Histoire des églises et chapelles de Lyon/Charlottes

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H. Lardanchet (tome Ip. 122-123).

CHARLOTTES

La mort de saint Joseph, diplôme des Charlottes.

Tel fut le nom familier d’une société charitable, fameuse naguère à Lyon, et qui depuis s’est fondue à moitié dans une congrégation ancienne, heureusement restaurée. Ce nom était le prénom de la fondatrice, Charlotte Dupin, qui, sortant des cachots où l’avait fait jeter, pendant la Terreur, son zèle pour la religion, conçut le dessein de soulager les misères qu’elle venait de partager. Ce qu’elle désirait était non des visites et des soins intermittents et vagues, mais l’assistance régulière des détenus et des malades. Les événements politiques la forcèrent de différer son beau projet. En 1795, aidée de sa sœur et de quelques personnes charitables, elle commença ses explorations. Les prisons étaient livrées à la plus affreuse misère ; des aumônes particulières et des quêtes lui fournirent d’abord les moyens de porter des soupes à la prison Saint-Joseph, puis elle vit s’ouvrir à son dévouement la prison militaire et la maison de réclusion de la Quarantaine. Il fallait nourrir, chauffer, vêtir un grand nombre de malheureux : elle n’avait rien, et pourtant elle trouva des auxiliaires zélées et jamais la Providence ne la priva de la nourriture du pauvre.

Au mois d’août 1803, la société, alors composée d’environ cinquante personnes, toutes de la classe peu fortunée, tint une sorte de grand conseil pour aviser aux moyens d’augmenter ses ressources et son nombre, et de distribuer le travail pour le rendre plus facile. Les unes furent chargées de faire des quêtes publiques autorisées par l’administration ; d’autres de préparer, porter et distribuer les soupes, d’autres encore de visiter les hôpitaux, d’y soulager, consoler, instruire et peigner les malades. Dès lors, l’œuvre prospéra ; riches et pauvres se firent un devoir d’envoyer aux Charlottes, chaque semaine ou chaque mois, du pain, du vin, du blé, du bois, du charbon, des légumes ; les quêtes se firent ouvertement dans les marchés et dans les boucheries ; différentes associations de charité donnèrent aussi leur appui. Peu après, tandis qu’elle se réjouissait des progrès de son apostolat, Charlotte Dupin, surnommée parla reconnaissance publique « la mère des prisonniers », succomba à la maladie que lui avaient causée les fatigues, les veilles et surtout les mauvais traitements éprouvés de ceux-là même qu’elle était venue secourir.

Après sa mort, Pierrette Dupin, sa sœur, prit le gouvernement de la confrérie, mais elle alla bientôt, elle aussi, recevoir sa récompense. L’œuvre ne devait pas périr pour cela : Jeanne-Louise Juliand, soutenue par les dames du bureau, sut, non seulement la conserver, mais encore lui donner une forme régulière et toute la stabilité possible. Elle réunit ses associées dans un local convenable et sous une règle précise, puis elle sollicita des supérieurs ecclésiastiques, pour les mieux lier entre elles et se les attacher plus fortement, l’approbation des statuts et l’érection de la communauté en congrégation. Monseigneur de Pins l’inclina plutôt à s’affilier aux sœurs de Saint-Joseph, ce à quoi elle consentit avec ses compagnes : elles revêtirent l’habit le 16 mai 1826.

Jeanne-Louise Juliand, en religion sœur Sainte-Anne, était une personne d’humeur spontanée et vive qui ne se rebutait jamais. Un jour qu’elle quêtait dans un café, un libertin osa la frapper. « Voilà qui est bon pour nous, dit-elle, mais cela ne fait pas le compte de nos prisonniers » ; le libertin, étonné, donna à l’instant son aumône, sans mot dire. Le règlement général de la société, tel qu’on le trouve imprimé en 1832, classe définitivement les Charlottes en distributrices, lectrices, peigneuses, bienfaitrices. Ces humbles bataillons, aux noms pittoresquement modestes, ont connu des fortunes diverses durant la seconde moitié du siècle passé.