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Histoire des églises et chapelles de Lyon/Église Saint-Sacrement

La bibliothèque libre.
H. Lardanchet (tome Ip. 215-219).

SAINT-SACREMENT

L’avant-dernière, en date, de nos paroisses de faubourg, celle du Saint-Sacrement, est le résultat d’une initiative puisée, pourrait-on dire, dans l’esprit de foi. Il est peu de personnes à Lyon qui n’aient connu et estimé l’instrument providentiel de cette fondation, M. l’abbé Pierre-Antoine Bridet. Cet excellent prêtre naquit, le 20 novembre 1830, de parents chrétiens, simples paysans, qui l’instruisirent dans une solide piété. Il montra de bonne heure, comme trait dominant de son caractère, une volonté peu malléable, indice toutefois d’une énergie des plus précieuses. Dès lors que Dieu entrait dans cette âme de forte trempe, il était à prévoir que rien ne l’en délogerait.

L’enfant fit sa première communion le 13 mai 1842. Il s’était ouvert à sa mère de son désir du sacerdoce. La bonne femme, malgré sa timidité naturelle, s’en fut consulter l’aimable abbé Gerin, curé de Sainl-Georges-de-Rheneins, qui promit son appui. Mgr de Bonald devait donner, à quelques jours de là, la confirmation dans la paroisse. L’occasion serait bonne de s’adresser à sa bienveillance et l’abbé Gerin imagina de faire présenter la requête en faveur de Pierre, par le propre frère de celui-ci, Joseph, plus âgé de six ans, qui s’en tira fort bien. Mgr de Bonald, touché de cette preuve d’affection fraternelle, accorda une demi-bourse au séminaire de l’Argentière. D’autre part, le marquis de Monspey décida M. Bridet père à céder aux inspirations de son fils. Pierre fut un écolier intelligent et laborieux, et on ne lui reprochait que d’être autoritaire. Au grand séminaire, il fit de rapides progrès spirituels. Ordonné prêtre, sa conduite annonça que le bon sens et la fermeté marqueraient son ministère. Il fut d’abord vicaire à Périgneux, canton de Saint-Rambert-sur-Loire ; puis dans la paroisse ouvrière de Sainte-Barbe à Saint-Étienne, d’où, en 1802, il passa à l’Immaculée-Conception de Lyon.

Il se trouvait dans son milieu parmi les gens dont la pauvreté excitait son zèle. Cette paroisse, récemment établie, était fort étendue. Les quatre prêtres qui la desservaient ne manquaient pas de besogne. Ils avaient à évangéliser des âmes aigries contre la société par la misère du corps, et détachées depuis longtemps des idées et des pratiques religieuses.

L’abbé Bridet s’y dépensa tellement qu’au bout de quatre ans, on le mit à un poste moins pénible, celui d’aumônier des Dames du Sacré-Cœur aux Anglais près de Lyon. Mais dès le 25 avril 1869, il fut rendu à la vie active, et devint vicaire à Saint-Nizier, où il se donna surtout à l’école cléricale et à l’œuvre de l’Adoration nocturne. En 1870, il fit, avec M. Viennois, son ami, le pèlerinage de Rome où se tenait le concile œcuménique. De retour, il reprit, avec plus d’ardeur, ses visites fréquentes aux malades, ses travaux d’édification et d’études. Un jour, il fut mandé à l’archevêché. Mgr Ginoulhiac avait résolu de fonder une nouvelle paroisse qui serait prise en grande partie sur celle de l’Immaculée-Conception, laquelle ne suffisait plus à l’accroissement constant de la population. Trois années auparavant, Saint-Nizier avait fourni le fondateur de la paroisse Saint-Joseph, M. Viennois. Cette fois on s’adressa encore à un vicaire de cette paroisse.

L’abbé Bridet, de retour à Saint-Nizier, dit à ses confrères : « Priez Dieu pour moi ; monseigneur vient de mettre sur mes épaules un fardeau bien lourd. Je suis chargé de fonder une paroisse à la Guillotière, dans le quartier le plus déshérité. » Comme il semblait préoccupé, quelqu’un hasarda : « N’auriez-vous pu refuser ? » — « J’aurais craint de faire de la peine à Notre-Seigneur », répondit-il simplement.

M. Bridet n’arrivait pas en pays inconnu, puisque, six années auparavant, nous l’avons dit, il avait parcouru, comme vicaire de l’Immaculée-Conception, ces quartiers misérables. Mais, depuis son départ, la ville avait poussé son invasion plus loin. Des maisons plus nombreuses s’échelonnaient en bordure des rues principales, puis au delà se trouvaient également des terrains vagues et des chemins peu ou mal fréquentés. Le vaste quadrilatère désigné pour territoire de la novelle paroisse comprenait environ 10.000 habitants  ; il était limité par les paroisses Saint-Pothin et Saint-Joseph au nord, Sainte-Anne à l’est, Saint-Louis au sud et l’Immaculée-Conception à l’ouest.

On ne pouvait pas attendre des intéressés les contributions nécessaires à la construction d’une église. La plupart étaient indifférentes sinon hostiles, et avaient en outre grand’peine à se subvenir. M. Bridet commencé dans la ville, selon sa propre expression, « une vie de mendiant », qu’il mena jusqu’à son dernier jour. Les listes de souscription se couvrirent de trois mille signatures. Sans attendre d’avoir réuni les sommes nécessaires, il mit les travaux en chantier, le 11 mars 1875. L’emplacement avait été choisi d’un commun accord par les autorités civiles et religieuses, sur un terrain alors inoccupé, à l’angle de la rue Boileau et de la rue des Moines, actuellement rue Étienne-Dolet. Le temps pressait et faute de ressources on se contenta d’une construction provisoire. Bientôt on vit s’élever de longs murs en mâchefer, comme ceux de presque toutes les maisons voisines, d’où le nom populaire d’église des mâchefers qui est resté à l’édifice. Le nouveau curé était tous les jours sur le chantier, se rendant compte des moindres détails, montrant une aptitude qu’on ne lui connaissait pas. En septembre, il crut pouvoir prendre possession, et choisit pour l’inauguration le premier dimanche d’octobre, jour du Rosaire. La fête fut présidée par Mgr Thibaudier, coadjuteur de l’archevêque Mgr Ginoulhiac. Une foule de paroissiens, de bienfaiteurs, d’amis et d’indifférents se pressaient dans la pauvre enceinte, dont les murailles n’étaient ornées que de leur éclatante blancheur. L’église n’était rien de plus qu’une grande salle divisée en trois nefs par des colonnes de bois. La cérémonie fut belle. Mgr Thibaudier fit un délicat éloge du curé. À vêpres, la paroisse, dédiée au Très-Saint-Sacrement, fu consacrée au Sacré-Cœur. L’abbé Bridet avait choisi, en outre, pour patrons secondaires de son élise, saint Jean l’Évangéliste et la bienheureuse Marguerite-Marie.

Façade du Saint-Sacrement.

Comment y attirer une population d’ouvriers, parfois nomades, et dans laquelle nombre d’unions étaient illégitimes, beaucoup d’enfants laissés sans baptême ? Le peuple sans doute ne viendrait pas au prêtre. C’était donc au prêtre à aller au peuple. L’abbé Bridet y alla par le moyen de l’enfance. Son premier soin fut de grouper des écoles autour de son église. Dès le début d’octobre 1876, par la libéralité d’un insigne bienfaiteur et de sa fille non moins généreuse, il ouvrit une école de garçons qu’il confia aux frères de la Doctrine chrétienne, une de filles et un asile qu’il remit aux sœurs Saint-Charles. Peu après, il augmenta les classes paroissiales d’un cours d’adultes, pour les jeunes gens et les hommes dont l’instruction avait été négligée, et d’un patronage qui, le dimanche, soustrayait la jeunesse à la pernicieuse influence de la rue.

Dans la suite, il réalisa l’une de ses plus chères pensées en fondant une école apostolique, exclusivement sacerdotale, où il recueillit et prépara au séminaire, par la vie commune et religieuse, quelques enfants qui montraient des signes de vocation. Cette œuvre lui fut une source de grandes consolations. En 1894, il vit monter à l’autel ses premiers prêtres. Cependant, tous ces labeurs et mille autres, notamment les pèlerinages conduits annuellement à Lourdes, ne le détournaient pas de son idéal, la construction de l’église définitive. Il s’ingéniait, il comptait sur le miracle et celui-ci se produisait parfois. Un jour qu’il était inquiet d’une prochaine échéance, une paysanne demanda à lui parler au moment où il allait sortir de la sacristie. Intimidée par le visage soucieux du curé, elle s’embrouilla. « Parlez vite, madame, je vais sortir, » interrompit M. Bridel. — « Eh bien voici, fit la bonne femme : j’avais promis une offrande à l’église la plus pauvre, si je pouvais vendre convenablement une propriété. Je l’ai vendue. On m’a dit que votre paroisse était la plus nécessiteuse. Je vous apporte 3.000 francs. » Quand M. Bridet mourut, le 5 septembre 1903, la construction de l’édifice était fort avancée. Aujourd’hui, grâce aux efforts de son successeur, M. le chanoine Vignon, l’église est achevée et a été consacrée en 1905 par le cardinal Coullié. Ajoutons que le niveau moral de la paroisse s’est considérablement amélioré par suite du ministère apostolique exercée pendant trente ans par ces deux prêtres dévoués.

Intérieur du Saint-Sacrement.

L’église du Saint-Sacrement est l’œuvre d’un architecte éminent : M. Sainte-Marie-Perrin, notre collaborateur. M. Bridet avait exigé un monument de style ogival. L’architecte a cherché à se rapprocher de ce style ; mais il a fait une véritable création. Pour juger de la valeur de cet édifice, il est nécessaire de tenir compte des conditions imposées par l’emplacement, resserré dans le sens de la longueur, entre deux rues assez rapprochées.

Le maître-autel, de marbre blanc, est orné d’un bas-relief en métal doré qui représente un agneau portant l’oriflamme et dont le sang coule dans un calice. Un ciborium de cuivre bronzé recouvre le maître-autel ; par derrière, le mur peint et parsemé d’or encadre le tout fort gracieusement. À droite se trouve la chapelle de la Sainte-Vierge. Une cloison, formant balustrade de pierre, la sépare du chœur. Le vitrail qui l’éclaire représente l’Assomption. Contre le mur se voit le portrait en relief de M. Bridet, et, gravée sur une plaque de marbre noir, l’inscription suivante : « Le 5 septembre 1903 est décédé dans sa 73e année, Pierre Bridet, chanoine honoraire de la Primatiale, fondateur de celle paroisse qu’il administra pendant vingt-huit ans. Prêtre d’une foi profonde, d’une admirable énergie, d’une tendre piété envers Notre-Seigneur et sa Mère immaculée, il avait conduit presque à son achèvement cette église, insigne monument de sa dévotion envers la divine Eucharistie. » Au-dessous, on lit encore : « Le 2 du mois d’avril de l’année 1905, dimanche de Lætare, son Éminence le cardinal Coullié, archevêque de Lyon, a consacré cette église, œuvre de l’architecte Sainte-Marie Perrin. » Presque à la voûte, dans un médaillon, trois anges sont représentés à mi-corps, tournés vers le tabernacle et chantent un texte latin dont le sens est : « Salut, ô corps véritable du fils de la Vierge Marie ! »

La chapelle de gauche, dédiée à saint Joseph, reproduit la disposition de celle de Notre-Dame. Son vitrail représente la Sainte Famille invoquée par une famille terrestre. On a placé contre le mur la statue du bienheureux curé d’Ars dans l’attitude de la prière. Au fond de l’église est une statue de saint Antoine de Padoue tenant un pain ; vis-à-vis, la Sainte Face encadrée dans une ornementation murale. Le chemin de croix, en relief sur les parois de l’église, s’harmonise avec l’ornementation sobre de l’édifice.