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Histoire des Vampires/II/Chapitre XI

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CHAPITRE XI.

Histoire d’un Vampire de Moldavie. — Anecdote singulière rapportée par Torquemada.

Dans un village à quelques lieues de Barlaw, en Moldavie, mourut, en février 1729, un vieux jardinier redouté de tout le voisinage, qui le croyait sorcier.

Pendant la nuit qui précéda son enterrement, son corps, qui était déposé dans l’église, fut dérangé de sa place, et le drap noir qui le couvrait fut volé : cependant on trouva le lendemain le cadavre sans mouvement. On n’en publia pas moins que le mort revenait déjà, et on se hâta de l’enterrer : on lui mit même une pierre sur la gorge.

Trois nuits après une jeune fille, qui était fiancée et sur le point de se marier, s’éveilla hors d’elle-même, quitta son lit, poursuivie par une vision épouvantable, et courut dire à ses parens que le vieux jardinier venait d’entrer dans sa chambre, qu’il lui avait dit : « Je viens te sucer comme j’ai déjà sucé celui qui devait être ton époux » ; qu’en même temps il lui avait serré la gorge, et qu’elle s’était éveillée en se débattant avec ce Vampire.

Au lieu de la rassurer et de lui montrer que tout cela n’était qu’une vision, ses parens, effrayés comme elle, ne songèrent qu’à apprendre à leurs voisins le malheur de leur fille, et à demander l’exhumation du cadavre suceur. Cependant la jeune fille mourut au bout de deux jours.

Mais voici un fait plus remarquable : celui qu’elle allait épouser n’avait pas vu le Vampire, n’en avait pas été sucé ; cependant il n’eut pas plus tôt appris ce que le spectre avait dit en étranglant la jeune fille, qu’il tomba malade également, et mourut huit jours après elle.

On déterra le mort que le cri public accusait de Vampirisme. On crut lui trouver le teint frais, et on le brûla[1]. Mais pourrait-on ne pas reconnaître dans cette aventure les tristes effets de l’imagination ? La vérité est ici tellement évidente qu’il est inutile de la montrer.

Nous nous contenterons de rapporter une anecdote qui a quelque rapport avec l’accident qui fit un Vampire, en dérangeant le cadavre qu’on allait enterrer.

Torquemada raconte[2] qu’un chevalier distingué par sa naissance et par ses richesses étant mort dans une ville d’Espagne, son corps fut transporté dans l’église d’un monastère, pour y être enterré avec les cérémonies accoutumées. Il y avait alors dans la même ville une femme qui avait perdu l’esprit : elle courait jour et nuit par toute la ville sans qu’on y fît attention. Se trouvant sur le soir près de l’église de ce monastère, elle y entre, et s’y cache si bien qu’on ferma toutes les portes sans l’apercevoir.

La nuit était alors assez froide : elle alla se mettre précisément sous le drap mortuaire du défunt ; ce drap était de velours ; elle s’en enveloppa pour se procurer quelque chaleur ; et y dormit jusqu’au milieu de la nuit, que les moines se rendirent au chœur pour chanter matines.

Le son des voix ayant éveillé cette femme, elle se mit à rire avec des éclats qui commencèrent à inquiéter ces pères : après cela elle se mit à frapper, à crier, à hurler même de toutes ses forces. Il n’en fallut pas davantage pour faire fuir les moines. Une lueur de courage ranima cependant le prieur et quelques religieux : ils s’armèrent de cierges et d’eau bénite ; après quoi ils rentrèrent dans l’église pour faire les exorcismes usités dans ces occasions.

La folle, les entendant revenir, se mit à crier plus fort qu’auparavant ; elle souleva même et fit retomber plusieurs fois la tombe, qui n’était pas encore scellée. Les prières et les exorcismes furent inutiles, et le prieur prit sagement le parti de quitter l’église, parce que ses religieux ne pouvaient bientôt plus résister à leurs frayeurs.

La folle, qui n’avait plus rien à craindre, dormit le reste de la nuit. Le lendemain elle se retira en un coin, ne témoigna rien de ce qui était arrivé, et sortit avec quelques autres personnes sans être remarquée.

Les moines, un peu rassurés, allèrent avant la messe visiter le tombeau, qu’ils trouvèrent extrêmement dérangé ; et on fut persuadé, dans la ville comme au couvent, qu’un spectre était venu dans l’église.

Mais au bout de deux mois tout le mystère s’éclaircit. Cette folle, rencontrant quelques religieux, leur cria : Moines, moines, ne vous ai-je pas bien effrayés une de ces nuits passées ? Les religieux s’approchèrent pour savoir ce qu’elle voulait dire : elle leur avoua tout ce qu’elle avait fait, et ce fut une belle apparition de moins.

Il y a beaucoup d’aventures de ce genre, qui ne sont merveilleuses que parce qu’on en ignore le dénoûment.

  1. Voyage en Moldavie en 1735, publié à Munich. 1740, t. I.
  2. Troisième journée de l’Hexaméron, cité par Lenglet Dufresnoi dans la préface des Dissertations sur les Apparitions.