Histoire des églises et chapelles de Lyon/Picpus

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H. Lardanchet (tome Ip. 239-242).

FRANCISCAINS DE LA GUILLOTIÈRE, DITS PICPUS

On sait que les communautés de prêtres réguliers du Tiers-Ordre franciscain ne furent pas la moindre efflorescence du vigoureux tronc planté par le patriarche d’Assise. Celle qui habita à la Guillotière durant le xviie et le xviiie siècle fit œuvre féconde : elle fut en effet l’ouvrière de la première heure dans cette banlieue devenue le plus populeux de nos quartiers.

La première pièce connue relative à l’histoire du couvent est la lettre de Henri IV, en date de mai 1606, donnant permission aux religieux du Tiers-Ordre de saint François de construire un couvent à la Guillotière, sur l’emplacement que leur ont accordé le duc et la duchesse de Mayenne. Toute topographie exacte du premier établissement fait défaut. Parmi les nombreuses pièces qui confirment, la même année, cette donation, il faut citer les lettres patentes du roi, la permission donnée par Mgr de Bellièvre, archevêque de Lyon, le consentement des habitants à la construction d’un monastère et d’une église, la requête de Claude Faure, procureur fondé des habitants, une pièce enfin en date du 5 septembre 1606, qui indique, sans autre détail, que la fondation commença par une « mazure et un jardin, siz à la Guillotière dépendans de Loyette, dont donation fut faite par Charles de Lorraine et Henriette de Savoye, duc et duchesse de Mayenne, pour y bâtir un couvent, ou autrement. » Cette donation fut appuyée, le 4 janvier 1607, par une lettre des notables du lieu adressée au parlement de Paris, en vue de faire enregistrer les lettres patentes de Sa Majesté et d’ordonner que les religieux jouissent du don à eux fait par le duc et la duchesse de Mayenne. L’arrêt du parlement ne tarda pas ; dès le 24 mai 1607 les lettres royales étaient enregistrées au greffe de la Cour et le 30 juin à celui du présidial et de la sénéchaussée de Lyon. Le 3 juillet enfin l’autorisation du prévôt des marchands s’accrut d’une généreuse proposition : le consulat s’engageait à contribuer à la construction du couvent et à assister les religieux en tout ce qui serait de leur pouvoir et autorité. Le 14 septembre, un procès-verbal signé du greffier Faure atteste le plantement de la croix, pour l’érection du couvent, en présence du prévôt, des échevins, de Mgr d’Halincourt, gouverneur de Lyon, et de M. de Montholon, intendant. Le père Vincent Mussart prêcha, et une messe solennelle fut célébrée sur un autel improvisé en plein air. Mais les formalités n’étaient point encore épuisées. Une dame Clapisson écrivait, le 25 avril 1607, à Mgr de la Guelfe, procureur général à Paris, pour l’assurer que « la place et mazure » étaient dépendants de la baronnie de Loyette en pays de Bresse, et que le roi n’y avait jamais eu aucun droit.

Deux ans plus tard, le 7 novembre 1609, les religieux embarrassés dans plus d’une difficulté, rappelèrent aux échevins rengagement que ceux-ci avaient pris spontanément de les assister « d’œuvres et de charité », et l’honneur qu’ils leur avaient fait de poser la première pierre de leur église dédiée à saint Louis : ils en obtinrent trois cents francs. Ce subside ne leur suffit pas, non plus que les dons minimes reçus de côté et d’autre. Le 21 mars 1611, M. Chalom, vicaire général, leur permit de quêter dans le diocèse, pour construire leur église. Les débuts, on le voit, étaient laborieux. Mais ce furent là d’excellentes garanties d’avenir. Le 24 août 1612, les Pères de la Guillotière, comme les appelait le peuple, avaient surmonté les embarras : ils songeaient à édifier, non plus l’église dont le gros était fait, mais une muraille qui joindrait le chemin allant du pont de la Guillotière à Vienne, au coin de la maison qu’ils avaient acquise de Claude Dagud. Ils placent, de plus, cinq ou six marches en dehors de cette muraille pour mener au futur portail de l’église, portail qui ne pouvait guère différer d’exister dès que le mur et les marches en auraient précisé le besoin. Leur désir se réalisa : l’alignement octroyé par les consuls hâta la construction du mur, lequel amena la chapelle.

Notre-Dame-saint-Louis de la Guillotière.

Cette même année, le 10 septembre, les Tertiaires Franciscains de la Guillotière se réjouirent d’un événement considérable. Le P. Jérôme de Langres, provincial du tiers-ordre régulier, leur donna une partie d’un os du bras de saint Louis roi, patron de leur église, certifiant selon toutes règles canoniques qu’il l’avait tirée de la châsse du saint conservée dans l’abbaye Saint-Denis, par permission expresse de Sa Majesté. Mais ce ne fut qu’en 1617 que Robert Berthelot, évêque de Damas, suffragant de Lyon, consacra l’autel de la chapelle : il y enferma des reliques des saints Irénée, Georges et Laurent, martyrs. Dès lors, les dons de reliques et de pieuses images affluèrent dans l’église privilégiée.

Citons l’attestation datée du 13 janvier 1626, d’A. Belet, chirurgien major de la cavalerie du roi, portant qu’il a fait présent aux Pères Sébastien et François d’un morceau du véritable bois du chêne dans lequel l’image miraculeuse de Notre-Dame de Montaigu a été trouvée ; ce même jour un acte semblable, certifie qu’André Monrouval, commissaire de Sa Majesté, a donné aux religieux une parcelle provenant du chêne sous lequel l’image miraculeuse de Notre-Dame de Foi, au pays de Liège, a été trouvée.

Pendant les xviie et xviiie siècles, on voit les Franciscains acheter des biens, échanger des objets de culte avec d’autres communautés, instituer des cérémonies populaires, se réjouir des faveurs célestes survenues dans leur chapelle. Parfois, dans le registre, se glissent de brèves mentions des événements publics : le 10 novembre 1628, par exemple, les religieux font vœu d’aller en procession à la chapelle Saint-Roch hors l’enceinte de Lyon, d’y offrir deux cierges d’une livre chacun, d’y célébrer les saints mystères, de chanter les litanies tous les jours, une année durant, dans la chapelle de la Sainte-Vierge en leur église, s’il plaît à Dieu de faire cesser le fléau de la peste. Au xviiie siècle, le nombre des religieux s’était augmenté grâce à leur apostolat et leurs ressources. Le recensement visé par les députés au bureau diocésain de Lyon, relève : vingt prêtres, dix jeunes frères clercs étudiants, et dix frères lais ; il évalue les revenus nets à 2.465 livres. En 1746, les Pères Irénée Quetti, gardien, et Régis Roche, procureur, déclaraient la totalité des biens du couvent à Messieurs de la chambre du clergé ; ils jouissaient de rentes rachetées en espèces sonnantes, de revenus rachetés en billets de banque, d’autres enfin subsistants sans altération : le principal des rentes sonnantes montait à 28.683 livres.

La Révolution interrompit l’aisance matérielle et la prospérité spirituelle. Le 7 mai 1790, à huit heures du matin, le maire de la Guillotière se transporta au monastère, en exécution des décrets de l’Assemblée nationale, et sur la réquisition de François Allard, procureur de la commune. Assisté de son secrétaire greffier Louis Vaudrey, il fit comparaître les Frères en personne, « pour leur rendre leur liberté s’ils la voulaient. » Aucun des six profès que renfermait alors la maison ne voulut cette liberté. C’étaient les Pères Alexis Teraillon, appelé en religion Basile, visiteur, âgé d’environ soixante-deux ans ; le P. Bassy, dit frère Adrien, gardien, âgé de cinquante ans ; le P. Joseph Colombat, dit frère Amédée, vicaire, soixante-et-onze ans ; François Salvan, dit frère Athanase, procureur, quarante-et-un ans ; Antoine Ducreux, surnommé Marc Antoine, cinquante-deux ans ; Jacques Delorme, dit frère Norbert, soixante-dix-huit ans. Un frère lai, Jean Bergognon, dit Aman, âgé de soixante-quatorze ans, résista lui aussi à cette offre. Le magistrat municipal commença l’inventaire. Il ne trouva dans la sacristie que neuf chasubles communes, deux croix dont l’une de cuivre, et deux calices d’argent. La bibliothèque, quoique formée de près de cinq mille volumes, n’excita que son dédain, car il n’y avait ni manuscrits, ni livres précieux, ni aucun ouvrage nouveau. C’était là pourtant que travaillait Henri Marchand, dit le Père Grégoire, auteur d’ouvrages géographiques de mérite et de deux globes terrestre et céleste admirés encore aujourd’hui à la bibliothèque de Lyon. La pharmacie sembla mieux garnie au maire, qui se retira après avoir reconnu que la maison contenait des logements pour trente religieux. Deux pères qui étaient en mission revinrent peu après et gardèrent, comme les autres, la clôture tant qu’ils purent, c’est-à-dire jusqu’aux premiers jours de 1792. Ils se dispersèrent alors. Le couvent des Picpus était mort ; il ne ressuscita pas après le Concordat.

Quant à la chapelle des religieux, dont Crepet a laissé un dessin dans sa notice sur la Guillotière, elle n’avait rien de remarquable. Lourde, étriquée, dénuée de justes proportions, conçue dans la manière de la fausse Renaissance du xviie siècle, prétendue classique, elle ne contentait pas plus l’art que la simplicité franciscaine. En 1802, au moment où l’église paroissiale de la Guillotière à laquelle elle devait succéder était démolie, elle se réduisait à quelques pans de mur. Ce qui en a survécu, en constituait sans doute tout son intérêt historique : par exemple cette pierre de refondation ou de continuation qui porte l’inscription suivante surmontée d’un écusson très naïf : « Le Ve d’août, l’on a continué le bâtiment de l’église fondamentée. Cette pierre a été posée par noble Marin Daussenis, bourgeois de Lyon, 1619. »

On prétend que le cloître et la salle capitulaire du couvent, où se tinrent plusieurs chapitres généraux du tiers-ordre régulier, possédaient un certain caractère architectural : c’est ce qu’assurent quelques écrits laissés par les religieux.