Histoire des Abénakis/1/08

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CHAPITRE HUITIÈME.

les abénakis — les anglais et les français.

1613-1647.


Après la destruction de Port-Royal, en 1613, les Anglais n’occupèrent pas l’Acadie. Ils se retirèrent, car ils comprirent qu’il n’était pas prudent d’y faire alors de nouveaux établissements, à cause de la haine des sauvages contr’eux.

En 1621, le Chevalier Guillaume Alexander obtint du roi d’Angleterre l’Acadie en concession, pour y établir des Écossais. Cette concession comprenait tout le territoire situé à l’Est de la rivière Sainte-Croix. Ce territoire reçut le nom de « Nouvelle-Écosse  » .

En 1622, Alexander fit partir d’Angleterre des émigrants, pour coloniser cette contrée. Ces émigrants passèrent l’hiver à Terreneuve. Au printemps, ils se remirent en route vers l’Acadie ; mais, y ayant trouvé des Français, ils n’osèrent s’y établir, et retournèrent en Angleterre.

Quelques années plus tard, en 1628, les Anglais, à la suite d’une défaite en Europe, résolurent, pour se venger, d’attaquer Québec. Alors, Alexander profita de ce moment favorable pour essayer de chasser les Français de l’Acadie. Dans ce but, il demanda l’aide du Chevalier David Kerth, qui devait être envoyé avec dix-huit vaisseaux contre les colonies de la Nouvelle-France. Kerth accéda à cette demande. Tandis qu’il faisait voile vers Québec, il envoya son lieutenant, le capitaine Stuart, attaquer le Cap-Breton. Stuart s’empara de ce pays, sans éprouver de résistance, et y bâtit un fort.

Cependant, le capitaine Daniel résolut de s’emparer du fort Stuart, et de remettre le Cap-Breton sous la domination française. Il réussit à cette entreprise, et détruisit le fort anglais. Stuart et la plupart de ses hommes furent faits prisonniers. Daniel construisit un autre fort, et y laissa une garnison de trente-huit hommes, avec deux P. P. Jésuites, les P. P. Vincent et Vieuxpont.

L’année précédente, 1627, le jeune la Tour, ayant obtenu de Louis XIII le commandement de l’Acadie, était allé s’établir au Cap-de-Sable[1].

Son père, Claude la Tour, ayant été fait prisonnier par les Anglais, fut conduit en Angleterre, où il fut fort bien traité, ce qui l’engagea à passer honteusement au service des Anglais. Il épousa une dame d’honneur de la reine, et fut nommé baronet de la Nouvelle-Écosse. Ayant obtenu une concession de terres sur la rivière Saint-Jean, il prit des arrangements avec Alexander pour y établir une colonie écossaise. Il s’engagea aussi à faire tout son possible pour obtenir la soumission de son fils, commandant au Cap-de-Sable. On lui donna deux vaisseaux, et il partit pour l’Acadie, tandis que Kerth allait attaquer Québec.

Le jeune la Tour ne se laissa fléchir, ni par les menaces, ni par les flatteuses promesses de son père. Il lui fit cette noble réponse : « Le roi, mon maître, m’a confié cette place, je la défendrai jusqu’à mon dernier soupir. »

Claude la Tour fut vaincu par son fils[2]. N’osant alors reparaître, ni en France, ni en Angleterre, il demeura quelques années en Acadie, dans une maison que son fils lui fit bâtir[3].

À cette époque, quinze années s’étaient écoulées depuis le départ des P. P. Jésuites de Saint-Sauveur. Pendant cette période, les Abénakis n’avaient pas vu un seul prêtre. Ils étaient donc demeurés sans secours religieux. Ils ne pouvaient en attendre de Québec, car alors il n’y avait aucune communication entre le Canada et l’Acadie. Les nouvelles ne se communiquaient entre ces deux pays qu’en passant par la France[4].

Aussi, la plupart de ces sauvages avaient presque complètement oublié les instructions des Pères, et étaient retombés dans leurs anciennes superstitions. Quelques-uns d’eux cependant avaient retenu quelque chose de ces instructions, et continuaient à prier. Ces bonnes gens apprirent bientôt la nouvelle de l’établissement des P. P. Jésuites au Cap-Breton. Ils en furent remplis de joie, car ils espéraient que l’un de ces missionnaires viendrait les visiter. Ces bons sauvages, profondément affligés d’être privés de tout secours religieux depuis quinze ans, furent consolés et encouragés par cette espérance.

Depuis la destruction de Saint-Sauveur, les Abénakis n’avaient pas cessé de sympathiser avec les Français, restés en Acadie. Ils les recevaient avec joie dans leurs bourgades, les adoptaient pour frères, et vivaient avec eux comme tels. Ils prenaient toujours part aux peines et aux luttes de leurs nouveaux frères, et voyaient d’un mauvais œil les efforts continuels des Anglais pour les chasser de l’Acadie.

Du côté du Maine, la colonisation anglaise n’avait pas encore progressé.

Après l’abandon du fort George, en 1608, et l’expulsion d’Hudson de la rivière Pentagoët, en 1609, les Anglais hésitèrent longtemps, à commencer de nouveaux établissements dans ce pays. Ils prétextaient l’aridité du sol ; mais, il est bien constaté que la crainte seule, que leur inspiraient les Abénakis, les éloignaient de cette contrée.

En 1627, quelques aventuriers hivernèrent à l’embouchure de la rivière Saco. Plus tard, quelques autres hivernèrent sur l’île Monhigin. Mais ce ne fut que vers 1626 que les Anglais firent leur premier établissement permanent dans le Maine. Ce fut le fort Pemaquid, qui fut placé à l’Est de la rivière Kénébec. Comme cet établissement ne fut fait que dans un but de commerce avec les sauvages, l’agriculture n’y fit aucun progrès.

Vers le même temps, quelques aventuriers allèrent s’établir à la Baie de Casco[5]. En 1630, d’autres émigrants y allèrent aussi dans ce but ; mais, ne pouvant y réussir, ils se retirèrent l’année suivante au Massachusetts. Il est probable que cette retraite fut causée par quelques difficultés, survenues entre les sauvages et ces colons.

En 1636, le territoire compris entre Pemaquid et la colonie du New-Hampshire renfermait. 150 habitants anglais. Cette contrée était alors connue sous le nom de « Province de Sagadahock » qui fut unie au Massachusetts.

À cette époque, William George fut envoyé pour gouverner cette province, et il n’y resta qu’un peu plus d’une année. Six Puritains du Massachusetts et du Connecticut furent alors nommés pour le remplacer ; mais, ils n’acceptèrent pas cette charge. Cette province demeura alors dans l’anarchie jusqu’en 1640, où le vieux Ferdinand George en prit le gouvernement. Il y établit plusieurs villages, dont l’un fut nommé « Georgeana ». Ce fut dans ce village qu’il mourut en 1647.

Après la mort de George, la province de Sagadahock demeura longtemps dans le même état, et l’on n’y vit aucun progrès. Les Anglais, toujours repoussés par les Français et gênés par les Abénakis, n’y firent que peu d’établissements pendant le reste du dix-septième siècle. Le Baron de Saint-Castin, à lui seul, y retarda la colonisation anglaise, pendant plus de trente ans[6].

En Acadie, les Français étaient redevenus les maîtres de tout le pays en 1632. Par le traité de Saint-Germain-en-Laye, ils s’étaient fait rendre la partie de ce pays, dont les Anglais s’étaient emparés. Alors l’Acadie fut divisée en trois provinces, qui furent séparées entre Razilli, la Tour et M. Denis. Razilli fut nommé Gouverneur-en-chef de ces provinces. Il avait une grande influence auprès des Abénakis et des Micmacs, et en était très-estimé[7]. L’acte le plus remarquable de son administration fut la prise de Pemaquid et l’expulsion des Anglais de ce fort. Il mourut en 1647.

Pendant que ces évènements se passaient en Acadie, quelques tribus abénakises furent visitées par les P. P. Jésuites, qui demeurèrent en ce pays de 1629-1659[8]. Nous sommes porté à croire que quelques uns de ces missionnaires pénétrèrent jusqu’à la rivière Pentagoët, vers 1635, car, dans leurs relations de cette époque, il est fait mention des Etchemins et des Pentagoëts[9].

Ces sauvages furent aussi évangélisés par des P. P. Capucins, qui s’établirent en Acadie vers 1640. Quelques uns de ces religieux allèrent établir un petit hospice à la rivière Pentagoët[10], où ils résidèrent une dizaine d’années.

Mais la tribu des Canibas, la plus considérable de toutes celles des Abénakis, ne fut visitée, ni par les P. P. Jésuites, ni par les P. P. Capucins. Elle demeura complètement abandonnée, et ne vit aucun prêtre depuis 1611. Aussi, ces sauvages, plongés dans les ténèbres de l’ignorance et de la barbarie, avaient contracté l’habitude de toutes sortes de vices. Comme les Anglais, pour favoriser leur commerce avec eux, leur fournissaient des boissons enivrantes, autant qu’ils en désiraient, ils étaient tous très-adonnés à l’ivrognerie.

Mais ces sauvages, malgré leurs vices, avaient de bons cœurs. C’est pourquoi, Dieu jeta sur eux des yeux de miséricorde, et voulut les retirer de l’abîme où ils étaient plongés, en leur envoyant des missionnaires. Dans les chapitres suivants nous nous occuperons spécialement d’eux. Nous ferons connaître le soin qu’en prit la Providence, et la docilité avec laquelle ils obéirent à la voix de Dieu.

  1. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol.II. 192.
  2. C’est cet admirable trait de courage et de fidélité qui inspira il y a quelques années, à un jeune poète canadien, M. A. Gérin-Lajoie, l’idée de chanter le siège du fort du jeune la Tour, Nous nous rappelons encore le plaisir que nous fit éprouver le récit de ce remarquable travail. Ce premier succès a été le prélude d’une suite d’écrits fort importants, sous tous rapports, qui ont placé M. A. Gérin-Lajoie au rang des premiers écrivains canadiens.
  3. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. II. 192-195.
  4. Relation des Jésuites. 1626. 41.
  5. De « Kesk8a », qui embrasse, qui fait le tour. C’est de là que les Abénakis disent :« kesk8abizun », un collier. Les sauvages avaient ainsi appelé cet endroit, soit à cause d’une pointe de terre, dont l’eau de la mer fait presque le tour, soit à cause de la baie, connue aujourd’hui sous le nom de « Baie de Casco ».
  6. E. Rameau. Acadiens et Canadiens, 1ère  partie, 26.
  7. Relations des Jésuites. 1606, 41.
  8. Relations des Jésuites. 1659-7.
  9. Idem. 1640-35.
  10. Idem, 1647. 42.