Histoire des choses mémorables, sur le fait de la religion Chrétienne/Épître

La bibliothèque libre.
Traduction par Edmond Auger.
Benoît Rigaud (p. i-img).
À MONSIEUR DVC
d’Aniou, frere du Roy, ſon lieutenant
general & repreſentant ſa perſonne
par tout ſon Royaume &
pays de ſon obeiſſance.



Cevx, qui de prime-face, Monſeigneur, ſont couſtumiers d’aſſeoir iugement du labeur d’autruy, apres y auoir dõné vne atteinte d’œil legerement, ſans enfoncer au dedans, & balãcer à iuſte poids le profit & le plaiſir, que tout homme bien nay, & ſagement nourry en doit cueillir, ne ſe laiſſeront aiſement perſuader que ceſte hiſtoire, ſi courte qu’elle eſt, & de language eſtranger miſe en Françoys, fuſt œuure qui deuſt à l’auenant de voſtre grandeur, apparoiſtre en voſtre nom, & porter emprainct au frõt le tiltre d’vn Prince, qui ne doit eſpandre les rayõs de ſes faueurs, que ſur ce qui approche de l’excellence de ſes qualités, & viuacité de ſon entẽdemẽt. Mais puis que telle maniere de gens, ſi point s’en trouuoit ou autour de vous, ou eſpars ailleurs parmi la France, ne me voudroit ſeruir de garent, en mes iuſtificatiõs, nõ plus que ie ne les voudroye auoir pour iuges ſans appel, quand i’entreprendroye de venir à conteſtation de cauſe, il me ſuffira de vous deduire l’vn de mes motifs tant ſeulemẽt, à fin que par vous ſeul, & par voſtre arreſt definitif ie paſſe condemnation, ſi i’ay failly, ce que ie ne penſe : ou, comme ie m’y attends bien, vous ayãt faict choſe agreable, le plaiſir que prendrés à en ouyr la lecture, leur face toucher au doigt, eſtre icy vray, ce qui l’eſt ailleurs, couché en vn ancien prouerbe, De mauuais iuge breue ſentẽce. Ce mien motif donc eſt tiré, & comme formé du gentil, & diuin naturel que i’ay pieça obſerué, & admiré en vous, imbu d’vn bien meur, & ſage deſir qu’auez de ſçauoir, & apprendre touſiours quelque choſe rare, & d’eſlite, & d’ont voſtre experience, qui va croiſſant à plus longs traicts que ne faict pas voſtre aage, puiſſe iournellement enuieillir, parmi les grans eſtas & charges qu’aués en main, ſoubz le Roy voſtre frere, noſtre ſouuerain Seigneur, & puis d’ont auſsi voſtre religion & conſcience (qui ſurpaſſent en vous toute autre marque de grandeur) demeurẽt à bon eſcient edifiees & conſolees, ce qui vous aduient d’ordinaire, quand on vous apporte quelque certaine, & bien aſſeuree nouuelle de l’accroiſſemẽt du royaume de Ieſus Chriſt, qui eſt ſon egliſe Catholique, voſtre douce & premiere nourrice, que vous aimés plus que vous, ny que voz eſtas, par la preuue que vous en auês faict il ny a pas long temps, en les hazardant à toute poincte, pour la maintenir en repos & ſeureté. Or i’espere bien en Dieu qu’apres auoir à quelque heure deſrobee d’vn iour, tel que vous le choiſirés, comme pour vn relais de tant d’affaires qui vous ſont continuellement ſur les bras, ietté l’œil dedans ce peu de cayers, vous cognoiſtrés eſtre veritable ce que diſoit ſainct Pierre, chez le Centenier payan, qui fut conuerty à la foy Chreſtienne, ſelon la viſion qu’il en eut du linge rẽpli de tous animaux tenus pour immundes, ſanctifiés pourtant par la bõté diuine : En verité ie cognoi que Dieu n’eſt point acceptateur de perſonnes, mais en toute nation celuy qui le craint, & faict bonnes œuures (ou iuſtice) luy eſt agreable. Car comme la cheute & deminution des Hebrieux, remplis de toute impieté & opiniaſtres contre la doctrine du fils de Dieu, fut ce qui feit vne grande ouuerture à la conuerſion des Idolatres, du nombre deſquels nous eſtions tous auant que S. Denis preſchaſt en Frãce, & leur ruyne a d’vne eſtrãge façon engendré noſtre eſtabliſſemẽt : auſſi certes ſemble-il en voyant tant de pays, prouinces, & Royaumes, ſi lourdemẽt par long eſpace d’annees, enueloppés es ſuperſtitions profanes, & ceremonies diaboliques, receuoir à bras ouuers le ſainct Euangile, & viure ſi moderemẽt en gardant la loy diuine, que au pris de leur bon reglement, nos moeurs & contenances ne ſemblent qu’ombres de vertu, que noſtre Seigneur courroucé contre nous, & toute la partie d’Europe que les Chreſtiens habitent, pour le peu de foy & de religion qui reſte des anciennes ruynes de nos deuanciers, parmi tant de nouuelles diuiſions, & de ſectes l’vne pire que l’autre, mais toutes abominables, nous vueille deſſaiſir de ce que nous auons gardé par le paſsé par trop negligemment, & en nous iettãt hors de la vigne, de laquelle nous auons-eſté quinze cens ans en poſſeſſion, il la vueille loër, & donner à ferme à des vignerons plus fideles, & ſe mieux aquitans de leur prix-faict, que nous. Et de faict l’eſtat ou nous voyons reduitte l’ancienne egliſe, dreſſee par le labeur & ſang de tant de vaillans champions de Ieſus Chriſt, en la noble Aſie, & par nous les deſtrois & preſque lieux inhabitables de la ſablonneuſe Afrique, nous ſert de preuue ſuffiſante, que noſtre Dieu n’eſt riẽ moins rigoureux & ſeuere, à ſe retirer de ceux qui ne tiennent conte de luy, ſouz le nouueau Teſtament, qu’il ſe monſtra durant la vieille loy, quand il feit le rauage en Silo, duquel par ſon expres commandement, le Prophete menaçoit long temps apres, le Temple de Salomon, & tout ce qui appartenoit à ce grans corps de Ceremonies Moſaiques : que la poſterité veit non gueres d’annees apres deuant ſes yeux abbattre & raſer, qui ne fut pourtãt que comme vn ieu, en comparaiſon de la furieuſe, & irreparable ruyne d’ont ce diuin Daniel les auoit ſi clerement auertis, que ſes propos reſembloyent plus à vne hiſtoire, qu’à vne prophetie. Si eſt ce pourtant, que toutes ces eſtranges reuoltes, & grans changemens qui ont inſtalé le Turc, & ſes confederés en la poſſeſſion des lieux qui furẽt vn ſi long temps noſtres de droit, & par ſucceſſion, n’ont onques peu alterer l’immortel priuilege de l’egliſe Chreſtiẽne, par lequel elle demeure touſiours auec la victoire en main cõtre les portes d’enfer, qui ne l’abbatront iamais quoy que ſouuent il l’esbranlent, & facent vn peu croller, car ceſte eternelle duree que Ieſus Chriſt ſon Chef & Roy, luy a ſi ſolennellement iuree, n’eſt point aſſiſe ſur vne nation plus que ſur vne autre, & n’eſt bornee de lieux aucuns, de villes ou prouinces, mais giſt en ce point authentique, de n’eſtre iamais ſans la vraye doctrine de ſon Maiſtre, d’auoir enclos en ſoy le droit vſage des diuins Sacremens, & d’eſtre tresheureuſement aſſiſtee de paſteurs, & Prelas droitement, & ſelõ la marque des Apoſtres, conſtitués en dignité. De maniere, Mõſeigneur, qu'en quelque endroit de ce grand monde, qu’il plaiſe au Createur d’iceluy, ſelon ſon incomprehenſible conſeil, & ſes iugemens hors de noſtre intelligence, par le miniſtere, & induſtrie de ſes ſeruiteurs faire reluyre la clarté de ces trois comme eſtoiles, & marques vniuoques, là il nous faut recognoiſtre l’Egliſe, & y faire hommage au ſiege du fils de Dieu noſtre Sauueur : que ſi quelqu’vn oblié de ſoy pour contrerooler l’economie, & le gouuernement de ſa diuine Maieſté, vouloit fonder tous ces changemens non ſur ſa certaine prouidence, mais ſur ie ne ſcay quelles reuolutiõs des aſtres, comme ſi ce qui eſt enclos es cauſes contingentes, qui neantmoins ſont forcloſes de toute necceſſité, deuoit eſtre rapporté à vne coſtellation, & rencontre des corps qui n’ont aucun ſens ny iugement, ie ne luy feroye autre reſponſe, que celle d’vn de nos graues docteurs à vn ſemblable euenté : Que les Prophetes en annonçeant pluſieurs ſiecles au paravant, tout ce qui par apres de point en poinct ſuccederoit, non en vn lieu, mais en tous les quartiers du monde habitables, n’ont onques renuoyé les hommes menacés de quelque malheur, à appaiſer vn aſtre, comme la cauſe de ſon deſarroi, & malencontre, mais bien ont ils conuié chacun à recognoiſtre le Dieu viuant, qui leur auoit eclairé en l’entendement par ſa prouoyãce, ſans qu’ils euſſent onques eſtudié en Aſtrologie, & faict toucher d’vne certitude infaillible le cours des choſes cõcernantes noſtre Salut. Et Puis iamais homme de bon entendement, pour peu qu’il ait eu de cognoiſſance d’vn seul Dieu, n’aſſigna autre cauſe des hereſies, & diuerſes erreurs, qui ne ſont entre ceux qui ont la marque du bapteſme qu’autant d’auancourreurs d’infidelité, ou de l’atheiſme, que la meſchante volonté, & l’entendement reprouué des hommes, abandonnés de celuy, qui ne delaiſſe iamais ſes ſugets le premier, ains c’eſt apres qu’il en a eſté prouoqué le premier, & auoir porté ſur ſes bras, comme il parle par le Prophete, nos iniquités abominables, vn bien long temps ſans aucune apparence d’amendement & de penitence. Ce qui eſt bien aiſé à cognoiſtre par les diuers euenemens des choſes qui ſont paſſees és pays limitrophes de l’Europe, que les Solimans n’agueres ont enuahi, & enclaué à leur domaine, car il n’y auoit entre ces derniers Chreſtiens là, reuerence aucune au ſainct ſiege Apoſtolique, & beaucoup moins d’enuie d’obeir aux ſages remonſtrances que leur faiſoyent leurs doctes Paſteurs & Predicateurs, de quitter les vſures, bannir les blaphemes, abolir les inimitiés domeſtiques, punir ſeuerement les paillardiſes, auoir en horreur toute ſorte de nouueautés en la foy, & ſi (qui pis eſt) les grans Seigneurs, & que Dieu auoit honoré de tant de beaux tiltres, & degrez excellens de Roys, & de Princes, au lieu de ſe bander contre le vice, & matter le factieux rebelle pour la plus part tournoyent leurs forces à vexer les amis, & amoindrir l’autorité, & reputation de l’Egliſe, auec laquelle en leur pays, ſi nõ eux en perſonne, certes pour le moins leurs petis nepueux, ont perdu leurs eſtas & principautés, qui nous doit eſtre vn beau miroüer, à fin de nous aſſeurer d’en auoir autant à noſtre porte, puiſque de pareilles cauſes, l’on veoit ordinairement iſſir & ſourdre les meſmes effets. Ce qui n’auiendroit ou iamais, ou pas ſitoſt en nos quartiers, ſi chacun en ſon endroit, pour ſon calibre, y faiſoit ce que vous, Monſeigneur, y aués entamé, pourſuiuy & bien auancé, tant par le vif exẽple que vous aués monſtré à toute la Chreſtienté de voſtre religion & bonne vie, comme par les belles executions qu’auez faict en faueur de la querelle, à laquelle nous auons bien tous part, qui plus qui moins, mais (ie le dis la larme à l’œil) nous ne monſtrons, ny pareille, ny ſemblable affection, par faute de nous reſoudre grauement vne fois pour toutes & croire que la choſe qui plus nous importe, & touche de plus pres en ce monde trauerſier, c’eſt de garder ſaine & entiere la foy & doctrine, que nos anceſtres, gens de bien, nous ont ſi curieuſement leguee pour la meilleure piece d’heritage qu’ils euſſent, & puis en laiſſer noſtre poſterité ſi bien ſaiſie, que deux ou trois Predicans affetés, ſouz ie ne ſcay quelles couleurs de nouuelles beſongnes, ne la leur vinſſent embler & corrompre : mal’heur certes qui nous vient trouuer au galop, & comme l’on dict, à bride abatue ſi Dieu ne nous inſpire à faire mieux, & vous ſouz l’autorité de noſtre Roy, n’allés au deuant pour luy rompre ſa courſe, & rembarrer ſes efforts outrecuidés.

Au reſte ceſte hiſtoire auſſi, vous ſeruira comme de commentaire aſſeuré, pour entendre que les promeſſes de Dieu ne ſont legeres, & trompeuſes, ains ſi bien appuyees ſur l’euenement & ſucces de ce qu’elles emportent, qu’il ne s’en faut iamais la pointe d’vn iota, que de tout point ce qui eſt predit n’aduienne ainſi, en ceſte ſorte de prophetie, que ie vous allegue d’Eſaie, là ou le ſainct eſprit monſtre de bien loin ce que Ieſus Chriſt & ſes Apoſtres ont dit apres plus clairement, Que l’Euangile deuoit eſtre annoncé es parties les plus eſtranges, deuant la conſommation du monde, & telle en fut faicte la promeſſe à l’occaſion de la deuote onction de Magdelaine enuers noſtre Sauueur, ioinct que l’Apoſtre empruntant vn traict du prophete Roy Dauid, s’en ſert tresbien à ſon propos, pour prouuer que le ſon des Apoſtres, ou de leurs ſucceſſeurs, & le retentiſſement de leur predication s’eſtoit faict (ou ſe feroit, car c’eſt vne façon de parler Hebraique) ſentir par toute la terre. Ce qu’auſſi ſuiuant les propos tout expres de noſtre Redempteur, nos Peres anciens, clair-voyans en choſes de telle eſtoffe, ont prins pour vn ſigne certain, & vif argument de la fin du monde, & du fecõd aduenement du Mediateur Ieſus, & eſcrit franchement à leurs amis, que n’eſtant encore certains païs Barbares, abbreuués de la doctrine Euangelique, la prophetie de Dauid n’eſtoit pas pour tant menſongere, mais qu’vn tẽs vien-droit qu’aucuns l’acompliroyẽt entierement, verifiant auſſi, ce que dit Sophonie : Toutes les Iſles des nations adoreront Dieu, & feront marcher le triomphe des victoires de Ieſus Chriſt, d’vne mer à vne autre, inſtruiſans en ſa loy des peuples qui n’en n’auoyent onques ouy parler, nommés par Eſaie, l’Afrique & les Indes Orientales, en la parolle Hebraique Tharſis. Et de faict, iaçoit que la region qu’arrouſe le fleuue Indus ſoit celle proprement que iadis on appelloit Inde, ſi eſt ce que le commun vſage depuis a gaigné ce point d’appeller Inde, toutes ces grandes & vaſtes prouinces, ſituees pardelà la riuiere de Ganges, iuſques à la Chine, & es marches des derniers peuples de l’Orient, que les Latins ont nõmés Seres, là ou tous les Scripteurs des hiſtoires ſacrees s’accordent aucunement que le nom de Ieſus ait penetré, mais comme les Iſles du Iapon, pays de fort grande eſtendue, aſſiſes en la mer Ocean dicte Serique, vers le Septentrion ne furent onques recogneües des anciens (quoy que aucuns veulent deuiner que ce ſoit la Zipangie) auſſi ny auoit jamais eſté annoncee la verite du nouueau Teſtament, iuſques à ce qu’eſtant deſcouuerte par les marchans Portugois, par vne nauigation qui faut faire de ſix mille lieuës d’vn de leurs ports qui s’appelle Lisbonne, l’an 1549 ceux de la Compagnie du nom de Ieſus les premiers y entrerent pour l’y enraciner, & faire croiſtre, ainſi que vous deduira ſans redite ceſte hiſtoire. Et combien auſſi que les ſaincts Apoſtres, Thomas & Barthelemy, ayent ietté les premieres semences de l’Euangile és contrees de l’Orient vers Malaca, Taprobana, Ormutz, Iſle del Moro, ſi eſt ce que les longues années auoyent tellement enſeuely, & enterré la memoire de Ieſus Chriſt, par l’idolatrie qui y auoit reprins ſon ſiege, & l’alcoraniſme qui n’y eſt encores que trop ancré, qu’on peut dire que la venue de la doctrine de noſtre Sauueur, en ces dernieres annees, leur a eſté comme vne toute nouuelle conuerſion, auſſi bien qu’a ceux du Perou, là où ceux deſquels ce diſcours fait mention, ſont bien auaut entrés pour les meſmes intẽtions qu’aillieurs, nommement au Braſil, & es quartiers d’Occident, n’obliant ny l’Arabie, ny l’Ethiopie, ſi n’en n’eſt-il rien dit, ou bien peu comme en paſſant, pour eſtre vne matiere ſi feconde, que le Seigneur Maffeo, luy a voüé vn traicté tout expres. Or tout cecy m’a faict ſouuenir d’vn souhait, ou pronoſtic de ce bien auiſé & docte Pere, ſainct Auguſtin, eſcriuant à vn ſien amy la reſponſe d’vne difficulté à luy propoſeec, ſur la predication qui doit eſtre faicte es terres incogneuës, deuant la conſommation du mõde, Le fils de Dieu, dit-il, ne viendra point deuant que l’Euangile ne ſoit preſché par tout le monde. Si donques quelques vns de ceux qui font profeſſion d’eſtre ſeruiteurs de Dieu, vouloyent prendre la peine, voyageant par tout le monde, de recueillir entant qu’il leur ſeroit poſſible, ce qui reſte de Gentils là où l’Euangile n’a point encores eſté annoncé, nous pourrions par la cognoiſtre aiſement, combien il y a d’icy à la fin du monde, iaçoit que nous ne le pourrions pas dire à point nommé, mais bien aſſeurer qu’elle n’eſt guere loin, que ſi ce n’eſt de la vie de nous autres qui ſommes deſia fort aagés, certes nous eſperons que ce ſera du tems de ceux qui viendront apres nous, que toutes les nations infideles ſeront conuerties à Ieſus Chriſt. Ce qui ſera lors beaucoup plus aiſé à prouuer, quand l’experience en ſera faicte, que maintenant en le liſant tant-ſeulement.

Au moyen dequoy, Monſeigneur, ce vous deura eſtre vn grand contentement d’ouir dire que le Dieu, & Seigneur que vous adorés va eſtendant ſon Royaume, & ſa puiſſance ſi loin, & que de voſtre tems ſe ſoit rangé beaucoup plus de peuples à luy, qu’il n’en a eſté ſouſtraict de ſon obéiſſance par Mahomet, & les heretiques coniurés de toute ancienneté à deffaire l’Egliſe Chreſtienne, mais toutes ces choſes ſi excellentes, ne ſe font qu’auec les vrais moyẽs de gaigner les ames à Dieu, qui ſont la ſcience ſolide, & bien-aſſeuree, de ce que l’on doit enſeigner à autruy, & la ſaincte conuerſation & bonne vie, conforme à la legitime vocation, & charge en laquelle l’on eſt conſtitué, pour ſeruir d’exemple, non ſeulement à bien dire (ce que les reprouués taſchẽt bien faire) mais auſſi à viure iuſtement & faire ce que la Loy qu’on preſente, ordonne & commande. Auec tout cecy d’vne fort heureuſe ſuitte, noſtre Seigneur y aſſiſte par ſa puiſſance extraordinaire, & faict des miracles ſi euidens de toutes ſortes, en confirmation de ce que ſes Ambaſſadeurs, & Vicaires annoncent & preſchent, que la face des Egliſes de Iapon, & autres des plus eſloignees, reſſemble preſque de tout point à celle de la primitiue Egliſe. Choſe qui deuoit bien ſuffire à ceux qui nous veulent vendre ſi cherement leur Euangile reformé, pour cognoiſtre que ſi ce qu’ils vont faiſant parmy les prouinces de France, & d’Allemagne, eſtoit edifier, & conſtruire, Dieu leur feroit ceſt honneur que de teſmoigner par miracles que leur induſtrie, & labeur luy eſt cher & agreable, mais nous ſcauons que trop n’eſtre ſa couſtume d’approuuer par ſes merueilles ſuper-naturelles l’outrecuidãce des faux Prophetes qui ne font que ruiner & abbattre, il eſt vray que l’antechriſt, aura bien ce pouuoir de ratifier ces ruſes, & blaſphemes par miracles, mais ſainct Paul les appelle captieux & menſongiers. Et d’autre part combien ſe deuroit eſteuer le courage des Catholiques, pour ſe voir eſtre inſtruis, cõfirmés en vne religiõ, qui tous les iours eſt illuſtrée & annoblie en tous ſes points & articles, par tant de prodiges, & œuures miraculeuses ? car rendre la parole aux muets, faire veoir les aueugles, guarir les paralitiques, rẽdre l’ouye aux ſourds, reſuſciter les morts, appaiſer les tempeſtes, predire les choſes futures, ſont merueilles qui ſe font maintenant es Indes, & au Iapon, pour y ratifier, non ce que les Caluiniſtes, & Lutheriens dogmatiſent (car là il n’en eſt point de memoire) parmy nos contrées, mais bien ce que nous croyons nous autres qui allons à la Meſſe, prions pour les treſpaſſés, confeſſons nos pechés aux Preſtres, croyons le franc arbitre, faiſons reuerence aux Images, adreſſons nos requeſtes aux ſaincts de Paradis, cheriſſons leurs reliques, iuſnons le Careſme & autres iours, nous abſtenans de certaines viandes, tenans pour chef viſible de l’Egliſe militante, vn ſucceſſeur de ſainct Pierre, ſouſtenons que nos bõnes œuures ſõt meritoires, vſons de ceremonies au Bapteſme, & es autres ſix sacremens : bref, qui croyons, diſons, & faiſons tout au cõtraire, quãnt à ces points, & quelques vns d’auantage, de ce que nos aduerſes parties maintiennent. Et nous à ceux que nous conuertiſſons tout de nouueau à noſtre doctrine, nous preſentons de beaux miracles confirmatifs d’icelle : eux à ceux qu’ils ſeduiſent, & pipent iournellemẽt à leur menſonges, que donnẽt-ils pour aſſeurance hormis qu’vne pure preſumption humaine, engrauee d’vn pinceau par trop audacieux en leur ceruelle, que Dieu eſt leur maiſtre, & qu’ils ont en main ſa volonté, comme ſi toutes les ſectes du monde (qui ont quelque ombre de Chriſtianiſme) n’en diſoyent tout autant. Si ſcay-ie bien pourtant qu’aucũs d’entre eux ſont par fois hauts à la main iusques là, que de calomnier tous les miracles que nous leur mettõs en auant, en faueur de noſtre verité, diſants qu’il ne ſe faict plus de telles œuures prodigieuſes, que par ſorcellerie, enchantemens, & par art du Diable, mais auſſi doiuent ils avoir memoire que tout ce iargon eſt de l’eſcole de ceſt ancien ennemy de l’Egliſe Porphyre, auquel quãd nos doctes Peres ont magnifiquement reſpondu, nommement ſainct Auguſtin, ils ont ſuffiſamment renuersé les obiections de ces nouueaux Porphyeans iuſques à faire les denombremens des miracles que Dieu auoit faict de leur tems, en leur pays, pour preuue certaine de la foy Catholique, ne trouuans au demeurant eſtrange s’ils ſe moquent de ce que nous alleguons, puiſque leur langue enuenimee n’eſpargne point ces grandes colonnes de l’Egliſe de Dieu, & neantmoins protestans, en les outrageãs de luy faire ſeruice, comme ſi le maiſtre ſe ſentoit honoré des iniures faictes à tort à ſes loyaux, & bien aimés ſeruiteurs : mais tout ce que ie trouue preſque de pire en toute ceſte meſdiſance, & opiniaſtreté ſi forcee, c’eſt vne habitude d’ont ils ſe pairent & garniſſent peu à peu, pour en croiſſant de mal en pis venir finablemẽt à nyer les miracles de Ieſus Chriſt, & de ſes Apoſtres, comme choſes non faictes & controuuees, qui fut l’abominable langage de Iulian ſurnommé l’Apoſtat, & qui eſt le plus familier qu’ayent en bouche les vileins Atheiſtes de noſtre malheureux, & deſloyal ſiecle. Auſſi dit iadis tresbien vn ſage Philoſophe, que iamais le vice ne s’arreſte au point, ou il a commencé, mais les meſchans profitent touſiours, d’erreur en autre, comme pieça eſcriuit l’Apoſtre.

Au reſte quant à la verité de ceſte hiſtoire, & de toutes autres de pareille marque que l’on vous pourroit à l’aduenir dedier, Monſeigneur, ie vous oſeray bien aſſeurer, au gage, non de ma vie, qui eſt trop peu de cas, mais de ma conſcience, que tout ce qui y eſt deduit & narré eſt realement & de faict ainſi aduenu, car encore que les pays ou telles choſes ont paſſé, ſoyent eſtranges, & bien eſloignez du noſtre, ſi eſt-ce que tant de gens de noſtre Europe y traffiquent maintenant, & y paſſe chaque annee preſque vn ſi bon nombre de perſonnages de qualité, qu’il eſt impoſſible feindre vne choſe pour vne autre, à la veüe de tant de teſmoings, qu’elle ne ſoit tout auſſi toſt deſcouuerte. Ioinct que les Seigneurs, & lieutenans des Roys qui ſont es terres & domaines de leurs Souuerains, non pas touſiours les meſmes, mais ſurrogés les vns aux autres, ſelon qu’il plaiſt à leurs Maiſtres, ne voudroyent pour leur honneur vendre des bourdes à leurs Princes, auſquels neantmoins ils ont tous en diuers tems, d’vn meſme pays, d’vn meſme ſtile donné les auertiſſemens tous tels que ceux qui ſont icy couchés par eſcrit. D’auantage puis que nous voyons que tant de Monarques, & de grans Seigneurs Barbares, auec leurs peuples & ſugets, quittans leurs ſuperſtitions inueterees, ſe rangent à la religion Chreſtienne, & que d’ailleurs auſſi tant de gens nouuellement baptiſés, endurent plus qu’on ne ſcauroit eſtimer, & de perſecutions, & de tormens, pour la Cauſe de Dieu, ne faut il pas dire de ceſt affaire que c’eſt non l’induſtrie humaine qui gouuerne le tillac de ceſte affaire, mais Dieu luy meſme, qui y met la main, non ſeulement en adouciſſant le cœur de ces felons, & farouches ſauuages, par secrettes inſpirations, mais auſſi faiſant reluire ſur leurs yeux la clarté de ſa puiſſance par ces prodiges, & miracles extraordinaires ? Et puis ces gens cy, nommés de la Compagnie du nom de Ieſus, ſe mettant à tous hazards, & dangers, apres auoir abandonné tout ce qu’ils ont en ce monde, pour illuſtrer, & faire croiſtre l’honneur de Dieu en ces regions eſtranges, ſans qu’homme les ait onques notés d’auoir autre but, ou pacquet en l’eſtomac, que la gloire de ſa diuine Mageſté, n’ignorent pas, pour auoir tous autres fois bien eſtudie, ce que dict Iob, que Dieu pour maintenir ſa cauſe, n’a que faire de noſtre menſonge, qui eſt certes bien à deteſter en toutes choſes, mais beaucoup plus eſt-il abominable là ou il s’agiſt des ames, & du ſalut des creatures eſgarees, deſquelles ces Docteurs vont tellement pourchaſſant par mer & par terre la vie ſpirituelle, qu’ils ont touſiours la mort deuant les yeux, qui eſt le payement preſque ordinaire de leurs trauaux, au moyen dequoy ils engageroyent par trop à bon marché & leurs conſciences, & leur reputation d’eſcrire vne choſe pour vne autre, & ce par fois à leurs Superieurs, auſquels par vœu tout expres ils ont iuré l’entiere & veritable obeiſſance, & par fois à leurs amis & compaignons, qui ont vn tel credit à leurs lettres & auertiſſemens, pour les auoir tous cogneus gẽs de bien, & de bonne volonté, qu’ils ne penſent rien moins qu’a douter de la moindre ſyllabe de ce qu’ils mandent. Quand eſt de moy, pour auoir eu ceſt honneur, que d’eſtre cogneu de vous Monſieur, aſſés domeſtiquement, ie me contenteray de dire que la peine que i’ay prinſe en ceſte tranſlation, n’a eſté que pour me ſembler choſe qui meritoit bien qu’vn de ma robe s’y employaſt, à raiſon de beaucoup de façõs de parler, & manieres de faire qui ne ſont aiſees à exprimer que par ceux qui s’y ſont nourris de longue main, mais i’ay tellement niuelé mon ſtille aux lois de la verité de celuy qui a eſté le premier auteur de ce labeur, que pour toute affection que i’ay porté à ma famille en traduiſant, ça eſté de dire le plus clairemẽt que i’ay peu ce qui concerne l’honneur de Dieu, pour l’amour duquel, ie ſuis bien aſſeuré que tout tant que nous ſommes, de ceſte profeſſion, nous vous ſeruirons de tresbon cœur, là où l’occaſion ſe preſentera d’eſtre par vous employés à telles & en ſemblables charges, que celles-cy, ſelon que ie ſçay qu’aués vn grand zele, quoy qu’il aduenne, de veoir fleurir par tout le monde l’honneur ancien de l’Egliſe Catholique, vous ſuppliant de prendre ce petit ouurage en bõne part, comme aués faict d’autres miens auſſi par le paſsé : & ie prieray deuotement le Createur, vous enrichir de iour à autre de ces dons & faueurs, pour continuer ſainctement vos hautes charges, à ſa gloire, au profit de la republique Chreſtienne, au gré du Roy, & à voſtre entier contentemẽt, & Paradis à la fin. À Lyon iour de noſtre Dame d’Aouſt, l’an mil cinq cens ſoixante & vnze.


Vostre tres-humble, & tres-obeiſſant ſeruiteur, EMOND.