Histoire des églises et chapelles de Lyon/Carmélites

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H. Lardanchet (tome Ip. 79-85).

CARMÉLITES

Lyon, sous l’ancien régime, fut l’une des villes de France où fleurit le plus la vie religieuse. Les grands ordres s’y établirent de bonne heure, s’y déployèrent en beaucoup d’œuvres. Au xvie siècle, les institutions ou les réformes de réguliers ne furent, nulle part, mieux accueillies. Au xviie siècle, l’élan ne s’affaiblit pas : on en trouvera une nouvelle preuve dans la fondation à Lyon, à cette époque, du monastère des Carmélites déchaussées, des Thérésines comme le peuple les appela gracieusement, du nom de la rénovatrice du Carmel, la grande sainte Thérèse.

L’histoire de ce couvent a été trop minutieusement écrite déjà pour qu’on tente ici d’y rien ajouter : il suffira de la résumer. La réforme de sainte Thérèse s’étant répandue très promptement et très abondamment en France, elle ne tarda pas d’y former une puissante congrégation qui s’égala à celle d’Espagne. De 1604 à 1618, par exemple, on ne compte pas moins de dix-neuf maisons de l’ordre érigées un peu partout, dans l’Île-de-France comme en Guyenne, en Franche-Comté comme en Languedoc, en Normandie comme en Provence : celle de Lyon tient le quatorzième rang dans cette rapide chronologie.

Elle eut une origine temporelle très distinguée. On sait combien la famille de Villeroy s’unit longuement et intimement à l’histoire de notre cité. Six de ses membres furent gouverneurs de la province, de 1608 à 1791, et deux autres s’assirent sur le siège primatial des Gaules. Ce fut précisément le premier de ces gouverneurs, Charles de Neuville, seigneur d’Halincourt et marquis de Villeroy, qui fit venir, de Paris à Lyon, sept Carmélites réformées pour contenter la piété de sa femme Jacqueline de Harlay, autant que la sienne propre. Elles arrivèrent le 12 septembre 1616 et logèrent d’abord à Ainay, chez les Dames de la Visitation, d’où elles sortirent, le 9 octobre suivant, pour occuper le monastère qu’elles ne quittèrent plus qu’en 1792 et qu’elles durent à la munificence de Jacqueline, dont elles récompensèrent le zèle par le titre mérité d’insigne fondatrice. Leur première prieure, Madeleine de Saint-Joseph, dédia cet asile définitif à Notre-Dame de Compassion. Le lieu choisi faisait partie du territoire de la Gella, au sommet de la côte Saint-Vincent, qui prit dès lors le nom du nouvel établissement. Le terrain ressortait de la rente de l’abbaye d’Ainay en concours avec celle de Saint-Pierre. Le plan scénographique de Lyon au xvie siècle donne une idée exacte de ce qu’étaient alors la côte Saint-Vincent et le tènement de la Gella.

Parmi les anciens possesseurs des diverses propriétés acquises pour former l’enclos des Carmélites dans l’une des positions les plus agréables de la ville, mentionnons, à titre de curiosité, le père, le frère et le neveu de notre fameux poète féminin Louise Labé, dite la Belle Cordière. Ce nom même de Labé était un surnom des Charly, cordiers de génération en génération depuis plus d’un siècle. On voit nettement la situation et les développements primitifs de Notre-Dame de la Compassion dans le plan de Simon Maupin gravé par Velthem, en 1625, et publié par Claude Savary et Barth. Gauthier, en rue Mercière, à l’enseigne de la Toison d’or.

Il est impossible d’énumérer, dans cette brève notice, les annales de la communauté dès le début très fervente et florissante. Notons toutefois l’affranchissement de tous droits seigneuriaux consenti en sa faveur par le chapitre de Saint-Paul, le service solennel de Nicolas de Neuville, maréchal de France, les compliments et les présents offerts par le consulat à la prieure Madeleine-Éléonore de Jésus, née de Villeroy, arrière-petite-fille des fondateurs ; le vendredi 1er janvier 1717, la mort de Mme  la maréchale de Villeroy ; la mort de Marguerite Le Tellier, femme de Nicolas de Neuville, duc de Villeroy et fils, du deuxième maréchal de Villeroy ; le service funèbre de Louis XIV ; les funérailles de François-Paul de Neuville de Villeroy, archevêque de Lyon ; enfin le Te Deum chanté en action de grâces du rétablissement de Louis XV, le 21 août 1721.

Il semble que la providence ait étroitement joint les destinées des Villeroy et de Notre-Dame de Compassion. La maison fondée par le père du premier maréchal de Villeroy presque en même temps que le dernier duc de ce nom qui fut aussi le dernier gouverneur de Lyon, Gabriel-Louis-François de Neuville, marquis puis duc de Villeroy, pour qui son oncle s’était démis de son gouvernement en novembre 1763, vit, en effet, l’Assemblée Constituante supprimer, par le décret des 20-25 février 1791, les places de gouverneur de villes et de provinces. Il assista à la ruine du monastère, à la destruction des splendides tombeaux élevés par Jacob Richier et Bidaul, dans la chapelle Villeroy, à la mémoire de ses ancêtres, et il mourut sur l’échafaud le 23 avril 1794. Les religieuses avaient quitté Notre-Dame de Compassion, dès le 4 octobre 1792, mais non sans la ferme résolution de persévérer, quoique dispersées par petits groupes, dans leur règle et dans la soumission à leur prieure. Cinq d’entre elles se réfugièrent dans une maison particulière près du rempart d’Ainay où vinrent les renforcer, pendant le terrible siège du 8 août au 9 octobre 1793, onze Clarisses aussi courageuses. Elles ne furent incarcérées que le 11 février 1794, sur leur refus de prêter le serment. On les mit en liberté trois jours après ; mais le 26 mars elles furent arrêtées de nouveau, et, le lendemain, envoyées au tribunal révolutionnaire. Condamnées à la détention, elles recouvraient leur liberté, le 19 novembre suivant, quatre mois après le neuf thermidor. Quelques-unes se rassemblèrent dans la maison de Jonage à Bellecour, sous la direction de l’ancienne prieure, la mère Goutelle.

Paul de Neuville de Villeroy, archevêque de Lyon.

En 1802, elles étaient douze, vivant pauvrement, ne se soutenant guère que d’aumônes. Le gouvernement impérial n’autorisait que les congrégations vouées à l’enseignement et au soulagement des malades : elles gardèrent donc, de 1804 à 1814, l’habit séculier. Le 6 janvier 1815 enfin, monseigneur Fesch leur rendit la clôture. Le carmel renaissait, non plus à l’antique Gella, mais à la montée Saint-Barthélemy, dans l’ex-maison de la Providence. En 1855, il fut transféré à Fourvière où il se trouve encore. L’église Notre-Dame de Compassion a été démolie en 1821. Les spéculations de quelques entrepreneurs ont fait disparaître ce monument remarquable, remplacé aujourd’hui par la maison qui porte le n° 20 sur la montée des Carmélites et les numéros 19 et 21 sur la rue Tolozan.

Bâtie, comme le monastère, aux frais de Nicolas de Neuville, premier maréchal de Villeroy, l’église coûta à celui-ci plus de 60.000 écus. Elle fut commencée en 1668 ; le vaisseau fut achevé dès 1670, mais la façade ne fut terminée qu’en 1682.

L’archevêque Camille de Neuville en dirigea la construction et en fit la consécration, le 30 novembre 1680. Il présida aussi à l’édification de la chapelle Villeroy. Le plan, levé en l’an XIII, par les architectes Turrin et Durand, montre le détail intérieur du monastère : l’église et la chapelle attenante, la cour à l’occident, à l’orient le vaste chœur, la sacristie et deux cours en liane achevant le carré, au nord le jardin de grande étendue.

L’ensemble offrait de la symétrie et assez de majesté. Le portail de l’église était d’une composition singulière. La partie d’en bas n’avait d’autres ornements que deux niches qui accompagnaient la porte et un entablement dorique surmonté d’un fronton où paraissaient les armes de la maison de Villeroy. La partie supérieure était formée de pilastres ioniques supportant un grand fronton circulaire avec une croix au sommet. Au-dessous du grand vitrail était lui groupe sculpté représentant le Sauveur mort entre les bras de sa mère, un des bons ouvrages de Bidaut. À l’intérieur, régnait l’ordre corinthien : Blanchet, qui avait donné le dessin du grand autel, y avait gardé cet ordre auquel il ajouta seulement deux colonnes de marbre rouge de Savoie, en avant-corps, avec base et chapiteaux dorés. On voyait, au-dessus du fronton qui terminait cet avant-corps, le prophète Élie enlevé dans un char sur des nuées et laissant tomber son manteau entre les mains de son disciple Élisée, dont la figure se trouvait placée dans l’une des niches latérales de l’autel, et faisait de la sorte pendant à celle de sainte Thérèse placée dans l’autre niche. Ces figures en stuc étaient de Bidaut, d’après Blanchet. Le tableau du grand autel, une Descente de croix, avait été commencé par des élèves de Le Brun, mais entièrement retouché de la main du fameux peintre. Le tabernacle était tenu pour la plus belle pièce du royaume en ce genre : il avait été fait à Rome sur le dessin du Bernin, et les sculptures en bronze doré en avaient été jetées sur les modèles du même artiste.

« L’ordonnance de cette petite fabrique, écrit Clapasson, est des plus élégantes. La partie du milieu qui fait un avant-corps pour servir de niche à l’exposition du Saint-Sacrement, est sur un plan de forme moitié convexe et concave et accompagnée de quatre colonnes corinthiennes accouplées de marbre serpentin d’une grande beauté. Les pilastres, derrière les colonnes, sont de différents jaspes de même que le corps de la niche dont le fond, en perspective dégradée, est rempli par un groupe de trois figures : Jésus-Christ au milieu des pèlerins d’Emmaüs. Les deux ailes sont formées chacune par une ordonnance de trois colonnes, aussi de serpentin, avec des niches de différents marbres rares occupées par les statues des quatre évangélistes ; l’entablement, au-dessus, est surmonté d’un attique avec des figures d’anges qui portent des encensoirs. »

Ce furent les Carmélites qui firent venir ce tabernacle de Rome, afin de seconder de leur mieux le zèle des Villeroy pour la décoration de leur église. « La chapelle des Villeroy, continue Clapasson, est décorée du même ordre mais en plus petit volume. Le tableau de l’autel, où l’on voit les bergers à la crèche, est d’Houasse, l’un des meilleurs élèves de Le Brun ; les deux colonnes corinthiennes qui forment les retables sont élevées sur des piédestaux et soutiennent un fronton sur lequel deux anges sont assis. Le mausolée le plus proche, à gauche de l’autel, est celui de la marquise d’Halincourt, fondatrice du monastère ; on ne peut aller plus loin pour la délicatesse du ciseau et la recherche du travail, mais le dessin est très médiocre. » L’inscription qui y était jointe se réduisait à un abrégé des titres, qualités et emplois de la fondatrice. Le mausolée de Charles de Neuville était érigé au fond de la chapelle, vis-à-vis de l’autel. L’époux de Jacqueline de Harlay figurait en bronze, agenouillé sur un tombeau carré, qui adossait un petit corps d’architecture également en bronze ; le reste était de marbre noir. Ce fut à Richier, et non Richer, comme l’écrit Clapasson, sculpteur et médailleur lorrain qui séjourna à Lyon en 1619, en 1631 et en 1635 que l’on doit les deux monuments.

Chapelle intérieure des Carmélites.

Le tombeau du premier maréchal de Villeroy surpassait fort les autres, et pour le goût et pour l’exécution. La statue, ornée du vêtement de l’ordre du Saint-Esprit, était en marbre parfaitement travaillé. La Prudence et la Religion personnifiées l’accompagnaient ; le tout était adossé à une arcade feinte décorée selon un art discret, et terminé par les armes des Villeroy. Guichenon a conservé l’épitaphe quelque peu emphatique mais intéressante composée par l’archevêque Camille de Neuville, lequel présida à l’érection, ainsi que l’apprennent les deux dernières lignes précisément omises par Clapasson qui laisse ainsi ignorer la date. Plus tard on plaça au-dessus du tombeau un grand tableau allégorique de Grandon : des seigneurs et des prélats de la maison de Villeroy peints au naturel entouraient la Religion triomphante.

Voici, pour finir, les dimensions de l’église et de la chapelle telles que les donne Delamonce dans ses Observations critiques sur trois églises de cette ville, celles des Carmélites, de l’Oratoire et de Saint-Antoine, et dans ses Observations critiques sur cinq églises modernes de cette ville, savoir : celles de la Charité, de l’Hôtel-Dieu, des Carmélites, de Saint-Antoine, de l’Oratoire ; ce sont là deux manuscrits conservés à la bibliothèque de Lyon et qui furent lus par le savant architecte à notre Académie des Beaux-Arts, le 8 mars 1747 et le 12 mars 1749. Il va de soi que cette évaluation est en pieds de Lyon ou pieds de ville qui égalaient 33 centimètres. La longueur de l’église : 99 pieds, largeur 41 ; chapelle de Villeroy, longueur 48 pieds, largeur 29.

Il est regrettable que nous ne possédions pas la moindre gravure, le moindre dessin de l’intérieur intégral du monument, ni moyen d’y suppléer. Nous n’avons plus que le plan de l’intérieur, annihilé par la ruine des tombeaux et des autels qui en corrigeaient le défaut de proportions, le plan dressé en l’an XIII par les architectes Turrin et Durand.

Quant à la façade, on la connaît par le dessin qui se trouve en marge du plan de Lyon levé et gravé, en 1735, par Séraucourt et par la description de Clapasson.

La Vierge enfant. (Chapelle des Carmélites)

La chapelle des Carmélites possédait de beaux objets d’art, on en a déjà cité quelques-uns, il sera intéressant d’en faire connaître plusieurs autres mentionnés dans l’inventaire dressé par les officiers municipaux, le 13 septembre 1792 : « Deux burettes et leur plateau d’argent ; un calice d’argent, un petit calice en vermeil ; leur bourse en étoiles damas galonnés or ; une navette en argent avec son cuillier ; un encensoir, sa navette et son cuiller en argent ; un ostensoir d’argent ; trente-trois chasubles galonnées en fin avec leur étoffe, manipule et voile de calice ; six autres chasubles en soie de diverses couleurs galonnées en faux ou en soie ; dix dalmatiques avec leur étole ; trente parements en fin, en faux et en soie grands et petits ; huit chapes avec leur étole galonnées en fin ; sept douzaines d’aubes. Dans la chapelle oratoire : un autel en bois avec un grand tableau et trois autres petits. Dans la salle du chapitre : un autel en bois ; quatre chandeliers en bois doré ; cinq tableaux et huit bancs. Dans la salle de récréation : six tableaux ; une grande table : une Vierge en marbre sur son piédestal. Dans la chapelle oratoire : un autel en bois doré, avec un tableau au-dessus de l’autel ainsi que quelques autres tableaux. »

La Révolution avait dispersé momentanément les Carmélites ; en 1804, la communauté se reconstitua plus vivante que jamais. La colline de Fourvière attira plus tard leur regard, et elles s’y fixèrent en 1855. Les préparatifs avaient débuté cinq ans auparavant par la construction de la chapelle, commencée en 1850 sur les plans de M. Benoît. La première pierre fut bénite en 1833 et l’église elle-même en 1857 par le cardinal de Bonald. Une restauration a été faite en 1899 sous la direction de M. Bethenod, par M. Blin, peintre décorateur.

Lorsqu’on pénètre dans la chapelle, on est frappé de ses dimensions bien proportionnées : elle mesure vingt-deux mètres sur neuf, et le chœur lui-même plus de six mètres de long ; elle n’a qu’une seule nef, et ne possède pas de chapelles, son style est du roman de bonne époque. Dans le chœur se voit le maître-autel en marbre blanc, taillé par le sculpteur Fabisch avec un bas-relief, représentant la mise au tombeau du Sauveur. Audessus se trouve un beau tableau du peintre lyonnais Blanchard, représentant sainte Thérèse ; par côté se voient des fresques de Blin : des anges adorant le monogramme du Christ. Dans la nef sont suspendus plusieurs tableaux, dont voici l’énumération : la bienheureuse Marie de l’Incarnation, saint Augustin, Notre-Dame de Pitié, la mort de saint Joseph, le Christ après sa flagellation, l’ange Raphaël conduisant Tobie, la Sainte Famille, une autre Sainte Famille, Jésus-Christ apparaissant à saint Jean de la Croix, saint Michel. D’intéressants vitraux éclairent la nef, ils sont l’œuvre d’Émile Thibaud, en 1857. et représentent : saint Michel et saint Raphaël, saint Jean-Baptiste et saint Élie, la Vierge et saint Joseph, sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, saint Jean l’Évangéliste et sainte Madeleine. Dans la nef un gracieux petit édicule est dédié à la Vierge enfant. Sur la façade, se voit une belle statue de Notre-Dame du Mont-Carmel, œuvre de M. Brûlat ; enfin dans la sacristie, de beaux ornements sacerdotaux du xviie siècle, remarquables de conservation et provenant de l’ancien monastère.