Histoire des églises et chapelles de Lyon/Sœurs de Saint Joseph

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H. Lardanchet (tome Ip. 287-291).

RELIGIEUSES SAINT-JOSEPH

On sait ce que furent sous l’ancien régime les sœurs Saint-Joseph du Puy, la plus chère pensée de saint François de Sales, réalisée par Mgr de Maupas, évêque du Puy, et par le P. Médaille, Jésuite, après que la Visitation se fut décidément renfermée dans le cloître, un peu contre son nom même. Le pieux et aimable évêque de Genève, en effet, en instituant avec Mme  de Chantal une congrégation nouvelle, avait voulu un renouvellement, une continuation de la visite de la Vierge Marie, c’est-à-dire des religieuses visitant les misères humaines et guérissant les ignorances qui en sont la cause ; en un mot il avait conçu le dessein d’unir étroitement les travaux de Marthe à la contemplation de Marie-Madeleine. On comprend qu’il ne se résigna pas sans regret à suivre le conseil de Mgr de Marquemont, archevêque de Lyon, qui l’obligea moralement à mettre en clôture les religieuses de sa nouvelle congrégation. On sait que saint Vincent de Paul réalisa pleinement l’idéal du prélat, par la fondation des Filles de la Charité.

Les sœurs Saint-Joseph du Puy, fondées pour se donner aux soins des malades et à l’éducation des enfants, logèrent d’abord au Puy, chez Lucrère de La Planche, dame de Joux, puis elles s’assemblèrent dans l’hôpital de cette ville, le 15 octobre 1650. Mgr de Maupas les autorisa solennellement par son ordonnance du 10 mars 1651, et les recommanda à ses collègues dans l’épiscopat, puisque, écrivait-il, elles n’ont été établies que pour faire revivre l’esprit de la première institution que le bienheureux François de Sales fit des sœurs de la Visitation Sainte-Marie. Après que Mgr de Maupas eut été transféré à Évreux, son successeur, Mgr Armand de Béthune, ne fut pas un moindre protecteur, un moindre père des filles Saint-Joseph. Il confirma leur institut par décret du 23 septembre 1665. La congrégation, fortifiée par les lettres patentes de Louis XIV, en 1666, s’établit à Saint-Didier et en plusieurs villes et bourgades du Velay ; elle n’avait pas quinze ans d’existence que déjà elle s’étendait au-delà de son diocèse d’origine, dans ceux de Clermont, de Grenoble, d’Embrun, de Gap, de Sisteron, de Viviers, d’Uzès et dans d’autres, tant son institution répondait à un besoin évident.

Appelées à Lyon, les sœurs furent approuvées par François-Paul de Neuville de Villeroy, archevêque de Lyon, le 1er juillet 1729 ; elles s’installèrent dans la maison de Force, dite maison de recluses, où on enfermait, par ordre de police, les mauvaises femmes ; elles aidèrent aux directeurs de la maison, et leur empire sur les âmes dévoyées était tel qu’il n’était pas rare de voir certaines recluses demander à entrer au noviciat et devenir de bonnes religieuses.

Jusqu’à la Révolution, la congrégation se montra fidèle à sa vocation, partageant sans jalousie l’immense champ de son travail avec des compagnes nées dans le même temps : les sœurs séculières de la société Saint-Joseph, établies à Bordeaux en 1638, et les hospitalières Saint-Joseph, fondées à La Flèche en 1642. La congrégation, après les troubles révolutionnaires, renaquit dans les sœurs Saint-Joseph de Lyon qui, à leur tour, devinrent mères des religieuses Saint-Joseph de Belley, de Bordeaux, de Chambéry, d’Amérique. Il ne faut pas les confondre avec les sœurs Saint-Joseph de Cluny, fondées en 1807. Les religieuses de Lyon se formèrent un peu avant cette date, sous les auspices de Mgr Fesch, conseillé par l’abbé Cholleton, alors curé de Saint-Étienne, fondateur et restaurateur discret de congrégations et de sociétés charitables. En 1816, la ville de Lyon fut choisie par l’autorité diocésaine pour être le centre de la congrégation ; le noviciat y fut établi à la même époque. L’institut fut approuvé du gouvernement par décret du 23 mars 1828.

Mère Saint-Jean, née Fontbonne, qui, en 1793, avait confessé la foi, gouverna les religieuses avec une prudence digne d’éloges. Sa sainteté lui mérita d’assister au prompt développement de l’Institut. Ce fut elle qui établit les colonies aujourd’hui indépendantes de Belley, de Bordeaux, de Chambéry et d’Amérique. À Annecy, elle eut le bonheur de voir ses filles logées au berceau même de la Visitation, par un admirable retour que la Providence avait préparé. Lorsqu’elle mourut, dans la maison-mère de Lyon, Dieu lui ménagea une digne héritière en la mère du Sacré-Cœur de Jésus, nommée dans le monde Marguerite-Marie-Virginie Tézenas du Montcel, l’une des familles les plus distinguées et les plus chrétiennes du Forez. Née le 8 décembre 1795, Virginie parut, dès son enfance, prédisposée à sa future vocation. Sa mère avait coutume de la mener avec elle dans les maisons religieuses du pays : elle revenait, de son propre élan à la maison dite de Mi-Carême, que les sœurs Saint-Joseph possédaient à Saint-Étienne. Elle y entra définitivement le 2 novembre 1821. Son excellente éducation, la maturité de sa raison, le charme de son esprit, ses connaissances variées, son habitude de l’autorité, sa familiarité avec les enfants et les pauvres, en un mot, ses qualités et ses vertus la désignaient pour les charges de l’Institut. Dès sa profession, elle fut nommée maîtresse des novices, puis, peu après, supérieure de Mi-Carême qu’elle sauva des dissensions spirituelles et de la ruine matérielle. Enfin on lui imposa la charge d’assistante générale en l’appelant à Lyon. Lorsqu’elle remplaça mère Saint-Jean, supérieure générale, le 16 mai 1839, elle fut élue à l’unanimité moins une voix : « Quoi, une voix contre elle », s’écria une des religieuses ? — « Rassurez-vous, lui répondit-on, c’est la sienne ».

Elle ne trompa pas les espérances qu’on avait mises dans sa ferme douceur, dans sa foi « contagieuse » suivant l’expression de sa digne assistante, sœur Marie-Louise, dans son art consommé de plier ou d’incliner les volontés sans paraître y toucher. Elle s’appliqua à réformer les religieuses autant qu’elle avait pris soin d’instruire jadis les élèves. Elle avait pour maxime singulière que les élèves faisaient autant, sinon plus, pour leurs maîtresses, sans trop le vouloir, que les religieuses faisaient pour leurs pensionnaires. Il n’y eut pas de maison où elle n’introduisit son esprit propre qui était de charité et de pieuse habileté. Et comme une bonne gestion est un succès du spirituel, elle remit en état les établissements qui défaillaient faute de prudence.

La congrégation était riche en établissements ; elle y ajouta encore, en fondant Chambilly, en Saône-et-Loire, Chessy-les-Mines, Morancé, Sain-Bel, Lérigneux, un peu plus tard Limonest et les Ardillats. À Barcelonnette, elle fit construire un hospice pour les vieillards. Elle prêta ses sœurs au grand séminaire d’Ajaccio pour l’administration de l’infirmerie, de la lingerie et de la cuisine, et à l’école des Carmes de Paris pour les mêmes occupations. Mais c’est à Lyon surtout qu’elle se multiplia. Elle fonda, en 1851, dans cette ville, pour laquelle elle éprouvait une légitime prédilection, deux salles d’asile, l’une établie d’abord sur la paroisse Saint-Jean, puis rue Dorée, l’autre rue des Trois-Passages, sur la paroisse Saint-François. La même année, elle organisa une crèche où les religieuses gardent les enfants pour faciliter les mères pauvres travaillant au dehors. Pour suffire à cet heureux accroissement d’œuvres, elle dut agrandir la maison de Lyon, que mère Saint-Jean avait déjà augmentée d’un nouveau corps de logis ; elle acheta dans ce but un clos limitrophe, et lorsqu’on parut lui faire quelques remontrances sur son audace, elle alla de l’avant et n’eut pas à s’en repentir.

Chapelle des religieuses Saint-Joseph aux Chartreux.

En 1853, la Guillotière lui demanda des religieuses pour une salle d’asile, et Saint-Rambert-sur-Loire pour un hôpital, tandis qu’elle fondait, sans la vaine crainte de l’avenir, Magneux, Dompierre, Montbellet, Magnet, enfin un pensionnat à Vernaison. Cependant, elle se plaignait d’une ombre à ce beau tableau ; depuis longtemps, elle souffrait de l’exiguïté et de la pauvreté de la chapelle de la maison-mère. La mort de madame Tézenas l’ayant mise en possession de sa fortune, elle résolut de la consacrer tout entière, s’il le fallait, à cet objet qui lui tenait au cœur : « Je veux la simplicité pour la maison, dit-elle à l’architecte, M. Bresson, mais pour l’habitation de Dieu, il n’y aura rien de trop beau. Le cardinal de Bonald bénit solennellement la première pierre de la nouvelle chapelle, à la fin de 1833. L’édifice et les peintures qui le décorent ne furent achevées qu’après plusieurs années. L’on y célébra la première messe le jour de Noël 1856. C’est un véritable bijou artistique dont on trouvera plus bas la description.

Mère du Sacré-Cœur put prier de longues années encore dans sa chapelle devenue l’idéal qu’elle avait conçu. Après avoir été réélue supérieure générale, comme pour la première fois, c’est-à-dire, unanimement, elle ne cessa de procurer le bien de sa congrégation, et, parla, celui de milliers d’âmes d’enfants. À sa mort, qui survint le 19 mars 1867, on remarqua que, par une faveur particulière, elle était née le jour de l’Immaculée Conception, et qu’elle décéda le jour de Saint-Joseph.

D’après une statistique datant de 1893, le nombre des religieuses de la congrégation était de 3.000. On estimait à 38.000 le nombre des enfants qui fréquentaient les écoles dirigées par les sœurs. L’institut possédait 366 établissements répartis dans les diocèses ci-après : Lyon, Autun, Ajaccio, Grenoble, Montpellier, Moulins, Tours, Valence, Digne, Limoges, Dijon, Nîmes, Carcassonne, Poitiers, Luçon, Angers, Amiens et dans l’Asie-Mineure : Adana, Césarée, Sivas. En 1891, répondant à l’appel du Révérend Père provincial de la Compagnie de Jésus, la supérieure générale a accepté la fondation de trois établissements dans les missions de l’Asie-Mineure, et déjà plus de 500 élèves fréquentent les écoles dirigées par les sœurs.

La chapelle des religieuses Saint-Joseph est de style roman. Dès qu’on y pénètre, on est frappé par l’heureuse disposition adoptée par l’architecte. L’espace disponible était relativement restreint, et la communauté fort nombreuse : aussi a-t-on décidé et réalisé la construction de vastes tribunes, les plus vastes peut-être des églises lyonnaises. L’architecte a, pour ce motif, été obligé de surélever la hauteur des voûtes, ce qui donne à l’intérieur de l’édifice un aspect de grandeur peu commun. Les tribunes sont soutenues par de belles colonnes suffisamment espacées pour ne pas masquer la vue d’ensemble.

Le chœur surtout est remarquable par la pureté de la ligne et les richesses dont on l’a revêtu. Les peintures dont on l’a orné sont l’œuvre de l’artiste Sublet et méritent une description détaillée.

Trois plans superposés partagent l’abside. Sur le premier, d’un mètre et demi de hauteur, sont peints neuf tableaux richement encadrés. Au centre, celui de la Nativité, où l’on remarque l’expression touchante du bœuf et de l’âne réchauffant de leur souffle l’Enfant-Dieu, et l’astre miraculeux qui projette des flots de lumière sur la crèche, à travers un groupe de quatre anges adorateurs ; à droite et à gauche, saint Pothin et saint Irénée, debout, ornés de leurs vêtements épiscopaux : le premier porte une croix et un tableau de la Vierge avec l’Enfant-Jésus, le second tient d’une main un livre et de l’autre la palme du martyre. Plus loin, à gauche, saint Joseph éveillé par un messager céleste et, en regard, à droite, la Fuite en Égypte. Suivent immédiatement, des deux côtés, saint François de Sales, second patron de la congrégation, et sainte Thérèse, modèle des religieuses. Le second plan, haut de soixante-dix centimètres n’est, à proprement parler, qu’une frise. La ville de Jérusalem peinte à gauche, la ville de Rome à droite, représentent l’ancienne et la nouvelle loi ; de chacune des deux cités symboliques sortent six agneaux allant se réunir, dans le centre, au Divin Agneau immolé, dont la tête auréolée est surmontée d’une croix et qui porte au cœur une blessure d’où jaillit un ruisseau de sang vermeil, le fleuve de la vie rédemptrice. Le troisième plan occupe plus des deux tiers de l’abside. Tandis que sur les autres, les personnages sont inférieurs à la grandeur naturelle, ici ils la dépassent. Au centre, paraît le Christ plein de mansuétude ; au-dessus, le Père Éternel étend majestueusement les mains. Entre le Père et le Fils, au sommet de la croix, plane et repose l’Esprit-Saint. Une auréole elliptique de séraphins aux ailes de feu, environne les trois personnes de la Sainte-Trinité. Au pied de la croix se tiennent, à droite la Sainte Vierge et sainte Madeleine, à gauche saint Jean et Marie Salomé. La hauteur de ces personnages atteint les genoux du Sauveur et coupe l’auréole séraphique. Plus haut encore, sur les bras du Christ s’avancent, rompant également l’auréole, deux anges aux ailes déployées, aux tuniques flottantes, les yeux baignés de larmes et portant chacun un calice d’or, où ils recueillent l’un le sang et l’autre l’eau sortis du flanc divin. Près du calvaire, à droite, entre deux palmiers, l’on voit le groupe des personnages qui furent les causes ou les précurseurs des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption : Adam et Eve à genoux, dans l’attitude de coupables repentants ; devant eux saint Jean-Baptiste montrant l’Agneau de Dieu. À gauche, dans un antre groupe, entouré aussi de palmiers, se trouvent Abel, un genou en terre, tenant dans ses bras un agneau égorgé ; Abraham agenouillé, armé du glaive étincelant avec lequel il s’apprête à immoler Isaac que figure un second agneau ; Melchisédech offrant le pain et le vin d’une vigne au vert feuillage qui entrelace gracieusement de ses pampres les branches des palmiers.

Les deux plans du tympan supérieur représentent : le premier, les quatre évangélistes avec leurs attributs ; le second, la sainte Famille dans la gloire, environnée du cercle symbolique de l’éternité, et assis sur des trônes d’une éclatante blancheur au milieu d’esprits célestes.

Les fresques des chapelles latérales ont pour sujets l’Annonciation et la Mort de saint Joseph. Ces chapelles sont dédiées l’une à la sainte Vierge, l’autre à saint Joseph. Elles possèdent des autels de marbre blanc et les fresques sont l’œuvre d’un bon élève de Sublet.