Histoire des fantômes et des démons/Le Souper des Démons

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LE SOUPER DES DÉMONS.

On trouve cette anecdote peu connue dans de vieilles chroniques de Lorraine :

Charles II, duc de Lorraine, voyageant incognito dans ses États, arriva un soir dans une ferme, où il se décida à passer la nuit. Il fut tout surpris de voir qu’après qu’il eut soupé, on préparait un second repas, plus délicat que le sien, et servi avec un soin et une propreté admirables. Il demanda au fermier s’il attendait quelque compagnie. — Non, Monsieur, répondit le paysan ; mais c’est aujourd’hui jeudi ; et, toutes les semaines, à pareil jour, les démons se rassemblent dans la forêt voisine, avec les sorciers des environs, pour y faire leur sabbat. Après qu’ils ont dansé le branle du diable, ils se divisent en quatre bandes. La première vient souper ici ; les autres se rendent dans des fermes peu éloignées. — Et paient-ils ce qu’ils prennent ? demanda Charles. — Loin de payer, répondit le fermier, ils emportent, encore ce qui leur convient ; et s’ils ne se trouvent pas bien reçus, ou que quelque chose leur manqué, nous en voyons de rudes. Mais que voulez-vous qu’on fasse contre des sorciers et des démons ?…

Le prince étonné, voulut approfondir ce mystère. Il appela un de ses écuyers, lui dit quelques mots à l’oreille ; et celui-ci partit au grand galop pour la ville de Toul, qui n’était qu’à trois lieues de là.

Vers deux heures du matin, le sabbat étant probablement terminé, une trentaine de sorciers et de démons entra dans la ferme : Les uns étaient noirs, et ressemblaient à des ours ; les autres avaient des cornes et des griffes ; les sorciers et les sorcières étaient vêtus bizarrement.

À peine étaient-ils à table, que l’écuyer de Charles II rentra, suivi d’une troupe de gens d’armes. Le prince parut, avec cette escorte, dans la salle où les démons et les sorciers se disposaient à bien souper. — Des diables ne mangent pas, leur dit-il ; ainsi, vous voudrez bien permettre que mes gens d’armes se mettent à table, à votre places… Les sorciers voulurent répliquer ; les démons, plus mutins, commencèrent à proférer de grandes menaces. — Vous n’êtes point des démons, leur cria Charles ; les habitans de l’enfer agissent plus qu’ils ne parlent ; et si vous en sortiez, nous serions déjà tous fascinés par vos prestiges…

Après ces mots, voyant que la bande infernale ne s’évanouissait point, il ordonna à ses gens d’armes de faire main-basse sur les sorciers et leurs patrons. On arrêta pareillement, dans la même nuit, les autres membres du sabbat, qui soupaient chez les voisins ; et, le matin, Charles II se vit maître de plus de cent vingt personnes, tant sorciers et sorcières, que diables et diablesses. On dépouilla toutes ces bonnes gens du costume magique ; et on trouva, sous l’accoutrement qui les rendait si terribles, des paysans et des paysannes, de quelques villages environnans, qui se rassemblaient de nuit, dans la forêt, pour y faire des orgies abominables, et piller ensuite les riches fermiers.

Le duc de Lorraine (qui avait généreusement payé son souper, avant de quitter la ferme) fit punir les prétendus sorciers et démons, comme des coquins et des misérables. Le voisinage fut délivré pour le moment de ses craintes ; mais la foi aux sorciers ne s’affaiblit pas pour cela dans la Lorraine.