Histoire de la vie et de la mort (trad. Lasalle)/1

La bibliothèque libre.
Histoire de la vie et de la mort
I. Points de considération (Thèmes de recherche)
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres10 (p. 19_Ch1-30).

Points de considération, ou articles de la recherche qui a pour objet la vie et la mort.
I.

1. Première recherche sur la nature de la durabilité et de la non-durabilité[1], envisagée soit dans les corps inanimés, soit dans les végétaux ; recherche qui ne doit être ni trop détaillée, ni trop méthodique, mais faite d’une manière serrée, sommaire, et comme en passant.

2. Autre recherche sur la dessiccation, la dissolution insensible, et la consomption des corps inanimés et des végétaux, ainsi que sur les modes et les causes de ces effets ; recherche qui doit aussi avoir pour objet les causes qui peuvent empêcher ou retarder la dessiccation, la dissolution, la consomption des corps, et tout ce qui peut les maintenir dans une parfaite intégrité ; enfin, tons les moyens d’assouplir, d’amollir, et de faire, en quelque manière, reverdir les corps, lorsqu’ils commencent à se dessécher.

Cette dernière recherche ne doit pas non plus être trop détaillée ni trop exacte, ces points de considération appartenant proprement à la précédente. Ils ne sont qu’accessoires dans celle-ci, et n’y peuvent servir qu’à donner quelques lumières relativement à la prolongation et à la restauration de la vie, dans les animaux, où l’on observe des phénomènes fort analogues (comme nous l’avons déjà dit), un peu différenciés toutefois par l’esprit qui les anime. De cette recherche sur les corps inanimés et sur les végétaux, nous passerons à celle qui a pour objet les animaux, l’homme excepté.

3. Troisième recherche, ayant pour objet la longue ou la courte durée de la vie des animaux, ainsi que les causes, conditions ou circonstances qui peuvent contribuer a l’une on à l’autre.

Or, comme on peut distinguer deux sortes de durée, savoir : celle des corps qui se conservent dans leur identité absolue, et celle des corps qui subsistent par voie de réparation ; la première n’ayant lieu que dans les corps inanimés ; et la dernière, qui a lieu dans les animaux et les végétaux, étant le produit de l’alimentation, on tournera en conséquence ses recherches vers l’alimentation et son méchanisme ; en un mot, vers son mode, commun et constant ; tous points qui ne doivent pas non plus être trop approfondis dans cet article, vu qu’ils appartiennent proprement à ceux où l’on traite de l’assimilation et de l’alimentation, mais qui ne doivent être ici que légèrement touchés, ainsi que les précédens.

De la recherche sur les animaux, et en général sur tous les corps susceptibles d’alimentation, on passera à celle qui envisage l’homme même ; et comme c’est notre principal sujet, l’analyse doit y être plus détaillée, plus précise, plus sévère dans tous ses points, et aussi complète qu’il est possible.

4. Quatrième recherche sur la longue ou courte durée de la vie des hommes, considérés dans les différens âges du monde, dans les différentes régions, sous les différens climats, dans les différens lieux de leur naissance et de leur domicile.

5. Cinquième recherche, ayant pour objet la longue ou courte durée de la vie des hommes des différentes nations, hordes, races, familles, etc. (où elle peut être, en quelque manière, regardée comme héréditaire) ; à quoi il faut joindre les relations de cette durée aux différentes complexions, constitutions, habitudes de corps, statures, etc. durée qui doit aussi être envisagée relativement au mode, à la mesure et au temps de l’accroissement de la taille, sur-tout en hauteur ; enfin, par rapport à la structure et à la conformation du corps.

6. Sixième recherche sur la longue ou courte durée de la vie des hommes, envisagée par rapport au temps de la naissance ; recherche où il faut toutefois laisser de côté les observations astrologiques, comme celles des signes, des constellations, etc. en se bornant aux observations les plus communes en ce genre, s’il s’en trouve de telles, et aux faits les mieux constatés ; par exemple, à ce qui concerne la naissance au terme de sept, de huit, de neuf ou de dix mois ; durant la nuit ou durant le jour ; dans telle saison, dans tel mois de l’année.

7. Septième recherche, ayant pour objet la durée de la vie des hommes, envisagée comme dépendante de leurs alimens, de leur régime, de leurs exercices, et d’autres causes semblables ; car, pour ce qui concerne les qualités de l’air dans lequel ils vivent, c’est un point qui se rapporte proprement à celles des articles précédens, où il est question du lieu de leur domicile.

8. Huitième recherche, ayant pour objet la longue on courte durée de la vie des hommes, envisagée comme étant l’effet de leurs occupations habituelles, de leur genre de vie, de leurs affections ou passions, et d’autres causes accidentelles de cette nature.

9. Neuvième recherche, ayant pour objet spécial les médicamens ou préservatifs, auxquels on attribue ordinairemont la propriété de prolonger la vie.

10. Dixième recherche, qui a pour objet les signes ou pronostics qu’on peut former sur la longue ou courte durée de la vie des individus ; non pas ceux qui annoncent une mort prochaine (sujet qui appartient proprement à l’histoire médicinale) mais ceux qui se manifestent, et qui peuvent être observés, même dans l’état de santé, soit qu’ils fassent partie des signes physionomiques proprement dits, ou qu’ils se rapportent à toute autre classe.

Jusqu’ici cette recherche sur la longue ou courte durée de la vie humaine est, en quelque manière, confuse et sans méthode, sans art ; il est donc nécessaire d’y joindre une recherche plus méthodique, tendant plus directement à la pratique, et procédant par indications de buts particuliers, de fins spéciales. Ces indications, prises en général sont de trois espèces. Nous entrerons dans de plus grands détails sur ce sujet et nous donnerons les subdivisions de ces trois genres, lorsque nous nous occuperons de la recherche même, après en avoir dénombré les différons points. Ces trois vues générales sont, 1°. d’empêcher la consomption ; 2°. de perfectionner le mode de la réparation ; 3°. de renouveler et de rajeunir ce qui à vieilli.

11. Première[2] recherche, relative aux moyens de préserver le corps humain de l’action des causes tendantes à le dessécher et à consumer sa substance, ou du moins relative à ceux qui peuvent ralentir le progrès de ces causes, et diminuer toute disposition de cette nature.

12. Seconde recherche, ayant pour objet tout le procédé et le progrès caché de l’alimentation (d’où résulte la réparation du corps humain) ; en vue de la rendre aussi parfaite qu’il est possible, et sans aucun déchet.

13. Troisième recherche, sur les moyens d’évacuer tout ce qui a vieilli, et d’y substituer une substance toute nouvelle ; recherche qui envisage également les moyens d’amollir et d’humecter toutes les parties desséchées et durcies.

Or, comme il est difficile de bien connoître les routes qui conduisent à la mort, sans avoir au préalable bien scruté, bien examiné et bien reconnu le siège, le domicile, on plutôt l’antre même de la mort, on doit encore faire une recherche expresse sur ce sujet, non pas toutefois sur tous les genres de mort indistinctement, mais seulement sur ceux qui sont l’effet de la simple privation, d’une simple défaillance (ou d’un déficit) ; en laissant de côté toutes les morts violentes, celles de la première espèce étant les seules qui se rapportent à l’atrophie de la vieillesse, à cette consomption lente et graduelle qui est le simple effet de l’âge et du temps.

14. Cinquième recherche sur l’article {sur l’instant même) ou les préliminaires de la mort, et sur toutes les routes qui y conduisent : (bien entendu qu’il ne s’agit ici que de celles qui sont l’effet d’une simple défaillance, et non déterminées par des causes violentes).

Enfin, conne il est nécessaire de connoître le caractère distinctif et la forme ou cause essentielle de la vieillesse, but auquel on parviendra, si l’on saisit avec précision les différences existantes entre la jeunesse et la vieillesse, par rapport à toutes les fonctions, et en général à l’état et à l’habitude du corps, cette différence étant comme le tronc d’où part cette vaste ramification d’effets, qui est notre objet actuel, il ne faut pas non plus négliger cette recherche.

N’épargnez aucun soin ni aucune expérience, pour connoître les différences caractéristiques de ces deux âges, par rapport à l’état total du corps et aux facultés de toute espèce ; recherche qui doit aussi avoir pour but de savoir s’il n’est pas quelque faculté humaine qui subsiste dans la vieillesse même et sans aucun déchet[3].

  1. Ceux d’entre nos lecteurs qui seront choqués de ce terme nouveau, pourront y substituer cette expression : sur la nature de la substance durable ou non-durable, prise en général : le véritable objet de cette recherche est la faculté de durer, ou le défaut de cette faculté ; et elle peut être énoncée de cette manière : chercher le mode commun de tous les corps de longue durée, et le mode commun de tous les corps de courte durée, en tirant ses exemples des trois règnes. Si le second mode est diamétralement opposé au premier, celui-ci sera la forme ou cause essentielle de la faculté de durer, ou de la durabilité, et le résultat aura toute la certitude possible. Au reste, nos lecteurs observeront d’eux-mêmes qu’en faisant cette traduction, comme en faisant toute autre chose, je marche perpétuellement entre deux inconvéniens, et que je ne puis éviter l’un sans tomber dans l’autre. Si je traduis mot pour mot, en imitant servilement la précision de l’auteur, comme la langue me refuse quelquefois dix ou douze mots par page, je couvre tout ce livre de barbarismes ; et si je veux parler purement, je suis obligé à chaque instant d’user de circonlocutions, et je tombe dans une prolixité fastidieuse : quel parti prendre ? celui qu’on doit prendre dans tous les cas semblables, tenir à peu près le milieu, en donnant un peu plus dans le moindre inconvénient, pour éviter plus souvent le pire, et en sacrifiant presque toujours la petite règle à la grande, dans l’impossibilité où l’on est de les observer toutes deux. Or, la pureté du langage chez une nation continuellement dirigée par l’autre sexe, et d’un goût excessivement délicat, est plus nécessaire que la précision du style. Ainsi nous risquerons quelques termes nouveaux qui, lors de cet ouvrage, ne reparoîtront jamais. Pour secourir efficacement une langue dans sa dédaigneuse misère, comme pour faire accepter des secours à un indigent orgueilleux, il faut feindre de lui prêter ce qu’on veut lui donner, et paroître lui refuser les termes dont elle a le plus besoin, afin qu’elle s’en empare. Dans les notes et le commentaire, notre règle constante sera de fuir avec soin toute innovation par rapport aux mots, et de choisir nos expressions dans la partie la plus noble de la langue commune.
  2. Nos lecteurs observeront que je nombre et compte ces recherches, quoique l’auteur ne le fasse pas, quelques-uns de ses numéros répondant à de simples distributions ; et ce n’est pas au hazard que je le fais : le but principal de la collection de Bacon est d’apprendre aux hommes à penser, et sur-tout à inventer et à vivre méthodiquement. Or, on ne peut connoître un tout qu’autant que l’on connoit toutes ses parties et leurs rapports, soit entre elles, soit avec la fin de ce tout. On ne pent connoître toutes ses parties qu’après les avoir examinées successivement et considérées une à une. Or, après les avoir comptées, on est plus disposé à les considérer ainsi. Ce n’est ordinairement qu’après avoir conçu les choses comme distinctes, et les avoir détachées les unes des autres par la pensée, qu’on prend la peine de les nombrer ; et réciproquement, lorsque ; commençant à les distinguer, on prend d’abord la peine de les nombrer, cette numération même nous avertissant qu’elles doivent être distinguées, nous ralentissons le mouvement de notre esprit pour les considérer une à une ; considération successive qui nous met en état de les concevoir encore plus distinctement. La numération est la clef de l’analyse qui est la clef de la vraie philosophie. C’étoit aussi la principale clef de Socrate, comme nous le ferons voir en analysant les dialogues de Platon.
  3. Je n’ai pas besoin de dire, et le lecteur sent assez par lui-même que ce plan est un chef-d’œuvre ; mais n’est-il pas un peu trop vaste et trop magnifique ? Quelles sont les différences caractéristiques entre la jeunesse et la vieillesse ? Quelles sont les causes de ces différences ? Ces causes sont-elles en notre disposition ; sommes-nous maîtres de provoquer, d’empêcher, d’accélérer, de ralentir, de renforcer, d’affoiblir leur action ? Quelle est la meilleure manière d’employer les moyens répondant à ces causes ? Si ces quatre questions étoient résolues, tout servit fait ; car, pour me mettre en état de prolonger ma jeunesse, je n’ai pas besoin de connoître les causes de la longue ou courte durée de la coque d’un œuf. Mais le lecteur ne doit jamais oublier que le sujet propre de cet ouvrage n’est point l’art de prolonger lu vie humaine, mais l’art de composer des histoires raisonnées et destinées à faciliter l’interprétation de la nature, ou la découverte des causes ; que cet ouvrage n’est qu’un simple exemple, faisant partie de la troisième des six grandes divisions de cette vaste logique que notre auteur appelloit la grande restauration des sciences. Ainsi, quand cet ouvrage ne contiendroit pas une seule vérité positive, l’objet n’en seroit pas moins rempli ; puisque son véritable objet n’est pas la découverte même de la vérité, mais seulement la méthode qu’on doit suivre pour la découvrir ; et telle partie de ce plan qui, dans cette recherche, peut passer pour superflue, seroit absolument nécessaire dans une autre.