Histoire des églises et chapelles de Lyon/Religieuses des Sacrés-Cœurs

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H. Lardanchet (vol. IIp. 116-121).

RELIGIEUSES DES SACRÉS-CŒURS, DITES DE LARAJASSE

Il est parfois des problèmes insolubles dans la vie des communautés comme dans celle des individus. Pourquoi, par exemple, la Providence appelle-t-elle à la vie active certaines âmes qui, jusque-là, avaient eu une autre vocation. On en voit un exemple frappant dans la vie de Mme Targe, fondatrice des religieuses des Sacrés-Cœurs. Elle appartint pendant de longues années à la communauté des Dames du Sacré Cœur de Jésus et de Marie, dites de Picpus à Paris. Sous la conduite d’un pauvre curé de campagne, rempli du zèle de Dieu, cette digne personne et ses compagnes n’hésitèrent pas à quitter leur ancienne communauté et la modeste demeure qu’elles occupaient, pour se confier pleinement au directeur de leur âme : de là naquit un nouvel institut qui s’est promptement développé et possède de nos jours écoles et orphelinats.

Ces deux personnes de bien firent connaissance tout à fait par hasard, il vaut mieux dire providentiellement. Mme Targe, supérieure de la communauté du Sacré-Cœur à Saint-Martin-la-Plaine, revenant de Montbrison avec sœur Félicité s’arrêta à la Rey, chez M. Dugas, près de Saint-Galmier ; elles y couchèrent, et le lendemain, en sortirent pour retourner chez elles. M. Dugas leur donna un conducteur pour leur montrer le chemin, qu’elles ne connaissaient pas. Celui-ci, qui n’était pas du pays, les égara, en sorte qu’après avoir fait divers circuits, elles arrivèrent, sans le savoir, à Larajasse, la nuit presque close. Leur premier soin fut d’entrer à l’église pour remercier Dieu ; on y récitait les litanies du Sacré-Cœur, ce qui les remplit de consolation. Elles demandèrent l’hospitalité il M. Ribier, curé de la paroisse, qui les accueillit de son mieux. Mme Targe, confiante dans le digne prêtre, lui fit part des raisons qu’elle avait de quitter Saint-Martin, et M. Ribier, enchanté de faire la connaissance des sœurs, assura qu’il serait heureux d’avoir une communauté du Sacré-Cœur à Larajasse. Quelque temps après, se trouvant à Saint-Martin-la-Plaine, il eut occasion de revoir la digne supérieure, qui lui témoigna son désir de venir se fixer à Larajasse.

Chapelle des religieuses des Sacrés-Cœurs, rue de l’Enfance.

Avant de promettre à la supérieure de la recevoir dans sa paroisse, M. le Curé fit des prières, célébra des messes, et prit conseil de plusieurs prêtres respectables et influents, parmi lesquels M. Besson, curé de Saint-Nizier, M. Linsolas, ancien vicaire général, et M. Peyrat, curé de la Guillotière ; tous furent unanimes à approuver un tel dessein. Il restait pourtant de nombreux obstacles ; M. Ribier demanda à Dieu de rendre insurmontables les circonstances qui semblaient s’opposer à l’établissement des sœurs à Larajasse, si ce n’était pas sa volonté qu’elles y vinssent. Quelle fut sa surprise de voir les obstacles disparaître avec une facilité étonnante, ce qui le remplit de confiance en pensant que la volonté de Dieu se manifestait d’une manière bien marquée. Il fallait surtout obtenir la permission de l’autorité ecclésiastique ; le digne curé s’en ouvrit à M. Rochard, vicaire général, qui agréa la nouvelle communauté et lui donna le nom de Providence du Sacré-Cœur. Enfin, le 4 août 1820, Mme Targe, accompagnée des sœurs Marie, Pélagie et Louise, se rendit à Larajasse et vint occuper une partie du château de M. de Savaron, situé dans le village. Un an après leur arrivée, la supérieure fit connaître à M. le Curé, les propositions qu’on lui faisait d’acheter la maison Néel ; l’acquisition semblait onéreuse, mais elle procurait l’avantage de se trouver au centre du bourg, ce qui serait précieux pour les enfants des écoles ; mais surtout on trouvait par là la facilité d’établir une communication entre la maison et l’église par une galerie aboutissant à une petite tribune, ce qui procurait le moyen d’ériger l’adoration perpétuelle. L’acquisition se fit chez M. Molière, à Saint-Symphorien, le 8 août 1821 ; mais Mme Targe ne devait entrer en jouissance de cette maison que le 8 novembre 1822. Un détail intéressant trouve ici sa place ; la maison Néel avait abrité, pendant la Révolution, des prêtres cachés ou de passage venus pour célébrer les fonctions du culte ; aussi la Providence avait-elle protégé l’immeuble et ses habitants contre les fureurs de l’impiété ; on conçoit combien il était consolant, pour la communauté naissante, d’occuper une maison où le sacrifice divin avait été célébré plusieurs années.

Il ne sera pas sans intérêt de relater ici le nom des religieuses qui formaient le premier noyau de l’institut ; ce sont, les sœurs Gésarine de la Croix, Targe, Louise Granjon, Pélagie Messy, Thérèse Vernay, Arine-Marie Molle, V. Orcel et Euphrasie Néel.

Le bon curé songeait constamment à orner la modeste chapelle de sa communauté ; le 6 janvier 1823, il fit don d’une insigne relique de la vraie croix, ce qui donna lieu à une touchante cérémonie. Après une courte instruction, les sœurs, avec des cierges, précédaient le clergé en chantant ; arrivées dans la chapelle intérieure, M. Ribier déposa la précieuse relique, bénit les sœurs avec la vraie croix : puis on fit l’adoration en baisant respectueusement la relique.

La communauté vivait pauvrement, mais elle se confiait pleinement en la Providence, comptant sur la promesse de celle-ci, de rendre le cent pour un. Un jour, M. Ribier reçut une pièce d’or de vingt-quatre livres pour servir de « pierre fondamentale aux constructions et aux dépenses que les sœurs du Sacré-Cœur étaient obligées de faire pour élever et soutenir leur établissement ». La donatrice priait M. le Curé de « bénir cette pièce de monnaie, de la joindre au pain de bénédiction, qui fut béni lors de l’installation des sœurs dans leur maison, et d’en faire hommage à la sainte Vierge ».

Le 8 novembre de la même année, M. Ribier établit dans la communauté l’adoration perpétuelle. À ce moment, elle se composait de dix-huit religieuses, ce qui indique combien l’institut avait déjà prospéré ; avec ce nombre, il était possible de fonder une œuvre durable. Le digne curé le comprit, et pensa que l’Adoration serait pour les sœurs une source de progrès spirituels.

Peu après, la communauté devait recevoir un singulier encouragement dans la visite de monseigneur l’archevêque. Voici comment s’exprime à ce sujet le journal manuscrit du couvent : « Le 24 juillet 1824, Mgr Jean-Paul Gaston de Pins, archevêque d’Amasie, administrateur apostolique du diocèse de Lyon, ayant fait son entrée solennelle dans la paroisse de Larajasse, a eu la bonté de visiter notre communauté ; Sa Grandeur était accompagnée de MM. Baron et de Linsolas, ses grands vicaires, de MM. Vuillerme, curé de Saint-Nizier, Neyrat, curé de la Guillotière, Ribier, curé de Larajasse, noire supérieur, Colomb, vicaire de Larajasse, Delphin et Goubier, missionnaires, et de plusieurs autres prêtres respectables. En entrant. Monseigneur a donné sa bénédiction à toutes les sœurs, et l’une d’elles s’exprima ainsi : u Guidées par les sages règles que Votre Grandeur a bien voulu approuver, fortifiées par les bénédictions célestes, que votre bonté daignera répandre sur nous, en bénissant notre maison, nous marcherons de vertus en vertus jusqu’à la montagne de Dieu. » Monseigneur, après avoir adressé des paroles de consolation et d’encouragement, promit de venir le lendemain dimanche pour procéder à la bénédiction de la chapelle.

M. Ribier, curé de Larajasse (1762-1826.)

La communauté de Larajasse avait commencé modestement, mais le nombre des religieuses se multipliant, la supérieure songea sérieusement à s’établir à Lyon. Les circonstances allaient bientôt permettre de réaliser ce projet.

En 1845, M. l’abbé Colomb, neveu de M. Ribier, habitait une petite maison, rue de l’Enfance, 61, chez Mlle Maire, personne pieuse, qui le voyant sans abri, après de cruelles épreuves, l’avait retiré chez elle et s’efforçait par des soins affectueux, de lui faire oublier ses peines. Cet ecclésiastique qui avait été vicaire à Larajasse, et avait conservé de bons rapports avec la communauté, sachant que mère Thérèse désirait fonder un établissement à Lyon, lui proposa d’acheter la maison de M. Ducaire, rue de l’Enfance, 69, et d’y installer quelques-unes de ses filles, promettant de les protéger et de leur être utile. La supérieure agréa ce projet, fit l’acquisition de la maison, et y envoya trois religieuses, les sœurs Saint-Benoît, Ephrem et Placide. Celles-ci, par esprit de pauvreté, firent le voyage à pied, et prirent possession de la maison, où tout manquait. M. Colomb et Mlle Maire, pleins de charité, leur fournirent, pendant quelque temps, ce qui est indispensable pour vivre ; ils transformèrent une chambre en oratoire, aujourd’hui lingerie, y placèrent un confessionnal et un autel provisoire, et M. Colomb fut autorisé à être leur aumônier. Dès que mère Thérèse le put, elle envoya du renfort. M. Colomb était si heureux de cette fondation, qu’il proposa de faire disposer à ses frais un oratoire plus spacieux, dans une chambre, devenue maintenant la classe de la Providence. Un autel convenable y fut placé avec statues de la sainte Vierge, de saint Joseph et du Sacré-Cœur ; on mit aussi deux anges à l’entrée du sanctuaire, ceux mêmes que l’on porte à la chapelle à certains jours de fête, et on y établit définitivement l’adoration.

Les choses durèrent ainsi jusqu’en 1860. Pendant cet intervalle, un évêque des Missions Étrangères écrivit à l’abbé Colomb pour lui témoigner le désir de posséder quelques-unes des religieuses dont il était le père spirituel. La proposition fut transmise à mère Thérèse qui n’accepta pas ; une jeune novice, sœur Agnès, à qui M. l’aumônier fit directement la proposition de partir en mission, refusa également.

Sur ces entrefaites, les dames de Nazareth, qui habitaient la maison voisine, la quittèrent pour s’établir à Oullins ; l’immeuble laissé était spacieux, une partie était adjacente à celle que les sœurs du Sacré-Cœur habitaient, et séparée d’elles seulement par-un mur mitoyen. M. Colomb acheta la chapelle, et offrit à ses sœurs la partie des bâtiments la plus proche, à condition qu’elles feraient l’adoration dans la chapelle qui en faisait partie. La condition acceptée, on décida de prendre possession le jour de Noël, par la célébration de la messe de minuit. La veille de ce jour, les sœurs désiraient nettoyer et orner l’oratoire, mais l’exprès envoyé à Oullins, pour demander les clés, se fit attendre longtemps. De l’avis de M. l’aumônier, on se décida à faire un trou dans le mur tout près de la cuisine et de pénétrer dans l’intérieur de la maison par cette ouverture. On dressa promptement un autel provisoire, car les dames de Nazareth avaient emporté le leur, et à minuit tout fut prêt. À dater de ce jour, les sœurs furent installées dans cette chapelle et y firent l’adoration.

Des difficultés allaient pourtant surgir. Quelque temps après, M. Colomb établit la confrérie des Cinq Plaies de Notre-Seigneur, et fonda une association de dames, devenue depuis la congrégation des chanoinesses Saint-Augustin. Elles occupaient les bâtiments des dames de Nazareth, non utilisés par les sœurs du Sacré-Cœur. Ces dernières jouissaient de la chapelle, les premières faisaient leurs exercices dans un appartement situé près du sanctuaire et servant de chœur ; elles avaient en outre une petite tribune pour l’adoration de la nuit. Les choses durèrent ainsi jusqu’en 1870, où les supérieurs firent des démarches à l’archevêché pour obtenir la séparation des deux congrégations. Mère Xavier, qui avait succédé à sœur Thérèse, s’entendit dans ce but avec M. Pupier, curé de Saint-Paul à Lyon, tout dévoué à la communauté des Sacrés-Cœurs, et tous deux s’adressèrent à monseigneur l’archevêque, qui approuva leur projet. Pour loger, il restait les bâtiments, dont mère Thérèse avait fait l’acquisition, mais ils étaient insuffisants ; on fut obligé de faire coucher à la grange les orphelines qu’on avait recueillies l’année précédente ; d’autre part, la modeste salle qui abritait les vingt-cinq religieuses était fort délabrée. Mère Xavier comprit qu’on ne pouvait rester dans cette situation ; de lavis du supérieur, elle se décida à faire réparer les bâtiments qui menaçaient ruine, et à en faire construire de neufs. On commença le 16 août 1870, à bâtir l’écurie et on continua pendant sept ans, avec des alternatives de ressources et de pauvreté ; on acheva de la sorte l’édifice et la chapelle dont il reste à donner une description détaillée.

L’église a été commencée en 1872 et consacrée le 8 juillet 1876, par Mgr Thibaudier, évêque nommé de Soissons. De style gothique, elle comprend une seule nef, une abside de quatre travées et une tribune. Les travées sont divisées par d’élégants arceaux reposant sur des colonnettes. Le maître-autel de pierres blanches, se compose d’une table reposant sur quatre colonnes ; il est décoré d’un bas-relief représentant Notre-Seigneur enseignant, accompagné de deux anges. Au-dessus de l’autel se trouve un retable orné de deux colombes, d’épis et de raisins. La porte du tabernacle simule une muraille. Le chœur est décoré d’une peinture représentant le Christ et de deux statues : saint Joseph et saint Benoît. À l’entrée de la nef on a placé deux autres statues, représentant, l’une, Notre-Dame de Pellevoisin et l’autre saint Benoît.

Le chœur et la nef sont éclairés par des vitraux qui méritent l’attention. Dans le chœur les sujets sont doubles et représentent : sainte Catherine de Sienne et saint François d’Assise ; saint Pierre et saint Paul ; Notre-Seigneur et le Cœur Immaculé de Marie ; saint Joseph et sainte Thérèse ; saint Étienne et saint Amédée. Dans la nef, les huit vitraux sont formés de grisailles.

À gauche et à droite, deux petites chapelles complètent la grande nef, elles sont dédiées, l’une à Notre-Dame de Pellevoisin, l’autre à saint Benoît. Le premier de ces autels est de pierre ; il est décoré au-devant de cinq arcades et au-dessus d’un retable avec anges adorateurs. L’autel du Sacré-Cœur possède une statue sous ce vocable ; il est orné d’un bas-relief représentant également le Sacré-Cœur. Au fond de la nef est construite, comme on l’a dit, une vaste tribune supportée par trois arcs et fermée au-dessous par une grille de pierre sculptée. Il importe de mentionner les boiseries des stalles qui ne sont pas sans intérêt.

À la sacristie, on conserve deux reliquaires contenant des parcelles de la vraie croix et de la couronne d’épines. Un ancien aumônier de la Communauté, M. Renaud, a laissé à la chapelle un calice en or, style du xviie siècle, ainsi qu’un bel ornement rouge, dont on se sert pour les fêtes.