Histoire des églises et chapelles de Lyon/Introduction

La bibliothèque libre.
H. Lardanchet (tome Ip. i-xxvi).

INTRODUCTION




O n a écrit l’histoire religieuse de Lyon, en la traitant par la série de ses archevêques : la Chronologia Archiantistitum de Jacques Severt, le théologal de Saint-Jean, et l’ouvrage du bon chanoine de Notre-Dame-d’Espérance de Montbrison, Jean-Marie de La Mure, sont entre les mains des érudits de la province. Les auteurs, qui ont associé leurs efforts et leurs recherches pour la composition des deux importants volumes que nous présentons au public, ont préféré s’attacher à la monographie des monuments plutôt qu’à celle des personnages ; ils ont estimé qu’en introduisant le passé dans le cadre du présent, en remontant de ce qui existe, de ce qui frappe les yeux de chacun, à l’origine des premiers essais, ils n’atteindraient pas moins les événements les plus intéressants, les renommées les plus célèbres, les institutions les plus utiles, et qu’ils parviendraient à composer ainsi quelques-uns des plus curieux, sinon même des meilleurs chapitres de nos annales ecclésiastiques.

Les deux méthodes sont, je crois, légitimes et logiques ; les avantages en compensent les inconvénients. La première est plus conforme au cours des siècles ; la seconde embrasse, sans interruption, toute l’évolution d’œuvres importantes, qui survivent presque toujours à leurs créateurs et qui se prolongent, pendant plusieurs générations, en maintenant leur esprit et en multipliant leurs bienfaits. L’une et l’autre ont peut-être le tort de procéder par morceaux artificiels et par fragments trop courts ; elles rendent les vues d’ensemble et les appréciations générales plus rares et moins sûres ; mais, dans les sciences historiques, la synthèse n’est jamais sans quelque danger ; les faits, après qu’ils ont été examinés dans le détail, ne se prêtent pas, autant que beaucoup se l’imaginent, à une formule abstraite et à de larges et hypothétiques conclusions, où l’induction philosophique trouve mieux son compte que la contingence des réalités et de l’expérience. Le lecteur du reste suppléera aisément par ses réflexions personnelles à ce que le plan de l’ouvrage ne comportait pas ; dans son esprit, rien ne sera perdu de la continuité des énergies humaines et divines qui ont été déployées dans l’établissement et dans le progrès du christianisme parmi nous ; rien ne lui échappera de l’unité de vue, ni de la souplesse sage et hardie, qui ont servi à consolider l’invariabilité de la discipline et de la foi, de leurs règles et de leurs dogmes, au milieu des changements incessants des formes politiques et sociales, des races occupant le sol, des mœurs et des idées trop souvent en contradiction avec l’idéal évangélique.

Notre conversion du paganisme, la sainteté de nos apôtres, l’héroïsme de nos confesseurs avaient jeté sur notre Église un éclat et un renom incomparables ; elle ne cessa de les entretenir et de les regarder à juste titre comme un héritage, l’engageant à ne céder le premier rang à personne ; elle s’appliqua constamment à ne pas déroger. Lorsque la suprématie administrative lui eut échappé, transférée tantôt au nord et tantôt au sud, à Trêves ou bien à Arles, elle tâcha de ne pas laisser aliéner ses prérogatives pontificales ; elle les appuya sur des titres et sur des œuvres ; elle les étendit par le zèle de son clergé, l’abondance de ses aumônes, l’importance de ses fondations, le nombre de ses
Grand cloître fortifié de Saint Jean sous François Ier
Grand cloître fortifié de Saint Jean sous François Ier
(Restitution de M. Rogatien Lenail)
monuments, l’éclat de ses cérémonies, les courses de ses missionnaires ; elle les consolida par sa souveraineté territoriale. Dans cet espace de dix-huit siècles, qui va des prédications de saint Pothin à la pourpre du bien-aimé cardinal Coullié, dont la houlette nous régit, à côté de périodes d’une intensité lumineuse d’activité et de gloire, on compte des époques d’obscurité, d’ignorance, de sombre ensevelissement ; toutefois l’épreuve n’apparut jamais que guérissable, les ténèbres capables d’être dissipées ; car un des caractères les plus persistants, les plus sensibles, de la foi de nos pères a été certainement l’élan vigoureux, l’habileté tenace qu’ils ne cessèrent de déployer, à chaque coup des caprices de la fortune ennemie, pour s’échapper de ses ruines, restaurer leurs croyances, tirer de leurs malheurs et de leur décadence une leçon et un moyen de n’y plus retomber. Qu’on nous permette d’apporter ici, dans l’intérêt de cette thèse, quelques exemples empruntés à nos souvenirs les plus connus, à nos plus vénérables traditions.

De quelle sainteté brilla le premier groupe des disciples instruits et baptisés par les envoyés de Polycarpe ; quelle fut l’intrépidité du vieillard nonagénaire, Pothin, le Père de la communauté des frères ; quelle profonde science avait acquise son successeur Irénée, personne ne l’ignore. La lettre si émouvante, qui raconte le martyre du premier, et les livres composés par le second contre les hérésies gnostiques, commandent une admiration et une reconnaissance impérissables. Mais, après ce demi-siècle de labeurs et de mérites au-dessus de tout éloge, la cité impériale, inondée de sang, à peu près détruite par le pillage et l’incendie, entre dans une nuit profonde et lamentable, où la plonge l’horrible vengeance de Septime-Sévère, vainqueur de son compétiteur Albin. La restauration partira des barbares ; elle commencera à l’arrivée des Burgondes. Eucher et Patient tiennent alors le bâton pastoral ; celui-là unit les austérités du moine à la puissance de l’orateur ; de celui-ci Sidoine Apollinaire, le poète-évêque, a dessiné le portrait : il le montre comme un infatigable bâtisseur et le tendre aumônier des pauvres affamés. L’éclaircie fut trop tôt interrompue par de nouvelles ombres plus épaisses et plus impénétrables qu’auparavant ; sous les derniers Mérovingiens, la désolation et l’abandon dépassèrent l’extrême mesure. Il revint à l’élu et à l’ami de Charlemagne, à l’archevêque Leidrade, d’être le restaurateur de son troupeau, à peu près anéanti, le réformateur des études et des mœurs cléricales, un vaillant déblayeur de décombres, un de ces hommes d’initiative et d’action dont le coup d’œil vaut la patiente énergie.

Une lettre, qu’il adressa à l’empereur, nous a conservé la désignation des édifices qu’il éleva, répara, embellit ; trop longue pour être citée en entier, comme elle le mériterait, j’en détacherai du moins les indications topographiques les plus essentielles ; on ne possède évidemment pas de nomenclature plus authentique des églises existant à Lyon, au début du IXe siècle. Ce fut la cathédrale qui attira les premières sollicitudes du prélat ; Saint-Jean fut reconstruit et agrandi ; Saint-Étienne, qui y était attenant, le fut en même temps ; une église Sainte-Marie, dont l’emplacement demeure douteux, mais qu’il ne serait pas impossible d’identifier avec l’hospice primitif de Childebert et de la reine Ultrogothe ; une seconde, dédiée autrefois à Sainte-Eulalie et passée sous le vocable de Saint-Georges, furent tirées de leurs décombres ; les murs de Saint-Paul et de Saint-Pierre furent repris depuis les fondations, et leurs toitures posées ; je ne parle que pour mémoire de deux maisons épiscopales et d’une plus vaste habitation, réservée au logement commun des membres du clergé aux divers degrés de la hiérarchie.

L’exemple d’un dévouement aussi entendu porta ses fruits : les successeurs immédiats de Leidrade, sous les princes Carolingiens, Agobard, Amolon, Rémi, prirent une part importante aux affaires, s’engagèrent dans les discussions agitées par leurs contemporains, et portèrent au loin la réputation de leur siège. Comme partout ailleurs, dans le royaume franc, l’établissement de la féodalité et l’investiture de vastes possessions octroyées aux archevêques, transformés en puissants suzerains, engendrèrent plus d’abus qu’ils ne servirent à la sécurité publique et au respect des institutions chrétiennes. Le patrimoine ecclésiastique s’accrut aux dépens du prestige de l’autorité divine et de la concorde sociale. Après les luttes sanglantes et si fréquemment renouvelées malgré les traités, avec les comtes de Forez, il fallut opposer une armée aux citoyens insurgés à leur tour. Avant de négocier, on se battit de part et d’autre avec fureur ; le peuple répondit aux interdits spirituels par l’assaut du bourg de Saint-Just, les odieuses atrocités d’Écully et de Genay. Philippe de Savoie et les chanoines durent céder à plus fort qu’eux ; mais ni les franchises communales, ni la domination du roi de France n’effacèrent de longtemps le ressentiment né de ces troubles et les maux qu’avait entraînés cette guerre civile.

La Réforme ne fit pas couler moins de sang dans les rues de la ville surprise et dévastée par le trop célèbre baron des Adrets. Toutefois l’orthodoxie résista davantage que les arquebuses du guet ; aussi loin que le fanatisme poussa la rage d’anéantir le culte et ses temples, il ne parvint qu’à renverser des constructions matérielles, à piller des châsses ou à brûler des reliques, à massacrer quelques moines, à rançonner des marchands et des banquiers : la population se refusa à passer au calvinisme ; la domination des ministres huguenots, disparue avec les bandes dauphinoises qui les avaient installés, elle se retrouva papiste, croyante à la messe, filialement attachée à la Mère de Dieu.

Aussi bien, quand les soulèvements du protestantisme seigneurial et politique furent éteints, quand l’agitation de la Ligue fut apaisée, il se produisit dans le diocèse un mouvement d’apostolat, de zèle, de vertus surnaturelles, qui probablement n’a été dépassé nulle part ailleurs : le clergé se réforme lui-même ; les monastères se renouvellent ; des confréries s’établissent et prospèrent. Les fidèles accourent aux prédications ; la jeunesse s’instruit au collège de la Trinité ; des hommes de notoriété et de valeur se groupent dans la discrète Compagnie du Saint-Sacrement ; les offices paroissiaux sont assidûment fréquentés ; le curé de Saint-Nizier, le savant Benoît Puys, polémique en leur faveur et entraîne l’opinion ; des séminaires sont inaugurés ; François de Sales introduit les gens du monde dans la vie dévote et mène doucement à l’école de sainte Chantal et à la Visitation de Bellecour les femmes les plus distinguées de la noblesse et de la bourgeoisie ; les Pénitents du Confalon, chez les Cordeliers de Saint-Bonaventure, et cinq autres compagnies du même genre se soumettent à un règlement sévère et s’enchaînent par une solidarité mutuelle qui les discipline autant qu’elle les sauvegarde. Les scandales sont poursuivis et châtiés ; les abus dénoncés et corrigés. On ouvre des asiles à la foi menacée et à l’innocence en détresse ; on a des retraites grillées où le repentir vole s’enfermer, afin d’éviter de nouvelles chutes.

Les œuvres, les institutions, les projets réformateurs s’appellent et se commandent les uns les autres ; ils paraissent jaillir d’un entraînement qui n’est ordonné par personne et qui se communique dans un ordre parfait. Dans cette variété spontanée d’efforts, de créations, de sentiments charitables, on devine une forte organisation ; on saisit à côté des suggestions d’un mysticisme parfois exalté les conseils de l’esprit pratique, accommodant les choses à leur but et proportionnant, dans une mesure raisonnable, les moyens à la fin qu’il s’agit de réaliser. Est-ce effet de la grâce d’en haut ? discipline de la pensée ? habitude née de l’expérience ? Ces divers éléments se mêlent sans doute et coopèrent ensemble au triomphe du bien ; dans l’application quotidienne, aucune force n’est mise de côté, aucune bonne volonté n’est repoussée. Toutes les classes de la société, sans exception, du plus humble manant au riche financier, de la femme obscure à la plus haute dame de l’aristocratie, bourgeois, magistrats et prêtres s’empressent d’apporter leur concours au relèvement de l’influence catholique ; peu à peu l’élan devient si étendu et si merveilleux que des années, pendant lesquelles il a duré, il a fait la période la plus féconde, la plus prospère, la plus glorieuse de nos fastes provinciaux.

Inaugurés par le cardinal de Marquemont, qu’une étroite amitié liait au saint évêque de Genève, cette ferveur entreprenante, ce zèle propagandiste, ce souci sérieux d’édification publique, même chez de simples laïques, se prolongèrent jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Mgr  Camille de Neuville, sur les conseils et sur les exemples de son frère l’abbé de Saint-Just, Antoine de Neuville, déploya pour les maintenir, les régler, les augmenter, le double pouvoir à peu près illimité et absolu qu’il tenait de sa charge de lieutenant-général du roi et de sa dignité épiscopale. Le P. Massillon, qui entrait alors timidement dans la carrière oratoire, en rendant hommage, sur sa tombe, à sa vigilance, à son amour de l’ordre, à la protection dont il favorisa les pieuses entreprises, au crédit qu’il accorda à des hommes de la valeur de Démia et d’Hurtevent, n’a rien exagéré, rien sacrifié à l’hyperbole. En rappelant tout à l’heure la date des plus considérables fondations qui se rattachent à l’administration de cet illustre « prestolet », comme le duc de Saint-Simon l’appelle irrévérencieusement, nous jugerons de quel poids furent ses encouragements ; les cahiers de ses visites pastorales, qui existent encore, témoignent d’autre part avec quelle conscience il veillait aux détails les plus obscurs d’une sacristie de campagne ; et comment il exigeait la docilité la plus complète à ses instructions.

Le xviiie siècle fut beaucoup plus mélangé de bien et de mal que le précédent : la sève catholique s’altère ; sa vigueur languit insensiblement ; d’un côté, les querelles du Jansénisme, les arrêts et les empiétements du Parlement, le persiflage voltairien, les doctrines de l’Encyclopédie ; de l’autre, la suppression des Jésuites, certains signes trop apparents de relâchement monastique, portent à l’opinion des coups qui la détachent assez brusquement de ce qu’elle se plaisait à respecter et à patronner. Messeigneurs Paul de Villeroy et de Rochebonne tentent d’élever les premières digues contre les théories à la mode du P. Quesnel et les rébellions dédaigneuses à la bulle Unigenitus ; mais çà et là, dans les communautés, au sein des familles, où l’Oratoire et les missionnaires de Saint-Joseph sont trop écoutés, les brochures suspectes circulent et les principes les plus hétérodoxes y font la loi. En vain le cardinal de Tencin déclare qu’il est prêt à recommencer ses luttes fameuses du concile d’Embrun, les services qu’il a rendus aux vérités ultramontaines le couvrent mal contre les traits satiriques de ses adversaires ; l’ambassade de Rome et la cour le retiennent trop longtemps loin de son troupeau. Et quand, à sa mort, Montazet vient prendre possession de l’héritage qu’il enviait, les disciples de Port-Royal, les partisans de la théologie rigoriste et anti-sulpicienne se multiplient, comme par enchantement ; les chaires d’enseignement en sont infestées ; les presbytères en pullulent ; des lectures et des leçons l’insubordination passe dans les actes ; à la veille de la Révolution, l’on aura à supporter le scandaleux et immoral crucifiement de Fareins, les réunions occultes de la rue de la Vieille-Monnaie, les folles harangues du curé Souchon aux Cordeliers.

Le récit de cette décadence intellectuelle et morale, aboutissant à la perversion la plus grossière du sens religieux, n’a pas été écrite ; probablement, elle ne le sera jamais, tant une plume honnête aurait de répugnances à vaincre, pour dévoiler des aberrations sans excuse et des turpitudes innommables. Mais il n’est pas inutile d’être averti de ces chutes inouïes afin de juger sainement et avec une impartialité documentée, comment la Constitution civile du clergé, la prestation du serment, le schisme usurpateur, rencontrèrent tant d’adhérents et provoquèrent tant de défections meurtrières pour l’honneur sacerdotal. Du reste, les opposants au Concordat sortiront, pour la plupart, de ces mêmes rangs ; la petite église de la Croix-Rousse refusera de reconnaître les droits de Pie VII, de même que les partisans des Réflexions morales avaient protesté contre les anathèmes de Clément XI, tant les déviations de l’esprit sont lentes à se redresser, tant son indocilité est capable de pousser aux inconséquences les plus absurdes et les plus variables.

Toucher aux années si tourmentées, si fiévreuses, si pleines de sang, écoulées de l’ouverture des États Généraux à la promulgation du pacte qui réconcilie la France avec Rome, ce n’est pas seulement aborder le récit épique d’épreuves supportées avec une héroïque patience, tracer le tableau de martyres subis avec l’âme des victimes du Forum dans l’hécatombe de 177, évoquer les épisodes du siège et les fusillades des Brotteaux. De ces grandes scènes tragiques de premier plan, gravées dans toutes les mémoires, il semble nécessaire de porter son attention sur le zèle déployé à la défense des principes engagés et sur la généreuse obéissance que rencontrèrent les mesures et les directions de l’administration épiscopale. Le titulaire métropolitain, Mgr  de Marbeuf, était absent, émigré à Lubeck ; il n’avait même jamais paru dans le diocèse. Le chef qui conduisit la résistance au nouvel ordre de choses ; qui dirigea les travaux des prêtres insermentés, transformés en missionnaires de camp-volant ; qui retint loin du schisme les fidèles des deux départements du Rhône et de la Loire, soumis aux pasteurs légitimes et en communion avec le Saint-Siège, est fort connu : la mémoire de M. Linsolas reste entourée de vénération.

À aucun moment ce prêtre, qui saisit tout à coup la barre du gouvernail au milieu de la plus épouvantable tempête, ne partagea les illusions des jureurs de bonne foi ; ni de près, ni de loin, il ne consentit à pactiser avec les libéraux, même les plus modérés, et il refusa jusqu’aux simples fonctions d’aumônier de la garde nationale de son quartier, parce qu’elles répugnaient à sa conscience et à sa foi monarchique. Il se traça comme règle invariable de ne céder sur aucun point aux régimes qui se substituaient à la royauté ; il ne concevait pas, entre les exigences qu’ils affichaient, l’état de choses qu’ils organisaient, et la discipline canonique, la possibilité d’un accommodement. Partisan du droit divin, adversaire intraitable des essais constitutionnels, il persévéra dans ses vues jusqu’au bout, sous la Convention comme sous le Directoire, avant Robespierre comme après Barras, au fond de sa cachette de la rue Tupin, d’où il ne sortait que la nuit, aussi bien que dans la prison de Sainte-Pélagie dans la forteresse de Turin où Bonaparte l’avait interné. Un esprit moins absolu que le sien, un caractère plus conciliant, avec moins de raideur, moins de froissements, aurait-il évité d’imposer aux consciences le poids d’un joug qui parut à beaucoup n’être ni doux ni léger, selon le mot de l’Évangile ? On le murmura alors : il s’en est expliqué depuis, alléguant pour motifs de sa conduite les instructions de l’archevêque, envoyées de l’émigration, l’opinion de ses collègues conforme à la sienne, surtout l’entêtement et les ruses des curés schismatiques, appuyés par les fonctionnaires qui les protégeaient.

La tâche en effet, où les circonstances l’avaient engagé plus que son propre choix, était complexe et ardue ; il la remplit au moins avec une fermeté et une persévérance qui ne se démentirent pas une seule minute, au milieu d’insurmontables difficultés, sous la menace des plus extrêmes périls. Jamais bercail n’eut à sa tête sentinelle plus vigilante ni plus incorruptible. Des théologiens de valeur ont critiqué l’intransigeance de ses opinions en morale, plusieurs des décisions et des mesures qui arrêtèrent le retour des assermentés et l’union dans l’oubli commun ; plus vivement encore ils blâmèrent sa résistance significative à la promesse de fidélité ; moins louables et moins sages aussi, bien que, dans sa pensée, la restauration religieuse ait été liée au retour des princes légitimes, furent ses agissements politiques et ses relations trop avérées avec les conspirateurs de Beyreuth. Toutefois ces griefs fussent-ils indiscutables, ils n’auront qu’une importance secondaire ; l’œuvre se défend par ses résultats et l’ouvrier se recommande par le dévouement, plein d’abnégation et si mal payé, qu’il consacra à la soutenir au prix de sa liberté et de son repos.

À l’heure où le premier Consul, le vainqueur de Marengo, rend les églises au culte, les prêtres à leur ministère, le peuple à ses paroisses, grâce aux précautions et à l’initiative de l’abbé Linsolas et de ses infatigables auxiliaires, le cardinal Fesch a sous la main des cadres composés d’irréprochables collaborateurs, des séminaires en exercice, un budget augmenté par des dons volontaires, des communautés prêtes à ressaisir leur habit et leurs règles. Ces avantages et ces réserves permirent à Lyon de gagner une avance de dix années au moins sur les autres métropoles de France.

Le XIXe siècle, que nous avons vu finir en proie au plus violent anticléricalisme parlementaire et démagogique, avait cependant élevé plus de clochers que la Terreur n’en avait abattus. Il ramena les vieux ordres monastiques dans leurs solitudes abandonnées et profita souvent des cloîtres déserts pour y installer un séminaire ou un hôpital : le Carmel refleurit et les Trappistes ramenèrent leur froc et leur charrue dans la lande inculte ; dans aucun autre temps les congrégations d’hommes ou de femmes, vouées à l’éducation ou à l’assistance des malheureux, ne furent plus ferventes ni plus variées. Ce renouveau spirituel suscita dans l’agglomération lyonnaise des merveilles d’ingénieuse charité, d’innombrables hardiesses, de rares sacrifices qui ne seront probablement jamais dépassés. On jugera plus loin, d’après la simple liste des fondations, sorties du sol, sous le regard de Notre-Dame de Fourvière, rentrée en possession de sa chapelle et de son domaine, avec quelle résolution, quelle activité inlassable, quels succès achetés parfois au prix des plus dures privations, les ruines amoncelées par la Révolution, par ses décrets et ses bombes, ont été relevées : leur poussière a été le germe des résurrections les plus inattendues et les plus fécondes. Il est juste d’en bénir la Providence ; mais le concours céleste s’allie à l’effort humain, et, une fois de plus, nos concitoyens échappés aux proscriptions de Couthon et de Fouché, aux saturnales de la procession impie des Terreaux et à l’apothéose de la déesse Raison, délivrés des erreurs jansénistes et gallicanes, ont démontré que, sur notre terre privilégiée, le catholicisme a jeté de profondes et d’impérissables racines. Le vieil arbre, plus immortel que les chênes, reverdit toujours et se couronne de branches plus jeunes et plus vigoureuses, quand l’orage l’a dépouillée.

Toute cette longue et magnifique histoire d’une grande ville consacrant au triomphe de l’Évangile ses hommes, son génie, son épargne, n’est pas seulement écrite dans les livres ou consignée dans les archives ; elle doit se lire sur les monuments, au moins autant que dans les parchemins. La pierre n’est-elle pas une incarnation perpétuelle de l’idée ? un symbole permanent de la croyance ? Est-ce que les lieux qu’on interroge ne livrent pas le secret des âmes qui les habitèrent, des larmes qui y furent versées, des prières qu’ils entendirent ? Aucun de nos collaborateurs n’a exprimé là-dessus le moindre doute ; et nous souhaiterions que leur sentiment, qui est aussi le nôtre, soit partagé de tous les lecteurs. En acceptant de traiter des édifices qui lui étaient les plus familiers et les plus chers, chacun d’eux était persuadé d’avance que son étude prendrait, sous sa plume, l’ampleur nécessaire à tous les développements liés à son sujet ; il se proposait de demander à l’architecture ses intuitions et à l’archéologie ses mystères ; les inscriptions livreraient leurs souvenirs, parfois leurs énigmes ; les dalles, le nom des morts qui sommeillent au-dessous ; les ex-votos leurs donateurs ; les tableaux, leur peintre ; les voûtes, l’écho des cantiques et des psalmodies dont elles ont retenti. Avec de pareilles intentions, on ne suit pas seulement la genèse de l’œuvre, sa croissance, ses péripéties de durée ou de déclin ; on peuple l’enceinte avec les foules qui s’y sont agenouillées, les saints qui l’ont honorée de leurs miracles, les solitaires qui l’ont sanctifiée de leurs pénitences et de leurs oraisons, les dévots pèlerins qui en ont porté la réputation au loin. C’est le drame sacré, avec ses acteurs et son décor ; c’est la tragédie religieuse qui se déroule sur le théâtre où elle fut inaugurée, où anges, démons et pauvres humains continuent de la jouer, à la gloire de Dieu et pour la consolation terrestre de ceux qui aspirent aux joies éternelles.

Cependant, avant de clore cette introduction, dont la brièveté ne serait point un mérite, si la clarté en souffrait, il nous semble que certains renseignements généraux doivent y trouver place ; il ne sera qu’avantageux de grouper en trois ou quatre pages sommaires la chronologie originelle des établissements qui seront décrits dans le corps de l’ouvrage et qui s’échelonnent sur un espace qui n’est pas moins aujourd’hui de dix-huit fois séculaire : une date, la plus approximative possible, dispose chacun d’entre eux à son rang d’apparition, l’on en saisit mieux l’opportunité, et il est plus commode d’embrasser d’un coup d’œil précis le progrès de la religion parmi nous ; il n’échappe aucune des manifestations qui ont traduit au dehors, d’une façon officielle et publique, les vertus qu’elle inspire, les enseignements qu’elle propage, et les maux qu’elle guérit.

On se plaît à placer, dans le périmètre de l’église actuelle Saint-Nizier, la maison où notre évangéliste Pothin reçut l’hospitalité d’un de ses compatriotes Smyrniote et communia ses premiers frères, Attale, Sanctus, Blandine. Cette tradition, bien que les documents invoqués aient une authenticité contestable, s’appuie sur des vraisemblances qui font incliner à les préférer à toutes les autres.

En revanche, la doyenne des basiliques, dont un texte certain nous affirme la construction et la consécration, fut celle érigée par saint Patient, vers 460 ; grâce à Sidoine Apollinaire, et à l’inscription dédicatoire, qu’il composa à ce sujet, et dont il envoya copie à un de ses amis, nous tenons en main un document contemporain, j’allais dire un témoin épigraphique. L’élégant patricien nous dit encore ailleurs qu’il accourait volontiers se mêler aux solennités matinales qui se célébraient sur la montagne, non loin du tombeau de son aïeul. En dépit de quelques contradicteurs, il me paraît donc qu’il n’y a plus de doute à garder : notre Saint-Irénée actuel est investi du droit de se réclamer de cette vénérable antiquité. Peu importe que ses vocables aient varié le long des siècles, trois ou quatre fois, et que, simultanément ou alternativement, il se soit appelé Saint-Jean l’Évangéliste, les Macchabées, ou Saint-Just, avant d’être fixé au nom de l’illustre docteur qui le patronne désormais ; il repose sur les assises de la construction bourguignonne ; il l’a remplacée ; il la perpétue.

En compulsant Grégoire de Tours, on recueille des noms nouveaux à joindre aux deux précédents, et, avec eux, se dessine mieux la topographie d’un Lugdunum sacrum au vie siècle. En voici les principaux points de repère : la basilica Sancti Nicoli, où est dressée la chaire de l’évêque, où il officie et prêche, auprès de laquelle il a sa demeure qu’il habile avec ses clercs, où il sera enseveli ; la basilica Sancti Johannis, dont la crypte renferme les corps de saint Irénée, de saint Alexandre et de saint Epipode, et que nous avons mentionnée tout à l’heure ; la basilica sanctæ Mariœ, dans laquelle une dévote veuve fait célébrer de nombreuses messes pour le repos de l’âme de son mari ; sans qu’aucun autre mot du récit ne permette de lui assigner une situation probable ; il y a donc peu de vraisemblance à ce que l’attribution de Notre-Dame de la Platière soit exacte. N’oublions pas deux cryptes funéraires : l’une où avait été enterré l’évêque Hélie, le quatrième inscrit sur le catalogue entre Zacharie et Faustinus ; l’autre in suburbano murorum urbis, fréquentée par un concours de fiévreux ; on y vénérait les cendres d’une sainte femme, Lucie, qui avait jadis ramassé la sandale de saint Épipode, quand on le conduisait au supplice, et qui avait opéré beaucoup de guérisons par l’attouchement de cette relique. L’historien, neveu de saint Nizier, dont les séjours près de lui avaient été longs et renouvelés, cite encore Ainay et l’Île-Barbe ; il désigne enfin, malheureusement en termes trop vagues, un monastère de filles dont Eulalius, comte d’Auvergne, enleva une nonne pour l’épouser. Mais l’abbaye de Saint-Pierre n’existant pas encore, le rapt n’aurait-il pas été commis à Saint-Georges, dont sainte Eulalie semble avoir été la patronne primitive, ou bien en face, sur la rive gauche de la Saône, dans l’asile où la reine Carétène éleva sainte Clotilde et laissa après elle une communauté qui ne disparut que beaucoup plus tard ?

La lettre de Leidrade, que nous avons citée, est postérieure de deux cents ans à l’Historia Francorum. Ses indications confirment celles que nous avons relevées ailleurs, et surtout les amplifient : Saint-Jean, Saint-Étienne, Saint-Paul, Saint-Pierre sont nommés pour la première fois ; un changement notable s’est produit dans la hiérarchie des églises, la cathédrale a été déplacée ; Saint-Nizier a été dépouillé au profit de Saint-Étienne, et au pied de la colline, où le vieux Forum de Trajan est toujours debout, le cloître canonial a son enceinte tracée ; peu à peu ses murailles crénelées se dresseront, comme d’infranchissables remparts, afin d’assurer à ses habitants la sécurité de la vie et le repos de leur esprit.

Un document de caractère au moins officieux, mais assez postérieur, dans son état présent, aux auteurs ci-dessus, dont la sincérité n’est pas douteuse, attribue la bâtisse de l’église et du baptistère de Saint-Étienne à Alpinus (vers 390), Saint-Paul et Sainte-Eulalie à Sacerdoce, sous le roi Childebert (vers 530), Sainte-Croix et la maison claustrale de Saint-Just à Arigius (vers 615). De ces trois assertions plus d’une soulève de graves objections ; il est prudent de ne s’y fier qu’à demi. L’anonyme responsable est un copiste du xiie ou du xiiie siècle, qui a glissé les trois petites lignes dans la liste de nos archevêques, placée en appendice du Martyrologe de la Cathédrale ; les exemplaires, dont celui-ci dérive, l’un pris à l’Homiliaire d’Autun, l’autre à la Chronique d’Hugues de Flavigny, n’en soufflaient mot ; sans la nier absolument, j’inclinerais à croire que la tradition visée là a besoin d’une autre caution.

Avec les pouillés on achève promptement de composer la nomenclature des paroisses, des monastères, prieurés, chapelles, hospices, communautés séculières dépendant plus ou moins de la juridiction de l’Ordinaire. Les plus anciens de ces registres, que M. Auguste Bernard a publiés dans son édition du Cartulaire de Savigny, nous reportent au xiiie siècle ; on pourrait même y rattacher le dénombrement des possessions de l’Église de Lyon, sous Burchard, et remonter de la sorte jusqu’aux environs de l’an 1000. La série descend ensuite et ne s’arrête plus qu’à un cahier superbement relié, timbré aux armes de Mgr  de Montazet, qui lui appartint et fut annoté à son usage : on touche alors à la veille des remaniements et des suppressions décrétées par la Constituante et l’Assemblée Législative ; la comparaison de l’état nouveau, inauguré par le Concordat, avec l’état de régime monarchique, alliant le trône et l’autel, dont la Révolution n’avait pas toléré qu’un vestige restât debout, s’accomplit comme d’elle-même, après un court instant de réflexion[1].

Dès le haut moyen âge, certainement avant la fin du xiie siècle, Lyon possédait déjà les paroisses qui subsisteront, à une exception près, jusqu’en 1789. On en comptait quatorze : onze dans l’enceinte des murs, trois en dehors, dans les faubourgs de Saint-Irénée, de Vaise et de la Guillotière. Huit étaient situées sur la rive droite de la Saône, dans ce qu’on appelait a parte regni ; six, de l’autre côté a parte imperii. Sainte-Croix, Saint-Just, Saint-Paul, Fourvière, Saint-Irénée, Saint-Georges, Saint-Romain, désaffecté sous le cardinal de Richelieu, avec l’annexe de Saint-Pierre-le-Vieux, Saint-Pierre de Vaise, formaient le premier groupe ; Saint-Vincent, Notre-Dame de la Platière, Saint-Pierre-les-Nonnains, Saint-Nizier, Saint-Michel d’Ainay, Notre-Dame de la Guillotière, le second. La majorité d’entre elles, unie à des chapitres collégiaux ou à des ordres monastiques, confond sa fortune avec celle des institutions dans lesquelles elles sont englobées ; il en est ainsi pour Saint-Irénée, Saint-Just, Fourvière, créé en 1192 par Jean de Bellesme, Saint-Paul et Saint-Nizier qui dépendent de leur chapitre ; Sainte-Croix porte le titre, et a ses deux custodes ; mais les chanoines-comtes y gouvernent à peu près en maîtres ; c’est le sanctuaire abandonné au peuple, tandis que la Primatiale est exclusivement réservée aux cérémonies capitulaires et pontificales ; la Platière fut concédée aux chanoines de Saint-Ruf par les archevêques Jubin et Hugues de Bourgogne. Les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem étendaient leur patronage sur Saint-Georges, quoiqu’il ait précédé leur commanderie ; Saint-Vincent est désigné dans le dénombrement du domaine ecclésiastique, sous Burchard II, en 945 ; pour Saint-Michel, que Camille de Neuville transféra à Ainay, dont il était abbé, il remonte plus loin encore, car tout donne à soupçonner que le curé avait pris la succession des moniales, voilées par la reine Carétène, sous Gondebaud et Clovis.

Le culte s’exerçait simultanément dans des chapelles situées un peu partout où il plaisait à la dévotion privée de les entretenir : citons sans ordre, sinon peut-être pas sans omissions : Saint-Genis, dans le voisinage de Saint-Paul,

vraisemblablement du vie ou viie siècle ; Saint-Côme, Saint-Saturnin, du ixe ; Saint-Laurent, du même âge ; Saint-Jacques ou Jacquème, qui servit aux assemblées du Consulat ; Saint-Alban, contigu à la maison de Roanne, que Pierre de Bourgogne, archevêque, transmit, en 1138, aux religieux de Saint-Claude du Jura ; le Saint-Esprit du pont du Rhône, à la descente du pont de la Guillotière, du côté de Bourg-Chanin, fondée par les Frères Pontifes au cours de 1185 ; la Trinité, siège d’une puissante association, si dévouée à l’instruction publique ; Notre-Dame de Bon-Rencontre, dans l’enclos des Cordeliers, au-dessus du Port-Charlet ; Notre-Dame de Lorette, à Beauregard, dans le Gourguillon ; Saint-Claude au sommet du Griffon ; Saint-Roch de la Quarantaine, rendez-vous des pèlerins apeurés au moindre signe de contagion. Le palais de l’archevêché, sous le vocable de Notre-Dame-de-Grâces, l’Hôtel de ville, les prisons de Roanne, la forteresse de Pierre-Scize, possédaient des oratoires intérieurs, dotés de prébendes et d’un service régulier.

Les recluseries, dont l’abbé Pavy porte le chiffre à dix-huit et que le savant M. M.-C. Guigne réduit à onze, ont eu leur belle époque dans les xie, xiie et xiiie siècles, pour disparaître au xvie. Les Échevins leur payaient une aumône de trois gros, à chaque fête de Noël, et, par une ordonnance du 4 septembre 1389, l’archevêque Guillaume de Thurey leur confirma la distribution de trois ânées de seigle par an et de six deniers par semaine, qu’ils soutenaient recevoir depuis saint Eucher. Les onze édicules, la cellule et le petit jardin adjacents, habités indistinctement par des hommes ou des femmes, des laïques ou des prêtres, n’étaient pas arbitrairement espacés ; la plupart précédaient une des portes de l’enceinte fortifiée et semblait y tenir un veilleur. Saint-Épipoy était placé entre la porte de Bourgneuf et celle de Pierre-Scize ; Sainte-Marguerite, au-dessus, au midi du château ; Saint-Barthélemy, au pied de la montée de l’apôtre ; Sainte-Marie-Madeleine, près de la Croix de Colle ; Saint-Martin-des-Vignes, au delà de la Quarantaine ; Saint-Clair-sous-Sainte-Foy, plus en aval ; Sainte-Hélène, à l’entrée de la rue de ce nom sur le Rhône ; Saint-Clair du Griffon, Sanctus Clarus ultra lo Griffoz, Sanctus Clarus ripperie Rhodani, près du dernier bastion du rempart descendant de la Croix-Rousse : il s’était appelé tantôt Saint-Irénée, et tantôt Sainte-Blandine, et, dès le ixe siècle, il servait à une station des Rogations ; Saint-Sébastien, sur la colline de ce nom ; longtemps il avait été un prieuré sous la dépendance d’Ainay et n’avait été supprimé comme tel qu’en 1251 ; Saint-Marcel, dans le quartier des Terreaux, fut cédé, en 1260, aux Frères de la Pénitence de Jésus-Christ ; le dernier, Saint-Vincent, touchait à la Saône, en face de Saint-Paul, dont il relevait ; dans les temps reculés, le Barbet de Saint-Just avertit que les ecclésiastiques du lieu étaient convoqués pour porter la châsse des reliques des saints, de la Platière à Sainte-Blandine.

On compta six compagnies de Pénitents, assez richement dotées pour se loger chez elles et chanter leur office, portes closes, sous un toit leur appartenant. Les Confalons, créés en 1575, bâtirent leur chapelle au chevet de Saint-Bonaventure ; la première pierre en fut bénite, le 29 décembre 1031 ; les descriptions qui nous sont parvenues la montrent décorée de tableaux et de sculptures des maîtres les plus fameux. Les Pénitents du Crucifix se rassemblèrent en 1590 ; ils obtinrent et réparèrent la recluserie de Saint-Marcel ; ceux de la Miséricorde achetèrent, en 1036, aux Carmes des Terreaux, le terrain dont ils avaient besoin ; ceux de Lorette s’installèrent, en 1650, sur le quai de la Charité ; ils émigrèrent ensuite place Croix-Pâquet, et leur immeuble désaffecté devint l’atelier de Chinard, qui le paya peu comme bien national. Les Pénitents de Saint-Charles s’organisèrent en société mutuelle de prière et de secours contre les épidémies, dès 1082 ; ils errèrent longtemps, d’asile en asile, sous leur cagoule bleue ; ils attendirent jusqu’en 1737, pour se fixer à l’extrémité de la rue de la Charité, qui se terminait aux remparts d’Ainay.

Petit ou vaste, aucun des hôpitaux, maladreries, refuges d’étrangers, ne fut dépourvu d’une chapelle ; de ce chef, douze à quatorze noms affluent au bout de ma plume : je les énumérerai, sans trop distinguer leur importance : Sainte-Marie, plus tard Notre-Dame de la Saunerie ; Saint-Éloy, fondation mérovingienne pour laquelle saint Sacerdoce, présidant au concile d’Orléans de 549, proposa que l’administration des biens et des oblations soit déclarée indépendante de la mense épiscopale ; la Contracterie Saint-André, riveraine de la Saône, un peu en amont du Temple ; la Léproserie de Outre-Rhône, à Béchevelin ; Guinand, inscrit pour un legs dans un testament de 1225 ; les Deux-Amants ; Saint-Just, à la porte de Trion ; Saint-Michel, à cent mètres de Saint-Irénée ; Saint-Jean, près de l’entrée de la ville, au confluent ; les veuves de la rue Mercière rentées par Dodieu et sa sœur Isabelle ; Saint-Laurent des Vignes, à Choulans, acquis en 1475 par Jacques Caille du prieur de Saint-Irénée, agrandi par la famille de Gadagne ; Sainte-Catherine, orphelinat et atelier de jeunes filles, au-delà des Fossés de La Lanterne. Le grand Hôtel-Dieu, Notre-Dame-de-Pitié du pont du Rhône, l’Aumône générale de la Charité subsistent tels que les largesses de leurs administrateurs et de leurs bienfaiteurs les ont élevés.

Du côté des religieux et des religieuses ; moines mendiants ; clercs à vœux simples ou solennels ; congrégations destinées à l’enseignement, au service des pauvres ou à la contemplation, le champ de nos collaborateurs a été au moins aussi étendu que les parties dont nous venons de tenter l’exploration. Peu de villes de France ont été plus accueillantes que la population lyonnaise au zèle qui se proposait de la convertir ou à la pénitence dont les expiations et les mérites servaient à couvrir ses péchés. Mais afin de m’enfermer dans les plus étroites bornes du strict nécessaire, pour chacune de ces maisons régulières, je ne mettrai ici qu’une sèche mention, une date et un nom, et ils suffiront largement, je me l’imagine, à piquer la curiosité et à ne pas laisser un doute sur l’importance historique des sujets abordés.

ve siècle, l’abbaye d’Ainay, promptement sujette à la règle de saint Benoît : le pape Pascal II consacra, le 29 janvier 1107, l’église toujours debout.

viie siècle (630-659), l’abbaye de Saint-Pierre, sous l’épiscopat de saint Ennemond, dont les deux sœurs furent parmi les premières religieuses.

xiie siècle, fin ; les chevaliers du Temple ; peu après, les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem ou de Malte : ils s’installèrent à Saint-Georges, et, sous le commandeur Humbert de Beauvoir, en 1498, par d’importantes réparations, ils transformèrent la Commanderie, qui fut chef-lieu de la langue d’Auvergne.
1218, 
Les Jacobins, à Notre-Dame de Confort.
1220, 
Les Frères Mineurs ou Cordeliers, hospitalisés par le sénéchal Humbert de Grôlée.
1244, 
Les Filles pénitentes, à Saint-Martin ad Pullum, de Pol, ou de la Chana ; le monastère suivit la règle de saint Augustin, ensuite celle de saint Benoît ; il fut supprimé, en 1482, par le cardinal Charles de Bourbon.
1279, 
Les Antonins, venus du Dauphiné.
1291, 
Les Carmes aux Terreaux.
1296, 
La Déserte, fondée pour des religieuses de Sainte-Claire : en 1503, elles demandent à prendre la règle bénédictine ; Mme  de Quibly, leur abbesse, leur impose une sévère réforme, en 1620.
1310, 
Les Ermites de Saint-Augustin, accueillis par Pierre de Savoie, archevêque, qui leur abandonne une chapelle dédiée à saint Michel, au bourg de Chenevières, quartier actuel de La Feuillée.
1407, 
Les Célestins, sous le patronage du duc de Savoie.
1493, 
Les Mineurs de l’Observance, dont Charles VIII et Anne de Bretagne, sa femme, favorisèrent singulièrement les débuts.
1553, 
Les Minimes de Saint-François de Paule, à la Croix de Colle, amenés par le P. Guichard.
1565, 
Les Jésuites, au collège de la Trinité.
1575, 
Les Capucins, qui eurent là, montée des Anges, leur second couvent français.
1584, 
Les Chartreux, qui appelèrent, en l’honneur d’Henri III, leur monastère « Le lys du Saint-Esprit ».
1601, 
Les Clarisses, contraintes à fuir Bourg.
1606, 
Les Pères du Tiers-Ordre de Saint-François, surnommés de Picpus à Paris, et de même à La Guillotière.
1612, 
Les Ursulines, rue de la Vieille-Monnaie.
1616, 
Les sœurs de la Visitation de Bellecour, qui recevront le dernier soupir de leur Père, saint François de Sales, et garderont son cœur.
1616, 
Sainte-Élisabeth, premier monastère à Bellecour.
1616, 
Les Carmélites, que le P. de Bérulle avait ramenées d’Espagne.
1616, 
L’Oratoire, que le cardinal de Marquemont logea dans son palais et qui commença à veiller sur l’éducation des enfants de chœur du Chapitre.
1618, 
Les Carmes Déchaussés, dont le couvent, conservé jusqu’ici en dépit de plusieurs désaffections momentanées, est destiné dorénavant au dépôt des Archives départementales.
1618, 
Les Jésuites de Saint-Joseph : la maison est appropriée pour les novices et pour des retraitants laïcs.
1622, 
Les Pères Récollets, dont le saint évêque de Genève bénit la croix des fondations.
1622, 
Les Capucins du Petit-Forêt.
1623, 
Les Bénédictines de Chazeaux, à Bellegrève, émigrées d’un petit village des confins du Forez et du Velay.
1623, 
Les Annonciades, que le peuple nommait, à cause du gracieux costume qu’elles portaient, les Bleus-Célestes.
1624, 
Les Augustins réformés, à la Croix-Rousse, les mêmes que Louis XIII avait autorisés à Notre-Dame-des-Victoires à Paris, les Petits-Pères comme on disait.
1627, 
Second monastère de la Visitation à l’Antiquaille.
1630, 
Les Jésuites du Petit Collège.
1631, 
Les Bernardines.
1633, 
Les Ursulines à Saint-Just, leur second couvent.
1636, 
Un second monastère d’Annonciades, dans la rue Neyret, assez voisin du premier.
1637, 
Le prieuré bénédictin de Blie, dont Mgr  de Tencin provoquera la dissolution.
1640, 
La troisième maison de Visitandines, à Sainte-Marie-des-Chaînes.
1654, 
Les Filles pénitentes, dont la Compagnie du Saint-Sacrement prit l’initiative et la charge.
1655, 
Le séminaire de l’Oratoire, dont le premier directeur, le P. François Ruelle, homme de doctrine et de probité, gagna toute la confiance de l’archevêque Camille de Neuville.
1657, 
Les religieuses du Verbe-Incarné, au Gourguillon.
1657, 
Le second monastère de Sainte-Élisabeth, aux Deux-Amants.
1658, 
Les Trinitaires, ou Mathurins, voués au rachat des captifs, et intrépides quêteurs. Plus tard, ils érigèrent une Confrérie du Sacré-Cœur de Jésus très prospère.
1661, 
Le Séminaire Saint-Irénée, confié à la compagnie de Saint-Sulpice, et inauguré par M. Damien d’Hurtevent de sainte mémoire.
1661, 
Les Missionnaires de Saint-Joseph, dont un vicaire général, M. Bedien Morange, se montra le protecteur un peu trop partial.
1659, 
La Propagation de la Foi, où l’on rassemblait, pour les élever dans la foi catholique, des enfants de réformés, dont les parents étaient contraints de se séparer.
1664, 
Le prieuré de Saint-Benoît, démembrement de celui de Blie ; au xviiie siècle, les Essais de Nicole y avaient la préférence sur les sermons de Bourdaloue et les traités du P. Groiset, au vif scandale de Mgr  de Rochebonne.
1665, 
Les Colinettes, troisième monastère du tiers-ordre franciscain de Sainte-Élisabeth, sur la balme de Saint-Clair.
1668, 
Les Lazaristes, qui s’unirent bientôt au groupe de prêtres catéchistes de la paroisse Saint-Michel.
1671, 
Le séminaire de Saint-Charles et des Petites-Écoles : son fondateur M. Démia, promoteur diocésain, fut un des prêtres les plus vertueux dont s’honore le clergé du xviie siècle.
1675, 
Le Bon Pasteur, refuge pour de pauvres filles, arrachées au vice, du moins à ses tentations extérieures.
1702, 
Les Génovéfains remplacent, à la cure et au prieuré de Saint-Irénée, les chanoines sécularisés qui se retirent.
1707, 
Maison de la Providence, ouverte aux enfants indigentes.
1725, 
Les Recluses, maison de correction et de force pour les personnes soustraites au désordre.

Deux compilateurs du xviie siècle, qui ont publié le dénombrement de nos édifices sacrés, en comptaient, l’un 70, en 1627, et l’autre 90, quarante ans après. Si mon addition tombe juste, leur totalité, à la fin de l’ancien régime, dépassait la centaine de quelques unités. Tels avaient été le labeur des hommes et la patience des siècles.

L’effondrement fut aussi rapide que la gestation avait été lente et pénible. Chaque page de ces essais ramènera l’attention sur ces destructions stupides, sur ces pertes irréparables, sur ces souvenirs déshonorants dont nous ne serons jamais consolés. La nation, légalement proclamée propriétaire des biens ecclésiastiques, prétendit en jouir immédiatement, sans frein et sans prévoyance ; la proie annoncée avait éveillé les plus folles cupidités ; la spéculation ne l’épargna guère. Mais si la chute avait été profonde, plus merveilleuse fut l’ascension : au jugement de la postérité, la renaissance catholique du xixe siècle demeurera une des preuves les moins suspectes de la vitalité des croyances et des vertus inspirées par l’amour du Christ. Telle sera la conclusion morale des études qui forment cet ouvrage, si nos intentions sont écoutées. Qu’on me permette même, dans le désir de rendre plus accessible et plus évident cet accord de la logique et des faits, de finir cette préface, en m’arrêtant sur la comparaison générale de ce passé, dont j’ai tracé les grandes lignes, avec le présent que nous devons louer : je demande à signaler par quelles traditions d’idées et d’efforts, jusque dans les manifestations de l’art, interprète du dogme et de la liturgie, le second se soude fortement au premier, en reproduit le meilleur, et en étend les conquêtes.

Les reprises, favorisées par la loi du 18 germinal an X, furent parcimonieuses, tardives, sujettes à de graves embarras et à de lourdes servitudes. Des confiscations immobilières qui avaient été décrétées, pour ne viser que celles-là, il restait fort peu entre les mains du pouvoir : une partie avait été aliénée par des ventes sur lesquelles il était impossible de revenir ; une autre partie avait été remise aux administrations de l’État, soit pour y installer leurs services, soit pour en tirer des loyers ; leurs bureaux résistaient au déplacement ; les églises séculières ou conventuelles, en état d’être immédiatement restituées aux fidèles coûteront beaucoup à approprier, car elles ont subi d’étranges dégradations, transformées tantôt en temples décadaires, tantôt en dépôt de subsistances, d’équipements militaires, en halle au blé, en usines de salpêtre, en écuries, etc. La joie d’y rentrer jeta un voile sur leur navrante nudité ; on les accommoda sommairement, en se réservant de les nettoyer plus tard et de les embellir.

Il fut décidé, de concert avec la préfecture et le conseil archiépiscopal, qu’on diviserait la ville en quinze paroisses ; les unes reprirent les locaux qui leur appartenaient avant 1794 ; des églises de monastères furent attribuées aux autres. Ainsi la Primatiale, Saint-Paul, Saint-Just, Saint-Irénée, Saint-Georges, Saint-Martin d’Ainay, Saint-Nizier, Saint-Pierre des Terreaux, Vaise, la Guillotière rouvrirent comme jadis. Notre-Dame-Saint-Vincent occupa les Grands-Augustins ; Saint-Polycarpe, l’Oratoire ; Saint-Bruno fut placé aux Chartreux ; les Augustins de la Croix-Rousse échurent à Saint-Denis ; les Repenties à Saint-François. Les Cordeliers étaient réservés à Saint-Bonaventure, mais l’édifice menaçait ruine : on l’apercevait dans un tel état de vétusté que le curé, M. Pascal, y renonça ; il demanda la chapelle du collège et l’obtint ; on ne rentra aux Cordeliers qu’en février 1807.

Quelques communautés avaient échappé à la liquidation ; le cardinal Fesch déploya une ardeur inlassable pour solliciter leur retour à son administration ; il ne réussit que pour le grand Séminaire de la Croix-Pâquet. L’empereur lui refusa les Colinettes, la commanderie de Saint-Georges, les Bleus-Célestes, surtout les Jacobins de la place Confort, qu’il convoitait pour les enfants de chœur de sa cathédrale ; cependant, avec le concours de M. Charpieux, maire de l’arrondissement de l’Ouest, il obtint que le Petit Collège fût provisoirement cédé aux Frères de la Doctrine chrétienne, dont il patronnait la reconstitution.

Pendant toute la durée de l’absolutisme impérial, ni les circonstances, ni les vues du gouvernement ne s’accommodèrent de la restauration des ordres anciens et de nouvelles associations séculières, plus spécialement vouées à l’apostolat et à la charité. Il n’y eut d’exception, à Lyon, que pour les frères de Saint-Jean-Baptiste de la Salle et les dames Saint-Charles de l’abbé Démia ; il était urgent de réunir des instituteurs et des institutrices. Les Pères de la Foi tentèrent en vain d’installer un collège ; Fouché en ordonna, trois mois après, la fermeture. Inutilement aussi l’abbé de Rauzan, sur les pressantes instances de l’archevêque, jeta les fondements d’une société de missionnaires : il fut contraint d’y renoncer et de les disperser, après moins de deux années d’expériences, malgré des débuts pleins de promesses. D’humbles filles de Sainte-Thérèse, cinq ou six, âgées, tremblantes, qui avaient traversé, sans se séparer, les plus mauvaises heures du siège et de la Terreur, parvinrent cependant à loger ensemble, à travailler et à prier de concert, maintenant de leur mieux, sauf l’habit, l’unique groupe dont la vie d’obéissance claustrale n’avait, pour ainsi dire, pas eu d’interruption.

Le réveil des vocations, conformes aux conseils évangéliques, fut hâté par les dispositions de la société elle-même, ses tendances et jusqu’à ses goûts. Les progrès de la pédagogie en particulier, l’importance extrême attachée à ce qui touche à l’éducation de l’enfance, aristocratique et ouvrière, contribuèrent, dans des proportions considérables, semble-t-il, à introduire de nouveau, parmi nous, les représentants des familles monastiques disparues, ou bien à leur susciter des imitateurs et des émules, sous des robes non moins variées et dans des cadres plus modernes. La royauté ne nourrit plus contre eux les mêmes défiances que Napoléon ; ses ministres cessèrent d’en prendre ombrage : au moins pour un temps, la liberté acheva de réconcilier leur développement avec l’opinion.

Nos traditions hospitalières ne se démentirent pas : Lyon fut fidèle aux coutumes des plus beaux âges de foi ; ses portes, sa confiance, ses bourses ne furent à peu près fermées à personne de bonne volonté et d’audacieux dévouement. Quatre-vingts ans de trêve religieuse, même intermittente, permirent ainsi à plus de quatre-vingts colonies religieuses, hommes et femmes, d’acquérir leurs droits de cité. On vit Jésuites, Capucins, Dominicains, Carmes-Déchaussés, Lazaristes reprendre la prédication et la direction des consciences ; les Pères Maristes et les Oblats, partager leurs fatigues ; les missionnaires diocésains, ne le céder à aucuns de ces ouvriers apostoliques. Les Frères de la Doctrine chrétienne, les Petits Frères de Marie, les Frères de Saint-Viateur, les Frères du Sacré-Cœur se consacrèrent aux enfants des écoles ; les Frères de Saint-Jean-de-Dieu, aux malheureux fous ; les prêtres de Saint-Camille, aux infirmes, les compagnons du Père Planque aux nègres de l’Afrique. Comment énumérer ensuite les créations féminines ? tout ce qui sortit de ces milliers de cœurs vierges et héroïques, ce qu’ils conçurent, ce qu’ils rêvèrent, ce qu’ils réalisèrent ? Depuis les silencieuses Trappistines de Vaise jusqu’aux sœurs infirmières de nos hôpitaux, des Petites Sœurs des Pauvres et des Petites Sœurs garde-malades de l’Assomption aux maîtresses des pensionnats du Sacré-Cœur, quelle diversité de services, quelle opportune variété, dans une abnégation qui se sacrifie sans cesse aux désirs et aux maux du prochain. Mais, dans cette floraison, où la sève rajeunie combine les parfums d’autrefois aux couleurs éclatantes du jour, je réclame une place d’honneur pour trois noms dignes d’échapper longtemps à l’ingratitude et à l’indifférence. Mme  Garnier, le Père Chevrier, l’abbé Camille Rambaud, en établissant le Calvaire, le Prado et la Cité de l’Enfant Jésus, ont déployé ce que la pitié humaine a de plus tendre et l’amour chrétien de plus délicat.

Contrairement au préjugé, qui dénonce l’encombrement de nos œuvres comme fatal à la richesse publique et qu’on a si habilement exploité, nos concitoyens ne se repentirent pas du geste qui livrait le terrain nécessaire à la culture des âmes et au soulagement des misères physiques. Leur ambition de prolonger leurs boulevards et leurs rues ne se heurta pas à d’invincibles forteresses ; leurs héritages n’allèrent point se perdre dans une improductive main-morte ; les plus réfléchis constatèrent au contraire une marche parallèle ascendante des instituts catholiques et de l’agrandissement de leur périmètre et de leurs affaires. La ville quadrupla de superficie, et, à mesure que des quartiers neufs, élégants ou populeux, se formèrent, naturellement s’accrut aussi le champ du clergé et de ses auxiliaires. Sous le Consulat, quinze paroisses avaient été estimées suffisantes. Lorsque la loi de séparation fut votée en 1905, elles étaient montées au nombre de trente-sept ; la trente-huitième est née hier et deux autres, dit-on, se préparent à éclore. On lira plus loin, étape par étape, station par station, les incidents de cette marche en avant ; on y admirera les élans d’une incomparable générosité. Les millions jetés dans les fondations de Sainte-Blandine, de Saint-Bernard, de l’Immaculée-Conception, de Saint-André, de la Rédemption, de l’Annonciation, dans les marbres et les ors de la basilique de Fourvière, ont payé la Providence de la prospérité de nos industries, de l’extension de notre commerce, de la solidité de notre crédit ; la dette, il est vrai, n’était pas légère ; on conviendra que, pour l’acquitter, le cœur n’a pas été moins libéral que noblement inspiré.

Notre livre est un hommage à la piété, à la sagesse, à la générosité lyonnaise.

À l’heure où il sollicite l’attention, où son apparition dédommagera la patience de nos aimables souscripteurs, sa condition se transforme, il cesse d’être seulement un recueil d’images, de plans, de vues, de notes intéressantes ; on le consultera comme un document contemporain, comme une pièce sincère d’enquête ex professo. Pendant que les imprimeurs le tenaient, la tempête a soufflé une seconde fois, plus furieuse, plus dévastatrice qu’à la promulgation des décrets de 1880 ; nous avons assisté à des départs déchirants ; nous avons gémi sur de cruelles expulsions. L’exode vers la terre étrangère de tant de victimes, qui ne réclamaient d’autre privilège que de ne pas trahir des serments de conscience, a dépeuplé leurs demeures ; hier encore, elles retentissaient du chant de leurs psalmodies, des leçons de leur savoir, d’éloquentes prédications, de bénédictions et d’actions de grâces ; une lourde solitude les accable maintenant : liquidateurs, experts, créanciers, entrepreneurs ont délibéré ; demain les enchères du tribunal, désertées par les honnêtes gens, décideront de leur sort. Les chers exilés reviendront-ils ? La frontière se dressera-t-elle longtemps entre leurs souffrances et nos vœux ? Au moins, en lançant cette publication, nous espérons et nous souhaitons les faire regretter davantage, puisque nous révélerons mieux la grandeur de leurs sacrifices et la singularité de leur détachement. Puisse l’heure du retour et de la justice sonner plus tôt qu’on ne pense dans notre pays, si prompt au repentir, où tôt ou tard le droit et la faiblesse ont leur revanche sur les abus de la force et les inutiles persécutions du fanatisme.

Les églises paroissiales ne sont guère mieux traitées, par nos ministres et par nos Parlementaires, que les chapelles conventuelles. Leur enceinte n’est pas interdite ; mais nous y paraissons comme des occupants passagers, usant de ce qu’elles renferment et de ce que nous y avons apporté, par on ne sait quelle concession transitoire, depuis que toute propriété juridique nous a été enlevée. Cette jouissance, si précaire soit-elle, si révocable qu’on l’interprète, n’en est pas moins une victoire de l’opinion sur des projets, aussi peu dissimulés qu’inavouables, de réduire les catholiques aux abois, leurs finances à la faillite, et leur culte à la nuit des catacombes ; elle affirme une force qui ne se désagrégera pas facilement ; elle suppose des titres plus intangibles que s’ils étaient écrits dans le Code. Pour une fois, la liberté n’a pas été un vain mot, un drapeau qui n’est levé que devant des régiments en déroute. Il nous plaît d’y voir le signe avant-coureur de concessions plus larges, celles des garanties nécessaires à la loyale manifestation de nos croyances et à la conservation prudente de nos monuments.

Fourvière vers 1830
(d’après un dessin du temps).
  1. Il serait peut-être de quelque utilité d’insérer à cette place les noms des divers auteurs, dont les travaux ont servi de modèles au nôtre : des devanciers ont toujours droit à une mention reconnaissante.

    Mais on verra par la bibliographie, qui accompagne chacun des chapitres de cet ouvragé, avec quel soin, quelle délicatesse même, on s’est évertué à n’omettre aucune des sources, dont on avait tiré un filet d’eau, si petit soit-il. Une répétition anticipée de ces titres serait sans intérêt.

    En ce qui concerne les ouvrages généraux, le catalogue de la Bibliothèque Coste et la Bibliographie de l’Histoire de Lyon de M. Charléty fournissent abondamment toutes les indications désirables. Nous nous arrêterons donc, si on l’agrée, à un choix de cinq ou six livres, qui sont loin d’être d’une égale importance, ni de format, ni d’autorité, ni de valeur, mais dont tous contiennent des renseignements contemporains, pris sur place, directement, et qu’on chercherait vainement ailleurs, exposés par des témoins aussi véridiques.

    Le Lugdunum sucro-prophanum de Pierre Bullioud, de la Compagnie de Jésus ; manuscrit dont la bibliothèque de Lyon et celle de Montpellier sont dépositaires. Voir notamment l’Index IX : Institutiones Ecclesiarum collegialium et parochiarum Lugdunensium ; l’Index X : Institutiones Ecclesiarum regularium et conventualium virorum ; l’Index XI : Institutiones monasteriorum virginum.

    Isaac Lefebvre. Nombre des Églises qui sont dans l’enclos et dépendances de la ville de Lyon avec une exacte recherche du temps et par qui elles ont été fondées. Lyon, 1627, in-12.

    Antoine Bougerol. Le triomphe de la manne céleste sur les autels de toutes les églises de la noble et auguste ville de Lyon. Lyon, 1665, in-12.

    André Clapasson, sous le pseudonyme de Rivière de Brinais. Description de la ville de Lyon avec des recherches sur les hommes célèbres qu’elle a produits. Lyon, 1761, in-12.

    L’Almanach de la Ville de Lyon pour l’année 1755 contient une notice générale sur l’état ecclésiastique de la ville et du diocèse, qu’apprécient les gens compétents. Il est reproduit, du reste, avec quelques variantes dans les années suivantes. Encore, l’Almanach spirituel ou reliquaire sacré de 1733.

    Dr  Ozanam. Mémoire statistique, etc., avec une notice des monuments, tableaux, statues, bas-reliefs et autres emblèmes. Lyon, 1829, in-8.

    Le chevalier Joseph Bard. Statistique générale des basiliques et du culte dans la ville de Lyon. Lyon, 1842, in-8.

    Pour finir, voici deux ouvrages dont l’éloge n’est plus à faire :

    Lyon ancien et moderne, par les collaborateurs de la Revue du Lyonnais, sous la direction de Léon Boitel. Lyon, 1843, 2 vol. in-8.

    Les anciens Couvents de Lyon, par M. le chanoine Ad. Vachet. Lyon, 1895, in-4.