Histoire des églises et chapelles de Lyon/Platière

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H. Lardanchet (vol. IIp. 141-152).

NOTRE-DAME DE LA PLATIÈRE

La maison portant le no 7 de la place de La Platière, récemment restaurée, aménagée pour un immeuble de rapport, après avoir abrité pendant de longues années l’hôtel de l’Écu de France, occupe l’emplacement de l’ancienne église Notre-Dame de La Platière. Les historiens lyonnais font remonter les origines de ce sanctuaire à une assez haute antiquité. Il aurait été fondé au ve siècle, par saint Eucher, pour servir de recluserie, sous le vocable de Notre-Dame-des-Bois ou Sainte-Marie-aux-Bois. Il se trouvait alors en dehors de la ville, étagée sur la colline de Fourvière ; plus tard, la ville s’étant étendue, il prit le nom de La Platière à cause de sa situation sur une petite place entourée d’arbres, Platea. Ce lieu est nettement déterminé dans une charte de 1092 : » Dans le faubourg de Lyon, sur la rive gauche de la Saône du côté de l’orient. » Plusieurs annalistes ont assuré que l’édifice primitif avait été reconstruit au commencement du ixe siècle par Leidrat. Cet insigne bienfaiteur de l’église de Lyon, dans sa lettre adressée à Charlemagne, mentionne comme ayant été réédifiées par ses soins les églises Saint-Nizier et Sainte-Marie. Mais aucune preuve ne vient étayer l’identification de cette dernière avec Notre-Dame de La Platière.

Les annales de La Platière restent encore obscures pendant près de deux siècles, jusqu’à l’époque où Gébuin (saint Jubin), archevêque de Lyon de 1077 à 1082, faisait don de l’église et de ses dépendances aux chanoines réguliers de Saint-Ruf. Cet ordre avait pris naissance dans le Comtat-Venaissin. « Mais, dit Nicolas Chorier, le nom de Saint-Ruf qui est son titre, n’est pas celuy de son instituteur, ni un choix qu’il ait fait. Amalde, Odilon, Ponce et Durand, prestres de l’Église d’Avignon, ayant résolu entre eux de mener une vie plus retirée, demandèrent, en 1039, à Benoît, leur évêque, deux églises dont il pouvoit disposer. C’étoient celles de Saint-Just et de Saint-Ruf dans son diocèse et auprès de la Durance. Il les leur accorda, et comme ils se logèrent aux environs de celle-cy, le nom leur en fut donné ; ils furent appelez et ceux qui vinrent après eux les chanoines de Saint-Ruf. Cet ordre s’est répandu en beaucoup de lieux ; sa règle est celle de saint Augustin et tous les membres reconnaissent l’abbaye de Valence pour leur chef Il donna trois papes à la chrétienté : Anastase IV, Adrien IV et Jules II. » (Hist. générale de Dauphiné.)

À la suite d’un différend suscité par les moines de l’Île-Barbe, qui avaient protesté contre l’introduction à Lyon des chanoines de Saint-Ruf, l’archevêque Hugues ratifia, par une charte du 22 juin 1092, la donation à ces religieux, par Gébuin son prédécesseur, de l’église Notre-Dame de La Platière et de ses dépendances, savoir : les églises Saint-André de Corcy, Saint-Marcel, Notre-Dame de La Boisse avec les chapelles de Girieu et de Montluel et l’église Saint-Julien de Condeyssiat. Par sa bulle du 19 septembre 1093, le pape Urbain II leur confirme encore Ecclesiam sancte Marie infra Lagdunensem. Plusieurs de ses successeurs contribuèrent à affermir les chanoines de La Platière dans leurs possessions. Adrien IV, le 7 janvier 1159, confirme la donation faite par Étienne, sire de Villars, de la part qui lui appartenait du port du Rhône, à Lyon, aux chanoines de La Platière ; Lucius III, le 7 novembre 1184, confirme la concession faite, par l’archevêque de Lyon, aux chanoines de La Platière d’un four, d’une place qui s’étendait de leur maison à la Saône et de leur part du port du Rhône ; enfin, le pape Innocent III, le 6 mai 1206, confirme toutes les possessions de l’ordre de Saint-Ruf.

Il est probable que le petit sanctuaire, plusieurs fois remanié, fut reconstruit sur de bien plus vastes proportions, peu après la prise de possession par les chanoines de Saint-Ruf, c’est-à-dire au commencement du xiie siècle. Le grand plan scénographique de Lyon, exécuté vers le milieu du xvie siècle, celui de Simon Maupin, en 1625, nous ont conservé la représentation de l’église de La Platière. C’était un édifice de dimensions moyennes, à une seule nef. Le clocher élevé au-dessus du chœur est à deux étages surmontés d’une flèche quadrangulaire, flanquée aux angles de quatre cornes ; il offre une grande similitude avec celui d’Ainay, construit à la même époque ; mais, si l’on admet l’exactitude des documents indiqués, il est plus élégant, la tour est moins massive, la flèche plus élancée. Le sanctuaire se termine par une petite abside à pans coupés, éclairée de trois fenêtres à plein cintre.

Église et cloître de La Platière (Restitution de M. Rogatien Lenail.)

L’année 1243 fut célèbre dans les fastes de La Platière. Le pape Innocent IV, qui avait été chanoine de Lyon, vint chercher dans cette ville un refuge contre les persécutions de l’empereur Frédéric II. C’est de là qu’il écrivit à tous les prélats, à tous les souverains de la chrétienté pour les inviter au concile qu’il se proposait de tenir à Lyon. Cette assemblée s’ouvrit le 28 juin 1243, dans l’église Saint-Jean, et compte comme le treizième concile général. Outre le pape et les cardinaux, il réunit les patriarches de Constantinople, d’Antioche et d’Aquilée, cent quarante archevêques et évêques, Baudouin empereur de Constantinople, Bérenger comte de Provence, Raymond comte de Toulouse ; d’autres princes et prélats s’y firent représenter par des ambassadeurs. L’empereur Frédéric II y fut excommunié et déposé. Pendant ce concile, disent quelques historiens, les cardinaux parurent pour la première fois avec l’habit de pourpre ; Innocent IV voulant leur rappeler ainsi, qu’ils devaient être toujours prêts à verser leur sang pour l’Église. Le concile s’occupa encore des incursions des Tartares, de la Croisade, de réformes dans l’administration de la justice et, raconte un pieux annaliste, qui a conservé l’anonyme, « l’on y traita de bien des choses de très grande importance, et après plusieurs beaux décrets qu’on y fit, l’on y arrêta, qu’en reconnoissance des faveurs qu’on y avoil reçu par l’entremise de la Très Sainte Vierge, et pour s’attirer toujours davantage sa protection particulière, on ajoûteroit dans toute l’Église, pour une plus grande solemnilé, une Octave à la fête de la Nativité, qui s’y célébroit déjà depuis longtemps. Et comme l’église de La Plattière étoit la seule dans cette ville consacrée à la Sainte Vierge, même dès les premiers siècles, et à la Nativité, elle eut l’honneur d’être choisie pour être la première ou se célèbreroit cette Octave, ce qui se fit pendant huit jours avec toute la piété et la magnificence digne du sujet, et de cette grande assemblée. La tendre dévotion qu’ont toujours eu les Lyonnais envers cette bonne Mère, leur a aussi toujours fait regarder cette première solemnité comme une règle et un décret de ce concile pour les années suivantes ; car, d’année en année, sans avoir jamais discontinué jusqu’à nous, cette Octave s’est célébrée dans cette même église, avec une telle pompe, dévotion et concours de toute la ville, qu’on peut assurer en vérité qu’il n’est pas d’église dans le monde où la Nativité de la très Sainte Vierge soit mieux célébrée. Voilà l’origine de cette dévotion, et comme cette solemnité a commencée. Voici comme elle est devenue Confrérie de Nôtre-Dame de Lorette : Sur la fin de ce même siècle, (?) c’est-à-dire en l’année 1291, la sacrée maison de la Sainte Vierge, où se sont opérez de si grands mystères, et où elle avoit pris naissance, ayant été détachée de ses fondemens, et transportée miraculeusement par les anges, de la ville de Nazareth, sur la petite montagne de Tersacte, en Dalmatie, proche de la mer Adriatique, où elle resta trois ans et trois mois ; et de cet endroit à l’autre côté de la mer en Italie, au milieu d’un bois appartenant à une Dame nommée Lorette, dont cette Sainte maison a retenu le nom ; et puis quelques mois après encore en deux autres lieux fort peu éloignez les uns des autres, au diocèse de Recanaty, et sur les terres du domaine du pape : elle attira d’abord par cet événement et ces changemens si prodigieux, la curiosité, le concours et la dévotion de toutes les provinces voisines ; et les merveilles et les miracles que Dieu y opéroit par l’intercession de la très Sainte Vierge, firent tant de bruit que, les siècles suivans, non seulement le commun des fidèles y accouroit de toutes les parties de la Chrétienté ; mais les empereurs, les rois, les princes et princesses, les personnes les plus distinguées par leur rang et par leurs vertus, les papes mêmes y venoient en personne, avec des présens inestimables, rendre à cette Reine des hommes et des anges leurs plus humbles soumissions et leurs vœux. Celle Dévotion alla si loin que l’on bâtissoit des églises, des chapelles et des oratoires presque par tout, sous le nom de Notre-Dame de Lorette. Ce qui fit prendre le dessein aux Lyonnais de témoigner aussi à la Sainte Vierge, d’une manière plus particulière, leur zèle pour sa sainte maison, en érigeant dans l’église de la Plattière, où ils honoroient déjà si solemnellement son berceau, une chapelle à l’honneur de Notre-Dame de Lorette, où ils pussent se présenter, comme à Lorette même, pour lui rendre leurs respects et leurs vœux, l’y invoquer et l’y visiter, participant ainsi, autant qu’il était en eux, au bonheur de ceux qui y alloient en dévotion. » (La Dévotion ou la Confrérie établie dans l’église de La Platière, Lyon, 1736.)

Il est vraisemblable que les cérémonies mémorables qui se déroulèrent dans l’église de La Platière à l’occasion de l’institution de la fête de l’Octave donnèrent lieu à la création de la confrérie de la Nativité. Quant à l’adjonction du vocable de Lorette, n’est-il pas un peu aventureux de le faire remonter à 1295 ? Il est incontestable que bien avant cette époque il existait à Lorette un sanctuaire dédié à la Nativité, qui était un lieu très fréquenté de pèlerinage. Mais on sait aujourd’hui que la tradition du transport par les anges de la maison de Nazareth, d’abord en Dalmatie, en 1291, et en Italie, en 1295, ne repose que sur une pieuse légende. Elle a pris naissance à la fin du xve siècle, grâce aux écrits d’un certain Pierre di Giorgi Tolomei, de Teramo, dit Terameno, attaché à l’église de Lorette de 1430 à 1473. Animé d’un zèle immodéré, Terameno voulait donner, à l’aide d’un fait surnaturel, une plus grande renommée au sanctuaire auquel il avait consacré son existence. La légende a été authentiquée par des actes pontificaux qui lui ont assuré une longue, quoique superficielle célébrité. Il n’en reste pas moins certain que la confrérie de la Nativité, établie dans l’église de La Platière, honorée d’une bulle du pape Innocent XI, du 4 janvier 1687, est une des plus anciennes de Lyon. Elle s’est perpétuée jusqu’à nos jours, ayant été rétablie en l’église Saint-Louis, lors du Concordat, par un induit du cardinal Caprara, légat en France du pape Pie VII, daté du 28 août 1804. Une ordonnance du cardinal de Donald, du 10 février 1863, transforma le vocable de Saint-Louis en celui de Notre-Dame Saint-Vincent, en souvenir des deux paroisses disparues Notre-Dame de La Platière et Saint- Vincent.

L’octave de la Nativité, depuis le jour où il fut inauguré dans notre petite basilique n’a pas cessé d’être célébré avec une pompe toute particulière au milieu de l’empressement des fidèles. Messire Millet, que nous retrouverons plus loin, raconte ainsi, en termes naïfs, les cérémonies d’une de ces fêtes commémoratives : « L’an mil six cent trente quattre elle huictiesme jour du moys de septembre, la feste de la Nativité Nostre Dame,… le Chappittre des révérendz pères capucins se tenant au couvant du petit Forest appellée par les dis pères maison de noviciat, situé à la montée de la Coste Saint-Sebastien,… le révérend père Gardien de la ditte maison, appelé Rev. père Cyrille, estant deuement adverty de l’ancienne dévotion, laquelle sexerce dans leglise de céans soubs l’intersession de la glorieuze vierge Marie, appelle la Confrérie de Nostre Dame de Lorreytte, cest addressé à révérend père Humbert Louys Dupuget, religieux profes de lordre de St Ruf, soubs la règle de saint Augustin et prieur du prieuré convantuel de céans, en luy remonttrant que, pandant ceste sainte Octave, leur maison estoit fournye des plus fameux prédicateurs de tous leurs ordres… Ce considéré, l’on a treuvé à propos de choysir… huict des plus zélés au service de la ditte Vierge pour faire la dicte fonction… Le texte de Lecture à la ditte prédication a esté faict et deduict par le reverend père George de Langes, gardien de Moullin, sur lescellance et admiration du saint Chandellier d’or pur et fin, duquel traicte Zacharie le prophete en son cap. iv… — Apprès a suivy, le landemain,… le révérend père Emanuel de La Richardy, gardien de Ryon, lequel a traictté… de l’une des sept lamppes du dit chandellier appellée pacifica ; après, le reverand père Lhoreaux de Tyzy, gardien de Beaune, lequel a traicté de la seconde lampe, appelée sanitas ; appres, le revérand père Florentin de Saint-Germain, gardien de Mascon, lequel a traicté de la troyziesme lampe, appellée vita indeficiens ; appres, le revérand père Aggatange de Saulieuf, gardien de Villefranche, lequel a traicté de la quattrième lampe appellée splendor ; appres, le revérand père Jehan Anlhoyne de Romand, gardien de Tornon, lequel a traicté de la cinquiesme lampe appelle seminatrix grattie ; appres, le revérand père Jehan François de Collombier, discret de Cremyeu, lequel a traicté de la sixziesme lampe appellée expultrix malorum : appres, le reverand père Davallon, gardien de Montbrison… lequel a traicté de la septiesme lampe, appellée evectrix sensuum carnatiium ; et le tout avec une si grande piété et devotion, que cela a attiré presque tous les habitans de la ville de Lyon : lesquels ont esté tous si satisfaict, qu’ilz ont souhaitté avec pation qu’il plut à la divine majesté faire naistre, touttes les années, semblables occasions, pour davantage faire paraistre les mérittes de la très immaculée Vierge Marie, contre loppinion fausse et herroné des herectiques calvinisttes : lesquels ont admiré les grandeurs des mérittes de la très saincte Vierge Marie contre leurs proppres sentimentz et oppinion, pour avoir esté auditeurs pandantz toutte la sainte Octave des susnommés predicateurs. »

En 1663, la prédication de l’Octave fut confiée au père Guillaume Raynaud, des Frères Prêcheurs, qui réunit ses sermons en un curieux petit opuscule intitulé : Le livre du Verbe mis au iour dans la naissance de Marie mère de Dieu, expliqué pendant l’Octave de sa Nativité.

Lorsque Lyon, en 1562, tomba aux mains des Protestants, le prieuré et l’église de la Platière n’échappèrent pas au sort commun des établissements religieux. Une supplique, dont le texte nous a été conservé, adressée à « Messeigneurs les Présidens et Conseillers du roy, nostre sire et commissaires députes par icelluy pour la pacification des troubles » par Étienne de Rivoire, chanoine de Lyon et prieur de La Platière, renferme d’intéressantes indications sur le personnel, l’église, les chapelles, les ornements sacrés et sur tout le petit tènement du prieuré. Les religieux et prêtres séculiers attachés à l’église étaient au nombre de dix-huit. « L’église était fort antique, meublée pour le divin service, savoir de plusieurs beaux et riches ornements et parements d’autels, chapes, chasubles, tuniques de drap d’or, toiles d’argent, velours cramoisy, satin cramoisy, velours, tafetas fort riches, amicts, nappes, serviettes, plusieurs calices d’argent valant le tout plus de dix mille livres… Encore le dit prieuré, outre les meubles nécessaires, était meublé de foin, paille, bois, grandissime quantité de vin, blé, tant froment que seigle, avoine, orge, et plusieurs vaisseaux à tenir vin, et cuve et pressoir. » Le prieur, le sacristain et le curé, « avaient chacun une maison à part adjacente à l’église ». Au-devant du prieuré, «(jointe la rue de La Platière y avait une belle chapelle dans le cimetière dédiée en l’honneur et sous le vocable de sainte Marie-Madeleine,… y avait une autre chapelle dédiée à saint Laurent, adjacente le corps de l’église du côté de vent. » Le cimetière clos de hautes murailles était au levant, sur la rue de la Lanterne, et près de la chapelle Saint-Maurice, « y avait une boutique où se tenait un notaire royal où il exerçait son état de laquelle le prieur prenait bon revenu ». Le clocher contenait six cloches. Les Huguenots « ont abattu les cloches du clocher et ycelles emportées. Ils ont rompu et emporté les grandes portes de l’église qui étaient en bois de noyer,… ont abattu la dite chapelle Saint-Laurenl, Sainte-Madeleine et boutiques adjacentes,… ont abattu les maisons des sacristain et curé, ayant mis en place publique les dites maisons ». D’après l’énoncé du chiffre de dix mille livres, somme considérable pour l’époque, le prieuré devait être somptueusement pourvu d’orfèvrerie et d’ornements sacerdotaux.

Les justes revendications du prieur restèrent sans effet. Trente-six ans plus tard, l’office divin n’avait pas encore repris son cours régulier dans l’église dévastée de La Platière. Les paroissiens portèrent leurs doléances devant l’abbé général de l’ordre de Saint-Ruf, Guillaume Manuel. Celui-ci procéda de sa personne à une enquête et à une visite, qui eurent lieu le 28 mai 1598. Sur le grand autel de l’église, on trouva une custode d’argent, que le sacristain dit « avoir par emprunt, n’en sachant au prieur aucune autre ». Il déclare « un seul calice et patène d’estaing, 4 chasubles de diverses couleurs, une autre chasuble et deux tuniques noyres et une chape de satin rouge, un missel à l’usage de Saint-Ruf » et il assure « ne plus rien savoir autre appartenant au prieur ». Le récit de la visite de l’église se poursuit ainsi : « Nous avons visité une chapelle sous le vocable de Notre-Dame-de-Grâce, estant proche et au-dessous du grand autel, lequel nous avons trouvé bien préparé de tapisseries, le devant d’iceluy sans aucuns ornements. — Item, avons visité une autre chapelle estant dans ladite église soubs le vocable de saint Laurent qu’on nous a dictet déclaré être la chapelle de la paroisse de La Platière : l’autel de laquelle avons trouvé tout découvert, sans aucun parements ni napes. — Item, avons visité une autre chapelle soubs le vocable de Notre-Dame-de-Laurette, laquelle avons trouvée bien préparée, tous les ornements de laquelle le sacristain nous a dit appartenir aux confrères d’icelle chapelle. Item, avons visité une autre chapelle intitulée Sainte-Anne que nous avons trouvée en même état que la susdite. »

On voit dans quel dénûment était réduit l’opulent prieuré ; les déprédations touchant les immeubles étaient à l’unisson. Il fallut de longues années pour en effacer les traces. Messire Millet nous racontera comment les religieux s’y employèrent avec une louable constance. Au cours du xviie siècle, l’église paraît avoir retrouvé son éclat. De Bonbourg écrit en 1675 : « À la Platière il y a trois belles chapelles, la première est Nostre-Dame de Lorerte, où il y a un très beau tableau peint par Albert Durer, qui représente la Nativité de la Vierge ; la seconde qui appartient à M. Dupuy, toute peinte par Périé ; la troisième appartient aux maistres moliniers de soye, où il y a un tableau qui représente l’Assomption de Nostre-Dame, peint par Adrien d’Assié. » Clapasson,en 1741, complète ainsi la description de l’église : « Elle est d’une construction fort ancienne, le sanctuaire a été embelli sur le dessein de Blanchet quia peint les cinq tableaux qui s’y voyent ; la famille sainte en figures à demi-corps, dans une chapelle du côté de l’épître, est un bon ouvrage d’Alexandre Varotari, de Vérone. »

Le prieuré et ses dépendances immédiates s’étendaient sur un vaste emplacement, au nord de l’église. Le prieur Humbert-Louis du Puget avait fait construire, en 1633, de forts beaux immeubles rue Lanterne, démolis lors de l’élargissement de cette rue. Les ressources ne devaient point manquer aux chanoines de Saint-Ruf, qui liraient de bons loyers de plusieurs maisons ; il y avait aussi de nombreuses fondations de messes, établies par d’importants personnages inhumés dans l’église et dans le cloître. La famille de Masso, dit M. Emm. Vingtrinier (Lyon de nos Pères), avait fondé la chapelle du Saint-Esprit pour y établir la sépulture de ses membres. Les chapelles de confréries et de corporations étaient richement dotées. Le 21 septembre 1637, le même Louis-Humbert du Puget concédait, moyennant 18 francs de rente annuelle, aux maîtres gantiers et parfumeurs « désirant conserver leur dévotion à sainte Anne, leur patronne, la chapelle ci-devant appelée Saint-Maurice, à présent vide, n’ayant que les murailles ». Par un autre accord du 2 novembre suivant, le prieur s’engage à faire lambrisser la chapelle et à édifier une arcade de pierre à l’entrée (nous avons vu plus haut que l’ex-chapelle Saint-Maurice était hors de l’église) ; de plus « il sera permis de faire mettre les armoiries d’iceux gantiers aux lambris et audit sieur prieur les siennes à la clef de l’arcade en entrant ». La redevance annuelle est alors fixée à 20 livres.

Les cures qui dépendaient autrefois d’un chapitre, d’une abbaye ou d’un prieuré, étaient généralement desservies par des prêtres séculiers aux gages des curés primitifs. Un de ces ecclésiastiques, Pierre Millet, qui remplit les fonctions de curé de La Platière, de 1629 à 1651, en qualité de vicaire perpétuel, nommé par le prieur, a laissé de très curieuses notes sur la vie intérieure du prieuré et de la paroisse pendant une vingtaine d’années. Rédigées sous la forme de journal ou d’éphémérides, écrites au jour le jour sur les registres paroissiaux de La Platière, conservés aux archives municipales de Lyon, elles mentionnent aussi les événements divers qui se passaient dans la ville. Ces notes ont été publiées, en 1888, par la Société des bibliophiles lyonnais ; imprimées à petit nombre, pour les seuls membres de cette compagnie, elles ont presque toute la saveur de l’inédit ; nous y avons puisé largement.

En 1635, le 6 juillet, « Il est arrivé un tourbillon de vens avec une pluy remplie de greslle si effroyable que la moindre ressambloit à un œuf de pigeon » ; le 15 septembre 1639, arrivée de Louis XIII ; 3 octobre 1640, réjouissances pour la naissance du duc d’Anjou ; 12 septembre 1642, supplice de Cinq-Mars et de Thou sur la place des Terreaux ; 5 septembre 1646, pose de la première pierre de l’Hôtel de Ville de Lyon.

Revenons à La Platière : Le 6 juillet 1631, Germain Barro remplace comme sacristain Simon Barbier, décédé la veille, « affligé de la malladie contagieuse ». Le 6 juin 1635, noble Claude Gombet, capitaine au quartier de la Pêcherie « esmu de dévotion et pietté, a faict construire et œdiffier le tabernacle à ses frais et despantz, lequel est posé sur le grand autel de céans… Le premier jour du moys daoust 1635, le couver de la tour du prieuré a esté mis à bas, lequel estait de lauteur presque de quarante pied de Roy, tout de fer blanc ; mais la crainte que l’on a eu d’une ruine totalle du dit couver, a faict que l’on la ressindé et diminué, pour plus grande sûreté, tant de la ditte cour que des deux corps de logis ausquelz scert la dilte tour de montée et dessanlte : le tout au frais et despantz de… messeigneurs Humbert-Louys Dupuget, prieur dudit prieuré. L’an mil six cent quarante et un, le huictième jour du moys de may, veille de l’Assantion de Notre Segnieur, Messire Humbert-Louys Dupuget, religieux de l’ordre de saint Ruff et prieur du prieuré convantuel de Notre Dame de La Plattyere à Lyon, du dit ordre de saint Ruff, a faict mettre et pozer les deux figures a dextre et senestre du crucifix placé sur lantrée et principalle porte du cœur de la ditte église : sçavoir celle de Notre Dame et celle du bien aymé saint Jehan l’Évangeliste et dissiple de Notre Sauveur ; lesquelles figures ont esté eslabourrée et construictte par Me Anthoyne Perrier, très escellant sculpteur, lequel avait desja faict le susallégué crucifix. » Le 20 octobre 1641, le même prieur Louis Dupuget bénit la nouvelle chapelle de Notre-Dame de Lorette « novellement construitte dans l’enclos de la nef de leglise, au lieu et place où estait l’entrée de la grande et principalle portte de laditte église, laquelle chapelle estoit dès longues années érigiée dans la ditte église, et pour aggrendir la nef et pour la commodité des assistants et parrochiens a esté trasporttée dans le lieu susallégué ». Le 3 juin 1643, Claude Combet a fait encore présent d’un « eau-bénitier dargent avec lasperges aussi dargent, le tout pesant la quantitté de quattre mars et six onces dargent, revenant au prix et somme de deux cents et treize livres. » On relève, entre les actes de baptême du 12 et du 14 mai 1644, la notice suivante : « Premier en l’année mil six cent quinze et le sixzième jour du moys dapvril, messire Louys (sic) a commencé à travailler ; et le dexzième du dit il a achevé ces eschaffaulx tant dedans ledit doucher que par dehors, ayant mis par dehors ledit doucher un sercle detine pesant qualtre-vingt livres et avec icelluyila prinsla carrure du sommet du doucher, qui est de deux pieds quattre pouces ; et, le 15 dudit moys, il a pozé la pierre du sommet dudit doucher, laquelle peze 400 : 63 livres, avec un sertain affaneur appelé Claudel Courceu ; et le 16 dudit moys il a pozé la croix, laquelle peze 155 livres ; et le 21 dudit moys il a pozé le poullet, lequel contient en cavité deux posts et demy, mezure de Lyon, et pour plomber laditte croix il a fallu quattre vingt huict livres de plomb ; le tout pour la gloire de nostre créateur. » Le 15 novembre 1644, décès de Louis-Humbert Dupuget, prieur de La Platière « aagé de 59 et tant dannés, lequel a possédé le dit prieuré lespasse de 17 et tant dannés ». « L’an mil six cent quarante neuf et le vinte-quatrième jour dû moys de novembre, par grand accident et malleuheur, toute la veyzelle et argenlerye de leglise de céans a esté voilée et desroubée dans la chambre du sieur sacristain, entre les huict et neuf heures du soir ; sçavoir : une grande croix dargent, donée par feu M. le thresorier Gal' de France Chomel, du prix de 50 escus ou env. ; une aultre petitte croix douée par feu M. le prieur de céans Humbert-Louys Dupugel, du prix de 60 livres ou env. ; un benestié dargent avec lasperges aussj dargent, doné par noble Claude Combel, capitaine du carlier de la Pescherye, du prix de 50 escus ; deux chandelliers dargent du prix de 50 escus les deux… ; un ansanssoir avec la navette et culier d’argent, du prix de 100 livres… ; une coronne dargent du poids de 40 liv. ou env. L’an 1650 le cinquième jour du moys de janvier, entre six et sept heures du soir, le Sr Faure, marchand chappellier résidant à la rue de la Lenterne,… m’eslaut venu appeler pour aller soupper avec M. Nesme bourgeois de Lyon ; par grâce specialle de la divine majesté, lorsque jay esté dessandu de ma chambre, une lenterne en main, à cause de loscurité de la nuict, nous avons Ireuvé à la porte, à la faveur de ma lenterne, le benestié avec lensenssoir dargent, sauf que lencien et lasperges dargent ny sont pas : le tout concassé et enveloppé dans un linge fort salle ; le bon Dieu nous fera la grâce de treuver le reste qui a esté desrobbé a leglise de ceans. » Le 25 mars 1650 eut lieu la bénédiction, par Guillaume de Riverie, prieur de « la chapelle soubs le vocable de Nostre Dame de Pitié construitte et battye dans ceste église de Nostre Dame de la Plattyere, église parrochialle, aux frais et despandz de sieur Jehan-Mathieux Dupuis, italien de nation et a presant bourgeois de ceste ville de Lyon et capitaine lieutenant au cartier de la Pescherye. »

La paroisse de La Platière, à la fin du xviiie siècle, était fort étendue ; elle comprenait le vaste espace circonscrit de nos jours par la place de La Platière au midi ; la rue Lanterne, la rue Terme, la montée de la Grand’ Côte, la grande rue de la Croix-Rousse à l’est ; la rue du Nord et le passage de la Voûte, au nord ; la rue de l’Enfance, la rue Tourette, la côte des Carmélites, la rue du Sergent-Blandan et la Saône, à l’ouest.

À la Révolution, l’église de La Platière fut une des premières fermées au culte. Le 1er octobre 1791, M. Pressavin, officier municipal, à la tête d’une escouade de gardes nationaux, envahit l’église, ordonna à toutes les personnes qui s’y trouvaient de se retirer, procéda à la fermeture et se fit remettre les clefs. Les biens du prieuré furent vendus comme propriété nationale, en trois lots. Le premier qui se composait de l’église, du clocher, des chapelles, des sacristies, du petit cimetière et de la moitié du cloître fut adjugé 75.600 livres ; le deuxième lot fut adjugé 34.000 livres et le troisième 58.400. Le Directoire du district décide, à la demande du trésorier des pauvres incurables de la ci-devant paroisse de La Platière, que l’adjudicataire du troisième lot retiendra 6.457 livres représentant la perte pour la non-jouissance des locaux occupés par l’Œuvre des pauvres ; s’il les expulse, il sera tenu de verser cette somme au trésorier des pauvres (Charléty, Vente des biens nationaux, Lyon, 1906).

De l’église même, il ne subsiste plus rien. On lit à ce propos, dans la Revue du Lyonnais, livraison de février 1869 : « Les dernières traces de l’église de Notre-Dame de La Platière viennent de disparaître par suite de la démolition des restes de l’abside, que l’on pouvait encore apercevoir à l’angle des rues Lanterne et de La Platière ; les amateurs de vieux souvenirs, pendant que l’on mettait à bas ces antiques murailles de forme semi-circulaire, ont pu facilement observer les petites ouvertures à plein cintre rappelant le xie siècle (?) et chargées d’éclairer l’abside. »

Prieuré de La Platière. Clef de voûte de la chapelle Notre-Dame-de-Pitié, aux armes de la famille Dupuis.

Du prieuré et des dépendances, on voit encore une assez jolie tourelle à pans coupés, située à l’angle nord-est de la grande cour d’entrée du n° 8 de la place de La Platière. Si l’on pénètre à l’intérieur des bâtiments, par la maison portant le n° 4 du quai de la Pêcherie, après avoir traversé une cour et une immense salle, on arrive à une petite chapelle, signalée par Saint-Olive en 1868 ; ce n’est plus qu’un entrepôt à l’usage de MM. Loras. L’édicule mesure 3 m. 10, sur 3 m. 90 ; le sol primitif est sensiblement plus bas que celui actuel. Les murs conservent des traces de peintures. Les arêtes de la voûte surbaissée sont ornées de riches torsades en stuc dont les retombées se terminent par des consoles à volutes. La clef de voûte est formée par un écusson surmonté d’un casque à lambrequins et entouré d’un encadrement conforme au moulurage des arêtes. Le blason, encore lisible, reproduit les armes de la famille Dupuis alias Pozzo : d’or, au puits de gueules accosté de deux dragons de sinople, affrontés et regardant dans le puits. Cette chapelle n’est autre que celle fondée par Mathieu Dupuis, et dont Messire Millet a relaté la bénédiction, le 25 mars. 1650. Elle n’était pas dans l’église de La Platière, mais dans le tènement du prieuré, distante de 50 mètres environ du cloître et de l’église, dans la direction du nord-ouest. Jean-Mathieu Dupuis, seigneur de la Sarra, mourut à l’âge de 80 ans, et fut inhumé dans la chapelle Notre-Dame-de-Pitié qu’il avait fondée.

Non loin de là, dans une salle du rez-de-chaussée, on peut admirer une cheminée monumentale de pierre sculptée, qui paraît remonter à l’époque de Henri IV ou de Louis XIII ; elle garde des traces de polychromie et de dorure. La partie supérieure repose sur des cariatides ; les montants de la partie inférieure se composent de pilastres ornementés supportant des consoles de fort relief. Ce ne sont, hélas, que des vestiges relativement modernes ; de cet antique sanctuaire, il ne reste plus que le souvenir des gloires passées bien imparfaitement rappelées dans celle notice.