Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-Romain

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H. Lardanchet (vol. IIp. 47-52).

SAINT-ROMAIN

Outre les trois églises, Saint-Jean, Saint-Étienne et Sainte-Croix, qui s’élevaient au centre du cloître de Lyon et le dominaient de leur masse, une quatrième, Saint-Romain, de proportions beaucoup plus restreintes, se cachait au midi de la même enceinte, entre la cour de l’archevêché et un chemin qui, par la porte de l’archidiaconé, conduisait à la façade principale de la grande église. L’aspect extérieur n’en est guère connu que par le plan scénographique de la ville de Lyon. On voit que l’église Saint-Romain était fort modeste, avec une nef unique et une petite abside semi-circulaire voûtée en coquille. Nulle trace de clocher ; cependant, au milieu du xiiie siècle, Guillaume de La Palud, prévôt de Fourvière, lui avait légué 15 sols forts pour faire une cloche, « ad campanam faciendam ». Nos vieux chroniqueurs rapportent que, au-dessus de la porte qui s’ouvrait au couchant, était placé un bas-relief, avec les figures à mi-corps de saint Joachim et de sainte Anne, père et mère de la Vierge Marie. Au-dessous, une inscription perpétuait, en ces termes, le nom du fondateur :

TEMPLI FACTORES FUERUNT FREDALDUS
ET UXOR MARTYRII EGREGII QUOD
CONSTAT HONORE ROMANI ILLIUS UT
P. C. RECREANTUR SEDE PERENNI
Le Cardinal de Bourbon, archevêque de Lyon (1117-1488) Rourbons, (d’après une gravure à la bibliothèque de Lyon)

À l’intérieur, outre l’autel primitif placé dans l’abside, deux chapelles s’élevaient : à droite, celle de la Vierge Marie, édifiée au commencement du xve siècle, par les soins de Guillaume de Bames, clerc, notaire public, citoyen de Lyon. La construction autorisée, à la demande de Jean Fournier, chevalier de l’Église et curé de Saint-Romain, le 10 décembre 1400 par le Chapitre, et le 20 du même mois par l’archidiacre Amédée de Saluces, curé primitif, était achevée trente ans plus tard, et, le 4 février 1430, l’archevêque Amédée de Talaru y autorisait la célébration du service divin. On aimerait à connaître par le détail l’histoire de cette église si peu connue, à savoir quelles faveurs elle reçut du chapitre ou des généreux archevêques les Bourbons, les d’Épinac, les Neuville. On ignorera probablement toujours ces menus faits. On sait pourtant que la seconde chapelle, placée sous le vocable de Notre-Dame de Bon-Refuge, était aussi située « du côté droit du grand autel, au-dessous de la sacristie, joignant la rue du côté de vent ». Jean Faure, qui l’avait faite édifier en 1615, avait eu une vie des plus actives. Trésorier de la grande église, chanoine de Fourvière, archiprêtre de Courzieu et l’Arbresle, procureur général en l’archevêché de Lyon, il est le premier qui ait porté le titre de curé de Saint-Romain et Saint-Pierre-le-Vieux ; d’où on peut conclure avec grande vraisemblance que le service paroissial de Saint-Romain a été transféré à Saint-Pierre-le-Vieux sous son administration. Il semble du reste avoir beaucoup tenu à ses fonctions de curé de Saint-Romain, et, parmi les trois tableaux qui décoraient cette église, on en voyait un où était représenté, avec saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Évangéliste, le portrait du donateur, Jean Faure. En outre, aux termes de son testament en date du 23 octobre 1624, il institua un certain nombre de messes dans la chapelle fondée par lui, puis, par un codicille du 26 août de l’année suivante, il légua au prébendier de cette chapelle, et pour le service de celle-ci, un calice, deux chandeliers, deux corporaux, un missel, une chasuble, une étole, un manipule, une aube, un missel et deux nappes.

Son décès est du 9 septembre 1635, et une observation présentée à ce moment par l’archidiacre se réfère à la légende qui entourait l’origine de Saint-Romain. La légende voulait, en effet, que Saint-Romain eût été édifié par les premiers chrétiens de Lyon, sur un bas-fond, où se serait amassé le sang des martyrs descendu de la Croix de Colle par le Gourguillon. Bullioud qui la rapporte note aussi que, par respect pour ce souvenir, on n’inhumait pas dans l’église.

Cependant, lorsque Guillaume de Bames avait été autorisé par le Chapitre à faire commencer les travaux de sa chapelle, on lui avait permis en même temps de s’y faire inhumer. Cette autorisation avait-elle été suivie d’effet ? Quoi qu’il en soit, Jean Faure avait fait lui aussi élection de sépulture dans sa chapelle Notre-Dame de Bon Refuge, mais, lorsque cette clause dut être exécutée, l’archidiacre Antoine de Gibertès s’y opposa, « la dite élection étant contre la vénération et sainteté de la dite église, procédant du sang des martyrs arrêté en icelle, où, pour cette cause, on n’a jamais mis en terre ». Faisant droit à cette opposition, les chanoines décidèrent que Jean Faure serait inhumé à Saint-Pierre-le-Vieux, au tombeau de Martin Bazoud, son oncle.

Entre la construction des deux chapelles se place la restauration de l’église elle-même, et la reconstruction complète de son portail. Ces travaux furent exécutés pendant les années 1560 et 1361, et, comme les Laurencin, alors établis sur la paroisse, contribuèrent pour une très grosse part à leur paiement, les armes de cette famille furent placées à la voûte de l’église.

Dans cette note sur Saint-Romain, il n’est pas superflu de dire quelques mots de la maison destinée au logement de son desservant. Il est facile de la reconnaître dans le plan scénographique, « devant Saint-Romain, jouxte la porte d’entrée de la dicte église, la rue entre deux, de matin, l’archidiaconé de vent, et une maison canoniale de bize et soir ». Au xviie siècle, ce bâtiment était dans un tel état de ruines, que, le 22 février 1665, les paroissiens avaient dû se réunir pour délibérer sur le parti à prendre à son sujet. La question était délicate ; la paroisse, d’une étendue fort restreinte, ayant peu de ressources. Cependant, les deux rapports dressés sur l’état de la maison curiale concluaient tous deux à la nécessité absolue de sa démolition et de sa reconstruction ; le coût de cette dernière n’était pas estimé moins de 4.000 livres. Heureusement, un quart de siècle auparavant, le curé précédent, Michel Combet, avait fait élever, << dans le cimetière, du côté de matin », un bâtiment destiné à loger un prêtre et à recevoir les ornements de l’église. Le 4 avril 1666, les paroissiens décidèrent que cette maison servirait de cure à l’avenir. Quant à l’ancienne, elle devait être louée et son loyer versé en déduction des charges imposées par Combet sur la nouvelle ; en vertu de cette décision, elle fut effectivement louée, le 21 mars 1669, à Charles Tardy, maître charpentier.

Un siècle plus tard, il fallut prendre une décision pour l’église elle-même, qui, dans son état de vétusté, constituait un danger public. On songea un moment à la faire reconstruire, et, le 27 juin 1743, au moment où le Chapitre décidait d’en faire l’acquisition, l’archidiacre François-Alexandre d’Albon, offrait, en cas de reconstruction, l’autorisation d’appuyer le nouvel édifice contre le mur de l’archidiaconé. Mais ce projet n’eut pas de suite ; le 20 août, le cardinal de Tencin, archevêque, prononçait l’interdit de la chapelle,

en autorisait la démolition et l’aliénation du sol, sous les réserves d’usage ; le service religieux, notamment la fête de saint Romain, et les fondations seraient transférés à Saint-Pierre-le-Vieux, et les corps enterrés dans le cimetière seraient exhumés et déposés dans celui de la même église.

Le 6 septembre de la même année 1743, les curé, marguilliers, paroissiens et notables de Saint-Pierre-le-Vieux vendaient l’église Saint-Romain aux chanoines de Lyon, moyennant une pension annuelle de 100 livres ; un premier paiement eut lieu le 31 janvier 1744, et la démolition fut effectuée dans le courant de la même année. Le 24 décembre 1746, le secrétaire du Chapitre reçut l’ordre de faire placer un écriteau annonçant la mise en location du terrain sur lequel s’était élevé l’ancienne église, et, le 5 juin 1747, le Chapitre en ratifia la location au sieur Étienne Molin, moyennant un loyer annuel de 200 livres et pour une période de neuf années. Cette période écoulée, le terrain fut cédé à l’archevêque, qui l’utilisa pour l’agrandissement des prisons.

Dans quelles conditions le service religieux était-il exercé à Saint-Romain ? L’archidiacre du Chapitre en était, on l’a vu, curé primitif, patron et collateur ; il en conservait la jouissance, et rien ne pouvait se faire sans son autorisation. C’était lui naturellement, qui nommait le chapelain chargé du service divin. L’exercice de ce droit fait naître, au milieu du xve siècle, un bien joli épisode. Lors de l’assemblée capitulaire du 21 janvier 1443, Pierre Bullioud, procureur général du Chapitre, dépose une plainte, à la requête de Guillaume de Chavirey archidiacre, contre Jean du Bois, curé de Saint-Romain. Celui-ci a osé dire que, durant sa jeunesse, l’archidiacre avait été, et qu’il était encore, très malin, catissimus. Le crime, on le voit, était bénin ; mais le procureur général, c’est une tendance professionnelle, n’en jugeait point ainsi. Il n’aurait pas voulu, disait-il, pour 1.000 livres, avoir proféré une telle injure, et demandait en conséquence que le coupable fût privé à la fois de l’habit de l’église et de ses bénéfices. Le pauvre curé comparant répondit simplement qu’il avait tenu le propos en plaisantant, spatiando, et comme en une réminiscence du temps où il était le premier mentor de l’archidiacre. Sa peine fut naturellement proportionnée au délit, et le curé, renvoyé devant les juges du glaive spirituel, se vit assigner comme prison l’enceinte du cloître.

Le chapelain de Saint-Romain appartenait au clergé de la grande église. Il en recevait l’habit, lorsque sa nomination par l’archidiacre avait été confirmée par le Chapitre. Au chœur, il siégeait immédiatement après le panetier. Un privilège particulier l’autorisait à réciter Matines à voix basse dans son église, puis ensuite à entrer au grand chœur et à assister aux autres offices. Dans son service à Saint-Romain, il était secondé par un vicaire.

Une constatation curieuse, c’est que, contrairement à ce qui avait lieu ordinairement, presque toutes les libéralités faites au xiiie siècle en faveur de Saint-Romain allaient, non point à l’église, mais à son desservant. Nous avons déjà noté le don de Guillaume de La Palud pour l’établissement d’une cloche ; en juillet 1226. Martin de Viricelles légua 7 aunes de toile pour faire une aube et un amict. Ce sont les deux seuls legs attribués à l’église. Au contraire, la liste est longue des donations en faveur de son chapelain. Toutes ont la même forme : le donateur créant une fondation, habituellement son anniversaire, spécifie que le chapelain de Saint-Romain aura une part, une procuration entière, dans les distributions créées par lui. Tels sont les termes employés par les doyens Guillaume de Colonges et Hugues de Pizay, par les chamariers Arnaud de Colant, Gaudemard de Jarez et Foulques de Rochefort, par le custode Simon de Marzé, par les chanoines Ylion, Robert Roux, Guichard de Marzé, Dalmace de Saint-Symphorien, Dalmace Morel et Guillaume de Roanne, par Ponce de Pierrelate maître des écoles, par les trésoriers Étienne de Leymens et Jean Bonjour, par Garin, à la fois dapifer et trésorier, par Guillaume Tacons, portier du réfectoire, par Gilbert, archiprêtre et custode de Sainte-Croix, par Humbert charpentier, fils du maître de l’œuvre de Saint-Jean, par Guillaume de Sarron, chamarier de Saint-Paul, enfin par Laurent d’Izeron, prêtre de Limonest, par Girard, prêtre, et par Renaud de Riottiers, sous-diacre.

Plus tard, les fondations eurent la forme ordinaire ; elles ont été enregistrées dans un recueil, rédigé au xve siècle et qui existe encore dans le fonds du Chapitre de Saint-Jean. Nous y relevons les noms les plus intéressants : au 2 janvier, 2.3 juin et 19 novembre, Jean du Bois, dit le Peloux, curé de Saint-Romain, et, au 17, Jean de Montpensier, panetier ; au 17 mars, Barthélémy Dalmace, gardien des prisons de l’archevêque, et au 2S, Guillaume Foreys, trésorier du Chapitre ; au 10 avril, Guillaume de Bames ; au mercredi après la Pentecôte, Boniface Lamirault, écuyer de la duchesse de Bourbon ; au 3 juin, Guillaume de Montpensier, panetier, et au 1er juillet, Catherine, son épouse ; au 30 juillet, Geoffroy de Chaponay ; au 30 septembre, Jean de Fomlana, trésorier de l’église, et Pierre de Buenc, dit Brochet, vice-maître du chœur ; au 27 octobre, Guillette, mère de Pierre Sorel, sacristain de Saint-Étienne ; au 30 du même mois, Barthélémy de l’Orme, curé de Saint-Romain ; enfin au 19 novembre, Pierre de Montpensier, troisième membre de cette famille, qualifié panetier.

Toutes ces fondations visaient exclusivement des anniversaires ; une seule s’étendait au service religieux de l’église. Après avoir indiqué que, chaque année, au jour anniversaire de son décès, le curé de Saint-Romain serait tenu de célébrer ou faire célébrer une grand’ messe et deux messes basses, Guillaume de Bames avait stipulé que ledit curé devrait célébrer des messes paroissiales pour les fêtes de l’Annonciation, de la Conception et de la Nativité de la Vierge Marie et pour la fête de saint Michel archange ; il devait en outre réciter les Ténèbres le jour du Vendredi-Saint.

Aux termes de son testament, en date du 28 février 1583, un chapelain perpétuel, Antoine Pégon, fonda à Saint-Romain une messe quotidienne à célébrer» à l’aube du jour, pour les pauvres artisans ».

Enfin le 10 décembre 1609, Jacques Girinet, receveur du comtat du Chapitre, fit une fondation pour que les vêpres soient psalmodiées tous les dimanches.

De ces trois créations, on peut déduire, semble-t-il, que, bien que l’église fût paroisse, le service religieux y avait été jusqu’alors fort bref ; sans doute une messe ou deux les dimanches.

Une seule fois par an, le 18 novembre, jour de la fête de Saint-Romain, le Chapitre, qui y avait chanté la veille les premières vêpres, venait y officier. Une livraison était faite aux assistants par les soins et aux frais de l’archidiacre, lequel devait en outre donner au curé trois livres de cire qui, converties en un cierge, servaient à illuminer l’église.

Nous avons trouvé à Saint-Romain la trace de deux confréries : celle du Précieux Corps de Dieu, instituée le 14 juin 1582, et une confrérie de filles, qui subsista au xvie et au xviie siècle.

Même après la cessation du service paroissial et son transfert à Saint-Pierre-le-Vieux, l’office continua à être chanté à Saint-Romain les dimanches et jours de fêtes, avec l’aide de quelques prêtres et clergeons de la grande église. Cependant, ce service lui-même dut prendre fin au moment de la démolition. Le 12 novembre 1743, cinq jours avant celui où on avait coutume d’y célébrer la fête patronale, Maurice Pailleu, l’un des sous-maîtres de la cathédrale qui a laissé les plus grands souvenirs, demanda aux chanoines leurs instructions ; il fut décidé, conformément à l’ordonnance de l’archevêque, que « la veille de Saint-Pierre-aux-Liens on irait dire les vespres, et le jour dudit patron la grand’messe, à Saint-Romain ». Comment ce texte doit-il être interprété ? Les chanoines ont-ils eu l’intention de faire disparaître la fête de saint Romain et de faire de la dédicace de Saint-Pierre-aux-Liens, qui se célèbre le 1er  août, la seconde fête patronale de Saint-Pierre-le-Vieux ? C’est peu vraisemblable. Et si l’on observe que le jour même de la Saint-Romain, 18 novembre, on célèbre aussi la dédicace des basiliques Saint-Pierre et Saint-Paul à Rome, on peut augurer avec grande vraisemblance une erreur du scribe, et penser que l’intention des chanoines fut de conserver les usages anciens et d’ordonner simplement que les offices de la Saint-Romain auraient lieu à Saint-Pierre-le-Vieux, ne pouvant plus l’être dans l’antique église en ruine.