Histoire des femmes écrivains de la France/3

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CHAPITRE III

FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE


Activité de ce siècle. — Marguerite de Valois, — L’Heptaméron. — Marguerite de France. — Ses mémoires. — Louise Labé, la belle cordière. — Le débat de Folie et d’Amour. — Clémence de Bourges. — Pernette du Guillet. — Les dames des Roches. — Georgette de Montenay. — Catherine de Parthenay. — Elisene de Crenne. — Suzanne Habert. — Modeste Dupuis. — Philiberte de Fleurs. — La demoiselle de Gournai. — Curieuse anecdote.


Avec ses goûts de poète et d’artiste, François Ier dut ressentir fortement l’influence de l’Italie. En attendant qu’il pût, à force de largesses, appeler à sa cour les hommes célèbres de ce pays, il acheta chèrement leurs ouvrages. Il en résulta pour la France une activité intellectuelle considérable, une féconde production littéraire, qui, dès le commencement du seizième siècle, succédèrent à la stérilité générale du quinzième. Les guerres d’Italie, la Réforme elle-même, exercent sur les intelligences une action très énergique. Les conquêtes de l’érudition vont de pair avec celles de l’art et de la science, le champ de la connaissance humaine s’agrandit dans tous les sens.

Parmi les femmes galantes de la brillante cour de François Ier, il en est qui ont d’autres droits que leur galanterie à la mémoire de la postérité, et, dans ce gracieux cortège, nous voyons marcher en tête la sœur du roi, la célèbre Marguerite de Valois.

Elle était née à Angoulême en 1492. En 1509, elle épousa Charles de Valois, dernier duc d’Alençon, premier prince du sang et connétable de France, qu’elle eut la douleur de perdre en 1527. Marguerite en fut fort affligée, et aussi de la captivité de son frère qu’elle aimait tendrement. Pour l’aller soigner dans la maladie dont il était atteint, elle fit le voyage de Madrid. La fermeté avec laquelle elle parla à Charles-Quint et à ses ministres les obligea de traiter leur prisonnier avec les égards dus à son rang. De retour en France, François Ier, en prince généreux, témoigna sa gratitude à sa sœur, qu’il appelait affectueusement sa Mignonne et la Marguerite des marguerites. Il l’unit, en 1527, à Henri d’Albret, roi de Navarre, dont elle devint mère de Jeanne d’Albret, et, par suite, grand’-mère de Henri IV.

Un trait, pris entre mille, nous montre la confiance que François Ier avait en sa sœur. C’était à propos de l’accusation portée contre elle d’avoir embrassé la Réforme. Le connétable de Montmorency, organe des catholiques les moins tolérants, déclara que s’il voulait extirper les hérétiques de son royaume, il fallait commencer par mettre sa sœur à la raison : « Ne parlons point de celle-là, — répondit le roi, — elle ne croira jamais que ce que je croirai, et ne prendra jamais de religion qui préjudicie à mon État. » On sait néanmoins qu’elle se fit la protectrice déclarée des calvinistes.

Sa conduite aussi fut violemment attaquée par quelques-uns, sans doute avec plus de passion que de justice. Brantôme lui-même, son admirateur, assure « qu’en fait de joyeusetés et de galanteries, elle montrait qu’elle savait plus que son pain quotidien ; » mais, en regard de ces accusations dont toutes sont loin d’être prouvées, il n’est pas d’éloges qu’on ne lui ait décernés.

On vante le cœur aimant, la bonté compatissante de cette princesse, qui, d’ailleurs, donna des preuves de sa charité en dotant les hôpitaux d’Alençon et de Mortagne et en fondant à Paris l’hôpital des Enfants-Trouvés, qu’on appela les Enfants-Rouges. On célèbre ses lumières très étendues unies à tous les agréments de son sexe. On la disait douce sans faiblesse, magnifique sans vanité, très apte aux affaires sans négliger les amusements du monde. Marot et d’autres poètes l’avaient surnommée la quatrième Grâce et la dixième Muse.

Il est certain que Marguerite de Navarre est une des plus grandes gloires littéraires du seizième siècle. Elle pétille d’esprit, de naïveté, d’imagination ; et, à une étonnante délicatesse de pensée, elle joint une érudition remarquable qui fait d’elle une véritable encyclopédiste et l’une des véritables personnifications de son époque : « Prosateur et poète, érudite et diplomate, mystique et libre-penseuse, théologienne orthodoxe avec Briçonnet et protestante avec Marot, elle lit Platon en grec et la Bible en hébreu ; elle a un maître de géométrie et un maître de musique. » (E. Krantz.)

On aime à se la représenter en véritable reine dans sa petite cour de Navarre, où elle attire les auteurs, tels que Charles de Sainte-Marthe, Du Moulin, Pelletier, Des Perriers, Jacques Lefèvre d’Étaples, Érasme même, et surtout Clément Marot, etc. On sait que Clément Marot était le fils de Jean Marot, poète distingué et valet de chambre du roi François Ier après l’avoir été du roi Louis XII. Il hérita des aptitudes poétiques aussi bien que de la charge de son père. François Ier le donna pour valet de chambre à sa sœur. Une tradition assez généralement admise rapporte que ce modèle des valets de chambre adressa à sa souveraine quelques vers dont les sentiments furent partagés. Nous ne faisons que rappeler cette assertion dont il est difficile de prouver la vérité. On a d’ailleurs gratifié la reine de la vertu que l’antiquité supposait aux Muses : il est assez difficile d’y croire en lisant ses œuvres.

Tout en protégeant les auteurs, Marguerite écrivit beaucoup et avec une égale facilité en prose ou en vers.

En tête de ses œuvres il faut citer l’Heptaméron, ou recueil de nouvelles dans le goût de Boccace.

Bayle y trouvait des « beautés merveilleuses », et La Fontaine y a puisé le fond, souvent même le détail de plusieurs de ses contes, celui entre autres de la Servante justifiée.

« Elle composa toutes ses nouvelles, dit Brantome, la plupart du temps dans sa lityère, en allant par pays. Car elle avait de plus grandes occupations estant retirée. Je l’ay ouy ainsin conter à ma grand’mère, qui alloyt toujours avec elle dans sa lityère comme sa dame d’honneur, et lui tenoit l’escritoire dont elle escrivoit, et les mettoit par escrit aussi tôst et habillement, ou plus, que si on lui eust ditté. »

Dans sa préface, la reine de Navarre transporte ses lecteurs dans les Pyrénées, où il y a des sources fameuses appelées « Caulderets », dont les eaux prises en bains ou en boissons sont également salutaires. Là, elle suppose que, vers la fin de la saison, il survient des pluies si abondantes que tout le monde est obligé de quitter les maisons de « Caulderets. » C’est alors un sauve-qui-peut général. En voulant traverser des rivières (pour finir l’inondation ?…) les uns sont emportés par la rapidité de l’eau ; d’autres veulent prendre des routes détournées, ils s’enfoncent dans les bois, où ils sont dévorés par des ours ; quelques-uns arrivent dans des villages inconnus, où il n’y a pour habitants que des voleurs qui ne font pas de quartier. Seuls, les plus sages se réfugient à l’abbaye de Notre-Dame de Serrance, et, tandis qu’on leur bâtit un pont pour traverser la rivière, ils forment le projet de composer, chaque jour, chacun un conte et de se distraire mutuellement.

Un pré, — je ne sais pour quelle raison, — se trouve être respecté par l’inondation. C’est là que se passe la scène, et ce pré est si agréable et si beau, dit l’auteur, qu’il faudrait un Boccace pour en dépeindre tous les charmes : Il suffit de dire qu’il n’y en eut jamais un pareil.

Tout en imitant Boccace, Marguerite, — avouons-le, — reste parfois bien loin au-dessous de lui. Il faut toutefois, pour apprécier cet ouvrage avec impartialité, se reporter au temps et à la société au milieu desquels Marguerite a vécu. Des aventures galantes, des séductions de filles novices, de plaisants stratagèmes pour tromper les tuteurs et les jaloux, d’étranges écarts des évêques et des moines, voilà sur quels pivots roulent la plupart de ces récits.

De son temps, cette liberté de propos ne s’éloignait point du bon ton de la cour et du langage des honnêtes gens ; son style est même plus décent que celui de quelques sermons de l’époque, tels que ceux des Barlette, des Maillard et des Menot.

Brantôme n’en rapporte pas moins que la reine-mère et la princesse de Savoie, qui avaient aussi composé des recueils de nouvelles, les brûlèrent de dépit après avoir lu celui de Marguerite.

Les contes de la reine de Navarre, distribués par journées, sont suivis de réflexions qui ne sont pas toujours la partie la moins intéressante de l’ouvrage. Pour en donner une idée, signalons une de ces réflexions. C’est à la suite de ce conte quelque peu tragique intitulé : La mort déplorable d’un gentilhomme amoureux pour avoir sçu trop tard qu’il était aymé de sa maîtresse.

On devine le sujet : Le gentilhomme n’est pas riche. Les parents de la jeune fille veulent pour elle un parti plus avantageux. Le jeune homme a tant de chagrin qu’il en tombe malade ; bientôt il est à l’extrémité. À cette nouvelle, la jeune fille, qui, par crainte de ses parents, avait toujours caché au jeune homme l’amour qu’elle avait pour lui, n’hésite plus. Elle court chez lui, n’épargne rien pour le rendre à la vie, lui avoue qu’elle l’aime et n’aura jamais d’autre époux que lui. Dans une comédie, l’amour médecin eut vite remis le malade sur pieds, mais ici nous côtoyons la tragédie. « Mon heure est venue, répond le jeune homme, je n’ai plus qu’une grâce à vous demander, c’est de venir m’embrasser. » Qui eût pu repousser une telle prière ? Naturellement la jeune fille se jette sur le malade qui expire dans ses bras.

Le sujet, on le voit, n’a rien de bien compliqué, mais voici la conclusion un peu plus piquante qu’en tire l’auteur : C’est que « il n’est pas raisonnable que nous mourrions pour les femmes, qui ne sont faites que pour nous, et que nous craignons de leur demander ce que Dieu leur commande de nous donner. Je ne produirai pour toute autorité que la Vieille du roman de la Rose qui dit : Sans contredit, nous sommes faites toutes pour tous, et tous pour toutes. La fortune favorise ceux qui sont hardis, et il n’y a point d’homme aimé d’une dame qui n’en obtienne enfin ce qu’il demande, ou en tout, ou en partie, pourvu qu’il sache s’y prendre sagement et amoureusement ; mais l’ignorance et la timidité font perdre aux hommes beaucoup de bonnes fortunes… Comptez que jamais place n’a été bien attaquée sans être prise. »

Parmi les poésies de la reine de Navarre, il convient de citer le recueil publié en 1547 sous ce titre : Marguerites de la Marguerite des Princesses ; jeu de mots dans lequel le nom de la reine est à la fois synonyme de fleur et de perle. On y trouve quatre mystères et comédies soi-disant pieuses et deux farces.

Signalons encore un poème intitulé : le Triomphe de l’Agneau et la Complainte pour un Prisonnier, en l’honneur de son frère.

Elle excellait aussi dans les devises. La sienne était un lys entre deux marguerites, et ces mots à l’entour : Mirandum naturæ opus. Elle en avait une autre représentant un souci regardant le soleil, avec ces mots : Non inferiora secutus.

« J’ai ouy conter, — dit Brantôme, — et le tiens de haut lieu, que, lorsque le roy François Ier eust laissé madame de Chasteau-Briand, sa maîtresse favorite, pour prendre madame d’Estampes estant fille appelée Helly… celle-ci pria le roy de retirer de ladite madame de Chasteau-Briand tous les plus beaux joyaux qu’il lui avait donnés, non pour le prix et pour la valeur, car pour lors les perles et pierreries n’avoient point la vogue qu’elles ont eue depuis, mais pour l’amour des belles devises qui y estoient mises engravées et empreintes, lesquelles la reine de Navarre, sa sœur, avaient faites et composées, car elle en était très bonne maîtresse. »

Brantôme ajoute que « madame de Chasteau-Briand » ne refusa point de rendre ces joyaux, mais, qu’ayant demandé un délai de trois jours pour les livrer, elle s’empressa de les faire fondre par un orfèvre et réduire en lingots : « Allez, — dit-elle ensuite au gentilhomme auquel elle les remit, — allez, portez cela au roy, et dites-luy que, puisqu’il lui a pleu de me révoquer ce qu’il m’avoit donné si libéralement, je le luy rends et renvoyé en lingots d’or. Pour quant aux devises, je les ay si bien empreintes et colloquées en ma pensée et les y tiens si chères que je n’ay pu permettre que personne en disposât et jouist et en eust de plaisir que moy-même. » Quand le roy eut reçu le tout, et lingot et propos, de cette dame, il ne dit autre chose sinon : « Retournez-luy le tout. Ce que j’en faisois ce n’étoit point pour la valeur, car je lui eusse rendu deux fois plus, mais pour l’amour des devises, et puisqu’elle les a fait ainsi perdre, je ne veux point de l’or et le luy renvoye. Elle a montré en cela plus de courage et de générosité que je n’eusse pensé pouvoir provenir d’une femme. »

On sait que, très passionnée pour les arts, Marguerite de Navarre bâtit le château de Pau et y joignit des jardins magnifiques.

Elle mourut en 1549, au château d’Odos, dans le pays de Tarbes. Dès 1550, il en parut, de Sainte-Marthe, une véritable biographie, très personnelle, sous forme d’oraison funèbre. Comme telle, elle est singulièrement supérieure à toutes celles du même temps. Par sa convenance, sa simplicité, et surtout la réelle sincérité du sentiment qui l’anime, elle est certainement l’une des plus remarquables de toutes celles qui ont précédé les grands chefs-d’œuvre du dix-septième siècle. Comme son auteur voulait s’adresser à la fois aux savants et au public, on la possède en deux langues.

Il est probable que Sainte-Marthe attacha beaucoup plus d’importance à ce qu’il écrivit dans la langue de Cicéron ; mais, heureusement pour nous et pour Marguerite, il publia en même temps son oraison funèbre en langue vulgaire, et, sous sa forme française, qui doit être celle dans laquelle il l’avait d’abord écrite, elle a une bien autre portée. On la regarderait à peine sous son vêtement à l’antique ; le texte français, au contraire, a un tout autre accent qui ne s’est pas éteint et qui vibre encore aujourd’hui. On peut lire cette oraison funèbre en tête de la magnifique édition d’amateur de l’Heptaméron, de MM. Le Roux de Lincy et Anatole de Montaiglon. (Paris, 1880.)

On doit au ciseau de M. Lescorné une très piquante statue de Marguerite de Valois, qui orne le jardin du Luxembourg.

Une autre Marguerite de France, reine de Navarre, brille encore à l’aurore du règne de Henri IV, et, reine délaissée, s’immortalise par ses Mémoires.

Fille de Henri II et de Catherine de Médicis, elle naquit en 1552, et se rendit célèbre par son mérite littéraire, non moins que par sa naissance, sa beauté, son esprit et ses amours. En 1572, elle épousa le prince de Béarn, Henri de Bourbon, depuis Henri IV. Le cœur de Marguerite ne fut pour rien dans cette union formée par une politique perfide. Le duc de Guise le possédait alors, et la maligne chronique de la cour lui associait plus d’un rival. Charles IX disait lui-même, en formant les nœuds de ce mariage : « En donnant ma sœur Margot au prince de Béarn, je la donne à tous les huguenots du royaume. » Ce fut au milieu des fêtes données à l’occasion de cet hymen que furent décidés les massacres de la Saint-Barthélémy. Cette catastrophe était tellement pressentie et prévue que l’on disait publiquement à la cour, selon le langage du temps, que la livrée des noces serait vermeille, et qu’on y verserait plus de sang que de vin.

Marguerite raconte elle-même, dans ses Mémoires, comment elle faillit être une des victimes de cette nuit fatale :

« Comme j’étois la plus endormie, dit-elle, voicy un homme frappant des pieds et des mains à la porte de ma chambre, criant : Navarre ! Navarre ! Ma nourrice pensant que c’était le Roy mon mary, courut vitement à la porte, un gentilhomme, déjà blessé et poursuivi par des archers, entra avec eux dans ma chambre. Luy, se voulant garantir, se jette dessus mon lit ; moy, sentant cet homme qui me tient, je me jette à la ruelle, et luy après moy, me tenant toujours à travers le corps. Je ne savois si les archers en vouloyent à luy ou à moy, car nous criions tous deux, et étions aussi effrayés l’un que l’autre…… Enfin, Dieu voulut que M. de Nançay, capitaine aux gardes, vint, qui, me trouvant en cet état-là, encore qu’il eust de la compassion, ne put se tenir de rire et se courrouça fort aux archers, les fit sortir et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenoit, et que je fis coucher et panser dans mon cabinet, jusqu’à ce qu’il fut du tout guéry, et changeai bien vite de chemise, parce qu’il m’avoit couverte de sang. »

On sait que son mariage ne fut pas heureux et que la reine suivit plus d’une fois l’exemple de Henri IV, qui ne se piquait pas de respecter la foi conjugale.

Sans doute les galanteries multipliées du roi de Navarre, galanteries qu’il ne prenait pas même la peine de cacher à sa femme, n’autorisaient point les torts de Marguerite envers lui, mais elles contribuèrent peut-être, sinon à les faire naître, du moins à les aggraver en leur donnant un prétexte.

Depuis quelques années déjà, elle était retirée dans le fond de l’Auvergne lorsque le roi de Navarre, devenu roi de France, lui fit proposer de casser leur mariage. On sait qu’ils n’avaient point d’enfants et le roi souhaitait vivement transmettre la couronne à ses descendants.

Malgré le peu d’amour qu’elle eut pour lui, Marguerite ne se prêta point aux négociations entamées à ce sujet, tant qu’elle soupçonna Henri IV de vouloir épouser Gabrielle d’Estrées. Ce ne fut qu’après la mort de la duchesse de Beaufort qu’elle se déclara prête à faire tout ce que le roi voulait, n’y mettant pour toute condition que la demande d’une pension et l’acquittement des dettes immenses qu’elle avait contractées. Henri accorda tout, et, bien qu’il eût fort désiré cette séparation, il ne put retenir ses larmes lorsqu’on lui présenta le consentement de Marguerite. « Ah ! la malheureuse, dit-il, elle sait bien que je l’ay toujours aimée et estimée, et elle point moy, et que ses mauvais déportements nous ont fait séparer il y a longtemps l’un de l’autre. »

C’est en Auvergne qu’elle commença son principal ouvrage. Brantôme, voulant la faire figurer dans sa galerie des Dames illustres, lui écrivit (1593) pour lui demander des renseignements. En même temps, il lui adressait un éloge où elle était peinte sous les couleurs les plus flatteuses. Ce fut pour compléter ce récit qu’elle se mit à rédiger ses Mémoires, qui restent l’un des produits les plus curieux et même les plus élégants de la prose française au seizième siècle. On y trouve des détails intéressants sur les règnes de Charles IX, Henri III et Henri IV. Ils embrassent les événements qui se sont passés depuis 1565 jusqu’en 1587.

Écrits à la hâte, au jour le jour, ils accusent quelquefois de la recherche, plus souvent de la négligence de style, mais sont toujours sans bassesse et d’une lecture agréable. Les tournures archaïques qu’on y remarque leur donnent même une grâce de plus. Elle rapporte tout à sa personne, et ne croit les événements qu’elle raconte dignes de louange ou de blâme qu’autant qu’ils lui ont été avantageux ou nuisibles. Elle se justifie avant d’être accusée, preuve certaine des reproches que lui fait sa conscience.

On y distingue surtout une réserve de plume qui étonne lorsqu’on songe à la vie de cette princesse et qu’on se rappelle les libertés de propos que se permettait Marguerite de Valois, assurément plus vertueuse qu’elle. Elle n’y avoue rien de ses nombreuses amours. À peine laisse-t-elle entrevoir sa passion pour Boissy d’Amboise. « On y trouve, dit Bayle, beaucoup de péchés d’omission ; mais pouvait-on espérer que la reine Marguerite avouerait des choses qui eussent pu la flétrir ? » L’histoire, d’ailleurs, n’avait plus rien à voir dans ses faiblesses, désormais sans influence sur les affaires publiques.

Pour mieux faire juger de son style, citons encore un passage de ses Mémoires. Quelques-unes des remarques que nous venons de faire y trouveront une facile application. Il s’agit du projet de divorce formé par la cour.

« Ils vont persuader, dit-elle, à la reine, ma mère, qu’il me fallait démarier. En cette résolution, estant allée un jour de fête à son lever, que nous devions faire nos Pâques, elle me prend à serment de lui dire la vérité, et me demande si le Roy, mon mary, estoit homme, me disant que si cela n’estoit, elle avoit moyen de me démarier. Je la suppliai de croire que je ne me connoissois pas en ce qu’elle me demandoit : (aussi pouvois-je dire alors comme cette Romaine à qui son mari, se courrouçant de ce qu’elle ne l’avoit averti qu’il avoit l’haleine mauvoise, elle répondit qu’elle croyoit que tous les hommes l’eussent semblable, ne s’étant jamais approchée d’autre homme que de luy). Mais, quoique ce fût, puisqu’elle m’y avoit mise, j’y voulois demeurer, me doutant bien que ce qu’on vouloit m’en séparer estoit pour lui faire un mauvais tour. »

Il y a loin de cette candeur à ce que ses biographes nous rapportent de sa vie, en supposant même que la critique ait exagéré ses faiblesses.

Il n’en est pas moins certain que Marguerite a toujours su faire de sa maison le rendez-vous des beaux esprits, et, par une des singularités de son caractère, elle allia à la plus extrême dissipation les études les plus sérieuses.

Le temps même fut sans influence sur cette princesse, et l’âge mûr ressemble chez elle à la jeunesse. Tout en méprisant ses désordres, Henri IV ne cessait de lui donner, en public du moins, des marques de considération. Il exigea même qu’elle parût en 1610 au sacre et au couronnement de Marie de Médicis, qui occupait sa place, et ce fut sans beaucoup de peine qu’elle subit cette humiliation.

Les dernières années de sa vie se passèrent à Paris, dans le somptueux hôtel qu’elle fit bâtir dans la rue de Seine. « Dix-huit années de confinement lui avaient donné des singularités et même des manies ; elles éclatèrent alors au grand jour. Elle eût encore des aventures galantes et sanglantes : un écuyer qu’elle aimait fut tué près de son carrosse par un domestique jaloux, et le poète Maynard, jeune disciple de Malherbe et l’un des beaux esprits de Marguerite, fit là-dessus des stances et complaintes. Pendant le même temps, Marguerite avait des pensées sincères et plus que des accès de dévotion. À côté de Maynard pour secrétaire, elle avait Vincent de Paul, jeune alors, pour son aumônier. Elle dotait et fondait des couvents, tout en payant des gens de savoir pour l’entretenir de philosophie, et des musiciens pour l’amuser pendant les offices divins ou dans les heures plus profanes. Elle faisait force aumônes et libéralités et ne payait pas ses dettes. Ce n’était pas précisément le bon sens qui présidait à sa vie. Au milieu de cela elle était aimée. » (Sainte-Beuve.)

Les Mémoires de Marguerite ont été publiés en 1628, par Auger de Mauléon. Il nous reste aussi d’elle des poésies très agréables pour le temps.

Elle était morte à Paris en 1615, à l’âge de 63 ans, cinq années après la fin déplorable de Henri IV.

Marguerite de France trouva pour rivale, dans l’art d’écrire, la Belle Cordière, Louise Labé, qui mania également bien la plume et l’épée.

Elle naquit à Lyon en 1526. La nature semble l’avoir douée de tous les agréments de l’esprit et des grâces de son sexe. Beauté, voix harmonieuse, goût, talents pour la musique et la littérature, tels furent les heureuses dispositions que son père, Charly, dit Labé, riche marchand de Lyon, s’efforça de cultiver par une éducation distinguée. Elle apprit le grec, le latin, l’italien, l’espagnol ; elle excella dans la musique, les travaux à l’aiguille et tous les arts d’agrément, elle se livra avec la même ardeur aux exercices de l’équitation et brilla autant dans les salles d’armes que dans les manèges. Elle aimait à s’habiller en homme, elle se délassait de l’étude par l’équitation et l’escrime ; tous ces succès parurent l’élever encore davantage au-dessus de son sexe.

Joignons à tout cela son goût prématuré pour les aventures. À seize ans, sous le nom de Capitaine Loys, dans la guerre contre les Espagnols, elle suivit les troupes envoyées par François Ier en Roussillon, sous la conduite du Dauphin. Elle remporta même des exploits que chantèrent les poètes de son temps :

    En s’en allant tout armée,
    Elle semblait parmi l’armée,
    Un Achille ou bien un Hector.

On suppose néanmoins que l’amour ne fut pas étranger à cette détermination qui la fit marcher à la suite des troupes du Dauphin. Elle aimait un jeune chevalier, disent les uns, — un simple gendarme, disent les autres. — Elle-même a raconté cette époque de sa vie dans sa troisième élégie ;

Qui m’eust vu lors, en armes, fière, aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le devoir faire en l’estour furieux,
Piquer, volter le cheval glorieux,
Pour Bradamante ou la haute Marphise,
Sœur de Roger, il m’eust, possible, prise.

Malgré les exploits de l’héroïne, le siège de Perpignan n’eut point de succès, et Louise, qui vraisemblablement attendait les fêtes et les tournois qui auraient suivi la victoire, se vit trompée dans son espoir. Elle déposa alors lance et hoqueton, et s’en revint à Lyon, où elle se livra de plus en plus à son goût pour les lettres. Ce fut au retour de cette expédition qu’elle perdit, — dit-on, — le jeune chevalier dont elle était éprise, et qui devint l’objet de ses vers. Facilement consolée de cette perte, elle épousa Ennemond Perrin, riche marchand cordier de Lyon, d’où lui vint son surnom de Belle Cordière.

Ses contemporains la décrivent en effet comme douée d’une beauté séduisante. Les poètes célèbrent à l’envi son front de cristal, les roses épanouies de son teint, ses cheveux d’or qu’ils comparaient aux eaux du Pactole, sa belle main et ses petits pieds.

Louise Labé trouva, d’ailleurs, dans la fortune de son mari de nouveaux moyens de satisfaire sa passion pour les lettres, et, dans un temps où les livres étaient rares et précieux, elle eut une bibliothèque composée des meilleurs ouvrages grecs, latins, italiens, espagnols et français.

Sa maison, l’une des plus belles de la ville et entourée d’immenses jardins, près de la place Bellecour, devint bientôt le rendez-vous de la société élégante de Lyon, des grands seigneurs, comme des poètes et des artistes. C’était une académie, où chacun trouvait à s’amuser et à s’instruire. La poésie, la littérature, les beaux-arts étaient les objets de ces réunions dans lesquelles les talents de la Belle Gordière, l’harmonie de sa voix, la vivacité et l’enjouement de son esprit répandaient beaucoup d’agrément.

Sans doute la galanterie n’était point exclue de ce charmant et docte aréopage, car, « la Belle Louise, dit un de ses biographes, qui ne vouloit pas que rien manquât à la satisfaction générale, ne sçut jamais refuser ses faveurs à ceux qui parurent les désirer. »

Certes, c’est beaucoup dire, car on conçoit qu’une femme aussi séduisante par les grâces de son sexe que par les charmes de son esprit ne manquait pas de nombreux admirateurs. Aussi le même biographe croit-il bon de mettre un léger correctif. Pour avoir droit à ses faveurs, il fallait être homme de condition ou homme de lettres, et encore cette dernière catégorie obtenait-elle toutes les préférences : « Dans la concurrence d’un savant où d’un homme de qualité, elle faisoit courtoisie à l’un plutôt gratis, qu’à l’autre pour grand nombre d’écus. »

Véritable Ninon de son siècle, elle se vit célébrée par les poètes français et étrangers. La vogue et l’affluence des assemblées qui eurent lieu chez elle furent si grandes qu’elles firent changer le nom de la rue qu’elle habitait en celui de Belle Cordière, qu’elle porte encore aujourd’hui.

Elle-même fit parfaitement son portrait, soit dans ses actions aventureuses qui prouvent que tous ses goûts furent des passions, soit dans ses écrits qui la peignent cherchant le bonheur, comme Sapho, dans les illusions d’une imagination ardente et dans les transports et l’ivresse de l’amour.

Dans son enthousiasme, elle ne respecte même pas toujours la décence naturelle à son sexe. Ses écrits ont un ton de licence qui ne trouve son excuse que dans le goût du siècle et son pardon que dans la franchise de l’auteur, qui a, au moins, sur Marguerite de France, le mérite de la sincérité. Qui donc la condamnerait d’écrire ces vers :

Le tems met fin aux hautes pyramides,
Le tems met fin aux fontaines humides ;
Il ne pardonne aux braves Colysées :
Il met à fin les villes plus prisées,
Finir aussi il a accoutumé
Le feu d’amour, tant soit-il allumé !
Mais, las ! en moy, il semble qu’il augmente
Avec le tems, et que plus me tourmente.

On conçoit que la distinction dont Louise Labé était l’objet ne tarda pas à exciter la jalousie des Dames de la ville. On censura ces assemblées, on prétendit que les charmes de Louise et l’usage qu’elle pouvait en faire étaient les seuls motifs des préférences que sa maison s’était attirées ; mais voici ce qui acheva de flétrir sa réputation :

« La Belle Cordière était liée d’une amitié intime avec Clémence de Bourges, autre Lyonnaise célèbre de son tems. Louise et Clémence regardées comme les deux Saphos du seizième siècle, vivaient dans la plus parfaite intelligence. Mêmes goûts, même rapport de caractère et d’humeur, même penchant à l’amour, avec à peu près les mêmes charmes pour l’inspirer. On les citoit comme un exemple d’union sincère entre deux femmes. La jalousie rompit ces beaux nœuds. Louise Labé trahit son amie dans une circonstance bien sensible ; elle lui enleva son amant. Dès lors, elles devinrent ennemies mortelles. Clémence de Bourges, qui avoit jusques-là mis sa gloire à contribuer à celle de son amie et à vanter ses ouvrages, n’y vit plus que d’horribles défauts et en fit, ainsi que de sa personne, une critique sanglante. Sa conduite ne fut plus à ses yeux qu’un tissu de scandales et ses vers que l’expression du déréglement. »

La Belle Cordière composa vingt-quatre sonnets, (dont le premier est en italien), et trois élégies.

Parmi ses poésies, il faut remarquer l’Ode à Vénus (adressée à l’étoile du soir) ; l’ode à Une femme aimée, imitation de Sapho ; et une épître aux Dames de Lyon.

Mais son œuvre capitale en prose est : Le Débat de Folie et d’Amour, scènes dialoguées d’un grand style.

C’est précisément à Clémence de Bourges, alors son amie, qu’elle dédia cet ouvrage. Cette dédicace est très remarquable, nous en extrayons le passage suivant où elle excite les femmes à cultiver les Lettres :

« Ne pouvant de moi-même satisfaire au bon vouloir que je porte à notre sexe, de le voir, non en beauté seulement, mais en science et en vertu, passer ou égaler les hommes, je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses dames d’eslever un peu leurs esprits par dessus leurs quenouilles et fuseaux, et s’emploier à faire entendre au monde, que si nous ne sommes faites pour commander, si nous ne devons estre desdaignées pour compagnes, tant ès-affaires domestiques que publiques, de ceux qui gouvernent et se font obéir. Et outre la réputation que notre sexe en recevra, nous aurons valu au public que les hommes mettront plus de peine et d’estude aux sciences vertueuses, de peur qu’ils n’ayent honte de voir précéder celles desquelles ils ont prétendu estre toujours supérieurs quasi en tout. »

Le Débat de Folie et d’Amour est une espèce de drame en cinq actes. La scène se passe dans l’Olympe. L’auteur suppose que Jupiter avait fait préparer un grand festin auquel tous les Dieux étaient invités. L’Amour et la Folie arrivent en même temps sur la porte du palais. La Folie voulant entrer la première repousse l’Amour qui veut passer avant elle. De là, une grande dispute sur leurs droits et préséances.

L’Amour met la main à son arc et veut décocher une flèche à la Folie qui soudain se rend invisible. Puis, pour se venger elle-même, elle arrache les yeux à Cupidon et lui applique un bandeau avec tant d’art qu’il est impossible de le lui enlever. Vénus va se plaindre à Jupiter, qui assemble son tribunal pour juger ce différend. Apollon sera l’avocat de l’Amour et Mercure celui de la Folie. Nous choisissons quelques extraits du plaidoyer d’Apollon :

« … Qui est celui des hommes qui ne prenne plaisir, ou d’aymer, ou d’estre aymé ? Je laisse ces mysanthropes et taupes cachées sous terre, et enseveliz de leurs bizarries, lesquels auront par moi tout loisir de n’estre point aymez, puisqu’il ne leur chaut d’aymer… Et néanmoins il vaut mieus en dire un mot, à fin de connoître combien est mal plaisante et misérable la vie de ceus qui se sont exemptez d’amour : ils disent que ce sont des gens mornes, sans esprit, qui n’ont grâce aucune à parler, une voix rude, un aller pensif, un visage de mauvaise rencontre, un œil baissé, craintifs, avares, impitoyables, ignorans, et n’estimans personne : lous garous… »

« Mais celui qui désire plaire incessamment pense à son fait : mire et remire la chose aymée : suit les vertus qu’il voit lui estre agréables, et s’adonne aux complexions contraires à soy-même, comme celuy qui porte le bouquet en main donne certain jugement de quelle fleur vient l’odeur et senteur qui plus luy est agréable… »

« Et que dirons-nous des femmes, l’habit desquelles et l’ornement de corps dont elles usent, est fait pour plaire, si jamais rien fust fait. Est-il possible de mieux parer une teste que les dames font et feront à jamais, avoir cheveux mieus dorez, crespez, frisez ?… Quelle diligence mettent-elles au demeurant de la face, laquelle, si elle est belle, elles contre-gardent tant bien contre les pluies, vents, chaleurs, tems et vieillesse, qu’elles demeurent presque tousjours jeunes ?… Et avec tout cela, l’habit propre comme la feuille autour du fruit. Et s’il y ha perfeccion du corps, ou linéament qui puisse ou doive estre vu et montré, bien peu le cache l’agencement du vêtement ; ou, s’il est caché, il l’est en sorte que l’on le cuide plus beau et délicat. Le sein apparaît de tant plus beau qu’il semble qu’elles ne le veuillent estre vu : les mamelles en leur rondeur relevées font donner un peu d’air au large estomac. Au reste la robbe bien jointe, le corps estréci où il le faut ; les manches serrées, si le bras est massif ; sinon, larges et bien enrichies ; la chausse tirée, l’escarpin façonnant le petit pié, (car le plus souvent l’amoureuse curiosité des hommes fait rechercher la beauté jusques au bout des piez). Tant de pommes d’or, chaînes, bagues, ceintures, pendants, gans parfumés, manchons ; et en somme tout ce qui est de beau, soit à l’accoutrement des hommes ou des femmes, Amour en est l’auteur, etc… »

Mercure parla après Apollon, pour la Folie, avec non moins de longueur et d’éloquence, et Jupiter, voyant cette diversité d’opinions, prononça ce jugement :

« Nous avons remis votre affaire d’ici à trois fois sept fois neuf siècles. Et cependant vous commandons vivre amiablement ensemble, sans vous outrager l’un l’autre. Et guidera Folie l’aveugle Amour et le conduira partout où bon lui semblera, et sur la restitution de ses yeux, après en avoir parlé aux Parques, en sera ordonné. »

On sait le magnifique parti que La Fontaine a tiré de cette fiction dans l’une de ses plus belles fables : l’Amour et la Folie.

Ce que nous venons de dire suffit pour faire apprécier la prose de la Belle Cordière. Elle est élégante et pleine de nerf, elle court alerte et dégagée comme celle des maîtres. On ne peut qu’admirer les gracieuses images poétiques dont elle est parsemée, telles que celle-ci : l’Habit propre comme la feuille autour du fruit, dit-elle en parlant de la toilette des dames.

En poésie, elle laisse plus à désirer, son vers est dur, heurté ; on y trouve des incorrections et des obscurités ; mais on y sent souvent une passion vraie, et la plupart des pensées sont bien appropriées aux situations. Dans quelques-uns de ses sonnets surtout, s’épanche une douleur naturelle et touchante.

Louise Labé mourut en 1566, un an après son mari qui l’avait nommée son héritière universelle.

Louise Labé laisse loin derrière elle Clémence de Bourges, Pernette du Guillet, et les Dames des Roches, de Poitiers, ses contemporaines.

Clémence de Bourges était d’une famille connue et distinguée à Lyon et laissa un certain nombre de poésies. Promise à Jean du Peyrac, qu’elle aimait, elle conçut une si vive douleur de sa mort, arrivée au siège de Beaurepaire, qu’elle ne put lui survivre. Ses funérailles à Lyon furent un véritable triomphe. On la promena par toute la ville, le visage découvert et la tête couronnée de fleurs.

Pernette du Guillet dédia également ses ouvrages aux Dames lyonnaises. Elle unissait la vertu au talent, et la connaissance des langues à l’art des vers.

Les dames des Roches, nées à Poitiers, se firent connaître vers l’an 1570 par des pièces de théâtre intitulées : Panthée et Tobie. Elles moururent toutes deux à Poitiers, le même jour, de la peste.

Nous ne pouvons que nommer Georgette de Montenay, dame de la cour de Jeanne d’Albret ; Catherine de Parthenay, fille du seigneur de Soubise. Mariée en premières noces, dès l’âge de treize ans, à Charles de Quellence, elle trouva dans l’impuissance de son mari un motif suffisant de divorce. Elle épousa en secondes noces Réné, vicomte de Rohan, prince de Léon, dont elle eut le fameux duc de Rohan, le duc de Soubise et trois filles. On sait que l’une de ces filles fit à Henri IV cette fière réponse : « Je suis trop pauvre pour être votre femme, et de trop bonne maison pour être votre maîtresse. »

Faut-il nommer encore Elisene de Crenne, auteur des Angoisses douloureuses qui procèdent d’amour ; — Suzanne Habert, qui publia des Œuvres poétiques (1582) ; — Modeste Dupuis, qui écrivit un Traité du mérite des femmes : — Philiberte de Fleurs, qui a fait les Soupirs de la Viduité, etc… ?

Marie de Jars, demoiselle de Gournai, mériterait plus qu’une simple mention. On sait qu’ayant perdu son père dans un âge peu avancé, elle en prit un par adoption : ce fut Michel Montaigne, qui l’aima tendrement et dont elle fit imprimer les Essais, avec quelques corrections. Elle les dédia au cardinal de Richelieu qui lui fit donner une pension du roi.

Elle fut elle-même auteur de plusieurs pièces de poésie, entre autres du Bouquet du Pinde, et d’autres ouvrages manuscrits imprimés après sa mort sous ce titre : L’Ombre de Mlle de Gournai.

Ses contemporains racontent sur Mlle de Gournai une anecdote fort curieuse connue sous le nom des Trois Racan. Alexandre Dumas s’en est emparé et, avec l’esprit qu’on lui connaît, en a fait un des plus charmants épisodes du septième chapitre de Louis XIV et son siècle. Nous y renvoyons les lecteurs qui voudront s’amuser à l’occasion de ce fait parfaitement authentique, nous contentant de le résumer ici :

Suivant l’usage déjà en vogue à cette époque, elle envoya un de ses ouvrages qui venait de paraître à plusieurs beaux esprits de son temps, et entre autres à Racan.

Or, lorsque Racan reçut ce gracieux envoi, il avait chez lui le chevalier de Bueil et Ivrande, et déclara devant eux que le lendemain, sur les trois heures, il irait remercier Mlle de Gournai. Cette déclaration ne fut pas perdue pour les deux amis qui résolurent de jouer un tour à Racan.

Le lendemain, en effet, vers une heure, le chevalier de Bueil vint heurter à la porte de la vieille bonne fille et se présenta sous le nom de Racan. Il captiva par son esprit Mlle de Gournai et ne se retira qu’après l’avoir laissée enthousiaste de lui, et emportant force compliments sur sa courtoisie.

Il était à peine sorti qu’Ivrande entra à son tour.

Il se mit aussitôt à lui réciter des vers qu’il prétendait être de sa façon et qu’il était heureux de lui offrir, disait-il, en échange de son livre.

— Mais, dit la vieille demoiselle, ces vers sont de M. Racan !

— Aussi suis-je M. Racan lui-même et bien votre serviteur, dit Ivrande en se levant.

— Monsieur, vous vous moquez de moi, dit la pauvre fille qui n’y comprenait plus rien.

— Moi, mademoiselle, s’écria Ivrande, moi me moquer de la fille du grand Montaigne, de cette héroïne poétique dont Lipse a dit : Videamus quid sit paritura ista virgo ; — et le jeune Heinsius : Ausa virgo concurrere vivis scandit supra viros.

— Bien ! bien ! dit la demoiselle de Gournai, accablée sous cette avalanche d’éloges ; alors celui qui vient de sortir a voulu se moquer de moi. Mais, n’importe, la jeunesse a toujours ri de la vieillesse…

Ivrande la charma si bien pendant trois quarts d’heure, qu’il la laissa persuadée que, cette fois, elle avait eu affaire au véritable auteur des Bergeries.

Ce fut bien autre chose quand, après le départ d’Ivrande, entra le vrai Racan, qui, un peu asthmatique, arriva tout essoufflé et se laissa tomber sur un fauteuil.

— Oh ! la ridicule figure, s’écria Mlle de Gournai, ne pouvant détacher ses yeux de Racan et éclatant de rire : — Mademoiselle, je suis Latan, dit Racan, qui, on se le rappelle, ne pouvait prononcer ni les R ni les C.

— Comment, vous êtes Latan ?

— Je ne vous dis pas Latan, je dis Latan.

Et le pauvre poète faisait des efforts inouïs pour dire son nom qui, contenant malheureusement sur cinq lettres les deux qu’il ne pouvait pas prononcer, demeurait si étrangement défiguré que Mlle de Gournai pour le mieux comprendre donna une plume au malencontreux visiteur, qui de sa plus belle main écrivit : Racan.

— Racan ! s’écria Mlle de Gournai stupéfaite au delà de toute expression, oh ! le joli personnage pour prendre un pareil nom !… Au moins les deux autres étaient-ils aimables et plaisants !…

Racan eut beau se débattre. Devant la fureur croissante de la vieille fille, il comprit qu’il était joué, et tout asthmatique qu’il était, il se pendit à la corde de l’escalier et descendit rapide comme une flèche.

On juge du désespoir de Mlle de Gournai quand elle apprit qu’elle avait mis à la porte le seul des trois Racan qui fut le vrai. Elle courut lui faire une visite de réparation, et, depuis ce jour, ils furent les meilleurs amis du monde.