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Histoire des Trois Royaumes/VII, V

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Traduction par Théodore Pavie.
Duprat (2p. 362-372).


CHAPITRE V.


Tsao-Tsao s’empare du passage de Hou-Kwan.


[Règne de Hiao-Hien-Ty, année 204 de J.-C.] Tsao-Py était donc la, debout, prêt à frapper de son glaive ; mais une lumière rouge éblouissant ses regards[1], il renonça à son dessein : « Qui êtes-vous, » demanda-t-il à la jeune femme ?

« L’épouse de général Youen, » répondit Liéou-Ssé.

« Et cet enfant que vous serrez dans vos bras ? – La femme de mon second fils, Youen-Hy ; elle se nomme Tchin-Ssé. Son époux étant allé défendre la ville de Yéou-Tchéou, elle n’a pas pu l’accompagner à une si grande distance ; voila pourquoi elle est restée ici avec moi. »

Le jeune guerrier s’approche pour mieux regarder Tchin-Ssé ; avec sa manche il met à découvert son visage obscurci par de longs cheveux déliés, et voit une peau transparente comme le jade, un teint comparable à l’éclat des fleurs. Cette femme avait une beauté à causer la ruine d’un empire. « Je suis le fils du premier ministre, dit alors Tsao-Py ; je vous prends l’une et l’autre sous ma protection, ne craignez rien ! » Le glaive en main, il s’assit devant l’appartement ; aussi personne d’entre les officiers n’osa y pénétrer.

Cependant, sur l’invitation de ses officiers, Tsao-Tsao fit son entrée dans la ville prise, à cheval, à la tête de son cortége ; le conseiller Hu-Yéou se tenait derrière sa personne. Au moment où ils allaient franchir la porte, l’officier poussa son cheval de manière à se trouver à côté du premier ministre, et lui montrant avec son fouet cette même porte : « Ou-Man[2], lui dit-il, sans moi, vous ne seriez pas maître de cette ville. — Vous dites vrai, » répliqua Tsao-Tsao, en riant de bon cœur ; puis, arrivé devant le palais de Youen-Chao, il demanda si quelqu’un s’était permis d’en franchir le seuil.

« Le fils de votre excellence y a pénétré, » répliqua l’officier de garde, et Tsao-Tsao appela aussitôt son fils à haute voix pour le faire sortir. Il voulait le tuer ; ses conseillers Sun-Yéou et Kouo-Kia, lui firent observer que la présence de son fils dans ce palais n’avait servi qu’à le protéger contre toute insulte, nais il leur imposa silence, et Liéou-Ssé, sortant de ses appartements, vint se prosterner devant lui : « Sans le fils de votre excellence, s’écria-t-elle, notre demeure n’eût point été respectée ; permettez-moi de lui accorder ma fille pour vous témoigner notre reconnaissance.... » Sur la demande du premier ministre, qui la priait de venir vers lui, la jeune Tchin-Ssé vint se précipiter à ses pieds, et en la voyant il dit à son tour : « En vérité, je vous prends pour ma bru ! » Sans plus tarder, il ordonna à son fils de la garder comme épouse.

Après avoir pacifié le district de Ky-Tchéou (qu’il venait de conquérir), Tsao-Tsao alla offrir un sacrifice sur la tombe de Youen-Chao ; il s’inclina à plusieurs reprises, versa beaucoup de larmes, et se tournant vers ses généraux : « Autrefois, leur dit-il, j’ai voulu m’entendre avec Pen-Tsou[3] pour lever des troupes, mais il me répondit : Si les événements ne me sont pas favorables, sur quoi pourrai-je m’appuyer ? — Et comme je le pressai d’expliquer le fond de sa pensée, il ajouta : Au sud, j’ai pour appui le fleuve Jaune ; au nord je domine la province de Yen-Tay, et je tiens en respect les hordes de la Mongolie[4] ; si je vais au-delà de mes frontières du sud lutter pour la possession de l’Empire, ai-je quelque chance de réussir ? — Et je lui répondis : L’homme habile et fort peut être maître de l’Empire ; mais on ne peut le gouverner autrement qu’au nom de la justice ! — Ces paroles ne sont jamais sorties de ma mémoire ; maintenant que mon rival n’est plus, je me les rappelle, et voilà pourquoi mes larmes coulent ! » Tous les officiers applaudirent à cette générosité.

Tsao-Tsao donna à la veuve de son ennemi de l’or, des étoffes précieuses et des grains, pour la consoler dans sa douleur, puis dans une proclamation il déclara : « Que le peuple des provinces situées au nord du fleuve, ayant eu à souffrir les maux de la guerre, seraient exemptés, cette année-là, du paiement de l’impôt. » Une fois ces grandes affaires réglées, il adressa à l’Empereur une dépêche pour lui faire connaître les événements de la campagne ; quant au gouvernement des districts de Ky-Tchéou, il le garda pour lui-même.

Le lendemain, Hu-Tcho, traversant au grand trot de son cheval la porte de l’est, rencontra Hu-Yéou qui lui dit : « Sans moi, vous ne passeriez pas si librement sous la porte de cette ville ! — Quoi, reprit Tcho avec colère, n’ai-je pas risqué ma vie à tout moment, ne me suis-je pas plongé au plus fort de la mêlée pour conquérir cette place ? Et vous osez vous vanter de la sorte !… — En vérité, reprit Yéou d’un ton de mépris, il vous sied bien de parler si haut, vous qui n’êtes qu’un officier de fortune ! » Hu-Tcho, transporté de colère, tira son sabre et abattit la tête du conseiller, qu’il alla montrer à Tsao-Tsao en lui expliquant le motif de leur querelle. « Hélas, s’écria le premier ministre, il était mon ancien ami, mon compagnon d’armes ! Pourquoi l’avez-vous tué ? » Et après avoir accablé de reproches le meurtrier, il fit ensevelir la victime.

Comme il désirait avoir quelqu’un qui connût le relevé exact du nombre des familles, les gens du pays lui désignèrent un ancien gouverneur de Ky-Tou, nommé Tsouy-Yen. Ce mandarin ayant plusieurs fois exhorté Youen-Chao à garnir ses frontières, ses paroles n’avaient point été écoutées et il avait pris sa retraite[5]. Tsao-Tsao l’envoya chercher ; il le nomma inspecteur de ce pays de Ky-Tchéou[6] et lui demanda comment cette province, qui ne comptait pas plus de trois cents mille habitants, passait pour l’une des grandes de l’Empire ? « Dans ce temps-ci, répondit le mandarin, l’Empire se brise en morceaux, les provinces sont violemment séparées ; les deux fils de Youen-Chao, Tan et Chang, se font une guerre acharnée ; les gens du Ky-Tchéou meurent en si grand nombre, que leurs corps couvrent la plaine. Les troupes de l’Empereur arrivent-elles précédées d’une réputation d’humanité et de clémence, s’informent-elles des mœurs et des usages d’un pays pour les respecter, enfin, délivreront-elles le peuple des fléaux qui l’accablent ?. On l’ignore jusqu’ici ; la première chose qui vous occupe, c’est le nombre des cuirasses et de ceux qui peuvent les porter ! Comment les hommes et les femmes d’une province vaincue se tourneraient-ils vers vous avec espérance ! » À ces paroles, le premier ministre devint pensif ; il remercia ce mandarin de son conseil et le traita avec de grands égards.

Les affaires du Ky-Tchéou étaient donc réglées ; Tsao-Tsao envoya des espions chargés de recueillir des informations sur Youen-Tan ; voici ce qu’ils rapportèrent : Ce dernier avait profité du moment favorable pour se rendre maître de quatre districts[7] ; instruit de la fuite de son frère Youen-Chang dans les monts Tchong-Chan, où les troupes impériales l’avaient assailli la nuit, et d’où ses soldats affaiblis, diminués de nombre, peu disposés à se battre, s’étaient enfuis à la première alerte ; sachant en outre que celui-ci avait l’intention de rejoindre dans la ville de Yéou-Tchéou leur autre frère Youen-Hy, il s’occupait à rassembler les forces dispersées après la déroute, pour tâcher de reprendre sa capitale (Ky-Tchéou). Aussi refusa-t-il de se présenter devant le premier ministre qui le fit appeler. Celui-ci, furieux, lui envoya par courrier une lettre d’injures et de reproches à propos de la rupture du mariage projeté avec sa fille ; puis, à la tête du principal corps d’armée, il alla camper à Ping-Youen, décidé a châtier sa mauvaise foi[8]. Youen-Tan, qui ne se sentait pas de force à lutter, quitta cette position et vint se renfermer dans Nan-Py[9].

Au premier mois, au printemps de la dixième année KienNgan (205 de J.-C.) Tsao-Tsao avait conduit ses soldats devant cette ville de Nan-Py. L’air était froid et glacial ; la rivière gelée ne permettait pas aux bateaux d’amener des grains pour l’armée. Un ordre du premier ministre enjoignit aux habitants de la contrée de casser la glace et de traîner les barques chargées de vivres pour éviter des fatigues aux soldats. Mais les habitants de la contrée, instruits de cette proclamation, s’enfuirent dans le fond des montagnes. Outré de colère, Tsao-Tsao ordonna à ses troupes de mettre à mort tous les gens du pays qu’ils pourraient attraper ; et aussitôt ces malheureux se rendirent d’euxmêmes au camp impérial. « Si je ne vous fais pas mettre à mort, leur dit Tsao-Tsao, mes ordres n’auront pas été exécutés ; si je vous punis du dernier châtiment, j’aurai manqué d’humanité... Allez donc vous cacher dans les montagnes, et ne tombez pas sous la main de mes soldats ! » Les cent familles se retirèrent en versant des larmes.

A peine l’armée impériale se montrait-elle devant Nan-Py, que Youen-Tan sortit avec les chefs de sa cavalerie pour l’attaquer. Les deux corps étant en présence, Tsao-Tsao s’avança hors des rangs à cheval, et montrant son ennemi du bout de son fouet : « Je vous ai traité avec égards, s’écria-t-il, et vous, pourquoi avez-vous brisé les liens qui nous unissaient ? — Vous avez franchi mes frontières pour m’attaquer, répondit YouenTan, vous m’avez enlevé ma capitale, et c’est vous qui m’accusez de trahison !... » Tsao-Tsao, excité par la colère, lança son général Su-Hwang auquel Youen-Tan opposa son lieutenant Pang-Ngan ; après une courte lutte, ce dernier tomba, frappé à mort par son adversaire. Les soldats de Youen-Tan se retirèrent en déroute jusque dans la ville, que le premier ministre fit à l’instant même entourer de toutes parts. Bientôt parut devant lui Sin-Ping, envoyé par le vaincu pour traiter de sa reddition. « Votre maître est un enfant sans expérience qui tourne à tous les vents, répliqua Tsao-Tsao ; il est difficile d’ajouter foi à sa parole. Je respecte votre jeune frère[10] ; croyez-moi, ne retournez pas vers Youen-Tan. »

« Votre excellence n’est pas dans le vrai, reprit le mandarin ; voici ce que j’ai entendu dire : « Si le maître est dans la prospérité, le sujet acquiert de la considération ; si le maître est dans la peine, le sujet éprouve de la honte. Pourquoi ne retournerais-je pas près du mien ? » Et Tsao-Tsao le congédia aussitôt. Arrivé près de Youen-Tan, il lui dit que le vainqueur n’acceptait pas sa soumission. « Maintenant que votre jeune frère est au service de Tsao, répondit avec amertume Youen-Tan, vous me trahissez ! » A ces mots, Sin-Ping tomba évanoui et mourut sur le coup ; il fut vivement regretté de son maître.

Le conseiller Kouo-Tou exposa que l’armée du nord ne pouvant se mesurer avec celle du sud, il fallait, dès le lendemain, faire sortir le peuple en masse ; les troupes suivraient immédiatement, et dans un combat à outrance contre le premier ministre, on tenterait définitivement la fortune[11]. Ce conseil plut à Youen-Tan. Cette même nuit, le peuple fut averti par une proclamation, qu’il devait évacuer la ville, et s’armer de sabres et de piques. Le lendemain, quand il fit jour, les quatre portes s’étant ouvertes à la fois, les troupes sortirent, poussant devant elles[12] cette foule de peuple qui se ruait en tumulte et se dirigeait, entraînée par les soldats, vers le camp impérial. Depuis sept heures du matin jusqu’a midi, ce fut une mêlée terrible, et sans résultat décisif ; les morts couvraient la terre. Alors, voyant que la victoire se refuse à passer de son côté, Tsao-Tsao abandonne son cheval ; il gravit à pied la montagne, et frappe le tambour de sa propre main. Les généraux et les soldats, qui l’ont vu, se lancent au combat avec une nouvelle ardeur ; les lignes ennemies sont mises en pleine déroute, le peuple tombe de toutes parts. Su-Hwang[13], traversant avec intrépidité les bataillons vaincus, rencontre Youen-Tan et l’abat d’un coup de sabre. A la vue de ses soldats mis en fuite, Kouo-Tou retourne précipitamment vers la ville, mais il tombe dans le fossé, percé par les flèches que lui lance Yo-Tsin.

Déjà le premier ministre, entré dans la place conquise, rassurait le peuple, quand parut un corps d’armée commandé par Tsiao-Tcho et Tchang-Nan, lieutenants de Youen-Hy. A peine virent-ils les troupes conduites vers eux par le vainqueur, qu’ils jetèrent bas leurs armes et firent leur soumission : le titre de prince fut leur récompense. Alors aussi arriva un rebelle des monts Hé-Chan (montagnes noires), nommé Tchang-Yen, qui se rendit avec cent mille hommes. Tsao-Tsao lui donna un commandement dans les provinces du nord, puis il l’envoya, en compagnie des généraux Yo-Tsin et Ly-Tien, soumettre le PingTchéou, défendu par Kao-Kan. Lui-même, a la tête du principal corps d’armée, il se porta vers Yéou-Tchéou pour y attaquer Youen-Hy et Youen-Chang.

Avant son départ, il avait fait exposer la tête de Youen-Tan et publier dans toute la ville une proclamation portant que : « Quiconque oserait pleurer devant cette tête périrait avec ses parents jusqu’au troisième degré. » Or, cette tête étant suspendue a la porte du nord[14], un homme, coiffé d’un bonnet de toile et vêtu de deuil, vint verser des larmes sous ce triste trophée. Les soldats de garde le conduisirent comme un criminel vers Tsao-Tsao qui l’interrogea. Cet homme avait été inspecteur du district de Tsing-Tchéou et se nommait Wang-Siéou[15]. Au lieu d’écouter ses conseils, Youen-Tan l’avait chassé ; mais le fidèle mandarin, instruit de la mort de son jeune maître, était venu pleurer sur ses restes.

« Connaissiez-vous mes ordres, lui demanda Tsao-Tsao ? Oui, répliqua le mandarin. — Et vous n’avez pas craint de faire périr avec vous vos plus proches parents ? — Tant qu’il a vécu, j’ai obéi à ses lois ; après sa mort, si je ne le pleurais pas, ce serait manquer au premier des devoirs. Par crainte des supplices, je manquerais à ce même devoir, et je resterais debout au milieu du monde ! J’ai reçu des bienfaits de la famille Youen ; si je pouvais avoir le corps de Youen-Tan et l’ensevelir, dussé-je périr avec tous ceux qui me sont chers, je fermerais les yeux sans regret ! »

« Au nord du fleuve Jaune, reprit Tsao-Tsao, peut-être y avait-il bien des mandarins fidèles comme vous !... Quelle pitié que ces Youen n’aient pas voulu s’appuyer sur leur zèle ! S’ils avaient su employer de pareils hommes, comment aurais-je osé regarder en face cette contrée !... » Il traita le mandarin comme un hôte de distinction, et le nomma l’un des intendants du palais. Tout joyeux de s’être attaché un tel homme, il lui dit : « Maintenant voilà que Youen-Chang s’est jeté dans les bras de son frère Youen-Hy ; enseignez-moi ce que j’ai à faire pour le prendre. » Et comme le mandarin gardait le silence, il s’écria : « Oh ! serviteur fidèle à ses anciens maîtres ! »

Interrogé à son tour, Kouo-Kia proposa de faire marcher contre ces deux frères les généraux Tsio-Tcho et Tchang-Nan, nouvellement soumis et qui avaient servi sous les ordres des deux jeunes princes ; ils viendraient à bout de les défaire. Tsao-Tsao goûta cet avis ;à ces deux commandants, il adjoignit Liu-Kwang, Liu-Tsiang, Ma-Yen et Tchang-Hy[16]. Chacun d’eux fut mis à la tête d’une division, et séparés en trois corps, ils marchèrent contre Yéou-Tchéou. Le premier ministre les suivait avec son armée, prêt à les soutenir. De son côté, Youen-Chang, sachant que l’avant-garde impériale se composait tout entière de soldats des provinces du nord qui avaient changé de drapeau, résolut, avec son frère, d’abandonner la place. Avec leur monde, ils s’enfuirent la nuit dans la direction de Liéou-Sy, cherchant un asile chez les Ou-Hoan[17],

Sur ces entrefaites, le commandant de Yéon-Tchéou, nommé Ou-Hoan-Tcho, ayant assemblé tous ses officiers, immola un cheval blanc[18], et voulut boire avec eux du sang de la victime pour sceller le serment qu’il leur proposait. Après leur avoir parlé de Tsao-Tsao et de sa lutte contre Youen-Chang et Youen-Tan, il trempa le premier ses lèvres dans le sang et dit : « J’ai entendu dire que son excellence le premier ministre est le plus grand héros de son temps ; faisons-lui notre soumission, et que celui qui résistera à ma volonté perde la vie ! » La coupe, en faisant le tour de la table, arriva dans les mains de l’inspecteur Han-Heng qui jeta son couteau à terre et s’écria : « J’ai reçu des bienfaits de Youen-Chao et de ses enfants ; aujourd’hui que notre maître est prêt de périr, le sage qui ne cherche pas à le sauver par ses conseils, et le héros qui ne combat pas jusqu’a la mort, manquent à leur devoir. Si quelqu’un regarde vers le sud et veut se soumettre a Tsao-Tsao, ce ne sera pas moi ! »

Tous les convives avaient pâli : « Lever des troupes, reprit Ou-Hoan-Tcho, voila la grande affaire ; il convient de remplir le plus grand des devoirs ! Mais le succès d’une entreprise n’est pas subordonné à la volonté d’un seul homme. Si Han-Heng est décidé à faire ce qu’il a dit, il en est le maître !... » Et le mandarin quitta le banquet sain et sauf. Le commandant, sortant des murs, alla au-devant des trois divisions impériales et se soumit à Tsao-Tsao, qui dans sa joie le nomma général en activité dans les provinces du nord, et gouverneur de ce même district de Yéou-Tchéou. Des courriers apportèrent aussi la nouvelle de la prise de Ping-Tchéou par Yo-Tsin et Ly-Tien ; quant au passage de Hou-Kouan[19],gardé par Kao-Kan, les troupes n’avaient pu s’en rendre maître. Le premier ministre s’y porta en personne ; les deux généraux que nous venons de nommer, l’ayant joint sur la route, lui répétèrent que Kao-Kan défendait le passage de telle sorte qu’ils n’avaient pu le forcer.

Tsao-Tsao assembla tous ses officiers pour les consulter sur le moyen d’enlever cette importante position : « Pour vaincre Kao-Kan, dit le conseiller Sun-Yéou, il n’y a qu’une chose à faire, c’est de lui envoyer de faux transfuges. » Goûtant ce conseil, Tsao-Tsao appela deux généraux nouvellement soumis, LiuKwang et Liu-Tsiang, et leur donna des instructions a voix basse. Tous les deux, ils partirent avec une dizaine d’hommes, et arrivés devant l’entrée du passage, ils dirent : « Les façons méprisantes de Youen-Chang nous avaient contraints de passer dans les rangs de l’armée impériale, mais Tsao-Tsao n’a pas de confiance en nous ; c’est un homme trop soupçonneux !.. Repentants de notre faute, nous revenons défendre notre ancien maître ; ouvrez-nous la porte et faites-nous entrer. »

Kao-Kan n’ajoutait pas foi à leurs paroles ; il se contenta de les admettre seuls en dedans des fortifications, afin de s’entendre avec eux. Les deux Liu entrèrent donc sans armes et à pied ; et comme ils parlaient très défavorablement de Tsao-Tsao : « Son armée approche, dit le commandant, indiquez-moi un moyen de la défaire ? — Profitez de l’incertitude de ses troupes, répondit Liu-Kwang ; attaquez son camp cette nuit même ; laissez-nous commander l’avant-garde… » Et cette nuit-là, Kao-Kan confiant son avant-garde aux deux traîtres, marcha contre les retranchements ennemis avec dix mille hommes environ.


  1. Ce que l’édition in-18 explique par cette idée toute chinoise : Tsao-Tsao était sous l’influence de l’astre Hwang (jaune). Voir plus haut, page 317. – La naissance de son fils avait été signalée par une nuée étincelante. Ce pronostic de la nuée étincelante se retrouve dans l’apparition de cette éblouissante lumière.
  2. C’était le petit nom du premier ministre.
  3. C’est le petit nom de Youen-Chao.
  4. Les mots Mongou-Kouroun du mandchou, et Jong Ty du chinois de la grande édition, sont remplacés dans la petite par l’expression Cha-Mo, qui désigne le désert ainsi appelé et plus connu sous la dénomination de Kobi.
  5. Littéralement : il avait prétexté une maladie et restait dans sa maison. Son surnom honorifique était Ky-Kouey ; son pays natal, la ville de Tong-Wou-Tching, dans le Tsing Ho.
  6. En chinois Pie-Kia, expression que le mandchou transcrit sans la traduire. Comme les dictionnaires ne l’expliquent pas non plus, nous empruntons au texte même de Khang-Hy la définition suivante : Pie-Kia ( littéralement, celui qui mène un char à part) ; c’est le nom d’une dignité. Sous les Han, ce magistrat avait les mêmes fonctions que le Tsang-Ssé-Ssé, le secrétaire chargé de suivre les affaires. Quand le gouverneur en chef de la province se rendait au tribunal, il l’accompagnait sur un char particulier ; de là cette dénomination.
  7. Ceux de Kan-Ling, Pou-Hay, Ngan-Ping et Ho-Hien.
  8. Liu-Pou avait voulu marier sa fille à l’ainé des fils de Youen-Chao ; l’affaire avait manqué, et comme il ramenait la jeune fiancée, Tsao-Tsao avait cherché à conclure une alliance du même genre qui n’avait pas réussi non plus. Ainsi, dans la famille des Youen, c’était toujours la même incertitude, la même fluctuation. (Note de l’édition in-18.)
  9. Près de Ho-Kien-Fou dans le Pé-Tché-Ly. (Histoire générale de la Chine, vol. IV, page 37.)
  10. Sin Py ; voir plus haut, page 359.
  11. Littéralement : on distinguerait la femelle du mâle, la poule du coq.
  12. Celui qui est sans pitié pour le peuple, dit en note l’édition in-18, est-il digne de posséder la terre !
  13. Le texte in-18, qui varie un peu dans les détails du combat, attribue cet exploit à Tsao-Hong, parent du premier ministre. De là, une note qui fait ressortir d’une part l’union qui règne dans la famille de Tsao-Tsao, et de l’autre la division qui a causé la ruine des enfants de Youen-Chao.
  14. C’est-à-dire, qu’elle faisait face à l’intérieur du pays gouverné naguère par Youen-Tan.
  15. Son surnom honorifique Cho-Tchy ; il était originaire de Yng-Ling, dans le Pé-Hay.
  16. Tous ces généraux étaient des déserteurs qui avaient abandonné le parti des Youen.
  17. Ces Tartares avaient profité des troubles de l’Empire pour augmenter leur puissance ; on comptait plus de cent mille familles chinoises réfugiées et établies chez eux. (Histoire de la Chine, tome IV, page 43.)
  18. Voir, sur cette cérémonie, les détails donnés dans le 1° volume et les notes.
  19. Passage situé à l’ouest des montagnes, et qui conduit dans le sud-est.