Histoire des Abénakis/3/04

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CHAPITRE QUATRIÈME.

campagnes de 1813-1814.


Les Abénakis se distinguèrent pendant la campagne de 1813. Ils furent placés, au nombre de près de 200, sous les ordres du colonel Salaberry, pour la défense de la frontière, du côté du lac Champlain. Ils passèrent l’été à épier les mouvements de l’ennemi ; de ce côté. Enfin, le 26 Octobre, ils combattirent courageusement à la bataille de Chateauguay, comme nous allons le voir.

Voici les détails des opérations militaires de cette célèbre campagne.

Les Américains, ne désespérant pas de triompher malgré les défaites de l’année précédente, se préparèrent à pousser la guerre avec vigueur. Ils divisèrent leurs forces en trois armées. Celle de l’ouest, sous les ordres du général Harrison, fut chargée d’opérer sur le lac Érié ; celle du centre, commandée par le général Dearborn, devait opérer sur le lac Ontario ; et celle du nord, commandée par le général Hampton, devait envahir le Canada, par le lac Champlain.

Harrison réunit ses troupes à la tête du lac Érié, pour attaquer les Anglais au Détroit et à Malden, situé un peu plus bas, sur la rive gauche du lac Érié. Un détachement de ses troupes, sous les ordres du général Winchester, s’empara du village de Frenchtown, situé à 30 milles de la rivière des Miâmis. Le général Proctor, qui était à Malden, résolut d’aller chasser les Américains de ce village, avant qu’ils ne fussent rejoints par le reste de leur armée. Il réunit 1,100 hommes, y compris 600 sauvages, et parut, le 22 Janvier, devant Frenchtown, qu’il attaqua de suite. Les Américains, craignant de tomber entre les mains des sauvages, se défendirent longtemps. Dès le commencement de l’action, Winchester fut pris par un Chef sauvage et conduit à Proctor. Enfin, les Américains, voyant qu’il leur était impossible de résister plus longtemps, posèrent les armes, à condition qu’ils seraient protégés contre les sauvages. Mais cette condition ne put être observée. Un grand nombre de prisonniers américains furent massacrés par les sauvages, malgré les efforts des officiers anglais pour arrêter ce désordre. Ce combat coûta aux Américains plus de 300 hommes, tués ou blesses, et plus de 200 aux vainqueurs.

Harrisson, apprenant que Proctor était retourné à Malden, alla se retrancher sur la rivière des Miâmis, en attendant d’autres troupes. Il appela ce camp le fort Meigs. Proctor résolut de l’attaquer de suite. Il investit ses retranchements, à la fin d’Avril. Le 5 Mai, le général Clay arriva au secours de Harrisson, avec 1,200 hommes, et parvint à enlever une partie des batteries anglaises. Cependant, après un combat violent, Procter parvint à repousser Clay, et lui enleva 500 prisonniers. Alors, les sauvages, fatigués du combat, se retirèrent du camp anglais, malgré les représentations de leur célèbre Chef Tecumseh ; ce qui força Proctor de se retirer à Malden. Harrisson alla établir son camp sur la rivière Sandusky, pour attendre la flotte, qui s’armait vers le bas du lac Érié, sous la direction du capitaine Perry.

Pendant que Perry armait sa flotte, les Anglais se préparaient avec activité pour lui résister. L’Angleterre avait envoyé en Canada, pendant l’hiver, des officiers et des matelots, qui étaient venus par terre, d’Halifax à Québec, et qui furent aussitôt envoyés pour équiper une flotte sur le lac Ontario. Ils y furent rejoints, au printemps, par Sir James Yeo, et près de 500 matelots. Yeo prit le commandement de la marine, et mit la flotte du lac Érié sous les ordres du capitaine Barclay, qui alla de suite bloquer les bâtiments américains dans le havre de la presqu’île. Barclay ayant été obligé de s’éloigner un peu, Perry en profita pour sortir sa flotte, et remonta à la tête du lac. Les deux flottes se rencontrèrent, le 10 Septembre, à Put-in-Bay. Barclay avait 6 vaisseaux et 63 canons, Perry avait 9 vaisseaux et 54 canons. Le combat dura quatre heures. On crut pendant quelque temps que la victoire allait se déclarer en faveur des Anglais. Plusieurs vaisseaux de Perry furent fort maltraités. Mais le vent étant devenu favorable à sa flotte, il réussit à disperser celle des Anglais. La victoire des Américains fut complète, et fit perdre aux Anglais tous les avantages qu’ils avaient obtenus de ce côté, depuis le commencement de la campagne.

Après la défaite de Barclay, Proctor comprit que sa position n’était plus tenable et qu’il devait fuir. Il abandonna le Détroit, et se dirigea, en toute hâte, vers le lac Ontario. Harrison se mit à sa poursuite, et atteignit son arrière-garde à Moraviantown. Le lendemain, Proctor se vit obligé de tenter le sort des armes, pour éviter une ruine complète. Il était accompagné du fidèle et courageux Tecumseh, sur lequel il comptait beaucoup. La bravoure et le courage de ce célèbre Chef étaient en effet si extraordinaires qu’on le considère comme le héros de cette campagne au lac Érié. Tecumseh harangua ses guerriers et le combat s’engagea. Ce combat fut très-vif. Enfin, les Anglais plièrent et posèrent les armes ; mais Tecumseh tint ferme ; il encouragea ses sauvages et continua la lutte jusqu’à ce qu’il tombât percé de coups. Près de 700 Anglais furent fait prisonniers. Proctor put s’échapper et atteindre la tête du lac Ontario, avec environ 300 hommes. Ainsi, la défaite des Anglais, du côté de l’Ouest, fut complète.

Pendant qu’on se battait de ce côté, les opérations se faisaient sur le lac Ontario.

Dès le printemps, Dearborn prépara, à Sacketts-Harbour, une expédition contre Toronto. Il partit, le 25 Avril, avec 1,700 hommes, sur la flotte de Chauncey, et arriva près de Toronto, le 27. Le général Sheaffe voulut s’opposer au débarquement des Américains, mais il fut repoussé. Dearborn attaqua la ville, le même jour. Au moment de l’attaque, une poudrière sauta et 200 Américains furent tués ; ce qui n’empêcha pas néanmoins la reddition de la ville.

De là, Dearborn alla s’emparer du fort Georges, situé à la tête du lac Ontario. Le général Vincent, qui y commandait, se retira à Queenston ; mais, poursuivi par les Américains, il fut forcé d’opérer sa retraite jusque sur les hauteurs de Burlington.

Le gouverneur Prévost, qui était monté à Kingston dans le mois de Février, et Yeo résolurent de profiter de l’absence de la flotte ennemie pour aller attaquer Sacketts-Harbour. Le gouverneur s’embarqua avec 6,000 hommes et parut, le 28 Mai, devant Sacketts-Harbour. Il retarda son débarquement au lendemain, ce qui donna à l’ennemi le temps d’avoir du secours et de faire des préparatifs de défense. Le lendemain, il fut obligé d’aller un peu plus loin, où il opéra difficilement son débarquement, sous un feu très-vif. Il s’avança alors jusqu’aux retranchements de l’ennemi. Les Américains, se croyant perdus mirent le feu à leurs magasins et à leurs casernes, et prirent la fuite. Tout fut consumé, et il ne resta rien à Prévost.

Les américains avaient poursuivi le général Vincent jusqu’à Burlington, et avaient établi leur campement près de lui. Harvey partit, avec 700 hommes, pour aller les chasser de cette position. Il tomba sur eux à l’improviste, le 5 Juin, les chassa de leur camp, et fit prisonniers les généraux Chandler et Winder.

À la fin de Juin, un détachement américain fut cerné et défait par le lieutenant Fitzgibbon, à quelques milles de Queenston. Dans le mois de Juillet, Black-Rock fut brûlé par les Anglais.

Cependant les deux flottes s’évitaient sur le lac Ontario. Enfin, elles se rencontrèrent devant Toronto, le 28 Septembre. Après un combat de deux heures, le commandant anglais fut repoussé, puis il alla se réfugier près de Burlington.

Tels sont les principaux évènements qui se passèrent dans le Haut-Canada.

Le plan d’opérations des Américains sur le Bas-Canada était de réunir l’armée du centre à celle du nord, pour marcher sur Montréal, et ensuite sur Québec.

Le général américain, Wilkinson, réunit environ 9,000 soldats à French-Creek, 21 milles plus bas que Sacketts-Harbour. Il s’embarqua, au commencement de Novembre, sur des berges et descendit le fleuve, sous la protection d’un fort détachement, qui suivait la rive gauche.

Le général anglais, Rottenburgh, pensant que cette armée marchait contre Kingston, le fit suivre par un peu plus de 800 hommes. Les Américains débarquèrent au-dessus des rapides du Long-Sault, et continuèrent leur route. Arrivé à Chrystlers-Farm, à mi-chemin entre Kingston et Montréal, Wilkinson, se voyant pressé par les Anglais, fit arrêter son arrière-garde, commandée par le général Boyd, et ordonna de les attaquer. Le combat s’engagea, le 11, et dura 2 heures. Les Américains, au nombre d’environ 3,000, furent défaits, 500 hommes furent blessés ou tués dans cette action. Les Américains n’en continuèrent pas moins leur route vers Montréal. Le lendemain, ils étaient réunis à Cornwall et à Saint-Régis. Mais, ayant appris la défaite du général Hampton, à Chateauguay, ils retournèrent sur leurs pas.

Le général Hampton demeura inactif une grande partie de l’été. Le général Murray avait pénétré jusque dans son voisinage, dans le mois de Juillet, avec 1,000 hommes. Il s’était avancé sur le lac Champlain, avait brûlé plusieurs édifices à Plattsburgh, Burlington et Swanton, et avait jeté la terreur sur la frontière de ce côté. Hampton voulut avancer par l’Acadie, dans le mois de Septembre, mais il fut arrêté par le colonel Salaberry, avec 600 hommes, parmi lesquels étaient les Abénakis. Il y eut plusieurs escarmouches, où des détachements d’Américains furent battus. Hampton, n’osant s’avancer plus loin, se retira à Four-Corners. Bientôt Salaberry, avec 200 voltigeurs et environ 150 Abénakis, surprit les Américains dans leur camp. Il causa la plus grande confusion parmi eux, puis se retira.

Cependant, Hampton dut se décider à avancer, car le temps où son armée devait opérer sa jonction avec celle de Wilkinson arrivait. Ne pouvant suivre la route de l’Acadie, il se dirigea vers les sources de la rivière Chateauguay. Les Anglais avaient prévu cette décision. Ils avaient embarrassé cette route, y avaient fait, en différents endroits, des ouvrages défensifs, et y avaient placé des gardes.

Le gouverneur Prévost avait laissé le commandement des forces du Haut-Canada au général Rottenburgh, et était venu se placer à Caughnawaga, pour s’opposer à la jonction des deux armées américaines. Apprenant la marche de Hampton, il appela aussitôt la milice du District, pour aller au secours du point menacé. Ses ordres furent promptement exécutés.

Le 21 Octobre, l’avant-garde de l’armée américaine repoussa des gardes anglaises, placées à 30 milles au-dessus de l’église de Chateauguay. Les capitaines Lévesque et Debartzch se portèrent aussitôt en avant avec leurs compagnies et 200 miliciens de Beauharnais, et s’arrêtèrent à 6 milles de là, derrière un bois très-épais, qui leur offrait une bonne protection. Le lendemain, le colonel Salaberry les rejoignit avec ses voltigeurs et les Abénakis. Salaberry prit la direction de ces différents corps. Il remonta la rivière Chateauguay, par la rive gauche, jusqu’à l’autre extrémité du bois ; car il savait qu’en cet endroit le terrain, étant entrecoupé de ravins, offrait une excellente position défensive. Il y fit quatre lignes d’abatis, dont trois étaient à 400 verges l’une de l’autre, et la quatrième, à un demi-mille en arrière. Toute la journée fut employée à fortifier ces lignes. Il plaça, du côté droit de la rivière, dans un bois épais, un fort détachement. Il fit détruire tous les ponts jusqu’à une grande distance en avant de sa position ; puis il fit abattre un bois entre la rivière et un marais, qui se trouvait au-delà de la plaine qu’il occupait, afin d’empêcher le passage de l’artillerie de l’ennemi. Ces ouvrages étaient terminés lorsque l’ennemi parut.

7,000 Américains s’avançaient en bon ordre, et on n’avait à leur opposer qu’environ 300 Canadiens, quelques Écossais et environ 150 Abénakis !  !

Hampton avait partagé son armée en deux divisions. La première division, composée de cavalerie et de fantassins et soutenue par 2,000 hommes, qui marchaient en arrière, s’avançait du côté gauche de la rivière, pour attaquer les retranchements de Salaberry. La seconde division, composée de 1,500 hommes, sous les ordres du colonel Purdy, s’avançait sur la rive droite.

Salaberry forma son front de bataille avec trois compagnies, quelques miliciens et une partie des sauvages, qu’il plaça en avant des abatis. Trois autres compagnies, les Écossais et le reste des sauvages furent distribués derrière les abatis.

Une forte colonne d’infanterie, à la tête de laquelle marchait un officier à haute stature, s’avançait en avant de la première division de l’armée américaine. Cet officier fit quelques pas en avant, et, s’adressant aux Canadiens il dit, en français : « Braves Canadiens rendez-vous, nous ne voulons pas vous faire du mal. » Pour réponse, il reçut un coup de fusil qui le renversa par terre. Ce fut le signal du combat. Les trompettes sonnèrent, et une vive fusillade s’engagea sur toute la ligne. La fusillade continua longtemps sans résultat apparent. Hampton, voyant que ses efforts étaient inutiles, tenta un autre moyen pour essayer de repousser les Canadiens. Il concentra ses forces, et attaqua tantôt le centre de l’armée de Salaberry, tantôt une aile et tantôt l’autre. Mais tout fut sans succès.

Les Abénakis et les Canadiens se défendirent avec un courage extraordinaire. Ceux qui étaient distribués derrière les abatis soutenaient leur fusillade avec tant d’activité que les Américains crurent qu’ils avaient à combattre un nombre très-considérable de Canadiens.

Au plus fort du combat, Salaberry fut renversé par terre. Aussitôt un Abénakis, du nom de Louis Sougelon, qui se trouvait près de lui, vola à son secours et l’aida à se relever. Le colonel n’était pas blessé, et il reprit aussitôt le commandement de la bataille[1].

Hampton, vivement repoussé partout, se vit enfin obligé de se retirer, après avoir fait des pertes considérables.

La seconde division de l’armée américaine attaqua le détachement que Salaberry avait placé à la droite de la rivière. Ce détachement, accablé par le nombre, recula un peu dès que Hampton se fut retiré, Salaberry s’approcha de la rivière, et dirigea, de la main, les mouvements des troupes placées de l’autre côté. Il échelonna sur la rive gauche celles qu’il avait de son côté, et fit ouvrir un feu meurtrier sur le flanc de l’ennemi qui s’avançait. Bientôt, le désordre se mit parmi les Américains, et ils s’enfuirent avec précipitation.

Tel fut le résultat de la célèbre bataille de Chateauguay, où un peu plus de 400 hommes repoussèrent 7,000 Américains, après un combat très-vif de 4 heures.

Le gouverneur remercia les Abénakis des services qu’ils venaient de rendre au pays, et leur promit des récompenses. Les sauvages retournèrent dans leurs villages, après s’être couverts de gloire dans cette célèbre campagne.

Dès le commencement de l’hiver, 1813-1814, le gouverneur s’occupa des préparatifs de la campagne suivante. Il reçut à Québec, avec pompe, une députation d’une dizaine de nations sauvages de l’Ouest. « Les Américains, » dirent ces Chefs, « prennent tous les jours nos terres. Ils n’ont aucune pitié pour nous, et veulent nous chasser au loin vers le couchant. » Le gouverneur leur donna des armes, et les exhorta à continuer à lutter contre leurs ennemis.

Les Abénakis ne furent pas invités pour la campagne de 1814. Un grand nombre de ces sauvages avaient été tués dans les guerres précédentes, d’autres avaient été blessés et étaient incapables de reprendre les armes. Ces fidèles et courageux guerriers avaient besoin de repos. D’ailleurs, le pays n’avait pas besoin de leurs services pour cette campagne, car la fin de la crise européenne permit à l’Angleterre d’envoyer des renforts en Canada. 14,000 hommes de troupes arrivèrent à Québec, dans les mois de Juillet et d’Août. Ces troupes furent envoyées dans le Haut-Canada et à la frontière, du côté du lac Champlain.

Dans la campagne de 1814, les anglais obtinrent la suprématie sur le lac Ontario ; mais ils furent battus sur le lac Champlain. Le 6 Septembre, le gouverneur fut repoussé à Plattsburg, avec des pertes considérables[2].

D’un autre côté, l’Angleterre envoya sur les côtes des États-Unis des flottes chargées de troupes, afin de forcer les Américains de retirer leur armée des frontières du Canada. Les escadres anglaises bloquèrent tous les principaux ports, depuis la Nouvelle-Écosse jusqu’au Mexique. La ville de Washington tomba au pouvoir des Anglais ; le capitole et les édifices publics furent brûlés. À Alexandrie, on livra aux Anglais les bâtiments qui étaient dans le port, afin d’éviter l’incendie de la ville. À New-York, New-London, et Boston beaucoup de navires furent enlevés. Dans les états du Sud, les Anglais firent aussi de grands ravages. Ils firent subir partout des pertes considérables au commerce américain.

Bientôt, des députés du Massachusetts, du Connecticut, du Rhode-Island, du Vermont et du New-Hampshire, se réunirent à Hartford, pour prendre en considération l’état déplorable de la république américaine, et demander la paix. Il s’en suivit de grandes querelles dans tout le pays ; mais le Gouvernement fédéral finit par se décider en faveur de la paix.

Le traité de Gand fut signé, le 24 Décembre. Par ce traité, on abandonnait la question des frontières du Canada et du Nouveau-Brunswick à la décision de commissaires, qui seraient nommés par les deux Gouvernements. La paix fut rétablie dans le Canada.

  1. Nous tenons ces détails de Louis Sougelo même. Ce brave guerrier nous a souvent raconté, d’une manière très-détaillée, les campagnes de 1812-1813. Il fut blessé à la bataille de Chateauguay. Sa bravoure lui mérita une médaille d’honneur. Cette médaille porte cette inscription : « Louis Sougelon, guerrier de Chateauguay. » Cet Abénakis résidait à Bécancourt, où il est mort il y a quelques années. Il nous a souvent dit que les Abénakis avaient une grande affection pour le colonel Salaberry.
  2. Quelques guerriers abénakis assistèrent à l’affaire de Plattsburgh.