Histoire des églises du désert/tome 1/Livre 1/2

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Texte établi par Librairie Ab. Cherbuliez et Cie (1p. 37-87).

CHAPITRE II.


Législation générale de Louis XIV touchant
les affaires de la religion réformée.


L’historien des églises du désert est nécessairement obligé de connaître, au moins dans ses dispositions essentielles, l’ensemble des lois qui régissaient ces communautés infortunées à l’époque de la fin de Louis XIV. L’esquisse que nous devons tracer à ce sujet est peut-être la plus triste obligation que notre travail nous impose. Nous aurions bien préféré de nous en affranchir ; mais cette connaissance est un préliminaire indispensable. Puisque nous devons décrire leur constance, leurs aventures et leurs malheurs, il faut bien que nous sachions d’une manière approchée quelles étaient les mesures qui pesaient sur elles, et quels étaient les édits contre lesquels elles avaient à lutter. On verra alors trop nettement que les poursuites et les condamnations presque innombrables, dont elles furent la victime dans le cours du xviiie siècle, étaient parfaitement conformes à la législation, et que les parlements, commandants et intendants ne faisaient qu’en appliquer rigoureusement les dispositions. Les esprits impartiaux décideront si l’histoire d’aucun temps et d’aucun pays offre l’exemple d’un code aussi minutieusement persécuteur, et si jamais société humaine, temporelle ou dogmatique, fut aussi complètement enlacée sous le triple rapport de son existence civile, politique et religieuse.

Ce sont les nécessités de notre sujet qui nous obligent à entrer dans ce dédale d’oppression. Nous n’essaierons point d’y trouver un principe arrêté ni un plan fixe, bien convaincus qu’il n’y en eut réellement aucun. Les causes générales de ces systèmes d’intolérance, qui chassèrent sans retour tant de Français industriels du sol de la patrie, se résument dans l’égoïsme superbe et si peu éclairé de Louis XIV, consigné sèchement dans les dépêches de son ministre Louvois écrivant cette instruction, le 5 novembre 1685, au duc de Noailles, commandant en Languedoc : « Sa Majesté désire que vous vous expliquiez fort durement contre ceux qui voudront être les derniers à professer une religion qui lui déplaît. » (Histoire de l’édit de Nantes, tom. iii, p. 868.) Ce caprice d’un despotisme théologique et peureux des peines de l’enfer fut la vraie cause de la révocation de l’édit de Nantes. Ainsi d’aussi minces motifs d’un souverain absolu viennent souvent bouleverser les peuples. Après un siècle environ de malheurs et de mécomptes, Montesquieu épuisait son génie à concevoir les contradictions flagrantes des lois de Louis XIV contre l’émigration des religionnaires[1]. Nous verrons un sage et intègre magistrat, Joly de Fleury, interrogé par le Conseil de Louis XV, essayer vainement de formuler une consultation précise au milieu de la confusion où les édits avaient jeté l’état civil des protestants. Plus tard nous verrons l’équitable Malesherbes, Breteuil et Rulhière, cherchant à montrer que de si longues persécutions, en ce qui touchait la position de l’état civil de toute une classe de Français, reposaient sur un malentendu. Tout ceci nous montrera surabondamment que, dans ce malfaisant système législatif, il n’y avait d’arrêté et de méthodique que l’arbitraire du prince et les griefs du clergé ; mais il est impossible de découvrir aujourd’hui la moindre méthode dans ce plan d’où la justice fut si inflexiblement bannie. Nous n’essaierons point de suppléer à la logique des persécuteurs. Nous ne ferons point de réflexions sur ces lois cruelles ; mais comme parmi les hommes illustres, remplis de ferveur et d’élévation, que ce code chassa de France, figure au premier rang l’éloquent ministre de La Haye, Jacques Saurin, nous n’avons pu résister à saisir l’occasion de placer en notes quelques fragments de ces mâles prédications, où le grand orateur flétrit les cruautés de l’intolérance, et où il raconte les malheurs de ses frères. Ainsi, en regard des édits de Louis XIV nous placerons les commentaires de Jacques Saurin.

Nous ne saurions nous engager dans l’immense entreprise même de donner les titres des très-nombreux édits, déclarations, ordonnances, arrêts du Conseil, qui émanèrent directement de l’autorité royale sous Louis XIV, concernant les affaires de ses sujets protestants. Nous devons soigneusement nous borner à caractériser le plus brièvement possible cet ensemble de lois, seulement sous les divers rapports nécessaires pour l’intelligence de la suite de notre histoire. Commençons la triste série par les lois sur ou contre les émigrations. C’est un ordre que les événements nous imposent. En effet, ce fut après avoir obtenu l’abjuration de Turenne et signé la paix d’Aix-la-Chapelle que Louis XIV rendit la fameuse et longue déclaration de 1669, pour régler ce qui devait être observé par ceux de la religion prétendue réformée. En lisant les quarante-neuf articles de cette déclaration, on ne saurait méconnaître déjà les inclinations dévotes et intolérantes du monarque, qui annonçait alors, du milieu de l’éclat d’une gloire encore pure, et à l’âge de trente-un ans, les excès de dévotion despotique auxquels il devait plus tard s’abandonner. Ce fut le 1er  février 1669 que parut cette déclaration si féconde en chicanes intolérantes et jésuitiques. Cependant cinq jours plus tard eut lieu, par les ordres du roi, « la grande résurrection du Tartuffe » (troisième placet de Molière, du 5 février 1669).

En passant rapidement sur ce rapprochement vengeur, il est nécessaire de remarquer que cette loi immense et très-inquiétante fut suivie presque immédiatement de la première mesure contre les émigrations, chapitre trop fécond par lequel nous ouvrirons notre exposé de cette législation, qui fut continuée dans un seul et même esprit jusqu’à la veille de la révolution française. En effet, on voit quelques mois ensuite que Louis XIV ordonna que nul des sujets du roi n’aurait la faculté de quitter le royaume et de s’établir dans un pays étranger, sous peine de confiscation de corps et biens et être réputés étrangers, avec défense de servir dans la marine étrangère comme matelots ou ouvriers, sous peine de la vie (Décl. d’août 1669, donnée à Saint-Germain-en-Laye). En 1682, on déclara nuls tous les contrats de vente d’immeubles faits un an avant la sortie du royaume, et trois ans plus tard on interdit tous mariages à l’étranger ; on prononça contre tous parents ou tuteurs qui y auraient consenti les galères perpétuelles, ou le bannissement avec la confiscation des biens. Pour arrêter les émigrations, on déclara que la moitié des biens des protestants qui sortiraient de France serait donnée au dénonciateur, et on défendit à toutes personnes de contribuer à l’évasion, et notamment aux capitaines, pilotes, ou maîtres de barques. Bientôt le roi ordonna l’établissement de corps-de-garde sur les frontières, et voulut que les bardes et effets qui se trouveraient sur les religionnaires saisis fussent distribués aux soldats, et un tiers seulement desdits effets aux espions qui donneraient avis de leur passage (Décl. du 26 août 1686, Versailles, signé Colbert). Même les nouveaux convertis ne pouvaient sortir du royaume, afin qu’ils ne trouvassent pas dans les pays étrangers « la malheureuse liberté de continuer dans les mêmes erreurs, » et, si on les pouvait saisir, ils étaient condamnés, les hommes aux galères à perpétuité, et les femmes à être rasées et recluses pour le reste de leurs jours (Décl. du 7 mai 1686. Versailles, signé Phélypeaux).

Ici commence pour notre histoire la série de ces édits funestes qui désolèrent si longtemps les églises réformées, et qui tous portent le scel des secrétaires d’état Phélypeaux. Ce même surnom général répond cependant à des membres distincts de la tige des La Vrillière et des Pontchartrain. Plusieurs des édits de Louis XIV, concernant les réformés, de 1676 à 1700, sont contresignés de Balthasar Phélypeaux, seigneur de La Vrillière, chargé du département des affaires de la religion réformée, depuis l’an 1676 jusqu’à sa mort, en 1700. Beaucoup d’autres ont la signature de son fils Louis Phélypeaux de Saint-Florentin, qui eut le département des églises depuis 1700 jusqu’à sa mort en 1725. Mais la grande majorité des lois passèrent sous le contre-seing de Louis Phélypeaux, comte de Pontchartrain, secrétaire d’état en 1690, chancelier de 1699 à 1714, année où il se retira des grandeurs pour aller mourir pieusement dans la maison de l’Oratoire à Paris. Ce fut cette famille des secrétaires d’état Phélypeaux, avec sa double tige des La Vrillière Saint-Florentin et des Pontchartrain-Maurepas, qui administra les affaires de la religion réformée dans un esprit uniforme d’intolérance ou de tracasserie depuis son premier secrétaire d’état sous Louis XIII, en 1621, jusqu’au comte de Saint-Florentin qui enfin transmit ce portefeuille, sous Louis XVI, à l’illustre et bienfaisant Malesherbes. En contemplant la série des édits que nous étudions, qui sont presque tous de la plume de Pontchartrain, on se figure difficilement la haute réputation de connaissance des hommes que ce magistrat s’acquit, ni ses causeries philosophiques avec Boileau, sous les bocages d’Auteuil. Saint-Simon dit que ce secrétaire d’état était charmant en riens comme en affaires ; mais il ne le fut sous aucun rapport dans son système d’édits à l’égard des sujets protestants de son maître.

La sévérité du Conseil allait toujours en augmentant[2]. La cour prononça la peine de mort contre ceux « qui auraient directement ou indirectement favorisé et contribué à l’évasion et retraite des nouveaux convertis hors du royaume, soit en les conduisant eux-mêmes, soit en leur indiquant des routes ou des guides pour les en faire sortir. » (Décl. du 12 octobre 1687.) Plusieurs autres lois furent rendues pour exciter les religionnaires fugitifs à retourner, par la promesse de rentrer dans leurs biens confisqués, et enfin on revint à la peine des galères et réclusions perpétuelles contre tout protestant qui tenterait d’émigrer (Décl. du 13 septembre 1699). Les mêmes peines furent rendues contre ceux qui fuiraient en quittant les lieux de France où ils auraient été exilés par ordre du roi. Enfin une dernière ordonnance tâcha laborieusement de distinguer entre les voyages des religionnaires établis dans les pays étrangers et ceux des Français catholiques qui voudraient en revenir ou y aller trafiquer (Ordon. du 18 septembre 1713). Il y avait là un labyrinthe de dispositions capables d’effrayer le plus subtil administrateur, et il ne faut pas s’étonner qu’en France une partie considérable de la population protestante, ainsi pressée de toutes parts, ne pouvant ni rester ni sortir, se soit pliée, pour obtenir la paix, aux pratiques extérieures du culte dominant. Ce ne fut pas toutefois sans le blâme sévère des pasteurs du désert.

Après l’énumération des lois principales qui empêchaient les protestants de quitter la France, il faut maintenant indiquer celles qui régissaient leur état civil et politique dans la patrie où on les retenait. Avant la révocation totale de l’édit de Nantes, une foule de mesures avaient été prises contre les églises, sous le rapport civil[3]. On commença par défendre aux ministres de faire des prêches et des assemblées les jours que les archevêques ou évêques feraient leurs visites pastorales ; à tous seigneurs hauts-justiciers d’établir dans leurs terres des officiers autres que catholiques, et aux receveurs généraux des finances de traiter du recouvrement des tailles avec aucune personne de la religion prétendue réformée (Arrêts des 31 juillet et 6 nov. 1679, et du 17 août 1680). En novembre 1680, le roi rendit un édit portant défense, sous peine d’incapacité de succession pour les enfants, à tous catholiques de contracter mariage avec ceux de la religion prétendue réformée, Sa Majesté « ayant reconnu que la tolérance de ces mariages expose les catholiques à une tentation perpétuelle de se pervertir. » Bientôt un nouvel arrêt établit la disposition inouïe par laquelle Sa Majesté a « accordé à tous ses sujets de la religion prétendue réformée qui feront abjuration de ladite religion terme et délai de trois ans pour le paiement du capital de leurs dettes, faisant Sa Majesté défense à leurs créanciers de faire aucunes poursuites contre eux pendant ledit temps. » (Arr. du Conseil du 18 nov. 1680, Versailles.) Ce fut Colbert qui signa ce dernier arrêt. On conçoit facilement tout ce que dut coûter à cet esprit, qui avait des idées commerciales et économiques en avant de son siècle sous plusieurs rapports, une mesure si monstrueuse en droit commercial ; aussi il est difficile de se figurer la confusion qui dut résulter d’une telle législation. Il fallut expliquer que ce bénéfice de trois années de surséance ne comprenait point les lettres de change et billets, ni les affaires des marchands français avec les étrangers, ni les transactions des nouveaux convertis les uns avec les autres (Arr. du 5 nov. 1685 et du 12 janv. 1686, donnés à Fontainebleau et à Versailles ; signés Colbert). Enfin on s’aperçut d’une chose en effet très-naturelle, c’est que ce droit de surséance « était préjudiciable non-seulement auxdits créanciers, mais encore aux débiteurs, avec lesquels personne ne veut entrer en commerce, ni traiter d’aucunes affaires, dans la crainte qu’on a qu’ils ne se servent de ladite surséance. » Il fallut donc révoquer totalement cette faculté extraordinaire (Arr. du Conseil du 16 déc. 1686, Versailles ; signé Colbert). En ce qui touche les biens des consistoires, on trouve un édit remarquable, ordonnant que ces biens seront attribués aux hôpitaux les plus voisins, avec charge de recevoir les malades de la religion prétendue réformée « sans qu’ils puissent être contraints de changer de religion, » disposition rare et douce, qui fut bientôt annulée par des édits subséquents (Édit du 21 août 1684, Versailles ; signé Colbert).

En effet, il devint nécessaire de promulguer tout un code pour disposer des confiscations des biens saisis après l’émigration des réfugiés[4]. L’édit de révocation avait ordonné la saisie des biens de tous ceux qui étaient sortis du royaume, à moins qu’ils ne revinssent dans quatre mois, à partir du jour de la publication de l’édit ; le roi prorogea ce terme jusqu’en mars 1687, « voulant encore donner à nos sujets, pour leur salut et pour la conservation de leurs biens, de profiter de notre bonté et indulgence ; » mais un an plus tard, le roi ordonna que les biens des consistoires, des ministres, et ceux de tous fugitifs de la religion prétendue réformée, seraient enfin réunis au domaine royal, pour en être fait des baux aux fermiers des domaines de chaque généralité ou autres particuliers et derniers enchérisseurs, le tout pour être employé au bien des écoles, hôpitaux, et généralement de la religion ; ceux « qui seront convaincus d’avoir prêté leurs noms aux ministres ou à nos sujets fugitifs pour mettre à couvert tout ou partie de leurs biens » seront contraints au paiement du double de la valeur entière, et ceux qui dénonceront des biens recelés ou cachés des ministres ou fugitifs recevront moitié de la valeur des meubles, et dix ans du revenu des immeubles (Édit de janvier 1688). Peu de temps après, le roi ordonna qu’il fût fait un état général des biens meubles et immeubles des consistoires, ministres et religionnaires fugitifs (Arr. du Conseil, 31 mars 1688 ; signé, Colbert). Bientôt on modifia ces dispositions qui réduisaient en domaine de main-morte une notable partie de la propriété du royaume. On accorda les biens des fugitifs à leurs héritiers naturels et présents (Décl. du roi, de déc. 1689). Une disposition encore plus raffinée fût dirigée même contre les protestants qui s’étaient convertis et qui étaient restés en France ; le roi ordonna que tous ses sujets « qui ont fait profession de la religion prétendue réformée » ne pourraient vendre ni leurs biens immeubles, ni l’universalité de leurs biens meubles, pour 3,000 livres et au-dessus, sans une autorisation expresse d’un secrétaire d’état (Décl. du roi du 5 mai 1699). Telle est la déclaration fameuse qui fut prorogée de trois années en trois années, jusque dans les dernières années du règne de Louis XVI. Par ce moyen, l’administration royale avait sans cesse la main sur les propriétés des protestants.

Sous le rapport des charges et professions de la société, cette législation renfermait un assez grand nombre de dispositions que nous devons rappeler. Une des premières lois de ce genre interdirait aux réformés les fonctions de sages-femmes, par des motifs on ne peut plus bizarres : « Il arrive encore que lorsque lesdits de la religion prétendue réformée sont employés à l’accouchement de femmes catholiques, quand ils connaissent qu’elles sont en danger de la vie, comme ils n’ont point de croyance aux sacrements, ils ne les avertissent point de l’état où elles se trouvent. » (Décl. du roi du 20 février 1680.) Nous citerons en entier un autre arrêt du conseil, en 1682, dont la disposition assez ridicule forme contraste avec la gravité de ces lois iniques. Arrêt du conseil portant que les catholiques qui voudront se charger de la fourniture des chevaux de louage seront préférés à ceux de la relig. prét. réf. — « Le roi voulant pourvoir par tous moyens à ce que ceux qui sont chargés ou employés au service du public ne puissent être d’autre religion que de la catholique, apostolique et romaine, Sa Majesté étant en son conseil, a ordonné et ordonne que les catholiques qui voudront se charger de la fourniture des chevaux de louage dans les villes et bourgs de son royaume seront préférés à ceux de la religion prétendue réformée. Enjoint aux fermiers des droits établis sur lesdits chevaux de louage à s’y conformer, et aux intendants et commissaires départis dans ses provinces d’y tenir la main. Fait au conseil d’état du roi. Sa Majesté y étant, tenu à Saint-Germain-en-Laye, le 9 mars 1682. » Signé, Colbert. (Recueil des édits rendus au sujet de la rel. prét.  réf., édit. de 1714, p. 123 ; édit. de 1729, p. 54.) Un autre arrêt du 6 avril 1682, presque digne de figurer à la suite du précédent, ordonne « que les avocats catholiques concluront et porteront la parole en toutes occasions pour le corps desdits avocats, à l’exclusion de ceux de la religion réformée, quoique plus anciens » (Arrêt du cons. du 6 avril 1682). Bientôt il fut défendu aux réformés de faire aucune fonction de notaires, procureurs, postulants, huissiers, et sergents ; il fut défendu aux acquéreurs des charges « d’habiter avec leurs résignants, directement ou indirectement, ni de souffrir dans les études leurs enfants ou parents pour travailler avec eux. » (Décl. du roi du 15 juin 1682.) Le même ordre fut donné à tous les réformés qui posséderaient des charges civiles quelconques dépendantes des maréchaussées ou sénéchaleries du royaume, ou des maisons royales (Arrêt du cons. du 29 sept. 1682, et du 4 mars 1683. Signés Colbert). Un autre arrêt appliqua les mêmes exclusions aux charges de conseillers, secrétaires, et il les étendit aux veuves protestantes des titulaires décédés (Arr. du cons. du 19 janv. 1684. Versailles. Signé Colbert).

Il fut défendu également aux parties de nommer des experts de la religion réformée, ni des conseillers rapporteurs, et enfin, les protestants furent exclus des professions d’apothicaires, d’épiciers, de domestiques, de lingères, d’orfèvres, de libraires, d’imprimeurs, de clercs, d’avocats, ou de médecins. Une autre loi du caractère le plus étrange jugea à propos d’exclure de la connaissance de tous procès où les ecclésiastiques et même les nouveaux convertis auraient intérêt, les juges qui auraient des femmes de la religion prétendue réformée, attendu que ces officiers, « par le moyen de leurs femmes, aux prières et sollicitations desquelles se laissent entraîner, n’ont pas l’exactitude à laquelle leur devoir les engage pour faire exécuter régulièrement nos édits et déclarations, et soutenir l’intérêt de l’Église catholique. » Cette loi de précaution fut rendue à Versailles, le 11 juillet 1685. Enfin, dans les détails de cette législation et de ses effets civils, il ne faut pas omettre d’enregistrer la plus fameuse et la plus déplorable peut-être de toutes ces mesures ; ce fut l’ordonnance qui recelait en germe les exécutions militaires que l’histoire a flétries du nom de dragonnades, et qui fut, dans l’origine, une menace assez simple et analogue à toutes les autres ; elle déchargeait ceux des sujets du roi qui s’étaient convertis ou qui se convertiraient ci-après, du logement des gens de guerre, tant infanterie que cavalerie, française et étrangère, et de toutes contributions, à l’occasion de ces logements, pendant deux années. Ce fut cette loi qui fut plus tard tant perfectionnée, et qui produisit de si funestes effets sous la direction du ministre Louvois. Cette première charte des dragonnades fut rendue au château de Saint-Germain-en-Laye, le 11 avril 1681, et elle porte le contre-seing de Letellier[5].

Nous arrivons maintenant à la législation de la révocation de l’édit de Nantes, sous le rapport de ses effets religieux[6], qui continuèrent si longtemps à peser sur les églises du désert. Ici, nous devons tâcher encore plus de resserrer le tableau ; car malheureusement, les documents s’accumulent de plus en plus. Dans la législation de Louis XIV, touchant les protestants français, spécialement comme société religieuse, il faut distinguer les mesures qui consommèrent la révocation définitive de l’édit de Nantes d’avec celles qui préparèrent cet événement. Ces dernières, sauf les lois contre les émigrations et celles des incompatibilités pour certaines professions, avaient plutôt le caractère de mesures vexatoires que de persécutions franches. La première de cette série, qui s’étend dans un espace de seize années, depuis 1669 jusqu’en 1685, année de l’édit de révocation, est cette longue et minutieuse déclaration du 1er  février 1669, qui règle une foule de points tracassiers, mais d’importance secondaire ; les ministres ne devaient point s’intituler pasteurs, ni se servir de termes injurieux dans leurs prêches, ni porter robes et soutanes que dans l’enceinte des temples, et les réformés étaient obligés de rendre certains honneurs lors du passage des processions ; d’ailleurs, le préambule de la déclaration annonce le projet de conserver entre protestants et catholiques << une bonne amitié, union et concorde. » Dix ans plus tard, une loi bien plus sévère prononça le bannissement, l’amende honorable, et la confiscation contre toute personne qui, ayant fait abjuration, reviendrait à la religion réformée (Décl. du 13 mars 1679, donnée à Saint-Germain-en-Laye). La même année, une disposition plus précise pourvoit à ce que les actes d’abjuration soient déposés au greffe des procureurs royaux des sièges (Décl. du 10 octobre, donnée à Saint-Germain-en-Laye). Bientôt les édits allèrent un peu plus loin ; deux déclarations de 1680 défendirent à tous catholiques d’embrasser la religion réformée, et ordonnèrent que, dans les cas de maladies graves des réformés, les juges ordinaires ou les consuls se transporteraient en leurs domiciles « pour savoir d’eux s’ils veulent mourir dans ladite religion. » L’année suivante, parut un des édits les plus extraordinaires de toute cette série ; c’est la loi qui ordonne « que tous sujets de la religion prétendue réformée ayant atteint l’âge de sept ans puissent et qu’il leur soit loisible d’embrasser la religion catholique, apostolique et romaine ; et qu’à cet effet, ils soient reçus à faire abjuration de la religion prétendue réformée, sans que leurs pères, mères, ou parents, y puissent donner aucun empêchement ; » cette même loi stipulait aussi qu’après leur conversion, les enfants auraient le droit de retourner dans leur maison paternelle, ou de se retirer ailleurs, et de se faire donner une pension proportionnée à leurs conditions et facultés ; les parents reçurent défenses expresses, sous peine de confiscation de leur revenu, de faire élever leurs enfants en pays étrangers, et ceux qui y avaient envoyé leurs enfants furent tenus de les rappeler[7] (Décl. du 17 juin 1681, donnée à Versailles. Signé Phélypeaux). D’autres mesures vinrent bientôt interdire toute assemblée de réformés, ailleurs que dans les temples, leur reconnaissant ainsi ce dernier droit ; mais il fut modifié par une autre déclaration qui stipulait qu’il y aurait dans les temples une place réservée pour les catholiques, « pour y entendre ce que les ministres disent dans leurs prêches, afin, non seulement de les pouvoir réfuter s’il est besoin, mais aussi de les empêcher, par leur présence, d’avancer aucune chose contraire au respect dû à la religion catholique, apostolique et romaine. » (Décl. du 22 mai 1683.) L’année suivante, il fut ordonné que les ministres ne pourraient faire leurs fonctions plus de trois ans dans un même lieu, ni tenir de consistoire plus fréquemment que tous les quinze jours ; enfin, sur la demande du clergé réuni en assemblée générale à Saint-Germain-en-Laye, le culte réformé fut interdit dans toutes les villes épiscopales, la démolition des temples y fut ordonnée ; ce fut la première mesure générale contre les édifices consacrés au culte protestant français (Arr. du cons. du 30 juillet 1685, fait à Versailles. Signé Colbert). Sur les instances de la même assemblée du clergé, il intervint un autre édit pour empêcher les calomnies des ministres et de leurs adeptes contre la religion dominante ; il ordonne de ne composer aucuns livres contre la foi officielle, et on y remarque cette singulière disposition : « Défendons aux ministres de parler directement ni indirectement, en quelque manière que ce puisse être, de la religion catholique. « (Édit du mois d’août 1685, donné à Versailles.) Enfin fut rendu l’édit de révocation générale, qui était assez clairement annoncé par tous les précédents, mais qui, cependant, les dépassait tous de beaucoup. On sait qu’il pose d’abord dans le préambule, comme fait acquis, « que la meilleure et la plus grande partie des sujets du roi de la relig. prét. réf. ont embrassé la religion catholique. » En conséquence, il ordonnait la démolition de tous les temples ; il contenait défense de s’assembler en aucun lieu que ce puisse être ; il enjoignait à tous ministres non convertis de sortir de France, sous peine des galères ; il stipulait que tous les enfants seraient élevés catholiques, et enjoignait aux parents de les envoyer aux églises ; enfin, il prononçait la confiscation définitive des biens contre tous protestants qui ne seraient point rentrés dans l’espace de quatre mois, et ordonnait que nul ne pourrait sortir du royaume, sous peine des galères pour les hommes, et de la confiscation de corps et de biens pour les femmes ; toutefois, l’édit consentait à ce que ceux de la religion réformée, non convertis, restassent en France, sans pouvoir être troublés ni empêchés, « à condition de ne point faire d’exercice, ni d’assemblées, sous prétexte de prières ou de culte de ladite religion » (Donné à Fontainebleau, au mois d’octobre 1685. Signé Letellier et Phélypeaux)[8]. Il fut pris, l’année suivante, une autre disposition, qui devint la source de ces enlèvements d’enfants, dont nous voyons des exemples constants jusque sous le règne de Louis XVI ; elle consista en un édit du roi qui ordonne que, huit jours après la publication, tous les enfants de ceux qui faisaient encore profession de la religion prétendue réformée, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à celui de seize, soient mis, à la diligence des procureurs-royaux, entre les mains de leurs parents catholiques, et à défaut de parents de cette religion, entre les mains de telles personnes catholiques, qui seront nommées par les juges (Édit de janv. 1686)[9]. Un peu plus tard, il fut publié une lettre du roi au lieutenant-général Ménars, intendant de la généralité de Paris, pour obliger les parents réformés à envoyer leurs enfants aux écoles et catéchismes, et à leur défaut, les enfants devaient être mis, de l’ordonnance des juges des lieux, « les garçons dans des collèges, et les filles dans des couvents. » (Lettre écrite à Versailles, du 2 mai 1686. Signé Colbert.) Une nouvelle déclaration explicative de l’édit de révocation assigne, pour la première fois, la peine de mort, comme punition de tout ministre saisi en France, rentré ou non sorti ; contre tout sujet qui leur donnerait assistance ou secours ; elle prononçait contre les hommes, les galères à perpétuité, et contre les femmes, la prison perpétuelle ; 5,500 livres étaient promis à ceux qui, par leurs avis, donneraient lieu à la capture d’un ministre. La même loi contenait cette disposition inexorable, qu’il fallut bientôt modifier : « (Art. V). « Voulons pareillement, et entendons que tous ceux de nos sujets qui seront surpris faisant dans notre royaume et terres de notre obéissance des assemblées ou quelque exercice de religion autre que la catholique, apostolique et romaine, soient punis de mort, (Donné à Versailles, le 1er  juillet 1686. Signé Phélypeaux.) Toutefois, le droit des gens obligea Louis XIV à insérer, dans cette déclaration, une exception en faveur des ambassadeurs ayant des chapelains de la religion protestante, et auxquels il fut permis de faire toutes leurs fonctions religieuses sans aucun trouble ni empêchement, dans l’enceinte des logements desdits ambassadeurs (art. IV). Cette loi n’ayant nullement empêché les assemblées, surtout dans le Dauphiné et le Vivarais, une ordonnance subséquente enjoignit que les religionnaires saisis en flagrant délit d’assemblée subiraient seuls la peine de mort, tandis que, « à l’égard des autres qui n’auront pu être arrêtés sur-le-champ, » ils seront envoyés incontinent, et sans autre forme, ni figure de procès, sur les galères de Sa Majesté, pour y servir comme forçats durant toute leur vie (Fait à Versailles, le 12 mars 1689. Signé Letellier). Cette ordonnance acquit un triste renom, parce qu’elle dérogea à la juridiction des sièges prévotaux et sénéchalleries avec appels aux parlements, et que pour la première fois elle attribua le jugement des religionnaires aux gouverneurs de province et aux intendants, procédure sommaire que nous verrons souvent appliquer. Arrêtons-nous un moment à cet endroit de cette déplorable série de lois, pour remarquer que, lorsque Louis XIV signa cette mesure où sont prodigués les galères et la mort, il venait d’assister (janvier 1689) aux représentations de Saint-Cyr où Esther et Mardochée plaignaient les proscriptions des Juifs, dans les vers immortels de Racine ; sans doute tous ces admirables conseils du vieillard israélite rehaussés par la beauté de Mme  de Caylus, ou ne furent point compris par le monarque, ou furent réfutés par les jésuites de son confessionnal. Pour compléter cette trop longue série, il nous reste à signaler la dernière loi de Louis XIV, laquelle eut des suites aussi funestes que fécondes, parce qu’elle admettait que tous les Français sans exception, qui se trouvaient dans le royaume, étaient par cela même censés « avoir embrassé la religion catholique, apostolique et romaine, sans quoi ils n’y auraient pas été soufferts ni tolérés. » Cette loi, se combinant avec celle du 29 avril 1686, ordonne que tous sujets nés de parents qui ont été de la religion prétendue réformée, avant ou depuis la révocation de l’édit de Nantes, et qui, dans leurs maladies, auront refusé aux curés, vicaires ou autres, de recevoir les sacrements, et auront déclaré qu’ils veulent persister ou mourir dans la religion prétendue réformée, soient réprimés par les peines suivantes ; s’ils reviennent à la santé, ils seront condamnés, « à l’égard des hommes, à faire amende honorable et aux galères perpétuelles avec confiscation de biens, et à l’égard des femmes et filles, à faire amende honorable et être enfermées, avec confiscation de leurs biens, et quant aux malades, qui auront fait abjuration et qui auront refusé les sacrements… et seront morts dans cette malheureuse disposition, nous ordonnons que le procès sera fait aux cadavres ou à leur mémoire…… et qu’ils soient traînés sur la claie, jetés à la voirie, et leurs biens confisqués. » (Donné à Versailles, le 29 avril 1686 et le 8 mars 1715. Signé Phélipeaux.)

Enfin, il est presque inutile d’ajouter qu’au milieu de ces dispositions qui comprimaient toute l’existence civile et religieuse des réformés, la condamnation de leur littérature et de leurs livres ne fut pas oubliée. Peu de temps avant la révocation définitive, le roi ordonna que nuls livres concernant la rel. prét. réf., sauf ses confessions de foi, prières et discipline, ne seraient imprimés ni débités sous peine de bannissement et confiscation : « Voulons que tous les livres qui ont été faits jusqu’à cette heure contre la religion catholique par ceux de la rel. prét. réf. soient supprimés. » Et quant aux libraires qui débiteraient de pareils livres, la loi prononçait 1 500 livres d’amende avec privation de l’état (Donné à Versailles, août 1685. Signé Colbert). Peu de jours après cette loi, le parlement de Paris chercha à faire un état des ouvrages compris dans cet édit ; mais un tel catalogue surpassant les lumières ou la patience des conseillers, il fut adopté que « l’archevêque de Paris fera un état des livres qu’il estimera nécessaire de supprimer suivant l’édit du roi. » (Arr. du 29 août 1685.) Après la révocation ces mesures furent portées beaucoup plus loin. Citons uniquement une ordonnance rendue dans le Bas-Languedoc : « Le marquis de la Trousse, commandant pour Sa Majesté en Languedoc. Il est ordonné à tous les nouveaux convertis de porter dans les vingt-quatre heures après la publication de la présente ordonnance, entre les mains des sieurs grands-vicaires, ou en celles des curés ou missionnaires, tous les livres qu’ils ont de prières, psaumes, bibles de Genève et autre nature de livres, pour, après avoir été examinés, être les bons rendus à ceux à qui ils appartiendront, et les autres jetés au feu, à peine contre les désobéissants de punition sévère et de grosses amendes. Enjoignons aux consuls de se transporter avec le curé, ou autre ecclésiastique, dans les maisons desdits nouveaux convertis pour y faire une recherche exacte des livres qu’ils auront cachés ; mandons aux commandants de faire accompagner lesdits consuls, ou ecclésiastiques, par un officier lorsqu’ils feront leur visite. » (Montpellier, 5 février 1686.) On voit que ces mesures plus ou moins sévères embrassaient la capitale et les provinces. Elles expliquent comment les ouvrages de la vieille littérature protestante de France, malgré leur nombre et la richesse de leur source, ont péri presque tous et sont en général rares encore aujourd’hui.

Après cette triste énumération[10] il ne sera point sans intérêt de songer aux sentiments que tant de Français exilés de leur pays avaient gardés encore et aux souvenirs qu’ils entretinrent sans cesse de la patrie absente. Pour peindre un tel état de choses, on ne saurait mieux faire que d’emprunter les paroles contemporaines de Saurin, dans ce fameux discours du commencement de l’année 1710, où, au nom de toutes les églises du refuge, il adresse ses vœux annuels et à la France et au monarque auteur de tant de maux. Ce passage célèbre, qui figure parmi les chefs-d’œuvre classiques de l’éloquence sacrée, servira comme de résumé à notre tableau législatif. « Nos vœux sont-ils épuisés, s’écriait l’orateur exilé. Hélas ! dans ce jour de joie, oublierions-nous nos douleurs ? Heureux habitants de ces provinces, importunés tant de fois du récit de nos misères, nous nous réjouissons de votre prospérité, refuseriez-vous votre compassion à nos maux ? Et nous, tisons retirés du feu (Ép. de Paul aux Cor., 3, 13), tristes et vénérables débris de nos malheureuses églises, mes chers frères, que les malheurs des temps ont jetés sur ces bords, oublierons-nous les malheureux restes de nous-mêmes ? Gémissements des captifs, sacrificateurs sanglotants, vierges dolentes, fêtes solennelles interrompues, chemins de Sion couverts de deuil, apostats, martyrs, sanglants objets, tristes complaintes, émouvez tout cet auditoire. « Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite s’oublie elle-même, que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens de toi, si je ne fais de toi le principal sujet de ma joie. » Jérusalem, que la paix soit dans tes murs ! Dieu veuille être touché, sinon de l’ardeur de nos vœux, au moins de l’excès de nos misères, sinon des malheurs de notre fortune, du moins de la désolation de ses sanctuaires ; sinon de ces corps que nous traînons par tout l’univers, du moins de ces âmes qu’on nous enlève.

« Et toi, prince redoutable, que j’honorai jadis comme mon roi, et que je respecte encore comme le fléau du Seigneur, tu auras aussi part à mes vœux. Ces provinces que tu menaces, mais que le bras de l’Éternel soutient ; ces climats que tu peuples de fugitifs, mais de fugitifs que la charité anime ; ces murs, qui renferment mille martyrs que tu as faits, mais que la foi rend triomphants, retentiront encore de bénédictions en ta faveur. Dieu veuille faire tomber le bandeau fatal qui cache la vérité à ta vue. Dieu veuille oublier ces fleuves de sang dont tu as couvert la terre et que ton règne a vu répandre ! Dieu veuille effacer de son livre les maux que tu nous as faits, et en récompensant ceux qui les ont soufferts, pardonner à ceux qui les ont fait souffrir. Dieu veuille qu’après avoir été pour nous, pour l’Église, le ministre de ses jugements, tu sois le dispensateur de ses grâces et le ministre de ses miséricordes. Je reviens à vous, mes frères, je vous comprends tous dans mes vœux… Mais il faut les puiser à la source, il ne suffit pas qu’un homme mortel ait fait des vœux en votre faveur, il faut aller jusqu’au trône de Dieu même, lutter avec le Dieu fort, le forcer par nos prières et par nos larmes, et ne point le laisser aller qu’il ne nous ait bénis (Exode, 32, 32). Magistrats, peuple, soldats, citoyens, pasteurs, troupeaux, venez, fléchissons le genou devant le monarque du monde. Et vous, volées d’oiseaux, soucis rongeants, soins de la terre, éloignez-vous, et ne troublez point notre Sacrifice. » (Sermon sur les dévotions passagères.) Ces touchantes et belles paroles font aussi partie de l’histoire ; à l’ouverture d’un récit des luttes des églises de la patrie, il était bon qu’on eût sous les yeux le tableau des sentiments des Français protestants qui en avaient été chassés et qui en traînaient avec eux le douloureux souvenir : on verra que l’esprit de cette invocation de Saurin, où la conviction de l’Évangile se mêle à la fierté du citoyen, et où l’on croit entendre battre le cœur du Français sous la robe du ministre banni ; on verra que cet esprit, véritablement huguenot et patriote, fut toujours celui qui anima les églises du désert. Ces paroles si graves et si instructives pour les rois, il est plus que probable que Louis XIV ne les connut jamais. Pendant que Saurin parlait ainsi à La Haye, les journaux de la cour de Versailles font mention des promenades 1710
Janvier.
du roi à Trianon et à Marly, ainsi que de la comédie chez madame la duchesse de Bourgogne. « Le spectacle fut fort beau, nous rapporte le marquis de Dangeau dans ses notes ; il n’y avait que des dames considérables et des courtisans. » Ce même mois, le 25 janvier 1710, « le soir, à cinq heures, il y eut des marionnettes chez madame la duchesse de Bourgogne pour monseigneur le duc de Bretagne. C’était lui qui était en place, et madame la duchesse de Bourgogne se mit auprès du théâtre comme une particulière. » Tels furent, à Versailles, les événements contemporains des souhaits de l’orateur de La Haye.

D’ailleurs, ce qui est fort remarquable, toutes les rigueurs de ce code inouï de lois n’arrêtèrent nullement les assemblées des réformés. Malgré les confiscations, les émigrations, les supplices et les exécutions militaires, malgré la clôture de tous les temples, les protestants se réfugièrent dans les endroits les plus écartés. L’édit de Nantes fut révoqué en octobre 1685, et dès le mois de novembre, les assemblées du désert commencèrent dans les Cévennes. La première qui fut surprise avait été convoquée pour la nuit du 19 au 20 février 1686, entre Durfort et Saint-Félix. On y fit des prisonniers, dont deux furent exécutés à la Salle, et de ce nombre était le père d’un ministre réfugié en Suisse, Teissier Viguier, de Durfort. Dans cette même année, beaucoup d’autres réunions furent surprises ; les carrières de Mus, près de Nîmes, les bois près d’Uzès, les vallons du Vigan ne purent servir d’asile aux assemblées : les Bétrine, les Pradet, les de Belcastet, les de Tomeyrolles, qui furent ou blessés ou suppliciés par suite des mesures de l’intendant Baville, ouvrirent la longue série des confesseurs[11]. De tels détails nous écarteraient bien loin de notre sujet ; nous rappelons les premiers événements de la fin de 1685 et ceux de 1686 pour faire voir que jamais les assemblées ne cessèrent tout à fait, et que dans le même mois où le somptueux temple de Charenton, près de Paris, fut nivelé avec le sol, en novembre 1685, les assemblées religieuses des Cévenols se passèrent de tout édifice humain et s’ouvrirent sous les voûtes du ciel.

Il est impossible de ne pas faire quelques courtes réflexions sur des événements aussi singuliers et aussi graves. De quelque manière que l’on juge la politique de la cour de France, à propos de la révocation complète de la liberté religieuse, il est permis de supposer que le roi ignora absolument les détails des mesures qui avaient été prises, et que le clergé l’entraîna sans doute bien plus loin qu’il n’aurait été lui-même. Il est certain que les mesures militaires, qui ont reçu le nom de dragonnades, furent de l’invention de Louvois, qui gémissait, après la paix de Nimègue, de l’inaction de son département, et qui voulut occuper les régiments par ces promenades catholiques. Tous les jours le ministre répétait au roi : « Tant de gens se sont convertis, comme je l’avais dit à Votre Majesté, à la seule vue de ses troupes[12]. » On disait hautement à la cour que les cruautés commises auraient été punies par le monarque si elles fussent venues à sa connaissance[13]. Tant de soins et tant de rigueurs ne purent produire la chimérique unité de foi que l’on cherchait. On voulut des conversions, et pour une grande famille que l’on acheta par des charges ou que l’on effraya par des disgrâces, cent huguenots plus obscurs sortirent de France la haine dans le cœur. D’autres, toujours prêts à se soulever, restaient chez eux, sans avoir le courage de s’exiler, ni la lâcheté d’obéir à la force catholique ; la cour ne pouvait ignorer qu’un grand nombre de bons officiers français huguenots s’étaient engagés sur la flotte, que le prince d’Orange rassemblait, pour détrôner le dernier des Stuarts, ce roi que le peuple anglais regarda partir si froidement, et qui vint à Saint-Germain jouir de la noble hospitalité de Louis XIV, non sans traiter minutieusement les questions d’étiquette et chasser tous les jours, conduite qui lui attira de la bouche du père de Louvois, l’archevêque de Reims, cette remarque peu ecclésiastique : « Voilà un fort bon homme ; il a quitté trois royaumes pour une messe[14]. » Jacques II était obsédé de jésuites ; plus les Français le voyaient, moins ils le plaignaient de la perte de sa couronne. Plus tard, lorsque l’Europe entière menaçait Louis XIV, il fallut laisser une armée au centre de la France pour contenir les mouvements religieux, tandis que les flottes combinées d’Angleterre et de Hollande étaient garnies par une foule d’excellents matelots calvinistes, que les côtes de la Saintonge surtout avaient fournis à l’étranger. Une foule d’autres circonstances, en apparence petites, mais fort influentes, ajournèrent tout adoucissement dans les mesures de persécution, lorsque la carrière de Louis XIV fut accomplie.

Bossuet était mort ; et ce qui fut peut-être un malheur pour les intérêts des protestants, l’illustre et tolérant Fénelon, qui avait connu les amertumes d’une persécution injuste, mourut en disgrâce dans son archevêché 1715. de Cambrai, non moins pleuré des réformés que des catholiques, laissant la réputation d’un homme, suivant l’admirable peinture de Saint-Simon, « qui fut partout un vrai prélat, partout aussi un grand seigneur, partout encore l’auteur de Télémaque[15]. » Déjà son crédit renaissait, déjà une noble ambition semblait le rappeler à la cour, où le règne de madame de Maintenon penchait vers sa fin, lorsque la mort le ravit à tant d’avenir. Tout eût peut-être changé de face s’il eût rempli le poste qu’occupa si stérilement à sa place l’évêque de Fréjus, depuis cardinal de Fleury. À l’autre extrémité de la France, ce fut aussi un événement fâcheux pour les réformés que la nomination du servile et vénal La Parisière à l’évêché de Nîmes, à la place de Fléchier. À ces événements privés se joignit un dernier acte de faiblesse d’une cour bigote ; l’ambassadeur de Louis XIV, le comte de Luc, renouvela l’alliance suisse avec les seuls cantons catholiques. D’autre part, la cour brillante de la reine Anne, toute livrée à des rivalités de grandes dames, ne demanda que très faiblement la tolérance des protestants, lors des conférences presque victorieuses de la paix d’Utrecht. La faible et bonne reine Anne, au milieu des menées des Churchill, oubliant son titre de défenseur de la foi, laissait jouer à Windsor des sortes de marionnettes presque aussi futiles que celles de la jeune duchesse de Bourgogne dans les soirées de Versailles. Que pouvaient les intérêts sacrés de tant de milliers de fugitifs et les droits immortels de leur conscience, contre tout cet égoïsme des rois et des reines de l’une et de l’autre religion ?

Nous ne pouvons résister en terminant cet exposé à faire une remarque plus consolante. Il ne faudrait pas croire que toutes ces lois intolérantes de Louis XIV fussent d’une exécution facile, ni même qu’elles fussent de tous points approuvées par le parti même qu’elles devaient le plus servir, nous voulons dire, par le clergé catholique. Nous trouvons une preuve remarquable du contraire ; elle est consignée précisément dans ce petit recueil commode de près de deux cents lois et édits que la cour autorisa, et qui forme le véritable code pénal des Français protestants de l’époque. Nous y voyons une circulaire remarquable, adressée aux évêques de France par le ministre Phélypeaux de Pontchartrain, selon l’ordre du roi, où cet administrateur tance très-formellement les prélats, à cause de l’espèce de froideur qu’une partie du clergé mettait à exécuter les édits intolérants, surtout en ce qui concernait la présence forcée des enfants des réformés aux écoles catholiques. « Vous savez, dit Phélypeaux à l’évêque de Chartres, les soins que le roi s’est donnés pour faire établir des écoles dans tous les lieux de son royaume, et combien de fois Sa Majesté a fait écrire à messieurs les prélats pour exciter leur attention, à ce que les nouveaux convertis eussent soin d’y envoyer leurs enfants. Elle apprend néanmoins avec surprise qu’il y a des diocèses où ces écoles sont entièrement négligées ; que les juges, à qui il est enjoint de prononcer des amendes contre les pères et mères qui se dispensent d’y envoyer régulièrement leurs enfants, s’excusent sur ce que les curés ne les avertissent point et que ceux-ci, par un scrupule mal placé, ne veulent pas les dénoncer, de peur de s’attirer la haine des nouveaux convertis. Ils tombent encore dans une négligence bien plus blâmable. Par l’édit du mois d’août 1686, les curés sont obligés de visiter les nouveaux convertis dans leurs maladies, et lorsqu’à l’extrémité de leur vie ils refusent de les écouter, ils doivent avertir les juges de se transporter chez les malades, pour recevoir leurs déclarations, afin que s’ils persistent dans leurs erreurs, ils puissent faire le procès à leur mémoire. Le roi apprend que tout cela ne s’exécute point, par la faute particulièrement des curés, qui ont la délicatesse de ne vouloir pas se porter délateurs, sous prétexte, disent-ils, qu’ils se rendraient odieux aux nouveaux convertis, qui n’auraient plus de confiance en eux. Cependant, il meurt très-fréquemment des relaps, lesquels sont enterrés secrètement pendant la nuit, dans les champs ou dans les caves des maisons, sans qu’il soit fait aucune poursuite contre leur mémoire, ce qui est directement contraire à la disposition de l’édit… Vous jugez bien que de si grands abus ne doivent pas être tolérés ; ainsi. Sa Majesté m’ordonne de vous écrire que vous fassiez des reproches très-vifs aux curés de votre diocèse qui peuvent être tombés dans ces négligences, et qu’en général vous les avertissiez que le roi est très-mécontent de leur peu d’exactitude à l’exécution de ses ordonnances ; qu’ils aient à l’avenir à y être plus attentifs, et qu’ils ne doivent jamais, par quelque considération que ce soit, ni par aucun respect humain, se dispenser de faire leur devoir dans les choses qui intéressent si fort la religion. » (Versailles, le 6 février 1715.) Cette épître est doublement remarquable. Elle fait bien ressortir l’esprit qui animait le Conseil de Louis XIV contre ses sujets réformés ; en même temps, elle honore le clergé catholique du royaume. On se sent en vérité serrer le cœur en lisant les odieuses réprimandes de Pontchartrain contre ceux qui répugnaient à se faire les ministres dociles des édits. D’un autre côté, cette épître prouve fort bien qu’en une foule de points de la France, les barbaries inquisitoriales contre les parents réformés, contre les moribonds et contre les cadavres, n’étaient pas du goût de beaucoup de dignes prêtres des autels. On n’a pas assez signalé cette résistance des curés aux édits de Louis XIV. Elle confirme ce que disait le célèbre Jean Claude, lorsque avec des compagnons d’infortune tels que Basnage, Bayle et le jeune Jacques Saurin, obligé de fuir la France, il protesta que toutes ces barbaries n’avaient pas l’approbation de ses compatriotes catholiques[16]. Il serait en effet assez difficile de le penser. Et cette impopularité s’explique assez bien par le genre de gouvernement qui alors était celui de la France. Sous la monarchie absolue de Louis XIV, la nation n’avait aucune espèce de moyen, ni par ses assemblées, ni par ses écrits, ni par des remontrances quelconques, soit de faire prévaloir ses vœux, soit même de les émettre. L’institution des intendants-proconsuls, et la force d’une armée immense et permanente réussit évidemment alors à étouffer toutes les libertés provinciales, et à rendre toute résistance impossible. On a dit de Louis XIV qu’il était surtout un roi administrateur. La révocation de l’édit de Nantes fut un exercice de ce génie administratif. L’air servile de Versailles, la fierté du conquérant et l’humilité profonde de tous les gens de robe, avaient bien persuadé au monarque enivré qu’il lui serait possible de rendre uniforme la doctrine de ses sujets. Il n’avait aucune idée des résistances individuelles que pouvait faire naître la foi outragée. Il ne comprit jamais la portée d’une œuvre immense, qui, vue à travers ses idées étroites et despotiques, se déforma et acquit la futile proportion d’une affaire administrative. Louis XIV voulut administrer les consciences ; il vit que ce n’était pas chose facile. Aussi, sa tentative hardie eut pour résultat de faire beaucoup de mal, de priver la patrie d’une portion très-sensible de ses populations les plus utiles ; mais elle ne réussit aucunement à établir l’uniformité de religion. Louis le Grand fut obligé de traiter avec les camisards des Cévennes.

On peut surtout s’étonner que tout cet assemblage de mesures n’ait point révolté l’équité naturelle du monarque ; il faut cependant faire ici quelques observations. D’abord, les adulations de sa brillante cour, et l’encens perpétuel des arts et des lettres n’ont pu manquer de l’égarer et d’obscurcir un esprit naturellement ferme et droit. Il est plus évident encore que Louis XIV ignora toujours le véritable état des choses. Le témoignage bien authentique de Saint-Simon nous le dépeint comme enfermé dans Versailles, sans communication possible avec le véritable pays. Il était excessivement difficile, et toujours fort téméraire de faire lire un placet ou d’adresser quelques paroles à Louis XIV. Les sultans d’Asie de la race pure des Seldjoucides peuvent seuls nous donner une idée de la position de ce roi au milieu de la France. Ces choses méritent d’être prises en considération par l’histoire. À moins qu’il ne tombe aux mains d’un homme très-supérieur, il est de la nature du pouvoir absolu de ne savoir ni ce qu’il fait, ni où il va. Aussi, la tyrannie au milieu d’un peuple éclairé, peut quelquefois produire une solitude involontaire, qui en est la conséquence et le châtiment.

L’équité nous porte à développer en quelques mots ces réflexions, en les appuyant sur les seules autorités compétentes, celle des témoignages contemporains. C’est dans l’ère de notre plus brillante littérature que l’on peut les choisir. Il y avait alors à la cour de Louis XIV une étonnante légèreté dans les jugements que l’on portait touchant les protestants. Mme de Sévigné, qui ne prend guère au sérieux que son amour pour sa fille et le cordon bleu de M. de Grignan, s’exprime avec une grâce un peu dure sur la position des réformés dauphinois, que la cruauté des édits allait troubler dans leurs montagnes : « M. de Grignan a fait un voyage d’une fatigue épouvantable dans les montagnes du Dauphiné pour séparer et punir de misérables huguenots, qui sortent de leurs trous, et qui disparaissent comme des esprits, dès qu’ils voient qu’on les cherche, et qu’on veut les exterminer. Ces sortes d’ennemis volants ou invisibles donnent des peines infinies, et qui, au pied de la lettre, ne sauraient finir ; car ils disparaissent en un moment, et dès qu’on a le dos tourné, ils ressortent de leurs tanières. » (Lett. au comte de Bussy ; 16 mars, 1689.) Voilà pour les résultats de la révocation, et pour les guerres intestines qui en furent la suite. Veut-on maintenant se faire une idée de la manière dont la révocation même fut appréciée par la haute société du temps, et par les belles dames dont la sensibilité s’épanchait sur les pastorales de l’hôtel de Rambouillet ; voici leur jugement :

« (Le P. Bourdaloue) s’en va, par ordre du roi, prêcher à Montpellier et dans ces provinces où tant de gens se sont convertis sans savoir pourquoi. Le P. Bourdaloue le leur apprendra. Les dragons ont été de très-bons missionnaires, jusque-là. Les prédicateurs qu’on envoie présentement rendront l’ouvrage parfait. Vous aurez vu, sans doute, l’édit par lequel le roi révoque celui de Nantes. Rien n’est si beau que tout ce qu’il contient, et jamais aucun roi n’a fait et ne fera rien de plus honorable. » (Lett. de Mme  de Sévigné au comte de Bussy. 28 octobre 1685.) « J’admire la conduite du roi pour ruiner les huguenots ; les guerres qu’on leur a faites autrefois, et les Saint-Barthélemi ont multiplié et donné vigueur à cette secte. Sa Majesté l’a sapée petit à petit, et l’édit qu’il vient de donner, soutenu des dragons et des Bourdaloue, a été le coup de grâce. » (Lett. du comte de Bussy à Mme de Sévigné, 14 nov. 1685.) « Tout est missionnaire présentement ; chacun croit avoir une mission, et surtout les magistrats et les gouverneurs de province, soutenus de quelques dragons ; c’est la plus grande et la plus belle chose qui ait été imaginée et exécutée. » (Lett. de Mme  de Sévig. au président de Moulceau, 24 nov. 1685.) Il serait superflu de faire la moindre réflexion sur ces badinages. Ils montrent assez tout ce qui manquait au grand siècle. D’autre part, il arriva souvent, à cette époque, qu’un rigorisme apparent vint couvrir toute cette frivolité de jugements en matières théologiques. L’esprit religieux du plus beau temps de Louis XIV se peint fort exactement dans ce qui arriva lors de la mort de Molière, qui expira le 17 février 1673. En réponse à la requête de sa veuve, l’archevêque de Paris accorda la sépulture ecclésiastique « à condition, néanmoins, que ce sera sans aucune pompe, et avec deux prêtres seulement, et hors des heures du jour, et qu’il ne sera fait aucun service solennel. » (Voyez les pièces authentiques, Vie de Molière, par Auger, éd. de Paris, 1819, p. 164.) Ce docte commentateur remarque que ce même archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, qui refusait la sépulture à Molière, parce qu’il était mort presque sur le théâtre, mourut lui-même presque dans les bras d’une de ses maîtresses, et que tous les honneurs furent accordés à sa cendre, même l’oraison funèbre. Mais le soir de l’inhumation de Molière, une vile populace vint insulter ses restes. Deux cents personnes conduisirent silencieusement le cortège nocturne du plus beau génie dont la France s’honore.

Des autorités infiniment plus graves que celle de Mme de Sévigné purent égarer la cour de Versailles sur sa conduite envers les protestants. Le conseiller d’Aguesseau succéda, en 1673, à M. de Bezons, qui était depuis vingt ans intendant de Languedoc ; il s’attacha fortement au grand objet de la religion réformée. Voici le jugement que porta sur la conduite de son père le chancelier d’Aguesseau, honneur de notre magistrature, et dont la statue brille aujourd’hui devant le péristyle du temple des lois. « Il approuvait l’usage de ces lois temporelles, dont je ne doute pas même qu’il n’ait inspiré plusieurs, par lesquelles le roi excluait les protestants des fonctions publiques ou de la participation de certains privilèges… Cette voie légitime en soi, lui plaisait principalement, parce qu’elle excitait les religionnaires à rentrer en eux-mêmes, à approfondir les causes de leur séparation, et à se convaincre mieux par un examen qu’ils n’avaient peut-être jamais fait, de l’injustice des prétextes qui avaient porté les premiers réformateurs à quitter la route de leurs pères… Aucunes lois ne lui paraissaient devoir être plus rigoureusement interprétées que celles où des sujets rebelles avaient forcé leur roi, les armes à la main, de leur accorder le pouvoir d’élever dans son royaume autel contre autel. On vit en effet tomber, par ses jugements, un grand nombre de temples. » (Discours sur la vie de M. d’Aguesseau, par le chancelier, adressé à ses enfants.) Les principes et la conduite du conseiller d’Aguesseau, austère de mœurs et sincèrement pieux, lorsqu’il fut nommé intendant du Languedoc, donne beaucoup à penser, quant à la disposition des esprits en France à cette époque presque inexplicable. Le chancelier nous raconte que, malgré les édits, les assemblées des religionnaires commencèrent à Saint-Hyppolite, dont le conseiller avait fait démolir le temple. On prit les armes des deux côtés, dans le Languedoc et le Vivarais. Le conseiller recommandait les moyens de douceur ; malgré lui, des troupes envoyées par le ministre Louvois pénétrèrent en Dauphiné. « Quelques escadrons de dragons ayant attaqué un corps de rebelles qui allaient tenir une assemblée, passèrent environ deux cents hommes au fil de l’épée, qui firent même assez chèrement acheter leur mort. » (Disc. du chancelier d’Aguess.) Après toutes ces luttes avec les chefs militaires, vinrent les jugements du conseiller intendant : « Ce fut au moins une grande consolation pour mon père, dans ce qui le regardait personnellement, d’avoir pu finir cette grande affaire sans qu’il en coûtât plus d’un seul supplice à son humanité. Le ministre Homel fut l’unique coupable dont le sang répara le crime de tous les autres[17]. Mon père le condamna à la roue, après lui avoir fait son procès dans les formes ordinaires. » (Discours du chancel. d’Aguess.) Cette mesure du conseiller d’Aguesseau, intendant de Languedoc, et la manière dont elle est jugée par son fils, l’illustre chancelier, laisse voir, mieux que toutes réflexions, la manière dont les choses se passaient alors, et quels jugements on croyait pouvoir rendre en toute sûreté de conscience. Et il faut ajouter, qu’en une foule de circonstances, le père du chancelier de France fait des réflexions très-sensées et très-humaines sur les conversions par voie d’exécution militaire, et qu’il prédit avec une parfaite perspicacité combien elles seraient passagères, et combien peu elles atteindraient le grand but de l’unité de la foi. Cependant, le juge rigoureux du vieux ministre Homel dut être bien regretté, lorsqu’il fut remplacé en qualité d’intendant du Languedoc, par Lamoignon de Baville, dont le malfaisant génie, ayant pour devise, « toujours prêt, et jamais pressé » (Saint-Simon) rappelle tout ce que l’action administrative eut jamais de plus impitoyable[18]. Nous ferons connaître, dans la suite de cette histoire (Pièc. just., no  ii), une lettre de ce fameux intendant, qui se souilla de tant de supplices envers les réformés, et dont la vie fut, en quelque sorte, expiée par la conduite opposée de son illustre descendant Lamoignon de Malesherbes, qui se plaisait à redire avec autant de grâce que d’humanité : « Il faut bien que je rende quelques bons offices aux protestants ; mon ancêtre leur a fait tant de mal. »

En ce qui concerne les flatteries inouïes dont Louis XIV fut l’objet, au moment même où son pouvoir se signalait par tous ces édits si intolérants, consignons d’abord comme mesure préparatoire le compliment de Racine à propos du dictionnaire de l’académie, compliment dont on peut dire qu’il est l’un des plus extraordinaires qui aient été jamais adressés même par un poète à son maître :

« Ce dictionnaire, qui de soi-même semble une occupation si sèche et si épineuse, nous y travaillons avec plaisir ; tous les mots de la langue, toutes les syllabes nous paraissent précieuses, parce que nous les regardons comme autant d’instruments qui doivent servir à la gloire de notre auguste protecteur » (Discours pron. à l’Acad. franc., à la réc. de l’abbé Colbert, le deuxième fils du ministre ; 30 octobre 1678.) Plus tard on entendit l’auteur d’Athalie l’année même de la révocation de l’édit de Nantes, faire fumer devant Louis XIV ce nouveau tribut : « Ce grand prince, plein d’équité, plein d’humanité, toujours tranquille, toujours maître de lui, sans inégalité, sans faiblesse, et enfin le plus sage et le plus parfait de tous les hommes. » (Disc. pron. à l’Acad. franc, à la réc. de MM. Thomas Corneille et Bergeret ; 2 janvier 1685.)

On vit La Fontaine, qui parlait peu de la politique, se mettre de la partie contre les protestants, et renonçant, au moins dans une occasion officielle, à la philosophie de ses fables, louer Richelieu « d’avoir doublement triomphé de l’hérésie et par la persuasion et par la force. » Jusque-là ce n’était que de l’histoire bonne ou mauvaise ; mais il y eut quelque chose de beaucoup plus direct, en 1684, à féliciter Louis XIV « d’avoir réduit l’hérésie aux derniers abois. » (Rem. de réc. à l’Acad. franc. ; 2 mai.) De quoi se mêlait le bonhomme ?

Les discours et louanges du clergé eurent un caractère bien plus insinuant et bien plus dangereux. Quelque difficile qu’il soit de supposer qu’il ignorât réellement les violences inouïes qui se passaient, il eut au moins la charité de vouloir faire prendre le change à Louis XIV. Aussi on essaya sans cesse de persuader à ce monarque que les voies de conversion étaient douces, et que la seule conviction amenait les changements les plus satisfaisants. Nous nous bornerons à citer un seul exemple, mais frappant, de ce genre d’argumentations, qui dut préparer un champ plus libre aux persécuteurs tout en rassurant la conscience du roi. Voici ce que le clergé disait au monarque abusé :

« Aussi faut-il l’avouer, Sire, quelque intérêt que nous ayons à l’extinction de l’hérésie, notre joie l’emporterait peu sur notre douleur, si, pour surmonter cette hydre, une fâcheuse nécessité avait forcé votre zèle à recourir au fer et au feu, comme on a été obligé de faire dans les règnes précédents. Nous prendrions part à une guerre qui serait sainte, et nous en aurions quelque horreur, parce qu’elle serait sanglante ; nous ferions des vœux pour le succès de vos armes sacrées, mais nous ne verrions qu’avec tremblement les terribles exécutions dont le Dieu des vengeances vous ferait l’instrument redoutable ; enfin nous mêlerions nos voix aux acclamations publiques sur vos victoires, et nous gémirions en secret sur un triomphe qui, avec la défaite des ennemis de l’Église, envelopperait la perte de nos frères.

« Aujourd’hui donc que vous ne combattez l’orgueil de l’hérésie que par la douceur et par la sagesse du gouvernement, que vos lois, soutenues de vos bienfaits, sont vos seules armes, nous n’avons que de pures actions de grâces à rendre au ciel, qui a inspiré à Votre Majesté ces doux et sages moyens de vaincre l’erreur, et de pouvoir, en mêlant avec peu de sévérité beaucoup de grâces et de faveurs, ramener à l’Église ceux qui s’en trouvaient malheureusement séparés Ce que votre zèle a déjà fait, la postérité le regardera toujours comme la source de vos prospérités et le comble de votre gloire. » (Disc. pron. à la tête du clergé, par l’abbé Colbert, coadjuteur de Rouen, pour remercier Louis XIV de l’édit du 22 octobre 1685, révoquant celui de Nantes.)

Les arts mêmes furent appelés à fêter ces victoires déplorables contre une hérésie si industrieuse et si pacifique. Faudra-t-il rappeler les figures hideuses que le calice met en fuite, dans un des plus brillants salons de Versailles, sous le chaste pinceau de Lesueur ? Faudra-t-il rappeler cette statue élevée à l’hôtel-de-ville de Paris (1689), monument de la plus honteuse flatterie, dû au ciseau de Coysevox, et consacré spécialement au roi destructeur de l’édit de Nantes[19]. Des bas-reliefs d’airain mentionnaient cette offrande des prévôt et échevins de la ville de Paris ; ils dessinaient une affreuse chauve-souris aux larges ailes enveloppant les œuvres de Jean Hus et de Calvin. Tous ces bronzes ont été changés, l’an 1792, en canons révolutionnaires qui allèrent tonner à Valmy ; les inscriptions adulatrices ne sont plus ; mais la postérité doit se souvenir à jamais qu’on y grava ces paroles : Ludovico magno, victori perpetuo, ecclesiæ ac regum dignitatis assertori.

Nous bornons ici ces exemples déjà nombreux et qu’il eût été facile de multiplier. Ils ont bien quelque chose de surprenant et de douloureux. Par des citations remarquables choisies dans les discours les plus solennels du clergé, dans les harangues des littérateurs les plus élevés, dans la jurisprudence bien autrement grave de magistrats austères, dans les compositions des arts et jusque dans les confidences des ruelles, nous venons de voir combien l’esprit du temps était âpre ou léger sur des mesures qui nous semblent si condamnables aujourd’hui. Ces traits de mœurs et d’opinions, venant de tant de côtés, expliquent jusqu’à un certain point comment Louis XIV put ignorer le véritable état des choses, ou put se tromper si gravement sur leurs suites. Qu’on ajoute à toutes ces illusions la faiblesse d’un esprit dévot et la hauteur du pouvoir absolu, et peut-être pourra-t-on se rendre raison de tant de mesures dont la postérité a dû exiger un compte sévère. Elles suffisent toutefois et trop bien pour nous faire trouver insupportable cette seconde apothéose, dont on nous fatigue depuis quelque temps.

Nous n’avons point l’intention de nous arrêter sur l’histoire proprement dite de la révocation, sur les excès de tous genres qu’elle entraîna, sur les conséquences longues et funestes qui en dérivèrent, ni sur les insuccès dont elle fut une mémorable école.

Nous ne parlerons non plus de ces colonies de réfugiés français, dont elle peupla à peu près toute l’Europe protestante, dont elle jeta des débris dans le Nouveau-Monde, et même jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Triste tableau, puisque tandis qu’en France Louis XIV fondait une régie spéciale pour la confiscation et la spoliation des biens saisis sur ses compatriotes, en Prusse, Frédéric-Guillaume 1er  fondait une charge spéciale pour les protéger et les servir. En France, c’était le conseiller et contrôleur général Chamillart et ses successeurs qui furent préposés par Sa Majesté « à la recette des biens des religionnaires qui ont contrevenu aux édits » (Arrêt du 23 septembre 1704) ; et en Prusse, c’était le comte de Denhoff, général, gouverneur de Memel, qui exerçait les fonctions de directeur et protecteur des affaires des Français réfugiés (Délibér. des réfugiés franç. de Berlin, 3 janvier 1718). Voilà sans contredit un renversement de rôles qui pénètre de tristesse.

D’ailleurs on ne peut qu’admirer les vifs mouvements de charité, dont les Français réfugiés ou prisonniers dans leur patrie furent l’objet dans l’Europe entière. En Hollande, comme en Allemagne, en Suisse et en Angleterre, c’étaient des étrangers qui venaient secourir et chérir les Français gémissant sur les galères de la France. Nous citerons à la fin de ce volume une pièce bien douloureuse, mais remarquable et par les détails qu’elle nous conserve sur les martyrs et par la tendre sympathie de leurs frères des Provinces-Unies, (Voy. Pièc. just. no iii.) Nous ne voulons pas cependant examiner quelle pouvait être la population exacte de cette masse de Français chassés par l’intolérance. La question, assez fâcheuse et dénuée d’intérêt, est à peu près insoluble aujourd’hui. On ne pourrait la tenter qu’en recherchant dans tous les pays protestants de l’Europe les colonies de calvinistes français qui s’y réfugièrent ; encore il faudrait distinguer celles qui sont éteintes aujourd’hui par leur fusion avec les nationaux. Cette circonstance a dû arriver très-souvent, et finira par arriver toujours. « Une des plus puissantes consolations de ces troupes fugitives, disait le pasteur réfugié de La Haye, c’est que vous ne dédaignez pas de les confondre avec ceux qui ont eu le bonheur de naître sous votre gouvernement, c’est que vous n’exigez pas qu’il y ait deux peuples au milieu de vous ; c’est que vous avez la condescendance de nous considérer comme si nous vous devions la naissance, ainsi que quelques-uns de nous vous doivent leur entretien, et que tous vous doivent leur repos et leur liberté. » (Saurin, Sermon sur l’amour de la patrie,[20] On voit que déjà vers le commencement du siècle dernier les réfugiés tendaient à cesser d’être un peuple distinct chez les nations qui les avaient accueillis comme des frères ; on peut juger combien serait vaine l’entreprise de vouloir démêler aujourd’hui ces races étroitement confondues depuis au moins quatre ou cinq générations.

Cependant il nous est bien difficile de quitter ce sujet sans au moins consacrer un souvenir à tous ces hommes distingués, qui furent contraints de quitter la France, ou à tous ceux dont la foi et les principes furent si étrangement traités par les ineptes jésuites, qui dirigeaient la conscience de Louis XIV. On choisit pour calomnier la foi protestante le moment où plusieurs des plus grands génies qui honorent l’humanité en faisaient profession ouverte, et donnaient à leurs immortels résultats scientifiques la couleur d’une piété qui comprenait à la fois les lois et l’auteur de la nature. C’était le moment où Newton publiait son livre des Principes de la philosophie naturelle (1687) et le calcul de l’infini en variant ces méditations sublimes par des commentaires sur les livres les plus difficiles du Nouveau Testament, et en partageant le même génie et la même dévotion avec un autre protestant, son digne rival et coreligionnaire, Leibnitz. C’était l’instant même où, par la plume habile autant que religieuse de Samuel Clarke et de Locke, les hautes vérités de l’existence divine recevaient ces démonstrations, dont la force et dont la clarté n’ont point été surpassées, comme aussi un illustre réfugié français, Jacques Abbadie, presqu’au moment même où la révocation fut signée, donna son traité, le plus solide ouvrage qu’on ait composé en faveur de la religion chrétienne. Il est remarquable que les livres de ces trois philosophes si éminemment pieux parurent en 1684, 1695 et 1704, précisément au milieu de la série innombrable des édits où Louis XIV et son secrétaire Phélypeaux attachaient des peines capitales à leur foi. À ce moment aussi Huyghens fut obligé, quoi qu’on en ait dit[21], à fuir Versailles et cette contrée où toute liberté de conscience et de culte lui aurait été interdite ; il rapporta en Hollande son analyse des ondulations de la lumière, et la magnifique découverte de l’horloge oscillante. D’autre part, en France, tandis que les édits interdisaient aux réformés le métier d’huissier, de domestique ou de loueur de chevaux, Denis Papin, de la famille des pasteurs de Blois, allait à Londres et à Marbourg, en Hesse, construire le premier modèle d’une machine à vapeur mise en pratique (1690). Si cet homme de génie, physicien et médecin illustre, fut resté sur les terres de France, passé 1685, il n’eût pu, en qualité de protestant, être reçu docteur, en vertu de la déclaration du 6 août, signée Phélypeaux de Pontchartrain.

Il serait d’ailleurs fort difficile de compléter cette énumération et de rappeler la foule d’hommes distingués en tous les genres que ces mesures nous ont enlevés. Les Estienne, l’honneur de l’imprimerie française, s’établirent définitivement en Suisse. Pendant que la peinture officielle de Lebrun et son art des grandes machines régnaient en despote à Versailles, les descendants de Jean Goujon, qui balança la gloire de la sculpture florentine, et ceux de Bernard Palissy, qui avait gravé sur ses poteries émaillées le chaste dessin de Raphaël et les jeux de Jean d’Udine, furent contraints de fuir le sol natal comme ceux du peintre Jean Cousin et de Goudimel, le naïf et pieux musicien des psaumes. La mémoire d’Ambroise Paré, cet homme illustre qui fit réellement de la chirurgie un art divin, ne put sauver ses descendants de l’exil et de la persécution. Abraham Duquesne, ce grand homme de mer et le digne adversaire de Ruyter, ce guerrier intrépide, le père de notre marine, non-seulement ne put obtenir durant sa vie, de Louis XIV, les dignités qu’il eût honorées, mais après sa mort il ne put obtenir un tombeau. Il vécut assez (1688) pour voir la révocation ruiner sa foi et ses temples, et la vallée alpine d’Aubonne, dans l’état de Berne, seule recueillit sous un simple marbre ce cœur du marin qui avait tant combattu pour la France. Il est vrai qu’aujourd’hui son buste monumental s’élève enfin dans le vieux palais des rois (Louvre, Musée de marine) : tardive réparation de tant d’ingratitude. Toutes les professions libérales avaient leur part de cette oppression insensée ; elle atteignit ensemble l’honnête littérateur Conrart, le courageux voyageur Chardin, et le savant chimiste Lemery. L’architecte de Bott, le médecin Bauhin, le grammairien Boyer, le pharmacien Charas portèrent leurs services chez les étrangers, qui déjà avaient recueilli tout l’éclat philosophique qui jaillissait de la veine intarissable et trop sceptique de Bayle.

Mais nos pertes en écrivains sérieux et érudits, en hommes pieux, qui eussent continué les débats de la science avec Port-Royal, et qui eussent peut-être fini par s’entendre avec ces théologiens armés et consciencieux comme eux-mêmes, furent bien plus sensibles et bien plus irréparables encore. Le docte Pierre Allix alla servir à Londres une église du rit anglican. Les descendants du pieux Drelincourt allèrent se fixer en Hollande, en Angleterre ou en Allemagne, où ils rencontrèrent les Basnage, les David Durand, les Graverol, les Jaquelot, les Ancillon, les Janicon, les Jansse, les Morin, les Jurieu, les Lecène, les Lenfant, les Superville, les Élie Saurin, les Beausobre, les David Martin, les de La Placette, les Bernard, les Louis Cappel, les Rapin-Thoyras, les Rivet, les Bouhereau, les Desmarets, les Desvignoles, les du Bosc, les Bruguier, les Colomiez, les Le Courayer, les Daillon, et tant d’autres chez lesquels un savoir profond se mêlait à l’esprit critique et à une piété fervente. Tout une littérature et tout une influence scientifique partit avec eux. Des tombes de Port-Royal, labourées par la charrue des persécuteurs, aucune voix ne s’éleva, pas plus que des débris des académies et des temples des réformés. La saine et grave théologie française fut remplacée par la philosophie du xviiie siècle, qui nous gouverne et qui nous domine encore aujourd’hui. Terminons ici cette esquisse littéraire, qui n’est pas tout à fait une digression dans notre sujet. Elle laisse entrevoir tout ce que la France a perdu. En présence de tant de maux irréparables, dus au caprice d’une cour ignorante et absolue, on se prend à songer combien nos destinées seraient aujourd’hui différentes, si des conseils plus sages eussent prévalu dans les conseils de nos rois, ou, ce qui revient au même, si la véritable opinion de la France eût pu se faire jour. Mais de semblables considérations ne seraient plus du domaine de l’histoire.



  1. Il a été publié des recueils nombreux et détaillés des lois de Louis XIV contre les protestants. On en trouvera une liste textuelle, immense et effrayante, formant pièces justificatives du grand ouvrage sur l’Histoire de l’édit de Nantes (1695. Delft, 5 vol. in-4o, par Élie Benoît, ministre exilé d’Alençon). Pour les temps immédiatement antérieurs à la révocation, de 1685 et jusqu’en 1695, cette collection offre trois cent trente-trois édits, déclarations et arrêts. Mais beaucoup d’entre eux concernent des espèces particulières. Nous avons fait notre travail analytique sur les recueils plus officiels concernant la rel. prél. réf., imprimés avec privilège du roi, et contenant la série des édits, déclarations et arrêts du Conseil depuis 1669 jusqu’en 1729, i vol. in-12 de 456 p. Le volume contient cent quatre-vingt-un édits ou arrêts, tous non abrogés et devant servir de manuel de poche aux magistrats persécuteurs. J’ai travaillé sur l’exemplaire annoté et paraphé de M. Challan, procureur du roi à Meulan, parl. de Paris. Ces volumes sont plus instructifs et donnent plus à penser que le roman d’ailleurs fort agréable de Rabaut-Saint-Étienne, publié en 1782, où il montre un vieux Cévenol se débattant sous les suites de toutes les incapacités légales dont les édits avaient frappé les protestants ; ce livre spirituel n’a d’autre défaut que celui de donner la forme d’une nouvelle à des faits qui réclament toute la sévérité de l’histoire.
  2. « Combien de ceux qui nous écoutent ont des personnes qui leur sont chères, enveloppées dans ce malheur. Où est la famille de nos exilés qui ne puisse s’appliquer ces paroles d’un prophète : ma chair est à Babylone ; mon sang est parmi les habitants de la Chaldée (Jérémie, 51, 35). Ah ! honte de la réformation ; ah ! souvenir digne d’ouvrir une source éternelle de larmes. Rome, qui nous insultes et nous braves, ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces galères que tu remplis de nos forçats, dont tu aggraves les peines par les chaînes dont tu les accables, par le bâton dont tu les abats, par le vinaigre que tu verses dans leurs plaies. Ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces cachots noirs et puants, inaccessibles à la lumière, et dont tu augmentes l’horreur en laissant les corps morts avec les corps vivants ; mais lieux changés en délices par les influences de la grâce que Dieu verse dans l’âme des prisonniers et par les cantiques d’allégresse qu’ils ne cessent de faire retentir à sa gloire. Ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces maisons ruinées, ces familles dispersées et ces troupes fugitives par tous les lieux de l’univers : ces objets sont notre gloire, et tu fais notre éloge en nous insultant. Veux-tu nous couvrir de confusion ; montre, montre-nous les âmes que tu nous as enlevées ; reproche-nous, non que tu as extirpé l’hérésie, mais que tu as fait renier la religion ; non que tu as fait des martyrs, mais que tu as fait des déserteurs de la vérité. C’est ici véritablement notre endroit sensible ; c’est ici où il n’y a point de douleur égale à notre douleur. » (Saurin, Sermon sur le trafic de la vérité.)
  3. « Mille et mille coups furent portés à nos malheureuses églises avant celui qui devait les réduire en poudre et, s’il est permis de parler ainsi, on aurait dit que ceux qui s’étaient armés contre nous, non contents du plaisir de voir notre ruine, voulaient encore avoir celui de la savourer. » (Saurin, Sermon pour la consécration du temple de Voorburg.)
  4. « Dieu a répondu d’une manière plus directe au but dont nous étions animés, lorsque nous pûmes nous résoudre à dire un adieu peut-être éternel à notre patrie. Ce qui nous porta à nous en bannir, ce ne fut point l’espérance de trouver ailleurs une société plus douce, des climats plus aimables, des établissements plus solides. Des motifs de tout autre genre nous animaient. Nous avons vu réduire en poussière les édifices où nous avions accoutumé d’entonner à Dieu des cantiques ; nous avons entendu les enfants d’Édom, armés de cognées, criant sur ses maisons saintes : Qu’elles soient rasées jusqu’aux fondements (Psaume cxxxvii, 7). Puissiez-vous, sujets naturels de ces provinces, au milieu desquels il a plu au Seigneur de nous conduire, ignorer à jamais les horreurs d’un pareil état. Puissiez-vous du moins ne les jamais connaître que par l’expérience de ceux à qui vous avez donné de si puissants moyens pour les soutenir. Nous ne pûmes survivre à la liberté de notre conscience ; nous allâmes la chercher, dût-ce être dans les antres et dans les déserts. Le zèle donnait du mouvement au vieillard que les années avaient rendu comme immobile. Les pères et les mères chargeaient sur leurs épaules des enfants qui ne pouvaient pas encore connaître la grandeur du péril auquel on voulait les arracher, et chacun, content d’avoir sa vie pour butin, ne demandait que cette précieuse liberté qu’il avait perdue. Nous la trouvâmes au milieu de vous, nos généreux bienfaiteurs ; vous nous reçûtes comme vos frères, comme vos enfants, et aujourd’hui vous permettez encore à une poignée de nos exilés de bâtir eux-mêmes un temple au Dieu que nous adorons avec vous… Ah ! sans doute, ceux de nos compatriotes qui ont encore présente à l’esprit l’idée de ces temples dont la perte nous cause tant de regrets, n’auront pas une joie toute pure. — Les chefs, les pères, qui ont vu la première maison, pleureront à haute voix, de sorte qu’on ne pourra distinguer la voix de l’allégresse de celle de la douleur. Mais pourtant louons aujourd’hui tous ensemble ce Dieu, qui se souvient d’avoir compassion. » (Saurin, Sermon pour la consécration du temple de Voorburg.)
  5. Michel Letellier, chancelier de France, succéda à d’Aligre, de 1677 à 1685 ; ce fut ce ministre qui scella la révocation en entonnant le cantique de Siméon, et auquel on attribue, ainsi qu’à son fils Louvois et au père La Chaise, une grande part à cet acte, qui fut toutefois l’objet des éloges éloquents de Bossuet et de Fléchier.
  6. « Il vous est permis aujourd’hui de donner un libre cours à vos plaintes et de dire à la face du ciel et de la terre les maux que Dieu vous a faits. Mon peuple, que t’ai-je fait ? (Michée, 6, 1-3). Ah ! Seigneur, que de choses tu nous as faites. Chemins de Sion, couverts de deuil, portes de Jérusalem désolées, sacrificateurs sanglotants, vierges dolentes, sanctuaires abattus, déserts peuplés de fugitifs, membres de Jésus-Christ, errants sur la face de l’univers, enfants arrachés à leurs pères, galères regorgeantes de confesseurs, sang de nos compatriotes répandu comme de l’eau, cadavres vénérables puisque vous servîtes de témoins à la vérité, mais jetés à la voirie et donnés aux bêtes des champs et aux oiseaux des cieux pour pâture, masures de nos temples, poudre, cendre, tristes restes des maisons consacrées à notre Dieu, feux, roues, gibets, supplices inouïs jusqu’à notre siècle, répondez et déposez ici contre l’Éternel. Mais si nous considérions Dieu comme juge, quelle foule de raisons ne pourrions-nous pas alléguer pour justifier ces coups dont il vous a frappés ! Vous le savez et ne le savez que trop, la facilité avec laquelle on jouit de la présence de Dieu diminue souvent à nos yeux le prix de cet avantage. — Rappelez à votre mémoire ce temps, qui lui est si cher, ce temps où la religion était prêchée dans les lieux de notre naissance, et où Dieu par une bonté admirable nous accordait en même temps les biens spirituels et les prospérités terrestres. J’en atteste vos consciences : connaissiez-vous alors tout ce que valaient ces faveurs. N’étiez-vous jamais dégoûtés de cette manne, qui tombait chaque jour à vos portes. » (Saurin. Sermon pour le jeûne de 1706.) Il faut remarquer que ce passage, l’un des plus sombres du grand orateur, fut prononcé sous l’impression récente de la guerre camisarde, lorsque les cruautés inouïes et les supplices de Baville épouvantaient encore la province natale de Saurin.
  7. « Tantôt on publiait des édits contre ceux qui, prévoyant les maux qui allaient fondre sur nos églises et ne pouvant les détourner, allaient chercher la triste consolation de ne pas en être les témoins. — Tantôt on permettait aux enfants de l’âge de sept ans d’embrasser une doctrine dans la discussion de laquelle on soutient que les adultes mêmes sont incapables d’entrer. — Quelquefois même on nous enlevait la gloire de confirmer dans la vérité ceux que nous avions instruits dès leur enfance. — Quelquefois on nous chassait du royaume et quelquefois on nous défendait sous peine de mort d’en sortir. Ici, vous auriez vu des trophées dressés à la gloire de ceux qui avaient trahi leur religion ; là, vous auriez vu traîner sur l’échafaud, sur la galère ou dans les cachots, ceux qui avaient le courage de la confesser ; là, des corps morts traînés sur la claie pour avoir expiré en la confessant. Ailleurs vous auriez vu un mourant aux prises avec les ministres de l’erreur, partagé dans la crainte de l’enfer s’il persistait dans son apostasie, et la crainte de laisser ses enfants sans pain s’il employait ses derniers moments que les trésors de la Providence et de la longue attente de Dieu lui laissaient encore pour s’en relever ; dans un autre endroit, des pères et des mères s’arracher à des enfants, sur lesquels la crainte d’être séparés d’eux dans l’éternité leur faisait répandre des larmes plus amères que celles de s’en voir séparés pour cette vie. Ailleurs des familles entières arrivant dans des pays protestants le cœur pénétré de joie de revoir des temples et trouvant dans ces objets de quoi adoucir ce qu’il y avait de plus amer dans le sacrifice qu’ils avaient fait pour les posséder. » (Saurin. Serm. pour la consécrat. du temple de Voorburg.)
  8. Il est assez curieux de remarquer, d’après les notes contemporaines d’un des plus véridiques courtisans de Versailles, que dans ces deux mois de septembre et d’octobre 1685, signalés par la révocation définitive de l’édit de Nantes, les villes dont on apprit la conversion entière à Louis XIV furent Montauban, Castres, Montpellier, Nîmes et Uzès ; après un siècle et demi, elles figurent encore parmi les villes du royaume où la population protestante est proportionnellement la plus forte. (Dangeau, Éd. Lemontey, p. 18-19).
  9. « Nous, nous avons sur nos enfants le pouvoir que nous donnent la nature, la société et la religion ; nous pouvons nous promettre pour eux et pour nous la protection des lois, tandis que nous respecterons ces lois et que nous leur apprendrons à les respecter ; mais nos compatriotes, quand ils sortent de leurs demeures pour quelques moments, ne savent pas s’ils y trouveront à leur retour ces chères parties d’eux-mêmes, ou si on les aura enlevées, enfermées dans des couvents ou jetées dans des cachots. » (Saurin, Sermon sur la cons. du temple de Voorburg.)
  10. Nous ajoutons plus bas un résumé bien pressant de toutes ces lois, tableau concis de la composition de Rabaut-Saint-Étienne. (Voy. Pièc. justNo I). C’est le premier jet de son roman le vieux Cévenol.
  11. Voy. les Pièces justifie, du Mémoire historiq. de 1744, p. 280, à la suite du traité de la Nécessité du culte public, par Arm. de la Chapelle. Francfort (Amsterdam, 1747). C’est le tableau le plus détaillé qui ait été imprimé des persécutions d’une seule époque du xviiie siècle, celle de 1744 et 1745 ; il fut sans doute communiqué au pasteur de La Haye par le comité de Lausanne et Antoine Court.
  12. Souv. de madame de Caylus.
  13. Mém. de la cour de France, 1688, 1689, par madame de La Fayette.
  14. Ibid.
  15. Mémoires, ann. 1715.
  16. « Après cette cassation qu’y aurait-il, je vous prie, désormais de ferme et d’inviolable en France, je ne dis pas seulement pour les fortunes des particuliers et pour celles des maisons, mais encore pour les établissements généraux, pour les autres lois, pour les compagnies souveraines, pour l’ordre de la justice et de la police, et en un mot pour tout ce qui sert de base et de fondement à la société, pour les droits même inaliénables de la couronne et pour la forme du gouvernement. Il y a dans le royaume un très-grand nombre de personnes éclairées, je ne parle pas de ces faiseurs de vers, qui pour le prix d’une douzaine de madrigaux ou de quelque panégyrique du roi, emportent les bénéfices et les pensions, ni de ces compositeurs de livres, à droite et à gauche, qui savent tout hormis ce qui serait bon qu’ils sussent, qui est, qu’ils sont de fort petites gens ; je parle de ces esprits sages, solides et pénétrants, qui voyent de loin les conséquences des choses et qui savent juger. Comment n’ont-ils pas vu dans cette affaire, ce qui n’est que trop visible, que l’état se trouve partout percé d’outre en outre par le même coup qui traverse les protestants, et qu’une révocation de l’édit faite avec tant de hauteur ne laisse plus rien d’immobile ou de sacré. — Il s’en fallait bien que l’aversion de notre religion fût générale dans l’esprit des catholiques, puisqu’il est certain qu’à la réserve de la faction des dévots, et de ce qu’on appelle les propagateurs de la foi, le peuple ni les grands n’avaient nulle animosité contre nous et qu’ils ont plaint notre infortune. » (Plaintes des prot. de France p. 140-143.) C’était en 1686 que Claude écrivait ces lignes piquantes et presque prophétiques.
  17. Isaac Homel, pasteur de Soyon en Vivarais, exécuté à Tournon le 20 octobre 1683, à l’âge de 72 ans. Nous nous garderons de reproduire les détails épouvantables de ce supplice (V. Hist. de l’éd. de Nantes, tom. iii, 667). La mort de ce vieillard courageux, qui avait appuyé l’avis des armes et qui avait même prêché devant des assemblées de gens armés, laissa dans la contrée la mémoire d’un martyr populaire. Nous possédons dans nos pièces du XVIIe siècle un fragment manuscrit bien usé et fatigué, ayant pour titre : « Discours du grand Homel, ministre du saint évangile de notre Seigneur Jésus-Christ, sur la roue. » Nous ne rapporterons point ce morceau, dont la lecture est bien pénible, quoiqu’elle soit bien glorieuse pour la victime, Voici les dernières lignes, qui attestent toute l’exaltation où d’aussi déplorables spectacles jetaient des populations ferventes : « Après ces paroles on lui donna le coup de grâce ; beaucoup de gens assurent que son âme en quittant son corps a fait entendre dans les airs des cantiques à la religion, et même le bourreau assure l’avoir entendu. » (Collect. Fab. Lic.).
  18. Ce n’était pas seulement à l’égard des protestants que le grand siècle se montrait si dur. Prenons le plaisir de citer encore madame de Sévigné. Que penser de l’humanité d’un temps où ce modèle des gracieux écrivains, dans une missive toute remplie d’aimables riens pour madame de Grignan, intercale les phrases suivantes, à propos de la punition d’une révolte en Basse-Bretagne contre les gabelles : « Vous me parlez bien plaisamment de nos misères ; nous ne sommes plus si roués ; un en huit jours seulement pour entretenir la justice. Il est vrai que la penderie me paraît maintenant un rafraîchissement. » (24 nov. 1675, lett. 360.) — « On a pris à l’aventure vingt-cinq ou trente hommes que l’on va pendre. » (27 octob. 1675, lett. 352.) — « On a pris soixante bourgeois ; on commence demain à pendre. Cette province est d’un bel exemple pour les autres ; et surtout de respecter les gouverneurs et gouvernantes ; de ne point leur dire d’injures, de ne point jeter de pierres dans leur jardin. » (30 octob. 1675, lett. 353 ; édit de Paris : 1806.) Notre lettre de Baville du 24 septembre 1698, renferme cette phrase en post-scriptum : « J’ai condamné ce matin soixante-seize malheureux (protestants) aux galères. » (Mss, no  ii.) On voit qu’au style près il y a une certaine analogie entre ces deux genres épistolaires.
  19. Pour élever cette déification de Louis XIV vainqueur des réformes, comme les Romains sculptaient le marbre de leurs empereurs, vainqueurs d’Olympie, on avait retiré la statue du jeune roi foulant aux pieds la Fronde. C’est cette triste sculpture de Sarrazin qui fut remplacée par le bronze de Coysevox, et qui, sauvée par la maison de Condé, figure aujourd’hui dans le Musée français du Louvre, non loin des gracieuses nymphes de Jean Goujon, des émaux si vivants de Palissy et de l’admirable Jugement dernier de Jean Cousin.
  20. Nous jetterons ici quelques jalons pour ceux qui voudraient entreprendre une statistique européenne des églises françaises du refuge, en remontant jusqu’aux premières années de notre siècle, et en avertissant que nous n’indiquons que les églises principales et que notre liste est incomplète. Il faut remarquer que cette énumération renferme les églises calvinistes réformées au rit et langue française, qui se sont fondées ou qui se sont considérablement grossies par suite des lois de Louis XIV. Plaçons seulement pour mémoire l’accroissement notable des églises du canton de Vaud, de Neuchâtel, de Berne, de Zurich et de Genève. Église française d’Iverdun et de Bâle ; église française de Maestricht et environs ; égl. franç. de Nimègue, Venloo et Stevenswaart ; égl. franç. au Sas de Gand, Flandre hollandaise ; église franc. à Tournay ; égl. franç. à Deux-Ponts, ancien duché ; égl. franç. de Bienne, Haute-Alsace ; égl. franç. de Mulhausen ; égl. franç. de Saint-Imier, Corgemont, Bevillard, dépendant de l’ancien évêché de Bâle, du Jura et de Moutier ; égl. franç. à Stolberg ; égl. franç. du marquisat de Bareith et de Lunebourg ; égl. franç. de Francfort ; égl. franç. de Hambourg ; égl. franç. de la Prusse ou de l’ancien Brandebourg ; égl. franç. à Stettin ; à Kœnigsberg ; à Berlin ; égl. franç. wallonnes des provinces unies de Hollande ; égl. franç. à Amsterdam, à Groningue, à Breda, à Rotterdam, à Arnhem, à Deft, à Leyde, à Utrecht, à La Haye, à Middelbourg ; égl. franç. de Londres ; égl. franç. de Copenhague. Il y avait naguère des maisons des dames françaises réfugiées à Harlem, à Schiedam, à Deft, à La Haye, à Harderwick, à Rotterdam. Enfin la compagnie des Indes-Orientales hollandaises transporta au Cap des réfugiés français dont les descendants habitent encore cette colonie. Il faudrait avoir recours aux archives de tous ces lieux et de beaucoup d’autres encore pour composer une histoire un peu complète du refuge. En une foule de points ces communautés touchent à leur fin, étant de plus en plus absorbées par les masses nationales environnantes. Ce sont des enfants nombreux de la France irrévocablement acquis à l’étranger.
  21. Les biographes, qui ont nié que les édits de révocation aient pu déterminer la retraite de Huyghens, en 1681, ont négligé de rapprocher quelques dates significatives. Le grand ouvrage Horologium oscillatorium, une des plus nobles productions des sciences exactes, dédié à Louis XIV, est de 1673 ; mais l’année 1681, qui fut celle du retour du grand géomètre en Hollande, vit paraître la déclaration du 17 juin, portant que les enfants des protestants pourraient se convertir à l’âge de sept ans, et celle du 13 mai pour défendre à tous maîtres et artisans de la religion prétendue réformée de faire aucuns apprentis de ladite religion et d’en prendre « même de la religion catholique. » Cette même année (7 avril), Louis XIV ordonna à tous prêtres, et à leur défaut à tous syndics et marguilliers, de se transporter chez les malades de la rel. prét. réf., pour savoir s’ils voulaient mourir dans leur endurcissement. N’est-il pas plus que probable que Huyghens ne fut pas fort jaloux de s’exposer à de telles visites, ni de renoncer à former des ouvriers pour ses montres à ressort spiral.