Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-Michel d’Ainay

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H. Lardanchet (vol. IIp. 102-109).

SAINT-MICHEL

Une église restée ouverte pendant douze siècles et dont la fondation fut liée à des faits mémorables de l’histoire nationale mérite que son souvenir soit conservé. Une place du quartier d’Ainay qui rappelait naguère le nom de l’église Saint-Michel vient d’en recevoir
La pointe de la presqu’île d’Ainay, l’église et le cloître en 1550. (Restitution de M. Rogatien Lenail, architecte).
un autre. Il appartient à ceux qui savent et se souviennent de retracer les faits historiques que l’on n’efface pas comme un nom sur une plaque municipale.

L’église Saint-Michel, fondée à la fin du ve siècle, et, pour se servir d’une expression qui n’a rien d’archaïque, désaffectée en 1690, était située entre l’ex-place Saint-Michel et la Saône. D’après Steyert, elle s’élevait sur l’emplacement des maisons qui bordent la rue Martin au nord, son bas-côté méridional débordant sur le sol qui est la chaussée actuelle de cette rue. Les anciens plans de Lyon nous la montrent au contraire un peu à gauche du prolongement de la rue Sainte-Hélène, par conséquent à la place des maisons bâties au sud de la rue Martin.

L’histoire de sa fondation est connue par une inscription latine de vingt-six vers, tirée d’un vieux manuscrit et insérée au recueil de Duchesne, Scriptores historiæ Francorum, qui a sauvé de l’oubli tout ce que l’on sait de sa royale fondatrice. Carétène, femme d’un roi bourguignon, née vers l’année 453, morte en 500, fit bâtir une église qu’elle dédia à saint Michel Archange, avec un monastère, où elle-même se consacra à Dieu, mourut et fut enterrée, et où, suivant une croyance fondée sur de sérieuses données, elle avait formé, à l’ombre du cloître, l’esprit de la jeune Clotilde, qui devait épouser Clovis et exercer une si grande influence sur la conversion des Francs.

Une opinion assez répandue est que Carétène fut la femme de Gondioc, roi de Bourgogne, père de Gondebaud et de Chilpéric et par conséquent l’aïeule de Clotilde, fille de ce dernier. D’autres historiens et parmi eux MM. Allmer et Dissard, auteurs des Inscriptions antiques du Musée de Lyon, rejettent cette opinion parce que Carétène n’avait que huit ans à la mort de Gondioc et croient que Carétène fut la femme de Gondebaud ; ils s’appuyent sur le récit de Grégoire de Tours et sur diverses considérations historiques. Suivant eux, Carétène aurait été la tante de Clotilde. Alphonse de Boissieu a consacré dans son livre, Les Inscriptions antiques de Lyon, une dissertation à l’épitaphe de Carétène. Opposant le témoignage de saint Avit, contemporain de celle princesse, à celui de Grégoire de Tours, il a refait l’histoire de Gondebaud et de Clotilde et montré que parmi les fils de Gondioc, Chilpéric est le seul dont elle ait pu devenir la femme. Elle ne fut donc ni l’aïeule, ni la tante de Clotilde ; elle fut sa mère. Du reste, les diverses hypothèses permettent de lui attribuer le rôle d’éducatrice de la future reine des Francs. Il est dit dans son épitaphe : præclaram sobolem dulcesque gavisa nepotes ad veram doctos sollicitare fidem. Ces mots peuvent laisser entendre que ce ne fut pas seulement à sa descendance directe qu’elle s’appliqua à enseigner la vraie foi. Le souvenir de sainte Clotilde s’est conservé à Lyon par le culte qui lui est rendu à Ainay dont elle est une des patronnes secondaires, où elle a eu une statue, où elle figure dans la fresque d’Hippolyte Flandrin, enfin par la fondation que son fils Childebert fit, en 542, du plus ancien hôpital lyonnais, un des premiers créés en France.

Le quartier d’Ainay, à l’époque où Carétène y fondait une église et un monastère, n’était pas un lieu désert, comme pourrait le faire croire sa situation dans une île séparée de la presqu’île par un canal qui mettait les deux fleuves en communication avant le confluent. Ce territoire était traversé par une voie romaine devenue la rue Sainte-Hélène, bordée d’habitations et de monuments dont les ruines exhumées à diverses époques sont aujourd’hui déposées au musée du palais Saint-Pierre, ou bien sont restées enfouies dans le sol après avoir été vues par les témoins des fouilles. Substructions d’édifices, débris de statues, mosaïques, inscriptions trouvées le long de la rue Sainte-Hélène, sous les maisons de la rue Martin ou dans le lit de la Saône, tels sont les restes de l’ancien quartier in Canabis mentionné dans l’inscription du négociant Minthatius Vitalis trouvée dans les fondations de la maison Martin, avec celle de C. Apronius Raptor, décurion de la cité de Trêves, patron des Nantes de la Saône et des marchands de vin établis à Lugdunum.

Saint-Michel d’Ainay au xvie siècle (d’après le plan scénographique).

À croire la légende, l’église Saint-Michel ne fut pas le premier monument chrétien élevé à Ainay, où l’on dit que le culte des martyrs lyonnais fut en honneur dès le iiie siècle. De tout temps, du reste, ce fut la prétention des moines d’Ainay que leur abbaye était plus ancienne que Saint-Michel. Dans un mémoire dressé par les chanoines qui succédèrent aux religieux d’Ainay, pour faire valoir un droit de propriété sur l’église Saint-Michel et ses dépendances, ils établissent qu’elles furent toujours dans leur domaine et dans leur juridiction.

Suivant Ménestrier, il y a quelque apparence que ce fut de l’église de Saint-Michel qu’Avit, archevêque de Vienne, célébra la dédicace dans une de ses homélies dont il ne reste qu’un fragment et qui, si nous l’avions complète, donnerait de précieux renseignements sur l’histoire de Saint-Michel et de sa fondatrice. L’anniversaire de cette dédicace se célébrait chaque année le 3 février.

Les religieuses du monastère Saint-Michel que l’on voit qualifiées dans les vieux titres « nonnains de Saint-Michel ou moinesses d’Ainay », embrassèrent la règle de saint Benoît qui était celle des moines d’Ainay. Leur maison fut supprimée par le quatrième concile de Latran qui prit une pareille mesure contre tous les couvents de filles trop voisins des religieux du même ordre. Ménestrier rapporte, dans l’Histoire civile et consulaire de la ville de Lyon, que le souvenir des religieuses d’Ainay était conservé dans les anciens obituaires de l’abbaye par la mention de plusieurs abbesses au jour de leur mort, et que, vers la fin du xvie siècle, on démolit, pour l’établissement de l’arsenal, une chambre où, sur les murs, étaient peintes des religieuses.

Autour de la fondation de Carétène, il se forma de bonne heure un groupe d’ habitations lions, le bourg ou village Saint-Michel, qui, en 1388, n’était pas encore compris dans l’enceinte de la ville. Lorsque les religieuses de Saint-Michel furent supprimées, l’église devint paroissiale. Elle est ainsi qualifiée dans la bulle d’Innocent IV de 1230, et resta paroissiale jusqu’à la fin du xviie siècle. L’abbé d’Ainay était curé primitif de Saint-Michel, et nommait le curé ou vicaire perpétuel tenu de payer une redevance annuelle de quarante sols viennois et deux livres de cire. Le curé de Saint-Michel était Jacques Manlia en 1382, Jean Degrangier en 1470, Thomas Daillères en 1509, François Gayffier en 1567, François Thomazet en 1670, Constant en 1692, Pierre Mey en 1712. François Gayffier fut le premier à tenir des registres paroissiaux à dater de 1566. Chaque année, le dimanche des Rameaux et le jour de la fête patronale, les religieux d’Ainay officiaient eux-mêmes à Saint-Michel.

L’étendue de cette paroisse était considérable et embrassait tout le terrain compris entre les Jacobins et le confluent, puis l’île Mognat au delà du confluent, enfin sur la rive gauche du Rhône, le quartier de la Guillotière où s’élevait la chapelle de la Madeleine, contiguë au cimetière de ce nom ; Sainte-Madeleine, annexe de Saint-Michel, avait été érigée en remplacement de l’église paroissiale Saint-Jean-de-Béchevelin détruite par les Protestants en 1562.

Mais si la paroisse Saint-Michel avait un grand territoire, elle fut longtemps peu peuplée et ses ressources étaient minimes. En 1512, à l’occasion d’une contribution du clergé aux dépenses des fortifications de la ville, tandis que l’abbé d’Ainay était taxé à 300 livres, Saint-Michel n’avait à payer que 3 livres seulement. Lorsque saint François de Sales mourut, le 28 décembre 1622, dans la maison du jardinier de la Visitation de Bellecour, on crut que ce ne serait pas faire assez d’honneur à l’illustre défunt, de célébrer ses obsèques dans la modeste église. paroissiale Saint-Michel située tout auprès. Son corps fut exposé d’abord à la Visitation, puis porté à Saint-Nizier et de là, accompagné par le Chapitre de cette église jusqu’aux portes de la Croix-Rousse, où se forma le convoi qui l’emmena à Annecy. Il n’est pas trace dans les souvenirs de la Visitation d’un prétendu dépôt qui aurait été fait du corps de saint François de Sales à Saint-Michel, rapporté par quelques historiens. Par contre, soixante-dix ans plus tard, mourait à la Visitation de Bellecour une religieuse, la princesse Marie-Anne de Wurtemberg, fille du prince Ulrich de Wurtemberg et de la princesse Isabelle d’Aremberg. Elle avait demandé à être enterrée dans l’église paroissiale Saint-Michel, en une chapelle dédiée à la Vierge : son désir fut respecté.

Saint-Michel dut au zèle de ses paroissiens quelques œuvres intéressantes. Des dames charitables, fondèrent, en 1681, avec le concours des Filles de la Charité, l’Œuvre de la Marmite, dans le but d’assister les pauvres honteux et malades, sous la présidence du curé de Saint-Michel. Le 10 septembre 1681, Mme  la comtesse de la Liègue donne une pension annuelle de cinquante livres. Le 5 mars suivant, Pierre Perrachon, marquis de Saint-Maurice, lui cède trois rentes annuelles faisant ensemble quarante-sept livres. De nos jours les paroisses Saint-François-de-Sales et Sainte-Croix participent aux secours distribués par l’Œuvre de la Marmite, parce qu’elles sont des démembrements de l’ ancienne paroisse Saint-Michel, devenue, au xviie siècle, la paroisse d’Ainay. Vers le même temps, Françoise de la Pérouse, femme de Claude Pécoil, lègue une somme de 40 livres pour donner le pain aux pauvres des petites écoles de la paroisse Saint-Michel. En 1688 est érigée à Saint-Michel, puis transférée plus tard à Ainay, une pieuse confrérie enrichie d’indulgences par le pape Innocent XI, sous le titre de Rénovation des promesses du Saint-Baptême et sous l’invocation de saint Jean-Baptiste.

Au mois de septembre 1404, saint Vincent Ferrier vint à Lyon, et donna à la Madeleine, annexe de Saint-Michel, une série de prédications qui durèrent seize jours, devant un auditoire si nombreux qu’il dut prêcher en plein air dans un pré appartenant à Jean Maignet, recteur de la chapelle de la Madeleine, qui reçut de la ville, à cette occasion, une indemnité de 10 livres pour réparation des dégâts causés chez lui par la foule.

Ainay et Saint-Michel en 1625 (d’après le plan de Simon Maupin).

L’église Saint-Michel était petite, très simple et fut longtemps sans clocher. L’abside seule était voûtée, la nef et les bas côtés ne l’étaient pas et mesuraient ensemble seulement vingt mètres en largeur sur vingt-cinq mètres en longueur. Sur le plan scénographique de la ville de Lyon au xvie siècle, l’église se termine à l’est par une abside et a son entrée au midi du côté de la Saône. Le plan de Simon Maupin de 1625 montre au contraire la façade, percée d’une rosace et de deux baies latérales et tournée du côté du levant. Y avait-il eu, dans l’intervalle, une transformation de l’édifice ? Quelques mots du mémoire écrit, en 1715, par les soins du Chapitre d’Ainay, à l’appui de sa prétention à la propriété de Saint-Michel, donneraient lieu de le croire. Il y est dit, en effet, que l’église avait été agrandie par la construction d’un nouveau chœur du côté ouest, à la place où était autrefois l’entrée principale. À la voûte du chœur on sculpta en relief les armes de l’archevêque Camille de Neuville. À la fin du xvie siècle, on éleva le clocher.

En 1666, l’église et la maison curiale étaient dans un imminent péril de ruine. L’archevêque, les échevins, l’abbé d’Ainay et les paroissiens contribuèrent à la restauration ; la ville donna 3.000 livres ; l’intendant Dugué et sa femme, paroissiens de Saint-Michel, firent une donation. La nef et les bas-côtés reçurent des voûtes ; on reconstruisit le chœur. Les vieux murs du temps de Carétène subsistèrent.

Ces restaurations ne devaient guère prolonger l’existence de Saint-Michel. Sa destruction, que le temps n’avait pu achever, ne devait pas tarder à devenir l’œuvre de ceux-là mêmes qui payaient de leurs deniers ces travaux de conservation.

En 1685, l’abbaye d’Ainay fut sécularisée. Ce que ne pouvaient pas faire des religieux bénédictins, s’occuper du service paroissial, devenait possible pour les nouveaux chanoines qui n’avaient pas les mêmes raisons pour entretenir hors du chapitre un curé chargé d’un service dont ils pouvaient s’acquitter eux-mêmes ; d’autant plus que la paroisse Saint-Michel, longtemps peu peuplée et seulement de pauvres gens, avait vu sa population s’accroître et des familles notables abandonner les vieux quartiers de la rive droite de la Saône, pour se fixer à Bellecour et aux environs, depuis que les améliorations opérées dans la presqu’île l’avaient rendue plus habitable.

Le Consulat, consulté au sujet de la sécularisation d’Ainay, émit un avis favorable fondé sur la nécessité d’en faire une église paroissiale, afin de soulager l’église Saint-Nizier seule, dit la délibération, au service d’une population supérieure des deux tiers à la population habitant du côté de Fourvière.

Le motif donné par le Consulat à l’appui du projet de translation de la paroisse à Ainay peut paraître étrange, car, au nord de Saint-Nizier, se trouvaient Notre-Dame de la Platière, Saint-Saturnin et Saint-Vincent, et au sud, Saint-Michel. Mais il s’agissait moins de soulager Saint-Nizier que de supprimer Saint-Michel. Cette suppression était si bien dans la pensée de ceux qui faisaient, en 1685, la sécularisation d’Ainay, qu’en 1688, Camille de Neuville, abbé d’Ainay et archevêque de Lyon, fit procéder à une enquête sur le projet d’établir à Saint-Michel une communauté de Lazaristes s’adonnant à la prédication.

Enfin, le 17 octobre 1690, l’archevêque rend une ordonnance qui prononce la déchéance de Saint-Michel, et décide que l’église d’Ainay sera désormais paroissiale. En même temps, il prononce que la chapelle du Saint-Esprit, joignant le pont du Rhône, est érigée en succursale de la nouvelle paroisse et que le curé de Saint-Michel, obligé de quitter sa cure, sera logé dans une maison de l’enclos d’Ainay, en avancement sur le rempart. Du reste, si le curé de Saint-Michel était désormais sans paroisse, le titre et la dignité subsistaient, et l’on retrouve, même après 1690, plusieurs personnages ainsi qualifiés.

Le curé de Saint-Michel, au moment de la suppression de la paroisse, était François Thomazet, dont le nom mérite d’être recueilli, car une note manuscrite de Spon, sur un exemplaire de l’un de ses ouvrages, rapporte que François Thomazet eut soin de conserver l’épitaphe en vers latins de Carétène, précieux document sans lequel on ne saurait rien de la fondatrice de Saint-Michel.

Le curé Thomazet eut gravement à souffrir de la suppression de sa paroisse. En le privant de ses revenus, on laissait à sa charge les dettes qu’il avait dû contracter, en 1666, pour la réparation de l’église et la construction d’une nouvelle maison curiale. Il s’en suivit plusieurs différends. Les paroissiens de Saint-Michel ne voulurent payer que les dépenses relatives à l’église. Une procédure, engagée par le maître-maçon Lacombe, contre le curé Thomazet, et continuée après leur mort entre les ayants droit de l’un et de l’autre, n’était pas terminée en 1712. Il y eut, à la requête des créanciers, le 6 novembre 1694, saisie de la maison curiale et même, plus tard, de l’église qui avait été transformée en magasin à poudre pour le service de l’arsenal.

Pour empêcher l’adjudication des immeubles saisis, et prévenir un procès avec les héritiers Lacombe au sujet de la propriété de ces biens, le Consulat, par acte du 9 mai 1712, acquit de ces héritiers leurs droits contre le curé et les paroissiens de Saint-Michel, pour la somme de 3.198 livres 8 sols 6 deniers, montant de leur créance en capital et intérêts. Le 18 mai 1731, l’emplacement de Saint-Michel, la maison curiale, le cimetière et autres dépendances étaient adjugés, par sentence de la sénéchaussée, au prévôt des marchands et échevins, pour le compte de la commune, moyennant une rente foncière perpétuelle de 600 livres, à payer à la paroisse d’Ainay.

Le Consulat fit cession de ces mêmes immeubles aux recteurs de l’hôpital de la Charité pour la somme de 14.620 livres, dont 12.000 livres formant le capital de la rente de 600 livres due par la ville à la paroisse d’Ainay, et 2.620 livres pour droits, frais et loyaux coûts. Cette cession était consentie sous la condition que les acquéreurs établiraient que le terrain cédé une boucherie publique. Mais la ville ayant fait construire, vers le même temps, la boucherie des Terreaux, par un accord intervenu entre le Consulat et les recteurs de la Charité, et sur la proposition de la compagnie des fermiers-généraux, il fut convenu que la boucherie serait remplacée par un grenier à sel.

Finalement, par contrat passé en 1785, les recteurs de la Charité vendirent au roi Louis XVI le sol et les bâtiments de l’ancienne église Saint-Michel et ses dépendances et de plus une maison acquise par eux des héritiers Bossu, le tout destiné à agrandir l’arsenal et pour la somme de 43.000 livres.

Dans la nuit du 24 août 1793, les canons de Dubois-Crancé incendièrent l’arsenal et les maisons du quartier. Ce qui restait des bâtiments de Saint-Michel fut détruit par le feu. L’église elle-même avait été démolie un demi-siècle avant la Révolution.

Le Christ et les quatre évangélistes. Chapiteau du xiie siècle, à Ainay. Dessin de M. R. Lenail.