Histoire des fantômes et des démons/Aventure d’un Musicien

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AVENTURE D’UN MUSICIEN.

Un musicien de Toulouse revenait seul, à deux heures du matin, d’une maison de campagne, où l’on donnait un grand bal, et où il s’était si copieusement désaltéré, qu’il voyait double et marchait de travers. En un mot, il était dans un état complet d’ivresse, et faisait la route en trébuchant à chaque pas. Il n’en chantait pas moins à gorge déployée.

Des voleurs, postés dans un bois voisin, vinrent lui demander le droit de passage ; et, comme il n’opposait aucune résistance, il ne reçut ni coups, ni mauvais traitemens ; mais il fut entièrement dépouillé et laissé nu sur le grand chemin. L’ivresse, la fatigue et la difficulté de se retirer, l’engagèrent à prendre là un peu de repos ; et il s’endormit profondément.

Une heure après, le charriot de l’hôpital de Toulouse vint à passer, chargé de corps morts, que l’on conduisait au cimetière. En approchant du musicien endormi, les chevaux s’arrêtèrent, et le cocher les fouetta vainement, sans pouvoir les faire avancer. Enfin, il se mit en colère, jura de tous ses poumons, et agita son fouet de toutes ses forces ; les chevaux se cabrèrent et le charriot versa. Cet incident força le conducteur à se calmer, et à laisser aux chevaux le temps de reprendre haleine, pendant qu’il ramasserait les corps morts.

Comme celui du musicien était nu, et qu’il y allait sans compter, il le prit avec les autres, et le jeta dans le charriot ; après quoi, il continua sa route, sans obstacle.

Mais les secousses de la voiture ébranlèrent l’imagination de l’ivrogne. Il se mit à rêver ; et, son rêve lui rappelant les douces idées du bal ; où il avait si bien bu, il porta des santés, et commanda les figures d’une contre-danse. Il ne parlait à haute voix, et variait ses tons, suivant qu’il était plus ou moins agité. De sorte que le cocher entendit bientôt crier derrière lui : En avant deux ! la chaîne des dames ! la queue du chat ! etc.

Ces clameurs, qui semblaient partir de plusieurs bouches, commençaient à épouvanter le conducteur, lorsqu’il arriva à l’entrée du cimetière. Il jeta à la hâte tous les corps qu’il amenait, devant la porte du fossoyeur, et s’en alla, en lui criant : Enterrez-les bien vite, car ils parlent tous, et pourraient bien revenir !…

Le fossoyeur étonné, examina soigneusement ses morts. Heureusement, pour le musicien, c’était un homme qui ne croyait point aux revenans. Il trouva l’ivrogne encore chaud, le coucha dans son lit, lui laissa le temps de reprendre sa raison ; et lui prêta le lendemain un de ses habits pour retourner à la ville.


FIN.