Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-Roch

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H. Lardanchet (tome Ip. 281-286).

SAINT-ROCH

La chapelle Saint-Roch de Choulans, dite aussi Saint-Roch-hors-les-Murs, « était située à mi-coteau de Saint-Irénée sur une haute terrasse plantée d’arbres qui dominait la Quarantaine et l’hôpital Saint-Laurent. On y accédait par un chemin qui partait de la montée de Choulans et aboutissait au côté sud de la terrasse après avoir serpenté à travers les jardins et les vignes. Précédée d’un porche, elle était de forme carrée, oblongue, et se terminait en pan coupé au levant. Deux portes cintrées fermaient l’entrée principale ; deux portes latérales s’ouvraient lune au nord, l’autre au midi, une troisième au fond conduisait à la sacristie. Quatre fenêtres cintrées, deux au nord et deux au midi, éclairaient l’intérieur. Elles étaient ornées d’antiques vitraux dont une partie, tout au moins, était l’œuvre de Bertin Ramus, célèbre peintre-verrier lyonnais du xvie siècle. »

Voici à la suite de quels événements fut construite cette chapelle. En 1348, la peste avait envahi notre ville et causé de tristes ravages. « Des lettres du roi Jean II le Bon, en date du 3 mai 1351, accordant aux Lyonnais une taxe de deux deniers par livre sur les marchandises vendues dans leur ville », attestent la diminution de population causée par le fléau qui ne s’en tint pas à cette première preuve de sa meurtrière puissance. Dans ce même siècle et au siècle suivant, il sévit de nouveau et notamment dans l’été de 1457 jusqu’à la Saint-Martin. Au xvie siècle, il renouvela ses ravages accoutumés qui suivirent de près les dévastations des protestants. En quelques mois de l’année 1564, il enleva, au témoignage de Claude de Rubys, « plus de 30.000 citoyens, c’est-à-dire presque la moitié des habitants ». Ce fut alors que le fameux Père Jésuite, Edmond Auger, fondateur du collège de la Trinité, aujourd’hui lycée Ampère, voua Lyon à Notre-Dame du Puy.

Douze ans se passèrent sans retour de la terrible épidémie que l’on croyait éloignée à jamais, lorsqu’elle reparut en mars 1577, et jusqu’à la fin d’avril multiplia ses ravages plus encore qu’auparavant. » Des prières publiques et des jeûnes furent ordonnés pour fléchir la colère de Dieu ; et le consulat fit vœu d’élever une chapelle sous le vocable de saint Roch » imploré, comme on le sait, contre les maladies contagieuses.

Claude de Rubys raconte ainsi l’événement : « La peste cessa tout à coup au mois de may et lorsque l’on pensait qu’elle se deust rengreger pour les chaleurs survenant… Le jour du vendredy sainct tout le peuple catholique jeûna au pain et à l’eau. L’on fil vœu de bastir une chapelle en l’honneur de Monsieur sainct Roch, laquelle fut puis bastie des aumosnes des gens de bien, hors la porte Saint-Georges, en une petite colline dépendant du prieuré de Saint-Hirigny (Saint-Irénée), vis-à-vis l’hospital des pestiférez », ou exactement des deux hôpitaux à cet usage, Saint-Laurent et Saint-Thomas.

plan de saint-roch de choulans
(d’après un document des archivas municipales).


A Avenue Saint-Roch.
BB Les deux portes d’entrée séparées seulement par un pillié.
C Porte à droite du côté de vent.
D Porte à gauche du côté de bize.
E Bancs de Messrs du Présidial.
F Bancs de Messrs du Consulat.
G Balustrade de bois devant l’autel.
H Autel.
I Sacristie.
KK Deux portes que l’on peut faire facillement pour éviter la croisade.
L Terrasse.
M Porche

Toutefois, l’accomplissement du vœu que relate le vieil historien, fut différé pendant quatre ans, après quoi la peste éclata de nouveau en 1581. Les échevins s’empressèrent d’acheter « à Pierre Christofle, maître-maçon à Lyon, un tènement consistant en un jardin avec vigne, situé sur le territoire de Chiollans » ou Choulans. Pierre Christophe l’avait acheté, en 1358, de messire Pierre de Digny, prieur, au nom du chapitre Saint-Irénée, pour le prix de 400 écus.

Le mal s’accroissant de jour en jour, on hâta la construction du sanctuaire, dont la première pierre fut posée le 31 mars 1581, comme l’indique le procès-verbal, dont nous citerons la fin : « Cejourd’huy, dernier jour du mois de mars mil cinq cent quatre vingt et ung, par délibération du conseil d’estat, tenu près la personne dudit seigneur de Mandelot, gouverneur de Lyon, et luy insistant à ce, a esté faicte procession généralle de tous les ordres et estats de la dite ville, où presque tout le peuple a assisté, laquelle est sortye de la grande église de Sainct Jehan, et de là passant par la porte Sainct-George, est montée sur un petit coteau de vignes, des dépendances du prieuré de Sainct-Hérigny, lequel coteau est par-dessus la vigne de Sainct-Nizier, et tout vis-à-vis de l’hôpital de Saint-Laurens et de la fontaine de Choulan, où ont esté faictes les fondations ou premiers projets de la dite chappelle ; la première pierre de laquelle a esté ce jour posée par mondit seigneur de Mandelot, officiant monsieur Jacques de Mestret, de l’ordre de Carmes, évesque de Damas, suffragant de l’église de Lyon, tout le clergé de ladite ville y assistant et psalmodiant, et après ce, est la dicte procession montée à Sainct-Just et de là, descendue à la dicte église de Sainct-Jehan, où la grand’messe a été dévotement célébrée. »

Le monument achevé, la première messe y fut célébrée, le 23 juillet 1581, en présence du gouverneur. « On confia la garde de la chapelle aux Pères Minimes qui, moyennant une somme annuelle de vingt écus, furent chargés de la desservir, chaque dimanche. On arrêta que chaque année, le premier vendredi après Pâques, il y aurait une procession générale à laquelle assisterait le Consulat. » Mais les bâtiments des hôpitaux Saint-Laurent et Saint-Thomas, pour considérables qu’ils fussent, ne suffisaient pas à contenir tous les malheureux atteints de la peste. Déjà en 1511, le Consulat avait fait construire des cabanes dans le pré d’Ainay. Il acheta de plus, du sieur Pons Murard, le tènement de la Fleur de lys, appelé plus tard la Quarantaine, situé au lieu de la Ferratière, ainsi qu’une maison et un jardin joignant les hôpitaux mêmes, et que les frères Athanase avaient vendu au sieur Pons Murard.

Dans le courant de l’année 1582, le Consulat chargea Bertin Ramus, peintre verrier de Lyon, d’orner de vitraux la chapelle. Celui-ci s’engagea « moyennant 130 écus d’or, à livrer les trois victres, avec leurs ferrures et treillis de fil d’archal, auxquelles victres serait dépeinct, scavoir : en celle du milieu, ung grand crucifix avec les ymaiges de Nostre-Dame, de sainct Jehan et de Marie-Magdaleyne, et aux aultres les ymaiges ou effigies de sainct Roch et de sainct Sébastien avec aussi les armoyries de monseigneur l’archevêque (Pierre d’Épinac), de monseigneur de Mandelot et de la ville. »

Le sanctuaire Saint-Roch devint dès lors un lieu de pèlerinage très fréquenté. Au reste, ce n’était pas trop de cette abondance de prières ferventes pour traverser les mauvais jours qui allaient se présenter. Au mois d’août 1628, la peste, après avoir désolé l’Italie et remonté le midi de la France, ravagea Lyon et fit 35.000 victimes en cette seule année. Toutes les histoires de Lyon sont pleines du détail de la catastrophe. La peste ne désarma pas. Elle revint, quoique moins impitoyable, en 1631, en 1638, en 1642, et ne disparut pour toujours, qu’à la suite du vœu formulé, le jeudi 12 mars 1643, parle Consulat de Lyon. Celui-ci était composé de : Alexandre Mascrany, trésorier général de France en la généralité de Lyon, prévôt des marchands, Louis Chapuis, Janton, Bornel, Guillaume Lemaistre et Jean Pillehotte, échevins, assemblés en l’Hôtel de Ville. On sait comment ils mirent Lyon sous le patronage de Notre-Dame de Fourvière.

Dès 1628, en pleine épidémie, le Consulat était tombé d’accord sur des réparations à faire à la chapelle Saint-Roch aux dépens de la ville ; mais ce ne fut qu’en 1644 que l’on agrandit et embellit la chapelle, d’après les dessins de Simon Maupin, agent-voyer de la commune. En 1643, la compagnie royale des Pénitents de Notre-Dame de Confalon y fit élever un autel « garnit icelluy de tableaux et aultres ornements à ses frais et despens », et y fonda une messe anniversaire à perpétuité.

En 1666, eut lieu, non loin de ce paisible rendez-vous de la prière et de la reconnaissance, un attentat dont les suites retentirent dans toute la France. Le jour de l’Ascension, à 11 heures du matin, le sieur Lanchenu, de naissance obscure, envoyé à Lyon par la faveur de Colbert, pour recouvrer, au nom du roi, les taxes mises sur les gens de justice, revenait en carrosse, avec sa femme, de la chapelle Saint-Roch. À la Quarantaine, huit arquebusiers de la compagnie de la ville, déguisés et masqués, le rouèrent de coups de bâtons, au point de le laisser pour mort sur la place, et s’enfuirent traversant la Saône sur une barque. Lanchenu ne mourut pas de ses blessures. Comme sa charge était d’état, le crime était de lèse-majesté au premier chef. Il porta plainte au conseil du roi. En même temps, Laurent de la Vehue, prévôt des marchands de Lyon, trésorier de France, comte de Chevrières et baron de Curis, se reconnut spontanément responsable de la correction, correction trop vive, on en conviendra. Il allégua que cet homme l’avait gravement insulté dans son propre hôtel, et que les émissaires soudoyés avaient dépassé son juste désir de châtiment. Le fond de la querelle était, paraît-il, que Lanchenu ayant promis mariage à une dame Faure, veuve d’un neveu de Laurent de la Vehue, n’en avait pas moins épousé Mme  Michon, et que le prévôt des marchands lui ayant fait de vifs reproches, il ne lui avait répondu que par des injures. Le 31 juillet 1666, Laurent de la Vehue, connut son arrêt sévère : il était condamné à payer 12.000 livres de dommages-intérêts à Lanchenu, et à avoir la tête tranchée. Le premier échevin Colas Prost de Grange Blanche et les huit arquebusiers tenus pour complices en étaient quittes le premier pour la corde, les autres pour la roue. L’hôtel de Laurent de la Vehue devait être démoli. Mais il fut sursis à cette démolition, et quelques années après, le roi accorda des lettres de grâce à tous les condamnés.

Il y avait près d’un siècle, que, chaque année, le premier vendredi après Pâques, se faisait solennellement la procession générale du vœu public. Le 26 avril 1680, une échauffourée, suscitée par une discussion de préséance entre messieurs du consulat et les membres de la sénéchaussée et du présidial, l’interrompit par un grand scandale. La cérémonie ne reprit son cours qu’en 1682. Elle fut remplacée en 1790 par une sorte de cérémonie civique. Le culte de saint Roch n’était pas toutefois éteint, puisqu’en juillet 1791 le bureau du conseil municipal consentait à quelques réparations urgentes à la chapelle, qui n’échappa pas pour cela, un peu plus tard, au destin de tous les monuments religieux.

Elle fut vendue, en 1796, comme bien national, pour la somme de 6.600 francs : « Cette chapelle », lit-on dans l’acte de vente, daté du 27 messidor an IV de la République française (15 juillet 1796), « est précédée d’un porche dont la superficie, y comprise celle de la chapelle, est d’environ 1.738 pieds ; la terrasse qui l’entoure contient en superficie 5.865 pieds, mesure de Lyon. La construction consiste en un corps de bâtiment de forme carrée oblongue, terminée en pan coupé au levant ; deux portes ceintrées, formant une entrée principale, deux portes latérales, l’une au nord et l’autre au midi ; puis une troisième donnant dans la partie formant sacristie, laquelle est séparée de la chapelle par une cloison en planches. Au-dessus de la sacristie est un entresol, auquel on parvient par un escalier en bois. Cette chapelle prend ses jours par quatre fenêtres ceintrées, deux au
Saint-Roch au xviie siècle.
(Restitution de M. R. Lenail.)
nord, deux au midi, lesquelles sont absolument dénuées de toute fermeture. Le pavé est en partie en dalles et en partie en carreaux terre cuite ; le plafond est en lambris en forme de voûte surbaissée. » On excepte de la présente vente les objets intérieurs, tels qu’autels, tableaux, statues, meubles et le bénitier isolé. En août 1807, le culte de saint Roch fut transféré dans l’église paroissiale Saint-Georges, ainsi qu’en témoigne un acte ecclésiastique, indiquant que l’ancienne chapelle a été détruite pendant les troubles de la Révolution ; l’acte est signé de M. Allibert, pro-secrétaire, pour les vicaires généraux Courbon, Renaud et Cholleton.

Au souvenir de la chapelle Saint-Roch se lie étroitement celui de la fontaine de Choulans. R semble que le nom de ce territoire soit tiré du nom de la fontaine ou source qui coulait, avant la construction du chemin de Choulans, au milieu de la montée, vers Saint-Irénée, et que le plan de 1550 appelle Cholan. Plus anciennement, dans les actes de vente ou de limitation, c’était la fontaine de Siolan, vocable dont Paradin propose une étymologie plus que singulière. « R y avait une fontaine », écrit-il en 1573, « que les antiques documents et pancartes nomment Siloa fons ou Siloé, du nom de celle qui est en la Palestine, au pied du mont de Sion. De ce nom est demeuré un vestige dans la langue du vulgue, qui nomme cette fontaine Siolan. »

Le plus ancien titre connu où il soit question de la fontaine de Siolan, est un acte en latin du 12 mars 1470. Au cours des années 1549 et 1550, la ville de Lyon fit refaire à neuf le pavé « depuys le repositoire de l’eau de la fontaine de Choulans, tout le long du chemyn, par dessus les corps qui conduisent la dite eau jusque à l’hospital Sainct-Laurent, où la dicte fontaine va sortir, auquel lieu l’on met les pestiféreux ». En 1550 et 1551 elle fit réparer la fontaine « de l’hospital Sainct-Laurent-des-Pestiférés et le pillier qui soutient l’imayge de sainct Laurens, qui est le lieu où sort la dite fontaine, qui étoit rompu en divers lieux. »

Guillaume Paradin rapporte aussi qu’il y avait de son temps, près de l’hôpital Saint-Laurent-des-Vignes, « une arche antique », bâchasse de pierre creuse, servant à recevoir l’eau de la fontaine de Choulans. Cette arche était un tombeau gallo-romain, élevé sub ascia à une grande dame du nom de Tertinia Victorina par son mari et ses deux filles, comme l’attestait l’inscription.

En 1621, le consulat reçut une requête de Camille de Neuville, abbé d’Ainay, sollicitant une partie des eaux de la fontaine de Choulans, pour les conduire sur l’autre rive de la Saône et les employer à l’embellissement du jardin de l’abbaye. En souvenir des services rendus à la ville de Lyon par la famille de Villeroy, notamment par M. d’Halincourt, le consulat fit abandon gratuit à l’abbé d’Ainay, pour lui et ses successeurs qui appartiendraient à cette famille, de la totalité des eaux de Choulans, sauf pendant les temps de contagion, où ces eaux étaient destinées au service de l’hôpital Saint-Laurent affecté aux pestiférés. Aujourd’hui, la fontaine coule à vingt mètres environ au nord du château de Choulans ou maison des Tournelles, dont l’entrée est au numéro 38 du chemin de Choulans, dans l’enclos qui dépend de cette vieille habitation. R y a peu d’années encore elle sortait de terre, une trentaine de mètres plus haut à l’ouest.