Histoire des fantômes et des démons/Aventure d’un Écolier

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AVENTURE D’UN ÉCOLIER.

Un écolier, à qui ses maîtres avaient inspiré la plus grande frayeur du diable et des esprits malins, en avait l’imagination tellement frappée, qu’à l’âge de quinze ans, il ne pouvait coucher seul dans une chambre, sans mourir d’effroi pendant deux heures, avant de s’endormir. Il était de Montereau, et étudiait à Paris.

Lorsqu’il allait en vacances chez ses parens, soit qu’il ne fût pas riche, ou qu’il ne voulût pas attendre la voiture publique, il allait ordinairement à pied. Un jour qu’il faisait assez gaiement ce voyage, il rencontra sur sa route une vigne chargée de beaux raisins, dont quelques-uns étaient déjà mûrs. Comme tout ce qui tombe sous la main des écoliers leur appartient par droit de rapine, il entra sans scrupule dans la vigne, fourragea les plus beaux raisins, et ne reprit son chemin que quand il eut abondamment rempli son estomac, ses mains et ses poches. Personne ne l’avait vu : il continua donc sa route avec tranquillité ; et, quand il fut las, il s’arrêta dans une petite auberge, pour y passer la nuit.

On le logea dans une chambre basse, qui donnait sur la cour. Le silence de la campagne, bien plus effrayant que l’agitation des villes, commença à porter un certain effroi dans l’esprit du jeune homme. Il visita tous les coins de sa chambre, et se rassura un peu, en reconnaissant qu’elle n’avait ni cheminée, ni ouverture quelconque. Mais, dès qu’il fut au lit, le souvenir du vol qu’il avait fait se représenta à son imagination, et la peur d’être emporté par le diable le tint longtemps éveillé. Il ne s’assoupit que pour être tourmenté par des songes pénibles. Vers deux heures du matin, il lui sembla qu’il voyait au-dessus de lui une légion de démons, armés de crocs, de fourches et de paniers, qui lui disaient : « Rends le raisin que tu as volé, où nous t’allons mettre dans ces paniers, avec nos crocs et nos fourches, pour t’emmener aux enfers… »

L’écolier épouvanté se lève en sursaut. Son imagination était si fortement troublée que, quoiqu’il ne dormit plus, il croyait voir encore la bande infernale. Il courut à la porte pour s’échapper et appeler du secours. Malheureusement il se trompa de clef, et entra dans un poulailler voisin, dont il n’avait pas remarqué la porte. Le bruit qu’il fit éveilla les poules, les dindes, les oies et les canards qui y étaient enfermés ; et tous ces animaux voltigeant en désordre, en poussant des cris d’effroi, frappaient sans le voir le malheureux écolier, des ailes et du bec. En sentant ces atteintes, en entendant les cris des oies et des cannes, le jeune homme se persuada qu’il était déjà en enfer : il voulut faire un pas, et se heurta contre l’extrémité d’une perche, qu’il prit pour une fourche. Alors il tomba à la renverse à demi-mort.

Pour surcroît de malheur, le vacher faisait en ce moment sa ronde ; et le son du cornet à bouquin, avertissait les paysans de lâcher leurs bêtes. L’écolier prit ce son, pour celui de la trompette qui l’appelait au jugement : il poussa des cris lamentables, et demanda miséricorde, de tous ses poumons. La fille de l’auberge, qui s’était levée pour faire sortir ses vaches, entendant les cris d’un homme, mêlés aux piaillemens des poules et des canards, courut au poulailler, en tira le pauvre étudiant dans un état pitoyable ; et ce ne fut qu’après bien des peines qu’on lui persuada qu’il n’était pas encore mort.

Tels sont les effets d’une imagination déréglée. On pourrait faire un gros volume sur les maux que produisent tous les jours les faiblesses de l’esprit et les vices de l’éducation.