Histoire des fortifications et des rues de Québec/01

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Texte établi par Typographie du "Canadien" (p. 3-14).

les

FORTIFICATIONS DE QUÉBEC.


la porte saint-jean.
(Démolie en 1865.)

Les murailles de notre bonne ville ont subi bien des changements et menacent d’en subir de forts importants.

Commencées par Champlain et de Montmagny, améliorées et augmentées par Frontenac, en 1690-94,[1] elles eurent sous la domination française, pour continuateurs, De Léry, Le Mercier, Pontleroy, Levasseur, qui exécutèrent les plans dus au génie de Vauban. Elles furent considérablement modifiées, et circonscrites dans leur étendue à l’ouest, sous le régime anglais.

Voici la description que Charlevoix en donne en 1720 :

« Les fortifications commençoient au Palais, sur le bord de la petite rivière Saint-Charles, remontoient vers la Haute-Ville,[2] qu’elles environnoient et venoient finir à la Montagne vers le cap aux Diamans. On avoit aussi continué depuis le Palais, tout le long de la Grève, une Palissade jusqu’à la clôture du Séminaire, où elle étoit terminée par des Rochers inaccessibles qu’on appelle le Sault-au-Matelot, et là il y avoit une batterie de trois pièces.

« Une seconde Palissade qu’on avoit tirée au-dessus de la première aboutissoit au même endroit et devoit couvrir les Fusiliers… Les issues[3] de la Ville, où il n’y avoit point de portes, étoient barricadées avec de bonnes poutres et des barriques pleines de terre, en guise de gabions, et les dessus étoient garnis de pierriers. Le chemin tournant de la basse-ville à la haute étoit coupé par trois différents retranchements de barriques et de sacs pleins de terre, avec des manières de chevaux de frise. Dans la suite du siège, on fit une seconde batterie au Sault-au-Matelot, et une troisième, à la porte qui conduit à la rivière Saint-Charles.[4]

« Enfin, on avoit disposé quelques petites pièces de canon autour de la Haute-Ville, et particulièrement sur la butte d’un Moulin, qui servait de Cavalier. »[5]

En 1703, quelques mois avant sa mort, M. de Callières, alors gouverneur, fit réparer et achever ces fortifications, pour se protéger contre une incursion dont il était menacé de la part des Anglais et des Sauvages. Mais ce ne fut qu’en 1720 que Québec vit s’élever ses remparts véritables. Voici ce qu’en écrit Charlevoix au mois d’octobre de cette même année :

« Québec n’est pas fortifié régulièrement, mais on travaille depuis longtemps à en faire une bonne place. Cette ville n’est pas même facile à prendre dans l’état où elle est. Le port est flanqué de deux bastions qui, dans les grandes marées, sont presque à fleur d’eau, c’est-à-dire qu’ils sont élevés de 25 pieds de terre, car la marée, dans les Équinoxes, monte à cette hauteur. Un peu au-dessus du bastion de la droite on en a fait un demi, lequel est pris dans le rocher, et plus haut, à côté de la galerie du fort, il y a 25 pièces de canon en batterie. Un petit fort carré, qu’on nomme la Citadelle, est encore au-dessus, et les chemins, pour aller d’une fortification à l’autre, sont extrêmement roides. À la gauche de la rade, jusqu’à la rivière Saint-Charles, il y a de bonnes batteries de canon et quelques mortiers.

« De l’angle de la citadelle qui regarde la ville, on a fait une oreille de bastion d’où l’on a tiré un rideau en équerre qui va joindre un cavalier fort exhaussé, sur lequel il y a un moulin fortifié. En descendant de ce cavalier, on rencontre, à une portée de fusil, une première tour bastionnée, et à la même distance de celle-ci, une seconde. Le dessein étoit de revêtir tout cela d’une chemise, qui auroit eu les mêmes angles que les bastions, et seroit venue se terminer à l’extrémité du roc, vis-à-vis le Palais, où il y a déjà une petite redoute aussi bien que sur le Cap Diamant. Tel étoit, madame,[6] l’état de Québec en 1711… Il est encore aujourd’hui dans le même état, ce que vous pourrez justifier sur le plan en relief que M. de Chaussegros de Léry, ingénieur en chef, envoie cette année en France pour être mis au Louvre avec les autres.[7] »

Ce plan avait, en effet, été soumis au roi et trouvé tellement bon qu’ordre fut donné de commencer de suite les travaux, ce qui fut fait au mois de juin 1720. On travaillait donc à l’exécution de ce plan, lorsque Charlevoix visita Québec, au mois d’octobre. La ville comptait alors environ 7,000 âmes.

Depuis 1720, les fortifications furent entretenues dans le même état jusqu’à la prise de Québec en 1759. Le plan qu’en firent alors les officiers anglais et qui se trouve dans l’excellente collection photographiée par la maison Livernois et Bienvenu, est la copie presqu’exacte de la gravure que Charlevoix publie dans son Journal.

Il n’existait sous la domination française que trois portes à la ville : Saint-Louis, Saint-Jean et du Palais.

la porte du palais.
(Démolie en 1873.)

En référant au Journal du Siège, tenu par le général James Murray, p. 35, on voit qu’après la terrible délaite qu’il venait d’essuyer à Sainte-Foye, il eut soin de faire fermer la porte du Palais, le 5 mai 1760. — « Palace gate was shut up, all but the wicket. » La porte du Palais fut close, tout excepté la poterne. » La porte du Palais existait donc en 1759, mais non pas l’élégante structure copiée, paraît-il, sur une des portes de ville de Pompéi, et dont notre municipalité entend décréter le démolissement. Cette porte, la plus belle des cinq qui existaient anciennement, fut élevée en 1831, d’après l’inscription que M. Piton, chargé de l’abattre, aurait trouvée entre les solides plançons dont elle était construite.

le bouclier français de 1759.

Sur l’une des trois portes de ville, qui existaient à Québec en 1759, (probablement la porte la plus fréquentée, la plus fashionable alors — la porte du Palais), se trouvait le célèbre bouclier dont nous donnons le dessin — « trophée » disent les mémoires, « commémorant la conquête opérée cette mémorable année par les forces de terre et de mer de Sa Majesté britannique, commandées par les amiraux Holmes et Saunders et les généraux Wolfe, Monkton, Townsend et Murray : ce dernier ayant été nommé le premier gouverneur britannique de Québec, offrit en don ce gage de victoire à la municipalité de la ville ou cité de Hastings, dont il était, à cette époque, un des Jurats.

Le bouclier est surmonté d’une couronne. Au centre l’on voit trois fleurs de lis avec l’inscription suivante :

« This shield was taken off one of the gates of Quebec at the time that a conquest was made of that city by His Majesty’s sea and land forces, in the memorable year 1759, under the commands of admirals Saunders and Holmes and the generals Wolfe, Monkton, Townsend and Murray, which latter being appointed the first british governor thereof, made a present of this trophy of war to this corporation (the city or town of Hastings) whereof he, at that time, was one of the Jurats. »

Dans une description topographique de la ville de Hastings, dans le Sussex, Angleterre, insérée au Gentleman’s Magazine pour 1786, l’on rencontre la première allusion au bouclier, comme suit : « L’Hôtel-de-Ville, au-dessus du marché, est une structure moderne, qui date de 1700. Un cadre, qui y est suspendu, contient une longue liste des Maires, dont le premier prêta serment d’office en l’année 1560 ; avant cette date, c’était un huissier qui agissait comme premier Magistrat : la liste commence en 1500. Auprès, l’on voit les Armes de la France, en grandes dimensions gravées sur bois — peintes en couleurs convenables, avec fioritures — don offert à la municipalité par un des officiers (un Jurat de Hastings) présent à la réduction de Québec, où il le trouva fixé à une des portes de la ville — le tout se voit inscrit sur une pierre au-dessous des armes. »[8]

Au même Volume (Gentleman’s Magazine) pour 1792 on trouve la lettre suivante, en date du 20 Janvier : « Le bouclier fut enlevé d’une des portes de Québec en l’année 1759 et fut présenté par le Général Murray à la Corporation de Hastings. Comme ce trophée rappelle un fait d’armes si illustre et fait également honneur au Général qui l’a offert en don, l’insertion de cette correspondance dans votre Revue, obligera »[9]

Votre dévoué serviteur,
Lincolnensis. »
la porte prescott
(Démolie en août 1871.)

Le général Prescott, vers 1797, fit élever la porte Prescott et autres défenses sur la côte de la Montagne.

En 1815, d’après l’inscription sur la pierre du mur à l’ouest de cette porte, la muraille, en cet endroit, paraît avoir été exhaussée et réparée.

La solide porte en mailles de fer qui conduit à la citadelle fut érigée sous le comte de Dalhousie, vers 1827. Elle fut nommée Dalhousie Gate. Au sommet de la citadelle, se dresse le mât d’où flotte le pavillon britannique, longitude 71° 12′ 44″ ouest de Greenwich, d’après l’amiral Bayfield ; 71° 12′ 15″-5 ouest, d’après le lieutenant Ashe, M. R. C’est au moyen de la drisse du pavillon que les deux prisonniers d’état, le général Theller et le colonel Dodge, s’évadèrent en octobre 1838, après avoir endormi la sentinelle avec un verre de porter mêlé d’opium, au grand déplaisir de Sir James McDonald, alors commandant de la garnison.

la porte hope.
(Démolie en 1873.)

La porte Hope ou de la Canoterie fut construite sous le colonel Hope, administrateur en 1786, mort à Québec en 1790.

Voici l’inscription sur icelle :

HENRICO HOPE………
Copiarum Duce et provinciae sub prefecto
Protegente et adjuvante
Extructa,
Georgio III, Regi nostro,
Anno XXVI et salutis, 1786.[10]

D’après une entrée dans le journal inédit de M. James Thompson, pour 1786, cette inscription serait due à la demande des citoyens canadiens-français de Québec, charmés de la condescendance dont le général Hope aurait fait preuve en leur accordant une porte de ville en cet endroit.

« September 9th, 1786. Weather pleasant. The people employed as yesterday. This afternoon the masons finished laying the Facia to the gate. I think it was high time, thô in fact it could be no sooner reasonably expected, not only from the hand we have got, but from our not having cut stone ready before hand to bring us foreward. We have seven hands at it, four of them are military men who can hardly be called half bred masons, and one of our three civilians is only a stone layer. Thus, when we have a course of stones cut we lay it, and set to cutting another, which makes the work exceedingly tedious. I am persuaded it will take us till some time in November before we can close the pedement. The french inhabitants, in compliment to the commander in chief have requested to have something inscribed on a stone in this pedement to perpetuate his memory for his readiness in condescending to give the people a Gate in this quarter. »

(From Diary of James Thompson, 78th Highlanders.)

Les tours sur les plaines, nommées Martello, d’après le col. Martello, qui en donna le premier l’idée en Angleterre, datent de 1805. Ce fut M. By, officier du Génie, plus tard le fameux lieut.-col. By, le fondateur de Bytown, (Ottawa), qui en surveilla la construction. La citadelle actuelle et les murs de l’Esplanade, qui en sont la continuation, prirent la place des bastions détachés qui existaient du temps des Français. Leur construction qui entraîna de vastes dépenses au trésor impérial fut commencée en 1823 d’après les plans approuvés par le duc de Wellington.

Le naturaliste anglais, Charles Watterton, qui visitait Québec en 1824, tout en louant la solidité de ces bastions récemment dressés, applique aux constructeurs le vers de Virgile :

Sic vos, non vobis……

Certes, il n’est pas impossible que cela ne se réalise.

la porte saint-louis,
(Démolie en août 1871.)

Quant à la porte Saint-Louis, qui a récemment disparu, là où l’ancien labyrinthe de murailles avoisinantes est remplacé par un excellent chemin, droit et commode ; sans le savoir, on remet les choses où elles en étaient en 1751, d’après le tracé du plan de l’ingénieur DeLéry de cette date.

Le registre des ingénieurs royaux de cette ville, porte le compte de réparations nombreuses et fort coûteuses faites aux murs de Québec depuis 1759 à 1815.

Les superbes forts de Lévis commencés en 1867 sont à peine achevés, et les fortifications en terre, earth works, à Sillery, qui en seront le complément, ne sont pas encore commencées. Le seront-elles jamais !

J. M. LeMoine.

Québec, 1er août 1871.


DÉTAILS ADDITIONNELS FOURNIS PAR M. LE Dr ANDERSON,
PRÉSIDENT DE LA « SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE ET HISTORIQUE. »

« Strictement parlant, on pourrait dater de 1535 les fortifications de Québec, le premier fort en pierre construit par les compagnons de Jacques-Cartier, sur les bords de la rivière Saint-Charles. Puis, à la basse-ville, la forteresse en bois de Champlain en 1608 ; en 1620, il construisait le premier fort, sur les remparts, au-dessus de la rue Sault-au-Matelot ; plus tard, il y substituait un fort en maçonnerie, l’embryon du Château Saint-Louis, à l’endroit où se trouve actuellement la Terrace-Durham, vulgo la Plateforme.

« Montmagny, qui succéda à Champlain, rebâtit le fort en entier et en renouvela les remparts. Ce fut Frontenac qui envoya en France M. de Villeneuve soumettre des plans de fortifications au célèbre Vauban. La Potherie décrit, en 1698, le château comme ayant deux étages de haut, avec des pignons, et signale une batterie avec vingt-deux embrâsures, pour balayer la rade et la basse-ville ; il mentionne aussi sur le Cap aux Diamants, une autre batterie, qui dominait la haute-ville et les environs de Québec. En 1703, De Callières restaura les fortifications qui menaçaient ruine et, en 1720, l’ingénieur DeLéry construisit une fortification régulière, sur des plans qu’il avait fait approuver en France.

« On avait élevé en pierre, dès 1693, les portes Saint-Louis et Saint-Jean. Malgré tout, Montcalm, en 1759, qualifiait Québec comme « une misérable garnison. » Wolfe et Murray paraissaient avoir une mince idée de la solidité des murs ; Murray écrivait à Pit : « Que l’on ne pouvait considérer Québec autrement qu’un strong cantonment. » Knox n’en fait que peu d’éloges, et, en 1775, lorsque l’on attendait la visite des provinciaux en révolte, M. James Thompson, père, fut chargé de faire élever des palissades et autres défenses, à la porte du Palais et aux deux avenues par où l’on pénétrait dans l’enceinte de la ville, sur la côte de la Montagne, car la porte Prescott n’existait pas alors.

« En 1769, les capitaines Gordon et Mann, du Génie Royal, fournirent le plan d’une citadelle sur le Cap aux Diamants ; les événements de 1775 firent ouvrir les yeux aux autorités impériales, et l’on procéda, en 1779, sur les dessins fournis par le capitaine Twiss, à ériger une citadelle temporaire.

« En 1793, le capitaine Fisher fit rapport que la citadelle bâtie sur les plans du capitaine Twiss, ouvrage temporaire, menaçait ruine et l’on soumit aux autorités impériales un plan pour protéger les portes Saint-Louis et Saint-Jean, par des fortifications extérieures. À venir à 1786, il n’y eut que trois portes à la ville, les portes Saint-Louis, Saint-Jean et du Palais.

« La porte Hope fut érigée par le col. Henry Hope ; en 1797, la porte Prescott fut bâtie.

« Les tours sur les Plaines, dites Martello, furent élevées sous la direction du colonel (plus tard général) Brock, en 1805. Ce fut à la dictée du duc de Wellington que le gouvernement impérial commença, en 1823, ces fortifications vastes et dispendieuses, la citadelle et les murs, qui ceignent, comme d’une zone, la ville entière.

« En 1867, on commença, sous le colonel du génie Gallwey, les forts à Lévis.[11]

W. J. Anderson.

« Québec, 21 août 1871. »

  1. « Cette même année (1694), on fit une redoute au Cap au Diamant, un fort au Château, et les deux portes Saint-Louis et Saint-Jean.

    «  La même année (1702), on commença les fortifications de Québec sur les plans du Sieur Levasseur, qui eut quelque discussion avec M. le marquis de Cresasy qui, pour lors, commandait à la place. »

    (Relation de 1682-1712. publiée par la Société Littéraire et Historique.)

  2. Le mur d’enceinte devait alors descendre un peu en deçà de la rue Sainte-Ursule.
  3. Une de ces issues était à l’endroit où fut plus tard la porte Prescott.
  4. La porte du Palais.
  5. Histoire générale de la Nouvelle-France, Paris 1744, pages 77 et 78. Ce moulin était à l’extrémité de la rue Mont-Carmel, sur l’espèce de jetée qui existe encore, en arrière des bâtisses actuellement occupées comme Palais de Justice, et qui sépare ces bâtisses du jardin de M. G. Bossé.
  6. Ce rapport est adressé à Mme la duchesse de Les Diguières.
  7. Un exemplaire de ce plan, de la main de l’auteur même et signé par lui, est encore aujourd’hui en la possession de la famille de Léry, à Québec.
  8. The Town Hall, over the market place, is a modern building, erected in 1700. In a frame hung up in it, is a long list of its mayors, the first of which was sworn as such in the year 1560, before which time a bailiff was the chief magistrate : the list commences in 1500. Near it the Arms of France is fixed, largely carved in wood, and painted in proper colour, with embellishments, and was presented to the corporation by one of the officers (a Jurat of Hastings) who was at the reduction of Quebec, where it was fixed over one of the gates of that city, all of which is inscribed on a tablet under the arms.
  9. Une notice de ce bouclier a paru dans le Canadian Antiquarian, revue historique et archéologique publiée à Montréal ; c’était le sommaire d’une correspondance échangée entre moi et M. J. M. O’Leary d’Ottawa, à qui revient le mérite de cette trouvaille. Je la signale dans l’espoir que nos archéologues pourront peut-être nous dire sur laquelle des portes de Québec se trouvait, en 1759, l’historique bouclier.
  10. Ceux qui seraient curieux de revoir la pierre qui porte cette inscription, ainsi que des fragments des autres portes de ville, savoir : la clef de voûte des portes du Palais et Prescott, les rencontreront sur les avenues du jardin de Spencer Grange, sous forme d’un petit monument.
  11. Nous devons à l’obligeance du Dr Anderson, le biographe du duc de Kent, cet intéressant résumé, entrepris à notre demande.