Histoire des Abénakis/1/04

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CHAPITRE QUATRIÈME.

destruction des pequots — guerre contre les naragansets et les nibenets.

1633-1644.


En 1633, des Hollandais allèrent faire un établissement sur la rivière Connecticut, à peu près à l’endroit où est Hartford ; mais cet établissement fut bientôt abandonné. En 1635, soixante colons du Massachusetts allèrent établir Hartford et Wethersfield. La même année, le fils du gouverneur du Massachusets, accompagné de vingt hommes, alla bâtir le fort de Saybrook.

Les Anglais firent ces établissements sans s’occuper le moins du monde, suivant leur habitude, de prendre quelqu’arrangement avec les sauvages.

Alors les Pequots, sauvages de cette contrée, réunirent leur Grand Conseil, et décidèrent de faire la guerre à ces nouveaux colons. Ils les considéraient comme des étrangers et des envahisseurs qui, n’avaient aucun droit de s’établir sur leurs terres sans leur consentement, et qui, conséquemment, devaient en être chassés.

Les Anglais du Massachusetts, informés de cette détermination des Pequots, essayèrent de les appaiser ; ils tentèrent même de corrompre leur grand Chef de guerre, Sasakus[1], par les plus flatteuses promesses ; mais celui-ci tint ferme, et méprisa souverainement ces promesses. Plusieurs autres moyens furent employés pour appaiser la colère des sauvages ; mais tout fut inutile.

Les Pequots commencèrent donc leurs hostilités contre les nouveaux colons. Ils attaquèrent et détruisirent plusieurs habitations, et tuèrent dix à douze colons.

Cependant les Anglais, comprenant que la guerre avec les Pequots pouvait soulever tous les sauvages de la Nouvelle-Angleterre contr’eux, résolurent d’employer un dernier moyen pour les calmer : ce fut de députer Massasoit auprès d’eux. Ce moyen parut d’abord réussir. Massasoit sut si bien faire comprendre à ces sauvages la grandeur de l’imprudence qu’ils faisaient en prenant les armes contre les colons, et leur représenta si clairement tous les maux que cette guerre ferait retomber sur leur tribu, qu’ils consentirent à la paix. Alors, ils envoyèrent au gouverneur des présents de wampum, et des Chefs furent députés pour aller traiter de la paix à Boston.

Les conditions de paix que les Anglais proposèrent furent : « Que les Pequots leur livreraient ceux de leurs frères, qui étaient coupables du meurtre des colons ; qu’ils renonceraient, en faveur des colons, à tous leurs droits sur les terres de la nouvelle colonie du Connecticut, et qu’ils considéreraient et traiteraient toujours les colons comme des amis »[2].

Les Pequots, loin d’être satisfaits des clauses de ce traité, n’en furent que plus irrités. Ils refusèrent donc d’accepter ces conditions de paix, parcequ’ils les considéraient comme très-injustes.

Quelque temps après, ils tuèrent quelques Anglais, qui avaient remonté la rivière Connecticut pour faire la traite avec eux, et attaquèrent Wethersfield, où plusieurs personnes furent tuées ou faites prisonnières.

L’année suivante, 1636, un parti de Pequots, de 150 guerriers, assiégea le fort Saybrook ; mais il fut vivement repoussé. Les Anglais, munis de plusieurs pièces de canon, empêchèrent les sauvages d’entrer dans le fort. Après plusieurs attaques inefficaces, ceux-ci se retirèrent sur l’île Block.

La colonie du Massachusetts, grandement alarmée par ces hostilités, envoya le capitaine Endicot, avec quatre-vingt-dix hommes, pour punir les coupables. Endicot partit de Boston le 20 Août pour l’île Block. En arrivant à cette île, il apperçut sur le rivage une soixantaine de sauvages, qui s’enfuirent aussitôt dans la forêt, où il lui fut impossible de les découvrir. Alors il détruisit leurs wiguams et leurs canots[3], puis il fit voile vers leurs terres. À peine fut-il arrivé à leur village, que 500 sauvages s’avancèrent sur le rivage ; mais, comme ils n’étaient pas préparés au combat, ils s’enfuirent précipitamment dans la forêt dès qu’ils s’aperçurent du dessein hostile des Anglais. Endicot, ne pouvant rejoindre ses ennemis, détruisit leurs wiguams, et leurs canots, puis il retourna à Boston.

La crainte que les Anglais inspiraient alors aux sauvages était fort étonnante. Évidemment ce fut ce qui sauva en cette occasion, Endicot et sa petite troupe. Car, n’eût été cette crainte qui leur enlevait tout courage, les sauvages eussent pu dans quelques heures réunir près de 2,000 guerriers et détruire entièrement cette poignée d’Anglais, D’ailleurs cette fuite de 500 sauvages devant 90 Anglais ne peut s’expliquer que par cette grande crainte.

Les Pequots, prévoyant que les Anglais ne s’en tiendraient pas là et qu’ils reviendraient les attaquer, s’adressèrent à toutes les tribus, leur demandant de s’unir à eux pour combattre leur ennemi commun. Ils leur représentèrent que les Anglais étaient des envahisseurs, qui s’emparaient injustement de leurs terres ; que bientôt ils se rendraient maîtres de leur pays ; que tous les sauvages en seraient chassés, et que, si elles souffraient la destruction de leur tribu, toutes les autres auraient certainement tôt ou tard le même sort.

À cet appel, toutes les tribus se soulevèrent contre leur ennemi commun. Mais les Anglais envoyèrent immédiatement leurs messagers, dans toutes les directions, pour menacer sévèrement les sauvages. Ces messagers, au moyen de leurs contes ordinaires et aidés de l’influence de Massasoit, réussirent à appaiser l’indignation des tribus et à les tenir dans la neutralité.

Cependant les Naragansets hésitèrent longtemps. Un de leurs grands Chefs, Miantinomi[4], ne partageait pas les opinions de Massasoit, et persévérait dans sa résolution de s’unir aux Pequots ; ce qui inquiétait fort les Anglais ; car ce Chef était puissant et influent dans sa tribu. Le gouverneur le fit venir à Boston, lui donna de l’eau-de-vie, suivant son désir, lui fit des présents et le fit consentir, à force de promesses, à prendre les armes contre ses frères[5].

Les Pequots ne se découragèrent pas dans leur isolement, et se décidèrent à se défendre vigoureusement. De leur côté, les Anglais se préparèrent à la guerre.

Au mois de Mai, 1637, le capitaine John Mason partit de Boston à la tête de 150 hommes, Anglais et Mohicans, avec ordre de se joindre aux Naragansets, pour aller attaquer les Pequots. Les Mohicans, au nombre de soixante-et-dix, étaient commandés par leur célèbre Chef Uncas[6].

Mason arriva le 21 du même mois chez Miantinomi, l’informa du but de son expédition et lui enjoignit de se joindre à lui, comme il l’avait promis. Miantinomi, qui avait regretté ces promesses, faites trop précipitamment dans un moment de surexcitation, parut hésiter et remit sa décision au lendemain. Le jour suivant, il représenta à Mason qu’il faisait une grave imprudence en allant attaquer la puissante tribu des Pequots, que ces sauvages étaient de braves guerriers, que l’année précédente, à la vérité, ils avaient fui devant les Anglais, mais que, cette fois, ils étaient décidés à se défendre courageusement, et que les Anglais seraient certainement battus. Cependant, vivement pressé par Mason, il consentit à lui fournir un certain nombre de guerriers, qui, avec ceux de Massasoit, formèrent une troupe de 200 Naragansets.

Le 24, Mason se rendit auprès d’une autre tribu des Naragansets, dans le but d’y faire une autre recrue de guerriers. Le Chef de cette tribu lui dit franchement qu’il n’approuvait pas cette expédition, et que ses guerriers ne s’uniraient pas à lui[7]. Mais Mason, lui fit tant de menaces que la crainte le força de lui livrer 150 hommes.

Mason se voyant alors à la tête de 500 hommes, se mit de suite en marche vers ses ennemis.

Cependant la plupart des Naragansets ignoraient complètement on les conduisait. Lorsqu’ils furent informés qu’ils allaient faire la guerre aux Pequots, ils manifestèrent hautement leur mécontentement et voulurent prendre la fuite[8]  ; mais Mason les ayant menacés de la mort s’ils osaient tenter de déserter, ils continuèrent à marcher contre leurs frères.

Le 26, Mason arriva au village des Pequots. À quelques pas du village, il entendit le cri d’alarme de la sentinelle ennemie : A8anuts ! A8anuts ! Voici l’anglais, voici l’anglais ! Alors, il s’arrêta, et se prépara à l’attaque.

Le village fut attaqué avec impétuosité, et les sauvages se défendirent courageusement. Il s’ensuivit un rude combat, qui dura plus de deux heures. La victoire demeura longtemps indécise, mais elle parut enfin se décider en faveur des sauvages. Lorsque Mason s’apperçut que ses troupes pliaient et commençaient à reculer, il ordonna de mettre le feu au village. En un instant tous les wiguams, au nombre de près de cent, furent livrés aux flammes. Ce fut ce qui sauva les Anglais d’une complète défaite. Les sauvages, poursuivis par l’incendie et cernés par l’ennemi, se précipitaient dans les flammes, où ils périssaient. Environ 600 Pequots, hommes, femmes et enfants, périrent en cette journée, suivant Bancroft[9], et au delà de 800, suivant Thrumbull[10]. Beaucoup furent faits prisonniers, et 400 à 500 purent s’échapper et s’enfuir dans les forêts.

Pendant cet affreux carnage, les Naragansets, qui avaient été conduits malgré eux à cette attaque, se tinrent en arrière, et demeurèrent simples spectateurs de cette horrible scène.

Un mois plus tard, le 27 Juin, Mason attaqua de nouveau les Pequots, en tua un grand nombre et fit cinquante prisonniers, parmi lesquels se trouvèrent deux Chefs. Dans cette expédition, il rencontra plusieurs autres partis de ces sauvages qu’il détruisit.

Ayant été informé que Sasakus, qui jusqu’alors avait été insaisissable, était encore à la tête d’un grand nombre de ses guerriers, il résolut de le poursuivre et de le détruire, car il était convaincu qu’il ne réussirait pas à exterminer la tribu des Pequots, tant qu’elle aurait à sa tête ce courageux et habile Chef.

Le 30, il arriva à New-Haven, où il fut informé que les Pequots, commandés par Sasakus, étaient campés dans un marais. Il se dirigea vers cet endroit, et arriva le 1er Juillet sur le bord de ce marais. Environ 600 sauvages y furent massacrés, et plusieurs furent faits prisonniers. Sasakus put encore s’échapper, avec quelques uns de ses guerriers[11].

Ce malheureux Chef, se voyant poursuivi par les Anglais dans les endroits même les plus reculés de la forêt, fut obligé de s’enfuir, et d’aller s’établir sur la rivière Hudson, avec le reste de sa tribu. L’année suivante, 1638, ces sauvages furent détruits par les Iroquois ; Sasakus fut tué, et sa chevelure fut apportée à Boston[12].

Ainsi fut détruite la grande tribu des Pequots. Plus de 2,000 sauvages avaient été tués, et près de 1,000 faits prisonniers. La plupart de ces prisonniers furent transportés aux Indes, où ils furent vendus comme esclaves.

Peu de temps après la destruction de cette tribu, les Naragansets, irrités de la cruauté des Anglais et n’étant plus retenus par les conseils de Massasoit, qui venait de mourir, résolurent de venger leurs malheureux frères, en attaquant les amis des Anglais, les Mohicans. Les Nibenets de Mount-Hope, qui depuis dix-sept ans conservaient dans leurs cœurs des projets de vengeance contre les Anglais, projets qu’ils n’avaient pu jusqu’alors mettre à exécution à cause de leur faiblesse, s’unirent volontiers aux Naragansets. Alors, Miantinomi leva, dans les deux tribus, une armée de 1,000 guerriers, et marcha contre les alliés des Anglais.

Cependant Uncas, Chet des Mohicans, ayant été informé de ce projet, eut le temps de se procurer le secours des troupes du Connecticut, et marcha à la rencontre de ses ennemis, avec une armée de 500 hommes. Les deux armées se rencontrèrent à quatre milles du village des Mohicans.

Miantinomi, qui ne s’attendait pas à rencontrer l’ennemi en cet endroit, fut attaqué à l’improviste. Les Anglais et les Mohicans tombèrent sur son armée avec impétuosité, et la mirent en déroute. Plus de cinquante Naragansets et Nibenets furent tués. Miantinomi fut fait prisonnier, avec un grand nombre de ses guerriers, et, quelques jours après, il fut impitoyablement mis à mort, à l’endroit même où son armée avait été défaite[13].

Cette défaite ne fit qu’augmenter la rage des vaincus, qui continuèrent encore la guerre pendant près de six ans, mais toujours sans succès. Ces sauvages, n’ayant plus à leur tête de Chefs habiles pour les conduire, dirigeaient mal leurs attaques, et étaient toujours repoussés. Les Mohicans, plus habiles qu’eux et toujours secourus par les Anglais, leur faisaient subir des pertes considérables.

Ces hostilités continuèrent jusqu’en 1644, où les Anglais décidèrent d’y mettre fin par la destruction de ces ennemis. Ils envoyèrent un député auprès des Naragansets, pour les informer de cette détermination, et les engager à se soumettre. Ce député fut mal reçu. Le Chef de ces sauvages déclara « qu’il tuerait tout Anglais ou Mohican qu’il rencontrerait ; que la guerre continuerait, et qu’il ne serait satisfait que lorsqu’il posséderait la tête d’Uncas. »

Les Anglais, irrités et provoqués par cette déclaration, levèrent une petite armée de 250 hommes, pour être unie à celle des Mohicans, et se hâtèrent de faire les derniers préparatifs d’une expédition contre ces ennemis obstinés.

Mais les sauvages, se rappelant le malheur des Pequots et considérant qu’un sort semblable leur était réservé s’ils étaient attaqués par l’armée anglaise, se décidèrent à demander la paix ; ce qui leur fut accordé aux conditions suivantes : « qu’ils vivraient perpétuellement en paix avec les Anglais et leurs alliés ; qu’ils remettraient aux Mohicans tous les captifs et les canots qu’ils leur avaient enlevés, et qu’ils leur payeraient annuellement 1,000 brasses de wampum »[14].

Ces conditions étaient sévères et onéreuses ; néanmoins, elles furent aceptées par les Naragansets et les Nibenets, et la paix fut rétablie dans la Nouvelle-Angleterre entre les Anglais et les Sauvages.


  1. De « Sasagoss », il marche et fait son chemin droit, ne faisant jamais de détours.
  2. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 47. 48.
  3. H. Thrumball. Hist. of the Indian Wars. 49.
  4. De « Minatsinhamuk » celui qui répond toujours au chant de guerre.
  5. H. Thrumbull. Hist. of the Indian wars. 51.
  6. De « Okassi, » tout autour. Cette expression fait comprendre que ce Chef était entouré pour ainsi dire de gloire.
  7. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 53. 54,
  8. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. 1. 300.

    H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars 54.

  9. Bancroft. Hist, of the U. S. Vol. I. 301.
  10. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 66.
  11. H. Thrumbull. Hist. of the Indian wars. 59.
  12. Idem. 59.
  13. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 61.
  14. Thrumbull. History of the Indian Wars. 26.