Histoire de la philosophie moderne/Livre 4/Chapitre 1

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Traduction par P. Bordier.
Félix Alcan, Paris (Tome premierp. 395-412).

1. — John Locke

a) Biographie et caractéristique.

Le premier philosophe critique naquit la même année que le plus grand des dogmatiques. John Locke naquit le 29 août 1632 aux environs de Bristol. Son père était avocat, mais prit part à la guerre civile comme chef d’une troupe de cavaliers du parti du Parlement. La tournure indépendante et libérale de sa pensée passa à son fils. L’éducation que le philosophe en herbe reçut de son père était telle, qu’en rédigeant son traité de l’éducation, qui devait faire époque, il put utiliser des souvenirs qu’il en avait gardés. Ce trait (Thoughts on Education, § 40) que l’obéissance nécessaire à l’enfance doit être peu à peu remplacée par des relations libres d’ami à ami, est un détail tiré de l’éducation que l’auteur avait reçue lui-même. Les expériences qu’il fit à l’école et à l’Université profitèrent à sa philosophie plutôt par effet de contraste. Durant six ans il alla à l’école de Westminster où il apprit les langues anciennes d’après une méthode rigoureusement grammaticale et où on le tourmenta en lui faisant apprendre des leçons par cœur et composer des dissertations latines sur des questions incompréhensibles pour lui. On ne faisait pas de sciences de la nature, si ce n’est un peu de géographie, l’été après souper. S’il met en garde contre la méthode qui consiste à apprendre par cœur et à commencer l’enseignement des langues par la grammaire, c’est qu’il en a fait l’expérience par lui-même à l’école. Lorsqu’il vint à Oxford (1652), le puritanisme et la scolastique y régnaient. Ni l’un ni l’autre ne satisfaisaient Locke. Ce qui éveilla son esprit à la philosophie, ce fut (d’après une déclaration faite plus tard par lui) l’étude des ouvrages de Descartes. Cette connaissance fut pour lui un grand encouragement, car il avait attribué ses faibles progrès dans la philosophie scolastique à son manque de don naturel en philosophie. Il étudia également Gassendi et Hobbes, et ils eurent une grande influence sur la tendance de son esprit.

On pratiquait alors à Oxford une large tolérance. Non seulement John Owen, le chancelier de l’Université, mais Olivier Cromwell, le puissant protecteur, garantissaient à tous les protestants la liberté de penser. Cette époque a laissé dans l’esprit de Locke des traces qui durèrent toute sa vie. Avec la Restauration, l’Église épiscopale reprit le pouvoir. Au début Locke avait l’intention de se faire ecclésiastique, mais sa conception libérale, latitudinaire du christianisme lui rendit ce projet impraticable. Dans un traité de 1667 (qui fut plus tard agrandi sous la forme de la célèbre Letter on toleration 1685), il conteste à tout le monde et à chacun en particulier le droit d’imposer à d’autres des opinions spéculatives et des formes de culte arrêtées. Et dans un traité intitulé Error (qui se trouve imprimé ainsi que le premier traité dans l’excellente Life of Locke, Londres 1876, de Fox Bourne) il dit : « Quiconque examine et adopte après un examen loyal une erreur au lieu d’une vérité, a mieux accompli son devoir que celui qui admet la confession de la vérité (car il n’embrasse pas la vérité elle-même) sans avoir examiné si elle est exacte ou non. » Il attache la plus grande importance au côté moral de la religion et demande le moins possible de dogmes et de cérémonies. L’Église épiscopale avec ses trente-neuf articles de foi et ses nombreuses cérémonies lui était par conséquent fermée.

Il résolut alors de se faire médecin et étudia la chimie et la médecine. Ce fut là l’origine de son amitié avec Robert Boyle, le célèbre chimiste, et avec Sydenham, le non moins célèbre médecin. Les aspirations de Locke comme philosophe sont parentes de celles de ses deux amis. — Boyle (l’aîné de Locke de six ans) soutenait la méthode expérimentale en chimie contre les alchimistes et les chimistes médecins qui se proposaient d’autres buts que la science pure. Il est le premier qui ait montré avec clarté le but de l’analyse chimique : à savoir la découverte des éléments des matières composées, c’est-à-dire des matières constituantes, qu’on peut démontrer comme telles et qu’on ne peut plus diviser. Il prédit qu’on trouverait beaucoup plus d’éléments qu’on ne se l’imaginait alors et contesta le caractère incomplexe de beaucoup de matières que l’on avait jusqu’alors regardées comme des éléments. — Sydenham soutenait la méthode empirique en médecine et professait les mêmes principes que ceux émis par Locke dans un petit traité intitulé De l’art de guérir, où il insiste sur la nécessité de s’appuyer sur des observations, et non sur des axiomes. Locke accompagnait souvent Sydenham dans les visites qu’il faisait à ses malades.

Cependant l’art médical ne fut pas non plus la tâche de toute la vie de Locke. Il fit la connaissance du comte de Shaftesbury, le célèbre homme politique du règne de Charles II, et bientôt il fut attaché à sa famille en qualité d’ami, de secrétaire, de médecin et d’éducateur de deux générations. Comme on peut le voir aux petits traités de ses premières années, les idées politiques de Locke étaient libérales comme ses opinions religieuses. Il appartenait avec ardeur et conviction au parti des Whigs et il fut impliqué dans leur destinée. La chute de Shaftesbury en 1672 amena aussi celle de Locke. Il dut renoncer aux situations que la confiance de Shaftesbury lui avait values. Il passa alors quelques années à voyager en France. Ses notes de voyage ont un intérêt historique et témoignent de sa grande faculté d’observation et de l’attention qu’il accordait à tous les aspects de la vie. Son ami ayant pris part dans la suite à une conjuration et ayant dû fuir en Hollande, Locke ne se crut pas en sûreté en Angleterre et passa également en Hollande (1683) où se réunirent peu à peu un nombre considérable de whighs réfugiés. Un moment il dut se cacher, le gouvernement anglais demandant son extradition. Pendant ces années-là, il travailla à ses écrits, surtout à l’Epistola de tolerantia (1685) qui parut quelques années après en anglais, et à son chef-d’œuvre De l’entendement humain. En même temps il s’occupait probablement des préparatifs en vue de la révolution. Il entretenait des relations d’amitié suivies avec le prince d’Orange et son épouse, et au commencement de 1689 il revint en Angleterre avec la princesse.

La politique ne fit pas oublier à Locke la philosophie, et inversement. Au commencement de 1690 parut son chef-d’œuvre, Essay on human understanding, un des ouvrages les plus remarquables et les plus couronnés de succès de l’histoire de la philosophie. Les premiers débuts en remontent loin dans le développement de Locke. Il rapporte dans la préface que ce fut une discussion avec quelques amis qui lui inspira l’idée de l’ouvrage. Comme ils n’avaient pas pu résoudre les problèmes qu’ils s’étaient posés, il pensa que peut-être il aurait fallu au préalable « examiner nos propres facultés et voir quels sujets notre intelligence peut traiter et quels sujets elle ne peut traiter. » Dans un exemplaire de l’Essay de Locke qui se trouve au Bristish Museum, James Tyrrell, ami de Locke, a écrit : « Je me rappelle que j’étais moi-même présent lorsque les principes de la morale et de la religion révélée furent discutés. » Ce fut donc une discussion roulant sur des sujets éthiques et moraux qui porta à examiner de plus près la connaissance. Ce commencement se place dans l’hiver de 1670 à 1671. Ensuite, pendant son séjour en France et pendant son exil en Hollande, Locke travailla à son ouvrage, qu’il acheva en 1687. L’année suivante, un extrait en fut imprimé dans le périodique hollandais Bibliothèque universelle, et en 1690 parut l’ouvrage complet en anglais. Il comprend quatre livres : le premier critique la doctrine des idées et des principes innés ; le second montre que toutes les idées proviennent de l’expérience et décompose les idées complexes en leurs éléments simples, afin que l’union se fasse avec d’autant plus de facilité ; le troisième examine l’influence de la langue sur la pensée, combat la philosophie scolastique, philosophie toute de mots, et montre que nos idées d’espèces et de genres ne peuvent pas purement et simplement être regardées comme valables même pour la nature ; le quatrième distingue les différentes espèces de connaissances et fixe les limites de la connaissance. La théorie de la connaissance proprement dite est donc contenue dans le livre quatrième. Ce livre et le second livre (sur l’origine des idées dans l’expérience) semblent avoir été écrits les premiers ; le premier (critique des idées innées), et le troisième (sur le langage), furent ajoutés par la suite.

Sous le roi Guillaume d’Orange, Locke eut une influence considérable. Il tenait de près au roi et à plusieurs des dirigeants. Il intervint en faveur de la liberté de la presse, de tolérance, de lois monétaires et commerciales sensées et en faveur d’une réforme de l’assistance publique ; il occupa différents emplois. Les Two Treatises on Government, qui parurent en 1690 attestent que, outre leur but théorique, ils visaient aussi à défendre la Révolution qui avait amené le nouvel état de choses. Parmi ses autres écrits il faut citer (outre les Thoughts on Education, 1692) le livre sur la rationalité du christianisme exposé d’après l’Écriture (The Reasonableness of Christianity as delivered in Scripture). Dans sa conception du christianisme Locke insiste sur ceci, que la croyance de l’ancienne Église est contenue dans cet axiome : Jésus est le Messie. Le christianisme est pour lui l’Évangile de l’amour ; il ne prétend pas tourmenter les hommes avec des dogmes incompréhensibles (dogmes de la Trinité, de la grâce et de la damnation éternelle), il veut agrandir la loi de nature et de raison en montrant comment les hommes peuvent arriver au salut. Lui-même pensait être un chrétien croyant, et ses lettres ainsi que sa vie témoignent de la profondeur de ses sentiments religieux. Il lisait la Bible avec ardeur, et durant ses dernières années, il composa un commentaire des lettres aux Corinthiens. Mais ce qui l’attirait le plus, c’étaient les tendances chrétiennes renfermant un minimum de dogmatisme et de hiérarchie. Pendant son séjour en Hollande, il demeura quelque temps chez un quaker avec lequel il se lia d’une intime amitié. Plus tard il accompagnait à Londres le roi Guillaume lorsque celui-ci sous un déguisement assistait aux réunions des quakers pour connaître cette secte. Locke écrivit à une dame anglaise quaker que c’étaient des femmes qui avaient vu les premières le sauveur ressuscité ; de même maintenant ce serait peut-être encore par des femmes que la résurrection de l’esprit d’amour serait proclamée. Il fut en butte à de violentes attaques de la part des théologiens et comme on trouvait l’origine de sa théologie dans sa philosophie, celle-ci fut aussi attaquée avec âpreté, notamment par Stillingfleet, évêque de Worcester, à qui Locke répondit plusieurs fois par des écrits polémiques très étendus. Ce fut le dernier duel de la philosophie scolastique avec la philosophie moderne. La colère suscitée par le point de vue de Locke en théologie fut encore accrue par son affinité avec les déistes. Un ouvrage tel que celui de John Toland : Christianity not mysterious, qui parut en 1696 et fut publiquement brûlé à Dublin l’année suivante, semblait ne faire autre chose que d’en tirer la conséquence naturelle. Les écrits de Locke étant aussi lus des étudiants, les présidents du Collège d’Oxford décidèrent qu’on ne se servirait pas de l’Essay de Locke à l’Université. À cette nouvelle, Locke fit observer que ce n’est pas une raison parce qu’il y a des gens qui se mettent des œillères ou qui détournent la tête, pour que tous consentent à ne pas faire usage de leurs yeux, et l’histoire lui a donné raison.

Locke, qui ne fut jamais marié, passa ses dernières années dans la maison d’un M. Masham à Oates, près de Londres. Lady Masham était la fille du philosophe Cudworth de Cambridge, c’était une femme de talent. Il mourut en 1704 après avoir souffert plusieurs années de l’asthme. Une grande douceur, un grand amour pour ses amis, la recherche sincère de la vérité et la ferme croyance en l’importance de la liberté individuelle et politique, tels sont les traits de caractère qui prennent chez Locke un relief particulier d’après ce que nous savons de lui par ses œuvres et par ses lettres. Ce qui est bien significatif, c’est ce qu’il écrivait un an avant sa mort à un jeune ami, qui devait devenir l’écrivain déiste Anthony Collins : « Aimer la vérité pour elle-même, c’est la partie la plus importante de la perfection humaine en ce monde et la pépinière de toutes les autres vertus. »

b) Origine des idées.

Voulant demander raison à la connaissance humaine, Locke se propose d’abord pour objet d’examiner d’où proviennent les idées (ideas) avec lesquelles elle opère. Par idée (idea) il entend tout ce à quoi nous pouvons penser. Cette tâche disparaîtrait s’il y avait des idées innées à la lettre, et pour cette raison il commence par tourner sa critique contre cette opinion. — On a pensé par exemple, dit Locke, que l’idée de Dieu était une idée innée de ce genre ; de même on dit que les principes logiques et moraux les plus fondamentaux sont innés. Des propositions telles que : toute chose est ce qu’elle est, et : nous devons agir envers les autres comme nous voudrions qu’ils agissent envers nous, sont considérées comme étant à l’origine immanentes à la conscience humaine. Mais alors elles devraient être les toutes premières idées qui se présentent à la conscience. On peut facilement se convaincre qu’il n’en est pas ainsi en examinant les enfants, les idiots, les sauvages et les hommes sans instruction. La conscience de ces êtres ne renferme que des idées et des perceptions particulières, déterminées, concrètes, et non des principes généraux. Et l’expérience nous montre des individus et des peuplades sans aucune idée de Dieu et sans idées morales proprement dites. De ce que ces idées et ces principes sont compris et adoptés dès qu’ils sont rendus distincts à la conscience, déduire qu’ils sont innés, c’est une conclusion injustifiée. Ce qui a besoin d’être rendu évident et d’être prouvé n’est pas inné, mais doit être appris. Naturellement il doit y avoir une capacité originale (capacity) pour apprendre, et l’on peut avec raison parler de lois ou de principes naturels, en ce sens qu’il y a en effet des opinions auxquelles l’homme arrive par l’usage naturel de l’expérience et de sa pensée. Locke range parmi ces idées, outre les vérités logiques et mathématiques, également les opinions religieuses et morales les plus importantes. Mais il appuie vigoureusement sur ce fait qu’une loi naturelle n’est nullement la même chose qu’une loi innée. La théorie des idées innées tient en majeure partie à la commodité qu’elle offre : on veut éviter d’étudier la formation des idées.

Cette polémique semble être spécialement dirigée contre les philosophes scolastiques, contre les Platoniciens de Cambridge et Herbert de Cherbury ; ce dernier est le seul représentant des « idées innées » qu’il nomme par son nom. Il n’est guère probable qu’il ait visé en premier lieu Descartes : l’explication plus nette que donne Descartes de l’expression impropre « inné » le soustrait à la critique de Locke. — Locke se servit lui-même d’une expression qui provoqua des méprises : l’ancienne comparaison de la conscience avec une table rase (tabula rasa). Par là il ne voulait pas contester (ainsi qu’on l’a souvent cru), que les facultés primordiales de l’âme précèdent l’expérience. — C’est une malheureuse propriété des termes philosophiques que de faire naître souvent des idées trop grossières. Même après la rectification précitée de la théorie de Locke, la critique de Leibniz demeure cependant juste, car Locke néglige soit l’importance des éléments obscurs, plus ou moins inconscients, soit la façon involontaire, spontanée dont les penchants primordiaux se font valoir. Le moment d’activité que Locke reconnaissait dans la formation de certaines idées fut même réduit par quelques-uns de ses successeurs pour être finalement supprimé. —

La solution que Locke donne au problème tend à montrer que toutes les idées, terme par lequel il entend le contenu de la conscience tout entière, proviennent de l’expérience, soit de l’expérience externe (sensation), soit de l’expérience interne (réflexion). L’expérience externe tient à ce que l’excitation ou le mouvement produit dans une partie quelconque du corps suscite une perception (perception) dans l’âme. L’expérience interne tient à ce que l’âme reçoit aussi l’impression de l’activité, qui est déployée (par exemple dans le souvenir et dans la comparaison) pendant l’élaboration des idées provenant de l’expérience externe. Ainsi nous percevons au moyen de la « réflexion » nos propres états et notre propre activité, et au moyen de la « sensation » les impressions des autres choses. Dans toutes ces perceptions directes ou réceptions d’idées la conscience reste presque (for the most part) absolument passive. Mais il n’y a que les idées les plus simples qui se forment ainsi par reception directe et passive.

Les idées simples qui se forment de l’expérience externe n’ont pas plus besoin de ressembler aux qualités des choses qui les ont produites que le mot ne ressemble à l’idée. Les qualités dites primaires, la solidité, l’étendue, la forme, la mobilité seules ne peuvent être séparées des choses extérieures ; les qualités secondes, telles que la couleur, le goût l’odeur, etc., ne correspondent qu’à la faculté que possèdent les choses en raison de leurs qualités primaires, de susciter en nous certaines idées. — Les termes : qualités « premières » et « secondes » semblent avoir été empruntés par Locke à Robert Boyle ; la théorie elle-même que l’on attribue si souvent à Locke qui en serait le créateur, provient, ainsi que nous l’avons vu, de Galilée, de Hobbes et de Descartes. Locke ne s’arrête pas davantage au problème suscité par ce fait qu’il y a ici une différence aussi grande entre la cause extérieure et l’effet interne. —

Les idées simples sont le matériel de la conscience, qui est élaboré par elle de diverses façons. L’activité de la conscience se révèle soit dans la formation d’idées complexes, en combinant des idées simples, soit dans la formation d’idées de rapports, en mettant des idées simples dans une certaine union réciproque, soit dans la formation d’idées abstraites, en séparant des idées simples d’autres idées simples avec lesquelles en réalité elles se présentent liées. Toutes les idées qui n’émanent pas d’impressions directes, sont formées, quelque sublimes et considérables qu’elles soient, par la faculté de composition, de combinaison et d’abstraction de la conscience et ont pour fondement des perceptions directes. — De ces trois espèces d’idées dérivées, ce sont les deux premières qui présentent le plus d’intérêt. Du reste elles sont formées grâce au concours de l’abstraction.

Aux idées composées appartiennent des propriétés telles que l’espace et le temps. Pour former l’idée d’espace, nous nous appuyons sur les sens de la vue et du toucher. En même temps nous nous servons ici de l’abstraction, en distinguant l’espace et la solidité, distinction qui est aussi nette que la distinction entre le boisseau et le grain. Nous formons l’idée de temps à l’aide du sens interne, qui nous montre une succession d’idées. Puis, comme la faculté que nous avons, de nous représenter l’agrandissement de l’espace et du temps, reste toujours la même, quel que soit le nombre d’additions que nous puissions faire, l’idée de l’infini se forme. — Aux notions de propriétés appartiennent aussi les idées de force et de mouvement, de même que toutes les idées de couleurs, de formes composées, etc., et, dans le domaine du sens intérieur, les idées de perception, de souvenir, de pensée, d’attention, etc.

Les notions de propriété n’offrent pas de difficulté, mais il en est autrement de l’idée de choses, d’être ou de substance Cette idée est elle aussi formée par combinaison. L’idée que nous avons d’une chose ou d’une substance, c’est l’idée des propriétés ou des forces que nous lui attribuons. Mais, chose étrange, nous nous représentons néanmoins la chose ou la substance elle-même comme différente des propriétés et des forces, à savoir comme leur fondement ou support. De l’expérience vient tout ce que nous attribuons à la substance. Cela est vrai même de l’idée de Dieu ; c’est une idée de substance que nous formons en élargissant et en élevant nos idées des propriétés de l’esprit empruntées au sens interne.

Comme exemple d’idées de relation (ideas of relation) citons l’idée de cause et d’effet. Nous formons cette idée en nous fondant sur cette perception, que des propriétés et des choses naissent et que leur naissance est due à l’influence d’autres propriétés et d’autres choses. D’autres exemples, ce sont les idées des relations de temps et d’espace, d’identité et de diversité. Les idées morales appartiennent elles aussi aux idées de relations, puisqu’elles sont formées des idées simples de nos actions rapprochées de l’idée d’une loi.

c) Légitimité de la connaissance.

La formation des idées une fois expliquée, se pose la question de leur légitimité. Locke ne doute pas du tout que les idées simples aient une valeur positive. Elles proviennent de la réalité et pour cette raison doivent concorder avec la réalité. Les qualités secondes, il est vrai, ne ressemblent pas aux choses qui produisent les idées que nous en avons, mais elles correspondent aux choses parce qu’elles en sont les effets constants. — Pour ce qui est des idées dérivées, leur valeur ne peut se démontrer de cette façon, puisqu’elles ont été formées par composition et comparaison, c’est-à-dire par notre activité. Dire qu’elles ne renferment pas de contradiction intérieure ne suffit pas pour démontrer leur valeur positive. Elles ne sont pas des copies des choses, mais leur importance tient à ce qu’elles sont des archétypes ou patrons (archetypes, patterns) dont la conscience se sert pour ordonner et dénommer les choses (par exemple en mathématiques et en philosophie morale). Toutefois cela n’est vrai que pour les idées de propriétés et de relations (modes and relations). La notion de substance, l’idée d’un support inconnu des qualités ne peut avoir de valeur que si l’on peut trouver dans la réalité une combinaison de qualités semblable à la combinaison indiquée par la notion. L’idée de centaure est un concept faux de substance, l’idée de Dieu est un concept vrai de substance. La notion de substance elle-même n’est pas l’archétype, mais son archétype doit en être hors de nous, s’il est légitime. Or nous ne savons pas ce qui est au fond des propriétés des choses. Nous ne connaissons pas plus la substance matérielle que la substance spirituelle et les Cartésiens n’ont pour cette raison pas le droit de prétendre que la matière ne peut pas penser.

Connaître, c’est percevoir la concordance ou la non-concordance des idées. Dans sa forme la plus simple, c’est l’intuition, l’intuition immédiate. En ce point Locke se rapproche nettement de Descartes, quand il dit par exemple que nous avons la science intuitive de notre propre existence ; c’est ce que prouve même le doute : si en effet, je sais que je doute, je possède une conception de l’existence de la chose mise en doute qui est aussi sûre que la perception de la pensée que je nomme doute ! Outre notre propre existence, nous percevons au moyen de l’intuition les rapports fondamentaux les plus simples entre nos idées. Une démonstration (demonstration) vient de ce que nous ajoutons les unes aux autres une série de connaissances intuitives. Chaque pas de la démonstration est une intuition immédiate : Ces deux sortes de connaissance sont les seules qui soient rigoureusement sûres. Toute connaissance autre est une hypothèse, une conviction plus ou moins vraisemblable ; telle est la connaissance sensible des choses situées en dehors de nous.

La connaissance démonstrative ne porte pas seulement sur les propositions mathématiques, mais encore sur l’existence de Dieu — et c’est là le seul cas où nous puissions connaître une existence positive en dehors de la nôtre par le moyen de la démonstration. La preuve de l’existence de Dieu de Locke est la preuve habituelle : du monde (ou de notre propre existence) il conclut à Dieu en tant que cause du monde. Mais elle prend un intérêt particulier, parce qu’il s’appuie sur le principe de causalité qu’il déclare être une vérité intuitive : nous avons la certitude immédiate que ce qui n’existe pas ne peut produire de réalité (non-entity cannot produce any real being) ! Il doit donc y avoir un Être éternel. Et cet Être ne peut être matière, poursuit Locke, car la matière ne peut engendrer la pensée. — La contradiction entre cette proposition et la proposition citée plus haut, qu’il est possible que la matière puisse penser, n’est qu’apparente. Car dans la proposition précédente il prétend que nous ne connaissons pas l’essence intime de la matière ; et ici il part de la matière telle que nous la connaissons77.

La théorie de Locke sur l’origine des idées offre une opposition tranchée entre la passivité admise dans la formation des idées simples, et l’activité reconnue dans la formation des idées dérivées : de même il ressort dans sa théorie de la légitimité de la connaissance une opposition non moins tranchée entre la connaissance sensible, qui ne peut aller que jusqu’à la probabilité, et la connaissance intuitive et démonstrative, qui offre une certitude et une nécessité pleine et entière. Cette opposition apparaît d’une façon assez singulière quand il établit la proposition dont la légitimité fonde sa preuve de l’union de la connaissance avec la réalité, c’est-à-dire quand il pose le principe de causalité. Nous formons la notion du rapport de causalité au moyen de l’expérience sensible (Essay, II, 26, 4) ; ce qui démontre la légitimité du principe de causalité, c’est l’intuition (Essay, IV, 10, 3). Et c’est de ce principe qu’il se sert en toute tranquillité soit pour conclure des idées simples aux choses qui les produisent, soit pour démontrer l’existence de Dieu. L’idée de Dieu est — ainsi que l’idée de causalité — empruntée à l’expérience, mais avec la collaboration de l’activité de combinaison et d’agrandissement (idéalisation) de l’esprit ; mais l’existence de Dieu se démontre par conclusion, alors que la légitimité du rapport de causalité se découvre intuitivement. Ici ressort distinctement le point de vue de Locke, empiriste par rapport à l’origine des idées et rationaliste par rapport à leur application. La confiance naïve avec laquelle Locke pose et utilise le principe de causalité le fait encore passer pour dogmatique. Mais en exigeant une explication psychologique et une justification qui ait le caractère d’une théorie de la connaissance, il prépara la philosophie critique. La position intermédiaire de Locke peut toutefois le mieux se voir à la notion de substance. Cette notion était la notion fondamentale qui découlait de soi-même des grands systèmes, le dernier et absolu point d’appui de la pensée. Hobbes seul avait essayé de l’ébranler, et ici comme en plusieurs autres points il fut le devancier de Locke. Locke la traite avec une certaine ironie, appelle la substance un « je ne sais quoi », et compare cette croyance à la croyance des Indous à la nécessité de l’éléphant pour porter la terre ; et cependant il ne la rejette point. Il déclare que c’est une notion spontanée, de même que les concepts mathématiques et moraux ; et cependant il lui attribue un archétype extérieur et un fondement extérieur.

d) Philosophie de la religion.

La religion de Locke n’était pas en contradiction avec sa philosophie. Il n’avait pas besoin, ainsi que Leibniz, de tant de détours pour les concilier. En croyant prouver philosophiquement l’existence de Dieu, il croyait aussi établir la vérité de la religion naturelle par la voie de la raison ; du reste il trouva ainsi les conceptions théologiques sans lesquelles aucune éthique n’est à son avis possible. Son éthique est une théorie théologique du bonheur : de la tendance naturelle au bonheur résulte la loi indiquant à quelles conditions on peut atteindre son propre bonheur en même temps que le bonheur d’autrui ; cette loi, trouvée par le moyen de la raison et qui se résume dans la vieille maxime : nous devons agir envers autrui comme nous voudrions qu’on agît envers nous, doit toutefois, pour trouver de l’autorité, être considérée comme issue de la volonté de Dieu et maintenue par la volonté de Dieu.

Tout en pensant que la tolérance de l’État devait être étendue à tous ceux qui professaient la religion naturelle, la conviction personnelle de Locke était cependant la croyance à la révélation. Au printemps de 1695 il écrit à Limborch : « J’ai soigneusement pesé cet hiver en quoi consiste la foi chrétienne. J’ai puisé à l’Écriture Sainte même, mais j’ai écarté les opinions des sectes et des systèmes. » Il consigna les résultats de son examen dans l’ouvrage de la Rationalité du christianisme. La révélation est pour lui une extension de la religion naturelle fondée sur la raison, et d’un autre côté la raison est le contrôle constant de la croyance révélée. Dans son œuvre capitale (Essay, IV, 18, 2) il définit la foi, l’adhésion à une proposition qui se fonde non sur une induction de la raison, mais sur la confiance en celui qui la proclame comme venant de Dieu et comme ayant été communiquée de façon extraordinaire. C’est à la raison de décider si on se trouve en présence d’une révélation, et la foi ne peut jamais nous convaincre d’une chose qui répugne à la raison ; car la connaissance que nous possédons qu’une révélation vient de Dieu, ne peut jamais être aussi sûre que la connaissance que nous fondons sur la concordance ou la non-concordance de nos idées. La révélation est nécessaire. Bien qu’en effet la nature donne un témoignage suffisant de l’existence de Dieu, les hommes n’ont pas fait un usage convenable de leur raison. Par commodité, sensualité ou par peur, ils sont tombés sous la domination de prêtres superstitieux, car le petit nombre qui suivait la raison ne pouvait exercer d’influence sur la multitude. La majeure partie des hommes manquent du temps matériel et de la capacité nécessaire pour suivre la démonstration de la raison. Alors le Christ fut envoyé pour éclairer, pour fortifier et pour aider. Croire qu’il est le seigneur et maître, c’est une promesse de vie éternelle. Les plus illettrés, ceux-là mêmes dont la vie s’écoule au milieu de pénibles travaux, peuvent comprendre l’enseignement et l’exemple du Christ, tels qu’ils se présentent dans les Évangiles. Locke attache une moindre importance aux développements de la doctrine contenus dans les Épîtres. Il ne put trouver le dogme de la trinité ni dans les Évangiles, ni dans la profession de foi des apôtres.

Avec Christian Wolff (qui rappelle Locke en d’autres points encore, par exemple par son essai malheureux de fonder le principe de causalité), Locke reste comme le fondateur du rationalisme religieux. Ses écrits, et en particulier son point de vue religieux, exercèrent une grande influence sur les plus grands esprits du xviiie siècle ; Voltaire et Frédéric II sont ici au premier rang.

Mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est de voir que le rationalisme religieux se traduit par un mouvement démocratique, ce qui du reste est sans doute le cas pour tout courant religieux nouveau. En combattant la théologie de l’Église, Locke tient compte notamment du besoin des illettrés et des misérables : il demande un christianisme accessible et intelligible à la multitude. Le point de vue de Locke était toutefois encore dogmatique : il attribue une telle certitude démonstrative à la religion « naturelle » et il la croit si nécessaire pour fonder l’éthique, qu’il va jusqu’à vouloir dépouiller ceux qui la rejettent des bienfaits de la liberté de conscience ! Il n’y a pas que le catholicisme et le protestantisme qui soient intolérants, le rationalisme a lui aussi son intolérance.

e) Philosophie juridique et politique.

L’ouvrage de Locke sur le « gouvernement civil » est un ouvrage de circonstance. Il dit dans la préface qu’il a l’intention « d’affermir le trône de notre roi Guillaume, le grand restaurateur, de démontrer son droit par l’attachement du peuple, qui est l’unique justification d’un gouvernement légitime, et qu’il possède beaucoup plus qu’aucun autre prince de la chrétienté, et enfin de justifier à la face du monde le peuple anglais dont l’amour des droits naturels et légitimes et la ferme résolution de les défendre ont sauvé la nation alors qu’elle était à deux doigts de la servitude et de la ruine ». Dans la première partie de l’ouvrage, Locke réfute la doctrine posée par le royaliste Filmer, d’après laquelle la royauté serait une institution patriarcale créée par Dieu. Le pouvoir politique, dit Locke, diffère du pouvoir du père sur ses enfants, du pouvoir du maître sur ses compagnons et du pouvoir du seigneur sur ses esclaves. Il consiste dans le pouvoir de faire des lois, d’exécuter ces lois et de protéger la société contre les actes extérieurs de violence, mais tout cela uniquement pour le bien commun. Un pouvoir semblable ne peut être créé que par une libre entente. Maintenant que l’état de nature a cessé, cette entente se fait tacitement chaque fois que le fils prend dans la société la place du père. L’entente tend essentiellement à prendre la volonté de la majorité pour loi, car c’est la seule façon dont la société puisse agir à l’état collectif. L’état de nature n’est certes pas, comme le pensait Hobbes, un état de guerre ; cependant il implique des inconvénients auxquels on ne peut remédier que par des lois fermes, des juges impartiaux et un pouvoir exécutif. L’état de nature est déjà un état de liberté, mais la liberté peut mieux se défendre en société. Les droits naturels ne sont donc nullement supprimés quand on entre dans la société. Le droit de propriété par exemple est un droit naturel fondé sur ce que l’homme travaille la terre ou d’autres matières premières. C’est aux travailleurs et non aux paresseux que Dieu a donné le monde, du travail découle toute valeur économique. Voilà pourquoi l’État ne peut pas plus supprimer que fonder le droit de propriété, sa tâche se borne à l’assurer et à le protéger. Il en est de la liberté de la personne comme du droit de propriété ; l’esclavage répugne à la nature et ne peut pour cela être maintenu par l’État.

Ce qui dans la politique de Locke a une importance particulière, c’est sa façon vigoureuse de mettre en relief le pouvoir législatif. En introduisant un pouvoir législatif on n’érige pas de puissance arbitraire ; on délaisse précisément l’état de nature pour échapper à l’arbitraire. Le but à se proposer dans toutes les décisions, c’est de tenir le plus grand compte possible du bien général. Ce n’est qu’avec le consentement de la majorité qu’on peut prélever des impôts et des taxes : autrement on lèse le droit de propriété, car ce qu’un autre peut me prendre malgré moi, je ne le possède pas en propre ! — Locke demande que le pouvoir législatif soit séparé du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire78, mais le pouvoir législatif est le pouvoir suprême ; la constitution de l’État est donnée en même temps que l’institution de ce pouvoir, et au reste celui qui légifère est supérieur à ceux qui exécutent (Of govern., II, 141,143).

Mais le pouvoir suprême est et reste au peuple, et il s’exerce lorsque le pouvoir exécutif entre en conflit avec le pouvoir législatif. Aucune puissance de la terre en dehors du peuple ne peut trancher ce différend. En vertu du droit dernier, inaliénable, du droit de conservation personnelle, le peuple en appelle au ciel et fait triompher sa volonté. Mais ce n’est pas là de la révolte : la révolte est fomentée par ceux qui transgressent les lois. Cela n’amène pas non plus la dissolution de l’État, car premièrement on suppose que la majorité du peuple ressent les inconvénients qu’il s’agit de faire disparaître, et deuxièmement le peuple ne sort pas aussi facilement des gonds qu’on le croit.

L’esprit d’indépendance qui guidait Locke dans ses recherches, uni au vif intérêt qu’il portait aux grands événements de l’histoire contemporaine de sa patrie, le porta à proclamer les grands principes de la liberté du peuple, en des termes qui devaient être d’une importance décisive non seulement pour la doctrine du droit et la philosophie politique postérieures, mais encore pour l’histoire des peuples dans les siècles suivants. Montesquieu et Alexandre Hamilton sont ses disciples, la doctrine de Rousseau de la souveraineté du peuple a en lui un appui, et la Révolution de l’Amérique du Nord et la Révolution française sont des illustrations de ce que Locke appelait l’invocation du ciel. La vie constitutionnelle des États modernes est essentiellement édifiée sur les principes de Locke. Les limites de toute cette philosophie politique coïncident avec les limites de la question constitutionnelle. Derrière celle-ci se dresse le problème social. En faisant dériver le droit de propriété du travail, Locke avait, sans le savoir, posé ce problème, qui ne devait toutefois passer au premier rang qu’à une époque bien plus reculée.



NOTES

77. P. 406. Molyneux, ami de Locke, expliquait la contradiction apparente des deux propositions (dont la première se trouve dans l’Essay IV, 3, 10, la seconde dans l’Essay IV, 10, 5 en disant que dans le premier passage Locke veut dire que Dieu peut donner d’une façon surnaturelle, à la matière, la faculté de penser tandis que dans le second passage il est question de la matière sans influence surnaturelle de ce genre (Lettre à Locke, 22 déc. 1692). Locke déclare que cette conception est tout à fait juste (Lettre du 20 janvier 1693). (The Works of John Locke, 9e éd. London, 1794, IX. p. 293-303).

78. P. 411. À vrai dire Locke ne pose pas formellement ce triple pouvoir. Là où il parle du besoin de quitter l’état de nature,(Civil Government, II, § 124-126) il indique comme nécessaires le pouvoir législatif, des juges impartiaux et le pouvoir exécutif. — Ensuite (§ 136) il insiste sur la nécessité que le pouvoir législatif ne juge pas, car ce serait ouvrir la voie à l’arbitraire. Mais lorsqu’il établit (chap. 12-13) trois pouvoirs civils et qu’il examine leurs rapports réciproques, cette trinité se compose du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et du pouvoir fédératif. Par ce dernier pouvoir, Locke entend une autorité représentant l’État dans ses relations avec l’extérieur, avec d’autres sociétés en face desquelles il se trouve à l’état de nature. Or Locke déclarant que le mieux serait de voir le pouvoir exécutif et le pouvoir fédératif réunis dans une seule main (§ 147-148), par cela même la différence des deux pouvoirs disparaît, et comme dans un autre contexte il attache une grande importance à la séparation du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, la trinité ressort en cela distinctement chez lui. — Du reste Locke, dans la théorie de la division du pouvoir civil, a des devanciers dans Buchanan, Hooker et Sidney. Cf. O. Giercke : Joh. Althusius, p. 157, 163 et suiv.

83. P. 484. Il est absolument nécessaire pour les princes et pour les peuples que l’idée d’un être suprême créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur soit profondément gravée dans les esprits (Art. Athéisme, dans le Dict. phil.) — À la fin de cet article il est dit que maintenant il y a moins d’athées qu’auparavant, parce que les vrais philosophes reconnaissent maintenant les causes finales : « un catéchisme annonce Dieu aux enfants et Newton le démontre aux sages. »

84. P. 486. Voltaire dit dans les Lettres sur les Anglais, XIII (à propos de la croyance de Socrate à son démon). Il y a des gens à la vérité qui prétendent qu’un homme qui se vantait d’avoir un génie familier, était indubitablement un fou ou un fripon, mais ces gens-là sont trop difficiles. — Il dit dans l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (t. II, chap. ix), « le christianisme doit sûrement être divin, puisque 17 siècles de friponneries et d’imbécillités n’ont pu le détruire ». Peu de temps avant il applique le terme insolente imbécillité à un conteur de légendes. — Art. Fanatisme dans le Dict. phil. : ce sont d’ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques. — Les railleries de Voltaire ne l’empêchèrent pas seulement de reconnaître les formes religieuses et ecclésiastiques. On a vu que le vieux Socrate lui-même dut en faire les frais. En d’autres endroits, il exerce son esprit sur Spinoza et sur le naturaliste Maillet, dont Voltaire se moqua pour son pressentiment de l’hypothèse de l’évolution. Et tout cela en vertu du principe que ce qu’il ne pouvait comprendre était ou imbécillité ou friponnerie.

85. P. 486. Cf. D. Fr. Strauss : Voltaire, 3. Aufl. p. 330 et suiv.

86. P. 487. Gneist (Das Selfgovernment in England, 3. Aufl., p. 944) remarque : « Le porte-parole des nouvelles doctrines (c’est-à-dire des nouvelles doctrines politiques en France), Montesquieu, n’avait pas présent à l’esprit la constitution anglaise, mais les Institutions de Blackstone, où le développement historique de l’ensemble et l’institution intermédiaire du