Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-Alban (Saint-Jean)
SAINT-ALBAN
Malgré ses lignes rudimentaires, la vue que nous reproduisons ci-contre et qui est empruntée au plan de Simon Maupin, permet de reconnaître assez bien les grandes lignes du tènement où s’élevait l’église Saint-Alban. Ce tènement, situé au nord du cloître de Saint-Jean, en était séparé par le chemin qui, de la Saône, ou plus exactement de la maison de Savoie, conduisait à la Porte-Froc et à la rue de la Bombarde. Une autre rue le séparait lui-même, au nord, de la maison de Roanne, siège de la sénéchaussée depuis l’année 1435.
Orientée du levant au couchant, conformément aux règles liturgiques, sa nef unique, son abside semi-circulaire voûtée en coquille, à laquelle ont été adjointes postérieurement deux petites chapelles, assignent à Saint-Alban une origine fort ancienne ; de même le portail à plein cintre, qui s’ouvre à l’ouest, construit « en pierre de taille gothique ». Au nord un petit bâtiment sert de sacristie, épaulant un clocher pentagonal. En avant de la façade est le cimetière, où on inhumait encore au xviie siècle. Enfin, au midi, les dépendances formaient un petit cloître et servaient d’habitation.
L’intérieur de l’église, fort simple, comprenait une seule nef voûtée en arête et trois chapelles placées sous les vocables de la Sainte Vierge, saint André et sainte Catherine. Les dimensions en étaient de 03 pieds, 7 pouces de longueur et 16 pieds, 8 pouces de largeur.
L’histoire commence pour elle avec la donation qui en fut faite en 1137 ou 1138 par Pierre, archevêque de Lyon, à Odon Ier, abbé de Saint-Claude, sous le servis d’un cens annuel de 10 sols, monnaie de Lyon, donation confirmée successivement par Innocent III, le 24 avril 1138, par Lucius II, le 17 avril 1144 et par Eugène III le 9 février 1146. Immédiatement les religieux érigèrent en prieuré l’église et le tènement qui l’entourait.
Cette mutation ne devait point du reste tarir l’intérêt porté à Saint-Alban par le clergé lyonnais, et, au siècle suivant, on trouve au nombre de ses bienfaiteurs, Étienne, chapelain d’Anse, Durand Thimotée, prêtre, Bérard d’Acre, panetier de l’Église, et un doyen du Chapitre, Hugues de Pizay. On n’est point étonné dès lors de rencontrer, parmi les titulaires du prieuré, des membres du Chapitre de Lyon : Guillaume Raymond de Meauvoisin, sacristain de Lyon, qui le 9 mars 1311, avait succédé à son oncle, Guillaume, cardinal piètre du titre de Sainte-Pudentienne, et eut lui-même pour successeur, le 1er mars 1317, un autre cardinal, Bertrand de Monfavend, aussi chanoine de Lyon. Les revenus du prieuré étaient modestes ; ils « consistaient presque uniquement en quelques droits censuels à percevoir sur le vignoble de Fourvière, et en fondations pieuses faites dans les chapelles intérieures ». Les religieux de Saint-Claude n’y avaient guère d’autre intérêt que celui de trouver un logement dans ses bâtiments lorsqu’ils passaient à Lyon. Aussi, au commencement du xvie siècle, leur abbé Jean-Louis de Savoie céda le tènement tout entier, au titre d’emphytéose, à Claude d’Avrillat, docteur en droit : la cession était faite sous le servis du cens dû à l’archevêché de Lyon et la réserve que l’abbé et ses frères conserveraient le droit de loger au prieuré.
Falcon d’Avrillat, président au parlement du Dauphiné, eut, après son père, la jouissance de Saint-Alban ; à son décès, en 1534, elle passa à sa fille, Méraude d’Avrillat, mariée à Laurent Rabot, conseiller au même parlement. Ce dernier obtint, le 15 mars 1534, de l’abbé Pierre de la Baume, confirmation de la cession faite à l’aïeul de sa femme.
Malgré la donation de Saint-Alban aux religieux de Saint-Claude, cette église avait continué à servir, en certaines circonstances, au clergé de la cathédrale. Le Chapitre lui-même s’y rendait chaque année, au jour de la fête patronale, et y célébrait l’office divin. En outre, durant la semaine sainte, les custodes de Sainte-Croix venaient y psalmodier les Ténèbres, usage qui persista jusqu’en 1454. Lorsque, à la suite d’aliénation des bâtiments à un laïque, le prieuré disparut, ce furent ces mêmes custodes qui eurent l’administration générale de l’église et de son cimetière.
Ce sont eux qui, le 24 janvier 1543, exposent aux chanoines de Lyon que noble Louis du Peyrat, lieutenant royal, ne pouvant « entrer et sortir de sa maison qu’avec beaucoup de difficultés, à cause du débordement de la Saône », leur a demandé l’autorisation d’établir un pont de bois entre sa dite maison et le cimetière de Saint-Alban, autorisation qu’ils lui ont accordée, sous réserve de l’approbation du Chapitre que celui-ci accorde.
Ce sont eux qui obtiennent, le 17 février 1548, le patronage de deux messes par semaine fondées à Saint-Alban par Benoît Descotes, prêtre habitué de l’église.
Lors de l’occupation de la ville par les protestants, ceux-ci, allant prendre possession du cloître de Saint-Jean, devaient fatalement rencontrer devant eux la petite église de Saint-Alban ; ils s’en emparèrent et y commirent de nombreuses et graves déprédations. La réparation de ces dégâts exigeait une somme importante, et cette considération décida les religieux de Saint-Claude à renoncer définitivement à leur bénéfice. Le 14 septembre 1574, leur abbé, Marc de Rye, vendit le prieuré à Néry de Tourvéon, lieutenant général civil et criminel en la sénéchaussée de Lyon, et à Catherine de Chaponay, son épouse : depuis cinq ans déjà, Tourvéon en avait la jouissance, y ayant été subrogé en 1569 par Laurent Rabot.
À cette époque les custodes de Sainte-Croix utilisaient Saint-Alban presque exclusivement pour l’enseignement du catéchisme aux enfants du quartier. De loin en loin cependant une sépulture avait encore lieu dans son cimetière. Mais c’était surtout le voisinage immédiat de la maison de Roanne, siège de la sénéchaussée, qui valait à l’église de voir son enceinte s’emplir à certains jours. Du fait de ce voisinage, « Messieurs de la justice » s’étaient en effet accoutumés à la considérer comme la leur et à en user comme telle. Chaque année, après la Saint-Martin, à l’ouverture des cours, les membres de la sénéchaussée et du siège présidial s’y rendaient en corps, accompagnés des avocats et procureurs ; ils assistaient à la messe du Saint-Esprit, après laquelle ils procédaient à la prestation du serment.
Chaque année aussi, le 19 mai, fête de Saint-Yves, les conseillers du roi, notaires en la ville de Lyon, célébraient à Saint-Alban leur fête patronale. Tout membre de la communauté était tenu de fermer son étude ce jour-là et d’assister à la messe, sous peine d’amende. En outre, le dimanche qui suivait le décès de l’un d’eux, une messe était célébrée dans la même chapelle à l’intention du défunt.
Enfin Saint-Alban était le siège de la confrérie de Saint-Nicolas, dite vulgairement du Palais ou de la Basoche, instituée par la communauté des procureurs, qui y faisait célébrer la messe tous les dimanches. Les derniers jours de mai ou les premiers de juin, la procession de la Basoche se déroulait, partant de Saint-Alban, passant « devant la grande église, par la brèche Saint-Jean au Change, par la Juiverie, devant Saint-Paul, au puis de la Sail en rue de Flandres » et rentrant par la rue Saint-Jean. À son retour une grand’messe était chantée à laquelle assistaient Messieurs de la justice et Messieurs de la Ville. Le chroniqueur qui a noté ces détails dans les registres de Sainte-Croix a soin d’ajouter que la messe n’était point suivie d’un sermon. Pouvait-il en être autrement pour les enfants de la Basoche, condamnés par profession aux interminables auditions ?
Les entreprises d’un chapelain perpétuel de la grande église, chargé du service religieux de la confrérie, suscitèrent, au milieu du xviie siècle, les protestations des custodes de Sainte-Croix. Tenant de Messieurs de la justice la clé de la chapelle, Pierre Crespé n’avait point tardé à la considérer comme son fief. Non content d’en conserver la clé et d’en refuser l’entrée aux vicaires de Sainte-Croix et autres prêtres qui voulaient y célébrer, il avait organisé un véritable service paroissial. Tous les soirs, la cloche de Saint-Alban était mise en branle et les fidèles assemblés chantaient des hymnes. Les samedis, Crespé confessait, puis il donnait la communion et faisait « une infinité de choses qui ne peuvent être faites que par les seuls curés ou leurs vicaires » ; souvent il laissait le saint Sacrement exposé sur l’autel.
Le différend avait été porté devant le Chapitre et, une première fois, le 8 mars 1636, défense faite à Crespé « de confesser, communier, sonner la cloche et chanter des hymnes en ladite chapelle ». Il n’en avait guère tenu compte, et, le 8 novembre 1638, après l’avoir mandé et entendu, les chanoines prononçaient à nouveau (pi il lui était interdit de confesser et administrer les sacrements sans l’autorisation du curé. Il devait, en outre, remettre la clé pour qu’une seconde en fût faite à l’usage des custodes et de leurs vicaires. Comme sanction, le livreur de Saint-Jean eut ordre de ne lui délivrer ses distributions ordinaires que lorsqu’il aurait obéi.
Les Tourvéon conservèrent le tènement de Saint-Alban un peu plus d’un demi-siècle. Le 23 avril 1638, Jeanne Girard, veuve de Charles de Tourvéon, le vendit à Pierre de Sève, qui fît raser les bâtiments et édifier l’hôtel auquel il donna le nom de sa seigneurie de Fléchère.
Toutefois l’église fut conservée. Ce fut seulement le 24 décembre 1753 que le Chapitre donna à Étienne-Horace-Gabriel de Sève autorisation de la faire démolir.
Cette détermination n’avait été prise qu’en suite de l’étal des constructions et sur les conclusions d’un rapport dressé par les sieurs Rosset et Fauconnet, experts-architectes, rapport auquel ceux-ci avaient eu soin de joindre un devis des travaux nécessaires pour la conservation de la chapelle. Le 23 janvier 1754, Sève présenta au cardinal de Tencin, archevêque, une requête aux fins d’avoir de sa part la même autorisation de démolir ; à la suite, et en vertu d’un mandat en date du 28, François-Alexandre de Boffin de Pusigneux, vicaire général, dressa, le 10 du même mois, un procès-verbal constatant l’état d’extrême vétusté de l’église, puis, le 27 mars, l’archevêque rendit une ordonnance stipulant que le service religieux serait transféré à Sainte-Croix et que l’antique chapelle pourrait être détruite. Deux conditions y étaient mises : les vases sacrés, reliquaires et fondations devaient, sans aucune réserve, être transportés à Sainte-Croix ; en outre le cimetière devait être défoncé jusqu’à trois pieds de profondeur et les ossements exhumés déposés dans le cimetière paroissial.
Pourquoi ce respect pour les dépouilles des défunts ne s’est-il pas perpétué jusqu’à nos jours ?
À cette histoire de Saint-Alban doit être rattachée celle de l’aumônerie de la prison voisine dite de Roanne, et dont l’abbé Perrin fut la plus belle illustration. Le souvenir de ce dernier reste encore, après soixante ans, présent à la mémoire de beaucoup de Lyonnais, et sans doute est-ce ici le lieu de le rappeler en quelques mots.
André Perrin naquit à Feurs le 29 juillet 1753. Ses premières années se « passèrent au milieu d’une famille chrétienne, qui lui inspira de bonne heure la pensée d’entrer dans les ordres. Après avoir terminé ses études au séminaire de Saint-Charles, qui dépendait de la paroisse de Saint-Nizier de Lyon, il fut nommé vicaire de Feurs, et remplit pendant quatorze ans ses fonctions pastorales avec le dévoûment et l’abnégation qui furent la règle de sa vie ». Quand la Révolution voulut exiger de lui le serment de la Constitution civile, il refusa de le prêter. La conséquence de ce refus, c’était l’exil, et le digne prêtre s’y résigna. Il se mit en route vers la fin de septembre 1792, non sans se retourner plusieurs fois, vers sa famille et ses chers paroissiens.
Arrivé à Lyon, l’abbé Perrin y obtint, par l’entremise de son frère, un passeport pour la Suisse, sous le nom de Rimper, anagramme de son nom véritable, et il se disposa à gagner la frontière en se faisant passer pour voyageur de commerce. À travers des dangers sans nombre, il atteignit la frontière de Savoie où il faillit être reconnu fâcheusement pendant la visite des passeports à la douane du Pont de Beauvoisin.
Après Thermidor, l’abbé Perrin revint en France, mais il dut, comme tant d’autres prêtres, se cacher pour son ministère, qu’il accomplissait tantôt dans une maison, et tantôt dans une autre. « Un jour qu’il disait la messe dans la chambre d’un boulanger du faubourg de Vaize, nommé Olésat, un homme de la municipalité, en conséquence d’une dénonciation portée contre le vertueux prêtre, lui intima l’ordre de le suivre à la commune ; mais à peine y était-il arrivé qu’un autre municipal, nommé Prost, lui dit à voix basse : « Sortez, on ne vous voit pas, on arrangera le reste. » L’abbé Perrin fut de nouveau réduit à se cacher : retiré au faubourg Saint-Just, il y continua secrètement l’exercice de son ministère, et se vit encore plusieurs fois sur le point d’être arrêté. Après le Concordat « il fut d’abord attaché à l’église Saint-Jean en qualité de chapelain, mais, bientôt après, M. Claudin, son ami, curé de cette métropole, et qui avait deviné l’apôtre futur, le fit nommer aumônier de la prison de Roanne ».
Là, il se trouvait dans le milieu qu’il avait souhaité. Le dimanche, raconte un de ses biographes, « il dit la messe à ses prisonniers ; tous y assistent avec recueillement ; et l’ascendant de cet homme de bien sur les natures les plus perverties est tel, qu’ils feignent, au moins devant lui, les sentiments qu’il voudrait faire germer dans leurs cœurs. Après la messe, l’abbé Perrin leur fait une espèce de prône, peu long, peu brillant, car ce n’est point un orateur que l’abbé Perrin ; mais les paroles, chez lui, partent du cœur pour arriver au cœur. Les cérémonies religieuses terminées, il distribue à ses pensionnaires les effets d’habillement qu’il a pu se procurer, car s’il ne demande rien pour lui, il ne craint pas de demander pour ses enfants, et il arrive à Roanne chargé de souliers, de pantalons, de vestes, et d’autres vêtements également nécessaires dont il fait la distribution ».
Il se gardait bien de négliger les besoins moraux de ses prisonniers. Il avait fait établir à ses frais « dans chaque classe de détenus, c’est-à-dire dans le bâtiment des hommes et dans celui des femmes, deux bibliothèques composées chacune d’une centaine de volumes ». Tant de soins trouvaient d’ailleurs un écho dans l’âme de ces malheureux. Un jour dans l’année ils réunissaient le peu d’argent qu’ils avaient pu économiser aux dépens de leur appétit, et achetaient des fleurs ; c’était la Saint-André, fête de l’abbé Perrin.
Pour donner une idée de l’affection dont il était entouré, et du dévouement qu’il apportait à ses fonctions, il suffira de rapporter l’anecdote suivante bien suggestive. « Un jour, qu’on guillotinait sur la place des Minimes, l’abbé Perrin accompagnait un malheureux condamné à mort pour assassinat. Arrivé au pied de l’échafaud, le patient le pria d’y monter avec lui, et, voulant accomplir ce dernier vœu d’un mourant, l’abbé Perrin monta ; mais n’ayant pas vu la fatale bascule qui attendait béante le corps du supplicié, il y glissa et se fit une blessure grave. Remonté sur les fatales planches par l’exécuteur lui-même, qu’il appela à son aide, l’abbé Perrin, oubliant son mal, continua ses saintes exhortations au patient qui, se tournant avec intérêt vers lui, lui dit : « Vous vous êtes fait mal, Monsieur Perrin, et c’est pour moi ! — Ne songe pas à moi, mon enfant, lui répondit le digne prêtre, songe à Dieu devant qui tu vas paraître ». Et il lui donna le dernier baiser d’adieu. L’abbé Perrin se rappela toujours ce mot si étrange du condamné qui oubliait que sa tête allait tomber pour s’apitoyer sur la blessure dont il était la cause involontaire. Le bon abbé Perrin mourut le 4 mars 1844, et les regrets unanimes l’accompagnèrent à ce point qu’il circula presque aussitôt toute une imagerie populaire représentant le portrait du héros et les principaux traits de sa vie.