Histoire des Abénakis/2/11.1

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CHAPITRE ONZIÈME.

la famille gill.

Il est facile de voir, d’après ce que nous avons dit jusqu’à présent, que les Abénakis rendirent d’importants services à la Nouvelle-France par leurs armes. Ils rendirent aussi à cette colonie un autre service non moins important, en augmentant sa population par les nombreux captifs anglais qu’ils y emmenèrent.

En effet, pendant une longue période, il s’écoula peu d’années sans que ces sauvages emmenassent en Canada des prisonniers, hommes, femmes et enfants, qu’ils enlevaient dans les colonies anglaises. Ces prisonniers étaient si bien traités qu’un grand nombre se firent catholiques et restèrent en Canada. Ils reçurent des lettres de naturalisation et devinrent Français. Nos archives renferment de ces lettres, qui contiennent des pages entières de noms[1].

Plusieurs jeunes captives anglaises, admises dans des familles canadiennes des plus distinguées, même chez les gouverneurs, reçurent une haute éducation chez les Dames Ursulines de Québec. Quelques unes de ces jeunes filles restèrent en Canada.

Les prisonniers, qui furent naturalisés, s’établirent au milieu des Français ; et aujourd’hui leurs descendants forment de nombreuses familles canadiennes, disséminées çà et là dans le pays. La famille Gill, aujourd’hui si considérable dans les paroisses de Saint-François-du-lac et de Saint-Thomas de Pierreville, en est un exemple bien remarquable.

Afin de faire mieux comprendre l’importance du service que les Abénakis rendirent à la colonie, sous le rapport qui nous occupe ici, nous allons donner une notice détaillée sur cette famille, De là, nous pourrons nous former une idée fort approximative du nombre de Canadiens, dont les ancêtres sont originaires des colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-York.

Un Anglais, du nom de Gill, émigra d’Angleterre vers 1670, paraît-il, pour venir s’établir dans les colonies anglaises de l’Amérique. Il se fixa à Boston. Bientôt, il prit du service dans l’armée. En 1672, il était caporal dans les troupes commandées par Thomas Prentice. Alors, il prit part à la guerre contre le roi Philippe, Grand Chef de guerre des Nibenets[2].

Trente ans plus tard, les Anglais ayant rétabli la petite ville de Deerfield, Massachusetts, qui avait été détruite par les Abénakis, songèrent à former de nouveaux établissements encore plus au Nord, près des limites actuelles du Vermont et du New Hampshire. Alors un des fils de l’ancien caporal Gill alla jeter les fondements de l’établissement, qui porte aujourd’hui le nom de Gilltown, situé dans le Nord du Massachusetts, près de la rivière Connecticut[3]. Le nouveau colon, ayant hérité de l’humeur guerrière de son père, prit du service dans l’armée. En 1711, il était dans les troupes de Nicholson, qui devait attaquer Montréal, tandis que Walker assiégerait Québec.

Dès que Nicholson se fut retiré d’Albany et tandis que les colonies anglaises étaient sous l’empire de la terreur, à la suite du désastre de la flotte de Walker, un petit parti d’Abénakis remonte le Richelieu, traverse le lac Champlain, franchit les montagnes du Vermont, se rend à la rivière Connecticut, descend par les torrents de cette rivière et va tomber à l’improviste sur Gilltown, en l’absence du colon Gill. Il pille ce village, enlève un des fils de Gill et la fille d’un ministre protestant, du nom de James.

Le jeune Gill était âgé de quatorze ans, et se nommait Samuel. Le nom de baptême de la jeune fille n’a jamais été connu ; elle était âgée de douze ans.

Les Abénakis emmenèrent ces deux jeunes captifs dans leur village de Saint-François. Ils les adoptèrent pour leurs enfants et les traitèrent tendrement. Ces jeunes Anglais se firent bientôt catholiques. Ils s’attachèrent tellement aux sauvages qu’ils adoptèrent leurs coutumes, leur langage, leur manière de vivre, et ne songèrent jamais à retourner vers leurs parents, quoiqu’il leur fût permis dans la suite de les visiter suivant leurs désirs. Ils passèrent le reste de leurs jours à Saint-François, au milieu des sauvages. Samuel Gill mourut vers 1758, et fut inhumé dans l’église des Abénakis. Mademoiselle James était morte vingt ans auparavant, vers 1738.

Quoique Samuel Gill parlât habituellement l’abénakis, il n’oublia jamais sa langue maternelle. Aussi, il fut toujours l’interprète anglais des Abénakis,

En 1715, les deux jeunes Anglais étant d’âge de se marier, les Abénakis se réunirent en grand conseil pour traiter de l’affaire du mariage de ces deux enfants adoptifs. Car, suivant l’usage alors établi parmi ces sauvages, les Chefs, réunis en Conseil, choisissaient eux-mêmes les épouses qui convenaient à leurs jeunes gens. Quelques Chefs furent d’opinion de marier le jeune Samuel à une sauvagesse, et la jeune James à un sauvage. Mais la majorité du conseil décida de marier ensemble les deux jeunes Anglais, afin de conserver la race blanche dans le village[4]. Le mariage fut célébré de suite par le P. Joseph Aubéry, alors missionnaire des Abénakis.

Maintenant nous allons faire connaître, avec autant d’exactitude que possible, les descendants de ces deux Anglo-Américains[5].

  1. Régistre du Conseil Supérieur.
  2. Church’s Indian Wars, edited by Drake. 1839.
  3. Mitchell’s New general Atlas. County map of Massachusetts Connecticut and Rhode-Island. 1864.
  4. Les Abénakis ont toujours aimé à conserver quelques blancs dans leurs villages. Ils adoptaient des enfants canadiens, qu’ils mariaient plus tard à des sauvages. Il y a encore aujourd’hui dans le village de Saint-François quelques jeunes Canadiens, qui ont été adoptés par les sauvages. Ces Canadiens parlent si bien le sauvage qu’on les croirait Abénakis.
  5. Les actes des baptêmes, mariages et sépultures de la famille Gill ont été inscrits sur les régistres des Abénakis, jusqu’en 1760. Comme ces régistres ont été brûlés en 1759, nous avons rencontré beaucoup de difficultés dans nos recherches. Les dates que nous mentionnons, jusqu’en 1760, n’ont pu être constatées que par la tradition et par les actes des décès arrivés après 1760 Par des rapprochements et des déductions, nous avons pu arriver à quelques unes de ces dates d’une manière assez satisfaisante.