Histoire des églises et chapelles de Lyon/Feuillants

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H. Lardanchet (vol. IIp. 211-215).

FEUILLANTS

Il n’est personne qui ne connaisse de nom la congrégation des Feuillants, établie avant la Révolution dans les grandes villes du royaume. Son origine première est l’ordre de Cluny qui eut une si grande importance au moyen âge. Cet ordre fut d’abord réformé par Robert de Molesmes qui fonda celui des Cisterciens, puis de nouveau par saint Bernard qui s’établit à Clairvaux. Dans le cours des siècles, il se produisit une nouvelle réforme qui prit le nom de congrégation des Feuillants. L’auteur en fut Jean de la Barrière, abbé commendataire de l’abbaye Notre-Dame-de-Feuillant, située dans les environs de Toulouse. Ce nom de Feuillant provenait d’une image de la Sainte Vierge, placée dans le feuillage des arbres. Jean de la Barrière prit possession de l’abbaye en 1365, puis résigna huit ans plus tard sa commande, rentra dans l’ordre comme simple religieux, avec l’intention de ramener le monastère à la stricte observance. La chose n’alla pas facilement, et son exemple mit quatre ans à gagner quelques religieux.

En 1587, le pape Sixte-Quint approuva enfin la réforme, et accorda plusieurs églises à la congrégation. Clément VIII et Paul V permirent aux religieux d’avoir des supérieurs particuliers et indépendants. Dès lors la réforme s’étendit en France et en Italie.

L’établissement des Feuillants à Lyon date de 1619. Le 19 avril de cette année, Pierre de Saint-Bernard et Jacques de Saint-Denis, religieux Feuillants, obtinrent du consulat l’autorisation nécessaire. Celui-ci se prêta volontiers à la demande et rendit une délibération dont voici les points principaux : « Il avait plu au roi de témoigner le désir que les Feuillants fussent établis en cette ville pour y exercer les mêmes fonctions religieuses qu’ils exercent ailleurs. Ils supplient le prévôt des marchands et les échevins d’agréer leur établissement, et de leur permettre de rechercher quelque lieu pour y faire construire une maison, entendant n’être à charge à la ville pour quelque cause que ce fût, et n’avoir d’autre occupation que de prier Dieu pour le roi, la paix et prospérité du royaume, et en particulier pour la conservation de la ville. Les dits échevins ont délibéré sur la requête, et conféré sur ce sujet avec Monseigneur d’Halincourt, gouverneur et lieutenant général du roi en cette ville, pays de Lyonnais, Forez et Beaujolais. » La municipalité s’attend aux protestations des autres maisons religieuses. Peu d’années avant, n’a-t-on pas vu des oppositions formées par les recteurs de l’Aumône générale et de l’Hôtel-Dieu, lors de l’établissement des Carmes réformés et déchaussés : on allégua alors « la diminution des bienfaits et charités que les pauvres de Lyon devaient recevoir, outre le grand nombre d’autres maisons religieuses, qui étaient déjà en cette ville, et qui avaient grand’peine à vivre ». Pourtant les échevins, en gens prudents, pour respecter la pieuse intention du roi, et sous l’assurance qu’ils ont que les Feuillants seront dotés comme ils le promettent, afin de n’être pas à charge à la ville, ni qu’ils puissent quêter, et sur l’avis favorable de Mgr d’Halincourt, consentent à l’établissement des Feuillants ; « sans qu’il puisse estre tiré à aucune conséquence pour l’avenir par aucun autre religieux ou religieuse de quelque sexe ou religion qu’ils soient ».

Voici donc les religieux en possession de l’autorisation du consulat ; ils s’empressent de signer l’acquisition de la maison sur laquelle ils avaient déjà jeté leurs vues. Ils achetèrent au prix de 12.000 francs une maison, un jardin et un verger à noble Jacques Dépure, sieur de Milaney, bourgeois de Lyon, dont la famille a laissé un souvenir historique dans notre cité. Ce tènement était situé rue du Griffon, territoire des Terrailles, paroisse Saint-Sorlin ; il contenait trois maisons, une écurie, deux jardins et un four ; ses limites s’étendaient à l’est du chemin tendant le long du Rhône, à la chapelle Saint-Clair ; au sud, de la rue tendant de la chapelle Saint-Claude au Rhône ; à l’ouest, les maisons et jardins du sieur Richard, le jardin du sieur Jean Ranquet, enfin au nord, la rue tendant de la place des Terreaux à la porte du Griffon au Peyrat.

Le prix de l’acquisition fut fixé, comme il a été dit, à 12.000 livres, payables en deux ans. Le vendeur posait, en outre, la condition qu’il lui serait permis d’édifier une chapelle dans l’église en construction, avec droit de sépulture pour ceux de sa famille.

La rue des Feuillants indique encore l’emplacement occupé par ces religieux. Le 26 août 1622, ils entrèrent en possession de la maison Ranquet. Peu à peu l’établissement s’agrandit, et, le 29 décembre 1627, ils achetèrent, au prix d’une rente de 39 livres par an, la place dite du Romarin, à Pierre Vellu charpentier et Antoine Genoud maçon.

Les Feuillants, bien accueillis de la population, ne tardèrent pas à recevoir d’importantes donations de la part de généreux Lyonnais et même d’étrangers. C’est ainsi que, le 16 février 1628, ils héritèrent d’un revenu appelé la garde des petits sceaux, pour la fondation d’une chapelle dite des martyrs de Lyon. Cette donation fui faite par Michel Antoine Scarron, sieur de Vaures, conseiller du roi, son maître d’hôtel, trésorier de France en Dauphiné, demeurant à Paris, rue du Jouy, paroisse Saint-Paul. L’année suivante, le 22 mai, Barthélémy Olivier, avocat à la sénéchaussée et siège présidial de Lyon, légua aux religieux une rente de 375 livres, sur la succession Roville.

Quatre ans après, le 11 avril 1631, les Feuillants s’agrandissaient encore et achetaient, au prix de 1750 livres, la maison et le jardin d’Anne Gillier, femme de Floris du Rien, maison située au quartier Saint-Claude ou Terrailles. La propriété des Feuillants limitait avec celle de M. de Chavanes, et à la date du 27 novembre 1643, on trouve une transaction entre eux à propos d’un mur de pisé. L’enclos des religieux relevait en partie de la directe des chanoinesses de Saint-Pierre, et les Feuillants devaient, par contrat du 12 novembre 1644, leur payer 600 livres tous les vingt-cinq ans. Aussi chargés d’obligations, ils obtiennent en compensation, le 12 novembre 1643, de l’intendant de Lyon, décharge d’une taxe de 6.000 livres du droit d’amortissement.

Église des Feuillants et chapelle Saint-Claude au xviie siècle.

Ils reprirent bientôt leurs avances, grâce aux bienfaits de leurs concitoyens. Un marchand de Lyon, Louis Marion, fonda le 13 avril 1643 une messe quotidienne perpétuelle, et à cet effet légua 1.500 livres. Le Consulat lui-même ne restait point en retard en générosité : le 14 novembre 1647, il donnait un quart de « poule d’eau de la pompe ». Quelques années plus tard, il voulut faire davantage. En écrivant la monographie de la chapelle de l’Hôtel de Ville, dans le premier volume du présent ouvrage, nous avons mentionné un acte consulaire daté du 19 décembre 1652, par lequel le Consulat conférait aux Feuillants la célébration de messes dans la chapelle de l’Hôtel de Ville ; c’est dire l’importance qu’avaient prise ces religieux au xviie siècle, importance qui ne fit que croître. L’année suivante, ils acquirent une maison et un jardin, à eux vendus, par le sieur Pinevenette et dame Jeanne Richard sa femme, fille et héritière de Jeanne Fontvieille : cet immeuble coûta 5.200 livres.

D’autre part, les fidèles fréquentaient de plus en plus l’église du couvent et lui faisaient de généreuses donations ; le 11 avril 1654, pour ne citer que quelques exemples, un pieux fidèle fonde, au prix de 300 livres, une messe basse à dire tous les lundis à perpétuité ; le 12 août 1661, Innocente de la Rossière donne 200 livres pour la fondation d’anniversaires ; Jean Gerbaud, bourgeois de Lyon, 400 livres pour une messe basse à célébrer perpétuellement ; enfin Agathe Brenot, femme Gay, 150 livres pour une messe à dire le premier samedi de chaque mois.

L’acte consulaire indiqué ci-dessus devait avoir un lendemain. Les échevins de Lyon, satisfaits des services rendus par les Feuillants, leur manifestèrent de nouveau leur confiance, le 28 août 1659, par un second traité. Bien plus, le Consulat désireux de leur donner une marque de sa satisfaction, vint, pour la fête de saint Bernard, assister à la messe du couvent et y reçut les honneurs auxquels il avait droit en qualité de fondateur de la maison. Peu après, le 1er septembre 1662, les échevins assistèrent à la bénédiction des nouveaux bâtiments du monastère.

L’établissement des Feuillants à Lyon n’avait pourtant pas encore reçu l’approbation définitive de l’autorité royale et de l’administration ecclésiastique ; jusque-là on n’avait eu qu’une autorisation provisoire et tacite. À la suite d’instantes suppliques et de longues négociations, ils reçurent une approbation royale datée du 4 janvier 1664, et dont voici les principaux passages :

« Les pères Feuillants de la province de Saint-Bernard de Bourgogne nous ont humblement fait remontrer que, dès 1619, ils s’étaient établis en la ville de Lyon, suivant le pieux désir, témoigné par notre père, et avaient fait construire une église et couvent pour y exercer les fonctions religieuses. Avec le consentement du sieur d’Halincourt, alors gouverneur, du prévôt des marchands et des échevins, il fut résolu qu’ils pourraient faire bâtir une église et couvent. Désirant favoriser les exposants, et contribuera l’exécution d’une si sainte résolution, comme ils n’ont pas encore obtenu nos lettres d’établissement, nous confirmons que les exposants fassent bâtir une église et couvent de leur ordre à l’endroit le plus commode qu’il sera possible, pour y demeurer et faire leurs fonctions, recevoir les dons d’héritage nécessaires. Nous donnons ordre à nos conseillers de la cour de parlement à Paris, notre sénéchal de Lyon, et autres officiers et justiciers que ces présentes lettres signées de nostre main, soient enregistrées afin que les exposants jouissent pleinement et paisiblement ; car tel est notre bon plaisir ».

L’approbation royale reçue, on s’adressa à l’autorité ecclésiastique, et le 18 avril 1664, les religieux reçurent un document dont on citera de larges extraits :

Camille de Neuville, archevêque de Lyon : « Sur ce qui nous a été exposé par les prieur et religieux Feuillants de Lyon, qu’étant établis en cette ville, au lieu où est leur monastère, depuis plusieurs années, au vu et su de nos prédécesseurs, il y ait une pleine prescription et une entière vraisemblance que leur établissement a été fait du consentement exprès de celui de nos prédécesseurs, qui occupait alors la place que nous tenons. Ayant voulu en chercher l’acte parmi leurs titres, ils ne l’ont pu rencontrer, soit qu’il ait été égaré, soit que le consentement n’ait été donné que verbalement ou que même il n’y ait eu qu’une simple tolérance de nos prédécesseurs. Reconnaissant la nécessité qu’il y a pour eux d’avoir leur acte d’établissement en due forme, ils nous supplient de le vouloir accorder et faire expédier. Pleinement informé de la bonne conduite des religieux et du bon exemple et avantages spirituels qu’en reçoit cette ville, nous confirmons l’établissement des religieux en cette ville, et le consentement qu’ils peuvent avoir obtenu de nos prédécesseurs, nous établissons de nouveau leur monastère, espérant qu’ils continueront à vivre avec piété et édification. Nous voulons toutefois qu’ils ne puissent confesser ou prêcher en notre diocèse sans notre approbation. »

Après avoir reconstitué, à l’aide des Archives départementales, l’histoire des Feuillants à Lyon, il importe de donner une courte description des bâtiments et de la chapelle. Presque tout a disparu de nos jours sous le pic des démolisseurs ; pourtant dans cette restitution, nous nous servirons des renseignements fournis par Paul Saint-Olive, qui connaissait si bien son vieux Lyon.

En entrant, écrit-il, dans la grande rue des Feuillants, du côté de la place Tolozan, on rencontre au n° 8 une allée assez large, sans communication avec les étages supérieurs, et débouchant sur la partie orientale du transept, qui termine la rue de Thou. En face de ce passage, on aperçoit, au n° 4, un portail à cintre légèrement surbaissé, donnant accès à un escalier monumental, style du xviie siècle. L’allée susdite était une des entrées de la communauté des Feuillants, et l’escalier, qui étonne par ses grandioses proportions, conduisait dans les bâtiments du couvent. Les Feuillants, ayant tenu un rang élevé à Lyon par leurs relations avec le Consulat et le corps des négociants, on comprendra qu’ils aient tenu à posséder un escalier vaste et d’un bel aspect. L’église des religieux fut commencée en 1637 et achevée en 1642 ; elle est due à la générosité de nos concitoyens, comme on l’a dit. Parmi eux, il convient de citer nommément Ch. de Neuville, seigneur d’Halincourt, gouverneur du Lyonnais, qu’on a vu prendre une part prépondérante à la fondation du couvent. L’église possédait quelques objets d’art, par exemple « le tableau du grand autel de l’église était de Leblanc, ainsi que les quatre tableaux attachés aux murs de la nef, où étaient représentées des saintes en figures à demi-corps. La chapelle de Saint-Irénée, à côté du grand autel, était encore ornée de remarquables peintures, par le même artiste ; il avait peint dans la voûte à calotte, la gloire du paradis, et, sur les murs de côté, l’histoire du martyre de saint Irénée ; cette chapelle appartenait aux Scarrons, et leurs armes se voyaient au-dessus de l’entrée ».

Dans l’église des Feuillants avait été établie la confrérie des négociants de Lyon, dont le but était « d’arracher l’esprit des commerçants à l’avidité des calculs mercantiles qui refoulent tous les sentiments généreux ». Celui qui voulait en faire partie s’adressait au supérieur, ou au Père sacristain, pour se faire enregistrer sur le livre des associés ; il devait faire preuve de régularité dans sa conduite, et se montrer honorable dans ses affaires commerciales. La confrérie avait pour patron saint Hommebon. Ajoutons que l’église jouissait d’une indulgence plénière, accordée pour les fêtes de la Sainte Vierge, de saint Charles Borrhomée et de saint Eucher. Vers les premiers mois de 1833, en visitant les caves de la maison bâtie sur l’emplacement du monastère, on découvrit un caveau, dans lequel gisaient plusieurs squelettes. On en remarqua deux, dont la tête était séparée du tronc ; peut-être se trouvait-on en présence du squelette de Cinq-Mars, exécuté avec de Thou, sur la place des Terreaux ; l’autre pouvait être un sieur Capistan, décapité en septembre 1632.