Histoire des églises et chapelles de Lyon/La Compassion

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H. Lardanchet (vol. IIp. 131-136).

LA COMPASSION

La naissance du refuge de la Compassion date de 1825, et eut pour berceau l’hospice de l’Antiquaille, où les malheureuses filles victimes de la séduction étaient amenées pour être soignées. Les sœurs hospitalières rencontraient fréquemment parmi ces infortunées des jeunes filles plus malheureuses que coupables. M. Dupuis, frère du côté maternel de M. Laffay, aumônier de l’Antiquaille, prêtre ardent, plein de zèle et de dévouement fut l’instrument dont la Providence se servit pour jeter les fondements de l’œuvre naissante. Cet ecclésiastique était chapelain de la Primatiale et consacrait les instants que les fonctions de son ministère lui laissaient libres à venir exhorter et instruire ces pauvres filles. C’était souvent peine perdue, et pour toucher ces cœurs endurcis, il fallut, en 1825, une scène tragique qu’un mémoire du temps raconte ainsi : « Depuis huit jours la parole de M. Dupuis retentissait sans trouver une âme qui voulût la recevoir, lorsque dans son zèle et sa douleur, celui qui n’avait pu briser ces cœurs endurcis, se prit à briser la croix qu’il tenait en main et dont la rédemption était inutile à ces pécheresses qui la repoussaient et voulaient l’enfer. À cette vue, celle qui était à la tête de toutes par ses scandales, saisit les morceaux épars de la croix, chercha à les réunir et s’écria que Dieu n’aura point souffert en vain ; son exemple fut suivi par plusieurs de ses compagnes qui généreusement se convertirent. »

Chapelle des religieuses de la Compassion, quartier des Minimes.

Il fallut trouver un asile convenable : la charité de M. Dupuis ne se rebuta devant aucun obstacle ; il fit une quête, et réunit la modeste somme de vingt-cinq francs. Plein de foi et de reconnaissance, il se rendit à Fourvière et les déposa aux pieds de la Vierge, refuge des pécheurs. Peu de temps après, celle-ci fît trouver à son serviteur une petite maison à Saint-Irénée ; elle fut louée, et le 14 septembre 1825, on en prit possession. Six jeunes filles y entrèrent et furent confiées à la direction de Mlle Vidot et d’une compagne dont on ignore le nom. On mit l’établissement sous le nom et la protection de sainte Pélagie. Le pauvre ménage fut organisé par les dons de la charité chrétienne ; on monta des métiers à tisser la soie, et la vie des repenties se partagea entre le travail et la prière. Le nombre augmenta, en peu de jours, jusqu’à douze ; mais aussi la discorde souffla parmi elles le trouble, au point que le découragement entra dans l’âme des deux directrices qui déclarèrent à M. Dupuis qu’elles ne pouvaient continuer l’œuvre. Le digne fondateur ne perdit pas courage ; il supporta les peines avec patience et malgré les désapprobations et critiques des administrateurs de l’hospice, de l’aumônier M. Laffay et même de plusieurs personnes de la communauté qui jugeaient l’entreprise téméraire, il demanda et obtint de l’administration deux sœurs capables de former ces nouvelles pénitentes au travail et aux pratiques de la vie chrétienne. Les deux directrices se retirèrent, l’une d’elles entra à l’hospice et se consacra au service des malades. Des personnes considérables de la ville prirent grand intérêt à l’œuvre naissante, et les négociants eux-mêmes firent des avances pour faciliter le travail.

Les deux religieuses se mirent à l’œuvre ; par une charité infatigable, une grande bonté jointe à une prudente fermeté, elles gagnèrent l’esprit de leurs filles, rétablirent l’ordre et la paix ; elles eurent pourtant bien des peines à endurer : souvent l’étoffe tissée était mal faite ou gâtée, et les sœurs passaient quelquefois la nuit à réparer les fautes des pénitentes. En principe le travail devait fournir à la subsistance et à l’entretien de la maison Sainte-Pélagie, mais de fait il était impossible que les ressources du travail de ces jeunes personnes peu accoutumées à une vie régulière, fussent suffisantes. Aussi M. Dupuis et les religieuses, ainsi que plusieurs frères de l’Antiquaille, dévoués à l’œuvre, se firent-ils un devoir d’employer à la quête les jours de repos que le règlement accorde chaque mois. On voyait le digne fondateur, comme un autre saint François Régis, porter à sa famille adoptive, avec la parole de Dieu, tout ce qu’il pouvait trouver dans ses quêtes. Il n’ignorait pas que la pauvreté se faisait sentir à Sainte-Pélagie dans toute sa rigueur, puisque parfois, après le souper du soir, il ne restait pas un morceau de pain pour le déjeuner du lendemain. De plus, les jeunes filles étaient vêtues fort pauvrement : une jupe d’une façon et une taille d’une autre, un tablier de toile bleue, enfin un bonnet d’indienne composaient le costume.

Tant de travaux et de fatigues épuisèrent les forces du saint prêtre, qui tomba gravement malade. Il profita des moments où la souffrance lui laissait plus de liberté d’esprit pour prier M. Laffay de se charger du soin spirituel et du temporel de ces pauvres filles. Celui-ci, malgré ses répugnances, n’osa refuser cette dernière consolation à son frère, il lui promit défaire tout ce qu’il désirait pour la providence, et le digne malade, débarrassé de ce cruel souci, fit avec la plus grande édification le sacrifice de sa vie tout entière consacrée au bien. Huit jours s’étaient à peine écoulés lorsqu’il rendit le dernier soupir. Sa protection se fit pourtant sentir à plusieurs reprises sur la communauté. Voici, par exemple, comment dans une circonstance, le défunt encouragea sœur Bernard ; celle-ci employée au service des malades était une des plus dévouées à l’œuvre naissante, on l’a regardée jusqu’à sa mort comme la mère et la supérieure de la nouvelle providence quoiqu’elle habitât ordinairement à l’hospice. Un jour, entrant dans sa chambre, elle vit le digne prêtre à genoux sur un prie-Dieu. La sœur éprouva un moment de terreur, mais le défunt se tournant vers elle lui dit : » Ma sœur, ne vous découragez jamais. »

M. Laffay, plein de zèle et de dévouement pour l’œuvre de Dieu, ne se bornait pas au soin des âmes ; il voulut aussi, à l’exemple de Notre-Seigneur, contribuer, autant qu’il était en son pouvoir, à procurer les choses nécessaires à l’entretien du corps ; dans ce but, il quêtait, mais était reçu parfois avec mépris et brutalité. De plus, chaque matin et tour à tour, les frères de l’hospice portaient à la providence Sainte-Pélagie un peu de vin et de pain, fruit de leurs quêtes, et cette générosité aidait à la nouvelle maison à subsister. Celle-ci toutefois était mal située, exposée aux cris el au tapage des malfaiteurs ; de plus, le local exigu ne pouvait contenir plus de treize pénitentes ; il fallut donc se pourvoir d’un autre logement. L’œuvre comptait six ou huit mois d’existence, lorsqu’on loua une maison à Saint-Just, rue de Trion ; les pénitentes y furent transférées à la fin de février ou au début de mars 1826.

Mme Bruyset de Sainte-Marie, bienfaitrice de la Compassion.

Le séjour dans ce nouveau local fut de dix-huit mois ou deux ans, et pendant ce temps, le nombre des jeunes pensionnaires monta à quarante. C’est alors que M. Laffay fit connaître à MM. de Verna, de Varax, de Nolhac, et de Sainte-Marie, administrateurs de l’hospice de l’Antiquaille, les progrès de l’œuvre et la nécessité d’un logement plus vaste. Ces messieurs édifiés de la conduite des pénitentes, se firent les premiers bienfaiteurs de cette belle œuvre. Ils accueillirent favorablement la proposition de M. Laffay et arrêtèrent dans l’assemblée administrative de 1828, qu’on louerait une maison au Chemin-Neuf, qu’on y ouvrirait deux ateliers de tissage et un de lingerie ; une chapelle, un réfectoire, des dortoirs, une cuisine ; le tout coûtait 3.800 francs. À cette époque une dame charitable lit un don de 1.200 francs qui servit à l’achat d’un petit clos, séparant la maison de l’hospice ; ce jardin devint une agréable promenade pour les pénitentes. Tout étant disposé, les jeunes filles furent transportées dans le nouvel établissement, qui prit le titre de Providence de l’Antiquaille ; le nombre s’accrut de jour en jour ; l’administration de l’hospice voulut bien se charger de fournir ce qui était nécessaire à l’entretien temporel de la providence, à la condition que l’on déposât, à la fin de chaque mois, le produit du travail des pénitentes dans la caisse de l’hospice, condition qui fut acceptée mais qui imposa bien des sacrifices aux jeunes personnes ainsi qu’aux sœurs chargées du gouvernement de la providence, car lorsque la recette n’égalait pas la dépense, on s’attendait à des reproches. Pour le linge et les vêtements, il fallait chaque semaine donner à l’hospice la note de ce qu’on déposait, afin de recevoir autant d’objets qu’on en rendait. Quant à la nourriture, on recevait le pain et les autres choses nécessaires à la vie, en quantité proportionnée au nombre des personnes, mais si limitée que souvent cela ne suffisait pas au besoin de chacune. La charité des sœurs savait y suppléer en s’imposant des sacrifices et des privations.

L’œuvre était définitivement fondée ; depuis cette époque elle s’est accrue de telle façon qu’aujourd’hui elle compte vingt-deux religieuses de chœur suivant la règle du tiers ordre de Saint-François ; trente-trois sœurs converses ; trente-sept dites sœurs pénitentes, c’est-à-dire provenant de vocations rencontrées parmi les pénitentes. Ce personnel dévoué dirige un nombreux bataillon composé de quarante-deux préservées et de soixante-quatre pénitentes.

Intérieur de la chapelle de la Compassion.

À l’ancienne chapelle intérieure et provisoire, a succédé un bel édifice construit tout récemment par M. Bagneux, architecte. Ce n’était point chose facile que de procurer l’accord parlait de l’architecture avec les nécessités de l’œuvre. Il y a à la Compassion bien des sections nécessaires : religieuses de chœur, converses, sœurs de la pénitence, enfants orphelines et enfants enfermées. L’architecte, s’inspirant des règlements et guidé par les conseils autorisés des supérieurs, a réussi à concilier ces exigences.

La chapelle de la Compassion présente la forme d’un rectangle fort allongé, mais alors que dans les églises ordinaires l’autel se trouve au fond de la nef, ici il est placé au milieu et dans le sens même de la longueur, en sorte que la chapelle est environ trois fois plus large que profonde. Cette disposition a permis de faire, de chaque côté de la porte d’entrée, laquelle s’ouvre vis-à-vis l’autel, deux immenses salles qui occuperaient dans une église la place des petites nefs et où se mettent les différentes sections de la communauté. Ainsi, il n’est personne qui ne puisse voir l’autel à travers cependant la grille en usage dans les communautés cloîtrées.

L’autel majeur est dominé par un groupe en pierre placé dans une niche et représentant le Christ en croix entouré de la Vierge, de sainte Madeleine et de saint Jean. Le chœur est petit et hémisphérique ; on y a placé de chaque côté les statues du Sacré-Cœur et de saint Antoine de Padoue. Dans l’unique nef, se trouve à droite l’autel de la sainte Vierge et à gauche celui dédié à saint Joseph. Huit baies vitrées donnent une abondante lumière et font ressortir l’ornementation simple et de bon goût. Le chemin de la Croix est placé le long du mur, de chaque côté de l’autel principal.

Au fond de la chapelle, s’ouvrent, comme il a été dit, les deux chœurs des religieuses et des filles repenties, séparés par un couloir conduisant directement à la porte de sortie. Ces chœurs sont vastes ; celui des religieuses possède la statue peinte de Notre-Dame de Compassion, et celle de sainte Élisabeth, reine de Hongrie et patronne du tiers ordre de Saint-François auquel sont affiliées les religieuses ; deux reliquaires complètent l’ornementation. Le chœur des Madeleines ou repentantes est orné de la statue de saint François d’Assise.