees en la proportion de celle d’une Huppe. Ses jambes sont courtes, mais les doigts de ses pieds sont longs, dont y en ha deux devant & deux derriere. Il se paist de Mouches, & Araignes, qu’il prent le long des murailles. Il est manifeste qu’il vit aussi bien par les rochers precipiteux des haultes montaignes : car on l’oit voler en l’aer de bien loing, venant de devers les monts pour s’asseoir contre les tours des villes. Il fait ses petits dedens les pertuïs des murailles. On ne le voit gueres voler en plus grande compagnie, que deux à deux.

Du Torchepot.
CHAP. XVII.


LE TORCHEPOT est asses cogneu en touts païs, lequel lon ha nommé grand Grimpereau, pource qu’il grimpe & descend tout ainsi que font les Pics verds : car il est presque de meurs semblables, creusant les arbres en mesme façon. Son nid est composé avecques de la terre grasse, de si grand artifice qu’il ne sçauroit estre mieux, encor qu’il eust esté dressé de la main d’un potiër. C’est de lá qu’il est nommé Torchepot. Les Grecs, à nostre jugement, l’ont nommé Sitta, auquel les Latins n’ont changé le nom. Aristote le nous descrivant ha donné les enseignes à le cognoistre, telles que nous luy voyons : car mesmement c’est un petit oyseau de la grandeur d’un Cochevis, de meurs audacieuses, qui eslist son domicile es arbres, vivant de vermine de bois, & qui est moult diligent à se mettre en devoir de querir sa pasture, & d’esprit vigilant. Quand ce vient au temps nouveau, le masle appelle doulcement sa femelle, criant moult hault Guiric, Guiric, Le commun bruit est, qu’elle ne vient à luy sinon apres qu’il l’ha long temps pourchassee, & caressee. Et ainsi se tenants ensemble le long de l’esté, & ayants eslevé leurs petits, chacun se depart l’un de l’autre pour l’hyver. Les paisans ont observé qu’il bat sa femelle quand il la trouve, lors qu’elle s’est departië de luy, dont ils ont fait un proverbe, pour un qui se gouverne sagement en mesnage, qu’il ressemble au Torchepot. Toutes lesquelles observations se ressentent du dire des anciens, qui est cause de l’avoir fait recognoistre : car l’interprete d’Aristote au dixseptiesme chapitre, du neufiesme livre des animaux, ha ainsi mis. Sunt ri, quae Sitta dicitur, mores pugnaces, sed animus hilaris, concinnus, compos vitae facilioris. Rem maleficam ei tribuunt, quia rerum callet cognitione. Prolem hac numerosam, foelicemque progignit, vivit maceriem contundens. Cela disoit Aristote, conforme à nostre Torchepot. Mais au lieu que Gaza ha dit : Rem maleficam ei tribuunt, etc. Le vieil interprete d’Aristote ha dit, Et Nigromantici utuntur ipso, quoniam certi fiunt in multis. C’est un oysillon qu’on voit communement monter, & descendre par dessus les arbres, & qui ne s’arreste jamais en une place, & se pendant aux rameaux, ores entourne une branche, tantost le tronc, tout ainsi que fait la Mesange. Aussi ha il moult bons pieds, les doigts longs, & gresles, & les jambes courtes. Il est en ce different aux Pics verds, qu’il n’ha qu’un doigt ou ergot par derriere, comme aussi n’ha la langue longue, ne la queuë roide à se tenir contre les arbres. C’estoit la cause qui nous avoit tenu en doute, à sçavoir si le devions nombrer entre les especes des Mesanges, ou entre les Pics verds : car si disons qu’il congne les arbres, & creuse à leur maniëre, cela fait aussi la Mesange, & beaucoup d’avantage. Parquoy n’ayants asseurance ne de l’un, ne de l’autre, l’avons escrit plus simplement selon les enseignes que luy trouvons particuliëres : par ainsi nous ha semblé convenable le mettre apres les Pics verds. Il est quelque peu plus gros qu’une Nonnette Mesange, ayant bien autant de chair qu’une Alouëtte, moult approchant à la contenance d’une Mesange. Si donc c’est Sitta d’Aristote, il sembleroit que fussions inconstants en son appellation si en faisions doute. Cecy sera recordé au chapitre des Mesanges. Nous avons seulement dit ceste clausule, pour ne dissimuler rien de nostre doute, & n’attirer les choses comme par force, à ce que maintenons. Le Torchepot ha le dessus du dos, du col, des aelles, & de la queuë de couleur plombee tirant au cendré. Tout le dessous du ventre, & du col est tanné tirant sur le roux, approchant de la couleur des plumes de dessous le ventre du Martinet pescheur Les racines de toutes ses plumes qui touchent à la chair, sont noires en touts lieux, comme aussi est le dedens de la queuë : car ce qu’avons dit estre plombé, provient seulement des deux plumes, qui luy couvrent le dessus de la queuë, qui est merquee d’une tache blanche par le bout en travers. Son bec est brun, noir, longuet, & rond, tout ainsi que celuy du Tercot. Sa teste est petite, & aussi ha petits yeux. Estant fraix avec ses plumes ne sent la sauvagine, comme font les Pics verds : mais estant delicat est de bon manger. Aristote au premier chapitre du neufiesme livre des animaux dit, qu’il ha debat avec l’Aigle, & qu’il va à son nid & luy casse ses œufs. Il y en ha encor une autre espece beaucoup plus petite, ayant aussi bonne voix que le grand, & encor plus haultaine, laquelle est plus criarde, alegre, & vioge, qu’on ne voit jamais en compagnie autre que de sa femelle, & s’il rencontre quelque autre de son espece, il est tousjours prest à se combatre jusques à ce que l’un deux s’en fuye, & alors il se met à crier haultement d’une voix en faulcet, pour appeller sa femelle, luy signifiant qu’il est vainqueur. Il ha les griffes, le bec, & la couleur de mesme le Torchepot, & se tient au bois. Parquoy n’y ayant difference, que du grand au petit, baillons seulement le portraict du Torchepot.

Du Tercou, Torcou, ou Turcot.
CHAP. XVIII.


SOIT que nous appellons un oyseau Tercot, Turcot, ou Torcou, nous suyvons l’ethimologie antique Torquilla, pour exprimer un petit oyseaux, qui est rarement veu : lequel ayants trouvé la premiëre fois allongeant son col es mains d’un villageois, & maniant sa teste, faisoit la plus estrange mine qu’on puisse voir faire à oyseau : car il sembloit que ce fust une teste d’un Serpent. Le Turcot est celuy qu’Aristote ha nommé en Grec Jynx, En le descrivant faut qu’estendions nostre discours quelque peu plus oultre. Au temps qu’avions empesché certains hommes pour recouvrer les especes d’Alcyons, nous recouvrerent ce Turcot, sans sçavoir son nom ancien. Nous pensions de prime face que c’estoit celuy qu’Aristote nomme Alcyon vocalis. Mais depuis ayants aprins son antique appellation, fismes devoir d’en recouvrer un autre. Lon trouve quelques autheurs Neoteriques, qui pensent qu’Aristote ait constitué ce Tercot entre les especes de Pics verds : mais ils se sont abusez : car Aristote ayant veu que le Tercot ha quelques enseignes qui conviennent avec le Pic mart, ha dit en ceste maniëre au douziesme chapitre du second livre des animaux. Paucis quibusdam utrinque bini ungues, ut aviculae quam Jyngem vocant. Haec paulo major est quam Fringilla, corpore varia. Cela disoit Aristote, & beaucoup d’avantage, qui est totalement conforme à ce que nous avons à prouver que nostre Turcdot est Jynx. Il est quelque peu plus grand qu’un Pinson, & ha ainsi les plumes merquetees, & quasi d’une mesme couleur comme ceux d’une Beccasse. De touts oyseaux qu’ayons peu observer, n’en cognoissons aucun qui ait les doigts des pieds comme le Turcot, fors les Pics verds, le Papegaut, & le Coqu. Le Turcot se nourrist par les bois montant & descendant, & se pendant aux rameaux, comme les Pics verds. On le peut mal-aysement nourir en cage. Son nid est fait en quelque creux, ou il esleve jusques à huit petits. Il ha un petit bec de couleur quasi bleue, longuet, & rond, duquel il tire une langue ronde, qui ha environ trois doigts en longueur, laquelle il darde à la maniëre des Chameleons : mais elle est aguë par le bout, de laquelle il taste sa mangeaille de bien loing. Il ne peut demeurer sans faire quelque bruit, & principalement quand il mange. Il ha la queuë longue, qui luy passe entre les aelles. Il est de moult belle couleur : car toutes ses plumes sont madrees de noir, & de tanné beaucoup plus qu’en la Beccasse. Ses jambes sont longues semblables à celles du Martinet pescheur, quelque peu plus longuettes. Ses aelles sont merquetees, comme celles du Roytelet, & de semblable façon. Il tient tousjours sa queuë droicte eslevee, hors mis que quand il est perché, il la tient basse. Et tout ainsi que nature luy ha baillé ses doigts differents aux autres, aussi ha voulu qu’il luy fust facile de se percher en diverses maniëres. Et estant perché, il se tient plus en arriere que les autes, qui ont trois doigts es pieds. Ce n’est estrange chose de le voir percher & dormir contre le tronc d’un arbre, sans estre assis sur un rameau. Il y ha distinction evidente du masle à sa femelle : c’est que l’un est plus roux, & l’autre est plus cendré.

Des Ramiërs.
CHAP. XIX.


LES Ramiërs nommez en Latin Palumbes, sont cogneuz en touts lieux. Il n’y eut onc difficulté en leur appellation. Nous les nommons de ce qu’ils se perchent sur les rameaux, comme encor disons, ramer des pois. Les Grecs retenants encor plusieurs choses de leurs antiquité, les nomment en vulgaire Phassa, au lieu que les anciens les appelloyent Phatta. Et parce qu’il y ha un oyseau de proye qui les mange volontiers, celluy oyseau de proye est nommé Accipiter palumbarius : duquel avons parlé en descrivant le Faulcon. Les Ramiërs volent en trouppe en temps d’hyver, & en ce temps lá ne sonnent mot : car ils chantent seulement lors qu’ils sont en amours, se respondants le masle à la femelle. Le Ramiër est constitué comme principal entre les especes des Colombes : car aussi est il plus grand que pas-un des autres : c’est à sçavoir des Bisets, Turtrelles, & Pigeons. Il n’y ha gueres moins à manger en un Ramiër qu’en une Poulle. Lon en prend moult grande quantité es forests des chesnes verds nommez en Latin Ilices, autour de Rome. Blondus en descrit la maniëre, duquel on la pourra entendre tout au long. On les voit apporter au marché, ayants leurs estomachs plains des glands d’Escarlate, de l’arbre de liege, de chesnes verds, & Faines, qui ont touts germé : à cause de la chaleur dedens leur jabot qui les fait sortir hors, tellement que qui les delibereroit semer, auroit grand advantage d’en prendre de ceux lá. Ils avallent ce dont ils vivent tout entiër sans le rompre, errants l’hyver par les forests, cherchants la graine de Lierre. Quelques uns leur ont donné le bruit de faire des petits deux fois l’an, comme aussi ont à la Turtrelle : chose qui est aysee à croire : car nous voyons mesmement que les Pigeons en font touts les mois une fois. Un Ramiër bastist son nid mal proprement, non trop mal aysé à trouver : Car communement il ne l’encruche gueres hault. Aristote au quatriesme chapitre du sixiesme livre des animaux, croit qu’ils vivent quarente ans, & qu’ils font leurs petits apres un an, & que à demië annee, ils commencent à s’accoupler l’un à l’autre, & qu’ils portent leurs œufs quatorze jours, & couvent autant, & sont autant à eslever leurs petits pour les faire voler. Il ha esté quelques fois veu que le Coqu ha ponnu dedens le nid du Ramiër. Il y ha certaine maniëre de les tuer qu’on nomme Charivari. C’est qu’on regarde quand ils s’en vont percher, lors qu’il fait bien obscur, lon porte à force paille allumee, à fin qu’on les puisse bien voir. Lon porte aussi plusieurs poelles, & autres metaux, & bassins à faire grand bruit : car les Ramiërs s’espoventent si fort de cela, qu’ils ont peur, & ne s’osent partir. Parquoy les arbalestriers, qui sont au dessous, leur tirent, & en tuent quelques-uns. Les Ramiërs n’ahabandonnent pas le païs du tout, mais font leurs demeures en divers endroicts selon diverses saisons, tantost en plaine, tantost en montaigne. Parquoy ne les voulons nommer passagers, comme les Bizets, qui sont absents l’esté, ou ils font leurs petits : mais les Ramiërs font aussi bien leurs petits en France & Italie, comme en Grece. Il semble qu’Aristote au douziesme chapitre du huittiesme livre des animaux, ha entendu qu’ils s’en partent l’hyver de son païs. Parquoy il fauldroit conclure, qu’ils passent au nostre : car c’est lors que nous en avons en habondance. Les Ramiërs sont de couleur cendree, ayants la teste entre couleur de ciel, & rouge entremeslez. Ils ont des taches de plumes blanches en chascune aelle sur les costez, & un collier d’autre couleur que les plumes de plus hault ou plus bas. C’est de lá que Martial les ha nommé Palumbes torquati, disant, Inguina torquati tardant, hebetantque Palumbi : Non edat hunc volucrem, qui cupit esse salax. Les medecins ont loué le sang des Ramiërs propres pour le mal des yeux : & ont dit que leur chair est plus dure que des Bizets, Pigeons, & Turtrelles : & qu’il est utile d’en manger à ceux qui ont les nerfz retirez, & à ceux qui ont la dissenterië, & qui sont coeliaques.

De la Turtrelle.
CHAP. XX.


TOUT ainsi comme c’est chose inique aller contre l’opinion de ses precepteurs, si lon n’est bien asseuré du contraire, aussi est chose perniciëuse de s’accorder à ce qu’on en ha aperceu autrement : car il fault en touts lieux que la verité emporte la victoire. Parquoy ores parlants du naturel de la Turtrelle, & ne voulants rien dissimuler de ce qu’en avons observé, dirons librement que comme aucuns ont pense que les Turtrelles se cachent, & perdent leurs plumes en hyver, nous les avons veuës au temps d’hyver en Egypte, lors qu’elles nous sont absentes. Parquoy (sauf meilleure opinion) elles sont totallement passageres, & croyons qu’il n’en demeure aucune en noz contrees de France, sinon prisonniere, ou impuissante par maladie. Et s’il estoit vray qu’elles se despouïllassent, & mangeassent leurs plumes, ou se tiendroyent elles en l’hyver ? Nous devons donc penser qu’aussi bien le feroyent elles en cage, comme ailleurs. Aristote en plusieurs passages des livres des animaux disoit. Turtures degut aestate locis frigidis, hyeme tepidis : ideoque aestate tantum apparent. Turtur hyeme se condit aut discedit : nec enim hybernare apud nos patitur : nemo enim prope dixerim, vidisse per hyemem uspiam Turturem dicitur. Latere autem incipit praepinguis, & quanquam pennas in latebra dimittit, tamen pinguedinem servat, etc. Il peut bien estre, que cela se face en quelque contree de Grece au païs d’Aristote, mais il est rare ailleurs, quoy qu’on ait dit des Hirondelles, Milans, & Grues : & que plusieurs autres tels oyseaux, se tiennent cachez en quelque saison de l’annee en certains endroits de noz contrees, serions d’opinion qu’ils sont passagers d’un lieu en l’autre : qui est chose qui nous ha esté assez manifeste en noz peregrinations. Si en ces entrefaictes quelcun disoit qu’il n’en peut chaloir, s’ils s’en aillent ou ne bougent, s’ils se cachent ou ne se cachent pas, lon respondroit que l’observation qu’on fait des choses, est pour s’en asseurer, & ayant sceu la pure verité, personne n’y est jamais trompé. Ceux qui en tel cas sont trompez par ignorance en sont escusez, sçachant que la conscience de l’homme est tousjours devers la verité. Les corps des animaux ont à faire de nourriture pour se maintenir : parquoy il est mal-aysé qu’ils puissent vivre si long temps sans manger : car mesmement les bestes terrestres, qui se cachent es pertuïs en hyver, font amas des l’esté, pour leur provision de l’hyver. Quant aux Serpents, ils sont d’autre temperament qui peut durer plus long temps sans manger que les oyseaux. Les Turtrelles ont bruit d’estre chastes, & de ne chercher compagnie, quand l’une des partiës est trepassee. Aristote ha escrit au septiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, qu’elles vivent huit ans. Il y ha un poisson en la mer, qui ha prins son nom de la Turtrelle : car il est ainsi cendré dessus le dos, & semble avoir les aelles estendues, comme celles de la Turtrelle. Les Latins l’ont nommé Pastinaca. La Turtrelle ha beaucoup de merques aprochantes au naturel des Pigeons, & Bizets, tant en pasture, comme aussi en boire. Et pource qu’on voit la Turtrelle de doulce nature, plusieurs ont prins argument de tromper du cœur des Turtrelles, voulants en faire des pouldres pour l’amour : mais c’est par abus. Possible qu’elles ponnent deux fois l’an, l’une fois en ce païs, l’autre es regions chauldes : car nous les avons seulement en Europe en temps d’esté. Elle fait son nid à la summité des arbres, & esclost deux petits, & vole encor plus roide que les Ramiërs, & Pigeons, & est de moindre corpulence, & moins souvent prinse des oyseaux de proye. Elles ont la voix haultaine : mais ne chantent, sinon quand elles sont en amours. Celles qu’on nourrist en cage n’ensuyvent la loy des sauvages : car elles font bien souvent des petits chacun an, & sont de blanche couleur. Galien ha beaucoup parlé du temperament de la chair des Turtrelles : car au livre des aliments, il dit en ceste maniëre : Turtur temperamento est sicca, & possimum quae in montibus degit. Recens tamen non Turtur modo non est non danda, sed ne Perdix, nec alia omnia, quae carnem habent moderate siccam. Perdices vero ac Turtures neque durissimas habent carnes, neque concoctu difficiles, neque pravo succo vitiosas. Parquoy il apert selon son opinion, que la chair des Turtrelles est delicate à manger, & de bon nourrissement : mais en autre lieu disoit qu’elle est plus difficile à digerer que les Pigeons, Grives, & Merles. Aristote au premier chapitre du neufiesme livre des animaux, dit qu’elle ha inimitiez avec l’oyseau nommé Luteus : mais estant la plus foible, demeure vaincuë, & tuee. Elle se combat aussi avec l’oyseau que les anciens nommoyent Pyralis, qu’on dit en Latin Ignaria.

Des Bisets.
CHAP. XXI.


LES Bisets sont passagers, tout ainsi que les Turtrelles : & sont ainsi nommez en Françoys à cause de leur bise couleur : encor disons du pain bis, à cause de sa couleur. Aussi est-ce de la que les Grecs le nommerent Pelias, & qu’on ha tourné Livia en Latin. Pour passagers, entendons qui s’en vont loing oultre la mer : Car quant est à ce que les uns laissent les lieux umbrez en un temps pour venir au descouvert en l’autre, nous appellons cela se muer seulement de place. Ceux qui pensent que les Pigeons fuyards prennent leur origine des Bisets, sont trompez : car les fuyards ont evidence distinction de couleur, comme lon voirra par cy apres. Aristote ha moult bien descrit les Bisets : car comme les pieds, & le bec, & la couleur les font seulement sembler differents aux fuyards, Aristote au cinqiesme livre des animaux chap. XIIJ. dit : Columbacei vero generis plures species sunt : est enim Livia dicta ha livore, diversum certe à Columba genus, quippe quae minor, quam Columba sit, & minus patiens masvescere. Livet etiam plumis & pene nigricat, & pedibus rubidis scabrosique est : quas ob res nullus id genus callare ait. C’est à dire, qu’entre les especes des Colombes, l’une est nommee Livia. Car Livor est à dire comme couleur bise, les autres dient couleur de plomb. Aussi est different à une Colombe, d’autant qu’il est moindre, & ne peut estre apprivoisé, & que leurs plumes sont de couleur si livide qu’elle en est quasi noire, ayants les pieds, & bec rouges, & moult raboteux, & qui ne se peuvent renfermer en lieu clos. La difficulté est maintenant à sçavoir, si nostre Biset, que disons avoir esté nommé en Grec Pelias, & en Latin Livia, est une mesme chose avec Vinago, qui estoit nommee en Grec Inas. La difficulté ne nous semble grande : parquoy nous en dirons ce qu’il nous en semble, sans laisser chose en arriere de ce qui nous en donne plus grande approbation : car puisque Pelias ou Livia est nostre Biset, il fault maintenant monstrer en quoy il est different à Vinagro, qu’interpretons Pigeon fuyard. Noz fuyards ne s’en vont point. Aristote au douziesme chapitre du livre huittiesme, ha bien dit que les Bisets, & Ramiërs se partent. Palumbes etiam, dit il, discedunt, & Liviae, nec hibernare apud nos patiuntur : atque etiam Turtures, & Hirundines : sed Columbae manent. Il ne fault donc prononcer qu’Aristote ha nommé Inas, qu’on tourne en Latin Vinago, & Pelias ou Livia, sous divers noms, pour entendre mesme chose.

Des Pigeons Fuyards.
CHAP. XXII.


SOIT qu’on ait nommé les Fuyards à cause des Fuyes, ou pource qu’ils fuyent, pour n’estre si privez que les Pigeons, toutesfois on lit au treziesme chapitre du cinqiesme livre des animaux, en ceste maniëre. Maximo inter haec genera corpore sunt Palumbes : secundum magnitudinis locum obtinet Oenas, sive Vinagro : paulo major quam Columbus est : minimum ex iis Turtur est. Et au troisiesme chapitre du livre huittiesme, il dit : Alia frugibus vivunt ut Palumbes, Columbus, Vinago, Turtur. Vinago Autumno potissimum & conspicitur, & capitur : cui magnitudo major Columbo, minor quam Palumbi est. Et au premier chapitre du sixiesme livre de l’histoire dit : Columbae autem, Palumbes, Turtur, Vinago, bina pariunt ova. Sed Columba vel decies anno. Voila donc comme il parle de Pelias & de Inas, ou Oenas, c’est à dire des Bisets, & des Fuyards, en diverses sortes & en divers chapitres. Mais dirons quel argument peuvent avoir eu aucuns de penser que Livia & Vinago estoyent synonimes. C’est, qu’ils se sont imaginé qu’il n’est pas impertinent, qu’un oyseau ne puisse bien obtenir deux noms. L’un Inas ou Oinas, à cause qu’ils se nourrissent des pepins, apres qu’on ha pressé la vendange. Parquoy voyants les passages d’Aristote, ou il nombre les especes de Colombes, il semble qu’en iceux il n’ha comprins les Bisets, sinon sous le nom de Vinago. Donc n’avons voulu nous accorder à telle opinion, & permettre que le Biset feust mesme chose, avec celuy qui est nommé Oinas, ou Inas en Grec, & Vinago en Latin : duquel parlerons en ce present chapitre, ayants des-ja fait mention de Livia. Les grands colombiers de dessus les champs ont obtenu le nom de fuyes, à cause des Pigeons fuyards, qui toutesfois sont aussi trouvez es autres païs de Grece, & en Asie ne s’enferment non plus que les Bisets. Il n’y ha aucune Pigeon sauvage que le Fuyard, & le Biset : mais nous les avons aucunement aprivoisez pour en avoir profit. Si donc il s’en trouvoit quelque ramage, nous le voudrons bien advouër, & maintenant pour Inas, ou Vinago. Il est de plus grande corpulence que le Pigeon : car Aristote dit : Vinago paulo major q uam Columbus est : minor quam Palumbus. Pline pouvoit faire quelque mention, tant des Bisets que des Fuyards, & toutesfois n’en ha onc parlé. Il avoit peu lire en Aristote tant l’un que l’autre, en la mesme clausule qu’il ha traduicte des Ramiërs. Tant les Bisets que Fuyards font leur aire le long des rochers precipiteux, sur les costes des mers Orientales, & au Peloponese : car nous sçavons en avoir veu desnicher le long de la coste de l’isle de Cerigo. Aristote dit qu’on le voit principalement & qu’on le prend au Autonne : & que la maniëre de le prendre est, quand il s’est baissé pour boire. Nous pensons que c’estoit avec un retz saillant. Encor dit qu’il venoit en Grece, lors qu’il avoit eslevé ses petits.

Des Pigeons.
CHAP. XXIII.


IL Y ha trois principales maniëres de Pigeons, combien qu’il y en ait encor quelques autres : les uns sont blancs, qui sont particulierement nommez Pigeons domestiques : les autres sont bis, & tachez de noir sur les aelles, qui sont nommez Columbae saxatiles en Latin, ou Turricolae, qui sont de l’espece de ceux qu’avons nommez Vinagines, & descrits au precedent chapitre. La tierce espece est meslee des deux susdits, qu’on pourroit nommer en Latin Miscellum, ou Gregale : car ce sont ceux des colombiers. Les pigeons Fuyards sont de plus grosse corpulence que les privez. Parquoy il y ha apparence qu’on les peut minatenir estre ceux dont Aristote ha fait mention, qu’il nomme Vinagines. Nous avons prouvé que les Bisets sont ceux, qu’Aristote ha nommé Peliae. Parquoy voulants maintenant parler des Pigeons nommez en Grec Peristerae, & en Latin Columbae, sçachant qu’ils n’y ha contree ou ils ne soyent cogneuz, ne nous ha semblé chose oyseuse les descrire par le menu. Sejournant en Paphlogonië, trouvasmes chose fort nouvelle, voyants quelquesfois les Pigeons monter à l’effort en l’aer si hault qu’on les perdoit de veuë, qui retournoyent en leur pigeonnier sans se escarter : car toutes nations, & de toute antiquité ont nourry des Pigeons es pigeonniers dessus leurs maisons. Les nations Françoyses y ont maintenant plus grand revenu que ceux des autres païs du levant, qui ont cessé d’avoir des colombiers. Lon trouve qu’on estimoit tant la race des bons Pigeons à Rome, que l’ordinaire estoit d’en vendre la paire quatre cents deniers, qui estoit environ trente escuts & demy, pour les tenir es tours des maisons, tant ils faisoyent grand cas d’en avoir d’une certaine race. Les mariniërs en nourrissent sur leurs navires, & principalement ceux d’Egypte, combien qu’en puisse aussi voir sur celles des Grecs de Crete & Cypre. Il ne sera donc mal aysé croire qu’ils font cela, à fin que s’aprochants de leurs contrees, & chassants les Pigeons de leurs navires, ils aillent devant faire entendre les nouvelles que leurs maistres retournent à la maison. C’est chose conforme à ce que Pline escrit au trente-septiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle : quand il dit : Quid vallum, & vigil obsidio, atque etiam retia praetent a profuere Antonio, per coelum eunte nuntio ? Car on leur attachoit des lettres aux pieds, qu’ils emportoyent en la maison de la ville de Modena, qui estoit lors assiegee. Les Pigeons des fuyes, & colombiers sont moins privez, que ceux qu’on nourrist par les maisons : dont les uns sont privez & patuz, les autres ne le sont pas. Parquoy nous accorderons volontiers qu’il y ha eu de touts temps de diverses races de Pigeons assez communs en Italie, & rares en France. Lon en trouve une espece qui sont grands comme Poulles : mais qui penseroit que les anciens ne les eussent cognuz, seroit trompé : car Pline dit qu’on les avoit aussi anciennement à Rome : escrivant au lieu susdit, en ceste maniëre. Quin & patriam nobilit avere, in Campana grandissimae provenire existimatae. Parquoy pensons que ne faudrons de nommer tels grands Pigeons, à l’imitation de Pline, Columbas Campanas. Les Pigeons ont cognoissance de touts les oyseaux de proyë : car lors qu’ils les aperçoyvent, cognoissans ceux qui prennent leur pasture en volant, ne se bougent : & si ce sont de ceux qui prennent leur pasture en terre, ils le gaignent à fuïr. Et en volant font bruit de leurs aelles, frapants des plumes par dessus le dos les unes contre les autres : ce qu’on les juge faire en signe de mespris de leur ennemy. Mais iceluy usant de plus subtil moyen, & se tenant caché entre les arbres fueilluz, les ravist à la desrobee, les punissant de leur trop grand orgueil. Les Cresserelles ont amitié avec les Pigeons : parquoy entreprennent souvent leur querelle, & les deffendent des oyseaux, dont ils sont assaillis. Ils s’entretiennent masle & femelle sans s’entremettre avec les autres, recognoissants tousjours leur premiëre demeure, n’estoit que l’un d’eux fust trespassé. La distinction des masles, est telle, que les jeunes ne couvrent les femelles, qu’ils ne les baisent à chacune fois : mais les vieux baisent la premiëre fois seulement, ne laissants de reïterer tel devoir sans se baiser. On les voit rouër entour elles, espanouïssants leurs queuës, & chanter infiniës chansons, & mille prieres amoureuses, & toutesfois l’amour des femelles est esgale envers eux. Ils se combatent pour elles, & de grande asseurance s’entredonnent des coups de leurs aelles par la teste, & se arrachent des plumes les uns aux autres. Aristote au sixiesme livre des animaux chapitre second, nous est autheur, que quelquesfois les femelles s’entresaillent en deffault du masle, & s’entrebaisent au paravant, & que combien que l’une n’envoye rien en l’autre, elles font des œufs plus que si c’estoit du masle : toutesfois ils sont inutiles, & desquels ne se peut esclorre aucune chose : car nulle femelle ne peut engendrer animal vivant, sinon par la conjonction du masle. Voila donc cinq especes qu’on attribuë aux Pigeons : c’est à sçavoir, Ramiërs, Bisets, Fuyards, Turtrelles, & Pigeons privez. Quelquesfois les Poëtes Grecs prennent Pelias, pour signifier les Pigeons. Varro, & tels autres, qui ont escrit des choses villageoises, ont entendu deux especes principales des Pigeons : l’une plus gentile, telle que sont maintenant noz privez : l’autre plus paoureuse, qui est agreste, & sauvage, qu’on nomme en Latin Saxatilis, faisant son nid dedens les tours, dont elle est appellee Turricola. C’est telle espece de Pigeons que Galien nomme Pirgitis, & autrement Peristeranomas. Ils sont ainsi paoureux, comme les Fuyards. Il y en ha qui se tiennent es creux des arbres, sçavoir est ceux qu’avons nommez Vinagines. Mais de ces deux especes, en est faicte une tierce de moult grand revenu, qui sont ceux que nous nourrissons es colombiers, nommez en Grec Peristerotrophion, ou Peristereona, dedens lesquels les Pigeons se retirent la nuit, & eslevent leurs petits.

Du Merle bleu.
CHAP. XXIIII.


POURTANT si descrivons l’oyseau, qu’Aristote au vingt-uniesme chapitre du neufiesme livre des animaux, ha nommé Cyanos, & Gaza Coerulco, & que l’appellons de nom Françoys, Merle bleu, ce n’est pas à dire que l’ayons onc ouy nommer de ce nom Françoys, qui eust esté prononcé de quelque autre : mais pource que nous trouvants en la ville de Ragouse en Esclavonië, avec les paisans, desquels le vulgaire est de diverses langues, les uns parlants Italien le nommoyent Merlo Biavo, les autres qui parlent Grec vulgaire le disoyent Petrocosipho, & ceux qui parlent Esclavon l’appellent simplement un Merle. Il chante en cage, tout comme un Merle, mais d’une voix plus plaisante : qui est la cause pourquoy les paisans qui habitent par les haults rochers d’Esclavonië, les vont desnicher, & les apportent vendre à la ville. Tels oyseaux ne peuvent estre veuz en nostre France, qui ne les y apporteroit des estranges païs : car ils font leur nid à la summité des haultes montagnes des aspres rochers, comme avons peu avoir veu en Crete, & en l’isle Citheree, Corfou, Alzante, & Negrepont. Aristote parlant au lieu susdit de ce Merle bleu, disoit qu’il est communement veu par les rochers de l’Isle de Schyros : Aristote, qui estoit lors en Athenes quand il escrivoit son histoire, envoyoit gents en diverses contrees, qui luy apportoyent les animaux de toutes parts, comme aussi de l’Isle de Schyros, en laquelle nous sçavons qui’l y ha de haultes montagnes, & qu’elle est moult aspre de rochers. Pour faire brieve description de cest oyseau, qui vouldra faindre voir la stature d’un Merle de petite corpulence, de couleur bleuë, ayant les pieds, & le bec de Merle, il concevra lá naïfve perspective de cest oyseau. Il est criard, & ne descend guerers en la plaine pour se paistre, & fait jusques à cinq petits, & est d’aussi bon manger comme le Merle noir, & vole beaucoup mieux. Son pasturage est de mesme celuy du noir.

Du Merle blanc.
CHAP. XXV.


ENCORES est pour le jourdhuy asses rare de voir un Merle blanc, tout ainsi qu’il estoit du temps des Romains. Car Varro au tiers livre de la chose rustique parlant des Poulles sauvages, monstre asses que les Merles blancs estoyent rarement veuz à Rome. In ornatibus publicis (dit il) solent poni cum Psittacis, ac Merulis albis, item id genus rebus inusitatis. Aristote au dix-neufiesme chapitre du neufiesme livre des animaux ha fait mention d’un Merle blanc, en ceste maniëre. Le Merle blanc (dit il) est grand comme le noir, ayant la voix de mesme maniëre : mais est seulement familiër en Arcadie, en la contree de Syllene, & n’est jamais trouvé en autre lieu. Aristote parlant de telle asseurance, ce faisoit fort du recit des gents du païs : mais nous croyons que si Alexandre eust aussi bien commandé en Savoye & Auvergne comme en Arcadie, & qu’Aristote y eust envoyé ses oyseleurs, possible n’eust il dit : Nec usquam alibi nascens : Car les paisans des païs qu’avons dit, luy eussent fait voir le contraire. Et pour le faire bref, n’ayant difference entre luy & le noir, ne en la grandeur, & corpulence, becs, pieds, & jambes, & estant de semblables meurs & pareil chant, ne luy voulons faire particuliëre description plus claire, que de dire, qu’il se fault imaginer voir un Merle noir estre totalement blanchy : alors lon aura la semblance du Merle blanc : car ce blanc ha mesme maniërre de faire son nid, & d’eslever ses petits comme le noir, hors-mis qu’il ne peut estre veu que en païs de montagne, sçachant qu’il ha cela de particulier, qu’il ne descend ça bas pour y faire sa demeure : & à le manger on le trouve de mesme goust que le noir. Nous entendons selon sa nature : car qui en nourriroit en cage, on le pourroit voir dessous terre : joinct qu’encor pour le jourdhuy lon en peut voir en quelques villes es plaines de France, qu’on y ha apportez de la montagne.

De la tierce espece, qu’on nomme Merle au Collier.
CHAP. XXVI.


Savoisiens, & touts autres peuples habitants entre les haultes montagnes, & principalement au territoire d’Ambrun, & vers saint Jan de Moriënne, cognoissent une maniëre de Merle, qu’ils nomment Merle au collier, qui est si frequent en ces lieux lá, qu’on n’y voit autre oyseau plus commun. Lors que le veismes pour la premiëre fois, pensasmes bien que ce fust quelque chose de rare, luy voyant un collier gris, comme à la Perdris franche, & à la Cane petiëre masle. Mais voyants qu’aucuns paisans n’ignorent son nom, nous sembla bon enquerir si Aristote en avoit point fait de mention. Soudain trouvasmes qu’il les ha cognuz, disant qu’on en trouve de tels en Grece : car apres qu’au dixneufiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, Aristote ha parlé du Merle noir & du blanc, voila comme il dit. Il y ha encor un autre Merle de ce genre, peu moindre que le Merle noir, & qui seroit semblable au noir, n’estoit que son bec n’est rouge, habitant par les haultes montagnes, & lieux couverts, & n’est de couleur si noire, mais fauve. Cela disoit Aristote, qui est la vraye description de ce Merle au collier. Ce Merle lá ayant le bec, les pieds, le cry, la façon de voler, & de faire son nid, comme aussi la contenance ainsi que le Merle, & la couleur du plumage telle qu’ha dit Aristote, avons facilement conclud, que c’est luy qu’Aristote ha entendu pour la tierce espece de Merle. Soudain qu’on ha laissé la montagne d’Ambrun, & qu’on est devallé en la plaine, lon n’en trouve plus : & toutesfois estants la hault il y en ha si grande quantité, que les hostes festient les passans au lieu d’autre gibbier. On les trouve de mesme goust, qu’on fait noz Merles noirs, & vivent de telles viandes.

Du Merle de bresil.
CHAP. XXVII.


CEUX qui font le traffic de marchandises es terres neufves, ne perdent les occasions de recouvrer les singularitez, qu’ils pretendent vendre par deça : Car mesmement ne pouvants apporter les oyseaux de ce païs lá en vie dedens leurs vaisseaux, les escorchent pour en avoir les peaux : & principalement ceux qui sont de plus belles couleurs, desquels est celuy que descrivons maintenant, & duquel les mariniërs font leur profit, luy ayants donné le nom de Merle de bresil. Il n’est du tout si gros qu’un Merle, ayant les plumes de tout le corps, excepté la queuë, & les aelles (qui sont de fin noir) plus rouges, que n’est toute autre couleur rouge. Il est impossible que l’artifice humain puisse faire une couleur rouge, qui n’en soit effacee, la mettant en comparaison de ses plumes. Sa queuë est longue : ses pieds, & jambes sont noirs. Son bec est court de la façon de celuy d’un Moyneau : ses plumes rouges sont noires à la racine. Il en ont peu aporter en vie jusques en noz rivages. Lon en trouve plusieurs peaux toutes entiëres, lesquelles lon pourroit conferer avec le portrait qu’en donnons, aussi parfait, que si l’oyseau estoit plain de vie.

Du Merle noir.
CHAP. XXVIII.


ARISTOTE au dixneufiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, ha fait expresse mention de trois especes de Merles : mais le noir en est la principale. Varro en son livre De lingua Latina, rend la raison de son Ethimologie Latine, voulant qu’on l’ait ainsi dit, Mer la quasi mera : pource qu’il ne vole en compagnie, se trouvant ordinairement seullet. Encor y ha un poisson, qui ha prins l’appellation du Merle, comme il appert en noz livres De aquatilibus. Chacun sçait qu’il est de couleur noire, & que son bec devient jaulne, en vieillissant, comme celuy de l’Estourneau. Les anciens ont pensé qu’il y eust amitié entre les Grives, & Merles. La femelle est plus plate que son masle : parquoy lon trouve manifeste difference entre eux deux. Aristote observant ses meurs, dit qu’il baiguoye, & gazouïlle en hyver, mais l’esté il chante en faisant grand bruit à gorge desployee : & qu’il se muë de couleur, estant plus noir l’esté que l’hyver. Le Merle fait son nid avec de la terre, rond, & descouvert, mettant au fond de la laine, ou autre chose molle. Lon ha opinion qu’il fait deux fois ses petits par chascun an : & par ce commence de bonne heure des le printemps avant les autres oyseaux. Il mange de toutes maniëres de viandes, Verms, semences, & fruicts. Et pource qu’il est si vulgaire, & qu’on le cognoist pour son chant haultain en touts lieux, & qu’on le nourrist en cage, il n’y ha personne qui l’ignore. Les medecins tiennent qu’il engendre bonnes humeurs, acomparants sa chair à celle de la Grive : aussi ont maintenant coustume de conceder aux malades d’en manger, l’estimants de facile digestion.

De l’Estourneau.
CHAP. XXIX.


L’ESTOURNEAU est tant cogneu d’un chacun, qu’il n’est ja besoing d’en parler par le menu. Il ha esté nommé des Grecs Psaros, & en Latin Sturnus. Mais pource qu’il est taché, & ha diverses couleurs, & que la pierre Thebaique, dont sont entaillez les grands obelisques & grosses colosses des Egyptiens, est quasi semblable en couleur à son plumage, les anciens nommerent icelle pierre Psaronium. L’estourneau est un peu plus petit que le Merle, aussi est du nombre de ceux qu’on nourrist en cage pour apprendre à parler : qui n’est chose moderne : car Pline au chapitre quarente-deuxiesme du dixiesme livre de l’histoire naturelle, dit, que de long temps les fils de l’Empereur avoyent un Estourneau qui parloit Grec, & Latin. Il est de couleur changeante, de mesme le collier d’un Ramiër, & madré de merques tannees par tout le corps, meslees de gris, & de cendré, semees seulement sur le bout des plumes : lesquelles ne sont communement comme celles des autres oyseaux, d’autant qu’elles sont plus estroictes & longuettes, comme sont celles qu’on voit autour du col des Chapons. Et comme l’Ostarde, la Cane petiëre, le Tercot, la Grive ont leurs taches diversement dessus les plumes, quasi depuis la racine : aussi l’Estourneau les ha seulement merquees par les bouts. Les jeunes ont le bec de couleur de corne, quasi aussi long & large, & quelque peu courbé en faux, comme celuy du Merops, & qui devient rouge en vieillissant, ainsi comme au Merle. Les plumes de ses aelles & queuë sont brunes, bordees de tanné. Les Merles vont à grandes troupes en toutes saisons de l’annee, fors qu’au temps qu’ils nourrissent leurs petits. Ils font leurs nids dedens les creux des chesnes par les forests, ou dedens les pertuïs des haultes tours. Et pource qu’en prenant leur pasture ils mangent indifferemment toutes sortes de viande, ils font moult grands dommages sur les vignobles. L’observation du masle à la femelle sert beaucoup pour les avoir bien chantants : car la femelle n’apprend si bien à parler, que le masle. Parquoy pour les discerner, on leur regarde la langue. Les masles l’ont poinctuë par le fin bout, mais les femelles l’ont fourchee. Les jeunes sont si semblables à un jeune Merle, qu’on ha peine à les cognoistre. Et pource qu’on en prend grande quantité, on ha acoustumé de les avoir en delices. Les Medecins modernes accordent qu’ils sont de gros aliment. C’est merveille si les anciens n’en ont parlé. Les oyseleurs, qui en ont prins en vie, leur attachent quelque long fil aux jambes, bien englué, & allants vers une grosse trouppe d’Estourneau, le laissent voler parmy les autres : celuy qui emporte ce filet englué, s’entre-mesle avec les autres, & est cause d’en engluer quelquesfois une douzaine pour un coup, qui tombent à terre avec luy : car ils volent pres à pres l’un de l’autre. Quelquesfois l’Esmerillon s’essayant d’en prendre quelcun de leur troupe, donne plaisir à ceux qui regardent le combat : car encor qu’il se mette au milieu de la volee, la multitude l’empesche, qu’il n’en peut chosir aucun. S’il les trouvoit seul à seul à l’escart, il en viendroit à bout bien aysement : mais ils volent en troupe pour plus grande seureté.

De la Paisse solitaire.
CHAP. XXX.


LES hommes, qui font leur residence en un lieu, ne peuvent avoir l’intelligence des choses qui sont esloignees d’eux, s’ils ne l’ont par escrit. Il y ha un milion d’hommes excellents en toutes sciences, vivants pour le jourdhuy en divers lieux, & doctes es langues, qui en leur vie ne virent lieu precipiteux, & ne se sont trouvez en passage dangereux, qui ne laissent pourtant à bien parler de toutes choses : entre lesquels si tenions propos de l’oyseau dont pretendons maintenant parler, possible qu’ils en voudroyent estre creuz : tant chacun presume de son sçavoir. Nous deduisons maintenant un oyseau que le vulgaire ha voulu nommer une Paisse solitaire. Si maintenant nous voulons enquerir la raison, il ne sera trop difficile de la trouver : c’est que les habitants des lieux abismez entre les montagnes, trouvants un certain oyseau faire son nid es precipices des rochers, l’ont jugé solitaire. Et pource que ce passage de l’escripture, qui est au Psalme de David cent & uniesme, ou il est dit, Passer Solitarius in tecto, est commun à plusieurs : tout ainsi leur ha esté facile imposer tel nom à un oyseau, qu’ils cognoissent aimer à se tenir au desert. Au commencement que le veismes, le pensasmes seurement nommer Charadrias : mais ayants leu quelques merques de luy, tant en l’histoire Ethyopique, & Aristophanes, comme en ce qu’Aristote en ha escrit, sommes resoluz de croire qu’il est oyseau different à la Paisse solitaire : chose qu’avons fait apparoistre en son propre chapitre, en descrivant les oyseaux de nuict. Ceux qui hantent & habitent par les montagnes, oyants une douceur ramage au chant des oyseaux champestres, prennent garde ou ils font leurs petits, à fin qu’en les denichant, ils ayent profit dessus : car ils les vont vendre aux villes prochaines. Et nous, qui souvent nous sommes trouvez à les voir denicher, avons observé les meurs tant du masle, que de la femelle. Ceste Paisse solitaire tient beaucoup du Rossignol, aussi en ha elle la contenance, & est de la grosseur d’un Mauvis. Celuy à qui lon feroit voir un tel oyseau, & qu’on ne luy eust point dit son appellation, penseroit facilement que c’est une espece de Grive : car toute la couleur de ceste Paisse solitaire est ainsi grivelee. Il y ha distinction du masle à sa femelle, c’est que le masle est plus hault en couleur. Le champ des plumes, principalement de dessous la poictrine, & des deux costez est de couleur de dacte : mais ses taches sont de diverses couleurs. Le champ du dessus du dos est cendré, taché de faulve : la queuë de couleur rousse, tout ainsi comme le Rossignol, laquelle il remuë apres avoir volé ou marché en avant. Ils ha le bec rond, poinctu, & blanchastre, quelque peu obscurcy de noir par le bout, & beaucoup plus fort que celuy d’une Grive, & Merle : toutesfois il se repaist de chair : car il mange des insectes en vie. Il ha les jambes, & pieds comme celles d’une Grive, & sont de mesme couleur, & les yeux de mesmes, qui sont bordez de plumes blanches. C’est par merveille si lon voit un tel oyseau voler en basse plaine, ou par les vallees. Il faut aussi sa demeure quelque temps de l’annee dessous les tuilles faictes en forme concave, qu’on nomme imbricees, par les chasteaux situëz en hault lieu entre les montagnes, comme il apert par quelques lieux d’Auvergne. Telles Paisses solitaires ont ja esté veuës en noz plaines de France, qu’on y voit aportees en cage, & renduës privees : car mesmement le Roy Françoys amateur & curieux des choses vertuëuses, en ha autresfois tant estimé le chant, qu’il s’en delectoit autant ou plus que de nul autre oyseau. Le chant de cest oyseau solitaire estant doux, & peu violant, en est trouvé de bonne grace, attendu qu’il chante aussi bien la nuit comme le jour, au moins quand il voit la clarté de la chandelle. Et ne luy sçachants aucun nom ancien, avons seulement mis le moderne. Pour ne dissimuler le bien dont il vient, & le sçavoir des personnes, advouons que comme M. Jan Brinon, seigneur de Villaines, nous ha aidé en noz necessites, lors qu’estions en ce prochas, selon qu’il est liberal envers toutes personnes qui s’adonnent à choses vertueuses : aussi M. Loys Chesneau, qu’on nomme Querculus, principal du college de Tours à Paris son precepteur, & lecteur public en Hebreu, nous ha communique maints bons passages des escritures sainctes sur ceste matiere de noz oyseaux, qui autrement nous eussent esté difficiles. Il est d’opinion, selon qu’il apert en ses commentaires sur certains endroits de la Bible, que pour Passer solitarius, lon pourroit entendre tout oyseau solitaire : comme qui diroit, Avis minime gregalis : ou si lon pouvoit dire Avis solivaga.

De la grande Grive, qu’on nomme autrement à Paris de faulx nom, une Calandre.
CHAP. XXXI.


LA DIFFICULTE que chacun qui parlera des oyseaux trouvera en la Grive, sera soudain esclaircie, moyennant qu’on en constituë trois especes, à la maniëre des Grecs, & Latins. Ceux de Paris au lieu de nommer l’espece la plus grosse de son nom propre une Grive, l’appellent une Calandre : mais c’est par erreur. Il est manifeste que la Grive ha ainsi esté appellee de sa couleur : car encor pour le jourd’huy disons une chose grivelee, quand nous la voyons estre tachee de noir sur le gris, ou autre telle couleur. Aussi n’y ha il oyseaux plus madrez devant l’estomach, que sont les Grives : mais elles ne sont pas ainsi dessus le dos : car ne la teste, ne le col, ne les aelles n’ont enseignes. Les habitants du Lionnois la nomment une Ciserre. La grosse surnommee Calandre, laquelle Aristote compare en grandeur à la Pie, tient le premiër lieu en ce genre. Il y en ha trois especes, qui sont cogneuës, & distinguees de propres noms Françoys : car apres celle qu’ils nomment la Calandre, qui est la vraye Grive, est cogneuë l’autre espece, qu’ils nomment simplement Grive, tiercement le Mauvis, quartement la Litorne ont esté nommez d’un seul nom Grec Ciclae, & des Latins Turdi : Mais Aristote les yant specifiez au vingtiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, attendu que la Grive vivoit de Guis, par ce la surnomma Viscivorum. L’autre ha esté nommee de nom Françoys simplement Grive, & aussi Litorne, & en Latin Pilare. Le Mauvis est le moindre qui ha esté nomme Iliacum. La Grive surnommee Calandre est moins commune, que les deux autres moindres especes : car elles apparoissent la plus part de l’annee, au contraire de la premiëre espece, qui nous apparoist seulement en l’hyver. On les garde en cage, pource qu’elles chantent plaisamment, qui n’est chose moderne : car nous trouvons que Agripine, femme de Claude Cesar, avoit une Grive qui proferoit les mots en parlant, qui estoit au temps que Pline escrivoit son histoire. Il semble que les Romains les ayent engressees en cage, pour les vendre en plain marché : car Varro dit, que le fumiër prins des cages des Grues est le meilleur qui soit pour engresser les champs. Martial dit, Inter aves Turdus, si quis me judice certet, Inter quadrupedes gloria prima Lepus. Maintenant que voulons donner enseignes de la Grive, dirons qu’elle est beaucoup plus grande qu’une Litorne. Aristote au lieu susdit, l’ha comparé à la grandeur d’une Pie. Or est-ce qu’elle ne tient constamment sa couleur, comme aussi Aristote l’ha bien observé : toutesfois la plus commune est, que le dessus de sa teste & du col, est quelque peu plus obscure, & undoyee de couleur plombee, que la Litorne. Les extremitez des plumes de ses aelles, & de la queuë, qui est asses longuette, sont quelquesfois bordees de blanc. Elle ha les pieds, & les jambes de couleur blanchette, tirant sur le jaulnastre. Les oyseleurs, qui ont moyen d’engresser les Grives, & touts autres oyseaux, qu’ils prennent en vie, les mettent dedens une voliere, qui ha l’huis bas, & estroit, en lieu obscur : & font venir l’eau leans par conduits estroits, à fin que les oyseaux ne soyent mouïllez, & gastez de la fange. Aussi fault ne laisser grande clarté leans, à fin que les oyseaux enfermez ne voyent les oyseaux de dehors, ou des arbres, ou autre chose qui les amusast, disirants liberté : car cela les amaigriroit. Aussi fault que la muraille soit moult bien garnie de paulx fichez, & perchez pour assoir les oyseaux. L’apast des Grives doit estre avec des figues batuës & de l’espeautre, que les Italiens nomment du Far : car les Grives ne peuvent vivre de grains. Encor fault avoir egard, que quand lon en prendra une partie pour tuer, on n’effarouche point les autres : car oultre ce qu’elles ne s’engraisseroyent, se laisseroyent mourir. Ceux qui les sçavent gouverner doulcement, les engressent à moult grand proffit. Les saulvages mangent aussi la faine, & vivent du guis des arbres. La Grive, surnommee Calendre, le Mauvis, & la Litorne ont un petit bec court, mais la vraye Grive l’ha plus jaulne. Lon ha acoustumé de mettre des pots pour attirer les Grives à faire leurs petits sur le hault de quelque arbre : autrement estants saulvages, ont acoustumé de le faire de fange à la maniëre des Merles : mais la Grive l’encruche beaucoup plus hault, & aussi le fait de plus grande industrie. Nous voyons les petites Grives en touts temps, combien qu’il semble qu’elles s’en partent hors du païs d’Aristote : car il dit qu’elles se cachent, & de fait elles vivent l’esté des guis des arbres de Sapins, mais l’hyver vivent des semences des guis sur les arbrers fruictiers. Les medecins anciens dient, que la chair des Grives est plus dure que celle des Poulles, Perdris, ou Francolins : mais qu’elle engendre bonnes humeurs, & que sa chair n’est excrementeuse. Lon ha acoustumé de les farcir avec des baques de Mirthe, & les rostir, pour donner à manger à ceux qui ont le flux de ventre. Les Grecs voyants les Grives se repaistre des graines de Lentisques, les nomment Scynopoulli. Comme aussi estants frequentes au païs des Myrthes, dient Myrthopoulli. Ceste grande est de plus excellent goust que les trois autres.

De la petite Grive.
CHAP. XXXII.


CE NOUS eust esté mesme chose avoir descrit la petite Grive au chapitre de la grande, sans en faire particuliëre d’escription separee : toutesfois nous l’avons fait pour rendre meilleure intelligence de quel oyseau pretendons parler. Ceste petite est celle que nous voyons communement voler à grandes troupes, & qui est la plus commune en noz plaines de France : & laquelle lon maintient pour la vraye Grive, combien que ce ne la soit pas, qui ne la dit estre la petite espece. C’est donc à bon droit qu’Aristote, au vingtiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, en ha fait diverses especes en un mesme genre. Nous avons l’authorité de gents de ce royaume, hommes sages, & doctes, & constituëz en dignité, à qui avons fait voir qu’il y ha des vrayes Grives en ce paÿs cy, & qu’on en prend aussi l’hyver : ils nous seroyent tesmoings d’avoir veu la grande Grive une fois & demië plus grande que la petite, qui est de la corpulence d’un Merle, celle des-ja qu’on nomme vulgairement Grive : n’ayants autre difference entre eux, sinon que la grande est beaucoup plus madree de moindres taches. Leurs becs, jambes, & pieds sont de mesme couleur. Et à fin qu’on ne pensast que les plus grandes soyent les plus vieilles, & les petites plus jeunes, voulons faire sçavoir que ce sont especes differentes, par ce mesmement qu’elles sont de mœurs differentes, & que comme la grande est rarement prise en noz contrees, aussi la petite est rare au lieu ou il y ha grande quantité des grandes. Les grandes se paissent d’olives, & les petites de guis : combien que mesme viande puisse paistre toutes les deux. Or puisque il y ha si grande affinité entre les deux, qu’on s’imagine l’un portraict par l’autre.

Du Mauvis.
CHAP. XXXIII.


PUYS qu’avons ja specifié deux especes de Grives, reste maintenant à parler de la tierce, qui est le Mauvis, voulants que nostre discours suyve le commun parler Françoys. Mais ce faisants pretendons monstrer que ne prendrons si grande licence en toutes les especes, que ne veuïllions bien nous accorder à la commune maniëre de parler : car si d’avanture en faisant telle distinction nommions un oyseau, Mauvis, comme separé de la Grive, & que toutesfois il n’y eust difference sinon en grandeur, ce seroit abuser seulement du terme, & non de la chose : car la description de celuy qu’aurions mal nommé demoureroit tousjours entiëre pour celuy à qui elle appartiendroit : & à fin de ne faire distinction des noms, qui signifient une mesme chose, mettrons pour exemple que Grive & Mauvis soyent synonimes, signifiants tous deux une mesme chose, desquels toutesfois lon on fait distinction. Il est maintenant question, sçavoir à quels oyseaux on les attribuera. Et si davantage les petites Grives d’une annee estoyent dissemblables aux vieilles, & que pour en faire difference l’usage les distinguast de noms propes, les appellants Mauvis, ne fauldrions toutesfois de suyvir telle distinction, & maintenir ceste espece cy pour Mauvis. Mais pource que sçavons pour avoir eslevé les petits de l’un & de l’autre, qu’il y ha difference entre eux, avons bien voulu donner la description du Mauvis. Lon attribuë aussi plusieurs autres noms Françoys à ce Mauvis. Il est nommé en nostre païs du Mans un Touret, de diction correspondente au nom diminutif d’un Tours. Et pour ne nous arrester à telles appellations, voulants plus tost suyvre le vulgaire, dirons que le Mauvis seroit semblable à la petite Grive, n’estoit qu’il est plus mince, & plus jaulnastre sur l’orengé par le dessous, & principalement aux plis des aelles, ayant aussi des taches orengees en chasque costé du col. La couleur de ses plumes du dessus de la teste, & du dos sont tout un : sçavoir est, du tanné sur le gris. Son bec, ses jambes, & pieds retiennent la couleur des Grives. Il est blanc dessous le ventre, comme la Litorne : au contraire des deux Grives, qui l’ont merqueté. Sa queuë, & aelles sont de couleur tannee, ayant les extremitez des plumes du second ordre, un peu tachees de blanc par le bord. Les Mauvis sont coustumiërs de se paistre des raisins, & faire grand degast es vignes, comme aussi font les Estourneaux. Parquoy lon en prend beaucoup en vendanges en diverses maniëres, & principalement avec un instrument qu’ils nomment Bret. On fait cela en maniëre de pipee : car sans Huette, c’est à dire Ulula, l’on n’y fait pas grand chose. Lon en prend aussi aux gluaux, au grand chauld de l’esté, faisant une loge le long d’une mare en une plaine, non trop loing des eaux. On les prend aussi à la volee, comme encor en plusieurs aultres maniëres, que ne mettrons en ce lieu à cause de briefveté.

De la Litorne.
CHAP. XXXIIII.


Maintenant que descrivons les oyseaux en termes Françoys, qu’on oit communement exprimer aux paisans, voulons distinguer les Mauvis, & Grives d’avec la Litorne. Quelques uns la confondent avecques la grand Grive surnommee Calandre, prenants l’une pour l’autre. Parquoy avant que d’en parler plus avant, dirons ce qu’en trouvons. Ceste Litorne est peu moindre que la grosse Grive : mais plus grande que le Mauvis, de la grandeur d’un Merle. Nous avons quelquesfois veu qu’en la vendant on la disoit estre un Merle femelle : de vray elle luy ressembleroit, n’estoit qu’elle ha le dessus de l’estomach jaulnastre, taché de noir, & aussi qu’elle est blanche dessous le ventre. Ses jambes, & pieds sont noirs autrement que la Grive, grande & petite, & le Mauvis qui les ha entre jaulnastres, & blancs. La Litorne est cendree dessus la teste, le col, & dessus le cropion. Le dessus du dos est tanné, ayant aussi la queuë noirastre, comme celle d’un Merle. Les six premieres pennes des aelles sont beaucoup plus noires que les autres d’apres, qui tirent sur le roux, ou tanné. Son bec est beaucou fendu, moins long que celuy du Merle jaulne, pres de la teste, en la maschouëre dembas, & quelque peu noir par le bout. Elle est moins grivelee que la Grive, hors mis aux deux costez de l’estomach, & aux plumes des costez : car le dessous de l’aelle est blanc : & d’autant qu’elle est de moindre corpulence, aussi est moins vendue que la Grive. Parquoy soit en manger ou autrement, la grosse Grive surnommee Calandre, est tousjours preferee à la Litorne. Nous pretendons que c’est elle, qu’Aristote au vingtiesme chapitre, du neufiesme livre des animaux, ha nommee Trichas, de nom Grec, qu’on ha tourné en Latin Pilaris : parquoy entendons nommer ceste-cy, Turdus pilaris.

Du Phenix.
CHAP. XXXV.


SI CE n’estoit que chacun peut voir le plumage d’un bel oyseau estranger, assez commun dedens les cabinets des grands seigneurs, tant de nostre païs que de Turquie, qu’estimions estre le Phenix, nous n’eussions rien eu de nouveau à en escrire apres Herodote, Pline & plusieurs autres autheurs. Ce plumage dont parlons est seulement bourru, & entourné de plumes deliees, qui sont attachees à une peau dure comme cuir, dont le milieu du corps est desnué de sa chair & os : qui, combien qu’ils fussent de petite monstre, toutesfois ont esté ostez de leans, tellement que tout le plumage qui tient à ceste peau est trouvé sans teste & sans pieds. Messieurs Agricola, & Cardan entre les autheurs modernes en ont fait mention : mais pource que le dernier luy ha trouvé un nom trop nouveau, nous l’avons trouvé digne d’en faire mention en ce lieu. Vray est que l’avons nommé au dernier chapitre du premier livre. Estant donc ce corps de plumes sans teste & pieds, M. G. Postel, homme excellent en Hebrieu, Arabe, & Grec, ha prins argument de le nommer Apus, suyvant l’opinion du vulgaire, qui dit que cest oyseau se nourrist de vent en l’aer, sans jamais descendre ne sur arbre, ne sur terre. C’est errer de le nommer Apus : car Aristote au trentiesme chapitre du neufiesme livre des animaux ha ainsi nommé les grandes Hirondelles criardes, qui nous sont communes : par lesquelles lon peut monstrer que ce nom luy est mal imposé. Et pour prouver qu’Aristote n’ha cogneu cest oyseau, metrons ce qu’il en dit au premier chapitre du premier livre des animaux. Animal, quod volucre tantum sit, ut piscis solum modo natatile est, nullum novimus. Nous trouvons des autheurs historiens, qui à nostre advis ont aussi nommé cest oyseau Rhyntaces : duquel ha esté escrit en ceste sorte : Apud Persas avidula gignitur nomine Rhyntaces, in qua nihil invenitur excrementi, sed interna omnia adipe plena. Quo fit ut eam aëre atque rore solum nutriri arbitrentur. Parquoy si estions entrez en opinion que cestuy-cy fust le Phenix ce n’ha esté sans cause : car sçachant bien qu’Herodote, qui estoit long temps avant Aristote, & les autres autheurs Grecs, & Romains en ont parlé, il est tout manifeste, que ce que les autheurs Latins, & Grecs, qui sont venuz depuis luy, en ont dit de bon, ha esté extraict dudit Herodote. Et toutesfois Aristote, qui ha leu les livres d’Herodote, n’ha fait aucune mention du Phenix. Tout ce que Pline ha escrit du Phenix au second chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, parlant de Manilius senateur, est prins d’Herodote : toutesfois Herodote mesme dit n’en avoir veu qu’en peinture. Donc s’il estoit ainsi qu’il n’y eust qu’un Phenix en ce monde, il auroit esté difficile de le faire mettre en peinture, comme disoit Herodote. Lactance, Claudian, Ovide en ses metamorphoses, Solin, & plusieurs autres ont parlé du Phenix. Or Phenix est de diverses significations : car c’est aussi le nom d’une herbe. Soit que nous lisons en la vie de certains Empereurs qu’ils en ont veu vivre en Arabie, cela ne peut engarder qu’il n’y en puisse aussi avoir ailleurs. Le plumage du Phenix (au recit d’Herodote, dont Manilius l’avoit transcrit,) doit estre comme doré, c’est à dire de couleur Phenicee : car c’est de lá, dont le Phenix ha prins son nom, pour la couleur de datte. Ce que ledit Pline ha amplement declaré au quatriesme chapitre du treziesme livre de l’histoire naturelle, parlant de la Palme, en ceste maniëre : At in meridiano orbe pracipuam obtnient nobilitatem Syagri, proximamque Margarides. Et puis apres dit : Una earum arbor in Chor a esse traditur, una & Syagrorum : mirumque de ea accepimus, cum Phoenice ave, quae putatur ex huius Palmae argumento nomenaccepisse, emori acrenasci ex seipsa (quod erat prius) pomis refertam. Il n’est donc impertinent, que l’oyseau, dont Herodite ha parlé, le nommant Phoenix, n’ait par un autre esté nommé Rhyntaces. Ce corps de plumes, duquel parlons n’ha point de pieds : mais nature voulant supplier à ce defaut, ha fait qu’il ha comme deux plumes en chasque costé de la queuë, qui sont longues d’un pied, & recrochees par le bout, & fort dures, desquelles il se pend aux arbres. Nous les avons aussi trouvees en une espece de Barbeau du nil. Nature ha ainsi fait au Phenix pour eviter les inimitiez des bestes qui vivent es païs, ou il se nourrist. Lon met en doute comment la femelle peut couver ses œufs. Parquoy plusieurs pensent qu’elle les mette sur le dos du masle, & qu’elle les couve dessus luy. Les autres dient autrement, pensants qu’il amasse des buschettes, que le Soleil allume par sa chaleur, & que de la cendre il s’engendre un verm, duquel le Phenix est puis apres engendré. Pline parlant des oyseaux, ha fait si grande estime du Phenix, qu’il l’ha mis le premiër en degré apres l’Autruche. Si est-ce, quelque chose qu’il en die qu’il ne l’approuve grandement : car il ha dit en autre endroit : Quippe inter prima proditis etiam ex cineribus Phoenicis, nidoque medicinis, ceu vero id certum esset atque fabulosum. Toutesfois pource que la difficulté est grande à prouver, que c’est le Phenix que descrivons, il est necessaire adjouster ce que trouvons en Pline, ou choses semblables. Les oyseaux d’Ethiopië, & d’Indie (dit il, au IJ. ch. du X. livre) sont pour la plus part de diverses couleurs qu’on ne peut bonnement dire. Mais le Phenix d’Arabië entre tous autres est excellent : ne sçachant si c’est fable ce qu’on dit, qu’il n’y en ha qu’un en tout le monde, lequel on ne voit pas beaucoup. Lon dit qu’il est de la grandeur d’une Aigle. Les plumes qui sont autour de sont col, sont de couleur resplendissante sur l’or. Le demeurant du corps est de couleur purpuree. Sa queuë est entre couleur de blauez, & distinguee de plumes de couleur de roses. Le dessus de sa teste est embelly de la forme de creste de plumes eslevees. Tout cela, ou choses semblables ha raconté Pline touchant le Phenix : mais des paroles qu’il dit encor suyvantes au mesme chapitre, il semble que les autres autheurs, & principalement Aristote, le nomment Cinamonus. Combien que le mesme Pline parle aussi du Cinanomus, Manilius (dit Pline au mesme passage) homme tres diligent enter les hommes Romains de robe longue, ha esté le premiër qui en ha escrit en Latin. Cestuy tres grand senateur, excellent en sçavoir, sans avoir esté aprins par aucun enseigneur, ha dit, qu’il ne s’estoit trouvé homme, qui eust veu un Phenix mangeant : & qu’il vit en Arabie six cents & soixante ans, estant consacré au Soleil : mais que se sentant envieilly, il compose son nid de rameaux de casse odiferante, & de rameaux d’Encens, lequel il remplist d’odeurs, & meurt lá dessus : & que des os & moëlle il naist premiërement un petit verm, dont puis est engendré le poulsin du Phenix. Et aprers que les habitants ont fait les funerailles du Phenix mort, ils emportent son nid en Panchaye, en la ville du Soleil, & la ils le mettent dessus l’autel. Aussi le mesme Manilius escrit, que la conversion de la grande annee se fait avec la vie de cest oyseau : & que de rechef les significations des temps, & des estoilles retournent estre les mesmes, qu’elles ont esté au paravant : & que ceste annee commence à midy, quand le Soleil entre au signe d’Aries. Et que telle conversion, c’est à dire revolution se demonstra en l’an deux cents & quinze, estants P. Licinius, & M. Cornelius consuls à Rome. Il seroit difficile de pouvoir entendre ce que Pline ha dit de la grande annee, si ne la faisions sçavoir. Nous mettrons donc ses paroles Latines, pour les declairer. Cum huius alitis vita magni conversionem anni fieri prodidit idem Manilius, iterumque significations tempestatum, & syderum easdem reverti. Cecy & pris de la sentence des Egyptiens, qui ont trouvé par la computation de leur Astrologie, qu’apres que treze mil ans feront escheuz, le monde retournera à son premiër : qui est cela que Pline nomme la grand annee : mais c’est à l’imitation de Platon, comme aussi de plusieurs autres qui la nomment Annum vertentem.

FIN DU SIXIESME LIVRE.

LE SEPTIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSILLONS, QUI HANTENT LES HAYES, buschettes, & buissons : avec leurs descriptions, & portraicts, retirez du naturel, Par Pierre Belon du Mans. A PARIS, Chez Guillaume Cavellat, devant le college de Cambray à l’enseigne de la Poulle grasse. 1555. Avec privilege du Roy.

AU ROY.


SIRE, tout ainsi que les grands oyseaux ont esté distinguez, ou par le lieu de leur pasture, ou pour leur demeure : pareillement pourrons faire division des petits oysillons par leur nourriture : Car combien que indifferemment touts ceux qui sont de petite stature se maintiennent par les hayes, buschettes, & buissons, c’est pour se sauver, evitants la violance des oyseaux de rapine. Il y en a entre eux, qui n’ont pasture que des seuls verms, & petits animaux en vie. Les autres ne vivent que de grain. Les autres se nourrissent indifferemment des deux : c’est à sçavoir, & des verms, & des graines. Mais pource que chacun sera specifié en particulier, remettons à en dire d’avantage en particulieres descriptions d’un chacun. Et pour faire voir que ne nous sommes trompez, en prononceant ce mot Buschettes, voulons monstrer que c’est pure & naïfve diction Francoyse, pour exprimer ce mot Virgultum : qui est nom moult antique, venant de la langue Latine, issue du mot Bucetum, de l’authorité de Marc Varro en Aulugele, parlant au commencement du premier chapitre de l’onsiesme livre des nuicts d’Athenes, en ceste maniere. Timaeus, & M. Varro in antiquitatibus rerum humanarum terram Italiam de Graeco vocabulo appellatam scripserunt : cum boues Graeca lingua id est, vituli vocitati sint, quorum in Italia magna copia fuerit : bucetaque in ea terra gigni, pascique solita sint compluria : tellement que le mot de Buschette a prins son origine de Bucetum : pour ce que les beufs les paissent volontiers : ce sont les rejetons des arbrisseaux sauvages, sur lesquels telles manieres de petits oyseaux, que nommerons cy apres, se seent communement.

LE SEPTIESME LIVRE DE LA NATURE DES OYSILLONS, QUI

hantent par les hayes, buchettes, buyssons, espines, & ronces : avec leurs descriptions & portraicts, retirez du naturel.

Du Rossignol.
CHAPITRE PREMIER.


LE ROSSIGNOL estant estimé le plus noble de touts les petits oyseaux, & de genre le plus legitime, ha esté trouvé digne d’estre mis le premiër en ce lieu. Les Françoys, à nostre jugement, le nomment Rossignol en partië pource qu’il est roux : luy voyants la plume rousse, tirant quelque peu à la couleur enfumee. Certains autheurs veulent que les Latins l’ont nommé Lucinia, ayants ouïr son chant continuer en l’umbrage obscure : sçachants que Lucus en Latin, est à dire umbrage, dont est venu Lucinia. Ceux qui le nommerent Phylomela, emprunterent le nom d’une fable ancienne, qui dit que Pandion Roy d’Athenes eut deux filles, l’une Progné, l’autre Phylomela. Progné estoit mariee à Tereus Roy de Thrace. Icelle ayant demeuré avec luy l’espace de cinq ans, luy vint vouloir de voir sa sœur qui estoit en Athenes : parquoy pria Tereus vouloir qu’il l’envoyast querir : mais il y voulut aller luy mesme. Et s’estants embarquez passerent la mer. Estant Tereus arrivé lá, des-ce qu’il eut veuë Phylomela, en devint amoureux : toutesfois celant son amour, en fin obtint de son pere, qu’il l’emmenast en Thrace voir sa sœur Progné. Et ayants fait voile, arriverent en Thrace : mais soudain qu’ils furent à terre, ne pouvant plus cacher son desir, il la viola. Iceluy voyant qu’elle en estoit moult courroucee, luy coupa la langue, de peur qu’elle ne le signifiast à sa sœur : joinct qu’il la tenoit enfermee. Alors Phylomela se va aviser de tirer à l’eguille sur la toile, le tort que Tereus luy avoit fait, & l’envoya à sa sœur : laquelle pour venger l’injure, fit venir Phylomela, & tuerent Itis fils de Tereus, pour luy en faire manger à disner. Phylomela se tenoit cachee derriere une tapisserie, jusques à ce que Tereus demanda ou estoit Itis. Alors Phylomela, qui en tenoit la teste encor sanglante, la rua au visage de Tereus : lequel s’estant effrayé de ce qui en estoit advenu, tira son espee pour les tuer toutes deux. Mais par le vouloir des dieux Tereus fut converty en Hupe, Progné fut convertie en Hirondelle, dont est que les poëtes escrivent que l’Hirondelle pleure la mort d’Itis : & Phylomela fut convertie en Rossignol, affin que se lamentant incessamment, elle enseignast l’injure du meffait avec son chant langoreux. Il semble que Martial veuille parler de luy, quand il dit, Sic ubi multisona fervet sacer Atide lucus. Il nous est en doute s’il entend du Roy Atis, qui avoit un daulphin sur son escu pour armoirie : car le fils de Tereus estoit nommé Itis ou Ityle. Varro en son livre De lingua Latina, entendoit que c’est à cause de sa voix lamentable, dont les Latins l’ont nommé Lusciola. Sunt quae aliis de causis appellatae (dit il) Lusciola, quod luctuose canere existimetur, atque esse Attica Progne in luctu facta avis. Nous n’avons cognoissance d’aucun oyseau, qui soit de la nature d’un Rossignol, c’est à sçavoir, qui chante incessamment toute la nuict sans dormir : car lors que les forests & taillis se couvrent des fueilles, il est long temps sans cesser de chanter jour & nuit. Mais pourroit il estre homme tant privé de jugement, qui ne prenne admiration d’ouïr telle melodie sortant de la gorge d’un si petit corps d’oyseau sauvage : Et sçachant que d’une voix si haultaine issue d’un si petit tuyau de si resonante musique, toute industrie humaine n’en sçauroit aprocher. Mais oultre cela, le meilleur du Rossignol est, qu’il preserve si pertinemment en son chant, que sans se lasser & laisser son entreprinse, plus tost la vie luy defauldra que la voix. A-il point eu de maistre, qui luy ha enseigné la science de musique si parfaicte ? Non : & toutesfois ne fault jamais à bien accentuer les syllabes, & mieux observer touts les tons, & les conduire d’une mesme halenee si parfaite, qu’il n’y ha celuy qui ne desire l’entendre. Encor redirons qu’il ne fault point à bien observer les tons, & les conduire d’une mesme halenee, les uns en longueur, & aspirer les autres : tantost varier le dessus, quasi le jectant en fusee, tantost courber les notes entiëres, & soudain les mener par feinctes, & puis les distinguer, & decouper par pieces, comme en minimes crochues : tantost les assembler, puis les demener comme leur baillant des entrelassures : & de lá les allongeant, soudain il les delaisse, & puis les reprenant, il obscurcist sa voix au despourveu, quasi comme en tremblant : tantost apres murmurant en soymesme, ne chante que le plain chant, l’une fois si pesant, qu’il semble prononcer les notes par semibreves : tantost il les deprime, menant sa voix en bas ton, & de prin sault, il fait l’accent agu comme chantant en faulcet, l’autrefois frequente ses tons, l’autrefois les estend, & lá ou il luy plaist, les darde haultains, moyens, ou bas : tantost il contrefait son chant muant sa voix en diverses façons : voulant quasi qu’on pense que c’est d’un autre oyseau. Et puis se remonstrant, chante quelque peu en vers de rythme : tantost se met à poursuyvre en prose. Quel instrument, qu’ayent peu fabriquer les hommes ? quelle Harpe, Lut, ou Espinette pourra lon mettre en comparaison de son chant ? Ja maintesfois ha donné plaisir beaucoup de matinees au lever de celuy qui ha expressement dormy entre les arbrisseaux fueilluz, pour observer sa plaisante voix armoniëuse, pour en estre tesmoin. Parquoy il fault nous accorder, qu’il surpasse l’artifice humain en ceste science, & qui plus est, il se delecte tant de nostre musique, qu’il se laisse prendre pour le desir qu’il ha de l’entendre : car quiconques ira en un lieu ou il y ha des Rossignols, & lá sonne doucement d’un Lut, Violon, Espinette, ou Harpe bien accordez, voirra les Rossignols le venir escouter si attentivement, qu’ils monstrent en estre totalement raviz : & s’il y ha rameaux engluez lá aupres, ils ne fauldront à se venir jetter dessus : & par ce moyen demeurent prisonniers. Mais tout ainsi comme ils sont esprins de la doulceur de l’armonië des instrumens de musique, tout ainsi s’esmerveillants d’une voix aigre & mal plaisante, monstrent en estre indignez, & esprins de despit : car si quelcun lioit un Chat au pied d’un arbre, & luy attachoit une cordelle, dont le bout en fust bien loin, en quelque lieu ou il y eust des rossignols, & tirant la corde, fit crier ce Chat, ou autre animal, duquel le cry fut mal plaisant & aigre, alors les Rossignols monstrants signe d’estre effrayez, iront voletants autour du Chat, comme indignez. Quoy sçachants les oyseleurs, mettent des gluaux aupres, & les prennent par telle maniëre. Lon trouve qu’il y ha difficulté en l’appellation Grecque du Rossignol : d’autant que le vulgaire ne fait distinction pour le jourdhuy de luy à un autre nommé Potamida. Car si bien quelques escrivains modernes se tenants fort de l’appellation du vulgaire, nomment le Rossignol Potamida, disons que c’est erreur : comme sera prouvé au chapitre de la Fauvette brune. Joignant aussi que les anciens le nommoyent Aidon. Nous estimons que l’erreur vient de ce que le Rossignol mue sa couleur en divers temps. Il y ha difficulté de bien le sçavoir nourrir en cage. Mais nous l’appellons de divers noms : car celuy qui ne se depart des forests, est nommé Ramage : Et dit-on qu’il est plus permanent en la doulceur de son bien chanter. L’autre se tient tant seulement par les bocages, le long des prairiës, & dedens les hayes : qui est celuy qu’on estime le moins. Touts Rossignols cessent de bien chanter tout le long de l’autonne, & l’esté jusques au printemps. Et pource qu’il n’ha que faire de force pour mascher la viande dont il se nourrist, nature luy ha donné un petit bec : mais ha bien grand ouverture de gueule. Il ha bien la providence de n’avaller aucun verm, qu’il ne l’ait premiërement fait mourir. Il est bien hault enjambé, & si n’ha gueres bon pied. Sa contenance le fait sembler estre tousjours en peur : & remuë sa queuë à chasque pas qu’il fait, & apres avoir volé. Autresfois s’est trouvé en certain village de la forest d’Ardaine, que les petits pasteurs prenoyent journellement chacun quelque vingtaine de Rossignols : qui me tourna en admiration pour la multitude. C’estoit durant le plus chauld de l’esté, lors que toutes les mares estoyent tariës ailleurs. Parquoy estants contraincts de boire, venoyent de toutes parts prendre de la susdite eau, & les pasteurs advertiz de leur gaing, tendoyent leurs lacz, & prenants de maintes sortes d’oyseaux, trouvoyent aussi grande quantité de Rossignols : car ils se tiennent adonc dedens les forests, en l’endroit ou est l’humeur. La difficulté d’observer & recognoistre les masles des femelles n’est pas petite : car touts deux sont quasi colorez de mesme : hors mis que la femelle n’est du tout si phenicee, qu’on dit autrement de couleur de datte, ayant assez bonnes jambes & bons pieds, qui ne sont pas noires. Le dessous de la gorge est de pasle cendree couleur. Le devant de la poictrine blanchist, comme aussi fait le dessous du ventre, & de la queuë. La couleur de dessus le dos, du col, de la teste, & des aelles est rousse : mais les plumes d’entour la queuë retirent plus à la couleur de datte. Et d’autant qu’il y ha distinction du masle à la femelle, aussi ne chante-elle si long temps, comme le masle : combien que communement cessent de chanter, quand ils ont eslevé leurs petits. Le Rossignol fait son nid de fueilles de chesne : duquel le dedens est tissu de poils de la queuë de cheval, assez mal proprement : quelquesfois moult pres de terre, autresfois un peu plus hault sur le rameau d’un arbre, ou il pond six ou sept œufs. Ovide racompte l’histoire de Philomele plus au long au sixiesme livre de ses Metamorphoses.

De la Roussette.
CHAP. II.


QUELQUES hommes nomment le petit Mouchet Roussette : mais c’est erreur : car tout ainsi que les hommes de nostre nation ont nommé les Rossignols à cause de leur couleur rousse, tout ainsi les paisans ont nommé cestuy-cy Roussette de nom diminutif. Ceste Roussette est de la grandeur d’une Fauvette brune, plus petite que le Rossignol. Elle est oyseau assez grandelet. Nous ne pouvons imaginer quel nom ancien, Grec, ou Latin ha obtenu ceste Roussette. Mesmement est peu cogneuë, sinon en certains endroicts par les paisans des villages situëz le long des forests, qui en prennent grande quantité au chauld, lors qu’ils vont boire aux mares. Or diverses forests nourrissent diverses especes d’oysillons, selon la situation des lieux, & du pasturage, dont ils se paissent. Ceux qui sont coustumiers de tendre aux oyseaux, ou de les prendre à la pipee, n’en laissent aucuns sans leur bailler quelques noms. Parquoy trouvants cestuy-cy aucunement frequent, ayant plusieurs madrures de couleur exquise entre phenicee & orengee sur le bout des plumes, qui font que l’oyseau en apparoist roussatre, luy ont imposé ce nom. Ses grivelures sont frequentes vers l’estomach, dessus la teste, & au tour du col, & dessus le dos : car les pennes de la queuë, & des aelles, sont brunes. Le bec est poinctu, noirastre, & foible, comme vivant de verms, ayant les bords, & le dedens de couleur jaulne : & les jambes, & pieds blanchastres. A peine que les habitants des villes puissent avoir ouï ce nom : car il est mesmement rare entre les villageois. Ainsi y ha plusieurs animaux ou choses produictes d’iceux, qui ont leurs appellations vulgaires entre gents d’un estat ou mestier, ignorees des autres. Monsieur Conradus Gesnerus Almant, medecin de Surie en Suisse, homme docte es trois langues, & de diligence extreme pour le profit de la posterité, & vigilant pour le bien public, & auquel les hommes doyvent autant de louange pour ses excellentes œuvres, qu’à nul autre qui ait mis la main à la plume lisant noz observations Françoyses, & trouvant que faisions mention des dents de Rohart, ha esté meu d’enquerir des hommes de nostre nation, qu’elle chose est dent de Rohart : mais à ce qu’il ha fait voir par escrit en son livre De quadrupedibus oviparis, onc n’en trouva un qui luy en dit nouvelles : toutesfois s’il eust envoyé enquerir en quelque grosse ville, comme Rouën, Paris, Orleans, Lion, Nantes, chez les tourneurs d’iviere, & faiseurs de pignes d’iviere, il n’y eust eu celuy qui ne luy en eust dit nouvelles : & mesmement luy en eust peu envoyer : Car c’est chez eux qu’on les trouve exposees en vente. Aussi qui vouldroit voir l’experiënce de l’appellation de cest oyseau, auroit à s’en enquerir aux oyseleurs, qui tendent par les forests : car ceux qui se tiennent es villes n’en sçavent nouvelles. Ceste Roussette rapporte grandement au Tariër, qu’avons d’escrit avec le Traquet : mais elle est de corpulence plus grandette, n’ayant aucunes taches blanches es aelles, ne les pieds & jambes noires, mais blanchastres.

De la Fauvette Brune.
CHAP. III.


IL Y ha quelques autheurs Grecs modernes, qui ont mis Potamida de nom vulgaire, pensants exprimer le Rossignol : toutesfois nous sommes bien asseurez que Potamida n’est pas Rossignol : Car lors que estions en Crete, trouvasmes le nid de tel oyseau qu’ils nomment Potamida, sur une plante de Teucrion : & lequel peusmes recognoistre que c’estoit de l’oyseau que nostre vulgaire nomme une Fauvette brune, qui est si semblable au Rossignol, qu’il n’y ha pas grande difference entre eux : car si ce n’estoit qu’elle est de couleur plombee, & n’est si haulte enjambee, comme le Rossignol, & est quelque peu moindre, il n’y auroit quasi point de difference : car mesmement peu s’en fault qu’elle ne chante aussi bien, tellement qu’en nostre France on l’enferme en cage, & la tient on au lieu d’un Rossignol. Aussi avons enseignes qui monstrent, que c’est elle qu’Aristote au septiesme chapitre du sixiesme livre des animaux, & au troisiesme chapitre du huittiesme livre, ha nommee en Grec Epilais, ou Hypolais, que Gaza ha interpreté Curruca, qui est par l’experience de ce qui nous fait voir, que le plus souvent le Coqu pond en son nid. Ce n’est sans raison que le vulgaire de Grece la nomme Potamida, car elle suit communement les ruisselets : pource qu’elle y trouve mieux sa pasture, qu’elle prend de vermine en vie, qu’elle ne feroit ailleurs. Nous luy donnons ce surnom de plombee, à la difference de la rousse, qui sera d’escrite par cy apres : car la Fauvette prend ce nom de ce qu’elle entre dedens les fossettes & creux des murailles, retenant le mesme nom en Françoys, que les Latins ont prins des Grecs. La femelle est differente au masle, de ce que le sommet de sa teste est trouvé, ayant cela de particulier comme la femelle du Rossignol de muraille, à qui le dessus de la teste est tout noir. Lon ne se sçauroit trouver l’esté en quelque lieu umbrageux le long des eaux, qu’on n’oye les Fauvettes chantants à gorge desployee, si hault qu’on les oit d’un grand demy quart de lieuë. Parquoy c’est un oyseau ja cogneu en toutes contrees. Il y en ha qui prononcent Farvatte. On trouve leur nid ordinairement tissu de poils de la queuë d’un cheval, à l’oree de quelque grand chemin, bien pres de l’eau.

De la petite Fovette, ou Fauvette rousse.
CHAP. IIII.


LA FOVETTE, ou Fauvette rousse est l’un des petits oyseaux, qui nous ha le plus donné de travail à luy trouver une appellation antique. Et tout ainsi que les hommes habitants au septentrion se cachent sous terre pour la grande froidure, & ceux du midy pour la vehemente chaleur, ont esté nommez par les Grecs, Troglodytes, c’est à dire, entrants es cavernes : & pensons que le petit oyseau que nous nommons Fovette rousse, pource qu’elle entre dedens les fosses, quelques anciens par semblable raison l’ont nommé Troglodytes. Les uns pensent qu’il faille dire Fauvette, de la couleur fauve : mais l’Ethimologie de Troglodytes, enseigne le contraire, & qu’il fault dire Fovette à Foveis. Elle ressemble moult au Rossignol de muraille, hors mis qu’elle est beaucoup de plus petite corpulence, ayant le corps longuet. Nous avons eu opinion que c’est elle, que les medecins Grecs Paul & Aece, ont escrit, avoir tant de vertu contre la pierre. Descrivants ceste Fovette rousse, & ayants cogneu que le masle est plus rougeastre, aussi avons sceu que la femelle est plus blesme. Et entendants que cest oyseau vit de verms, son bec est delié, & longuet. Aece descrivant Troglodytes ha dit chose conforme à ce que nous pouvons dire de la Fauvette : mais il y ha difficulté es mots du texte, quand il dit qu’elle seroit moult semblable au Roytelet, n’estoit qu’elle n’ha point de plumes dorees sur le front. En ce lieu il est manifeste, que ce qu’il ha dit du Roytelet, doit estre entendu de Tyrannus, que nous nommons une Soucie, duquel parlerons par cy apres. C’est pourquoy avons des-ja par cy devant pensé que le Roytelet estoit celuy que nous devions nommer Troglodytes : mais puis apres ayants veu que ceste Fauvette rousse hante les hayes & les murs, & se nourrist des verms, & aussi est l’un des petits des oyseaux, excepté le Poul, qu’Aristote aux livres des animaux appelle Tyrannus, & le Roytelet qu’il nomme Regulus, & l’oyseau qu’il nomme Asilus, avons facilement accordé au penser que Aece & Paul entendent de ceste Fauvette, parlans du Troglodytes, & non pas du Roytelet. Elle fait communement cinq petits, & dont les œufs sont cendrez, tachez de noir. C’est une chose infallible, qu’elle fait son nid dedens quelque herbe, ou buisson par les jardins, comme sur une cyguë, ou autre semblable, ou bien derriere quelque muraille de jardin es villes, ou aux villages. Elle l’enduit par le dedens avec de la soye de cheval si industrieusement, qu’il est persé à clairvoye, comme un sasset, tellement que quand ses petits se nettoyent, toutes les immundices passent au travers. Et par ce point sont tousjours nets. Ceste Fauvette n’ha guere plus grosse charnure que le bout du doigt. Elle n’est que d’une seule couleur de mesme celle de la queuë du Rossignol, & par ce n’ha à faire de plus longue description. C’est un oyseau qu’on ne voit en hyver, non plus que le Rossignol, & la Fauvette brune.

Du Roytelet.
CHAP. V.


LE ROYTELET n’est le plus petit des oyseaux : car celuy que descrirons maintenant est encores plus petit. Et pource que cestuy-cy & veu voler en toutes contrees, se manifestant par sa voix, aussi est il cogneu de toutes gens. Les Grecs l’ont anciennement nommé Trochylos, Presuis, ou Basileus, & les Latins Trochylus, Senator, Regulus. On le nomme aussi Cladorinchus, qui est celuy qu’on dit entrer dedens la gueulle du Crocodyle, pour luy curer les dents. Il est diversement nommé en Françoys : car les uns dient le Roy Bertauld, les autres un Berichot, les autres un Bœuf de Dieu. Il aime à se tenir seulet, & mesmement s’il trouve un autre son semblable, & principalement s’il est masle, ils se combatront l’un l’autre, jusques à ce que l’un demeure vainqueur. Et est asses au vainqueur que le vaincu s’enfuye devant luy. Il est tousjours gay, alegre, & vioge, ayant la queuë troussee, comme un Coq. Aristote au neufiesme livre de la nature des animaux, chapitre unziesme en ha amplement parlé. Il se nourrist ordinairement par les buissons (dit il) hantant les pertuïs, & ne se prend sinon avecques grande difficulté. C’est un oyseau qui n’est jamais melancholique, tousjours prest à chanter : aussi l’oit on soir & matin de bien loing, & principalement en temps d’hyver : lors il n’ha son chant gueres moins haultain, que celuy du Rossignol. Aristote dit au mesme lieu, que pource qu’il est nommé Senateur, & Roy, il ha combat contre l’Aigle. Mais pensons que ce combat procede non pas de force, mais de la dignité royale. Ce n’est donc merveille de voir inimitiez entre gents de dissemblables qualitez, veu que le Roytelet de si petite stature fait nuisance à l’Aigle, qui maistrise touts autres oyseaux. La structure du nid de ce Roytelet, tel qu’il le fait communement, ha la couverture de chaume, qui dedens quelque pertuïs de muraille est composé en forme ovale, couvert dessus, & dessous, n’y laissant qu’un seul moult petit pertuïs, par lequel il y peult entrer : combien que lon en trouve aussi qui habitent es forests, dedens les espoisses hayes & buissons. Ses petits sont moult difficiles à elever pour les nourrir en cage : car combien qu’on les nourrisse jusques à quelque temps, si est-ce qu’ils se meurent à la parfin. Mais si d’aventure lon en peut conserver aucun (qui est chose qu’avons veu advenir) lon ha autant de plaisir de son chant que de nul autre oyseau, d’autant qu’il chante le long de lhyver. Tant le masle que la femelle sont de couleur enfumee, ayant le travers des aelles merquetees de noir & cendré, comme aussi est la queuë. Son bec est longuet, & foible : car n’ayant eu affaire de grand force, pource qu’il ne casse les grains, il vit de verms mollets. Nature le luy ha baillé gresle, ressemblant à celuy de la Bergeronnette. Il ha une petite langue assez longue, qui tient tout le long de son bec. Aussi ha bonnes jambes, & bons piedz : & nourrist communement six petits, & quelque-fois huit.

Aultre moult petit oyseau, que les Lorrains nomment Chofti, c’est à dire Chanteur : celuy possible qu’Aristote ha nommé en Grec Oestrum, & Gaza ha tourné Asilus : qu’on pourroit autrement nommer en Françoys Chantre.
CHAP. VI.


APRES le Roytelet, & le Poul, ne cognoissons oyseau de moindre corpulence que cestuy, dont parlerons maintenant. Les Lorrains le nomment Chofti, qui vault autant à dire en Françoys, comme Chanteur. Nous l’avons soupçonné estre celuy qu’Aristote ha pris pour Oestrum, entendu qu’il est si petit : Et Oestrum est aussi celle petite espece de mousche qui picque les Chevaux, ou qui fait mouscher les Vaches. Deux choses nous induisent à croire que cestuy est Asilus : l’une, qu’on l’avoit ainsi nommé en Grece, à cause de sa petite corpulence : l’autre que telle mousche mene tousjours bruit des aelles. Aussi est-ce que cest oyseau ne cesse guere de chanter. Il seroit semblable au Poul, qu’avons nommé Tyrannus, n’estoit qu’il n’ha point de creste jaulne sur sa teste, & toutesfois ha du jaulne au ply des aelles : ayant aussi quelque chose de jaulnastre sur les bordures des aelles, & de sa queuë, & sur le dos : mais le dessous de l’estomach est quelque peu roussatre, & le dessous du ventre blanchastre. Ses jambes, pieds, ongles, & bec sont noirs : mais les orees du bec jaulnissent. Il est longuet, & debile, propre à prendre des verms : aussi vit il de bestes en v ie, & non de semences : & vit en l’umbrage des haultes forests. Oultre cest oyseau ainsi nommé, il y ha encor un petit poisson qui est pareillement nommé Oestrum en Grec, & Asilus en Latin, duquel avons baillé le portrait en nostre livre des poissons. Mais pource qu’aucuns l’ont pretendu calumnier, ferons apparoistre que c’est à tort, monstrants qu’ils nous vouloyent en faire à croire, que n’ayons bien entendu, que le Poul de mer, & la Pulse de mer sont d’espece differente d’avec Tavan de mer. Cest endroit nous est venu à propos pour nous en excuser envers les juges equitables. Voila qu’avons escrit au chap. De Asilo, ou Oestro, en noz livrres intitulez de Aquatilibus, ainsi que sensuit. Aristoteles octavo de historia animalium, Thunni, inquit, & Gladij agitantur Oestro, canis exortu : habent enim utrique per id tempus sub pinna ceu vermiculum quem Asilum vocant. Idem author videtur Oestrum seu Asilum diversum à Pediculo & Pulice constituere, quum eis etiam seorsum nomina propria, id est, Pediculum marinum, id est, Pulicem marinum imponat. Tels sont les propres mots qu’avons escrit, par lesquels faisions manifeste distinction des trois susdictes especes, ne confondants l’une avec l’autre, comme chacun le peut voir. Ne sommes-nous pas en plaine campagne de liberté, en ceste spacieuse machine de monde, pour nous employer selon nostre devoir ? L’ancre & papier ne sont-ils pas communs à qui les peut employer, pour mettre ses conceptions, & discours en avant ? Ouy : mais touts ne sommes de mesme : sçachants que les affections qui sont cause de ce fait, ont grande diversité. C’est ouvrage digne d’un esprit esclave, de se mettre à injurier, & calumnier à tort celuy qui meriteroit louange. C’estoit trop grande violence, de dire en nostre mespris : Turpiter hallucinatum : veu qu’il en apparoist autrement. Ce n’est pour revenche qu’avons noté cecy : car tousjours serons trouvez ceder en raison à ceux desquels pouvons estre enseignez, estants touts prests à changer d’opinion, lá ou quelque autre fera apparoistre le contraire de ce qu’avons escrit. Nostre travail sur l’enqueste des oyseaux, poissons, plantes, animaux, & choses venants d’iceux, sera suffisant pour maintenir nostre honneur contre ceux qui le vouldront mordre, ou abayer. C’est chose qui doit esmouvoir les hommes à rire & à se moquer de celuy, qui se plaint d’un autre pour n’en avoir esté loué. Mais si nous avons entrepris faire mention de touts ceux qui nous ont obligez par leurs biensfaicts, il nous fauldroit une iliade, & n’escrire que de cela.

De la Soulcie, qu’on nomme un Poul.
CHAP. VII.


LE POUL ha prins tel nom de sa corpulence : car le voyant si petit, lon diroit proprement, qu’il n’ha le corsage gueres plus gros qu’un Poul. Aussi est-ce le plus petit des oyseaux. Ceux du Maine le nomment un Poul, ou une Sourcicle : mais ceux qui parlent meilleur Françoys dient une Soulcie : car il ha les sourcilz de plumes noires eslevees sur chasque costé des temples au dessus des yeux, au milieu desquelles il y ha comme une creste de plusieurs plumes jaulnes sur le sommet de la teste. C’est l’oyseau le plus gay qu’on cognoisse, & pour sa corpulence ha moult bonnes jambes, & bons pieds, & duquel le chant n’est gueres haultain : aussi ne gazouïlle-il point. Lon trouve quelques modernes qui ont voulu dire qu’il y eust plusieurs especes de cest oyseau, & en amenants deux ou trois especes les ont touts nommé Tyranni : mais lon peut prouver par le dire d’Aristote, au troisiesme chapitre du huittiesme livre des animaux, qu’il en est autrement : car il entend que Tyrannus est moult petit oysillon, vivant de vermines : chose bien experimentee à touts oyseleurs. Ce petit Poul hante entour les hayes sur les chemins, & sur les herbes des jardins, & sur les choux, pour manger les moucherons qui s’y engendrent. Aussi disoit Aristote qu’il n’y ha de charnure en luy, non plus qu’en une Sauterelle, & qu’il porte une creste de plumes dorees, eslevee dessus la teste. Le Poul estant encores jeune, ha le dessus de la gorge, de l’estomach, du ventre, & le dessus de la queuë jaulnastre. Sa queuë, & ses aelles sont cendrees : mais le dessus du dos est tirant sur le brun. Et pource qu’il n’avoit à vivre que de mouches, & de verms, nature ne luy ha donné sinon un petit bec gresle, comme celuy d’un Roytelet, qui est un peu crochu au bout, au moins es petits encores jeunes. Mais un vieil ha le bec rond, longuet, poinctu, & si noir qu’il n’y ha couleur noire qui le surpasse. Le dedens du bec, tant dessus que dessous, & sa langue sont rouges. Ses jambes sont brunes, tirantes sur le noir. Le dedens des pieds est jaulnastre. Les plumes par le dessus du dos sont de couleur d’ocre. Le dessus du ventre, de la gorge, & du bec est blanc. Ses yeux sont noirs, ombrez de plumes cendrees. Il ha une ligne jaulne au dessus des plumes noires : mais sa creste n’appert point es morts, ains seulement quand il est vif, lequel les dressant, les fait apparoistre en creste. C’est un oyseau, qu’on ne peut bien nourrir en cage : car il est de difficile complexion, tout ainsi que les Fauvettes, & Roytelets : toutesfois lon en peut bien nourrir des jeunes jusques à deux ou trois mois. Quand ce petit oysillon est assis sur quelque branche, on luy voit une tache noire de chasque costé au milieu des aelles, qui est au dessus d’une ligne blanche, situëe au travers de ses aelles. Nature l’ha si bien muny de bonnes plumes mollettes, qu’elles luy entournent le corps de toutes parts : lesquelles combien qu’elles ayent diverses couleurs par le dehors, toutesfois sont toutes d’une couleur noire par le dedens, celle part ou elles luy touchent le corps. Sa queuë est fourchue, de la mesme couleur de celle de la petite Mesange bleuë. Aristote ha fait mention de ce petit oysillon au lieu susdit, le distinguant d’avec le Roytelet, & Tavan, disant en ceste maniëre. Le Tyrant est petit oyseau, duquel la corpulence n’excede celle d’une Sautrelle, ayant une creste de plumes roussettes, eslevees de fort elegante façon : & est oyseau qui ha le chant suave.

Du Rossignol de muraille.
CHAP. VIII.


PUIS que les Françoys sçavent distinguer les Rossignols d’avec les autres nommez Rossignols de murailles, voulons faire entendre que celuy que nous nommons ainsi, est l’oyseau qu’Aristote ha appellé Phoenicurgus. Les Latins ont retenu ce nom, ne l’ayants traduit en leur langue : car Phoenicurgus est diction Greque, signifiant qui ha la queuë phenicee. Et pour monstrer quels sont ces Rossignols de muraille, on les voit de corpulence beaucoup moindre que les autres Rossignols de bois, estants de meurs, & de voix differente. Et de fait ceux qu’on ha nourry en cage ne sont trouvez de chant gueres moins plaisant que les vrais Rossignols. Ceux cy sont plus difficiles à eslever, que les vrais Rossignols. Et à fin qu’il ne semble que parlons d’un oyseau incogneu aux anciens, il nous ha esté necessaire mettre les opinions qu’en ha eu Aristote, ausquelles quelques modernes ne se peuvent bien accorder. Or est-ce que comme les Grecs le nommerent Phoenicurgus, aussi prindrent l’argument de ce nom, luy voyants porter la queuë de couleur phenicee, qui est entre jaulne & rouge. Aristote n’en ha fait grande mention : car il dit seulement, aux XLIX. chapitre du nuefiesme livre des animaux : Invicem transcunt & Phoenicurgus, & Erithacus. Gaza traduisant cecy l’ha nommé en Latin Ruticilla, à la difference de Erithacus, qu’il tourne Rubecula, de laquelle parlerons au suyvant chapitre. Parquoy parlants maintenant de Phoenicurgus, que ceux du territoire de Paris nomment Rossignol de muraille, disons qu’on le cognoist ayant le bec noir, long, & gresle, tout ainsi que celuy d’une Lavandiere, & touts autres qui se nourrissent de mousches. Il est de couleur rousse par dessus & par dessous : mais la couleur de sa queuë est fauve, comme de couleur de datte, excepté les deux plumes des deux costez du cropion, qui sont noires. Il ha la langue quasi fourchue, & sans bout, comme aussi ha le Rossignol du bois. Il ha bonnes jambes, & bons pieds de couleur noire, & ongles assez robustes, comme aussi ont touts autres oyseaux qui vivent de vermine. Ceste est la distinction du masle à la femelle, que le masle ha la teste plus noire, & la queuë plus fauve, la femelle l’ha moins. Ils volent legerement, & font bruit lors qu’ils se sont perchez, & aussi remuënt la queuë, & la tiennent quasi tousjours droicte, comme fait le Roytelet. Ils sont presque pareils à la Gorge rouge : car quand ils sont plumez, on leur trouve leur charnure de mesme grandeur. Que le Rossignol de muraille n’est pas tout un avec la Gorge rouge, & que c’est une espece differente, leurs pieds le nous font à sçavoir. Celuy qui ha prins peine d’eslever les petits de touts deux, & observer leurs nids, & leur demeure, ha trouvé qu’ils sont differents l’un à l’autre. Nous en avons fait l’espreuve : joinct aussi qu’ayants tendu l’esté par les forests, en avons prins des uns & des autres, trouvants manifeste difference de la Rouge gorge au Rossignol de muraille. Parquoy en ferons distinction separément en ce suyvant chapitre.

De la Gorge rouge, ou Rubeline.
CHAP. IX.


CE QUI nous ha le mieux enseigné, que la Gorge rouge est oyseau totalement different au Rossignol de muraille, est qu’avons eu les deux especes en vie en mesme temps. Aristote au quarente-neufiesme chapitre du neufiesme livre des animaux ha nommé Phoenicurgus, celuy que nommons Rossignol de muraille. Pline au vingt-neufiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, ha retenu telle diction Greque, sans la rendre Latine : toutesfois Gaza l’ha tournee Ruticilia. Mais nostre Gorge rouge fut nommee en Grece Erithacus, que Gaza ha traduit Rubecula. Parquoy voulants nommer un autre à ce propos, ferons que l’affinité, qui est es dictions, ne trompera. Aristote nommoit aussi au troisiesme chapitre du huittiesme livre des animaux, Pyrrhoulas, que Gaza ha tourné Rubicilla. Il y ha quelques paisans au Maine, qui nomment la Gorge rouge, Gadrille. Et pource qu’on la voit venir aux villes, & villages, lors que les roupies pendent aux nez des personnes, les autres l’on nommee, une Roupie. C’est à bon droit que les anciens ont pensé que Phoenicurgus estoit un mesme oyseau que Erithacus. Car la Gorge rouge est si semblable au Rossignol de muraille, qu’il n’y ha que bien petite difference, qui est seulement que l’un apparoist en esté, & l’autre en hyver. Le Rossignol de muraille apparoist au printemps dedens les villes & villages, & fait ses petits dedens les pertuïs, lors que la Gorge rouge s’en est allee au bois : dont elle s’en retourne aux villes des la fin de Septembre, auquel temps elle chante si melodieusement, qu’on ne l’estime lors gueres moins bien chanter, que le Rossignol fait au printemps. Elle est de moindre corpulence que le Rossignol. C’est mal fait de la nommer Gorge rouge : car ce que nous luy pensons rouge en la poictrine, & orengee couleur, qui luy prend depuis les deux costez du dessous de son bec, qui est gresle, delié, & noir, & par le dessous des deux cantons des yeux, luy respond par le dessous de la gorge, jusques à l’estomach. Le dessous du ventre est blanc. Ses pieds, & jambes monstrent bien qu’elle est differente au Rossignol de muraille, qui les ha noires, & ceste-cy les ha rougeastres. Ses plumes par le dessous sont noires à la racine : sa teste, son col, son dos, & le dessus des aelles, comme aussi la queuë, sont de couleur entre cendré & tanné. Oultre ce qu’avons nourry les petits de l’un & de l’autre, avons encor observé que le Rossignol de muraille est different à la Rouge gorge, par ce que les paisans des villages situéz en quelques endroicts sur les confins de la forest d’Ardaine, nous ont apporté tant l’un que l’autre, à douzaines, en liaces separees : qu’ils prenoyent en esté aux lassets aux mares, lors qu’ils venoyent boire : joint aussi que nous mesmes avons assisté à l’esprouver.

Des deux Lavandieres cendrees.
CHAP. X.


AVANT qu’entrer en la description de la Lavandiere, ferons entendre que les Françoys ont deux oyseaux moult semblables l’un à l’autre, & qui sont mal-aysez à distinguer à qui ne les observe de bien pres : l’un est nommé la Lavandiere : & l’autre, Bergerette. La Lavandiere tient ceste appellation Françoyse, pource qu’elle est fort familiere aux ruisseaux, ou elle remuë tousjours la queuë en hochant le derriere, comme une Lavandiere qui bat ses drapeaux : ou bien pourroit estre nommee, pource qu’elle tient compagnie aux lavandieres sur les rivages des eaux. Mais la Bergerette, qui aussi se repaist de mouches, suit volontiers les bestes, sçachant y trouver pasture : & possible est de lá, que nous l’avons nommee Bergerette. Les Grecs voyants qu’elles vivent de mouches, les ont nommees Cnipologi, & les Latins Culicilegae. Et pource qu’elles servent en medecine, plusieurs en ont fait grand cas. Les anciens voyants qu’elle remuë la queuë sans cesse, l’ont nommee Motacilla, qui est un nom, dont Varro ha usé au quatriesme livre de lingua Latina. Aristote l’ha moult bien descrite, au troisiesme chapitre du livre des animaux, quand il compare sa grandeur à un Spinus, ou Acanthis, qu’interpretons un Serin. Mais (dit il) elle est de couleur cendree, entremeslee de qui semble mieux convenir à ceste Lavandiere qui ha le corps beaucoup plus gros que la Bergerette, ayant manifeste distinction, comme aussi des masles & femelles : Et vivent toutes deux de mesme viande, ayants le bec comme celuy d’une Hirondelle, sinon qu’il est quelque peu plus long, droit, noir & quasi rond, foible, & qui monstre bien qu’elles n’ont pas affaire de grand force à mordre ce dont elles vivent. La Lavandiere est madree dessus le dos. On luy trouve deux lignes blanches dessus les aelles, qui procedent du second & tiers ordre des plumes de dessus l’aelle. Tout le dessous de son ventre est blanc : mais il porte une tache noire devant l’estomach, & ha une ligne noire en chasque costé du col, qui luy procede des racines du bec. Aussi est cendree dessus la teste, mais le dessous de la gorge est tout blanc. Ses sourcils sont bordez de taches blanches. Sa langue est deliee, plate, & poinctuë. Ses jambes & pieds sont noirs : & est asses hault enjambee, & court fort. Elle ha une enseigne particuliëre, par laquelle on la voit ensuyvre les oyseaux de riviere, c’est qu’elle ha les dernieres plumes de ses aelles joignant le corps, aussi longues, que les premieres de devant, lesquelles lon trouve aussi en touts autres oyseaux, qui vivent de mouches & verms de terre, Pluviers, & Vanneaux : mais sa queuë est moult longue : si ce n’estoit quelle ha quelques plumes blanches entremeslees parmy, sembleroit estre toute noire. Et tout ainsi que la Bergerette ha les plumes de dessus le cropion toutes noires, pareillement ceste-cy oultre ce qu’elle les ha semblables, elle ha aussi les plumes bigarrees jusques dessus les genoux. Les jeunes Lavandieres de six mois sont d’autre couleur que les vieilles d’un an, qui ont mué leur premier plumage. La Lavandiere n’est pas de la nature de la Bergerette : car mesmement lon prend si grande quantité de Bergerettes durant les mois de Juillet, & Aoust : comme au contraire en Septembre, & Octobre, lon prend des Lavandieres, & non point de Bergerettes. Encores y ha une autre sorte de Lavandiere qui n’est moindre que la susdite : qui n’est plus grosse qu’une Bergerette. Il semble que c’est quelque espece entre les deux. Et pource qu’elle est quelque peu dissemblable à la Lavandiere, l’avons voulu constituer, comme espece differente : car par l’observation qu’on en peut faire, lon peut trouver des enseignes, qui monstrent qu’elle est differente à la premiëre. De touts oysillons sauvages, il n’y en ha aucun qui soit si privé que les Bergerettes, & Lavandieres : car elles viennent jusques bien pres des personnes sans avoir peur, & font une voix haultaine & claire en volant, ou quand elles ont eu peur : qui est pour s’entr’appeller. Mais encor oultre cela, sçavent rossignoler du gosiër melodieusement : chose qu’on peut souventesfois ouïr sur le commencement de l’hyver.

De la Bergerette, ou Bergeronnette jaulne.
CHAP. XI.


LA BERGERETTE est de plus petite corpulence que la Lavandiere, comme aussi est de semblable couleur, & n’ha les jambes & pieds noirs, comme la Lavandiere, mais trop bien ont leurs becs semblables, sinon que la Lavandiere l’ha un peu plus noir. La Bergerette est cendree dessus le dos, qui toutesfois retire plus au jaulne orengé. Tout le dessous du ventre, de la queuë, & les plumes des cuïsses sont bien jaulnes. Ses aelles sont proprement de la couleur de celles d’une Bruande, esquelles lon trouve aussi une ligne blanche, tont ainsi comme en celle de la Lavandiere, qui est es grosses pennes, & non pas es plumes de dessus. Aristote au huittiesme livre des animaux, chapitre troisiesme, descrivant un oyseau qu’il nomme Cnipologos, & en Latin Culicilega, n’ha pas entendu de ceste Bergerette, mais de la Lavandiere : & pource qu’il y ha difference en ces deux, & que lon n’ha aucun nom ancien pour exprimer la Bergerette, on la constitue pour une espece de Lavandiere. Il y ha distinction en la Bergerette du masle à la femelle, c’est que le masle est si fort jaulne par dessous le ventre, qu’on ne voit aucun autre oyseau qui le soit plus. Aussi ha autres lignes jaulnes paillees, qui luy prennent depuis le bec & montent aux sourcils, & redescendent vers le col : sa poictrine est orengee. Mais la femelle est cendree dessus la teste, & dessus le dos. Et au lieu que le masle ha les sourcils orengez, elle les ha blancs. Touts deux ont une plume en chasque costé du dehors de la queuë, blanche : le dedens est cendré. Mais pource que les oyseaux changent leurs peintures selon leurs aages, lon en voit prendre au mois d’Aoust si grande quantité qu’on les apporte vendre à la ville à centeines. Et toutesfois en autre saison sont si rares, qu’on n’en peut recouvrer. On les observe quelque peu changer leur couleur en hyver. On les trouve en certains livres de Fauconnerie, qui les approuvent grandement pour repaistre un Faulcon, qu’on veult faire muer incontinent. Tels en sont les mots. Mettez grand peine (disent ils) de recouvrer menuz oyseaux, qui hantent les rivieres, nommez Bergeronnettes, qui sont petits, & ont la queuë longue : & parce qu’il y en ha de plusieurs maniëres, nous parlons icy de ceux qui sont vers. Cela disoit l’auteur du livre de Fauconnerië.

Du Culblanc, ou Vitrec.
CHAP. XII.


LE Culblanc est oyseau de la grosseur d’un Torchepot : sont manger est tant de verms de terre, que de chenilles qu’il trouve sur les herbes. Il suit communement les charues, & le labourage pour manger la vermine qu’il trouve en la terre renversee du soc. Sa contenance ressemble à celle du Rossignol, mais ne hante point par les grands bois, ainsi se tient par les petits buissons, & ne fait pas de grands volz. Si ce n’eust esté que l’avons veu voler par dessus les buissons de Crete, n’eussions osé l’affermer avoir quelque nom ancien, & de fait ne luy en trouvons aucun plus convenable que de le nommer en Grec Oenanthe, que Gaza tourne en Latin Vitiflora : qui est appellation conforme à ce que les Françoys le dient un Vitrec. Il fait son nid en quelque pertuïs, dans une vieille masure, quelquefois contre terre dedens le pas d’un beuf, ou dedans une carriere. Ce Culblanc est des couleurs, comme sensuit : C’est, que son bec, ses elles, ses jambes, & le bout de sa queuë sont noirs. Le dessus du dos est cendré. Son bec est proprement fait comme celuy d’un Pluvier. Aussi ha la langue longue, & plate. Il fait communement de cinq à six petits, & qui sont moult semblables aux plus grands, desquels le bec est rond, & longuet. L’on n’ha acoustumé d’en faire estime, attendu qu’ils ne sçavent point chanter. Aussi n’en tient lon communement en cage. Et qui en veult nourrir, ils les faut paistre de telle viande que le Rossignol. Ils se rendent moult privez, quand on les ha nourriz de jeunesse. Ils courent moult viste sur la terre, comme aussi fait la Bergeronnette. C’est un Oyseau qui ha petit pied, toutesfois sa jambe est assez longue. Tout le dessous de son ventre, comme aussi dessus & dessous le cropion, & partie de la queuë sont blancs : dont il ha prins le surnom de Culblanc.

Du Chardonneret.
CHAP. XIII.


COmbien que l’appellation Françoyse du Chardonneret ne vueille signifier autre chose que ce que les Grecs disent Acantihs : toutesfois ce n’est pas luy, qui puisse obtenir ceste signification. Car Acanthis, Acanthilis, Spinus, ou Ligurinus, est celuy que les Françoys appellent un Serin. Parquoy nous nommerons nostre Chardonneret, Carduelis en Latin, & en Grec Pikilis, que Gaza ha traduit Varia. Aristote au premier chapitre, du neufiesme livre des animaux, dit qu’il est l’ennemy des Alouëttes, pource qu’ils se mangent les œufs les uns des autres. Ce qui fait que les Grecs le nommerent Pikilis, est qu’il est de diverses couleurs : dont est advenu qu’une espece des chiens de mer ha esté ainsi nommee. Puis donc que voulons nommer les oyseaux, qui vivent communement de graines de chardons, & dont le Chardonneret ha prins ceste appellation, l’avons voulu nommer le premiër entre ceux qui se paissent de semences de chardons : secondement le Serin, & puis le Tarin, & consequemment la Linotte, le Pivoine & tels autres. Le Chardonneret est de moindre corpulence que le Pinson. Il pourroit bien estre mis en comparaison de grosseur au Tarin. Il est l’oysillon de la plus belle couleur que nul autre que nous ayons en France. On le nourrist en cage pour son plaisant chanter. Il y ha asses bonnes enseignes pour le sçavoir cognoistre d’avec les autres : c’est qu’il n’est jamais sans avoir du rouge dessous le front, & la gorge. Il ha aussi le dessus de la teste noire : mais les deux temples de chasque costé sont blanches. Partie de ses aelles sont noires, merquetees de blanc, ayant une grand tache jaulne en chasque costé, qui luy provient des plus grosses plumes de l’aelle. Il fait communement huit petits, & son nid par dedens les buissons, combien que lon en trouve quelquesfois qui le font en quelque arbre de bois tailli. On ne luy donne communement que du chenevis pour se nourrir, estant enfermé en cage.

Du Serin.
CHAP. XIIII.


LE SERIN ha prins son appellation Françoyse de l’excellence de son chant : car tout ainsi comme lon dit que les Syrenes endorment les mariniërs de la douceur de leurs chansons, semblablement pource que ce petit oyseau, de corpulence, quasi comparé à un petit Roytelet, chante si doulcement, il ha prins le nom de Serin. Ceux qui veulent louër les autres oyseaux de chanter plaisamment, dient qu’ils sçavent seriner. Il est rare sinon es païs chaulds. Parquoy les oyseleurs voulants y avoir profit, en prennent grande quantité, puis les apportent vendre es villes des plaines de France : autrement lon n’y en voirroit point. Aristote, à nostre jugement, le nomme Acanthis. Gaza l’ha traduit en Latin Spinus. Car Aristote au troisiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, entend, qu’il est oysillon vivant de semences de charbons : mais nous le nourrissons en cage avecques de la semence de navette, comme aussi la Linotte. Il sembleroit que nous deussions penser, que c’est luy qu’on deveroit nommer Carduelis. Car Carduelis est nostre Chardonneret : toutefois Acanthis est autre chose : qu’on prouve par le dire d’Aristote en ceste maniëre. Victu & colore ignobilis est Spinus, sed valet vocis amoenitate. Par cela pouvons entendre que nostre Chardonneret, qui est de si belle couleur, n’est pas Acanthis : Car Aristote ha aussi dit que les autres oyseaux jaulnes estoyent de couleur mal plaisante. Ce qui nous fait croire que ce petit Serin est Acanthis en Aristote, c’est que lon voit les Grecs pour le jourd’huy le nommer Spinos, & Spinidia : c’est aussi diction Greque, dont Atheneus & Suidas ont fait mention : comme aussi Pollux ha escrit Spinidia. Virgile aussi au troisiesme livre des Georgiques, parlant de l’Halcyon vocalis, ha escrit ainsi : Littoraque Halcyonem resonant, & Acanthida dumi. On dit donc Acanthis, Spinus, & Ligurinus estre synonimes, mais differents à Carduelis : Car Pline au dixiesme livre de l’histoire naturelle, ha usé de ceste diction Carduelis, pour exprimer le Chardonneret, & Acanthis pour signifier le Serin. Gaza trouvant ceste diction (Acanthis) Latine, ne s’en est voulu contenter : car il l’ha tournee Ligurinus : toutesfois possible qu’il s’est voulu servir de la vulgaire diction de son païs. Le Serin est bien fort semblable au Tarin, sinon qu’il est quelque peu plus jaulne, & de moindre corpulence. Il ha le bec court de couleur pasle. Le dessus de sa teste, & du dos n’est du tout si jaulne que le Bruant : mais le dessous de la gorge, & de l’estomach, avec sa couleur jaulne est quelque peu madré de tanné : aussi la queuë, & le dessus du cropion, & des aelles est de jaulne paillé. Et les bouts des plumes de l’aelle sont noirs. Aristote dit qu’il pond douze œufs, & qu’il s’en part l’hyver de la campagne pour aller trouver les forests. Il y ha inimitié entre l’Asne & le Serin : car l’Asne rongeant les bourgeons des espines au printemps luy fait tomber son nid, dont ils ont inimitiëz. Il y ha un autre petit oyseau nommé de nom Grec Chrysomitris, que Gaza tourne Aurivittis, comme portant une coëffe doree : lequel pensasmes quelques temps estre le Serin. Mais M. Antoine Martinellus flament nous en monstra un sec, & salé à Padouë avant nostre depart, disant qu’un sien amy M. Turnerus medecin Angloys le luy avoit envoyé. Qui fut cause de nous estre arrestez à nostre Serin : joint que le vulgaire de Grece le nous confirma depuis. Parquoy ne dirons autre chose du Chrysomitris pour ceste fois.

Du Tarin.
CHAP. XV.


NOUS appellons un petit oyseau Tarin, pource que l’oyons prononcer telle voix en chantant. Il est au second lieu de bien chanter apres les Serins. Aussi sont-ils moult semblables. Il mange la semence des chardons, ou d’autres plantes : Car il ne touche point à la vermine, non plus que le Chardonneret. Il semble que les Grecs en ayent eu cognoissance, le nommants de nom quasi approchant du Françoys. Car lon trouve qu’Aristote en ha cogneu un qu’il nomme Thraupis, au troisiesme chapitre du huitiesme livre des animaux. Et de fait sçachants que nul autre, dont ayons cognoissance, n’approche mieux à ceste description, que le susdit Thraupis en Aristote : disons qu’il est plus commun par tout que le Serin, & est quelque peu plus grosset, & avec son jaulne apparoist plus brun, c’est à dire que le dessus de sa teste, du dos, quelque plume de sa queuë, & les grosses pennes des aelles sont un peu plus colorees qu’elles ne sont au Serin. Mais au demeurant se ressemblent l’un l’autre. Et parce qu’il est plus commun que le Serin, aussi le nourrissons-nous plus communement, & est moins vendu des oyseleurs. Et au lieu qu’on donne de la navette au Serin, nous le nourrissons volontiers de semence de chenevis. Il ne fait tant de petits que le Serin : car il ne passe gueres le nombre de sept à huit petits pour chasque couvee.

De la Linotte, & Picaveret.
CHAP. XVI.


LA LINOTE est oyseau de petite corpulence, combien qu’il y en ait plusieurs autres de pareille grandeur. Elle est de chant moult plaisant, & n’y ha aucun oyseau qui puisse apprendre si bien en sublant ou siflant, comme elle fait. Elle peut imiter les voix humaines : & est de couleur semblable à la Paisse, & se paist de semences de chardons : quui nous ha fait souvent penser charchants son nom ancien, qu’on la pouvoit bien nombrer au reng de ceux qui sont nommez Acanthophaga. Elle est de couleur de Chastaine. Le dessus du dos est merqué de brun, & de fauve, avec du tané. Aussi ha quelques plumes es aelles qui sont tresses en long avecques du blanc, comme aussi en sa queuë. Son bec est court, & petit, de la couleur des jambes, & pieds, qui sont bruns. Nostre vulgaire ha nommé cest oyseau, ou pour la semence de lin, pource qu’elle est de la couleur, ou pource qu’elle le mange sur son herbe. Mais on la nourrist communement de semence de navette : & pource qu’elle ha le bec trop petit, ne vit pas bien de chenevis. Il y en ha qui aiment mieux donner ethimologie à la Linotte de la laine & dire Leinote, d’autant qu’elle rembourre fort bien son nid de laine : c’est à ceste-cy à quoy nous arrestons. Les Linotes ont la poictrine, & le dessus de la teste, grande partie de l’annee, de couleur entre rouge & orengee : car elles ont lors la couleur si vive, qu’elle resemble à du sang : mais cela est seulement sur la fin du printemps. Nous sommes d’opinion que c’est celle que les Latins ont nommee Salus, & Aristote au quinziesme chapitre du neufiesme livre des animaux, Aegithus. Ceux qui ont pense que la Linote est Miliaris avis, dont Columelle & Varro ont fait mention, me semblent estre abusez : car il fault que Miliaris, soit un oyseau assez grand, lequel on peut engresser de la semence de mil, pour y avoir profit. Ce n’est petite difficulté de conferer Miliaris avecques le Cenchris des Grecs : car Cenchris prend son nom de mil, qu’on pourroit bien rendre en Latin Miliaris : toutesfois Pline au trente septiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, ha mieux aimé mettre Thynunculus, duquel avons parlé en descrivant la Cresserelle. Et si la Linote estoit Miliaris, il fauldroit qu’elle se deust paistre de millet : car quand Columelle parle de cest oyseau, dit que les Romains les engressoyent avecques les Cailles, pour les vendre, & y avoir profit : dont pouvons conclure, que Milaris n’est pas la Linote. Nous en parlons au chapitre du Preyer. Les Leinotes, ou Lunotes, ou Linotes, vont en trouppe tout l’autonne & hyver, vivants des semences de chardons : chose qu’avons premiërement observee en Asie. Aristote disoit : Aegithus, qu’interpretons Linote, est moult petit oyseau : l’interprete au superlatif Avis minima, qui ha dissention avec l’Asne, pour ce (dit il au premiër chapitre du neufiesme livre) que frottant son dos aux buissons, il jecte bas les nids de la Linote. Et aussi que quand ses petits l’entendent braire, ils en tombent du nid de peur qu’ils en ont : pour laquelle injure l’oysillon se voulant venger, luy vient mordre ses playes escorchees. Encor dit, au quinziesme chapitre du mesme livre : Aegithus est cognu faire beaucoup de petits, & se nourrir commodement, mais il est boiteux d’un pied. Les oyseleurs sont si duicts de bien observer les oyseaux, qui sont aisez à nourrir, & qui ont bonne voix, qu’ils n’en laissent aucun. Il y en ha plusieurs qui chantent moult bien, mais la difficulté de les nourrir fait qu’on ne les voit aucunement. Et ceste Linote estant facile à eslever, & qui aprent entre touts autres le mieux à parler, il n’y ha village en France, auquel lon n’en puisse bien trouver. Et aussi un autre qui luy est moult semblable qu’on nomme Picaveret, duquel ne voulons faire chapitre à part. Le Picaveret est si semblable à la Linote, que comme lon ha peine à la sçavoir cognoistre & le distinguer, tout ainsi y ha peu d’enseignes qu’on puisse escrire à discerner l’un de l’autre. Ce qui est de plus evident, est le bec de couleur jaulnastre, & & les jambes, & pieds noirs. Au reste sont moult semblables aux Tarines femelles, & de mesme corpulence, & ont mesme madrure es plumes, comme les Linotes. Aussi chantent de mesme maniëre : car ils sont de la mesme espece.

Du Pivoyne.
CHAP. XVII.


A PEINE se trouvera homme de sorte, qui ait tant soit peu estudié en Latin, qui ne sçache que les anciens ont eu les Becafigues, Tours, & Francolins en delices. Encor que nous en ayons en noz contrees, toutesfois sont quasi incognus de nom ancien : car nous n’en faisons tant d’estime, que les estrangers. C’est un oyseau, qui est aussi appellé Sifleur, & en autres endroits de France est nommé un Groulard : qui est nom deu au Traquet, pource qu’il groule sans cesse : & grouller est à dire se remuër. On ne le trouve en toutes saisons de l’annee. Il est oyseau moult privé, & d’assez belle couleur, qui ne vit en grandes troupes : parce on le voit voler la plus part du temps seulet. Il n’est de plus grande corpulence qu’un Bruant. Et pource qu’il y en ha grand quantité en Italie, ils en font grand cas en ce païs la. S’il y en ha quelcun en une forest ou taillis, il se fait ouïr de bien loing par sa voix. Soit qu’on n’en chercheroit en Auvergne, toutesfois nous en avons ouy chanter es forests de Montboissier. Encor avons hommes vivants de ce temps cy, qui feront foy qu’en avons trouvé en quelques contrees de Baviere : avec lesquels avons quelques fois accompagné Valerius Cordus, en ses enquestes sur le naturel des plantes & animaux, par les païs de Boheme, Saxone, & tels autres lieux d’Almagne, que ne voulons specifier. Gaspar Nevius, tresexcellent medecin, qui (à ce qu’on nous ha dit) s’est retiré à Lipse, estoit avec nous en la troupe, en l’an mil cinq cens quarente, & Hieronymus Scribonius. Et de vray les voyages du defunct Cordus, nous ont incité à en entreprendre autres plus loingtains. L’hyver, lors que les Pivoines sont bien gras, ils sont de fort bon manger. Parquoy ceux que lon prend en Italie sont desdiez pour le repas des grands Seigneurs. Or y ha il distinction du masle à la femelle, touts deux ont le bec noir, court, & crochu par le bout, quasi comme les oyseaux de proyë. Cest oyseau estant friant de figues, ha esté nommé pour Sicalis & Ficedula en Latin : pour laquelle chose les Italiens, & Provenceaux quasi à l’imitation des Latins, l’ont appellé Becafighi. Sicalis est diction correspondente à ce qu’on dit, Becafigue : dont Martiel ha parlé en ceste sorte : Cum me ficus alat, cum pascar dulcibus vuis, Cur potius nomen non dedit vua mihi ? Cela disoit Martial, pource qu’il mange aussi bien des raisins que des figues. Il ha quelque similitude avecques la Mesange : mais il est plusieurs especes de Mesanges. Parquoy semble qu’aucuns l’ayent voulu nombrer entre les Mesanges, que les Grecs nomment Aegythali, & autrement Eleoi, voulants qu’il faut aussi nommé Pyrrhias, pource qu’il est tout rouge par dessous la poictrine. Il ha la queuë & les aelles toutes noires, excepté une ligne par le travers, qui est plombee. Les Cretes le nomment vulgairement d’un faux nom Asprocolos, c’est à dire Culblanc. Il ha toute la teste noire, tant dessus que dessous, comme une Mesange. Il ha la queuë bien fort longue : & est cendré dessus le dos. Tout le dessous du ventre, de la gorge, & de l’estomach est de rouge bien advenant. Ses jambes, & pieds sont petits, & roussastres. Il ha les yeux noirs, & ronds. Pline dit que lon trouve des Esmerauldes dedens leurs nids au païs d’Arabie. Ce petit oyseau se paist de toute sorte de pasture, comme aussi de vermine : mais estant tenu privé, il mange volontiers de la navette & du chenevis. Aristote ha dit au quinziesme chapitre du neufiesme livre des animaux, qu’apres l’Autruche, il ne cognoissoit oyseau qui fist plus de petits que le Pivoine : car on luy trouve jusques à dixhuit œufs en son nid. Aussi dit qu’en ponnant met tousjours ses œufs en nombre impar : & que le propre de cest oyseau, comme aussi du Rossignol, est qu’il n’y ha point dextremité aiguë en sa langue comme ont les autres oyseaux, qui semblent avoir une rondeur spherique sur la teste : mais le Pivoine l’ha comme cochee. Aristote ha dit que Melancoryphus qu’on interprete Atricapilla, & Ficedula passent d’un en l’autre : c’est à dire, qu’en Autonne l’un est Ficedula : mais en autre saison retourne estre Melancoryphus. Dioscoride estoit d’opinion, que les Pivoines mangez es repas, aguïsent la veuë.

Du Traquet, ou Groulard, & Tariër.
CHAP. XVIII.


IL Y ha un petit oysillon differend en son espece à touts autres. On le voit se tenir sur les haultes summitez des buissons, & remuër tousjours les aelles. Et pource qu’il est ainsi inconstant, on l’ha nommé un Traquet. Les autres l’ont nommé un Thyon, mais n’avons sceu pourquoy : autres un Groulard. Et comme un traquet de moulin n’ha jamais repos pendant que la meule tourne : ainsi cest oyseau inconstant remuë tousjours ses aelles. Il ne vole gueres en compagnie, ains se tient tousjours seul, sinon au temps qu’il fait ses petits, qu’ils s’accouplent masle & femelle. Mais ils font leur nid si finement, & y vont & en sortent si secrettement, qu’on ha moult grand peine à le trouver. Il fait grand nombre de petits, lesquels il abeche des animaux en vie : car il n’est passager. On le voit communement en touts lieux : mais il ne vient jamais par les hayes des villages, ne des villes. On le voit aussi bien voler en Crete, & en Grece, comme en France, & Italie. Il nous semble le voyant si frequent en touts lieux, que c’est celuy qu’Aristote au troisiesme chapitre du huittiesme livre des animaux, nomme en sa langue Batis, signifiant qu’on pourroit bien dire Roncette : Car Batis en Grec est ce qu’on dit en Latin Rubus, & en Françoys une ronce. Gaza tournant ce mot, ha dit en Latin Rubetra. Nostre conjecture est, que le Traquet hantant tousjours sur les ronces vit de verms, ne mangeant aucuns fruicts. Il peut estre celuy, dont Aristote ha parlé, ne laissant que la conjecture pour le diviner. On luy voit le dessus de la teste noir, comme au Pivoine, qui fut cause que l’ayons quelquesfois soupçonné Melancoryphus. Joint que ce qui nous augmentoit l’opinion, est que le vulgaire au mont Ida de Crete le nomme Melanocephali. Parquoy l’avons expressement voulu mettre apres le Pivoine. Quiconques nourrira des Pivoines plusieurs annees, ne les trouvera changer la couleur du plumage : qui est cause, qu’avons arresté de croire, qu’Atricapilla, & Ficedula est tout un. Quelque nom ancien qu’obtienne la Traquet, il est de la corpulence d’une Linote, noir dessus la teste, & dessus les aelles, & la queuë : mais les plumes du col, & de dessous, & dessus le dos sont entre blanches & cendrees, & ne s’esleve gueres pour voler hault. Il est un peu plus petit que le Pinson. Son bec, ses jambes, ongles, & pieds, sont noirs : comme aussi est le bout de la queuë & des aelles. Il y ha difference du masle à la femelle, qui ha le dessous du ventre blanc, & le dos, avec le dessus du col, & de la teste cendré, & une ligne traversaine blanche en chasque aelle. Les habitants des confins de Mets le nomment un Semetro. Il y ha un poisson, qui est aussi nomme Batis : mais c’est pource que sa queuë est aspre, comme une ronce. C’est ce qu’on nomme une Raye. Lon trouve un autre oysillon de la grandeur du Traquet, different à touts autres oyseaux en meurs, en vol, & en façon de vivre, & de faire son nid, que les habitants de Lorraine nomment un Tariër, vivant par les buissons, comme le Traquet, ayant le bec gresle, & propre à vivre de mouches, & vermine, comme le dessusdit. Ses ongles, jambes & pieds sont noirs, mais le reste du corps tire au Pinson montain : car il ha une tache blanchette au travers de l’aelle, comme le Pinson, & Traquet : toutesfois son bec, & sa maniëre de vivre ne permet qu’on le mette entre les Montains : parquoy ne l’avons voulu separer du Traquet. C’est un oyseau rare à trouver, & quasi aussi difficile à prendre, comme le Traquet. Le masle ha des taches sur le dos, & entour le col, & la teste, comme la Grive, & les extremitez des aelles, & de la queuë quelque peu phenicees, comme au Montain : mais est moins mouchetee. Somme que pretendons qu’il soit espece de Traquet.

Du Moineau de ville.
CHAP. XIX.


COMBIEN que trouvions diverses especes de Paisses, autrement nommees Moineaux, & Moissons : toutesfois Aristote, ny autres autheurs anciens, n’en ont parlé que d’une espece. Cestuy est nommé un Moineau, pource qu’il semble porter un froc de la couleur des enfumez. C’est un petit oyseau asses cogneu par tout le monde, ayant un petit bec brun, & court. Le dessus de sa teste est fauve, ayant une ligne blanche en chasque costé, qui luy prend en travers. Il ha donné nom aux poissons plats, qui sont la Plie, le Turbot, & tels autres que les Grecs ont nommé Psittae, & les Latins ont dit Passerinum genus. Et entant que tels poissons sont de couleur fauve dessus le dos, ressemblent quasi à un Paisseteau qui en volant estend ses aelles : toutesfois les Grecs nomment tels oyseaux Strouthi. Mais à cause de leur cry, aucuns ont mieux aimé dire Diritas, & nous Passeres. Le Moineau porte deux lignes blanches en travers dessus ses aelles, mais le ventre est tout blanc : & porte une tache noire dessous la gorge, & une en chasque costé des temples, qui est tout entournee de blanc. Ses jambes, & pieds sont blanchastres : & entant qu’il y ha distinction du masle à la femelle, touts deux ne passent la grosseur d’un Pinsson. Aussi y ha difference de celuy qui ne bouge du sauvage, à l’autre qui vient faire son nid à la ville. Ceux qui pensent que le Montain doyve estre nommé Moineau de bois, sont grandement trompez : Car comme ferons apparoistre cy apres, il n’est pas de ce genre. La Paisse ne chemine pas à pas, mais en saultant. Le vulgaire du païs de Grece la nomme pour le jourd’huy Spourguitis. Et pource que c’est un petit animal enclin à chaucher, plusieurs autheurs (entre lesquels est Terpsicles) pensent que sa chair mangee provoque le desir d’engendrer. Il se nourrist de toutes choses, n’ayant esgard ou à grain, ou à vermine.

Du Moineau à la Soulcie, ou au Colier jaulne.
CHAP. XX.


IL EST manifeste que le Moineau à la Soulcie est different au susdit, tant pource qu’il est d’autre couleur, comme aussi qu’au lieu que le susdit ha une tache noire dessous la gorge, cestuy-cy l’ha jaulne. Nous avons raison de le nommer à la Soulcie : car il ha les yeux ombrez d’une Soulcie blanche, sur les sourcils en chasque costé de la teste. Il est beaucoup plus gros que les autres Moineaux, & de couleur plus cendree. Lon trouve qu’aucuns ont fait mention de telle espece de Moineaux, lesquels à nostre conjecture, l’ont nommé Passer torquatus. Et pource que ce Moineau à la Soulcie est tousjours au sauvage, aussi fait son nid hors les villes dedens les forests es creux des arbres. Et d’autant qu’il est different en cry & en maniëre de faire son nid, & de se paistre, & nourrir ses petits, à celuy de la ville, en avons parlé separément : vray est qu’il n’est different, sinon qu’il est de couleur plus cendree que le precedent, & qu’il ha la voix haultaine & esclatante, & est de plus grosse corpulence, & ha gros bec, & aussi que ou l’autre precedent ha une tache noire dessous la gorge, cestuy-cy l’ha jaulne : qui est cause que l’ayons fait portraire, monstrant sa gorge : comme appert en ce lieu.

Du Friquet.
CHAP. XXI.


LES Françoys trouvants trois especes de Moineaux de differents plumages, & de diverse corpulence, les ont nommez diversement. Ils ont voulu que le plus petit fust nommé Friquet, & de fait il y ha lieu de luy trouver differentes enseignes. On luy trouve toutes les merques qui sont en celuy de muraille. Les paisans des villages le nomment aussi Moineau de noyer, car comme le Moineau vulgaire fait son nid dedens les villes, & villages, & le Moineau à la Soulcie es bois : tout ainsi le Friquet le veult expressement faire au sauvage dedens quelque arbre. Il ha le bec court, noir, & grosset : les pieds, jambes, aelles, & teste comme le Moineau de muraille.

Du Verdier.
CHAP. XXII.


L’OYSEAU que les Françoys nomment Verdier, n’est pas de couleur verde, mais est de couleur jaulne tirant sur le verd. Ce Verdier est bien nommé selon la signification Greque : car ce que les Grecs dient Chloris, les interpretes le tournent, jaulne verdoyant. Or est nommé le Verdier non pas Vireo, comme il semble que sa signification porte, mais Luteola. Il y ha plusieurs autres qui sont pareillement jaulnes, comme est le Bruant, le Serin, le Tarin & le Loriot : touts lesquels avons descrit en leurs lieux, chascun à part. Il ha esté signifié que celuy que nous nommons Loriot, ha esté dit en Aristote Chloros holos, c’est à dire tout verdoyant en l’obscur : mais le Verdier est celuy qu’il ha nommé Chloris, que Gaza ha tourné Luteola. Pline n’en ha fait mention. Ce Verdier (dit Aristote au treziesme chapitre du neufiesme livre des animaux) est ainsi appellé, pource que son estomach est palle comme l’Ocre : & est de la grandeur d’une Alouëtte, & mange des verms, & fait quatre ou cinq œufs, qu’il pond dedens le nid fait d’une herbe nommee Symphitum, laquelle il arrache, racine, & tout. Mais il dit que le dedens est fort bien garny de bourre ou de laine, dedens lequel le Coqu pond souventesfois. Cela ha dit Aristote. Or il y ha difference entre Chloreus & Chloris : car Chloreus en Aristote, est le Pimart jaulne, lequel Gaza ha tantost tourné Luteus, tantost Lutea. Celuy qu’Aristote ha nommé Chlorion, & que Theodore ha tourné Vireo, est nostre Loriot. Maintenant nous pretendons mettre la description de nostre Verdier, à fin que si faillions en le nommant en langue estrange, au moins puissions faire entendre, duquel voulons parler. Et pource qu’il ha divers noms, ceux de nostre païs du Maine le nomment un Serrant, de diction approchante de la vulgaire des Cretes, qui le nomment Asarandos. Il est moult jaulne par dessous la gorge, mais plus palle par dessous l’estomach, & le ventre. Il ha la queuë bien longue, & qui est fauve par dessus, dont les deux plumes qui sont es deux orees blanchissent. Le devant de sa teste est jaulne, ayant une ligne noire en chasque costé, qui commence au bec, & montant par dessus les yeux, finist derriere la teste. Son bec est court, qui tient quelques enseignes de celuy du Proyer : car le dessus est petit & le dessous est grand, ayant une petite bossette au palais, beaucoup moindre qu’elle n’est au Proyer. Son bec est pareillement eschancré par les deux costez, & la couleur de dessus son dos est comme celle de la Linotte. Son cropion est couvert de plumes de couleur fauve, & les aelles de la couleur de celles du Cochevis. Ses jambes, & pieds sont de couleur blanche, & le bec est plombé. Il est de plus long corsage que le Bruant. Ce n’est improprement parler Françoys, nommer sa femelle Verdier. Il est deux especes de Verdiers, dont celuy que descrirons maintenant est nommé Verdier de haye. Et de vray ses couleurs demonstrent, qu’il est quasi comme bastard entre un Verdier, & un Pinson. Son dos est coloré comme celuy d’un Moineau, & ses aelles comme d’un Montain. Il est plus verd sur la teste, & dessous la poictrine, que le susdit : mais aussi est moins jaulne, sinon dessous le ventre : ayant aussi en chasque costé de la queuë, deux plumes à demy blanches. Ses jambes, & pieds sont blanchastres. Son bec est comme celuy d’un Proyer : car il ha une butte au palais, & la partie de dessous plus grande que celle de dessus. Au demeurant est de mœurs, vol, voix, & de faire son nid, tout ainsi comme le precedent.

Du Bruant.
CHAP. XXIII.


LE BRUANT tient ceste appellation Françoyse de son chant : car il semble bruire en chantant. C’est ce qu’Aristote au premier chapitre du neufiesme livre de l’histoire des animaux, ha entendu, quand il dit, qu’il contrefait le hanissement d’un cheval : comme aussi fait bruit en volant. Aristote, à nostre jugement, le nomma Anthus, que les Latins ont tourné Florus : mais les Grecs encor pour le jourdhuy tenants je ne sçay quoy de l’antiquité, ne le nomment de diction ancienne : ains en vulgaire le nomment comme les Latins Florus: car ils ont esté dominez par les Latins, dont ils ont retenu telle diction. Le Bruant est un peu plus gros que le Pinson. Les masles sont quasi touts jaulnes, excepté que l’une partië des aelles, & de la queuë sont entre cendrees & tannees, dont les grosses plumes sont peintes de jaulne plus exquis. Et aussi que les deux plumes qui sont es deux costez de la queuë, sont totalement jaulnes : mais le dedens est de la couleur des autres. Le bec du Bruant est grosset, & poinctu par le bout, & de palle couleur. Ses jambes, & pieds sont quelque peu rougeastres, comme est la couleur de la chair. On les garde en cage, pource qu’ils chantent plaisamment. Ils vivent communement de semence de chenevis, & se tiennent par les haults arbres le long des prairies. Ils ne font moins de cinq petits. Aristote disoit au lieu cy dessus allegué, en ceste maniëre : Anthus se paist de verms, mais non seulement de cela, car aussi paist de l’herbe, le long des lacs & rivieres. Il ha les pieds fendus, estant de belle couleur, & est facile en sa mangeaille. Il est de la grandeur d’un Pinson. Il ha haine avec le cheval : lequel il dechasse de son pasturage de l’herbe, de laquelle il se nourrist aussi. Il fait quelque voix qui est comme celle du cheval : parquoy volant contre le cheval, il l’espovente, & le fait fuir. Il n’ha guere bonne veuë : & parce il est quelquesfois tué du cheval, s’il le trouve au depourveu. Choses semblables ont esté prononcees par Aristote : esquelles ne trouvons chose aucune, qui ne soit conforme, & qu’on ne puisse avouër nostre Bruant estre Anthus.

De la premiere espece de Mesange.
CHAP. XXIIII.


IL EST requis sçavoir l’endroit ou se nourrissent les oyseaux pour avoir cognoissance d’iceulx : car nous estants quelquesfois trouvez à voir des oysillons moult semblables aux Bergerettes, pensasmes que s’en fussent : & toutesfois c’estoyent celles especes de Mesange, qu’on surnomme Nonnettes : car ayants sceu que la plus grande espece des Mesanges se tient au bois, qui monte & descend à la maniëre des Picsverds, se tenant aux troncs des arbres, cogneusmes au vray que ce ne pouvoit estre une Bergerette, qui hante tousjours le long des ruisseaux, & fait sa demeure à terre. Ceste Mesange n’est veuë si commune en temps d’esté comme en autonne : car lors on en trouve en grand foison : qui est la saison quand les Nonnettes apparoissent, que les Bergerettes faillent. Nostre vulgaire ha trouvé une invention pour prendre les Mesanges, qui est puerile : C’est qu’ils pendent une noix ja entamee, entour laquelle ils tendent plusieurs petits collets simples de queuë de cheval : & les Mesanges voulants venir manger la noix, se pendent par les pieds, & la trouvants les collets, se trouvent prinses. Elles portent une coiffure dessus la teste, comme aussi fait celle espece de petite Oye qu’on nomme un Cravant. C’est dont toutes deux sont appellees Nonnettes. Ceste Mesange est de la grandeur d’un Pinson : qui est chose correspondante à ce qu’en dit Aristote au troisiesme chapitre du huittiesme livre des animaux, qui la nomme Aegithalos, la decrivant en ceste maniëre. Parorum tria sunt genera : Fringillago, quae major est, quippe quae Fringillam aequet. Ce que les Grecs ont dit Aegithalus, les Latins ont tourné Parus. Donc ceste-cy est la premiëre espece des Mesanges, qui ha un petit bec bien tranchant, rond, & qui n’est gueres long, mais est poinctu, & tirant sur le noir. Ceste coiffure qui luy couvre la teste, est si noire qu’elle en ternist : & luy prend jusques dessus la gorge, & par les costez du col : mais elle ha les temples blanches, comme aussi ha une tache blanche en chasque costé. Les plumes de dessus le dos sont de la couleur de celle d’un Verdier : mais il est jaulne dessous le ventre, comme est une Bergeronnette, ayant les aelles comme celles d’une Lavandiere. Son col est couvert de couleur fort cendree. Les plis de ses aelles sont verds : ayant aussi une ligne sur l’aelle par le travers de couleur palle. Sa queuë est pour la plus part cendree. Les deux dernieres plumes es orees de chasque costé sont blanchastres. Aussi ha bonnes jambes, & bons pieds : & faisant comparaison du grand au petit, sont du tout semblables à celles du Loriot : Car touts deux les ont de couleur plombee, bons ongles, & gros doigts : mais les jambes sont courtes. Ceste espece ne se pend pas tant aux branches, comme les autres. Elle fait grand quantité de petits, le plus souvent douze ou quinze pour une nichee.

De la seconde espece de Mesange à la longue queuë.
CHAP. XXV.


CESTE seconde espece de Mesange ha esté nommee Orinos en Aristote, qu’on ha traduit Monticola, c’est à dire, habitant à la montagne. Estant de petite corpulence ha la queuë bien fort longue, & quand on l’ha prinse, & qu’on la pense bien tenir, elle laisse sa queuë, & ainsi eschappe des mains des oyseleurs : & par cela noz voisins dient, Pert sa queuë, ce que les autres, à la longue queuë. Elle ha toutes les meurs, & maniëre de vivre de la susdite, mais communement ne laisse les bois pour venir vivre par les jardins des villes, & villages en temps d’hyver, comme font les deux autres especes. Elle se pend par les pieds aux rameaux contre les autres, ayant un petit bec court, rond, tranchant, dont elle decoupe les germes des arbres, qu’elle mange au printemps. Ceste espece ha un capichon blanc, au contraire des autres qui l’ont noir : mais est de couleur my-partie de blanc & jaulne, ayant aussi les aelles & la queuë moitie blanche, & moitie noire. Sa maniëre de nicher est comme les autres, & fait aussi grand nombre de petits, faisant son nid moult grand, bien tissu de mousse, & rembourré de plumes. Cela nous fait à sçavoir, qu’il y ha des Francolins es bois des confins de Mets. Elle chante si plaisamment au printemps, qu’il n’y ha gueres autre oyseau, qui ait la voix plus haultaine & aëree : nous l’avons observee en toutes contrees. On les voit l’hyver voler d’arbre en arbre, jectants une petite voix claire, & allants par trouppes s’entr’appellans l’une l’autre. Sa queuë est quasi fourchee, comme à une Hirondelle : ayant les plus courtes plumes es orees, & my-parties de blanc : celles du milieu sont longues, & noires. Ce sont oysillons inconstants, & qui ne se veulent tenir en une place. Leur bec est noir, & plus court que des autres especes. L’oyseau est petit comme un petit Roitelet : mais sa queuë est si longue que qui la replie le long du dos, elle passe deux doigts oultre la teste. Tout le dessous de leur gorge, & du ventre, est blanc.

De la tierce espece de Mesange bleuë.
CHAP. XXVI.


LA TIERCE espece de Mesange est de moult belle couleur, beaucoup plus petite que la precedente. Aristote au troisiesme chapitre du huittiesme livre des animaux, l’ha comprise au nombre des oyseaux, qu’il ha nommez Aegithali, & les Latins Pari. Elle nous apparoist au commencement de l’autonne, & dure tout l’hyver : car l’esté elle va vivre aux forests, ayant si petite charnure, qu’il n’y en ha gueres plus qu’en un Roitelet. Elle ha petit bec, court, rond, & poinctu. Le dessus de sa teste est de moult belle couleur bleuë, ayant une petite tache blanche entre les deux yeux, comme aussi aux deux costez du bec. Sa queuë n’est gueres longue, mais est toute bleuë, comme aussi tout le dessus des aelles, ou il y ha une ligne blanche par le travers. Aussi ha deux taches blanches, une en chasque costé, aux deux cantons des yeux, qui tient quelque peu du dessus du col par le derriere. Encor ha une ceincture moree, qui luy couvre tout le dessus du col. Le dos est de belle coleur cendree, tirant quelque peu sur le verd. Le dessous de la poictrine est jaulnastre, & le dessous du ventre blanchissant. Les jambes, & pieds plombez, gros, & trappes. Elle fait moult grande quantité de petits.

Quatriesme espece de Mesange.
CHAP. XXVII.


ARISTOTE n’ha fait mention que de trois especes de Mesanges, que nous avons ja descrites. Encor en avons trouvé une quatriesme espece, que voulons adjouster en cest endroit. Elle est de la contenance des autres, ayant le bec, les jambes, pieds, & ongles de mesme couleur noire. Mais la couleur de l’oyseau en est differente : car il n’y ha de noir en elle, que sur le sommet de la teste, qui luy descend jusques dessus le bec. Le dessous de la gorge, & les deux costez des temples, & tout le dessous du ventre est blanc. Le dessus du col, & du dos est entre tanné & cendré. Sa queuë, & aelles sont comme entre noirastre, & palle couleur meslee. Toutes Mesanges ont les plumes si avant sur le bec, & longuettes, qu’elles en apparoissent huppees. Ceste cy se tient plus par les forests & taillis, que de hanter les jardins des villes. Elle est moyenne en grandeur entre la grande nommee Spizites, & l’autre, qu’Aristote ha escrite pour la tierce espece, qu’avons surnommé la bleuë.

Du Pinson.
CHAP. XXVIII.


QUAND lon prend un Pinson, il se revenge du bec, & pinse les doigts bien serré. C’est de lá qu’il ha gaigné son appellation Françoyse : car pinser est quand lon empongne quelque chose des ongles : & le Pinson serre si fort de son bec, qu’en pinsant les mains, il en fait sortir le sang. Les Latins l’ont nommé Fringilla, & les Grecs Spiza : mais en surnom, pour le voir hanter les monts, est dit Orospizis. C’est dont la grande Mesange, qui est de la corpulence d’un Pinson, fut nommee Spizites. Ce nom Latin Fringilla luy fut imposé, pour ce qu’il chante beaucoup plus au froid qu’en autre temps, ou-bien (comme dit Aristote) qu’il habite l’esté en lieu tiede, & l’hyver en lieu froid. Ce Pinson est de la grandeur d’un Paisseteau, ayant deux taches blanches sur les aelles, entre lesquelles y en ha une bien noire, qui souventesfois est jaulne. La couleur de dessous le ventre, & du col est roux tirant sur le tanné. Le dessus du cropion tire sur le verd : mais la couleur de dessus le col est comme cendree, tirant sur le bleu obscur : & en plusieurs est cerulee. C’est de lá qu’on pourroit penser qu’Aristote nomme Orospizes. Orospizes (dit il au troisiesme chapitre du huittiesme livre des animaux) Spizae similis, & magnitudine proxima, sed collo coeruleo, & in montibus degit, vermiculis maxima ex parte viuit. Mais icy parlons du commun Pinson. Sa queuë est longuette, composee de douze plumes : desquelles les deux de chasque costé sont quasi toutes blanches. Ses jambes, & pieds sont bruns. Il y ha distinction entre les masles & les femelles : car les femelles ne sont si haultes en couleur que les masles, n’ayants le dessus des aelles tant bigarré. On les garde en cage pour les faire chanter, dont le chant est si puissant, qu’il en est fascheux. Les Pinsons sont passagers deux fois l’an : car ils viennent du bois sur le commencement de l’hyver pour se nourrir par les champs : & lors on les prend à la passee, qui dure depuis la S. Michel jusques à la Toussaints. Il est meilleur quand le vent vient d’aval, que quand il vient d’ailleurs : & fait-on mieux quand le temps est orbe & sans vent : car les Pinsons en passent plus bas. Il fault chercher quelque bon lieu en bonne passee, & à ce faire convient gluer trois arbres en trepié bien bas, distants les uns des autres, & que les pieds soyent fueillars, & les mettre loing des grands chesnes, des gasqueres, des hayes, & buissons. Mais ayant esleu place en quelque petite chauve sera mise la mute des Pinsons, qui sont attachez à la ligne, & sera bon que les gluaux n’ayent que demy pied de long, & bien fort deliëz. Fault aussi avoir quatre ou cinq cagettes à un traict de pierre, ou seront de bons Pinsons appellants. Aussi fault estre des les point du jour à gluer les arbres. Les Pinsons sont en ce contraires à plusieurs oyseaux, Turtrelles, & Hirondelles, qu’ils cherchent le froid, & les autres le chauld.

Du Montain.
CHAP. XXIX.


LON trouve quelquesfois que noz paisans retiennent les dictions telles, que les anciens Grecs ont laissé par escrit, sans sçavoir dont cela leur vient : desquelles nous sommes souvent servy, pour exprimer quelque animal, ou plante : comme est advenu en ce Montain. Il est si proprement nommé en nostre langue Françoyse, qu’il seroit impossible de luy trouver nom mieux à propos : car nous n’y pensants point, l’avons ainsi voulu nommer de nom antique, correspondant à celuy d’Aristote, qui le nomme Orospizes. Oros en Grec, est à dire, montagne : & Spiza, Pinson : tellement que les Françoys le nomment vulgairement un Pinson Montain. Les autres dient Pinson d’Ardenne. Il n’ya ha paisan en tout le territoire Parisien, qui le nomme autrement que Montain. Il ha les meurs d’un Pinson, & le chant en deux sortes. L’un est quand il ha peur, qui est tout semblable à celuy d’un Pinson : L’autre est qu’il fait en rossignollant : mais il luy est beaucoup dissemblable, & qui approche plus à celuy d’une Chouëtte. Nous sçavons qu’il y ha quelques endroicts de France, ou il est nommé Paisse, ou Moineau de bois : mais c’est par erreur. Il est de corpulence & couleur d’un Moineau : & n’estoit qu’on l’ouïst chanter, lon auroit bien peine à le sçavoir distinguer de la Paisse. Tout ainsi que le Pinson ha deux lignes par le dessus des aelles en travers, qui sont de diverse couleur : tout ainsi ce Moineau les y ha en mesme endroit, mais sont de couleur fauve plus obscures que tannees. C’est un oyseau de moult grand courage : car estant navré n’ayant que bien peu de vie, encor se veut-il defendre & revencher, essayant tousjours à pinser & mordre. Son bec est grosset, & plus robuste que celuy d’un Pinson. Ses jambes, & pieds sont robustes, de la couleur de celles de la Grive. Il n’est malaisé accorder ce que dit Aristote de ce Montain au troisiesme chapitre du huittiesme livre, ou il met Orospizes collo coeruleo. Le commun Montain ha le col de couleur cerulee. Et en cecy ne fauldroit sinon dire qu’Aristote nomme nostre commun Pinson, Orospizes : & le Montain simplement Spiza.

Du Grosbec.
CHAP. XXX.


ENCOR n’avons trouvé autre propre nom Françoys mieux à propos pour nommer cest oyseau, que de l’appeller Grosbec : Car il ha le bec moult gros pour sa corpulence. Il est bien vray qu’es autres contrees on luy donne quelques autres noms : car les Manceaux le nomment Pinson royal. Cest oyseau ne tient sa couleur constamment, non plus que grande partie de plusieurs autres oyseaux : car l’ayant ja observé en Grece, dont en avons rapporté la peau, avons trouvé qu’en mesme oyseau le plumage est different selon l’aage. Il est quelque peu moindre que l’Estourneau, portant le bec dur, si gros, que c’est merveille. Sa teste est orengee par le dessus, ayant une tache noire dessous la gorge. Le dessus du col est cendré, & le dos fauve. Les extremitez de ses aelles sont changeantes comme le collier d’un Ramiër, & toutesfois sont bigarees de blanc entre les plumes. Les extremitez de sa queuë sont blanches : mais le dessus est fauve, qui est de mesme couleur dessous la gorge, l’estomach, & le ventre. Ce qu’Aristote ha noté en son Pardalus, au vingt-troisiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, convient à cest oyseau. Pardalus (dit il) est de couleur cendree, approchant à la grandeur des dessusdits : car il avoit des-ja parlé de l’Estourneau, Collurio, Coeruleo, Molliceps, Loriot. Communement (dit il) on le voit voler en trouppe, en sorte qu’à peine le voit-on voler seul, reïterant souvent sa voix, mais elle n’est pas forte. Toutes les susdites enseignes du Pardalus d’Aristote, conviennent à nostre Gros becd : car on ne le voit voler seulet, & fait un chant mal plaisant, & par ce est desestimé à tenir en cage.

Du petit Grimpreau.
CHAP. XXXI.


CEST oysillon n’ha gueres plus grosses corpulence que le petit Roytelet : & est bien aussi difficile à estre prins. Il entourne les branches à la mode d’une Mesange, & monte & descend sur les arbres comme le Picverd, & Torchepot : n’estant jamais en repos, sinon quand il dort. Aristote à nostre jugement, au dix-septiesme chapitre du neufiesme livre des animaux, l’ha nommé Certhia, auquel ne trouvons nom Latin, & ha dit que Certhia est oysillon de moult petite corpulence, qui est de meurs audacieuses, tenant son domicile entour les arbres, & vivant de verms, qui mangent les bois, & dont l’esprit est soigneux en pourchassant sa vie. L’oyseau dont entendons, ha le devant de la gorge, & la poictrine toute blanche : le dessus du dos est quasi de la couleur d’un Roytelet, ayant un petit bec, poinctu, & longuet, mais grande ouverture de gorge. Sa queuë est courte, & qui n’est roide comme celle des Pics verds, mais est de la maniëre de celle d’un Torchepot. Il n’est passager : car il demeure l’esté & l’hyver en une place, se tenant dedens les creux des arbres, ou il fait son nid, & pond grand’ quantité d’œufs. Il fait jusques à vingt petits, ou plus, ou moins. Aristote au mesme passage, dit en ceste maniëre. Novimus aviculam quandam exiguam, nomine Certhiam : cui mores audaces, domicilium apud arbores, victus ex cossis, ingenium sagax in vitae officiis, vox clara.

Du petit Mouchet.
CHAP. XXXII.


NOUS avons dit que le masle de l’Espervier estoit nommé Mouchet : mais maintenant parlerons d’un petit oysillon de la grandeur d’une Fauvette, hantant les buissons, qui mange les mousches, & de lá est aussi nommé Moucherolle. Il y ha bien quelques autres especes d’oyseaux qui vivent aussi de mousches, comme est la Lavandiere, qui ha esté nommee Culicilega, & Apiaster, qui mange les Avettes : mais cestuy cy tenant son appellation des mousches, sera separement descrit, comme ayant son espece à part, differente aux dessusdits. Il est si semblable à un Moineau, ou Paisse, qu’il n’y ha que les meurs en ceux qui vivent, & le seul bec es morts, qui en puissent faire distinction. Il ha bonnes jambes, & pieds, qui ne sont pas noires. Son bec est delié, & longuet, comme celuy d’une Rouge gorge. Sa queuë est assez longuette. Somme que le tout est semblable à un Friquet, hors-mis le bec, & que son chant est assez plaisant. Il se va tousjours cachant par les buissons & hayes : parquoy hommes d’authorité, doctes & sages, qui se sont trouvez tendants l’erignee avec nous, l’ayants veu si semblable aux Paisses, luy ont imposé ce nom Latin Passer rubi, comme qui diroit Moineau de haye.

De la grande Hirondelle.
CHAP. XXIII.


QUATRE especes d’Hirondelles, sont vulgaires aux paisans, villageois, & bourgeois de France : dont la plus grande, pource qu’elle vole tousjours, & n’ha les pieds propres à se tenir sur terre, ha esté nommee Apus, & Cypsellos. Car combien qu’elle ait les pieds muniz de bons ongles, toutesfois ne se tient assise dessus comme les autres oyseaux, mais s’appuyant de sa jambe, s’en sert de talon : & aussi entrant en quelque pertuïs, se tire en avant, & alors s’en peult bien servir quelque petit : car mesmement le doigt que les autres ont au talon est arrengé au costé de son pied, en sorte que les deux doigts sont d’un costé, & les deux de l’autre, & la ou ses pieds ne sont suffisants pour la poulser en avant quand elle entre en son pertuïs, elle se sert aussi de son bec. Elle prend sa proyë en volant, comme aussi font les autres Hirondelles. Pour ceste cause nature luy ha donné si grande ouverture de bouche, qu’elle peult avaler un Escherbot tout entier, ou Cerf volant. C’est l’un des oyseaux qui ha aussi bonne veuë, que nul autre : car il peult adviser les mousches en volant de demy quart de lieuë loing : aussi ha-il paupieres tant dessus que dessous, à la maniëre des animaux terrestres, & les yeux ombrez de plumes par dessus. Son bec est petit, noir, poinctu par le bout, ayant deux ouvertures, une de chasque costé, qui sont de la partie du dessus. Et quand on estend ce bec, il s’ouvre en moult grande espace de gueule. Son col est court : sa teste est large par dessus : elle est quasi de la grosseur d’un Estourneau. Son corps est fort bien garny de bonnes plumes : ses jambes sont moult courtes, couvertes de plumes jusques aux doigts du pied, qui sont sanguins & trappes : desquels empoignant quelque chose de ses doigts, elle l’estrainct si fort qu’elle le perse tout oultre avecques les ongles. On l’oit crier de bien loing en volant : car elle fait une voix claire, & moult esclatante. Sa couleur n’est pas proprement noire, mais comme de poil de Souris, tant dessus que dessous : excepté qu’il y ha une tache blanche dessous sa gorge. Sa queuë apparoist fourchee, & quand elle vole, lors fait apparoistre un arc tendu provenant de ses aelles, qui ont les plumes plus longues que sa queuë. Aristote escrivant de c’est oyseau, disoit qu’il apparoist en toutes saisons de l’annee en son païs : toutesfois ce sont les derniers oyseaux qui viennent à nous, & les premiërs qui s’en retournent. Parquoy il y ha quelque soupçon qu’il entend de cest oyseau : & pour le prouver, prendrons ceste seule merque. Il est semblable aux Hirondelles (dit il au trentiesme chapitre du neufiesme livre des animaux) excepté qu’il ha les jambes peluës. Pline dit au trente-neufiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, qu’on ne les voit jamais s’asseoir sur terre, comme les autres oyseaux, qu’ils ne se reposent sinon penduz en l’aer, en dormant en leurs nids. Il y ha une isle en Grece anciennement nommee Zacinthus, & maintenant Zanthe, qui ha un chasteau la hault sur la roche au dessus de la ville : & lá les garçons de leans se mettent aux fenestres, tenants une ligne en leurs mains, tout ainsi que s’ils vouloyent pescher du poisson, ayants une petite plume pour emorce, liee à un hameçon, pendante à une petite cordelle : & prennent grande quantité d’Hirondelles à leur nouvel advenement : Car trouvants icelle plume pendue, la veulent prendre avec le bec pour porter en leur nid : mais ayants trouvé l’hamecon qui les accroche, demeurent penduës à la ligne du pescheur : tellement qu’un homme en prend quelquesfois cinq ou six douzaines par jour : & celles qui sont grasses & tendres, sont tresbonnes à manger. On les voit voler sans remuër les aelles : & toutesfois estants à terre demeurent immobiles, ne pouvants s’en voler, ne fuir en courant. Nature en son endroict s’est monstree maistresse ouvriere : car comme nous estimons le Daulphin, que noz poissonniers nomment l’Oyde de mer, ou Marsouin, estre le plus viste des poissons, aussi pretendons que ceste espece d’Hirondelle est le plus soubdain des oyseaux : toutesfois maintenons le Daulphin nager aussi viste en l’eau de la mer, que ceste Hirondelle vole en l’aer. L’un nage sans secousse de ses pinnules, ou aelles de poisson : l’autre vole sans battre des siennes. La raison en ha esté dicte au premiër livre, ou est fait mention du voler & marcher des oyseaux. Il est un poisson en la mer, dont avons baillé le portraict en noz livres De aquatilibus, qui ha prins son nom de l’Hirondelle, comme aussi l’herbe de Chelidoine. Ceste grande est diversement nommee entre nostre vulgaire : les uns dient Moutardiers, les autres grands Martinets.

De la petite Hirondelle.
CHAP. XXXIIII.


L’HIRONDELLE ainsi simplement proferee en nostre langue, est entendue de celle que nous cognoissons estre de moyenne grandeur, qui est plus grande que le petit Martinet, & moindre que la grande Hirondelle. Elle est si bien cogneuë par tout qu’il ne nous la fault ja descrire d’avantage : car les autheurs anciens en ont asses amplement parlé. Nous ne cognoissons oyseau qui vole plus agilement que l’Hirondelle : d’autant qu’elle ha moult bonnes aelles, & se fiant à son bon voler, entre privément dedens les maisons, & fait hardiment son nid es cheminees, & aux planchez. Nous ne voyons qu’elle descende sur terre pour prendre sa viande : car elle mange en volant. Il est bien vray qu’elle avalle aussi des pierres, pour se curer l’estomach. Il ne fut onc, que les Hirondelles n’ayent eu des enseignes de rouge dessous la gorge : car mesmement ja long temps ha, qu’Ovide ha dit en ceste sorte : Tecta subit, neque adhuc de pectore caedis Excessere notae, signataque sanguine pluma est. La couleur des plumes de son dos est comme verd brun, tirant sur l’obscur : son ventre est blanc, l’estomach est noir : mais les plumes au dessous du bec sont de couleur phenicée : c’est à dire, rougeastre. Elle ha le bec & les pieds noirs : mais son bec est quelque peu large, court, & poinctu par le bout, ayant moult grande ouverture en la gorge : que nature ha fait pour son bien, d’autant qu’elle prend sa pasture en volant. Sa queuë, comme aussi les aelles, est noire, & fourchée en forme de croissant, ayant quelques petites taches de blanc. Ses jambes sont courtes, & les pieds faitz à la maniëre des oyseaux qui se perchent. Lon pense qu’elle face ses petits deux fois l’an. Qui nous semble estre vray semblable : car nous voyons qu’elle est absente autant de temps hors de nostre païs, comme presente. Et pource qu’elle retourne lors que l’esclaire est en fleur, les autheurs ont donné le nom d’Hirondelle à l’esclaire, la nommants Chelidonium. Et tout ainsi que ceste Chelidoine ha vertu de guerir les yeux, aussi pense lon que les petits de l’Hirondelle, aveuglez de la fumee des cheminees soyent gueris par l’herbe que la mere leur apporte dedens le nid. Il y ha quelques practiciens medecins, qui ont mis par escrit que l’eau distillee des Hirondelles guerist le mal des yeux. Ce qui ha esté dit des pierres d’Hirondelle est tout ainsi de l’Alectoire, de la pierre d’Aigle, & telles autres semblables, qui sont pierres naturelles, qu’on attribue aux oyseaux.

D’une espece d’Hirondelle de rivage.
CHAP. XXXV.


SUYVANTS un ordre en la description des Hirondelles, mettrons icy celle qu’Aristote au premier chapitre du premier livre des animaux, ha nommee Drepanis, ou Riparia : laquelle nous pouvons nommer Hirondelle de rivage, à la difference du Martinet, qui est nommé Argatylis. Ja avons fait mention de la grande, & de l’autre moindre, qui est simplement nommee Hirondelle. C’est à bon droit que ceste cy ha esté nommee sauvage, en comparaison de toutes les autres qui hantent les villes & villages, esquels elles font leurs nids de moult grande industrie. L’Hirondelle de rivage ne fait aucun nid, mais trouvant des pertuïs en terre, en la marge des rivieres, entre leans, & y porte de la plume, pond dessus, esclost, & esleve ses petits. Celuy qui en lisant Pline, au trente troisiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle, observera ce qu’il escrit des Hirondelles, trouvera qu’il met deux especes d’Hirondelles de rivage, quasi conforme à ce qu’en ha escrit Aristote au treziesme chapitre eu neufiesme livre des animaux, disant : In ripariarum genere Argatylis, etc. Quelque part qu’on trouve le nid d’un Martinet pescheur, lon doit penser que celuy d’une Hirondelle de rivage, n’en est moult loing : & de vray sçachants que son bec est foible, & petit, pensons qu’elle ne creuse la terre pour le faire : mais qu’elle entre en celuy des Halcyons, ou Martinets pescheurs, esquels ils avoyent nourry leurs petits l’annee precedente : Car l’Halcyon est coustumier de faire un nouveau creux par chacune annee, entendu qu’il ha fort bec, long, & dur. Les Hirondelles de rivage n’ont la queuë si fourchue, que les autres & ressemblent à un Paisseteau tant à les voir voler, comme les regarder. Elles ne sont moins cogneues, que les autres especes à qui y veult prendre garde.

Du Martinet, espece d’Hirondelle.
CHAP. XXXVI.


NOUS mettrons ce Martinet, petite espece d’Hirondelle, pour une quatriesme espece : Car onc n’en avons peu plus observer. Nous pretendons que c’est celle, qu’Aristote nomme Argatylis : & que c’est celle espece que nous voyons estre plus sauvage que la commune Hirondelle. Il bastist son nid de grande industrie, le long des voustes des haults bastiments eslevez, & dessous les portaux des eglises. Aristote disoit au treziesme chapitre du neufiesme livre des animaux : Argatylis est ingenieux : car estant de l’espece des Hirondelles de rivage, il ourdist son nid avec du fil, faisant qu’il ressemble une boule ronde, laissant l’entree estroicte. Il y ha difficulté en ce que Pline en escrit : car apres qu’il ha parlé de trois especes d’Hirondelles, encor en met une qu’il ne nomme pas. In genere item Ripariarum est (dit il au trente-troisiesme chapitre du dixiesme livre de l’histoire naturelle) cui nidus ex musco arido ita absoluta perficitur pila, ut inveniri non possit aditus. Puis apres dit : Argatylis appellatur eadem figura ex lino intexens. Lisant cecy, & entendant qu’Argatylis est ce qu’il disoit, In genere Ripariarum, & n’en faisant qu’une espece, lon aura la mesme sentence d’Aristote, qui vouloit qu’Argatilis, espece d’Hirondelle de rivage, ourdist son nid avec du fil de lin. Lon ne peut bonnement dire qu’Aristote ait descrit plus de trois especes d’Hirondelles, d’autant qu’il n’y comprent ceux, qu’avons nommez Moustardiers. Descrivant ce Martinet & le nommant Argatylis, voulons faire entendre que pensons que c’est celuy qu’Aristote ha aussi constitué le second entre les especes des Hirondelles. Et que par ce qu’il ne hante les maisons, comme l’Hirondelle, qui ha la gorge rouge, on l’ha nommee en Latin Rustica, Agrestis, ou Sylvestris. Et ores qu’il y eust difference entre Argatylis d’Aristote, & Hirundo rustica de Pline, Argatylis nous seroit incogneuë : toutesfois il en est autrement. Nous dirons donc presentement les propres merques du Martinet. La couleur de dessus sa teste, col, & dos sont comme de l’Hirondelle privee, excepté qu’il n’y ha rien de rougeur dessus & dessous le bec : car au lieu de rouge, tout le dessous de son bec, de sa gorge, & tout le long du ventre, & jusques à la queuë, est tout blanc. Et mesmement les doigts de ses pieds, & jambes sont couvertes de plumes blanches. Soit donc acordé pour une enseigne singuliere en cest oyseau, qu’on n’en pourroit trouver aucun autre qui ait les doigts des pieds chargez de plumes : car mesmement les oyseaux de nuit, le Coc de bois, Francolin, la grande Hirondelle, & autres, n’ont rien que la jambe plumeuse. Encor y ha une tache particuliere en cestuy-cy : C’est que comme il ha le bout de la queuë des grosses pennes noires, toutes les plumes, tant dessus que dessous le cropion, sont blanches, comme au Pivoine, & Culblanc. Parquoy qui le regarde en volant, ne luy trouve du noir que sur le dessus du dos, & de la teste, des aelles, & le bout de la queuë : laquelle combien qu’on la voye fourchee, toutesfois n’ha celles deux plumes es orees ainsi longuettes, comme la domestique. Elle seule le bastist son nid en forme spherique, le couvrant dessus & dessous, n’y laissant qu’une gueule estroicte : car les autres le font ouvert par dessus en maniëre de panier. Nous pensons que c’est de ceste cy dont Pline ha entendu au mesme passage : ou il dit qu’elles bastissent leurs nids en Egypte à l’entree du Nil en la mer qu’on nomme Heraclecticum ostium, d’une masse si serree, longue d’une stade, qu’il en est inexpugnable : & qu’à peine pourroit-il estre parfait de l’ouvrage humain de telle fermeté contre l’inondation.

FIN DU SEPTIESME ET DERNIER
livre de la nature des oyseaux.
PLAISE AU LECTEUR

prendre en gré, ce qu’aura approuvé DE NOSTRE OBSERVATION en ceste langue : attendant qu’avec l’aide de Dieu, du Roy, de Monseigneur le cardinal de Tournon, & de Monseigneur F. Olivier, Chancelier de France (qui ont jusques à cy entretenu nostre estude, fondee sur la medecine) le rendions en autre langue, au mieux qu’il nous sera possible, pour le communiquer aux autres nations.

IMPRIME A PARIS PAR BENOIST Prevost, demeurant en la rue Frementel, prés le cloz Bruneau, à l’enseigne de l’estoille d’or. 1555.

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