Histoire des églises du désert/tome 1/0.2

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Texte établi par Librairie Ab. Cherbuliez et Cie (1p. Préface-xii).


PRÉFACE.

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Cette histoire est rédigée en grande partie d’après des pièces manuscrites et inédites. En la publiant, j’accomplis un dessein conçu depuis plusieurs années, et que des occupations d’un autre genre m’avaient obligé de remettre. Je n’aurais jamais songé à l’entreprendre, si je n’eusse été favorisé dans mes recherches par une circonstance que je ne puis appeler fortuite, puisqu’elle est le résultat d’une longue amitié. Mme  Rabaut-Pomier, veuve du second fils de l’illustre pasteur du désert Paul Rabaut, et belle-sœur de Rabaut Saint-Étienne, voulut bien me confier tous les manuscrits et les lettres de sa famille. On sait combien le nom de Rabaut est resté cher à tous les amis de la liberté, comme à tous les fidèles des églises réformées françaises. C’est en quelque sorte le dépouillement de cette volumineuse collection de manuscrits que j’offre aujourd’hui au public.

Dès que je me vis en possession de ces richesses historiques, je songeai à les augmenter. Je fis des démarches auprès de plusieurs de mes amis qui voulurent bien s’y porter efficacement, tant pour la cause de l’histoire en général, que pour l’intérêt spécial des églises où ils déploient leur zèle évangélique. Je dois citer spécialement M. Soulier, ancien pasteur ; MM. les pasteurs Durand, Massé, Lanthois, Lombard, Vors, E. Frossard ; tous m’ont procuré beaucoup de pièces intéressantes. J’éprouve le regret de ne parler ici que du souvenir de ma reconnaissance envers plusieurs amis que nous avons perdus assez récemment, qui m’avaient aussi remis des porte-feuilles de pièces ou de lettres ; je songe, sous ce rapport, à mes anciens amis les pasteurs P.-H. Marron, A. Sabonadière ; et aussi à M. de Végobre, juge au tribunal de Genève.

Les pièces historiques et personnelles de Paul Rabaut, surtout sa vaste et précieuse correspondance avec les pasteurs du désert, sont très abondantes, spécialement de 1750 à 1775. Ce sont des actes de synodes provinciaux ou nationaux ; des requêtes au roi, aux ministres, aux intendants ; des brouillons de lettres adressées aux diverses autorités administratives et ecclésiastiques ; des mémoires apologétiques en faveur des églises du désert ; des listes de condamnés pour la foi ; des carnets ou journaux de notes concernant ses démarches privées ou les dangers de son ministère ; des récits plus ou moins développés sur les événements religieux les plus marquants du Languedoc. La correspondance de Paul Rabaut se compose de toutes les lettres que ses collègues du désert lui adressaient journellement, dès qu’ils se trouvaient dans une position difficile, ce qui formait leur vie de tous les jours. On voit bien vite en la lisant que pendant de très-longues années Paul Rabaut fut le centre et l’âme des affaires des églises du désert, non seulement pour le midi de la France, mais aussi pour les autres portions du pays.

Dès que Mme  Rabaut-Pomier m’eut remis ces pièces et dès que j’eus terminé le travail assez considérable de leur classement, nous convînmes, mon ancienne amie et moi, que la destinée naturelle de ces documents était d’appartenir un jour au public des églises réformées. C’est une volonté commune que j’accomplirai, en ayant soin que les manuscrits de la collection Paul Rabaut, grossis des autres pièces que j’ai reçues de mes amis, soient placés dans un établissement national et public de nos églises françaises, pour y être conservé à toujours. Je saisirai même cette occasion pour rappeler à toutes les personnes que l’histoire du désert intéresse, nos obligations envers une période si mémorable et si inconnue des annales des protestants français ; toute lettre, tout acte, toute pièce historique quelconque a de l’importance et doit être placée dans un dépôt public. Cette précaution est d’autant plus un véritable devoir, qu’il existe, comme tout le monde sait, très-peu de mémoires ou de livres imprimés sur l’histoire des églises françaises du désert pendant tout le dix-huitième siècle. On trouvera à la fin de ce volume une description sommaire de la série des manuscrits dont j’ai profité pour cette première partie de mon travail. Je ferai connaître ensuite le reste de mes ressources manuscrites, tant celles de ma collection que celles des autres collections où j’aurai pu puiser.

On voit en conséquence que tout l’intérêt de ce livre réside dans les citations de nos pièces manuscrites. J’en ai fait le plus que j’ai pu, par devoir et aussi par inclination. Il me semble que l’histoire existe avant tout dans les faits, dans les actes officiels et dans les impressions des contemporains.

Je dois dire un mot sur le genre et l’esprit de ce travail historique touchant une période si intéressante et encore si peu connue. On ne trouvera point ici de traces des théories dites philosophiques, que tant d’écrivains appliquent aujourd’hui si facilement à l’histoire. J’ai voulu raconter les faits, et je n’ai point toujours réussi à me les expliquer à moi-même. J’envie beaucoup la bonne fortune de ceux qui connaissent les lois de l’humanité en général. En particulier, j’admire plus encore la position de ceux, qui ont découvert ce qu’on appelle de nos jours la mission providentielle, fatale et européenne de la France. J’ignore tout cela. Mais je vois très-clairement, en me bornant à l’histoire restreinte que j’ai étudiée, qu’une foule de choses auraient pu être faites autrement et bien mieux ; je vois qu’une foule de choses très-mauvaises et continuées très-longtemps auraient pu être évitées ; je vois surtout que la véritable et saine opinion publique ne fut presque jamais consultée dans notre patrie, et que dans les deux derniers siècles, très-souvent, la France a laissé aller les choses et s’est peu mêlée de ses propres affaires ; de sorte que des mesures très-considérables ont été prises sans son aveu ; ce dont les siècles de Louis XIV et de Napoléon offrent des exemples trop évidents. Cependant, ce côté indubitable des choses que l’on expliquera bien ou mal, n’est pas uniquement triste. On voit, par ces derniers temps, comme par l’étude des précédents siècles, que toutes les fois que la France, en la personne de représentants librement choisis et délibérants, a été consultée, alors son avis a été sage, humain et avancé parmi les autres nations. En France, la voix du peuple aurait pu être la leçon et le salut des rois, et si on l’eût écoutée régulièrement et fréquemment, elle eût réformé les abus sans convulsions et sans catastrophes sanglantes.

Ces considérations ne sont point déplacées dans notre préface. En contemplant, dans les annales des églises du désert, l’un des plus inconcevables abus de l’ancien régime, les citoyens seront portés à apprécier plus encore le régime constitutionnel et parlementaire, qui fait désormais partie de notre droit public, et dont les principes étaient dans les vœux de la France depuis quatre cents ans au moins.

La tolérance absolue, la liberté de conscience, l’égalité des cultes devant la loi, sont des maximes, il faut l’espérer, définitivement conquises et assurées aujourd’hui. Aussi les Français catholiques de nos provinces méridionales qui virent tant de persécutions autrefois, les catholiques du Languedoc, ne songent plus qu’à rivaliser de patriotisme et de lumières avec leurs frères de la religion protestante. Les deux clergés unissent leurs efforts pour le progrès des populations. Ainsi les souvenirs que notre ouvrage réveille et qu’on ne saurait supprimer qu’en supprimant l’histoire, feront mieux ressortir les bienfaits et les avantages immenses de cet amour des concitoyens d’une même patrie, et de cette charité mutuelle, sans laquelle il n’y a de christianisme dans aucune secte ni dans aucune église. Quant à ce qui touche aux églises réformées de France, quant à ces églises, dont la marche dans le désert fut si longue et si orageuse avant d’aboutir à la liberté, il est inutile que nous disions dans quel but spécial nous avons écrit. Il est bien inutile que nous disions quelles idées fortifiantes pour la foi, pour le patriotisme, pour le souvenir des aïeux, les protestants de France pourront puiser dans les manuscrits de Paul Rabaut et dans tout ce tableau des malheurs de leurs pères, malheurs qui sont si complètement réparés aujourd’hui et dont il ne reste que la gloire.