Aller au contenu

Histoire des Canadiens-français, Tome V/Chapitre 5

La bibliothèque libre.
Wilson & Cie (Vp. 93-110).

CHAPITRE V

1682 — 1686


MM. de la Barre et de Meulles remplacent MM. de Frontenac et Duchesneau. — La Nouvelle-Angleterre. — Les Iroquois. — La Salle. — Les traiteurs. — Expédition contre les Iroquois. — Sauvages de l’Ouest. — Monseigneur de Laval se retire. — La Baie d’Hudson de 1673 à 1686. — Coureurs de bois. — Gentilshommes qui font la traite. — M. de la Barre réprimandé par le roi. — La noblesse en Canada avant 1686. — Les mots « écuyer » et « noble homme. » — Troupes de la Marine. — Peu d’émigration.



Q
uinze ou seize années de développement et de prospérité marquent l’époque qui suivit l’arrivée du régiment de Carignan (1665 à 1681). Ces troupes avaient mis fin aux massacres commis jusque là par les Iroquois ; l’activité intelligente et patriotique de Talon se fit sentir partout ; les mesures édictées par Colbert étaient habiles et généreuses pour la plupart ; tout cela avait transformé la Nouvelle-France.

Le moment arrivait où cette colonie allait entrer dans une phase bien différente de celles dont nous avons parlé. Soixante et quinze années de guerre l’attendaient.

Frontenac et Duchesneau s’étaient voué une haine de Corse. Chaque semaine amenait un conflit, un scandale, un acte de résistance de la part de l’un de ces deux hommes. Le roi, poussé à bout, les rappela (10 mai 1682) en nommant M. Lefebvre de la Barre gouverneur et M. de Meulles intendant. Le nouveau gouverneur était avancé en âge et parfaitement inepte aux choses du Canada. L’intendant était un personnage à dentelles qui méprisait les habitants des colonies. Cette même année, comme prélude de bien d’autres désastres, un incendie (5 août) consuma une partie de la basse ville de Québec, ruinant le commerce de presque toute la colonie. M. Charles Aubert de la Chesnaye, l’un des marchands les plus à l’aise du pays, ne perdit point ses magasins et se dévoua pour relever ses confrères. En même temps, la situation diplomatique se tendait en Europe. Louis XIV faisait bombarder Alger et cette action éveillait les susceptibilités des cours qui redoutaient l’ambition du grand roi. Colbert mourait (1683) épuisé de travail, d’inquiétudes et de chagrins, laissant Louvois, son rival, libre de recommencer les guerres et de négliger le Canada. L’Espagne était attaquée ; on bombardait Gênes (1684) ; les Iroquois reprenaient les armes ; le colonel Thomas Dongan arrivait comme gouverneur de la Nouvelle-York ; les Anglais pénétraient jusqu’au Détroit pour traiter ; François-Marie Perrot, quittant Montréal, se voyait placé à la tête de l’Acadie d’où se retirait Michel Le Neuf de la Vallières. Le Canada entrait dans une période d’effervescence et de dangers qui devait taxer lourdement et le courage et les ressources de ses colons.

Comme pour se préparer à ces temps d’épreuves et honorer leur patrie d’une gloire inattendue, plusieurs jeunes Canadiens servaient alors dans l’armée française ou sur la flotte que commandaient Tourville, Jean Bart et Duquesne. Nous les verrons reparaître et prendre la direction de nos milices, de manière à déconcerter les tentatives d’invasion des Anglais et balancer, contre des forces cinq fois plus nombreuses, les destinées de l’Amérique du Nord.

Dongan trouva la situation nettement dessinée : les Iroquois venaient de tuer trois ou quatre cents Illinois et d’en enlever neuf cents (1681). La Salle était accusé par de la Barre de provoquer sans motif les ressentiments des Iroquois. Depuis la paix de Nimègue (1679) les commerçants anglais et hollandais s’étaient avancés vers le lac Huron et le pays des Illinois. Dongan conçut le projet d’engager les Iroquois, ses voisins, à s’attacher à l’Angleterre et de réclamer tout le territoire situé au sud des grands lacs comme appartenant à cette puissance. M. de la Barre interprêta avec plus ou moins de bonheur les ordonnances relatives à la traite des fourrures et fit entrer en lutte ouverte Français contre Français. Le nuage qui grossissait du côté de New-York et d’Albany se rapprochait chaque jour davantage à la faveur de ces dissensions intestines. Il fallait mille hommes de troupes dans les contrées ainsi mises en dispute — mais les garnisons du Bas-Canada étaient insignifiantes par leur nombre. Les habitants pouvaient bien fournir mille bons miliciens parfaitement dressés — restait à savoir qui travaillerait aux récoltes en leur absence. Le roi réservait ses soldats pour les éventualités d’une guerre prochaine en Europe.

Charles Le Moyne de Longueuil dépêché vers les Iroquois qui avaient pillé des canots français, ne réussit pas à leur faire entendre raison. C’était en 1683. Un appel fut adressé à la cour de France. Le 9 novembre, un navire débarqua à Québec trois compagnies de cinquante-deux hommes chacune commandées par les capitaines d’Hosta, Chevalier et Aubry. Ce faible secours intimida momentanément les Iroquois. À la fin de février 1684, ceux-ci reprirent de l’audace et enlevèrent pour seize mille livres de marchandises à des Français qui se rendaient aux Illinois. En même temps, M. de la Barre faisait retirer La Salle de Cataracoui et plaçait au fort Saint-Louis, sur la rivière des Illinois, M. de Baugy comme successeur de Henry de Tonty qui avait créé ce poste par ordre de La Salle. Au mois de mars, Olivier Morel de la Durantaye, qui commandait à Michillimakinac, se mit en marche avec ce qu’il avait d’hommes disponibles pour porter secours au fort Saint-Louis des Illinois, ayant appris que les Iroquois se préparaient à le surprendre. Le coup n’eut pas lieu, bien que les Tsonnontouans se fussent avancés assez loin dans cette direction. Leur dessein était manifeste et la guerre devenait inévitable. Au printemps (1684) un détachement de soldats partit de Québec pour Cataracoui. Au commencement de juin, le gouverneur débarqua à Montréal avec le reste de ses troupes et des sauvages hurons et algonquins. Les milices ne se firent pas attendre ; elles prenaient le mousquet pour ne les déposer que soixante et seize ans plus tard. Trois cent cinquante guerriers sauvages, sept cents Canadiens et cent trente soldats composaient cette petite armée. La milice était divisée en trois corps sous les ordres de René Robineau de Bécancour[1], François Chorel[2] et Sidrac Duguay[3]. Le premier août on était au lac Saint-François ; le 21 les troupes campaient à l’anse de la Famine, bord oriental du lac Ontario, non loin d’Ogdensburg aujourd’hui. Dongan commit en ce moment une faute majeure : il déclara les territoires des cantons iroquois propriété de l’Angleterre et défendit le commerce avec les Français. Charles Le Moyne de Longueuil, envoyé avec quelques-uns de ses fils, en députation chez les Iroquois, engagea ces derniers à s’entendre avec M. de la Barre et le 3 septembre il revint à la Famine accompagné de plusieurs chefs qui conclurent la paix sans trop concéder de leurs anciennes prétentions. L’intendant de Meulles accuse le gouverneur d’avoir sacrifié la colonie en vue de favoriser le commerce qu’il faisait avec les sauvages. L’armée française, du reste, n’était plus belle à voir : la disette et les maladies l’avaient rudement éprouvée. De là le nom d’anse à la « Famine » que prit le lieu de son campement lequel fut transformé en poste de la « Galette » quelques années plus tard.

Un renfort considérable venant de l’ouest arriva trop tard pour se joindre à l’expédition et dût s’arrêter à Niagara. C’était un gros de cinq cents sauvages, Hurons, Outagamis, Outaouais que Daniel Greysolon du Luth et Olivier Morel de la Durantaye avaient déterminés à les suivre avec l’aide tout puissant de Nicolas Perrot ; deux cents Canadiens et Français s’étaient joints à eux. Ils éprouvèrent tous un profond désappointement à la nouvelle de la conclusion de la paix ; les sauvages de l’ouest saisirent le côté politique de la question, qui n’était pas à leur avantage, et retournèrent chez eux mécontents.

La santé de Mgr de Laval était devenue chancelante ; le prélat songeait à se faire remplacer. Le 6 novembre 1684, il établit dans la cathédrale de Québec un chapitre composé de douze chanoines et de quatre chapelains ; l’installation eut lieu le 12 ; deux jours après Monseigneur partit pour la France. M. l’abbé Ferland dit : « Il comprenait qu’il n’avait plus l’énergie suffisante pour lutter contre les exigences[4] du ministre, qui avait hérité des préjugés[5] de son père[6] contre l’évêque[7] de Québec. On voulait forcer Mgr de Laval à établir des cures fixes[8] dans un diocèse où les paroisses n’étaient pas en état de soutenir leurs pasteurs[9]. Ignorant les besoins causés par la vigueur du climat et par le prix élevé des choses nécessaires à la vie, le ministre aurait voulu établir les choses comme elles l’étaient en France[10]. D’ailleurs, le pays s’était peuplé au hasard[11], et dans les campagnes les maisons s’étaient bâties de loin en loin[12], au gré des particuliers. Comme il était impossible de donner aux cures des limites raisonnables[13], il n’était pas aisé de fixer des cures ; il fallait démembrer, séparer, multiplier les paroisses[14] pour la commodité des pasteurs et du peuple. Il fallait changer[15] les pasteurs dans un pays où les missions[16], de jour en jour prenaient une nouvelle face ; ces changements étaient alors d’autant plus faciles que le clergé du Canada appartenant à des communautés, les supérieurs étaient les maîtres absolus de tous les ouvriers évangéliques[17]. Mgr de Laval comprenait[18] mieux, de jour en jour, les difficultés qui l’environnaient. Au milieu de son clergé qui, jusqu’alors s’était montré si zélé pour le salut du peuple, et si docile[19] à la voix de son évêque, il lui fallait introduire des pasteurs nouveaux[20], dont il ne lui était pas facile d’étudier les dispositions[21]. Son humilité[22] lui persuadait qu’un autre serait plus propre que lui à conduire l’église du Canada. » Il est bon de comparer ces assertions de Mgr. de Laval (car M. Ferland ne fait que les reproduire en les résumant) avec le recensement de 1681 et la carte cadastrale de 1685, pour savoir à quoi s’en tenir sur la prétendue pauvreté des habitants et la manière dont ils s’étaient groupés sur les terres.

La question de la baie du Nord occupait enfin sérieusement l’attention de ceux qui tenaient la main à l’administration du Canada. Chouart et Radisson avaient abandonné les Anglais vers 1676[23]. Charlevoix dit qu’ils étaient retournés en France d’abord, et que le roi avait donné permission à Chouart de revoir le Canada. Selon les notes publiées par la société Historique de New-York, Chouart aurait fait un voyage au port Nelson en 1673 et l’année suivante il était au fort Rupert trafiquant à la rivière l’Orignal ou Moose pour ses patrons et associés les Anglais. Peu après on découvrit qu’il entretenait des relations avec les Français et il fut renvoyé, ce qui l’induisit à partir pour la France, où il obtint la permission (1676) de retourner en Canada, avec le privilège d’y faire la pêche du marsouin et du loup-marin. Quant à Radisson il alla servir dans les îles françaises de l’Amérique sous le maréchal d’Estrées. Vers 1680, il était à Québec, proposant à Frontenac de faire des établissements le long des côtes dans la direction de la baie du Nord, chose que le gouverneur jugea assez délicate pour ne pas l’autoriser avant que d’avoir l’avis du ministre. Au recensement de 1681, Chouart est mentionné aux Trois-Rivières et Radisson à Québec. Peu après, ce dernier obtint le privilége de partir pour l’Angleterre, par la voie de Boston, afin de rencontrer sa femme, et avec l’entente qu’il irait ensuite à Paris soumettre ses projets au ministre. L’erreur commise par la France en 1667 portait ses fruits : les Anglais étaient établis dans la grande baie et y jouissaient seuls des bénéfices de la traite. Les marchands de Québec tournaient leurs regards de ce côté. En 1682 ils formèrent une compagnie dite du Nord et confièrent à Radisson et à Chouart la conduite de deux navires, le Saint-Pierre et la Sainte-Anne, avec lesquels nos aventuriers allèrent droit au premier fort des Anglais, mais n’osèrent l’attaquer parce qu’il était en très bon état de défense. Le 26 août ils étaient à l’embouchure de la rivière Bourbon, où un navire français avait relâché en 1675, le même navire probablement sur lequel Chouart et Radisson s’étaient enfuis de la baie. Durant leur séjour en ces lieux, ils surprirent un poste anglais à la rivière Sainte-Thérèse, non loin de là, et firent douze prisonniers parmi lesquels Benjamin Gillam, de la Nouvelle-Angleterre, fils de Zacharie Gillam, capitaine du Quaiche en 1668. Au retour (1683) ils capturèrent un navire de Boston chargé de pelleteries et le gouverneur Bridger, mais rendus à Québec M. de la Barre libéra Gillam et rendit le vaisseau, ce que le roi de France désapprouva en des termes très vifs dans une lettre à ce gouverneur (10 avril 1684). Suivant M. de la Barre, les Français, dans ce voyage, avaient couru des dangers extrêmes ; il valait mieux, pensait-il, ouvrir des communications par voie de terre avec la baie. Les instructions du ministre à M. de la Barre portent en substance que l’ambassadeur anglais à Paris se plaint que le nommé Radisson et un autre Français étant allés avec deux barques appelées la Saint-Pierre et la Sainte-Anne dans la rivière et le port de Nelson, en 1682, y ont pris un fort et des propriétés dont les Anglais avaient été en possession depuis plusieurs années. Radisson et Desgrozelliers soutiennent que ces allégations ne sont pas vraies, mais que, ayant trouvé un endroit convenable pour leur commerce sur la rivière Nelson, à plus de cent cinquante lieues de l’établissement des Anglais dans la baie d’Hudson, ils en prirent possession au nom du roi dans le mois d’août 1682 et commencèrent à y élever un fort et des maisons. Le 14 septembre, ajoutent-ils, entendant le bruit du canon, ils allèrent à la découverte et, le 26, trouvèrent des maisons en construction sur une île et un navire à terre près la côte. Ces maisons avaient été érigées depuis qu’ils (Chouart et Radisson) étaient entrés dans la rivière et y avaient préparé leur établissement ; les Français soutiennent qu’ils sont les premiers occupants. Cette concurrence n’empêcha pas les Français de rester les maîtres de la contrée. Un navire anglais ayant naufragé, les hommes qui le montaient furent traités avec grande modération et bonté par les Français. D’après Charlevoix, « on chagrina Chouart et Radisson sur plusieurs articles, qui concernaient la traite… ce qui les obligea de repasser en France où ils espéraient qu’on leur rendrait justice. » Nous avons lieu de croire que Chouart ne suivit pas Radisson et que lui et son fils retournèrent à la baie pour le compte de la compagnie du Nord. Ce qui paraît évident c’est que Radisson se sépara d’eux, et que, rebuté par le gouvernement français, il accepta des Anglais le commandement de cinq navires avec lesquels il parut, le 15 août 1684, devant le fort Nelson, à l’entrée de la rivière Sainte-Thérèse, qu’il enleva par stratagème. Le jeune Chouart et ses hommes furent pris. Les fourrures portées à Londres à la suite de ce coup de main occasionnèrent une perte de trois cent mille francs à la compagnie du Nord. Le 10 avril, même année, Louis XIV avait écrit à M. de la Barre : « Le roi d’Angleterre a autorisé son ambassadeur à me parler de ce qui est arrivé à la rivière Nelson entre les Anglais et Radisson et Desgrozelliers, et je suis heureux de vous informer que je ne veux donner au roi d’Angleterre aucun sujet de plainte, mais, comme je crois qu’il est important d’empêcher que les Anglais s’établissent sur cette rivière, vous feriez bien de proposer au commandant de la baie d’Hudson de ne laisser se former de nouveaux établissements ni par les Français ni par les Anglais, ce à quoi je suis persuadé qu’il donnera son consentement, d’autant plus qu’il n’est pas en position d’empêcher ceux que mes sujets voudraient former dans la dite rivière Nelson. »

L’heure de la crise approchait. Anglais et Français avaient désormais des prétentions à faire valoir, des intérêts engagés, un point d’honneur à soutenir. Les actes de violence appelaient des représailles. On allait se disputer sans trêve ni merci, pendant trente ans, cette baie du Nord, autrefois l’objet de l’indifférence générale et dont Chouart et Radisson avaient compris l’importance sans parvenir à se faire écouter de leurs nationaux.

Sur instruction du gouverneur, Zacharie Jolliet (frère de Louis Jolliet) prit possession solennelle de la rivière Nemiskau, le 2 juillet 1685, en vue de troubler autant que possible la traite des Anglais. Radisson, toujours à la tête de ceux-ci, empêchait absolument les Français de trafiquer dans le nord ; l’hiver de 1685-86, il était à la baie et il devait s’y trouver encore lorsque le chevalier de Troyes y parut.

La compagnie du Nord n’avait reçu sa charte que le 20 mai 1685, quoiqu’elle fût réellement constituée et en activité depuis trois ans. Une fois munie de cette patente elle ne demandait qu’à précipiter les événements ; la conquête de la baie lui parut toute naturelle. M. de Denonville, successeur de M. de la Barre, céda à ses instances, et par instruction du 12 février 1686, envoya le chevalier de Troyes avec soixante et dix Canadiens éprouvés, sous les ordres des trois frères Le Moyne d’Iberville, de Sainte-Hélène et de Maricourt, à travers les terres, s’emparer des forts Sainte-Thérèse, Monsipi, Albany et Rupert. L’expédition réussit complétement. Le 10 août, de Troyes reprenait la route du Canada, laissant d’Iberville pour commander à sa place.

Chouart et Radisson disparaissent après cela de l’Histoire. Il paraîtrait, d’après Charlevoix, que Radisson mourut en Angleterre ; cependant, vers 1700 on voit à Québec un nommé Radisson intéressé dans les affaires du Détroit. M. de Denonville avait promis cinquante pistoles à quiconque s’emparerait de lui et ce gouverneur dit même qu’il avait envoyé de Troyes à la baie principalement pour capturer le transfuge. Il promettait aussi au jeune Chouart de le récompenser s’il restait fidèle à la France. Ces hommes agissaient comme les grands seigneurs du temps de Louis XIII qui passaient d’un camp à un autre sans avoir l’air de manquer à leur devoir envers le pays. Chouart mourut au moment où d’autres prenaient sa place, ou plutôt lorsque la France, obligée de payer ses erreurs, envoyait dans le nord Le Moyne d’Iberville, le plus vaillant des fils du Canada, pour y maintenir son nom, son honneur, ses droits devenus contestables. La famille de Chouart alla se fixer vers Sorel d’où elle se répandit plus au sud. L’année dernière, la paroisse de Saint-Étienne du comté de Beauharnais élisait pour maire M. Jean-Baptiste des Groseillers. Une autre branche de cette famille demeure dans le Minnesota, sans se douter peut-être qu’elle habite un pays découvert par son ancêtre.

M. de Frontenac serrait de près les coureurs de bois et ceux qui, contrairement aux ordonnances, se permettaient la traite des fourrures. Il fait beau voir comme il s’élève contre les gens « qui vont en traite dans les lieux défendus et qui portent leurs pelleteries aux Anglais » ; et il ajoute : « le transport des pelleteries hors du royaume mérite une exemplaire punition. » Dans une lettre de 1681, après s’être répandu en plaintes amères sur tout cela, il donne les noms de MM. La Chesnaye[24], Le Ber, Lemoine, Berthier[25] Sorel[25], Gauthier[26] de Comporté, « les sieurs de Varennes, gouverneur des Trois-Rivières, et Boucher, son beau-père, qui ont chacun cinq canots et dix hommes en traite dans les bois. » Il valait mieux, sans doute, se conformer aux ordonnances et subir la famine.

M. de la Barre, qui remplaça M. de Frontenac, se montra tolérant pour ces infractions, mais M. de Meulles, l’intendant, ne voulait pas en entendre parler. Voici ce que ce dernier écrivait au ministre, le 28 septembre, 1685 : « M. de Varennes, gouverneur des Trois-Rivières, se sert de son autorité pour faire seul le commerce avec les Sauvages dans un lieu nommé la Gabelle[27], à quatre lieues des Trois-Rivières, ce qui est défendu par les ordonnances de Sa Majesté, qui ne le permettent qu’aux Trois-Rivières. Il y a même plusieurs arrêts du conseil souverain et ordonnances[28] des intendants qui le défendent dans le dit lieu de la Gabelle en conformité de celles de Sa Majesté. Je n’ai pu l’empêcher jusqu’à présent, parceque M. de la Barre, de son autorité et malgré tous les arrêts et ordonnances, lui avait permis de le faire seul. On m’a présenté souvent des requêtes sur ce sujet, mais prévoyant que M. de la Barre s’opposerait toujours à l’exécution de ce que j’en ordonnerais, j’ai toléré cette affaire, comme une infinité d’autres, pour donner la paix au Canada. Je n’ai pas laissé d’en dire plusieurs fois mon sentiment au dit sieur de Varennes, qui n’a pas paru en être fort satisfait. Cela m’a si bien attiré (le mécontentement de) M. de Montortier[29], qui est son parent et qui a passé tout cet été chez lui, qu’il a fait tous ses efforts pour me rendre secrètement toutes sortes de mauvais offices, quoique j’aie affecté de vivre avec lui avec beaucoup d’honnêteté, s’il eût demeuré plus longtemps ici, il aurait été capable d’insinuer à tout le monde un esprit de désobéissance. Dès que M. de Denonville fut arrivé il fit tout ce qu’il put pour le prévenir contre moi ; il commença par lui dire que je passais devant les gouverneurs particuliers[30] et qu’en France cela ne se faisait point. »

Si l’on veut juger de l’impression que la conduite et le caractère de M. de Varennes produisirent sur M. de Denonville, il suffit de lire l’extrait suivant d’une lettre qu’il adressa au ministre, cinq semaines après celle de M. de Meulles. Ce dernier, qui était un faiseur d’embarras, malgré des qualités réelles dont il savait au besoin se couvrir, dût éprouver quelque malaise en voyant que le gouverneur-général ne partageait pas son opinion au sujet de l’homme qui lui déplaisait si fort. Des rivalités de préséance paraissent avoir été la cause des agissements de M. de Meulles. Voici ce qu’écrivait M. de Denonville : « Le sieur de Varennes vous demande, Monseigneur, la continuation de son gouvernement des Trois-Rivières et vous supplie de lui faire renouveler sa commission, qui est finie, n’étant que pour trois ans[31]. C’est un très bon gentilhomme, qui n’a de vice que la pauvreté. Je vous assure qu’il a du mérite et de l’autorité. Il aurait bien besoin de quelque grâce du roi pour élever et soutenir sa famille. »

Colbert, le génie protecteur du Canada était mort. Louis XIV devenait presque indifférent à notre égard ; il se borna, si nous sommes bien renseigné à maintenir la commission de M. de Varennes et à ne pas inquiéter ce fonctionnaire au sujet de la traite qu’il faisait pour son compte particulier. La Hontan, de passage aux Trois-Rivières en 1684, écrivait : « Le roi y a établi un gouverneur qui mourrait de faim si au défaut de ses minces appointements, il ne faisait quelque commerce de castor avec les Sauvages. » Ainsi il devenait urgent, et il était convenable à un employé de violer la loi pour se payer de ce que le gouvernement lui devait ! M. de Varennes a laissé une famille sans fortune. On ne peut que l’accuser de n’avoir pas assez profité des privilèges qui lui étaient accordés en sous-main. Il était trop honnête pour prendre plus que le nécessaire.

Si le roi ne demeurait pas à Québec, il n’en était pas moins renseigné sur certains agissements, grâce au système établi de faire espionner les hauts fonctionnaires les uns par les autres. Ses lettres, toutes roides et sans détours, nous paraissent curieuses, comparées à celles des ministres d’aujourd’hui. Il écrivait (24 juillet 1684) à M. de la Barre : « Je suis bien aise de vous dire que, par tout ce qui me revient du Canada, la faute que vous avez faite de ne point exécuter ponctuellement mes ordres sur le sujet du nombre de vingt-cinq passeports à accorder à mes sujets et le grand nombre que vous en avez envoyé de tous côtés pour favoriser des gens qui vous appartiennent, me parait avoir été la principale cause de ce qui est arrivé de la part des Iroquois. J’espère que vous réparerez cette faute en donnant une fin prompte et glorieuse à cette guerre. » La fin de la campagne équivalut à une suspension d’armes, glorieuse pour les seuls Iroquois. Ces congés de traite dont les mémoires du temps parlent à chaque page, étaient limités, quant au nombre, et d’année en année, par instructions spéciales du roi, suivant la situation. La grande traite appartenait à des compagnies reconnues. Lorsque des faveurs pouvaient être accordées, particulièrement à des colons de mérite ou à des veuves d’officiers pauvres, le gouverneur livrait de ces congés (chacun d’eux représentait une permission de canot de traite) et si les personnes qui les recevaient n’étaient pas en état de les utiliser, les marchands les achetaient. C’était une valeur sur le marché et parfaitement cotée puisque le nombre en était limité ; M. de la Barre en distribuait à ses favoris, ou à ses associés secrets ; il se trouva qu’il en avait accordé six fois plus que son droit ne le lui permettait. Ce fait joint à son incompétence en matière diplomatique du côté des Iroquois, le fit rappeler l’année suivante (1685).

La situation du Canada était prospère pour ce qui concerne les habitants, mais une classe nouvelle et très importante, la noblesse, occupait beaucoup l’administration à cause de sa pauvreté. Il est juste d’en parler ici.

Durant la période des guerres qui commencent en 1684, la noblesse à rendu de signalés services au Canada. Cette noblesse était composée de deux classes d’hommes : 1. les Canadiens titrés pour leur mérite ; 2. les cadets des familles nobles de France qui cherchaient à se créer ici un avenir. Comme nous l’avons déjà dit, les titres de noblesse ne comportaient ni rentes, ni pension, ni commandement, ni privilèges à la façon de l’Europe : chacun payait sa position de sa personne et de ses talents, de même que sir Louis Lafontaine, sir George Cartier, sir Narcisse Belleau, sir Hector Langevin et autres de nos jours.

La première idée de la création d’une noblesse canadienne fut mise en pratique au moment où Louis XIV prenait en main la gouverne de ses États. La forme en était toute préparée par les circonstances : il fallait une noblesse territoriale, afin de développer la colonisation et procurer au peuple des chefs liés à ses plus intimes intérêts.

Le dix-septième siècle vit arriver en Canada nombre de fils de familles parfaitement ruinés et titrés, qui se mirent à l’œuvre de ce côté-ci de l’océan, dans l’espoir de se faire une carrière. La porte était ouverte à toutes les ambitions légitimes. Disons à l’honneur de ces jeunes gens que la plupart d’entre eux se montrèrent dignes des vieux noms qu’ils portaient. On leur accorda des terres, ce qui ne se refusait à personne. Ceux que leur instruction et une vocation particulière poussaient vers les professions ou le métier des armes se virent également bien accueillis. Les uns et les autres complétaient l’organisation de la Nouvelle-France et pour tout dire, grâce à eux, nous nous sommes trouvés supérieurs en capacités aux colonies anglaises, pourtant beaucoup plus fortes que nous par le nombre.

Ce qui manque ordinairement aux colonies nouvelles c’est une classe à la fois dirigeante et intéressée pour son compte au bien-être des habitants. Colbert saisit cette vérité du premier jour de son administration. Sur les bases déjà solides de nos familles rurales, il plaça la noblesse de talent et de bonne volonté, et pour que l’on comprît bien son intention, il appela à ce rang supérieur une dizaine de Canadiens susceptibles de l’honorer dans leurs personnes ou dans leurs enfants. Dès lors, tout marcha avec ordre à la satisfaction générale. À Chartier de Lotbinière, Rouer de Villeray, les d’Ailleboust, les Juchereau, les Le Neuf, les Le Gardeur, les d’Amours, les Denys, les Robineau de Bécancour, les Gourdeau, qui étaient venus isolément de France avant 1650, portant des noms de noblesse ou regardés comme tels, il ajouta, par choix judicieux, une phalange de gentilshommes, la plupart militaires, qu’il induisit à faire souche en Canada pour y perpétuer le sentiment français, en un mot édifier une Nouvelle-France. Un siècle de travaux et de combats glorieux atteste la valeur de ce présent royal fait par un grand ministre à l’humble colonie des bords du Saint-Laurent. La religion et la patrie en retirèrent un grand bénéfice. À la faveur de ce systême, nous avons pu exister comme nation et soutenir des luttes qui rappellent les beaux temps de la Grèce et de Rome. Ceux qui, de nos jours, prononcent avec mépris ou indifférence le mot noblesse sont trop enclins à se représenter les choses du moyen-âge ou des pays à moitié barbares. Rien de cela ne s’est reproduit parmi nous. Il y a eu solidarité, attachement mutuel entre l’habitant du Canada et sa noblesse. Ne l’oublions jamais, car c’est une des plus belles pages de nos annales.

La commission du marquis de la Roche (1598) lui donnait le pouvoir de « faire baux des terres de la Nouvelle-France aux gentilshommes, en fiefs, châtellenies, comtés, vicomtés et baronnies. » On sait qu’il ne résulta rien de l’entreprise de ce personnage. Plus tard (1624) il paraîtrait que le cap Tourmente, l’île d’Orléans et autres îles du voisinage, furent accordées à Guillaume de Caen à titre de fief noble, mais en 1636, la compagnie des Cent-Associés donna les mêmes terres à quelques-uns de ses membres, comme on l’a vu. L’acte de fondation des Cent-Associés (1627) conserve les dispositions de la patente du marquis de la Roche quant aux seigneuries.

Jacques Le Neuf de la Poterie avait reçu, en 1636, la seigneurie de Portneuf et il s’y établit. Peu d’années après (vers 1645) les circonstances le conduisirent aux Trois-Rivières avec sa famille. C’est alors, croyons-nous, qu’il obtint un petit morceau de terre, situé dans la ville actuelle, mesurant dix arpents en superficie, et dont il est fait mention en 1645 et 1648 comme lui appartenant. Le titre écrit lui en fut donné le 9 mars 1649. M. Le Neuf le passa à son fils, Michel Le Neuf de la Vallières, et celui-ci le vendit, le 13 novembre 1686, à « noble homme Charles Aubert, sieur de la Chesnaye, marchand bourgeois de Québec » ; dans l’acte on le désigne sous le nom de « marquisat de Sablé. » Il est possible qu’il ait appartenu ensuite à Pierre Dandonneau dit la Jeunesse, sieur de Saint-Pierre et sieur du Sablé, (habitant des Trois-Rivières dès 1651), mais Dandonneau portait le surnom de Dusablé longtemps avant 1686, alors que M. Leneuf était propriétaire du marquisat. Par la suite, la famille Boucher de Niverville l’acquit et, en 1800, le colonel Joseph Boucher de Niverville le laissa vendre à la folle enchère ; Aaron Hart, marchand, le paya vingt et un louis courants. Parmi les nombreux documents que nous avons consultés se rapportant aux Le Neuf, nous n’avons jamais rencontré le titre de marquis appliqué à des membres de cette famille. Le marquisat du Sablé a beaucoup intrigué les archéologues.

Pobomcoup, en Acadie, paraît avoir été érigé en baronnie, vers 1651, en faveur de Muis d’Entremont qui en porta le titre toute sa vie.

Le 9 avril 1656, la compagnie des Cent-Associés érigea, en faveur de Louis d’Ailleboust, la terre de Coulonge « en titre de châtellenie. »

Après sa courageuse défense des Trois-Rivières (1653) M. Pierre Boucher avait été nommé gouverneur de cette place, mais M. Jean de Lauson, retourné en France quatre années plus tard, voulait que l’on fît davantage pour un homme de si grand mérite, c’est pourquoi il s’adressa au marquis Izaac de Pas de Feuquières, vice-roi de l’Amérique, lequel obtint des lettres de noblesse et les envoya à M. Boucher en 1661. accompagnées d’une missive flatteuse. Louis XIV prenait en main, cette même année, la conduite des affaires du royaume ; ce fut son premier acte en faveur du Canada.

Dans son rapport au ministre (1667) Talon dit : « La noblesse du Canada n’est composée que de quatre anciens nobles, et de quatre autres chefs de familles que le roi a honoré de ses lettres l’année dernière. » Les quatre anciens devaient être Jacques Le Neuf de la Poterie, Charles Le Gardeur de Tilly, Jean-Baptiste Le Gardeur de Repentigny et Charles-Joseph d’Ailleboust des Musseaux. Nous pensons qu’il faut regarder comme appartenant aussi à la noblesse Louis-Théandre Chartier de Lotbinière et Louis Rouer de Villeray, sans compter Pierre Boucher. Talon continue : « Outre ce nombre, il peut y avoir encore quelques nobles entre les officiers qui se sont établis[32] dans le pays. Comme ce petit corps est trop peu considérable pour bien soutenir, ainsi qu’il est naturellement obligé, l’autorité du roi et ses intérêts en toutes choses, mon sentiment serait de l’augmenter de huit autres personnes les plus méritantes, et les mieux intentionnées, en laissant les noms en blanc, ainsi qu’il a été fait l’an passé. » Il soumet en même temps les noms de cinq colons : Jean Godefroy, Charles Le Moyne, Simon Denys, Mathieu Amyot et Louis Couillard. De son côté, M. de Tracy proposa Jean Bourdon, Jean Juchereau, Denis-Joseph Ruette d’Auteuil et Pierre Boucher.

Le nom de M. Boucher qui se présente ici comme celui d’un candidat au titre de noblesse fait supposer que ses lettres avaient été révoquées. Voici ce que nous en pensons. En dépit de plusieurs arrêts du roi, de faux nobles figuraient partout en France et « s’évertuaient à s’affranchir du payement de la taille. » Au mois de mars 1666 le conseil prescrivit la recherche des porteurs de lettres usurpées ; tout annoblissement postérieur à 1643 devint nul, quitte au roi à renouveler ceux qu’il jugerait à propos. Il est pénible d’avoir à ajouter que les nouvelles patentes s’achetaient à prix d’argent. Louis XIV, en besoin de fonds pour monter sa marine taxait la vanité humaine, comme il le déclare plaisamment. On alla plus loin. Nombre de personnes accolaient à leur nom le titre d’écuyer, sans y avoir droit. Un financier se présenta qui, moyennant une forte somme une fois versée, acheta le privilége de poursuivre en justice et de faire condamner à l’amende les porteurs de cet humble qualificatif, tombé alors dans le discrédit, autant qu’il l’est de nos jours en Canada, où tout le monde s’en sert. Les premiers frappés par l’application inattendue de la loi furent — le croira-t-on ? — La Fontaine le fabuliste, et Racine le poète !

Le titre d’écuyer a été, récemment, le sujet d’un débat parmi nous. Les uns pensent qu’il n’est qu’une traduction du mot anglais esquire ; les autres veulent y voir une nouveauté ridicule. La vérité est qu’il est français ; que les Anglais l’ont emprunté à la France et que, depuis le temps de Champlain, nous en faisons usage, comme le démontrent, presque à chaque page, les registres de nos paroisses, les actes de nos notaires, les archives de la justice du Canada et du conseil supérieur de Québec. On l’appliquait aux gouverneurs, petits et grands, aux seigneurs, aux officiers civils et militaires ; mais ni aux médecins, ni aux notaires. Quant aux avocats, il n’en faut pas parler puisque nous n’en avons eu que sous le régime anglais. Dans une classe moins relevée, mais qui tenait le milieu entre la noblesse, la robe, l’épée et le peuple, nous comptons, depuis deux siècles et trois quarts, le « sieur » et le « monsieur », diminutifs de « monseigneur ». C’étaient là, et ce sont encore des formules de politesse, rien de plus. Le fils d’un mendiant pouvait devenir un sieur ou un monsieur, tout ainsi que le fils d’un habitant se parait du titre d’écuyer s’il parvenait à un grade dans l’armée ou la magistrature. Jusque vers 1800, le mot s’écrivait « escuyer » et même « escuiier » on prononçait « écuyer ». Nos ancêtres ne faisaient pas usage du signe de l’accent dans l’écriture, bien qu’il fissent sentir cet accent dans le langage parlé. Pour avertir le lecteur du son qu’il fallait donner en certains cas à de certaines lettres, ils plaçaient immédiatement après ces lettres un s, que nous avons surtout maintenu dans les noms de famille : Dufresne, Lemaistre, Lesveillé se disent Dufrêne, Lemaître, Léveillé. La France n’emploie plus le terme écuyer de cette façon, ce qui ne nous empêche aucunement de le conserver, comme font les Anglais qui l’ont plutôt imité que traduit par le mot « esquire ».

Les coutumes disparues, qui nous sont révélées par les vieux textes, surprennent toujours un peu les lecteurs d’aujourd’hui. Qui n’a vu dans les contrats du dix-septième siècle les termes de « honnête homme Jean Le Moyne[33] », ou « honorable homme Jean Cochon[34] » Le mot « honorable » n’était qu’une expression de politesse ou d’égard, et le sens du mot « honnête » doit se lire comme « respectable, recommandable, » de même que l’on disait des personnes qui avaient le vernis et l’usage de la société : ce sont d’honnêtes gens. Les notaires et les missionnaires, se faisant l’écho de leur entourage, gratifiaient de ces expressions flatteuses ceux qui étaient les premiers dans la paroisse ; « écuyer » se donnait moins à la légère ; « monsieur » figure rarement, mais le « sieur » fourmille, envahit tout, déborde les registres des églises et les actes des tabellions.

Par la pratique établie de qualifier Jean-Paul Godefroy, Mathieu d’Amours, Robert Giffard et quelques autres du titre d’honorable homme, quoiqu’ils n’appartinssent pas à la noblesse proprement dite, on voit qu’il existait, même avant 1665, une classe influente équivalant en ce pays à la noblesse de sang en France.

Suivant cet ordre d’idées, on rencontre un nombre infini de surnoms qui ressemblent à ceux de la noblesse. Ce sont parmi les simples habitants : Lefebvre dit Belle-Isle, Couillard de l’Espinay, Lemaître de Lottinville, Guyon du Buisson, Godefroy de Marbeuf, Douaire de Bondy, Fafard dit Longval, Volant de Saint-Claude, Jarry de la Haye, Janson de la Palme, et mille autres. « De » et « dit » avaient une valeur semblable, c’est-à-dire qu’ils indiquaient le sobriquet.

Quant aux Canadiens qui furent anoblis ou que la profession des armes nous fait connaître, tels que Le Moyne de Maricourt, Boucher de Niverville, Hertel de Cournoyer, Godefroy de Roquetaillade, Trottier de Beaubien, Sabrevois de Bleury, il y a lieu de croire qu’ils avaient emprunté ces noms à des localités ou à des familles de France dont ils tenaient à conserver le souvenir. Lorsque Pierre Le Moyne commença à servir dans la marine il y avait parmi les sous-secrétaires d’État un M. d’Iberville, qui peut-être protégea le jeune officier et lui laissa son nom, qu’il devait illustrer.

Jean Godefroy et Charles LeMoine reçurent leurs lettres de noblesse en 1668. Ils ne durent point les payer, car la correspondance échangée entre Talon et Godefroy se termine par le tableau de la pauvreté de ce brave colon chargé de famille. L’intendant emprunta à ses propres armes une épée posée en pal au-dessus d’un croissant et la plaça dans l’écu de Godefroy. Nous n’avons pas la date des lettres de noblesse accordées à Simon Denys, sieur de la Trinité, et à Charles Couillard, sieur des Islets ; toutefois, le 24 avril 1678, le roi écrivait au conseil supérieur de Québec lui enjoignant d’enregistrer les lettres en faveur de Jean Godefroy, Simon Denys, Charles Couillard et Charles Lemoyne qui, jusque-là n’avaient point été reconnues parcequ’elles étaient adressées au parlement de Paris et non à celui (le conseil de Québec était une sorte de parlement) de Québec. Ce ne fut que le 3 mai 1681 que celles de Godefroy furent insinuées en conséquence de cet arrêt royal.

En 1671, écrit M. l’abbé Faillon, « Le sieur Jean-Vincent-Philippe de Hautmesnil, étant repassé en France pour s’y marier, demanda la confirmation de la noblesse déjà accordée en 1654 à son père, Pierre-Philippe de Marigny. Il lui fut répondu que le roi confirmerait sa noblesse lorsqu’il serait repassé en Canada avec sa famille ; et en effet, par ses lettres patentes, ce prince exigea sa présence dans ce pays, comme condition rigoureuse de la continuation de cette grâce. »

La baronnie des Islets, (non pas la seigneurie de Louis Couillard, sieur des Islets) accordée à Talon en 1671 et changée en comté d’Orsainville quatre ans plus tard, (voir le présent ouvrage IV. 92.) paraît être la première seigneurie, après Pobomcoup, à laquelle fut attaché un titre de noblesse.

Le 5 décembre 1672 on enregistra au conseil de Québec la généalogie des sieurs Joibert, seigneur d’Aulnay et de Soulanges, originaires de la Champagne. L’année suivante, dans une assemblée solennelle, Frontenac réunit la noblesse au clergé et au tiers état, selon les anciennes coutumes françaises ; le roi désapprouva cette démarche, sur le principe qu’il ne fallait pas entendre tant de gens à la fois.

Un autre comté noble, l’île d’Orléans, fut créé en faveur de M. Berthelot, en 1676.

L’intendant Duchesneau éleva le premier la voix contre la noblesse du Canada. Dans sa lettre à Colbert du 10 novembre 1679, il affirme que la plupart des gentilshommes sont dans la pauvreté et cela par leur faute, vu qu’ils négligent leurs terres, passent le temps à la chasse, vivent d’expédients et, pour subsister, contreviennent aux ordonnances relatives à la traite. Eux et leurs fils, dit-il, courent les bois, invitent les jeunes habitants à les suivre, se plongent dans les dettes, et, malgré tout, veulent tenir un rang au-dessus du commun.

Nous avons parlé du titre de noblesse conféré à René-Robert Cavelier de la Salle en 1675, à la suite de ses travaux de découverte et de fondation.

Par son mariage avec Marie-Anne Le Neuf, fille de Jacques Le Neuf de la Poterie, le sieur René Robineau de Bécancour était devenu (1671) propriétaire de la seigneurie de Portneuf et y avait fixé sa famille. Vers 1682, ce fief fut érigé en baronnie. Jusqu’à la conquête (1760) le chef des Robineau a porté le nom de baron de Portneuf. L’un des fils de René ci-dessus, s’établit à Bécancour dont il était seigneur en vertu de l’héritage paternel ; il est souvent cité avec le titre de baron de Bécancour, mais on ne saurait dire si ce dernier fief a jamais été fait baronnie.

La manie des grandeurs a toujours agité les hommes. Le dessein de Louis XIV de créer une noblesse coloniale était assez connu pour susciter chez certains aventuriers l’espérance de jouer un rôle ici en usurpant des titres de cette nature. L’intendant de Meulles reçut instruction (1685) de rechercher les faux nobles et de les faire connaître, ce qui donna occasion aux nobles véritables de s’affirmer, mais en même temps leur situation de fortune fut mise au jour : elle n’était pas brillante, dans la plupart des cas.

L’intendant de Meulles était choqué de voir les simples gouverneurs de place prendre le pas sur lui dans les cérémonies publiques. Il regardait d’un œil de mépris toute « illustration coloniale » selon le terme à présent en usage. L’automne de 1685, il écrivait au ministre demandant qu’on ne permît plus à des gens aussi pauvres que la noblesse du Canada de figurer en tête des représentants de Sa Majesté. M. Nicolas Denys, ajoute-t-il, qui a été gouverneur de l’Acadie (son fils Richard était alors gouverneur de Gaspé), vit à Paris dans la mendicité. Cette lettre est méchante, toutefois elle se confirme en partie par une autre de Denonville, de la même année, dans laquelle ce gouverneur nous peint les gentilshommes de la colonie dénués de tout, mais très fiers de leurs titres et tâchant de paraître avec le plus d’avantage possible, sans parvenir à cacher la misère qui les ronge. J’aimerais mieux, ajoute-t-il, des habitants, car ceux-ci travaillent et sont prospères, tandis que les nobles flânent et crèvent de faim. La liste de ses récriminations est longue ; il ne ménage pas plus les mots que ne le fait M. de Meulles, et il revient sur le sujet dans trois ou quatre dépêches. Il y a, dit-il encore, des gentilshommes qui luttent avec honneur contre la mauvaise fortune, mais là où un habitant vivrait à l’aise, le personnage noble, tenu à plus de dépenses, de pertes de temps pour le service public et à se vêtir mieux que le commun des mortels, ne peut suffire aux exigences de la situation. M. de Saint-Ours était allé voir ce même gouverneur afin d’obtenir la permission de passer en France, où il espérait trouver un moyen de gagner sa vie. Sa femme et ses dix enfants étaient au désespoir : « Je les confierai, s’écriait-il, à quiconque pourra leur donner du pain. » Cependant, ajoute M. Denonville, cette famille est active ; j’ai trouvé deux des filles occupées à couper le blé et M. de Saint-Ours tenait les manchons de la charrue et ils ne sont pas les seuls, dans cette condition déplorable ! Ils viennent à moi tout en larmes. Le moment est arrivé de pourvoir à leurs plus pressants besoins, autrement ils seront tentés de passer aux Anglais. Nos officiers mariés sont de vrais mendiants. Les conseillers du conseil souverain ne sont pas davantage favorisés du sort. On arrête leurs fils qui se sont fait coureurs de bois. Enfin, il faut du secours.

Le roi envoya quelque argent et fit dire aux nécessiteux qu’ils devaient se mettre au travail et moins trancher des gens de qualité. C’était sec et peu juste, car enfin, le roi avait insisté pour que ces personnes vinssent dans la colonie et il ne pouvait s’attendre à les voir labourer la terre ou couper des arbres comme l’habitant dont c’était la profession. Ce dernier jouissait du fruit de son labeur et de ceux de son père ; il était le vrai seigneur du Canada. Les demandes d’argent adressées par les gouverneurs à la cour de France ne concernaient en rien l’habitant ; elles touchaient tout au plus une vingtaine de familles de la classe de la noblesse ou des conseillers, car plusieurs gentilshommes avaient du bien et savaient en tirer parti, notamment Le Gardeur, Le Neuf, Le Moyne, Boucher, Robineau, Villeray, de Saurel et Chartier de Lotbinière.

Au premier abord, si l’on en croit M. de Meulles, le nombre des nobles pouvait paraître prodigieux, car « tout le monde à peu près se qualifie de gentilhomme et prend le titre d’écuyer », mais cette innocente manie n’empêche pas une partie de la noblesse d’avoir été la seule à souffrir ou des circonstances défavorables ou de son fol esprit de grandeur. Le roi le comprit et, tout en déclarant qu’il n’accorderait plus de lettres de noblesse, il envoya six commissions des troupes de la marine avec ordre de ne les confier qu’à des fils de nobles tombés dans le dénuement.

Le nom de « troupes de la marine » provenait de ce que, en prenant la direction de la marine, Colbert s’était fait remettre le budget des régiments employés aux colonies, au lieu de le laisser au ministre de la guerre. Recevant leur solde du bureau de la marine, ces troupes passèrent dès lors sous ce nom, mais elles ne faisaient point le service maritime.

Une aussi triste situation, néanmoins, réclamait l’aide de la cour. Charlevoix écrivant en 1720, cinq années après la mort de Louis XIV, dit : « C’est sans doute une des raisons qui ont engagé le feu roi à permettre « à tous les nobles et gentilshommes de faire le commerce, tant par mer que par terre, sans qu’ils puissent être recherchés, ni réputés avoir dérogé. » Ce sont les termes de l’arrêt qui fut rendu par le conseil, le dixième de mars 1685. Au reste, il n’y a en ce pays aucune seigneurie, mêmes celles qui sont titrées, à laquelle le droit de patronage soit attaché, car, sur la prétention de quelques seigneurs, fondée sur ce qu’ils avaient fait bâtir l’église paroissiale, Sa Majesté, étant en son conseil, prononça, la même année 1685, que ce droit n’appartenait qu’à l’évêque, tant parce qu’il est plus en état qu’aucun autre de juger de la capacité des sujets, que parce que la portion congrue des cures est payée sur les dîmes, qui appartiennent à l’évêque. Le roi, dans ce même arrêt, déclare que le droit de patronage n’est point censé honorifique. » Qui ne sait que la noblesse témoignait de l’aversion pour le commerce ? Le remède se trouvait inefficace. On ne fait pas des marchands derrière un comptoir avec des décrets. La traite des fourrures, la vie de coureur de bois, avait bien de l’empire sur les imaginations ; elle tentait bien les gentilshommes, mais il ne leur restait que le choix de se mettre aux gages des capitalistes. Les cens et rentes, très faibles, ne suffisaient point à couvrir les frais d’entretien d’une famille. L’habitant avait le bon côté de la situation ; la richesse nationale était dans ses mains : lui seul possédait le moyen d’accumuler, ou plutôt il était le véritable seigneur du Canada. Les financiers, il est vrai, avaient su organiser des compagnies de commerce qui amassaient de l’argent sur les marchés de l’Europe en échange des pelleteries du Canada, mais l’habitant se passait aisément de ces spéculateurs. Le jour vint, cependant, où la monnaie manqua : nous en parlerons plus loin — pour faire ressortir une fois de plus le systême d’exploitation suivi à l’égard des Canadiens par les bailleurs de fonds français. Quant à la noblesse venue de France, elle était issue de l’armée et elle brilla de nouveau lorsque les guerres se rouvrirent. La noblesse canadienne généralement plus riche parce qu’elle s’appuyait sur son travail, emboîta le pas avec ardeur du moment où il fut question de tirer l’épée.

Avec les guerres qui recommençaient en Europe, le roi négligeait de plus en plus le programme du peuplement du Canada dressé et en partie exécuté par Colbert. À partir de 1684 ceux qui se firent habitants parmi nous étaient des soldats, en très petit nombre, dont le temps de service expirait, qui optaient pour la colonie, prenaient des terres et devenaient Canadiens en épousant des filles du pays. Point de criminels, de repris de justice ; rien de ces classes oisives ou paresseuses qui battent le pavé des grandes villes ; très peu d’artisans même, à cause du manque presque absolu de manufactures. Des cultivateurs ou personne, tel était le mot d’ordre du pays. Il n’était pas plus permis au roi de nous imposer de la canaille qu’aux vagabonds de subsister chez nous. Les habitants ne toléraient point les gens sans aveu. Ces faits ressortent de l’étude des trente années qui suivirent la mort de Colbert.

Une série de lettres qui datent de cette époque, signées par La Hontan, officier dans les troupes, a beaucoup exercé la verve des écrivains. Ce farceur s’est amusé à décrire le mode de peuplement qui, selon lui avait été adopté envers le Canada. À l’en croire, on y envoyait des garnements, des repris de justice et des banqueroutiers. Sous sa plume, tout devient lettres de cachet ; à l’en croire, sitôt qu’une mauvaise affaire avait eu lieu en France, on exilait le coupable en Canada. La Hontan n’a fait que remonter le cours du fleuve et passer d’une garnison à une autre. Les condamnés dont il parle étaient des gens comme lui, dégradés et obligés de servir dans les troupes ; les banqueroutiers n’avaient point de place dans notre population agricole, et personne ici n’eût voulu souffrir la présence de ces sortes de gens. Ce n’était ni une contrée manufacturière ni un endroit ouvert aux prolétaires. La Hontan, après avoir fait les cents coups dans son pays, s’était vu réduit à servir comme simple soldat. La compagnie à laquelle il appartenait ayant été envoyée dans la Nouvelle-France, ce garçon incommode suivit de force ses chefs et traversa prestement la région qui sépare Québec de Michillimakinac, pour de là se rendre à la Louisiane, d’où il s’embarqua en distination de la France. Qu’a-t-il vu du Bas-Canada, surtout que savait-il de notre histoire et des origines de notre population ? Il est bien vrai que, dans certains cas, le roi permettait l’expatriation en Canada de quelques brouillons, mais c’était tout simplement pour les mettre en surveillance, au régime, un temps donné, dans les postes éloignés, non pas dans nos campagnes. Ces sortes de proscrits n’ont jamais été mêlés à notre population — on le voit assez par leurs lettres ; ils ignoraient le premier mot de ce qui se passait en Canada. Il faut lire avec la même précaution les aventures du chevalier de Beauchêne, rédigées par Le Sage, l’auteur de Gil Blas — récit dans lequel les incorrections fourmillent et qui peint la Nouvelle-France comme le refuge des vagabonds du royaume. La première condition de toute existence en Canada était de gagner sa vie ; hors de là point de salut ; les dissipateurs, les fils de famille ruinés n’avaient ici d’autres ressources que de prendre des terres et de les cultiver. Si les petits-maîtres avaient consenti à se transformer et devenir habitants, fort bien ! nous ne leur demanderions aucun compte de leur passé — mais ce miracle n’était guère possible et il ne s’est pas accompli ; chenapans ils étaient en partant de France ; coureurs d’aventures ils devinrent en Amérique. Le Canada ne leur doit rien, sauf la mauvaise réputation qu’ils ont voulu lui faire parce que leur place n’était point parmi nous.

Le bon La Fontaine, qui ne savait probablement pas qu’il y eût un pays appelé la Nouvelle-France ou Canada, écrivait (18 décembre 1687) à son ami Saint-Évremond :

  … Le mieux est de me taire
Et surtout n’être plus chroniqueur de Cythère.
    Logeant dans mes vers les Chloris,
    Quand on les chasse de Paris.
    On va faire embarquer ces belles :
Elles s’en vont peupler l’Amérique d’Amours
    Que maint auteur puisse avec elles.
    Passer la ligne pour toujours !

On enlevait alors de Paris une foule de courtisanes qu’on envoyait en Amérique, mais les écrivains de cette époque parlent de notre continent comme les Européens de nos jours — confondant Panama avec Québec, et Montevideo avec la Nouvelle-Orléans. Il s’agirait de savoir dans quelle partie de l’Amérique étaient transportés ces sortes de gens. Tout nous invite à croire qu’il n’est pas ici question du Canada et que La Fontaine ne se trompe pas beaucoup lorsqu’il leur fait passer la ligne. Les « îles d’Amérique » reçurent, vers ce même temps, quelques cargaisons de marchandises humaines qui ruinèrent leurs colonies. Chez nous, les filles eussent subi le fouet et on les eût renvoyées en France. Les beaux parleurs comme La Hontan furent quittes pour manger de la vache enragée.

Ce qu’il y avait de gentilshommes en Canada comptaient bien sérieusement s’y établir et y fonder des familles. Le roi, trop engagé dans sa politique européenne, ne se renseignait pas comme il eût dû le faire sur la situation de sa principale colonie — de là, bientôt, la situation anormale de la noblesse envoyée par lui dans ce coin du monde. Un jour vint où il poussa même l’imprévoyance jusqu’à amoindrir les titres canadiens en les rendant vénals et accessibles aux favoris de la fortune. Les guerres avaient épuisé le trésor : on fit des comtes et des marquis moyennant finances. L’un des plus étranges personnages de ces fournées administratives fut messire Michel de Saint-Martin, écuyer, sieur de la Mare du Désert, protonotaire du Saint-Siége, docteur en théologie de l’université de Rome et agrégé à celle de Caen, mandarin de premier rang du royaume de Siam — qui acheta le titre de marquis de Miscou. Aurait-on pensé cela de Miscou ! L’abbé était savant. Il avait publié livres sur livres. De plus, sa ville natale, Caen, lui est redevable de fontaines publiques, sans compter une bibliothèque et des parcs forts jolis. Au fond, il employait ses richesses à de bonnes œuvres et à des excentricités dont quelques-unes l’ont rendu légendaire. Un volume de notre travail ne pourrait suffire à raconter les aventures comiques du marquis de Miscou.

En 1685, le chevalier de Chaumont (voir le présent ouvrage, iv. p. 50) étant nommé ambassadeur à Siam, on joua au brave abbé un tour pendable : ses concitoyens montèrent une mascarade au nom prétendu du roi de Siam, et lui apportèrent en cérémonie un bonnet dont il fit grand cas. Cet original ne vivait pas comme tout le monde : son lit d’hiver était un four construit en briques ; il se couvrait la tête de plusieurs calottes superposées et allait ainsi par les rues ; ses huit paires de bas sont célèbres — comme aussi sa prédilection pour les justeaucorps doublés de peau de lièvres. Mais ceci appartient à l’histoire anecdotique.


  1. Établi en Canada depuis 1646 au moins.
  2. Dit le sieur d’Orvilliers, aussi Saint-Romain. Il était arrivé avant le régiment de Carignan, et comme Robineau et Duguay, vivait très bien de son industrie.
  3. Sieur de la Boulardière, ancien capitaine au régiment de Carignan. L’un des beaux types de cette époque.
  4. Ces exigences étaient celles des habitants.
  5. M. Ferland qualifie de préjugés tout ce qui ne lui plaît pas.
  6. Le marquis de Seignelay avait succédé comme ministre à Colbert, son père.
  7. Louis XIV ne s’est-il pas exprimé nettement au sujet de M. de Laval ? Voyez ses lettres dans le présent ouvrage.
  8. Les habitans le demandaient depuis longtemps lorsque le roi y força Mgr de Laval.
  9. Frontenac écrivait en 1673 que les habitants récoltaient beaucoup plus de blé qu’il ne leur en fallait pour se nourrir. Avant lui Talon avait dit que pour le vêtement nous n’avions plus recours à la France. La dette du Canada était nulle. Le recensement de 1681 témoigne d’une situation très prospère. Rien ne justifie ce texte de M. Ferland.
  10. Colbert demandait que l’on formât des villages, ce à quoi les habitants s’opposaient avec raison.
  11. Loin de là ! Les habitations de chaque seigneurie étaient échelonnées sur une seule grande route, et les seigneuries se suivaient.
  12. Une maison sur chaque terre comme aujourd’hui.
  13. La paroisse c’est la seigneurie. Sur une soixantaine de seigneuries habitées en 1681, la moitié comptaient plus de vingt familles. Comment fait-on de nos jours à l’égard des anciennes seigneuries bien peuplées et des nouvelles qui renferment à peine quelques ménages ? On dessert ces dernières par le moyen du curé le plus voisin.
  14. Grande difficulté ! Cela se fait encore tous les mois.
  15. Pourquoi les changer ? À mesure que le pays se développe, on ajoute des curés, voilà tout.
  16. Les missions finissaient par devenir paroisses.
  17. Ce n’étaient pas les habitants qui avaient combiné cette organisation à plusieurs têtes.
  18. Depuis vingt-cinq ans, on ne cessait de le lui faire remarquer, mais il n’écoutait point.
  19. Son clergé, c’était celui de tout le Canada. Si l’évêque eût voulu se conformer aux vœux du peuple, le clergé eût donc docilement suivi ses instructions ? En 1681, il avait cent neuf prêtres dans son diocèse, dont à peu près soixante et quinze dans le Bas-Canada.
  20. Faute d’avoir créé un clergé national, c’est-à-dire pris dans le pays.
  21. Les prêtres venus de France avant 1684 étaient en général sans reproche. Pourquoi craignait-on, à partir de cette date, de ne pas rencontrer les mêmes caractères chez ceux qui seraient appelés au Canada ?
  22. Se sentant battu, il cédait le terrain.
  23. Le 27 avril 1676, à Québec, un certain Pierre Chouart épousa Madeleine Faye dit Vilfagnon. — (Tanguay, Dict., I, 229).
  24. L’un des plus riches marchands de l’époque. Il avait des propriétés à Québec, aux Trois-Rivières et à La Chesnaye, près Montréal. On voit par un acte de 1707 qu’il était créancier de M. de Varennes dès avant 1689.
  25. a et b Anciens capitaines au régiment de Carignan.
  26. Parent des Gauthier de Varennes.
  27. M. de Varennes avait en ce lieu un petit fief qui portait le nom de la Véranderye.
  28. Ces ordonnances n’avaient pas toujours existé car dès 1659 les Algonquins des Trois-Rivières et les Français allaient en traite sur la Batiscan aussi bien qu’à la Gabelle et aux Grais sur le Saint-Maurice.
  29. En 1684, trois cents soldats, commandés par les capitaines Montortier, Denos et du Rivau étaient arrivés de France en vue de la guerre des Iroquois. M. de Montortier passait pour être muni de pouvoirs extraordinaires, supérieurs, sous certains rapports, à ceux du gouverneur-général lui-même. (Voir Charlevoix, Hist. I, 403, Ferland : Cours, II, 145.)
  30. Ceux de Montréal, des Trois-Rivières et de Gaspé.
  31. De 1634 à 1667, les gouverneurs des Trois-Rivières n’ont jamais été plus de cinq années consécutives en fonction. M. de Varennes garda ce poste vingt ou vingt-un-ans (1668-1689).
  32. En 1667, ils commençaient à peine à s’établir.
  33. Ancêtre de J. M. Le Moine, historien de Québec.
  34. Ancêtre de Joseph Cauchon, lieutenant-gouverneur de Manitoba.