Histoire des églises et chapelles de Lyon/Antiquaille

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H. Lardanchet (tome Ip. 219-229).

ANTIQUAILLE

Il est peu de curieux du passé de Lyon qui ne sachent dans quel état se trouve aujourd’hui la prison dite de Saint-Pothin à l’Antiquaille. Sur cette partie de la colline, où s’élevèrent côte à côte des monastères et des maisons religieuses de tous ordres et de toutes congrégations, où se voyaient les Récollets de Belle-Grève, les Bénédictines de Notre-Dame de Chazeaux ou de Bel-Air et les Lazaristes, où passèrent de nos jours les Carmélites, où sont établies les sœurs de Marie-Thérèse et les religieuses de la Compassion, ce monument si vaste que l’on nomme l’Antiquaille, qui conserve encore quelques-uns de ses traits anciens, représente à la mémoire des moins érudits le souvenir de l’un des berceaux du christianisme dans les Gaules.

Regardons, de la place de l’Antiquaille, l’intéressant portail flanqué de deux pilastres et surmonté d’un fronton. Il abrite un double écusson accolé d’or au sanglier de sable colleté par un limier de gueules, qui appartient à la famille Buatier, d’argent, surmonté d’une étoile d’or effacée, qui est de la famille Sala. Ces armoiries sont timbrées d’un casque fermé posé de profil, assorti de ses lambrequins, des émaux de l’écu et surmonté pour cimier d’une tête de limier. Ce portail est celui de l’ancienne chapelle. « Voici l’entrée de l’une des plus vénérables églises de la ville », dit l’almanach de 1735. De chaque côté du portail est une inscription sur marbre noir. À gauche, c’est une demande de charité pour les pauvres. À droite on lit ces mots : « Tombeau de saint Pothin, martyr, premier évêque de Lyon », inscription inexacte puisqu’il eût fallu mettre : cachot où mourut saint Pothin. « Les cryptes de Saint-Nizier et d’Ainay », ajoute un chroniqueur, « se glorifient avec raison d’avoir possédé une partie des cendres des quarante-huit martyrs de la première persécution ». Mais si l’on entre dans l’ancien cloître des Visitandines, et qu’on descende un petit escalier, on se trouve en présence d’une seconde plaque de marbre portant cette inscription : « L’Église de Lyon, par une tradition constante, a toujours vénéré ce caveau comme la prison où saint Pothin, son premier apôtre, fut enfermé avec quarante-neuf chrétiens, et où il consomma son martyre sous l’empire de Marc-Aurèle, en l’an 177 de l’ère chrétienne. »

Dans un ouvrage destiné au grand public, il ne peut être question d’entamer des discussions archéologiques et de fatiguer l’esprit du lecteur par des minuties et des aridités. Mais il importe d’affirmer hautement que la croyance à l’authenticité de la prison Saint-Pothin est libre, et qu’elle ne se réclame ni de ces arguments historiques qui entraînent la certitude absolue, ni d’une tradition remontant, comme il serait nécessaire, aux premiers siècles. Il est possible que le palais du gouverneur ait occupé l’emplacement de l’Antiquaille, que les prisons aient été creusées sous le palais, dans des grottes naturelles, mais il n’y a là que des possibilités. Il semble pourtant que l’on puisse assurer ceci : le voisinage du forum d’une pari, de l’amphithéâtre et du théâtre de l’autre, indique la présence, presque nécessaire, non loin de là, du palais impérial. Ceci ne suffit point en tous cas à permettre de l’identifier absolument avec les bâtiments de l’Antiquaille. Sans doute, y rencontre-t-on fréquemment des mosaïques, des fragments de sculpture, des statues, ainsi que des corridors souterrains, mais il en va de même sur toutes les parties de la colline de Fourvière. Il existe dans l’enclos de la Compassion un magnifique corridor souterrain. Nous avons pu en explorer deux autres près du Chemin Neuf, lorsqu’on perça récemment le tunnel du funiculaire Saint-Jean-Fourvière. Au chemin de Montauban, il s’en trouve trois bien connus, et deux dans la propriété des Minimes. Quant aux fragments de sculpture et aux inscriptions, on en trouva en abondance lorsque l’on construisit la nouvelle maison des Jésuites, de la montée de Fourvière, comme on peut le lire dans une importante étude publiée à cette époque par le P. Tournier.

Quoi qu’il en soit, nous garderons ici une impartialité absolue. Sans vouloir entrer dans la discussion des deux opinions : celle qui se réclame de la tradition et celle qui lui dénie toute authenticité, nous nous contenterons de résumer l’histoire du caveau d’après les traditionalistes, de décrire son état actuel et sa splendide restauration.

À dater du ive siècle environ, on ne sait ce que devint le palais des préfets du prétoire. Si, vers le ixe siècle, qui vit crouler le Forum lyonnais, il existait encore, peut-être fut-il transformé en quelque grand manoir. Jusqu’au xve siècle, on ne trouve nulle indication, sinon celle de Ménestrier qui est très brève. À cette époque, un lettré lyonnais, Pierre Sala, construisit, sur cet emplacement, une vaste habitation qu’il appela les Antiquailles. Le nom est resté.

Cour et cloître de l’Antiquaille.

Sala posséda longtemps cette seigneurie qu’il laissa à Symphorien Buatier son petit-fils, comme lui, lyonnais notable ; elle passa ensuite à Benoît Buatier, vicaire général du cardinal de Tournon, archevêque et comte de Lyon, et de ce dernier à Claude de Rubys, son parent, historien de renom, qui y date l’épître dédicatoire de son Histoire véritable de Lyon, en indiquant néanmoins, suivant l’usage du temps et par pure courtoisie pour Pomponne de Bellièvre, qu’elle est écrite de la maison de ce dernier, et il termine par cette phrase : « De votre maison de l’Antiquaille sur Lyon, ce dernier jour de décembre 1601. » Ce château revint plus tard aux Buatier qui, vers 1616, sous le titre de seigneurs de Mont-Joli, y passèrent plusieurs actes et le possédèrent jusqu’en 1629, où un jugement obtenu contre une dame Buatier, veuve du sieur de Masso, en transporta la propriété à Mathieu de Sève, trésorier de France, seigneur de Saint-André, Fromentes et Flécheras, au prix de 21.000 livres. Mathieu de Sève acheta cette habitation, l’une des plus importantes de Lyon par les objets précieux qu’elle renfermait ; il y installa les religieuses du second monastère de la Visitation, établies depuis peu dans une petite maison du Gourguillon, qui avait coûté à M. de Sève de Saint-André 30.000 francs. Le 3 avril 1630, sous la conduite de Marie de Quérard, leur supérieure, ces religieuses prirent possession de l’Antiquaille.

La principale source à laquelle se réfère l’histoire de la prison Saint-Pothin est un récit intitulé : Songe de la mère de Riants, religieuse Visitandine de l’Antiquaille. Ce récit est inédit, il est tiré d’un manuscrit intitulé : Fondation du deuxième monastère de la Visitation de Lyon. L’importance du récit nous oblige à l’insérer en grande partie.

« Sœur Anne-Marie de Thélis, à présent supérieure à notre monastère de Toulouse, religieuse professe de notre premier monastère de Bellecour, et qui était fort dévote à saint Pothin, ayant été obligée, pour des infirmités, par l’ordre des médecins, de venir prendre l’air céans, fut ravie d’être en état de visiter le cachot de saint Pothin pour le vénérer. Elle en sortait toujours animée du désir que ce lieu fût plus fréquenté : elle nous en parlait souvent et employait son éloquence naturelle à nous persuader les grâces renfermées en ce saint lieu, et pour affermir davantage la vérité que c’était le lieu véritable où ce premier évêque de Lyon avait reçu la couronne du martyre, elle avait recueilli tout ce que les historiens anciens et modernes rapportent de la mort de ce saint et des lieux souterrains où il avait souffert et été en prison.

« Le songe. — Elle pria ce saint de se manifester à quelqu’une de notre communauté qui eût le crédit de le faire honorer. Quelques jours après qu’elle eut fait cette prière, sans nous l’avoir communiqué, dans l’octave de la Toussaint, la nuit de la fête de saint Charles, je me trouvais en dormant pénétrée d’une grande dévotion envers saint Pothin. Il me fut mis en l’esprit de prendre un charbon composé de parfum et de l’aller brûler en ce saint cachot. Je pris ce charbon et m’en allai à la porte de notre sépulture qui est, comme nous l’avons dit, la prison des martyrs de Lyon, que l’on tenait actuellement fermée. Étant à cette porte, je m’aperçus que je n’avais point de feu pour allumer ce charbon : dans le même instant il prit feu entre mes mains et fut en état de brûler. Aussitôt que la fumée qui passait par les fentes de la porte et de la serrure eut atteint au saint cachot qui est tout prêt de la porte — c’était une vieille porte toute de fentes et de trous — j’entendis tirer avec force et grand bruit des verrous, et j’aperçus en même temps, par les ouvertures de la porte et de la serrure qui était encore fermée, une grande lumière ; j’ouvris la porte et je vis tout le devant de la muraille du cachot de saint Pothin revêtue de fin or, et au-dessus du cachot un trône d’un éclat et d’une beauté admirable, et ce saint évêque assis dessus.

« Je me jette à genoux pour révérer ce grand saint, pour lors il ouvrit sa bouche, et d’une voix forte et douce il me dit : Ma fille, je suis en ce lieu d’une présence particulière pour assister de ma protection tous ceux qui m’invoqueront. Alors le son de sa voix répandit à mes oreilles une douceur semblable à celle que j’avais expérimentée à la vue. Je lui demandai quel était le caractère de sa sainteté. Il me répondit que c’était de faire connaître Jésus-Christ et qu’il avait employé les travaux de sa vie pour étendre sa gloire. Je lui dis : Que pourrai-je faire, grand saint, pour exalter votre gloire ? — Il me dit : Ce que vous ferez pour ma gloire, faites-le pour la gloire de Jésus-Christ. Il continua de parler si hautement des bontés et des beautés du Fils de Dieu, que toutes nos sœurs qui passaient par là, entraient en foule en ce saint lieu et se mettaient à genoux dans une grande admiration et dévotion. Après qu’il eut parlé quelque temps, apercevant que ma sœur de Thélis n’y était pas, je lui dis : Grand saint, je vous prie que ma sœur de Thélis, qui a tant de vénération pour votre sainteté, voie ce que je vois, et qu’elle entende ce que j’entends. — Il me répondit d’une douceur charmante : Oui, dites-lui qu’elle vienne demain matin, je me manifesterai à elle. — Fin du songe.

« Je me réveillai persuadée que ce saint lieu était rempli de grâces et, désireuse de lui faire rendre l’honneur qui lui était dû, je me proposai d’étendre sa gloire autant qu’il me serait possible. Je m’en allai dès le matin réjouir notre chère sœur de Thélis en lui disant ce qui m’était arrivé la nuit, et comme il m’était resté un grand désir de réparer à l’avenir la faute que nous avions commise d’avoir laissé dans l’oubli un lieu qui est si digne de vénération. Notre communauté se contentait d’aller dire tous les ans la litanie des saints martyrs, sans y entrer. Elle me dit alors qu’il y avait quelques jours qu’étant allée dans ce saint cachot, comme à son ordinaire, toute seule pour y faire sa prière, et l’ayant approprié et ôté les toiles d’araignées, desquelles il y avait quantité par le peu de fréquentation, elle dit à ce grand saint : « O mon saint pontife, voilà tout ce que je puis faire pour vous, mais travaillez vous-même pour votre gloire, et manifestez-vous à quelques personnes de céans qui aient plus de crédit que moi. » Je lui répondis que j’étais bien résolue de faire tout ce qui serait en mon pouvoir pour le faire honorer.

Saint Pothin et saint Irénée
(d’après un vitrail de L. Bégule, à l’église Saint-Irénée).

« Mais sitôt que j’eus dit à nos sœurs le songe que j’avais eu et les effets qu’il m’en était restés, elles furent si remplies de dévotion et de désir de rendre à l’avenir l’honneur que méritait ce saint cachot, qu’elles commencèrent à recourir à la protection de saint Pothin et à surmonter la peur qu’elles avaient pour ce lieu, où sont enterrées toutes nos sœurs défuntes, pour y aller faire leurs dévotions. Celles de nos sœurs qui se trouvèrent auprès de ma sœur de Thélis, lorsque je lui fis ce récit, me dirent qu’il fallait prier saint Pothin que s’il voulait être honoré dans ce lieu il le fît connaître en guérissant maître Mathieu Farja, qui écrit alors dans un extrême péril de sa vie, étant abandonné des médecins. Il avait été trente ans notre valet ; il avait reçu tous les sacrements, et l’on assurait que de trente qui avaient son mal, un seul n’en échapperait pas.

« Je le priai que s’il donnait la santé à cet ouvrier qui était charpentier, il ferait quelque chose de son métier à son honneur. Dès le lendemain, il se porta mieux ; mais pour faire connaître que Dieu ne lui avait rendu la santé qu’à la considération de saint Pothin, il fut toujours languissant jusqu’au jour qu’on apporta la statue que nous avons fait faire du saint pour la placer sur son cachot, avec les deux grands anges pour mettre des deux côtés, qu’il se porta parfaitement bien et se rendit céans sans en avoir été averti, pour remercier des prières qu’on avait faites pour sa guérison, et savoir ce qu’il pouvait faire pour saint Pothin, C’était justement l’heure et le moment qu’il fallait prendre quelques mesures pour l’enjolivement de ce saint lieu. Voilà la fin du récit du songe de notre très honorée mère de Riants, qu’on peut appeler songe mystérieux : il a été examiné par les docteurs et casuistes qui l’ont approuvé.

« Elle fut fort animée pour faire embellir ce saint cachot et toute la prison qu’elle fit cadeter avec de grandes pierres de taille. C’était à qui ferait des présents pour ce sujet. Mme de Pradel, belle-sœur de notre sœur la déposée, lui donna cent francs. Elle fit faire à un très excellent sculpteur un buste de notre saint, de pierre blanche, revêtu pontificalement avec la mitre en tête, et une corniche au-dessous et deux anges de côté avec l’inscription du temps qu’il souffrit le martyre. Pour le faire honorer à perpétuité dans ce lieu, elle fit faire de belles marches pour entrer dans la grande prison, avec une très belle porte qu’elle fit peindre, fit blanchir toutes les avenues ornées avec de belles sentences et tableaux, le tout fort propre, et qui ressemble plus à une chapelle qu’à un lieu de sépulture, et qui est éclairé d’une lampe qui est allumée devant le saint cachot.

« Lorsque tout fut en état, la divine Providence fit venir Mgr de Montmorin, pour lors évêque de Die, et à présent archevêque de Vienne. Elle lui raconta naïvement son songe et tout ce qui lui était arrivé ensuite et les grâces intérieures qu’elle tenait dans le secret pour tout le monde excepté pour ce grand prélat, auquel elle en fit confidence. Ce bon seigneur était ravi de tout ce récit, et il s’offrit à elle pour tenir le buste. Le jour fut arrêté, il vint avec M. le comte Destin, de Saint-Jean, et qui est à présent Mgr l’évêque de Saint-Flour. Ils furent suivis de M. Deville, notre père spirituel ; M. Basset, obéancier de Saint-Just ; MM. Blauf et du Soleil, chanoines de cet illustre corps ; MM. Maillard et Bourelieu, supérieurs du séminaire de Saint-Irénée ; M. Charier, chanoine d’Ainay ; l’aumônier des dames de Saint-Pierre, et plusieurs autres ecclésiastiques de mérite, parents et amis de nos sœurs, avec M. Gimel notre confesseur. Tous assistèrent à cette cérémonie dans la prison des martyrs de Lyon avec grande dévotion et ferveur, surtout Mgr Destin qui fut deux fois faire sa prière dans ce saint cachot avant que de sortir de notre maison ; ce qui lui attira la protection de saint Pothin par une merveilleuse guérison d’un grand mal de tête que ce seigneur avait toutes les nuits depuis longtemps, qui dégénérait en rage et qui le tourmentait cruellement et continuellement, surtout la nuit qu’elle augmentait. Ce jour où il en fut fort incommodé céans, et la nuit suivante elle augmenta de telle sorte qu’il fut obligé de demander la protection de saint Pothin, n’osant pas lui demander la guérison, à lui qui avait tant souffert pour Dieu ; mais enfin sa douleur devint si cuisante qu’il fut contraint de s’écrier : Ô grand saint, s’il est vrai que vous êtes mort dans ce cachot où j’ai eu le bonheur d’entrer aujourd’hui, je vous prie de me guérir, et je vous promets que demain j’irai dire la messe à l’Antiquaille à votre honneur et gloire. Il n’eut pas sitôt fait cette prière que la douleur cessa, et depuis il ne s’en est plus ressenti. Le lendemain au matin, son carrosse fut à notre porte, il raconta sa guérison à notre Mère.

« Après la dévotion de Messieurs les ecclésiastiques, les dames de Lyon voulurent faire la leur. M. Deville, notre père spirituel, à la persuasion de Mgr de Montmorin, donna deux permissions à chaque religieuse de ce monastère pour faire entrer deux de leurs parentes ou amies, ce qui se fit dans un même jour, après midi sonné, avec grande affluence, et beaucoup de dévotion, et plusieurs saintes âmes reçurent dans le saint cachot des grâces singulières.

« Le bruit courut dans Lyon que nous avions trouvé le corps de saint Pothin et qu’il faisait de grands miracles. Chacun voulait entrer, et le menu peuple venait sans cesse demander de ses reliques. C’est ce que nous n’avions pas, puisque les païens firent brûler son sacré corps. On eut l’inspiration de prier saint Pothin de donner la vertu des saintes reliques à l’eau qu’on ferait reposer dans son cachot, grâce qu’il lui accorda en telle sorte que depuis l’on donna continuellement de cette eau salutaire qui guérissait toutes les maladies.

« Comme quelques-unes de nos sœurs étaient en prière devant le petit cachot de saint Pothin, il tomba un gros caillou de la voûte du cachot, et sans avoir pu connaître l’endroit d’où il était sorti. On le reçut comme un présent du saint et notre Mère de Riants, l’ayant fait calciner, le cassa en plusieurs petites pierres pour en donner à tous ceux qui demanderaient des reliques. Elles ont fait de grands miracles en les portant sur soi, ou buvant de l’eau où elles ont trempé. Il semble que Dieu les ai fait multiplier ; car après en avoir donné à tout Lyon et en avoir envoyé à plusieurs communautés éloignées et en avoir distribué continuellement depuis sept ou huit ans, il en reste encore une infinité.

Mgr David,
évêque de Saint-Brieuc.

« Dans le même temps un homme de bien eut une vision dont voici l’attestation. Je, soussigné, certifie, moi Jean Thomas Fayard la Chapelle, que le 21 mai 1690, revenant d’une maison à Fourvière avec ma femme et ma famille et une de mes sœurs, veuve de Jean Mignol, maître écrivain à Lyon, passant devant l’église de Sainte-Marie des Antiquailles, entre sept à huit heures du soir, ayant trouvé la porte du couvent ouverte, ce qui m’obligea d’aller adorer Dieu devant la porte de l’église, ayant fait ma prière, je regardai par le trou de la serrure, j’aperçus une grande clarté du côté de la grille où l’on communie les Dames du couvent ; cela me surprit à l’abord, je regardai jusqu’à trois ou quatre fois et je remarquai que cette clarté ressemblait un soleil sous une petite voûte, et ce qui m’obligea à faire revenir ceux qui étaient avec moi sur leurs pas, je leur dis qu’ils prissent garde à ce qu’ils verraient dans l’église ; ils me répondirent qu’ils voyaient un soleil sous une voûte, du même côté que je l’avais vu. Pourtant, prenant toujours cela pour une vision, je ne le mis point dans mon esprit, croyant toujours mètre trompé, mais, environ huit ou dix jours après, ayant entendu dire que l’on avait trouvé dans le couvent des dames de Sainte-Marie la prison d’un saint, et que plusieurs personnes y allaient par vénération, cela me fit rentrer en moi-même et rappeler dans ma mémoire ce que j’avais vu avec ma famille, ce qui m’obligea de le déclarer à mon confesseur, et il m’obligea d’aller dire aux dames du couvent ce que nous avions vu. J’ai baillé la présente attestation aux dames, et j’ai fait signer au bas ceux qui étaient avec moi à la réserve d’un de mes enfants qui est mort du depuis. Fait à Lyon, ce 4 janvier 1691. Jean Thomas Fayard, Alexandrine de Cerf, Catherine la Chapelle Fayard, Jean-Marie la Chapelle Fayard, Claude Fayard.

« M. Tourlon, chanoine de Saint-Just, homme docte, pieux et rempli de zèle, composa la litanie en l’honneur de saint Pothin, elle est estimée des savants, ayant renfermé dedans tous les travaux et éloges de ce grand saint. Il a aussi composé une prose à l’honneur de ce grand saint, que son illustre corps chante à la grand-messe qu’ils célèbrent le jour de sa fête céans, qui est très belle et approuvée de tous les savants. Il en a aussi composé une à l’honneur de notre glorieux père saint François de Sales.

« Voici les principaux miracles dont nous avons connaissance. Dans notre monastère de la Visitation de la ville de Crêt en Dauphiné, une jeune professe nommée de Mont-d’Or était tombée en apoplexie et restée sourde, aveugle e( impotente. La communauté fit une neuvaine pour sa guérison à saint Pothin ; elle dit sa litanie et l’on mit sur elle une pierre du cachot de ce grand saint. Le dernier jour de la neuvaine, elle fut si mal qu’on crut qu’elle mourait, et pendant qu’on disait la messe pour elle, où la communauté assistait, elle reprit tout à coup ses sens et fut dans le même moment parfaitement guérie. Les médecins donnèrent attestation de ce miracle.

« Une demoiselle de Lyon avait perdu l’esprit ; ses parents, après avoir fait leur possible pour sa guérison par tous les remèdes humains, sans aucun effet, la vouèrent à saint Pothin. On lui fit boire de l’eau où l’on avait fait tremper une pierre de son cachot pendant sa neuvaine, avec promesse de faire faire un tableau d’un vœu rendu si elle guérissait. Elle guérit si parfaitement qu’elle n’est plus retombée dans cet accident, et s’étant faite religieuse du depuis, elle est à présent supérieure dans son monastère.

« Une jeune demoiselle de qualité de cette ville, âgée de neuf ans, fut guérie des écrouelles qu’elle avait au col. Elle était de ma connaissance particulière, elle me fut envoyée pour la mettre dans le cachot de saint Pothin où je la fis asseoir et lui fis faire sa prière. Elle avait actuellement la fièvre. Elle était pensionnaire dans une maison religieuse auprès d’une grande tante qui prit soin de lui faire faire sa neuvaine, et laquelle était animée d’une foi vive. Elle fit prendre à cette chère nièce de l’eau qui avait reposé dans le cachot, dans tous ses aliments : elle fut parfaitement guérie, c’est de quoi je suis témoin oculaire, l’ayant vu plusieurs fois depuis ce temps. Dans la royale abbaye de Saint-Pierre de cette ville, de l’ordre de Saint-Benoît, plusieurs dames religieuses ressentirent la protection de saint Pothin par la guérison de plusieurs maux, par l’attouchement des pierres de son cachot que ma sœur Marie-Marthe de Parenge envoya à mesdames de Chevrière ses nièces, religieuses dans ce monastère. »

Nous passerons sous silence la suite des prodiges, des guérisons et des grâces que le narrateur attribue à saint Pothin. Le récit qu’on vient de lire suffit à indiquer combien le culte du saint martyr était négligé à l’Antiquaille, si même il ne prit pas naissance à ce moment, et comment, par les soins des Visitandines, il prit de l’extension.

De nos jours, lorsqu’on pénètre dans le cachot, on se trouve en présence d’une première salle magnifiquement ornée de mosaïques et qui précède le caveau proprement dit. On ne saurait mieux faire que de s’en rapporter à l’exacte description qui en a été dressée par l’intelligent restaurateur du caveau M. le chanoine C. Comte. Commençons par le cachot :

« La porte étant ouverte, vous descendez encore quatre marches, et vous vous trouvez dans ce caveau. Aucun ornement n’est venu en déranger l’harmonie, et néanmoins, en tous les temps, il a attiré la vénération des fidèles, et a été en grand renom dans Lyon et tout le pays. Les saints, les papes, les évêques, les souverains qui ont passé à Lyon l’ont visité. Nommons Louis XI, Charles VIII, Louis XII, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV. Sainte Chantai y a prié ; Anne d’Autriche y est venue plusieurs fois. Une infinité d’autres princes et personnages illustres y sont venus aussi. Le 19 avril 1805, le pape Pie VII s’y est agenouillé et a préconisé cette dévotion. Les foules recueillies s’y renouvellent sans cesse. Les souverains pontifes Urbain VIII, Alexandre VII, Pie VII, Pie VIII, Léon XII, Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, l’ont doté de nombreuses et riches indulgences. Les âmes religieuses y ont multiplié les dons de la reconnaissance. Une multitude de lampes y ont été offertes et brillent doucement au nom des saints martyrs. »

Mgr Thibaudier, évêque auxiliaire de Lyon, puis archevêque de Cambrai.

Il est bon de rappeler que ce cachot a reçu la visite de missionnaires partant pour des contrées lointaines et venant offrir au fondateur de l’Église de Lyon les prémices de leur apostolat et leur secret désir du martyre. On a vu aussi s’agenouiller des prêtres du diocèse de Lyon que la confiance du Souverain Pontife avait appelés à l’honneur de l’épiscopat et qui, humblement, venaient demander au saint évêque l’énergie nécessaire pour gouverner leurs nouveaux diocèses. Tels furent Mgr Pierre-Louis Cœur, brillant élève du séminaire Saint-Jean, et qui gouverna l’église de Troyes de 1849 à 1860, Mgr Augustin David, d’abord missionnaire diocésain, puis évêque de Saint-Brieuc de 1862 à 1882, Mgr Dominique-Augustin Dufêtre, également élève du séminaire de la Primatiale et qui gouverna l’église de Nevers de 1843 à 1860. Que de fois n’y vit-on pas ce prélat que tout Lyon a connu et estimé, Mgr Natalis Gonindard, d’abord missionnaire diocésain, bon prédicateur, puis évêque de Verdun en 1884 et mort sur le siège archiépiscopal de Rennes, comme aussi Mgr Odon Thibaudier, successivement missionnaire diocésain, puis évêque titulaire de Sidonie, auxiliaire de Lyon, évêque de Soissons en 1876, enfin archevêque de Cambrai. Mais il importe surtout de rappeler ici le nom du cardinal Ferdinand-François-Auguste Donnet, archevêque de Bordeaux de 1837 à 1852.

« Entrons avec respect, poursuit M. le chanoine Comte, à la suite de tant d’âmes pieuses, et contemplons ce sanctuaire où la foi chrétienne a jeté aux premiers jours un si vif éclat. Creusé dans une terre rocailleuse, ce caveau va s’abaissant jusqu’au sol, sur lequel sa voûte naturelle repose immédiatement de trois côtés. Sa hauteur, au centre, est de trois mètres, sa longueur de six, sa largeur de cinq. Il était autrefois comme le vestibule de trois autres cachots et d’une voûte souterraine menant, selon les uns, jusqu’au théâtre, qui se trouvait sur l’emplacement occupé plus tard par les Pères Minimes, et, selon d’autres, servant à conduire les martyrs près des empereurs.

« Deux choses frappent encore aujourd’hui le visiteur dans cette prison. À droite, l’enfoncement où saint Pothin fut étouffé, excavation si petite et si incommode qu’on n’y peut être ni debout, ni à genoux, ni couché ; puis, au milieu, la colonne de pierre, formée de tronçons concentriques, au-dessus de laquelle une boucle, fixée à la voûte, apparaît à moitié rongée par la rouille. La crypte, qui est contiguë à la prison et qui communique à la cour du cloître par un escalier moderne devenu l’entrée principale, faisait partie de cette réunion de cachots. Elle a été ainsi agrandie et modifiée en 1854, afin de pouvoir contenir la communauté aux jours de fêtes de nos martyrs et donner un accès plus facile aux foules qui s’y pressent. C’est en ces dernières années seulement qu’elle a reçu la décoration qu’on y admire. Alors, changeant entièrement de destination, elle est devenue, par la charité lyonnaise, le complément glorieux de la prison, et comme un saisissant commentaire de ses graves enseignements.

La Cène (peinture de Barriot sur les cartons de Janmot)
(Chapelle de l’Antiquaille.)

« Le plan de cette crypte, qui a la forme d’une croix grecque, en souvenir de nos origines chrétiennes, est un carré de huit mètres de côté, couvert par quatre voûtes d’arête dont les retombées centrales s’appuient sur un pilier carré où sont inscrits les noms des Quarante-Huit. En regard, quatre pilastres font saillie sur les murs latéraux, et contiennent en larges inscriptions les quatre phases de la vie de saint Pothin, sa mission, son apostolat, son accusation, son martyre. Sur les murs latéraux qui divisent les quatre pilastres, sont représentés, à la mosaïque, l’Agneau divin, la Vierge Orante et près d’elle Marcel et Valérien, poussés hors de la prison par la main divine ; puis les Quarante-Huit, placés selon le genre de supplice auquel ils furent soumis, ceux qui furent étouffés dans la prison, ceux qui furent jugulés par le glaive, et ceux qui périrent dans l’amphithéâtre. Des oculi, percés au sommet des quatre voûtes, distribuent dans l’enceinte une lumière discrète. Des lampes et des torchères de bronze aident aussi à apercevoir la blanche procession de nos chers saints, les fonds rouges, les parements de marbre des murailles, la mosaïque du sol et des voûtes, la sobre décoration des croix, des roses et des palmes qui en complètent le symbole. »

Remontant du cachot souterrain, pénétrons dans l’église supérieure, construite par les religieuses, et devenue aujourd’hui chapelle de l’hospice. La façade porte tous les caractères du xviie siècle : elle est ornée d’un fronton brisé et d’une porte en bois élégamment sculptée. L’intérieur de l’église se compose essentiellement de trois parties : le chœur accompagné de la nef et deux vastes transepts, dont l’un était autrefois le chœur des religieuses s’ouvrant près du maître-autel et séparé de lui par la grille traditionnelle qui a été enlevée. L’autel est de marbre blanc et noir sans sculpture, il est surmonté d’une Descente de croix, tableau fort mal éclairé. À gauche, une autre toile rappelle la scène du Lavement des pieds, tandis que sur la muraille de droite se trouve un groupe : la Pietà.

La nef unique de l’église est peu allongée, il est vrai qu’elle est heureusement complétée par une vaste tribune. Sur le mur de gauche, une inscription rappelle que : « Sous le jubilé du xviiie siècle, le 19 avril 1803, le pape Pie VII est venu donner sa bénédiction, dans cette église dédiée à saint Pothin, martyr, premier évêque de Lyon. » Contre les murs de la grande nef deux tableaux représentent, l’un saint Jean de Dieu soignant des malades, l’autre sainte Marthe et sa sœur Marie-Madeleine recevant le Sauveur.

La chapelle de droite qui forme transept possède un autel sans caractère mais orné de nombreux et précieux reliquaires, et surmonté d’une belle peinture : la Cène. Celle-ci avait d abord été peinte en fresque par Janmot, mais par suite de la technique défectueuse du procédé, la fresque avait presque disparu. Le peintre Barriot, aidé des cartons de Janmot a reproduit fidèlement sur toile l’œuvre primitive, pleine de noblesse et de grandeur. Le transept de gauche n’a pas de chapelle, il sert à contenir les enfants de l’hospice qui ne pourraient trouver place dans la grande nef. Dans celle-ci enfin s’ouvre une petite chapelle dédiée à la Sainte-Vierge : l’élégant autel de marbre blanc avec sculptures est surmonté d’une statue de la Mère de Dieu.