Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-Denis-de-la-Croix-Rousse

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H. Lardanchet (tome Ip. 50-55).

SAINT-DENIS-LA-CROIX-ROUSSE

Avant la Révolution, la Croix-Rousse, qui relevait de la seigneurie de Cuire, ne constituait pas une unité paroissiale. Son territoire dépendait, par portions inégales, des paroisses Saint-Pierre et Saint-Saturnin, Notre-Dame de la Platière et Saint-Vincent. Placées au bas du coteau et dans l’enceinte de la ville, ces églises se trouvaient non seulement éloignées, mais encore d’un accès pénible pour les habitants du plateau. À ces difficultés inhérentes à la situation du faubourg, s’ajoutait un obstacle particulier à la ligne des remparts établis à la fin du xvie siècle et qui ne devaient disparaître qu’à notre époque : à savoir la fermeture des portes qui, s’opérant chaque soir au coucher du soleil, rendait impossible, pendant la durée de la nuit, l’administration des sacrements aux malades et aux moribonds.

Cet état de choses, douloureux aux sentiments de foi de la population, prit fin par la fondation, à la Croix-Rousse, en 1624, d’un couvent d’Augustins-Déchaussés. L’installation de ces religieux n’alla pas d’abord sans rencontrer de nombreuses difficultés. Ce ne fut qu’après de longues négociations qu’ils parvinrent à obtenir le droit de quêter dans la ville, sans lequel leurs efforts demeuraient voués à l’impuissance. Grâce enfin à l’appui de l’archevêque, en considération surtout de l’absence des secours religieux dont souffrait le faubourg, les Augustins reçurent les autorisations nécessaires et, sans délai, se mirent à l’œuvre. Dès ce moment, l’aide de généreux bienfaiteurs permit d’entreprendre la construction du monastère. La première pierre de l’édifice fut posée le jour des Rameaux,

Denis-Simon de Marquemont, archevêque de Lyon.
8 avril 1629, et cette cérémonie revêtit l’éclat d’une fête solennelle. Le prévôt des marchands et les échevins y présidèrent, en présence du capitaine châtelain de Cuire et d’un immense concours de peuple. Pour satisfaire à l’affectueux désir que leur avait exprimé le cardinal Denis-Simon de Marquemont, archevêque de Lyon, les religieux dédièrent le nouveau sanctuaire à saint Denis, patron du prélat défunt. Ils acquittaient ainsi, envers sa mémoire, le tribut de leur pieuse gratitude. En 1714, l’évêque auxiliaire de Lyon, Antoine Sicauld, procède à la consécration de l’église des Augustins et de l’autel. Il y dépose des reliques des saints martyrs Candide et Marcel, et concède les indulgences d’usage en faveur de ceux qui viendront y prier.

Telle est l’origine de l’église Saint-Denis-la-Croix-Rousse. Toutefois, comme on la dit, la chapelle des Pères n’eut jamais le caractère ni les attributions d’une église paroissiale. Rien, à cet égard, ne fut changé à la situation antérieure, et les anciennes délimitations des paroisses qui se partageaient le territoire de la colline y furent maintenues jusqu’à la Révolution. La seule conséquence qu’entraînait l’ordre nouveau, c’était une facilité plus grande, pour la population, d’assister à l’office divin, puis aussi la possibilité pour elle de recourir désormais, sans obstacle et à toute heure, au ministère du prêtre. En accordant, le 26 avril 1628, sa dernière ratification, le conseil archiépiscopal avait expressément stipulé que les religieux seraient tenus d’administrer les sacrements en cas de nécessité pressante, et qu’à cet effet deux d’entre eux devaient être approuvés par l’autorité diocésaine.

La chapelle des Augustins était d’aspect très simple : un carré allongé se terminant par un chœur bas où se trouvaient les stalles des religieux. La grande nef de l’église actuelle répond assez exactement à la superficie de ce sanctuaire aux dimensions exiguës, mais suffisantes pour la population peu nombreuse de ce temps-là. Deux chapelles s’ouvraient sur le flanc droit de l’édifice. La première, à partir du portail, appartenait à la noble famille de Savaron, originaire d’Auvergne, qui l’avait fondée au milieu du xviie siècle et y avait érigé son tombeau. Grâce à une libre concession des Savaron, renouvelée ensuite périodiquement, cette chapelle, consacrée à Saint-Nicolas de Tolentin, servait aux exercices religieux de la confrérie de la Bonne Mort, ou des Agonisants, établie vers l’an 1700, par quelques pieux habitants de la Croix-Rousse. La seconde chapelle, dédiée à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, possédait une statuette de la mère des Douleurs, faite du bois miraculeux de Montaigu et qui, pour ce motif, jouissait dans toute la région d’une grande célébrité. D’après l’acte de consécration de 1714, l’église des Augustins avait en outre deux autels sous le vocable de l’Enfant Jésus et de saint Joseph.

Survient la Révolution, et les Augustins, dont la plupart paraissent gagnés aux idées nouvelles, déclarent tous vouloir quitter la vie commune. À ce moment, le faubourg de la Croix-Rousse, constitué en commune autonome, souffrait de ne point former aussi une unité paroissiale. Maintes fois, la municipalité fit entendre, à cet égard, de vives doléances. Enfin le décret du 19 juin 1791 vient réaliser ce désir. La Croix-Rousse est érigée en paroisse constitutionnelle, sous le vocable de Saint-Augustin avec, pour siège, l’église des ci-devant religieux ; on lui adjoint, à titre de succursale, l’église de Cuire qui relevait jusqu’alors, comme annexe, de celle de Vaise, et on la dédie à Saint-Blaise. L’église de la Croix-Rousse subit, au cours de la période révolutionnaire, la destinée commune ; selon les péripéties successives de cette époque orageuse, elle devient Temple de la Raison et Temple Décadaire servant, entre temps, aux séances de la Société populaire et aux Assemblées convoquées pour l’audition des lois.

Le Concordat rend à notre paroisse le vocable de Saint-Denis et lui assigne pour limites, au nord les paroisses de Cuire et de Caluire, au midi les remparts de la ville, à l’est et à l’ouest le Rhône et la Saône. Elle comprenait donc, en son entier, la totalité du territoire proprement dit de la Croix-Rousse. Cette vaste étendue territoriale recevant, au cours du temps, un accroissement de population considérable, dut être partagée successivement en paroisses nouvelles, qui sont : Saint-Charles de Serin érigé vers 1824 ; Saint-Eucher en 1840 et Saint-Augustin en 1851. Ces trois paroisses forment présentement, avec la paroisse-mère, l’archiprêtré de Saint-Denis-la-Croix-Rousse.

Le moment arriva où il fallut songer, pour notre église, à un agrandissement rendu nécessaire par le chiffre d’une population que diverses causes avaient contribué à accroître dans des proportions considérables. L’architecte Chenavard présenta, à cet effet, des plans qui furent agréés. On éleva de 1833 à 1835, à droite et à gauche de l’ancienne église, deux nefs parallèles égalant en largeur celle des chapelles Notre-Dame et Saint-Nicolas qui furent ainsi supprimées. De lourds piliers carrés, avec arcades dans le goût de celles du péristyle du grand Théâtre, prirent la place des murs latéraux. Ils mirent les deux ailes, récemment construites, en communication avec l’ancienne église conventuelle devenue ainsi la nef centrale du nouveau temple.

Vers 1847, l’architecte Joseph Forest construisit le chœur. Il disposa, sur plan carré, quatre piliers massifs, aux arcs puissants, qui porteraient, sans faiblir, un dôme monumental au lieu et place du ciel-ouvert banal dont on les a coiffés ! Ce chœur fut complété par une abside centrale et deux absidioles semi-circulaires correspondant aux nefs latérales. En même temps, fut prolongée, dans le pourtour des nefs, la corniche saillante qui couronne les grands piliers. Les plans de Chenavard subirent encore une nouvelle atteinte en ce que le vaisseau fut surélevé conformément à l’ordonnance du chœur. À cet effet, on supprima le lambris primitif pour y substituer un simulacre de voûtes cintrées. en bois et lattes recouverts d’un enduit de plâtre. Le plan d’ensemble, ne comportant aucun transept, se rapproche ainsi de la forme basilicale. De tous ces travaux est sorti l’édifice qui se voit aujourd’hui, à l’enceinte vaste, mais d’un caractère froid et décoloré qui est le propre, d’ailleurs, de la plupart des églises élevées à la même époque.

Il ne reste plus, aujourd’hui, de l’ancienne église des Augustins, que le clocher dont l’amortissement, en forme de calotte avec lanterneau, reflète bien le style architectural de son époque. Pourquoi faut-il qu’on en ait dénaturé l’aspect, en 1896, par une pseudo-décoration d’un effet pitoyable ?

À l’intérieur, se voit encore l’écusson armorié des Savaron, possesseurs, comme nous l’avons dit, de l’ancienne chapelle Saint-Nicolas, blasonné : d’azur à la croisette d’argent accompagnée de trois soleils d’or. Telle qu’elle apparaît, l’église Saint-Denis est inachevée dans son gros-œuvre. Il saute aux yeux que sa largeur n’est pas en rapport de proportion avec sa longueur, et de fait, les plans de Chenavard comportaient l’adjonction d’une travée supplémentaire. Aussi, et par voie de conséquence, le monument attend-il encore une façade digne de lui.

L’intérieur de l’édifice a reçu, depuis lors, quelques embellissements. Dans les voûtes mi-sphériques du chœur se déroulent trois grandes scènes murales dues au pinceau d’Auguste Perrodin, ancien collaborateur de Viollet-le-Duc dans la décoration de Notre-Dame de Paris, décédé jeune encore en 1887. Au centre, le Christ-roi bénissant est assis dans sa gloire ; à sa droite, l’apôtre saint Paul lui présente saint Denis et ses compagnons Rustique et Éleuthère ; à sa gauche se voit un groupe de martyrs lyonnais ; des anges triomphateurs encadrent cette scène. Plus bas, deux frises, dont une grecque, concourent à la décoration de l’abside principale. Comment qualifier, hélas ! l’intolérable présence de ce colossal buffet d’orgues plaqué là, au premier plan, sur cette ornementation qu’il écrase de sa masse et dont il annihile tout l’éclat ? Cette faute, le conseil de fabrique de 1887 l’a perpétrée avec une obstination aveugle, malgré les protestations indignées de la presse lyonnaise et des hommes de goût. Les sujets latéraux, moins importants, présentent, d’un côté : l’Apparition du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque ; de l’autre, saint Dominique recevant le Rosaire des mains de la Vierge, enfin sainte Catherine de Sienne en extase devant l’Enfant Jésus. La décoration accessoire des murs absidaux comporte une série de compositions relatives au vocable des chapelles, puis un revêtement en stuc simulant des marbres de couleurs variées. Feu Jacobé Razuret est l’auteur de ces peintures ; M. Charles Franchet a fourni les dessins du revêtement.

Aux côtés du maître-autel se dressent les statues de saint Denis et de saint Joseph, ce sont des moulages du sculpteur Fabisch. Enfin, les baies du chœur ont été pourvues de verrières peintes, et celles des collatéraux de vitraux à personnages d’une médiocre valeur, croyons-nous. Fresques, décorations picturales, statues et verrières ont été exécutées de 1872 à 1878. Dans le mur latéral, se voit un cénotaphe en marbre blanc dessiné par l’architecte Franchet : il renferme le cœur de l’abbé Artru, mort curé de Saint-Denis en 1875 ; une inscription latine exprime brièvement les vertus de ce pasteur dont la mémoire est demeurée en vénération.

Chaire de l’église Saint-Denis.

Des deux chapelles absidales, l’une est dédié au Sacré-Cœur, l’autre à la Sainte-Vierge ; la confrérie du Saint-Rosaire est canoniquement érigée dans cette dernière depuis la fin de l’année 1874. En 1893, un édicule a été érigé sur le flanc droit du chœur avec lequel il communique par une large ouverture. On y a rétabli les autels Saint-Nicolas de Tolentin et Notre-Dame des Sept Douleurs, ce dernier avec la statuette de Notre-Dame de Montaigu que la dévotion populaire révérait encore au cours du siècle qui vient de finir, mais dont le culte semble aujourd’hui grandement délaissé. Un anachronisme inconcevable jette sur cette réédification une note fâcheuse : on a encastré dans l’autel Saint-Nicolas, où il n’a que faire, un bas-relief de marbre blanc provenant de l’église des Pères et représentant une Pietà, qui avait sa place naturelle et tout indiquée dans l’autel Notre-Dame des Sept Douleurs. À proximité de ces autels, un petit monument d’une facture très simple contient le cœur du chanoine Paret, curé de Saint-Denis, décédé le 30 août 1898.

La chaire à prêcher de l’église Saint-Denis est le seul objet d’art remarquable qu’elle puisse offrir à l’attention des visiteurs. Construit en bois de noyer, ce meuble constitue un type précieux d’ancienne sculpture sur bois. Les figurines et les scènes historiées qui le décorent, ainsi que l’ornementation accessoire, d’une forme à la fois vigoureuse et délicate, font de cette chaire une œuvre digne de l’attention des archéologues, et la classent au premier rang des curiosités de ce genre que possède notre ville. Dans sa Description de Lyon publiée en 1741, Clapasson mentionne bien les tableaux de médiocre valeur qui se voyaient alors dans l’église des Augustins de la Croix-Rousse, mais il ne dit rien de la chaire à prêcher. Peut-être inférerait-on de ce silence qu’elle n’existait pas à cette époque, s’il n’était plus probable qu’il n’y a là qu’une omission de l’écrivain. Le style général, d’accord avec certains détails iconographiques, semble, d’ailleurs, reporter à la fin du règne de Louis XIV la création de cet ouvrage artistique. Quoi qu’il en soit, il est de tradition que les Augustins ont légué cette chaire du haut de laquelle ils évangélisaient les habitants du faubourg, et qui traversa, sans grand dommage, la période révolutionnaire.

La chaire de Saint-Denis est de forme hexagonale. Des colonnettes d’angle reposent sur une bordure de feuilles de chêne admirablement fouillée et supportent l’accoudoir en saillie. Sur le champ libre des cinq panneaux — le sixième est masqué par le pilier de support — sont reproduits divers sujets tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ce sont, en allant de gauche à droite : 1° Jésus marchant sur les eaux et tendant la main à saint Pierre ; 2° Jésus chassant les vendeurs du Temple. Un des marchands est étendu aux pieds du Christ. Dans le fond, on en aperçoit d’autres qui fuient ; 3° La remise des tables de la loi sur le mont Sinaï. Sous le type traditionnel de l’Ancien des Jours, Dieu apparaît dans la nuée, donne d’une main, à Moïse agenouillé, la double table du Décalogue ; de l’autre, il lui montre au loin les tribus d’Israël. 4° Jésus au puits de la Samaritaine. Celle-ci semble prêter une attention profonde aux paroles de vie que lui adresse le Sauveur. 5° Sur le panneau mobile qui donne entrée dans la chaire : saint Michel terrassant Lucifer. Ce groupe, d’une date plus moderne que le reste, est plein de mouvement.

Dans le soubassement, se développe une série de petits tableaux en bas-reliefs, groupés deux par deux, sous chaque panneau, et présentant les personnifications allégoriques de l’Humilité, des trois vertus théologales et des quatre vertus cardinales. L’Humilité renverse du pied un vase plein de trésors. La Foi élève un calice. L’Espérance s’appuie sur l’ancre symbolique. La Charité presse un enfant sur son sein et en entoure d’autres de sa maternelle sollicitude. La Tempérance tient deux vases et verse dans l’un le contenu de l’autre. La Force porte une colonne sur ses robustes épaules. La Prudence manie le serpent, emblème que lui attribue l’Évangile. La Justice porte les balances et repose sur un bouclier marqué d’un glaive. Ces diverses figurines sont d’une grâce et d’une souplesse de dessin vraiment remarquable. Un superbe cul-de-lampe forme la terminaison inférieure de la chaire, et lui imprime un aspect tout original. Formé d’élégants rinceaux alternant avec de larges feuilles d’acanthe, aux arêtes ondulées, d’où émergent, aux angles, d’épaisses volutes, ce cul-de-lampe finit, près du sol, en un faisceau noué de multiples sculptures dont les motifs sont encore empruntés au règne végétal.