Histoire du Canada et des Canadiens sous la domination anglaise, Vol 2, 1844./LIVRE DEUXIÈME

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LIVRE DEUXIÈME,


Comprenant ce qui s’est passé depuis l’année 1790 jusqu’à l’année 1818.


Le gouvernement d’Angleterre s’étant enfin déterminé à opérer un changement dans la constitution du Canada, M. le secrétaire William Wyndham Grenville rédigea un bill, ou projet d’acte, qui, avant d’être présenté au parlement, fut envoyé à lord Dorchester, pour qu’il y indiquât les changemens que la connaissance particulière qu’il avait du pays et de ses habitans, lui pourrait faire juger convenables. Il lui était recommandé de se concerter avec le juge en chef ; et en effet, ils examinèrent conjointement le projet de M. Grenville, et le lui renvoyèrent, après y avoir fait les changemens et les additions qui leur avaient paru utiles et désirables.

Une ordonnance de la session de 1791, qu’on peut regarder comme importante ou remarquable, quand on considère la législation anglaise de cette époque, au sujet du culte catholique, c’est celle « qui concerne la construction et la réparation des églises, presbytères », &c. Il y est dit que, « des doutes s’étant élevés sur l’autorité des juges des plaidoyers communs de ratifier et homologuer les résolutions et déterminations des habitans, à leurs assemblées paroissiales, à l’effet de construire et réparer des églises et presbytères, étant nécessaire de promulguer et faire connaître aux sujets de sa Majesté les lois, usages et coutumes concernant les objets ci-dessus mentionnés, il est statué que toute et chaque fois qu’il sera expédient de former des paroisses, ou de construire ou réparer des églises, &c., les mêmes forme et procédure seront suivies, telles qu’elles étaient requises avant la conquête, par les lois et coutumes alors en force et en pratique ; et que l’évêque et surintendant des églises catholiques romaines aura et exercera les mêmes droits qu’avait et exerçait, dans ce temps là, l’évêque du Canada, pour les objets ci-dessus mentionnés, et que les droits qui appartenaient alors à la couronne de France, et étaient exercés par le gouverneur et l’intendant, seront considérés comme appartenant au gouverneur et commandant en chef de la province », &c.

Le 25 février 1791, le chancelier de l’échiquier présenta à la chambre des communes le message suivant : « Sa Majesté croit qu’il est à propos d’informer la chambre des communes qu’il paraît qu’il serait avantageux à ses sujets de la province de Québec, que cette province fût divisée en deux provinces séparées, qui seraient appellées la province du Haut-Canada, et la province du Bas-Canada, et que c’est conséquemment l’intention de sa Majesté de la diviser ainsi, dès qu’Elle aura, été autorisée, par un acte du parlement, à faire les règlemens nécessaires au gouvernement des dites provinces. »

Le 4 mars, sur motion de M. Pitt, l’orateur, ou président (speaker),[1] lut le message relatif au gouvernement du Canada. Après la lecture de ce message et du statut de 1774, M. Pitt demanda la permission d’introduire un bill pour amender ce statut, et faire de nouveaux règlemens pour le gouvernement du Canada. « Conformément à l’intention du roi, dit-il, le bill divise la province de Québec en deux provinces distinctes : le but de ce règlement est de tâcher de parer à un grand inconvénient, bien connu de tous ceux qui sont au fait de l’histoire du Canada, où il s’est élevé une grande compétition, ou rivalité, entre les Français, anciens habitans du pays, et les émigrés de la Grande-Bretagne et des anciennes colonies anglaises. Un des objets importants du bill est de faire cesser toute rivalité entre les habitans, sur les diverses questions de lois. L’intention est qu’il y ait une législature capable de donner satisfaction sur ces différents points ; et conséquemment le premier objet de ce bill est de pourvoir à la manière de constituer un conseil législatif et une chambre d’assemblée dans chacune des deux provinces. On propose que les conseillers soient nommés à vie… La seconde clause du bill est que toutes les lois en force dans la province continuent à l’être, tant qu’elles n’auront pas été abrogées, ou amendées par les législatures locales, » &c.

Le 21, il fut présenté une pétition de la part de M. Lymburner, demandant à être entendu par procureur (counsel), en faveur des pétitionnaires provinciaux de 1783, contre plusieurs des clauses du bill, et une autre, de la part de MM. Phin, Ellice, et autres, demandant aussi à être entendus par leur avocat, contre certaines clauses particulières de ce bill. Ces pétitions furent reçues, la chambre se forma en comité sur le bill, et le 23, après la lecture du rapport, les pétitionnaires furent entendus. Ils insistèrent principalement, et exclusivement dans l’intérêt britannique, sur les prétendus « inconvéniens que les marchands et colons anglais devaient éprouver, si l’on mettait la législation entre les mains des Canadiens français, fortement attachés aux lois françaises, sous lesquelles, disaient-ils, on ne pouvait recouvrer les dettes, ni contracter en matière de propriétés foncières, sans beaucoup de difficulté ». Ils exprimaient, ou prétendaient exprimer les sentimens des Anglais du Canada, et donnaient par là à entendre, ou à conclure, que ces derniers avaient tendu un piége aux Canadiens en cherchant à se les associer, pour, avec leur aide, obtenir des avantages dont ils voulaient seuls profiter. Il faut remarquer pourtant qu’ils n’avaient pas réussi à en faire tomber un grand nombre dans le panneau.[2]

Le rapport fut de nouveau pris en considération, le 8 avril. Plusieurs des membres, entre autres, M. Hussey M. Fox, trouvant dans le bill des clauses d’une nature dangereuse ou censurable, demandèrent qu’il fût de nouveau référé. « Le bill », dit le dernier, en finissant son discours, « semble d’abord fondé sur des prinripes généraux de liberté, qui s’évanouissent, du moment que vous l’examinez en détail. Cette circonstance est d’autant plus dangereuse, que les habitans du Canada compareront sans cesse le systême limité et aristocratique proposé dans le présent bill, avec la constitution populaire des États-Unis. Nous devons, si nous voulons conserver longtems le Canada, prendre garde de ne pas donner à cette province l’occasion de faire une comparaison désavantageuse entre le gouvernement que nous allons y établir et celui des états voisins. Donnons donc aux Canadiens une assemblée populaire, non en apparence, mais en réalité.

Le 11 mai, le bill fut discuté longuement, en comité général. La discussion roula principalement sur la division du Canada en deux provinces distinctes, et sur les lois des deux provinces. H. Edmond Burke y dit, entre autres choses, que « la tentative de joindre ensemble des gens dont les lois, le langage et les mœurs étaient dissemblables, lui paraissait absurde ; qu’en joignant ensemble les vainqueurs et les vaincus, on occasionnerait des dissentions désagréables et des discussions mortifiantes ; que ce serait répandre les semences d’une discorde fatale à l’établissement d’un nouveau gouvernement ; la division lui paraissait donc convenable. « La colonie supérieure, continua-t-il, est principalement habitée par des émigrés des ci-devant colonies, qui désirent la constitution anglaise : que les Canadiens français aient une constitution formée sur leurs principes, et les Anglais une constitution semblable à celle du pays de leur naissance ou de leur origine ; que les uns et les autres soient gouvernés comme des hommes ; qu’on n’adopte pas des théories vagues, mais qu’on se conforme aux circonstances du pays et aux préjugés naturels de ses habitans. »

La discussion continua, le 12 et le 14 : plusieurs des clauses furent amendées ; le bill fut lu pour la troisième fois et passé. Il fut porté à la chambre des lords, le 19, adopté par cette chambre, et sanctionné par le roi, à la fin du même mois.

Son Altesse royale, le prince Édouard, (depuis duc de Kent), quatrième fils du roi, arriva de Gibraltar à Québec, le 10 mai, avec le 7ème régiment dont il était colonel. Le 12, le prince reçut, au château Saint-Louis les complimens respectueux des officiers civils et militaires, du clergé et de la haute bourgeoisie. Lord Dorchsster s’embarqua pour l’Angleterre, le 17, et le chevalier Alured Clarke prit, comme lieutenant-gouverneur, les rênes de l’administration.

Le bill, devenu le statut de la 31ème année de Georges III, chapitre 31, est intitulé « Acte pour révoquer certaines parties d’un acte passé dans la 14ème année du règne de sa Majesté, intitulé », &c. Toutes les clauses du nouvel acte constitutionnel ne furent pas vues d’un œil également favorable : les uns le trouvaient trop aristocratique ; les autres, trop démocratique : ceux-ci y remarquaient un air un peu trop anglais et étranger ; ceux-là prétendaient qu’il accordait trop aux Canadiens et aux catholiques. Tel qu’il était pourtant, et quelque étrange qu’il pût paraître à ceux qui n’étaient pas accoutumés aux formes anglaises, il valait, ou pouvait valoir mieux que le précédent.

La province de Québec fut divisée en deux provinces séparées, le Haut-Canada et le Bas-Canada, conformément à l’acte constitutionnel, par un ordre du roi siégeant en son conseil, daté du mois d’août 1791, et cette division fut annoncée, dans le mois de novembre suivant, par une proclamation du lieutenant-gouverneur. Les provinces sont séparées d’après la ligne de démarcation suivante : « À commencer à une borne de pierre, sur le bord septentrional du lac Saint-François, à la baie ouest de la pointe au Baudet, dans la limite entre la juridiction (township) de Lancaster et la Seignerie de la Nouvelle-Longueil, courant le long de la dite limite, dans la direction de nord trente-quatre degrés ouest, jusqu’à l’angle le plus occidental de la dite seigneurie ; de là le long de la borne nord-ouest de la seigneurie de Vaudreuil, courant nord vingt-cinq degrés est, jusqu’à ce qu’elle tombe sur la rivière des Outaouais, pour monter la dite rivière jusqu’au lac Temiscaming, et du haut du dit lac, par une ligne tirée vrai nord, jusqu’à ce qu’elle touche la ligne frontière de la baie d’Hudson, renfermant tout le territoire à l’ouest et au sud de cette ligne, jusqu’à l’étendue la plus reculée du pays vulgairement appellé Canada. »

Par la même proclamation, le commencement du nouvel acte constitutionnel, pour les deux provinces, est fixé au 26 décembre de cette même année 1791. Le général Clarke demeura lieutenant-gouverneur du Bas-Canada, et le colonel Simcoe fut nommé lieutenant-gouverneur de l’autre province. L’ancien conseil législatif cessa d’exister, mais presque tous ses membres entrèrent dans le nouveau.[3] À l’exception d’un seul, tous les conseillers exécutifs furent pris parmi les conseillers législatifs.[4] Une autre partie des conseillers législatifs étaient des fonctionnaires dépendant du gouvernement. On ne paraît pas avoir remarqué alors dans le pays toute la défectuosité d’un pareil arrangement.

Une autre proclamation de Sir Alured Clarke, du mois de février 1792, a rapport à la concession des terres incultes de la couronne. « Les deux septièmes, dit cette proclamation, réservés par l’acte constitutionnel, pour être à la disposition future de la couronne, et pour le maintien d’un clergé protestant, ne seront pas des étendues de terres divisées chacune de la septième partie de la juridiction, mais telles portions ou fermes, qui, dans le rapport de l’arpenteur-général, seront désignées comme laissées à part pour ces effets, parmi les autres portions ou fermes dont la juridiction se composera. »

Lord Dorchester avait recommandé que les réserves de la couronne et du clergé consistassent en juridictions distinctes, ou en parties contiguës de juridictions ; mais les ministres rejettèrent ce plan, par la raison que des réserves ainsi situées seraient moins avantageuses à la couronne et au clergé, que si elles étaient partagées en plus petites portions, et entremêlées avec les terres concédées aux particuliers. « Il est bien à regretter, dit M. Smith, que le plan du gouverneur n’ait pas été adopté ; car l’établissement des terres incultes a été beaucoup retardé par un systême si préjudiciable aux progrès de la population et de la prospérité de la province. »

Un autre obstacle à l’accroissement de la population canadienne, ce furent les grandes étendues de terres que des particuliers, employés du gouvernement, eurent l’adresse de se faire concéder, ou pour mieux dire peut-être, l’impudeur de se donner à eux-mêmes, sans autre dessein que celui de les laisser incultes, pour les vendre quand elles auraient acquis plus de valeur, par le défrichement des terres voisines, et l’ouverture de chemins dans les environs.

Le 7 mai 1792, le lieutenant-gouverneur proclama la division de la province du Bas-Canada en comtés, cités et bourgs, et la fixation du nombre des représentans du peuple. Ce nombre fut fixé au minimum de l’acte constitutionnel, c’est-à-dire à cinquante. La proclamation établit deux cités, Québec et Mont-réal, et deux bourgs, les Trois-Rivières et William Henry, ou Sorel. Quant aux comtés, au nombre de vingt-et-un, Sir Alured donna tout simplement à presque tous des noms de comtés d’Angleterre on d’Irlande, sans aucun égard à la topographie, à la géographie, ou à l’histoire du pays, non plus qu’à la langue de l’immense majorité de ses habitans, pour qui la plupart de ces noms devaient être non seulement barbares, mais encore imprononçables ; c’étaient Gaspé, Cornwallis, Devon, Hertford, Dorchester, Buckinghamshire, Richelieu, Bedford, Surrey, Kent, Huntingdon, York, Mont-réal, Effingham, Leinster, Warwick, Saint-Maurice, Hampshire, Québec, Northumberland, et Orléans. On aurait pu attribuer ces noms au dessein d’anglifier les Canadiens, qui était la manie d’une partie des marchands écossais de la province, et qui avait pu être l’arrière-pensée des ministres anglais, et de M. Pitt en particulier, si l’on n’avait pas pu les croire dûs à la nonchalance, ou à l’incapacité de mieux faire.[5] Les trois comtés de Gaspé, Bedford et Orléans ne devaient envoyer qu’un membre, ou député, à l’assemblée ; tous les autres y en envoyaient deux. Les cités de Québec et de Mont-réal, divisées, la première en Haute-ville et Basse-ville, la seconde en quartier-Est et quartier-Ouest, devaient élire, chacune, quatre représentans ; le bourg des Trois-Rivières, deux, et celui de Sorel, un.

Le lieutenant-gouverneur Simcoe divisa le Haut-Canada en dix-neuf comtés,[6] qui pourtant n’envoyèrent que seize députés à l’assemblée, plusieurs de ces comtés comptant à peine alors quelques centaines d’habitans. Quant aux villes, il n’y en avait pas, à cette époque, dans la province supérieure.

Le mois de juin 1792 offrit un spectacle nouveau en Canada, celui du peuple assemblé pour constituer celle des chambres du parlement provincial, qui le devait représenter. Ce spectacle ne dut pas être moins intéressant que nouveau ; mais il put être accompagné de quelque inquiétude, dans ces tems d’inexpérience et de timidité, chez la partie française de la population, quand elle vit tout ce qu’il y avait de marchands anglais tant soit peu renommés, dans les villes de Québec et de Mont-réal, se porter candidats, et sembler vouloir accaparer toute la représentation de la province.[7] Les Canadiens eurent néanmoins le bon-sens d’élire une assez grande majorité d’entre eux, et ils purent s’en féliciter, quand ils eurent lieu de croire, qu’autrement, c’en eût été fait de leur langue, pour les affaires constitutionnelles et légales, et peut-être, par suite, de leurs lois.

La première assemblée législative du Haut-Canada, fut ouverte au commencement d’octobre, et clôse au commencement de décembre. Il y fut passé six actes, ou statuts, dont le plus important est celui par lequel les lois d’Angleterre, autres que celles qui regardent les banqueroutes et le clergé, sont introduites dans la province, excepté en autant qu’elles peuvent avoir été changées, ou modifiées, par les ordonnances de la province de Québec.

Les deux chambres de la législature du Bas-Canada s’assemblèrent le 17 décembre, conformément à la proclamation royale de convocation. La question du choix de l’orateur, ou président de la chambre d’assemblée, ayant été remisé au lendemain, deux membres canadiens MM. Dunière et De Bonne, proposèrent, ce jour-là, M. J. A. Panet. Les membres anglais proposèrent successivement M. Grant, M. M’Gill et M. Jordan ; mais, après des débats qui montrèrent les membres anglais et canadiens placés, à leur début, dans un état d’antagonisme, M. J. A. Panet fut élu, à une majorité de dix voix.[8]

Le lieutenant-gouverneur ouvrit la première session du premier parlement du Bas-Canada, (le 20 décembre), par un discours où il dit, entre autres choses : « Dans un jour comme celui-ci, remarquable par le commencement dans ce pays d’une forme de gouvernement qui a porté le royaume auquel il est subordonné au plus haut degré d’élévation, il est impossible de ne pas éprouver des émotions qu’il serait difficile d’exprimer. C’est une tâche qui ne peut être nécessaire, en la présente occasion, quelque agréable qu’elle fût, que celle d’exposer combien ce systême est propre à avancer la félicité que tous les gouvernemens proclament comme étant leur but, mais qui n’est assuré par aucun aussi bien que par celui de la Grande-Bretagne, qui après avoir été célébré, pendant des siècles, par les premiers écrivains de l’Europe, donne, en ce moment, à ce royaume la prééminence décidée et enviée d’une gloire réelle sur toutes les autres nations du monde. La sensation que me fait éprouver le changement qui nous amène cette assemblée, est partagée, je n’en doute point, par tous ceux qui sont en état d’apprécier la grandeur du bienfait conféré, et en conséquence, je me contenterai de suggérer, qu’après les actions de grâces dues à l’Arbitre tout-puissant de l’univers, nous ne pourrions assez exalter la magnanimité et la bonté du roi, le père commun de son peuple, et du parlement, qui a si généreusement coopéré à cet établissement, qui est, à juste titre, le sujet de notre joie générale. Un des motifs qui m’ont porté à vous réunir, a été de vous fournir l’occasion de faire, avec loyauté et reconnaissance, vos remercîmens à sa Majesté ; et, cette dette acquittée, vos conseils seront sans doute employés à faire les lois nécessaires pour asseoir sur des bases solides, et accroître la prospérité de votre pays, » &c.

L’adresse de la chambre d’assemblée, en réponse au discours du lieutenant-gouverneur, n’en fut que l’écho, ou la répétition un peu amplifiée : mais le conseil législatif crut pouvoir prendre sur lui de s’en écarter, et d’injurier la nation française, quoique, suivant le « discours du trône », la Grande-Bretague fût en paix avec cette nation, comme avec toutes les autres.[9]

Depuis un certain nombre d’années, il se publiait en Canada, une seconde gazette, la Gazette de Mont-Réal, en anglais et en français, comme celle de Québec. Vers la fin de l’année 1792, fut commencée, à Québec, la publication d’un ouvrage périodique mensuel, intitulé, Magasin de Québec. C’était la seconde tentative littéraire qui se faisait en Canada. Ce journal se soutint pendant deux ans, et il se serait soutenu plus longtems sans doute, si le goût de la littérature et des sciences eût été plus répandu dans le pays qu’il ne l’était alors. Mais loin de suivre le progrès de la population, l’instruction, ou mieux peut-être, le désir de s’instruire semblait être demeuré stationnaire, sinon avoir rétrogradé, depuis la publication de la Gazette Littéraire de Mesplet. Il est vrai de dire que le Magasin de Québec, se publiant en anglais et en français, ceux qui n’entendaient qu’une des deux langues y trouvaient le désavantage d’être privés de la lecture d’une partie de son contenu, et les autres, celui d’y voir parfois des répétitions pour eux inutiles.

Pour revenir à la première session de notre premier parlement, clôse le 9 mai 1793, une partie du temps des deux chambres fut employé, d’après la recommandation du lieutenant-gouverneur, à « former telles règles, ou tels ordres permanents, pour établir les formes de procéder qui pourraient être les plus propres à l’expédition régulière des affaires » ; aussi ne passèrent-elles que huit actes, ou statuts, la plupart « pour continuer » en force des ordonnances du ci-devant conseil législatif.[10] Pour être expéditif dans les affaires, il faut de l’expérience et une certaine routine, et ces deux qualités manquaient à nos premiers législateurs, particulièrement aux membres de la chambre d’assemblée. Il faut observer aussi que les deux chambres eurent à rédiger plusieurs adresses au roi, et à considérer, et pour ainsi dire, étudier divers messages du lieutenant-gouverneur, particulièrement sur le style des bills qui devaient lui être présentés, ou sur la manière dont ils devaient être rédigés pour obtenir la sanction royale. Il ne faut pas non plus oublier de louer la chambre d’assemblée d’avoir songé, dès sa première session, à revendiquer les revenus des biens des jésuites pour l’instruction de la jeunesse canadienne. Peut-être est-elle à blâmer de n’avoir pas réclamé, ou protesté respectueusement contre la composition anomale du conseil législatif, qui identifiait, en quelque sorte, les deux premières branches du parlement provincial.

Cette année 1793, M. (plus tard le chevalier) Alexander Mackenzie achevait un voyage de découverte commencé en 1789. Avant d’en faire connaître le résultat, il nous paraît à propos de reprendre les choses de plus haut. Après que le Canada eut passé sous la domination de l’Angleterre, quelques uns des anciens commerçans français, ou canadiens, M. de Langlade, M. Cazeau, M. Lasaussaye, et autres, continuèrent à faire la traite des pelleteries avec les Sauvages, dans les quartiers de l’Ouest et du Nord-ouest. D’autres Canadiens, MM. Beaubien, Campion, Blondeau, Cotté, Fromenteau, Giasson, Tabeau, Berthetlet, continuèrent à faire individuellement le même commerce. Des Anglais le faisaient aussi ; mais jusqu’à l’année 1766, aucun d’eux n’avait ôsé s’éloigner de Michillimakinac. Cette année, quelques Anglais pénétrèrent jusqu’au Grand-Portage, un peu au sud de l’entrée de la rivière Kaministiquia dans le lac Supérieur. Un nommé Thomas Curry fut le premier qui entreprit d’atteindre les dernières limites des découvertes des Français. Il put parvenir jusqu’à l’ancien fort Bourbon, sur les eaux de la rivière Saskatchiouine. Un M. James Finlay, marchant sur les traces de Curry, atteignit, ou crut atteindre le dernier poste qu’avaient eu les Français sur la même rivière, par 48 degrés et demi de latitude. Peut-être se trompait-il, en attribuant à M. Joseph Frobisher d’avoir, en 1775, dépassé, au nord et à l’ouest, les limites des découvertes françaises ou canadiennes ; mais l’année suivante, M. Benjamin Frobisher (frère de Joseph,) pénétra jusqu’au 55ème degré et demi de latitude, et au 108ème de longitude occidentale, et en 1778 un M. Peter Pond entra dans le pays d’Athabasca, qui jusqu’alors, dit-on, n’avait été connu que d’après le rapport des Sauvages.

En 1783, les marchands du Canada qui faisaient, ou faisaient faire le commerce des pelleteries dans les « Pays d’en-haut », s’associèrent sous les nom et raison de Frobisher, MacTavish & compagnie, et l’association fut dénommée Compagnie du Nord-Ouest. D’autres marchands, ou traitans, MM. Peter Pangman, Gregory, MacLeod, ne trouvant pas d’abord leur compte à entrer dans la grande société, firent, pendant quelque temps, le commerce séparément. Presque tous les associés étaient des Écossais ; mais une partie de leurs commis, presque tous leurs interprètes, et leurs simples engagés, appellés voyageurs, dans ce pays, étaient des Canadiens.

Il y avait quelques années que M. Alexander McKenzie était un des associés du Nord-Ouest, lorsqu’il entreprit ses voyages de découverte. Ayant fait ses préparatifs au fort Chippewyan, sur le lac Athabasca, ou des Côteaux, par 58 degrés 40 minutes de latitude, et 110 degrés et demi de longitude occidentale, il en partit, le 3 juin 1789, accompagné de M. Leroux, un des commis de la société, de cinq voyageurs canadiens[11], et de quelques Sauvages.

Ayant parcouru la rivière qui joint le lac Athabasca au grand lac des Esclaves, il navigua sur ce lac, depuis le 6 jusqu’au 29, et entra dans la rivière par laquelle il se décharge, dans la direction du nord-ouest. Jusqu’alors, il avait voyagé par des contrées déjà connues des traitans et des canottiers canadiens ; mais en pénétrant plus loin, tous les objets qu’il rencontre n’étaient qu’imparfaitement connus par des Sauvages. Tout le temps, depuis le 29 juin jusqu’au 21 juillet, fut employé à descendre cette rivière, jusqu’à un grand élargissement, qui est son entrée dans l’océan glacial, par 69 degrés et demi de latitude. À une latitude si élevée, les arbustes, les arbres même ne manquaient pas, sur les bords de la rivière, et particulièrement dans les îles dont elle est parsemée. Des Sauvages, partagés en différentes petites tribus, habitaient, ou fréquentaient ces parages, jusqu’à l’embouchure du fleuve. Les Esquimaux s’y montraient aussi, dans certaines saisons de l’année. Tous ces Sauvages sont chasseurs et pêcheurs, et ils ont à souhait le poisson, le gibier, particulièrement les gros oiseaux de rivière ; et, ce qui peut paraître extraordinaire, des petits fruits en abondance. Nos voyageurs furent de retour, le 12 août, au fort Chippéwyan.

McKenzie repartit du même fort Chippéwyan, le 10 octobre 1792, accompagné de M. Alexander MacKay, de six Canadiens et de deux Sauvages, et par la rivière des Esclaves gagna le cours supérieur de l’Unjigah, dont le cours inférieur passe par le grand lac des Esclaves, et est le même qu’il avait reconnu jusqu’à son embouchure dans la mer glaciale, et qui, dans cette partie, fut appellé rivière McKenzie. Il parvint à la source de cette rivière, par 51 degrés 24 minutes de latitude, et 121 de longitude[12] ; traversa les montagnes Rocheuses, et après des difficultés et des fatigues inouies, et des périls sans nombre, il atteignit une grande rivière, qu’il dit se nommer Tacoutch-Tessé, et qu’il crut à tort être l’Oregon. Il abandonna le cours de cette rivière, qui coulait au sud, pour, en se dirigeant par terre vers l’ouest, atteindre plutôt l’océan Pacifique. Il atteignit, en effet, cet océan, par 52 degrés 21 minutes de latitude. Les Sauvages des bords de la mer, différents de ceux de l’intérieur par le langage et par d’autres particularités, connaissaient les Européens, qui déjà depuis quelques années, avaient commencé à fréquenter ces parages. Les deux voyages de M. McKenzie, utiles à la compagnie du Nord-Ouest, sous le rapport du commerce, enrichirent aussi, jusqu’à un certain point, la géographie et l’ethnographie.

Le gouverneur-général fut de retour en Canada vers la mi-septembre (1793)[13]. En ouvrant la seconde session de la législature, le 11 novembre, lord Dorchester dit, en substance, à la chambre basse, « Que la dépense générale était considérable, et qu’elle ne pourrait être placée tout entière au compte de la province ; qu’il laissait aux membres le temps de considérer par quels moyens le revenu provincial pourrait être augmenté, et qu’il se flattait que la Grande-Bretagne continuerait à fournir généreusement le surplus nécessaire à la prospérité de la colonie. »

Quelques jours après l’ouverture, le gouverneur ayant intimé à l’assemblée qu’il proposait de nommer M. J. A. Panet juge des plaidoyers communs, office incompatible avec celui de président de la chambre, il lui fallut élire un nouvel orateur, et son choix tomba sur M. Chartier de Lotbinière.

Cette seconde session ne fut pas plus que la première féconde en lois nouvelles : un acte de milice fut demandé et obtenu, ainsi qu’un acte de judicature ; mais ce dernier fut réservé par le gouverneur à la signification du plaisir royal. Le bill des Étrangers, ou « Acte qui établit des réglemens concernant les étrangers », &c., « et qui autorise sa Majesté à arrêter et détenir les personnes accusées, ou soupçonnées de haute trahison », &c., fut passé sans difficulté, bien qu’il outrageât indirectement les Canadiens, et qu’il remît la province sous le joug de l’arbitraire et du despotisme. Heureusement, si personne ne fut plus que lord Dorchester ami du pouvoir absolu, personne aussi, peut-être, ne fut moins enclin à en abuser.

Dans l’intervalle entre la seconde et la troisième session de la législature, « on ne doit pas omettre les associations qui se sont formées avec tant de zèle et de dévouement, dans toute la province, pour le soutien des lois et du gouvernement, et pour repousser (ou déjouer) les trames des ennemis de l’état[14]. » Lord Dorchester avait déjà signalé, et son successeur signala « des individus mal intentionnés, qui avaient manifesté des tentatives séditieuses et perverses pour aliéner les affections des loyaux sujets de sa Majesté, par de fausses représentations », &c., « et particulièrement des étrangers (Français) qui se tenaient cachés dans différentes parties de cette province, et agissaient de concert avec d’autres individus, résidant en pays étrangers », &c. D’autres individus, bien ou mal intentionnés, croyaient ou feignaient de croire que la vigilance, « toute la diligence des magistrats, capitaines de milice et officiers de paix », ordonnée par les proclamations royales, ne suffisait pas pour « réprimer les desseins pervers et les pratiques séditieuses », y mentionnés, non plus que pour découvrir tous ceux (y signalés) qui pourraient tenir des discours séditieux, » ou proférer « des paroles tendant à la trahison, ou distribuer des écrits diffamatoires, tendant à exciter le mécontentement dans les esprits, à diminuer l’affection des sujets de sa Majesté, ou à troubler la paix et le bonheur dont on jouissait dans la province. »

Lord Dorchester n’était pas le dernier à abhorrer les pratiques séditieuses du dedans, et à redouter les tentatives hostiles du dehors : à l’ouverture du parlement, le 5 janvier 1795, il dit aux deux chambres : « Le soin que vous avez eu, dans la dernière session de la législature, de pourvoir à la tranquillité intérieure de la province, ainsi qu’à sa défense contre toute tentative du dehors, ne me permet pas de douter que vous ne persévériez dans cette louable vigilance, tant que nous serons menacés de la guerre, ou d’un fléau pire que la guerre ; je veux dire le nouveau systême de politique insidieuse et fourbe, imaginé pour séduire le peuple, et le rendre l’instrument de son malheur, et de sa destruction. » Son Excellence loue les membres des deux chambres de « leurs efforts zélés à promouvoir une obéissance générale aux lois » (nouvelles), auxquelles des mécontens, ou des ignorans avaient perversément, ou imprudemment conseillé de ne pas obéir.

À nulle époque, peut-être, les dangers que s’exagérait le gouvernement ne mirent les Canadiens dans un isolement aussi complet. M. de Larochefoucault-Liancour put faire une excursion dans le Haut-Canada, en 1795 ; mais l’entrée du Bas-Canada fut interdite à l’illustre et savant voyageur français ; et nous ne saurions dire par quelle faveur particulière, il fut permis à son ami, M. Guilemard, de descendre, mais rapidement, le Saint-Laurent, depuis Kingston (ci-devant Frontenac ou Catarocouy) jusqu’à Québec. Faire venir des journaux, ou même des livres directement de France, était une chose à laquelle il ne fallait pas penser ; et comme lord Dorchester n’était pas un anglificateur dans la force du terme, il aurait semblé qu’il ne voulait permettre aux Canadiens d’autre lecture que celle des insignifiantes gazettes du temps, ou des statuts provinciaux, dont la ridicule redondance, pour ne rien dire de plus, avait encore le défaut d’être barbarement traduite en français.

Quoiqu’il en soit, la troisième session du premier parlement canadien produisit quelques lois utiles, et il y fut agité des questions importantes. Quelques marchands anglais, comme nous avons déjà eu occasion de le remarquer, étaient devenus propriétaires de seigneuries, mais la plupart incultes : ils crurent que rien ne leur serait plus facile que de devenir les maîtres absolus de terres qu’ils ne tenaient qu’à certaines conditions, et avec des obligations importantes, entre autres, celle de les reconcéder en lots, ou espaces d’une certaine étendue, à tous ceux des habitans du pays qui leur en demanderaient, moyennant des redevances fixes et modérées. Leur but était de revendre ces terres, non à des Canadiens, mais à des Américains ; et ils se croyaient si sûrs de leur fait, qu’avant d’avoir obtenu de la législature la commutation qu’ils lui demandèrent, ils firent marché avec un nombre d’émigrés des États-Unis, les exemptant des lods et ventes, mais exigeant d’eux une rente foncière immuable. Par complaisance pour la minorité de ses membres, la chambre d’assemblée se forma en comité pour prendre en considération « les lois, coutumes et usages en force dans cette province, relativement à la tenure des terres, et aux droits qui en dérivent ». « Comme matière de forme », dit un écrivain anglais, le président (du comité) « rapporta progrès, et obtint permission de siéger de nouveau » ; mais il parut bientôt que la majorité n’était pas disposée à faire le plus léger sacrifice à ce qu’elle appellait la cupidité des propriétaires anglais, et les préjugés des émigrés américains. » Mais, continue le même écrivain, « une différence d’opinion sur un ou plusieurs points n’empêcha pas l’unanimité pour des mesures regardées comme nécessaires au maintien du gouvernement ».

Par l’acte « qui accorde à sa Majesté des droits nouveaux et additionnels, » &c, il fut octroyé permanemment 5,000 livres, sterling, « pour contribuer plus amplement à défrayer les dépenses de l’administration de la justice, et pour le soutien du gouvernement civil, dans cette province.[15] » Par accord entre des commissaires nommés psr les législatures du Bas-Canada et du Haut-Canada, un huitième des droits perçus à Québec fut accordé à la province supérieure.

Dans la session ouverte le 20 novembre 1795, « un acte d’indemnité requis par le gouvernement pour l’exercice d’un pouvoir illégal (l’embargo mis sur les grains et la farine,) fut demandé et obtenu, conformément à la pratique du ministère anglais, en pareil cas ».

Dans cette dernière session du premier parlement provincial, fut passé le fameux bill des chemins, ou l’acte « pour faire, réparer et changer les grands chemins et ponts » &c. ; particulièrement à la sollicitation du gouverneur et des membres anglais de l’assemblée. Ces derniers auraient voulu aussi une loi de banqueroute, et le conseil législatif rédigea un bill « pour assurer plus efficacement, et pour distribuer également parmi les créanciers, les biens et effets de ceux qui faillissent dans le commerce » ; mais, dans la chambre d’assemblée, on remarqua que les lois du pays comprenaient certaines dispositions du Code Marchand de Louis XIV, qui, si elles étaient remises en vigueur, obvieraient à la nécessité d’introduire les termes techniques de la loi de banqueroute d’Angleterre ; que la cession de biens (cessio bonorum), qui obligeait le débiteur à livrer tous ses biens à ses créanciers, en conservant sa liberté, mais sans être déchargé du surplus de sa dette, répondait à toutes les fins de la justice et de la miséricorde ; et qu’il ne convenait pas de mettre de côté la loi naturelle du pays, rétablie par l’acte de 1774, pour satisfaire les prédilections de quelques particuliers. Le bill du conseil, après avoir été discuté, fut finalement rejetté.

Le gouverneur avait exprimé le désir de voir le systême financier de la province simplifié, et la chambre d’assemblée passa un bill à l’effet d’approprier par un seul acte, et permanemment, « pour le soutien de l’administration de la justice et du gouvernement civil », les droits perçus en vertu de l’acte du parlement britannique, de la 14ème Geo. III. chap. 88, et du statut provincial de la 35ème Geo. III. chap. 9, (de la session précédente) ; mais ce bill ne devint pas loi.

Cependant, l’acte des chemins, qui était une innovation dans le pays, bien qu’une amélioration pour l’avenir, ne causait pas peu d’inquiétude et de mécontentement chez les habitans de la campagne, particulièrement dans le district de Montréal. En quelques endroits, ce mécontentement se manifesta par des procédés irréguliers, par des rassemblemens tumultueux, et des propos injurieux aux autorités constituées ; enfin, par une résistance ouverte à l’exécution de la loi. Plusieurs des réfractaires furent appréhendés, et après examen, ou interrogatoire, quelques uns, entre autres, J. B. Bisette, tanneur des environs de Mont-réal, furent emprisonnés. Ils auraient pu être convaincus de voies de fait, peut-être de pratiques séditieuses ; mais ils étaient accusées de haute trahison, et ce crime ne pouvant être prouvé contre eux, ils furent acquittés.

La formation d’un régiment canadien à deux bataillons date de cette année 1796. Le premier bataillon (ou bataillon Bas-Canadien,) des Royal Canadian Volunteers, eut pour lieutenant-colonel M. Joseph de Longueil et pour major M. Louis de Salaberry[16].

Lord Dorchester étant passé en Angleterre, le général Prescott lui succéda, d’abord comme lieutenant-gouverneur, et ensuite comme gouverneur-général.

Dans la première session du second parlement provincial, ouverte le 24 janvier 1797, M. J. A. Panet fut de nouveau élu orateur de la chambre d’assemblée.

La résistance offerte à quelques unes des clauses de l’acte des chemins, par des cultivateurs ignorants, qu’on croyait excités par des démagogues, avant alarmé les autorités, la durée du « bill des étrangers » fut étendue, à l’instance du nouveau gouverneur, jusqu’à la fin de la guerre qui régnait alors entre la Grande-Bretagne et la France[17]. À cette première complaisance les deux chambres ajoutèrent celle de passer un « Acte pour la meilleure préservation du gouvernement de sa Majesté, tel qu’heureusement établie en cette province ». L’intitulé aurait dû être, « Acte pour donner au gouverneur et au conseil exécutif de cette province, le pouvoir absolu et discrétionnaire d’arrêter, emprisonner, et retenir en prison, pendant la durée de l’acte, tout individu prévenu de trahison, non-révélation de trahison, sédition, &c ».

On avait cru, ou feint de croire que les refractaires ignorants et égarés, dont nous venons de parler, avaient des chefs, et que ces chefs, ou meneurs, correspondaient, ou se concertaient avec des émissaires français, qu’on disait être nombreux dans la province, ou sur les frontières. Il en était venu un, soit de la part du citoyen Adet, ministre français aux États-Unis, comme il le disait, soit plutôt de son propre mouvement, dans le dessein aussi insensé que coupable de soulever le peuple contre le gouvernement, ou de soustraire les Canadiens à la domination de l’Angleterre. Il s’était imaginé que le pays était rempli de mécontens prêts à se révolter, et il ne trouva, parmi les Canadiens, qu’un seul individu à demi disposé à entrer dans ses vues. Dénoncé par des compatriotes, ou par des Anglais qu’on lui avait donnés comme dignes de sa confiance, David MacLane, marchand américain en déconfiture, et soi-disant colonel dans le service français, fut jugé à la rigueur, comme coupable de haute trahison, nonobstant sa qualité d’étranger. L’acte d’accusation, le choix des jurés, les témoignages, la conviction, le jugement, le châtiment, tout fut extraordinaire. McLane était accusé principalement, d’avoir premièrement, conspiré la mort du roi ; secondement, d’être passé dans le parti des ennemis du roi ; et au moyen de répétitions multipliées, de phrases à peu-près identiques, on avait trouvé sur chacun de ces chefs d’accusation quatorze « actes ouverts », ou non moins de vingt-huit en tout. Tous les jurés sans exception furent des Anglais ; et parmi les témoins à charge, quelques uns avaient été à peu près des complices, ou des approbateurs des desseins de l’accusé. Ces témoins prouvèrent contre lui, non pas peut-être réellement des actes ouverts, ou patents, mais des intentions, des projets insensés, dont aucun n’avait eu même un commencement d’exécution ; et au lieu d’être renfermé dans un hospice d’aliénés, le prétendu colonel français fut déclaré coupable des faits portés à sa charge, et condamné à un supplice digne de la barbarie du moyen âge[18]. Et comme pour ajouter encore à l’extraordinaire, les témoins qui avaient servi à le faire condamner furent jugés dignes de récompense, et gratifiés d’un nombre considérable de milliers d’arpens de terres de la couronne[19].

Le mécontentement causé par l’acte des chemins s’appaisa peu à peu ; mais il surgit, ou plutôt il existait un autre sujet de mécontentement en matière importante. Une partie des membres du conseil exécutif, sous le nom et en qualité de bureau des terres, se rendaient, disait-on, coupables de prévarications qui auraient mérité d’être punies exemplairement. Il est vrai que le mal que les membres de ce bureau étaient accusés de commettre alors dans leur intérêt particulier, pouvait empêcher un mal plus grand encore ; depuis longtems, les marchands et commerçans natifs de la Grande-Bretagne, et particulièrement ceux du nord de ce royaume, avaient pour but d’empêcher que la population canadienne ne pût s’étendre, même dans les parties non concédées des seigneuries, dont par deux fois déjà ils s’étaient efforcés de faire changer la tenure : à plus forte raison n’auraient-ils pas voulu que les Canadiens s’établissent sur des terres situées au-delà des seigneuries, de peur qu’ils n’y portassent leur langue, leur lois et leur religion. Dans leur projet maniaque d’anglification, c’étaient des étrangers qu’ils appellaient de tout leur pouvoir sur ces terres incultes, sans s’embarrasser ni s’enquérir d’où ils venaient ni qui ils étaient, politiquement et moralement parlant, pourvu qu’ils parlassent la langue anglaise, et aimassent, ou feignissent d’aimer les lois anglaises de tenure, &c. Sans tenir moins peut-être aux formes et coutumes anglaises, le bureau des terres ne l’entendait pas tout-à-fait comme les marchands écossais de Québec et de Mont-réal : l’intention du gouvernement de la métropole avait bien été qu’une partie au moins des terres incultes fût vendue ; mais déjà, dans un nombre d’endroits, des gens des États-Unis s’étaient établis sans titres sur ces terres, et y avaient commencé des défrichemens. Quelques uns de ces intrus furent évincés ; d’autres restèrent, mais la plus grande partie des terres de la couronne demeurèrent incultes, par la faute de ceux qui en avaient le maniement. Le général Prescott s’était apperçu de leurs mauvaises manœuvres : il en écrivit en Angleterre ; et il en revint des instructions qui déplurent fort aux membres du bureau des terres, et particulièrement à leur président, le juge en chef Osgoode. Les autres membres du conseil prirent parti pour leurs collègues ; le corps entier s’opposa à la publication des nouvelles instructions.

Quoique comme homme intègre et ennemi de l’iniquité, le gouverneur Prescott dût désapprouver le conseil exécutif, au sujet des terres incultes, il ne s’en croyait pas moins obligé de penser et d’agir, à l’exemple du roi, en bon protestant : ce fut, dit-on, par son influence, qu’une requête d’un nombre de catholiques, demandant l’augmentation du nombre des paroisses, fut mal accueillie. Le besoin de nouvelles églises se faisait sentir de plus en plus : la chambre d’assemblée joignit, mais inutilement, ses efforts à ceux du clergé et du peuple, pour obtenir l’érection légale de nouvelles paroisses ; et l’évêque de Québec fut contraint de recourir à la création de missions dans les endroits éloignés. Cette opposition, anglaise ou protestante, doit paraître bien extraordinaire, en face de l’ordonnance de 1791, au sujet de l’érection des paroisses, &c. ; mais peut-être était-ce alors qu’on prétendait que cette ordonnance était « nulle », par la raison transcendante qu’elle est « contraire aux statuts de la 26ème de Henry VIII, chap. 1, et de la 1ère d’Elizabeth, chap. 1 ».

Quoiqu’il en soit, la discorde éclatant de plus en plus, entre le gouverneur et le juge en chef, il furent tous deux rappellés, ou crurent devoir passer en Angleterre, et les rênes de l’administration tombèrent aux mains du chevalier Robert Shore Milnes, nommé lieutenant-gouverneur.

Les sessions législatives de 1798 et 1799 n’avaient rien offert de bien intéressant : l’acte « pour la meilleure préservation du gouvernement de sa Majesté » avait été continué dans la dernière, et le lieutenant-gouverneur en avait pris occasion de dire, « que la tranquillité qui régnait dans la province, donnait lieu d’espérer que l’on ne serait pas obligé de faire usage des pouvoirs extraordinaires donnés au gouvernement ».

La quatrième session du second parlement fut ouverte le 5 mars 1800. Le P. Jean Joseph Casot, le dernier des jésuites canadiens, étant mort, le 10 de ce mois, la chambre d’assemblée en prit occasion de présenter au lieutenant-gouverneur une adresse, où elle le priait de faire mettre devant elle certains documens propres à faciliter une enquête sur les droits et titres qu’avait la province au collége des jésuites, converti en casernes, et aux biens de l’ordre, octroyés primitivement dans la vue de l’éducation de la jeunesse canadienne.

La réponse de Sir R. S. Milnes fut « qu’en conséquence de la représentation de la première chambre d’assemblée, du 11 avril 1793, les réclamations de la province avaient été prises en considération par le roi, en son conseil, et que le résultat avait été l’ordre de prendre possession de ces biens pour la couronne ; que si, après cette déclaration, la chambre jugeait à propos de faire des recherches, ou de prendre des renseignemens, elle aurait accès aux documens demandés ; mais qu’en insistant sur le sujet, elle pourrait sembler se départir du respect qu’elle avait toujours montré pour les décisions de sa Majesté, dans des matières liées avec ses prérogatives. »

La chambre n’insista pus, mais arrêta, ou conclut « qu’elle devait remettre à un temps futur la recherche des droits et prétentions que cette province pouvait avoir sur le collége et les biens des jésuites ».

Les élections générales, qui eurent lieu, dans le cours de l’été, portèrent à la chambre d’assemblée quatre conseillers exécutifs, trois juges des cours du banc du roi, et trois autres employés du gouvernement. Le nombre des membres anglais fut de quatorze, et parmi les Canadiens élus dans les campagnes, il y en eut, a-t-on dit, deux ou trois qui ne savaient ni lire ni écrire. Il n’était guère possible d’attendre d’une assemblée ainsi composée la meilleure législation du monde ; aussi y fut-il adopté ou proposé, dès la première session, des mesures d’une politique plus que douteuse ; entre autres, l’acte « pour expliquer et amender la loi concernant les testamens », &c., et, d’après l’opinion canadienne généralement, le bill des « écoles gratuites ». L’acte « pour abroger le jugement que la loi enjoignait de prononcer contre les femmes convaincues de certains crimes (la haute trahison et la petite trahison), et pour y substituer un autre jugement », laisse la loi en question beaucoup en arrière de l’esprit du temps et des mœurs du pays. Il est peu nécessaire d’ajouter que l’assemblée ne fut pas moins que le conseil, persuadée, « qu’il était expédient et nécessaire que l’acte « pour la meilleure préservation du gouvernement de sa Majesté », fût encore continué. »

Dans cette première session de notre troisième parlement, la chambre haute et la chambre basse se montrèrent si peu jalouses d’exercer exclusivement le pouvoir législatif, que dans l’acte « pour amender certaines formes de procéder dans les cours de juridiction civile », &c., il est statué « que les différentes cours de judicature civile du Bas-Canada auront pouvoir et autorité de faire et dresser telles règles et (tels) ordres pour la pratique dans les dites cours civiles, concernant tous service, procédures, &c., tant dans les termes que hors des termes, &c., et que les cours de judicature, civiles et criminelles, auront pouvoir et autorité de faire, dans leurs juridictions, un tarif d’honoraires pour les officiers des dites cours, lequel tarif les dites cours pourront changer et corriger toutes les fois qu’il sera nécessaire », &c.

Dans la dernière session du précédent parlement, Charles Baptiste Bouc, un des membres pour le comté d’Effingham (Terrebonne), avait été expulsé de l’assemblée, en conséquence de ce qu’il avait été convaincu, au banc du roi de Mont-réal, d’une transaction mercantile entachée de fraude. Il avait été réélu, et il fut encore expulsé dans la première session du troisième parlement. Il fut encore réélu, soit que les électeurs d’Effingham crussent qu’il avait été condamné à tort, soit qu’ils voulussent user pleinement du droit de bien ou mal choisir. Ne voulant pas convenir qu’elle avait eu tort, en réexpulsant C. B. Bouc, et prévoyant qu’une nouvelle réexpulsion serait suivie d’une nouvelle réélection, la chambre d’assemblée crut devoir recourir, dans la seconde session, à l’expédient d’un projet de loi « pour disqualifier Charles Baptiste Bouc, et l’empêcher d’être élu », &c. Le conseil accueillit le projet, et le lieutenant-gouverneur le sanctionna.

Le renouvellement de la guerre entre la Grande-Bretagne et la France, donna au commerce du Canada une activité extraordinaire, surtout pour les grains, la potasse et les bois de construction. Depuis longtems, il se construisait à Québec un nombre de bâtimens marchands : la construction acquit de l’accroissement, à ce port, et fut commencée à Mont-réal, vers 1803. Mais, à l’exception de la vente des grains, la population canadienne se ressentait peu de ce surcroît de prospérité commerciale ; et déjà elle avait à se plaindre de griefs présents, ou en perspective : la composition du conseil législatif empirait, loin de s’améliorer ; les biens des jésuites étaient détournés de leur destination primitive ; les terres incultes, qui, sous le gouvernement français, auraient été concédées pour l’extension de la population du pays, semblaient être exclusivement réservées à des émigrans des Îles Britanniques et des États-Unis ; le gouvernement se montrait opposé à l’érection de nouvelles paroisses et à la construction de nouvelles églises pour les catholiques ; le conseil exécutif se remplissait de plus en plus d’hommes nés hors du pays, et presque tous les emplois importants de la province étaient entre les mains d'Anglais ou de loyalistes américains ; les membres anglais de l’assemblée renouvellaient leurs tentatives pour changer les tenures du pays, et ne cachaient pas le dessein de faire porter à l’agriculture à peu près toutes les dépenses de la province, au moyen de taxes sur les biens-fonds[20].

Sir R. S. Milnes étant passé en Angleterre, vers l’automne de 1805, l’honorable Thomas Dunn, doyen des conseillers exécutifs, prit les rênes de l’administration, sous le titre de président.

Il n’y avait rien eu de bien remarquable dans la première session du quatrième parlement, si ce n’est le refus du lieutenant-gouverneur d’inclure dans les dépenses contingentes de la chambre d’assemblée la somme de vingt-cinq livres du cours du pays, pour l’impression d’une table des matières de ce qu’on appellait en latin barbare lex parliamentaria[21], comme étant, selon son Excellence, une dépense non prévue par la législature ; si ce n’est encore la grande différence d’opinion entre la majorité canadienne et la minorité anglaise, au sujet des taxes à imposer pour augmenter le revenu provincial. À un diner donné à Mont-réal, vers la fin de mars 1805, en l’honneur des membres qui avaient voté, ou parlé, selon ce qu’on appellait le principe anglais de taxation, il avait été porté des toasts, ou santés, qui pouvaient être regardés comme blâmant indirectement la majorité de la chambre d’assemblée[22]. Ces santés avaient été publiées dans la Gazette de Mont-réal, après la prorogation du parlement. Elles n’en furent pas moins prises en considération dans la session suivante, ouverte le 20 février 1806. Le 7 mars, M. Bedard, secondé par M. Bourdages, fait motion qu’il soit résolu (arrêté ou conclut,)[23] que la dite gazette « contient un libelle faux, scandaleux et séditieux, grandement injurieux au représentant de sa Majesté, en cette province, ainsi qu’aux deux chambres de la législature, et tendant à diminuer l’affection des sujets de sa Majesté pour son gouvernement ».

C’était bien, de la part de l’assemblée, tirer un coup de canon pour répondre à un coup de pétard ; et puis elle aurait pu se dispenser de prendre si hautement les intérêts du gouverneur, et surtout du conseil législatif, dont la plupart des membres ne pensaient pas autrement que les particuliers dont les procédés avaient excité son grand courroux, et qui probablement rirent sous cap d’une défense si peu attendue, ou lui dirent du fond du cœur : Non tali auxilio, nec defensoribus istis egemus. Malheureusement, l’élection générale de 1804 avait fait entrer dans le quatrième parlement, des hommes d’une humeur impatiente et brusque, d’un caractère violent et vindicatif : à ceux-là une défense officieuse d’autrui n’était pas tout ce qu’il fallait. Le 11 (mars), il fut « résolu que Thomas Cary, éditeur du papier-nouvelles intitulé, The Quebec Mercury (établi en 1804[24]), pour avoir entrepris, dans sa feuille d’hier, de rendre compte des procédés de cette chambre, soit pris en la garde du sergent d’armes[25]. » Il n’en coûta pourtant à M. Cary qu’une « humble requête », où « il regrettait d’avoir, contre son intention, offensé la chambre », pour qu’elle ne procédât pas ultérieurement. Mais, le 15, M. Todd, président du banquet où avaient été portées les santés offensantes, et M. Edward Edwards, éditeur de la Gazette de Montréal, furent déclarés coupables d’une « haute (ou grande) infraction des priviléges de la chambre », et il fut ordonné qu’ils fussent « pris en la garde du sergent d’armes » ; mais M. Todd étant passé aux États-Unis, l’affaire n’alla pas plus loin.

La liberté de la presse avait été jusqu’alors inconnue en Canada[26] : la majorité de l’assemblée la voyant diriger contre elle ses premiers traits, crut qu’il lui était permis de la réprimer, d’autant plus que ce n’est pas un droit prévu par la constitution d’Angleterre, mais seulement une chose passée en usage. Il aurait été aisé de prévoir pourtant que cet usage prévaudrait, tôt ou tard, en Canada, et en sévissant contre les journalistes anglais, la chambre d’assemblée aurait dû savoir qu’elle augmentait plus qu’inutilement le nombre de ses ennemis, ou les animait davantage contre elle. En effet, dès que le parlement eut été prorogé, on vit paraître, dans le Mercury, des écrits multipliés contre la violence, l’inconséquence et l’inconstitutionalité des procédés de la chambre d’assemblée. Ce qui ne s’était dit que tout bas contre la langue, les lois, les usages, les préjugés des Canadiens, fut dit tout haut, publié et répandu dans toute la province.

Mais si l’attitude vindicative, prise par la chambre d’assemblée, donna lieu aux diatribes du Mercury, à leur tour, ces diatribes donnèrent naissance au journal intitulé, Le Canadien, établi pour y répondre, cette même année 1806, par ceux des membres de l’assemblée qui se croyaient plus particulièrement en butte aux traits du journaliste anglais[27] ; et c’est alors qu’on vit le journalisme prendre l’essor, et commencer à changer, jusqu’à un certain point, l’état moral et politique de la société canadienne.

Le chevalier James Henry Craig, nommé gouverneur, ou capitaine-général de l’Amérique britannique du Nord, arriva à Québec, le 21 octobre 1807.

Cependant, l’embargo mis par le gouvernement des États-Unis sur les vaisseaux de la nation, et la défense de communiquer par terre, ou par eau, avec le Canada, et les autres provinces britanniques, donna lieu à un commerce interlope étendu, entre les marchands des états limitrophes et ceux de Mont-réal particulièrement, ainsi qu’à une grande affluence de citoyens américains. Ceux-ci ne furent pas plutôt en nombre dans le pays, qu’ils voulurent y agir en maîtres, ou du moins en contrôleurs et correcteurs des usages qu’ils y trouvaient établis. Ils établirent, à Mont-réal, une nouvelle gazette, sous le titre de Canadian Courant, et ils y remarquèrent « que les chemins étaient en mauvais état, qu’on ne trouvait pas dans les auberges tout ce qu’on aurait pu désirer ; que des moyens commodes de transport manquaient pour les marchandises qu’ils avaient à faire venir (en contrebande) des États-Unis » ; et puis, la langue française, les lois françaises, la tenure des terres, &c, « étaient pour ces messieurs de graves inconvéniens, comme faisant contraste avec ce qui existait dans leur pays », &c. ; « et, ajoute un écrivain anglais, ces discussions ne pouvaient pas manquer d’avoir de l’influence sur le nouveau gouverneur-général et sur son conseil exécutif » ; c’est-à-dire, de les prévenir contre les Canadiens.

Dans la session ouverte le 29 janvier 1808, l’assemblée adopta un projet de loi pour rendre les juges inhabiles à siéger et voter dans cette chambre. Ce procédé n’était pas inconstitutionnel, comme le prétendirent quelques écrivains passionnés ou prévenus ; mais exclure un membre de l’assemblée à cause de sa religion, et par un simple vote, c’était une mesure, non seulement inconstitutionnelle, mais encore impolitique, inconséquente, sentant des préjugés surannés, et un esprit d’intolérance qui n’était plus de l’époque, et qui ne devait pas se montrer en Canada ; et cependant, il fut arrêté, à une majorité de 21 contre cinq, « qu’Ezechiel Hart, écuyer, professant la religion judaïque, ne pouvait ni siéger ni voter dans cette chambre ». Plusieurs furent, à tort ou à droit, persuadés que les opinions politiques de M. Hart, bien plus que sa religion, occasionnèrent cette démarche extraordinaire.

Il convenait d’autant plus à la chambre d’assemblée de se garder de tout procédé inconstitutionnel, ou sentant la violence, que le gouvernement du Canada était alors une espèce d’oligarchie, vis-à-vis de laquelle l’amour du bien public lui dictait de se tenir toujours dans son droit. Cette oligarchie se composait du conseil exécutif, de la majorité du conseil législatif, des juges et des officiers de la couronne qui avaient obtenu des siéges dans la chambre d’assemblée. Elle était soutenue généralement, ou du moins n’était pas combattue par les marchands et autres habitans de naissance ou d’origine britannique[28] ; non pas, peut-être, parce qu’ils la trouvaient excellente, mais parce qu’ils la croyaient disposée à opérer les changemens qu’ils désiraient ; à rendre « la colonie anglaise de fait, comme elle l’était de nom », ou, en d’autres termes, à tout bouleverser dans le pays, pour leur intérêt particulier, bien ou mal entendu. À cet état menaçant devait être ajoutée l’arrivée d’un gouverneur prévenu, ou apte à se laisser prévenir en faveur des gens de sa langue et de sa religion, et disposé à tout croire au désavantage de ceux qu’on lui donnerrait comme leurs adversaires politiques. En effet, Sir J. H. Craig ne tarda pas à « appeller sous ses drapeaux les habitans d’origine anglaise, comme étant le moyen le plus efficace de préserver l’ascendant britannique » ; et bientôt après, (pour anticiper un peu sur l’époque), il devint à peu près chef de parti. Dans de telles circonstances, la ligne de conduite tracée à l’assemblée, devenue l’unique sauve-garde des institutions, de la langue et des lois des Canadiens, était la prudence jointe à l’énergie, et surtout le soin de ne dévier en rien des usages parlementaires, que, dès la première session du premier parlement, elle avait adoptés pour règles de sa conduite, afin, comme nous venons de le dire, d’être toujours, en apparence comme en réalité, dans le droit chemin. Malheureusement, la violence, ou l’impatience de quelques membres influents ne leur permit pas de réfléchir, ou de comprendre, que l’oubli des formes reçues peut paraître mettre la partie adverse dans un droit qu’on ne lui accorderait pas volontiers ; malheureusement encore, ils avaient affaire à un homme tout disposé à se prévaloir de leurs écarts, et déterminé à avoir constamment le dessus.

Le nouveau gouverneur ne tarda pas à montrer, selon les uns, l’énergie, selon les autres, la violence de son caractère. Lors des élections générales, au mois de juin, M. J. A. Panet fut rejetté par les électeurs de Québec, en conséquence, pensa-t-on, des intrigues que le gouvernement avait fait jouer contre lui. La chose fut commentée et fortement réprouvée dans le Canadien[29] ; et bientôt après, M. Panet, regardé comme un des propriétaires de ce journal, fut dépouillé de son grade de lieutenant-colonel de milice. D’autres officiers de milice[30] furent pareillement destitués, soit comme étant intéressés dans la publication du Canadien, soit comme ayant agi, dans les élections, en faveur de candidats qui ne plaisaient pas au gouverneur.

Mais si Sir J. H. Craig s’était montré vindicatif ou haineux, quelques uns des membres de l’assemblée ne lui en voulurent point céder, sous ce rapport : ils étaient persuadés que le gouverneur n’avait pas agi comme il avait fait, sans quelque consultation préalable, et ils attribuaient à M. de Bonne sa part, et probablement plus que sa part, à l’avis que son Excellence avait suivi, outre qu’il ne votait pas ordinairement dans leur sens : aussi résolurent-ils de l’expulser, non pas cette fois régulièrement, au moyen d’un bill à cet effet, mais en résolvant, ou arrêtant tout simplement, par l’entremise de M. Bourdages, secondé par M. Roy-Portelance, « que les juges de cette province, conformément aux lois et coutumes du parlement, ne peuvent ni siéger ni voter dans cette chambre ». C’était une découverte un peu tardive, puisque les quatre premiers parlemens provinciaux ne l’avaient pas faite. On aurait pu d’ailleurs répondre à MM. Bourdages et Portelance, qu’il n’était pas d’une absolue nécessité que tous les usages de l’Angleterre fussent suivis en Canada ; surtout que l’inhabilité des juges à siéger dans l’assemblée n’étant pas prévue par l’acte constitutionnel, elle ne pouvait être prescrite que par une disposition législative. C’est ce que la majorité de l’assemblée parut sentir, cette fois, car la considération de la proposition de M. Bourdages fut remise au 31 juillet, c’est-à-dire, à une époque où le parlement vaquerait[31].

M. Ezechiel Hart, qui, malgré son expulsion, avait été réélu par le bourg des Trois-Rivières, fut réexpulsé aussi sommairement que la première fois.

Outre les mesures violentes effectuées, ou tentées dans l’assemblée, il y eut, dans le cours de la session, de longues discussions, des débats animés, des discours passionnés, des attaques directes ou indirectes contre les autres branches de la législature ; enfin, une grande perte de temps. S’il n’y avait pas pour cette chambre une obligation stricte de ménager l’oligarchie exécutive, il était au moins de la bonne politique, dans l’intérêt du peuple, de ne pas irriter le chef de l’administration, et elle l’irrita grandement, comme il parut par les reproches qu’il lui adressa, en terminant la session. Il dit, entre autres choses, aux membres de l’assemblée :

« J’attendais de vous, que guidés par des principes de modération et de prudence, vous feriez un sacrifice généreux de toutes animosités personnelles, et de tous mécontentemens particuliers ; que vous porteriez une attention vigilante aux intérêts de votre pays, et que vous persévéreriez inébranlablement à remplir vos devoirs publics avec zèle et diligence ; j’attendais de vous des efforts consciencieux pour faire régner la concorde dans la province, et une sérieuse retenue sur tout ce qui pourrait tendre à la troubler ; je m’attendais que vous observeriez tous les égards qui sont dûs, et par là même indispensables envers les autres branches de la législature, et que vous coopéreriez avez promptitude et cordialité à tout ce qui pourrait contribuer au bonheur de la colonie. J’avais droit de m’attendre à cette conduite de votre part, parce qu’elle vous était dictée par votre devoir constitutionnel, et qu’elle aurait fourni un témoignage assuré de votre loyauté, et de l’attachement que vous professez pour le gouvernement de sa Majesté ; parce qu’elle était particulièrement exigée par la conjoncture critique du moment, et surtout par la situation précaire dans laquelle nous nous trouvons vis-à-vis des États-Unis : je regrette d’avoir à ajouter que j’ai été trompé dans toutes ces attentes, et dans toutes les espérances que j’avais conçues. Vous avez consommé dans des débats infructueux provoqués par des animosités particulières et personnelles, ou par des contestations frivoles sur des objets futiles de pure formalité, un temps et des talens, auxquels, dans l’enceinte de vos murs, le public a un titre exclusif. Cet abus de vos fonctions, vous l’avez préféré aux devoirs élevés et importants auxquels vous êtes obligés envers votre souverain et vos constituans ; et par là, vous vous êtes mis dans la nécessité de négliger des affaires d’importance et d’obligation, et d’empêcher que d’autres ne vous fussent soumises. S’il fallait d’autres preuves de cet abus de votre temps, je viens d’en donner une, en ce que je n’ai eu l’occasion d’exercer la prérogative royale que pour cinq bills[32], après une session de pareil nombre de semaines… Vous avez manifesté, dans tous vos procédés, une violence si peu mesurée, et montré un défaut d’attention si prolongé et si peu respectueux envers les autres branches de la législature, que quelque modération et quelque indulgence qu’on leur suppose, je ne peux compter sur une bonne intelligence générale sans avoir recours à une nouvelle assemblée. »

Dans la partie de son discours adressée aux deux chambres, Sir James Craig dit qu’il est entré dans ces détails (et autres que nous omettons), dans la vue de prévenir de fausses représentations, et de mettre le peuple à même de juger des raisons qui lui ont été fournies pour la conduite qu’il a adoptée. « La tâche, ajoute-t-il, m’en a été pénible au plus haut degré, et je m’en détourne avec une satisfaction particulière, pour vous offrir, messieurs du conseil législatif, la reconnaissance qui vous est dûe, pour l’unanimité, le zèle et l’attention continuelle que vous avez montrés dans vos procédés : ce n’est point à vous qu’il faut attribuer qu’il ait été si peu fait pour le bien public. Mes remercîmens sont également dûs à une partie considérable de la chambre d’assemblée », &c.

Nous ne saurions dire si, généralement parlant, une autorité à laquelle on n’avait jamais nié le droit de louer, n’avait pas aussi celui de blâmer : mais si, après avoir tant fait dans un sens, et si peu dans l’autre, la chambre d’assemblée ne devait pas attendre du gouverneur les louanges accoutumées, elle en attendait encore moins sans doute une aussi longue et aussi sévère mercuriale. Nous pensons qu’en effet, Sir James Craig passa de beaucoup les bornes de la modération qu’il se plaint de n’avoir pas trouvée chez les représentans du peuple, et qu’il manqua grandement aux formes parlementaires, en remerciant la minorité de l’assemblée, après avoir censuré sa majorité.

Cette majorité n’avait plus la parole pour répliquer de vive-voix et sur-le-champ ; mais elle avait un journal à sa disposition ; le discours du gouverneur fut commenté, critiqué, et amèrement censuré dans les colonnes du Canadien : écrits violents, sarcasmes, épigrammes, rien ne fut épargné pour faire paraître la conduite de son Excellence despotique ou ridicule. La hardiesse, la violence du journal, qui d’abord étonna ses abonnés, finit par persuader aux électeurs que c’étaient les membres de la majorité de l’assemblée, et non le gouverneur, qui avaient eu raison, et la plupart furent réélus[33].

Dans sa harangue d’ouverture, le 29 janvier 1810, Sir James Craig annonça aux deux chambres, que, d’après les instructions qu’il avait reçues d’Angleterre, il donnerait l’assentiment royal à un bill passé par les deux chambres, pour rendre les juges inhabiles à siéger dans l’assemblée.

Cette dernière chambre avait à cœur la réprimande que sa devanciére avait reçue, dans la dernière session, et elle n’eut rien de plus pressé que de résoudre, « Que toute tentative de la part du gouverneur, ou des autres branches de la législature, soit de dicter, soit de censurer ses procédés, surtout en approuvant la conduite d’une partie de ses membres, et en blâmant celle des autres, était une violation du statut par lequel cette chambre est constituée[34], une infraction des priviléges de cette chambre, contre laquelle elle ne pouvait se dispenser de protester, et une atteinte dangereuse aux droits et libertés des sujets canadiens de sa majesté. »

La chambre s’occupa ensuite des affaires financières de la province, ou de la liste civile ; et après de longues discussions et une forte opposition, elle en vint à la conclusion que la province était en état de payer toutes les dépenses de son gouvernement, et qu’elle se chargerait volontiers de les payer. Elle rédigea, en conséquence, trois adresses, l’une au roi, la seconde à la chambre des lords, et la troisième à la chambre des communes, et pria, par adresse, le gouverneur de les vouloir bien faire parvenir à leur destination. La demande parut au gouverneur nouvelle et extraordinaire : il fit observer à la chambre, que l’usage du parlement n’autorisait pas le peuple, ou une branche de la législature, à faire des offres de deniers sans le concours des autres branches ; ou même que la coutume du parlement n’était pas d’offrir de lui-même de l’argent au gouvernement, mais d’attendre qu’il lui en demandât. Il promit pourtant de transmettre l’adresse au roi, dans laquelle il était dit, entre autres choses : « Qu’il nous soit permis d’exprimer à votre Majesté la vive reconnaissance que nous inspire le souvenir de ses bienfaits, et la vue de l’état de prospérité auquel s’est élevée cette province, sous le gouvernement paternel de votre Majesté, et sous la constitution heureuse que nous tenons de votre libéralité et de celle de votre parlement. Cet état de prospérité est devenu tel, qu’il nous a rendus capables de nous charger, dans cette session de notre législature, des dépenses civiles de notre gouvernement, jusqu’ici soutenu, en grande partie, par votre Majesté ; et cet effet de notre prospérité nous cause une satisfaction d’autant plus grande, que votre peuple de la Grande-Bretagne est chargé, depuis tant d’années, des frais d’une guerre dispendieuse, pour la protection de toutes les parties de votre vaste empire. Dans ces circonstances, votre peuple du Bas-Canada s’estime heureux d’avoir pu s’acquitter d’une obligation que lui imposaient le devoir et la reconnaissance. »

Nous ne saurions dire si la chambre d’assemblée était consciencieusement autorisée à agir de la sorte, sans avoir consulté ses constituans, aux dépens desquels elle voulait se montrer ainsi reconnaissante et généreuse. Ce que nous savons, ou plutôt, ce que nous voyons, c’est que la mauvaise rédaction, la gaucherie de son adresse au roi, ne parlait pas beaucoup en faveur de ses talens littéraires ou diplomatiques. Sa reconnaissance pour la manière paternelle dont le gouvernement du roi était administré dans la province, et la prospérité extraordinaire qui en était résultée, étaient en contradiction manifeste avec le mésaccord marqué qui venait d’éclater entre elle et ce gouvernement, et qu’elle était disposée à augmenter encore[35] : cet état de prospérité extraordinaire, et l’infinie satisfaction qu’il causait à l’assemblée, n’étaient nullement en harmonie avec les diatribes de son journal contre la conduite du gouverneur ; avec les cris incessants de ce journal contre tous les fonctionnaires publics, les gens en place ; avec les discours que, l’été précédent, les candidats populaires avaient adressés à leurs électeurs. Le temps de l’irritation est-il ordinairement celui de la reconnaissance, ou d’une générosité spontannée et désintéressée ? Le moins que nous puissions dire de la demande de l’assemblée, c’est qu’elle fut faite en temps inopportun, ou prématurément ; et c’est ainsi qu’on en jugea en Angleterre. On y vit un but ultérieur, un dessein qu’on n’était pas alors disposé à favoriser, celui de contrôler tout le revenu de la province, y comprise la partie qui était appropriée pour le soutien de l’administration du gouvernement et de la justice, et qui tenait lieu de liste civile.

Une tentative que fit l’assemblée pour avoir un agent en Angleterre ne réussit pas. Un agent de la chambre d’assemblée seule ne pouvait être payé sur le revenu provincial ; et un agent de la province ne pouvait être nommé et reconnu sans le concours des trois branches de la législature.

Cependant un bill pour rendre les juges inhabiles à siéger dans l’assemblée fut passé par cette chambre, et envoyé au conseil. Cette dernière chambre l’amenda, en y introduisant une clause, en vertu de laquelle il ne devait être en force que pour le prochain parlement[36]. Quelques uns des membres influents de l’assemblée n’étaient pas d’humeur à patienter si longtems, et ils purent, cette fois, amener la majorité à prendre la résolution brusque et désespérée d’expulser, par un simple vote, ou une simple résolution, M. de Bonne, le seul juge qu’il y eût alors dans son sein, et son siège fut déclaré vacant.

Par ce procédé arbitraire et violent, on mettait les affaires de la province dans un état critique, et en perdant de vue la maxime, salus populi suprema lex esto, on courait le risque de diminuer de beaucoup la prospérité nécessaire aux dépenses extraordinaires qu’on voulait encourir : on mettait surtout le gouverneur dans un étrange embarras : en acquiesçant à la résolution de la chambre, il descendait de la position élevée où il s’était placé, et tombait dans l’inconséquence ; en recourant à une nouvelle dissolution, il risquait d’augmenter le mécontentement, ou plutôt, de diminuer la grande satisfaction que causait à la majorité de l’assemblée sa paternelle administration.

Il crut devoir prendre le dernier parti ; et le 26 mars, après avoir donné la sanction royale au bill « pour régler le commerce avec les États-Unis », et à l’acte renouvellé « pour la meilleure préservation du gouvernement de sa Majesté », il dit, entre autres choses :

« La chambre d’assemblée a pris sur elle, sans la participation des autres branches de la législature, de décider qu’un juge ne peut ni siéger ni voter dans la chambre… Je ne puis regarder ce procédé que comme une violation directe d’un acte du gouvernement impérial ; de ce parlement qui vous a conféré la constitution à laquelle vous avouez devoir votre prospérité actuelle. Je ne puis regarder la chambre d’assemblée que comme ayant inconstitutionnellement privé de leur franchise élective un grand nombre de sujets de sa Majesté, et rendu inéligible, par une autorité qu’elle ne possède pas, une autre classe assez considérable de la société… En conséquence de l’exclusion d’un membre pour le comté de Québec, on a déclaré une vacance dans la représentation de ce comté, et il serait nécessaire qu’il fût émané un nouveau writ (ou ordre) pour l’élection d’un membre ; ce writ doit être signé par moi : messieurs, je ne puis, je n’ôse me rendre participant de la violation d’un acte du parlement, et je ne vois d’autre moyen par lequel je puisse éviter de le devenir, que celui que je prends », (la dissolution de la chambre d’assemblée).

La conduite du gouverneur fut envisagée et jugée diversement ; les uns pensant qu’il n’avait pu agir autrement qu’il n’avait fait, et les autres attribuant sa dernière démarche aux instigations de ses conseillers. Des adresses approbatrices, préparées par des agens, ou des partisans de l’administration, lui furent envoyées de différents endroits, particulièrement des villes de Québec, de Montréal, des Trois-Rivières et de Sorel, et des comtés de Québec, de Warwick (Berthier), et d’Orléans. D’un autre côté, les membres influents de l’assemblée ne s’oublièrent pas, ou ne furent pas oubliés par leurs amis : des écrits violents, des critiques amères des remarques sarcastiques et réprobatrices de la conduite du gouverneur, plurent, pour ainsi dire, et plus abondamment que jamais, dans le Canadien. Quoique ce ne fût que la liberté de la presse dégénérant peut-être en licence, ou portée trop loin dans les circonstances, les conseillers exécutifs y virent, ou feignirent d’y voir des plans, ou des préparatifs de cabales séditieuses, ou même de rebellion et d’insurrection : ils allèrent jusqu’à insinuer qu’il y avait correspondance entre le ministre français aux États-Unis et les mécontens canadiens. Bientôt, le bruit courut dans Québec que la correspondance avait été interceptée par des agens du gouvernement. Le gouverneur devait connaître la fausseté de cette dernière rumeur : pouvait-il ajouter foi aux autres ? Il paraît certain qu’elles furent attribuées d’abord, dans le public, à un aveugle esprit de parti, et ensuite à d’indignes et coupables inventions, pour préparer les esprits à l’espèce de coup d’état qui allait avoir lieu.

Le 17 mars, un parti de soldats, ayant à leur tête un juge de paix et deux constables (officiers de paix), se rendirent, sous la sanction du gouvernement, à l’imprimerie du Canadien ; s’y emparèrent forcément de la presse, des caractères, et des papiers trouvés dans le bureau, et firent porter le tout dans les voutes du palais de justice. L’imprimeur, M. Lefrançois, fut arrête, et après interrogatoire, emprisonné. Pour que cet acte de despotisme fût coloré d’un prétexte plausible, les gardes des différentes portes furent renforcées ; des patrouilles parcoururent la ville dans tous les sens, comme si l’on se fût attendu à un soulèvement immédiat de la population. Cette population, loin de songer à se soulever, devait être fort étonnée et comme stupéfaite, en voyant ce qui se passait sous ses yeux ; ne savoir que penser des bruits de complots et de conspirations qu’on persévérait à faire courir, et s’attendre à d’importantes révélations.

Pendant trois jours, des magistrats furent occupés à examiner les papiers trouvés au bureau du Canadien ; et puis, comme si ces papiers eussent contenu une correspondance criminelle, des projets de trahison, de révolte, &c., trois des propriétaires ou correspondans du journal, MM. P. Bedard, F. Blanchet, et J. T. Taschereau, furent appréhendés, en vertu d’un ordre signé par trois conseillers exécutifs, et incarcérés. Trois citoyens du district de Mont-réal furent aussi emprisonnés, comme prévenus de pratiques sentant la trahison[37]. L’arrestation de quelques autres citoyens notables de Mont-réal, avait été ordonnée aux conseillers exécutifs de l’endroit, ou par eux projettée ; mais elle n’eût pas lieu[38].

Si les rédacteurs, ou les correspondans du Canadien avaient abusé de la liberté de la presse, le gouverneur, dans une proclamation publiée deux jours après l’emprisonnement de MM. Bedard, Taschereau et Blanchet, dépassait de beaucoup les bornes de la modération, et à des plaintes peut-être fondées, mêlait des accusations entachées de fausseté.

« Vu, dit, entre autres choses, Sir James Craig, dans cette proclamation, qu’il a été publié et dispersé des écrits méchants, séditieux et traîtres, faits pour séduire les bons sujets de sa Majesté, pour remplir les esprits de défiance et de jalousie contre son gouvernement ; pour détourner leurs affections de sa personne sacrée, et pour faire mépriser et vilipender l’administration de la justice et du gouvernement de ce pays ; et vu que pour accomplir ces desseins méchants et traîtres, leurs auteurs et fauteurs ne se font pas de scrupule d’avancer avec audace les faussetés les plus grossières et les plus effrontées, tandis que l’industrie qui a été employée à les disperser et à les répandre à grands frais, dont la source n’est pas connue[39], fait voir évidemment la persévérance et l’implacabilité avec lesquelles ils se proposent de venir à bout de leur dessein ;… et vu qu’il m’a été impossible de passer plus longtems sous silence, ou de souffrir des pratiques qui tendent si directement à renverser le gouvernement du roi, et à détruire le bonheur du peuple[40], j’annonce qu’avec l’avis et le concours du conseil exécutif, il a été pris des mesures pour y mettre fin,… et qu’il a été émané des warrants, (ou prises-de-corps) tels qu’autorisés par la loi[41], en vertu desquels quelques uns des auteurs, imprimeurs et éditeurs des écrits susdits ont été arrêtés. »

Après s’être étendu sur la bienveillance de la métropole envers la colonie, et sur les bruits, « les faussetés les plus basses et les plus noires », qu’il dit avoir été insidieusement publiés et répandus sur son compte, il apostrophe ainsi ceux qu’il suppose en être les auteurs : « Vils et téméraires fabricateurs de faussetés, sur quelle partie, ou sur quelle action de ma vie fondez-vous l’assertion que je veux opprimer vos compatriotes ? Canadiens, rapportez-vous en à ceux que vous consultiez autrefois avec attention et respect, aux chefs de votre église, qui ont occasion de me connaître : ce sont là des hommes d’honneur et de connaissances ; ce sont là des hommes à qui vous devriez demander des renseignemens et des avis : les chefs de factions, les démagogues de partis, ne me voient point, et ne peuvent me connaître. »

Après de longues remarques sur ses intentions et ses démarches, le gouverneur requiert de toutes les personnes bien disposées, et particulièrement des curés et ministres de la religion, de faire « les plus grands efforts pour empêcher les mauvais effets des actes incendiaires et traîtres », dont il a parlé ; et il enjoint strictement à « tous magistrats, capitaines de milice, officiers de paix, et autres bons sujets de sa Majesté, de chercher diligemment à découvrir, tant les auteurs que les éditeurs et disséminateurs d’écrits méchants, séditieux et traîtres, et de nouvelles fausses, tendant à enflammer les esprits et à troubler la paix et la tranquillité publique ».

Si les écrivains du Canadien avaient été « industrieux » pour disséminer leurs productions, Sir James Craig ne le fut pas moins pour répandre partout sa longue et fulminante proclamation : des messagers furent envoyés dans tous les coins de la province, pour en distribuer des exemplaires ; « et, dit M. Robert Christie[42], le bruit d’une insurrection et d’une rebellion se répandit au-dehors, et fut répété par le Monde, à une époque qui ne fournit pas un exemple unique du procès, encore moins de la condamnation d’un seul habitant de la colonie, comme coupable de trahison ou de sédition. »

D’après le désir du gouverneur, la proclamation fut lue, en quelques endroits, dans l’église, pendant le service divin ; en d’autres, à la porte de l’église, à l’issue de ce service. À Québec, l’évêque prononça un discours éloquent, dans lequel, après avoir parlé de la loyauté du clergé comme ne pouvant être révoquée en doute, il s’étendit sur l’obligation imposée au sujet, et particulièrement au chrétien, d’être soumis aux lois et aux autorités constituées.

À l’ouverture de la cour pour les affaires criminelles, la proclamation fut lue par le juge en chef, qui, dans son adresse aux grands-jurés, s’étendit sur la « tendance pernicieuse » des occurrences qui y avaient donné lieu ; et dans leur représentation, les grands-jurés firent allusion à certains écrits du Canadien, comme mettant en danger la paix et la sûreté de la colonie ; en ajoutant néanmoins, qu’ils n’avaient pas vu sans déplaisir certaines productions du Mercury, qu’ils croyaient propres à faire naître de la jalousie et de la méfiance dans l’esprit des Canadiens.

Malgré toutes ces démarches du gouverneur et des autorités subordonnées, presque tous les membres de la dernière assemblée furent réélus. Quelques uns, entre autres, M. Viger, qui ne purent l’être dans les villes, eurent avec succès recours aux comtés.

Le 12 décembre, Sir J. H. Craig ouvrit la législature par un discours, où, après avoir dit qu’il n’avait jamais douté de la loyauté des différents parlemens qu’il avait rencontrés, depuis qu’il tenait les rênes de l’administration, et qu’il s’attendait à trouver les mêmes dispositions dans celui auquel il adressait la parole, il ajoute : « Je désire appeller votre attention à l’acte temporaire « pour la meilleure préservation du gouvernement de sa Majesté », et à celui « pour établir des règlemens concernant les étrangers, et certains sujets de sa Majesté qui ont résidé en France ». Il n’y a eu dans l’état des affaires publiques aucun changement qui puisse autoriser à se départir des précautions et de la vigilance qui ont, jusqu’à présent, induit toutes les branches de la législature à regarder ces actes comme nécessaires, » &c.

Après avoir prononcé ce discours, le gouverneur envoya à l’assemblée un message par lequel il l’informait que M. P. Bedard était détenu en prison, pour « pratiques traîtresses », &c. La chambre ne déclara pas le siége de M. Bedard vacant, comme son Excellence s’était probablement attendue qu’elle le ferait, mais résolut qu’il avait été emprisonné à tort, et qu’il avait droit de siéger dans cette chambre. Cette résolution témoignait de la répugnance qu’auraient les membres à renouveller l’acte en vertu duquel l’emprisonnement de leur collègue avait eu lieu ; aussi dirent-ils, dans leur réponse au discours du gouverneur, « Qu’ils convenaient avec son Excellence, qu’il n’était arrivé, dans les affaires publiques du dehors, aucun changement qui en autoriserait un dans les dispositions de l’acte qui pourvoyait à la meilleure préservation du gouvernement de sa Majesté ; mais que néanmoins ils croyaient qu’il était de leur devoir d’informer son Excellence, que les craintes et les appréhensions qui régnaient parmi un grand nombre de fidèles sujets de sa Majesté, demanderaient de leur part une considération sérieuse, avant qu’ils pussent déterminer si la continuation de l’acte, dans la totalité de sa présente forme et teneur, assurerait la confiance entre le gouvernement de sa Majesté et ses sujets canadiens… « Nous réfléchissons avec peine, disent-ils, un peu plus bas, sur les efforts qui sont faits pour représenter sous de fausses couleurs les opinions et les sentimens des différentes classes des sujets de sa Majesté en Canada… Une stricte adhésion aux lois et aux principes de la constitution, et au ferme maintien des droits égaux de chaque branche de la législature, sont les moyens d’assurer aux sujets de sa Majesté la pleine et entière jouissance de leur liberté », &c.

Le gouverneur put voir, dans ces paroles, la réprobation des mesures violentes auxquelles il avait eu recours : il n’en persévéra pas moins à exiger la continuation de l’acte en vertu duquel il s’était cru autorisé. « Je recevrai en tout temps avec attention, répliqua-t-il, les renseignemens ou les avis que la chambre d’assemblée jugera à propos de me donner. Dans la présente occasion pourtant, je me sens appellé à observer, que la connaissance que j’ai de l’état de la province ne comporte pas celle que vous dites qu’il est de votre devoir de me communiquer, de l’existence de craintes et d’appréhensions relativement à l’exécution de l’acte « pour la meilleure préservation du gouvernement de sa Majesté », du moins comme applicable au peuple généralement. S’il existe de telles appréhensions, ne se bornent-elles pas à ceux qui pourraient se mettre dans le cas d’être exposés à son opération ? Ceux-là ne manqueront pas de crier toujours fort haut ; et ne seraient-ce pas leurs clameurs qui vous auraient induits à les croire plus nombreux que je suppose qu’ils le sont généralement ? Mais à l’égard des bons habitans de la province, je suis si éloigné de croire qu’ils aient des craintes sur le sujet, que je date la cessation de la fermentation qui existait naguère, et du rétablissement du calme qui a régné depuis, précisément du moment auquel l’exécution de l’acte a eu lieu. Des moyens semblables à ceux qui ont été employés pourraient faire revivre l’une et troubler l’autre, et rien peut-être ne serait plus efficace pour cette fin que de répandre parmi eux les craintes et les appréhensions auxquelles vous avez fait allusion. Quelque simples et peu instruits qu’ils soient pourtant, je compte sur leur bon-sens pour croire qu’il serait difficile d’ébranler leur confiance dans le gouvernement de sa Majesté, parce qu’ils le voient exercer pour leur protection les moyens dont il est pourvu par la loi, et parce qu’ils le voient armé du pouvoir, et montrer la volonté de réprimer, s’il devenait nécessaire, les artifices de la faction, et les machinations de la trahison. »

Si la faction avait cabalé, la trahison n’avait rien machiné contre le gouvernement. L’assemblée, convaincue, ou rassurée par la réplique du gouverneur, n’adopta pas pourtant purement et simplement l’acte « pour la meilleure préservation du gouvernement de sa Majesté », qui lui fut envoyé par le conseil, mais l’amenda, en y introduisant une clause, portant « qu’aucun des membres de l’une ou de l’autre chambre ne pourrait être emprisonné durant la session du parlement, avant que le délit dont il serait prévenu n’eût été communiqué à la chambre dont il serait membre, et que cette chambre n’eût consenti à son emprisonnement ».

En prorogeant le parlement, le 20 mars 1811, Sir J. H. Craig dit aux membres de l’assemblée « qu’ils pouvaient retourner auprès de leurs constituans, avec la satisfaction de n’avoir pas négligé leurs intérêts ; et le bill « pour rendre les juges inhabiles à siéger dans l’assemblée », lui fournit l’occasion de dire : « Parmi les actes auxquels j’ai déclaré l’assentiment royal, il en est un que j’ai vu avec une satisfaction particulière ;… ce n’est pas seulement parce que je regarde la mesure comme convenable en elle-même ; mais parce que je considère la passation de cet acte comme une renonciation complète au principe erroné dont la mise en pratique a nécessité la dissolution du dernier parlement. »

Sir James Craig avait fait ouvrir, au moyen d’un détachement de soldats, un chemin allant de la paroisse de Saint-Gilles, près de Québec, jusqu’au township de Shipton, près de la frontière ; ce qui lui donna occasion de dire, dans la même harangue de clôture : « Un grand espace de pays, jusqu’ici peu connu, vous a été ouvert ; les habitans en sont industrieux et intelligents, et ils cultivent leurs terres avec une énergie productive bien propre à accroître les ressources de la colonie. Qu’ils ne soient pas pour cela des objets d’envie et de jalousie ; qu’ils soient plutôt des exemples à étudier soigneusement, et à imiter, jusqu’à ce que, dans toute la province, il ne paraisse d’autre différence de fertilité que celle qui peut provenir de la variété du sol, ou de la différence du climat.[43] »

Il termine cette même harangue de manière à faire croire que s’il avait été sous l’influence d’un parti, ou le jouet de conseillers pervers, particulièrement dans le coup d’état auquel il avait eu recours, il ne s’en était pas douté, et avait agi d’après son intime conviction[44]. Après avoir recommandé aux membres des deux chambres de bannir du milieu d’eux toute animosité, &c., il ajoute, que s’il vivait pour atteindre la présence de son souverain, il se présenterait devant lui avec l’assurance d’obtenir son approbation, s’il pouvait lui dire, en terminant le rapport de son administration : « J’ai trouvé, Sire, la partie de vos sujets que vous avez confiés à mes soins, divisés entre eux, se contemplant mutuellement avec méfiance et jalousie, et animés par des intérêts divers, et je les ai laissés cordialement unis, et rivalisant uniquement d’attachement pour le gouvernement de votre Majesté, et pour le bien public. »

Peu après la prorogation, la porte de la prison fut ouverte à M. Bedard, sans que la cause de son élargissement lui fût plus expliquée que ne l’avait été celle de son emprisonnement. Cet élargissement aurait eu lieu plutôt, a-t-il été dit, si M. Bedard n’eût pas insisté à ne le devoir qu’à l’ordre d’une cour de justice, après une procédure régulière.

Le chevalier Craig s’embarqua pour l’Angleterre, le 11 juin, laissant l’administration du gouvernement à l’honorable Thomas Dunn, et le commandement des troupes au major-général Drummond.

Le Lieutenant-général Sir George Prévost, arriva à Québec trois mois après le départ de Sir James Craig. Il passait du gouvernement facile de la Nouvelle-Écosse à celui d’une province, où les animosités produites par les démêlés violents de son prédécesseur avec la chambre d’assemblée n’étaient pas entièrement appaisées, et où l’attente d’une guerre avec les États-Unis augmentait encore l’inquiétude publique. Le nouveau gouverneur général avait à remplir la tâche difficile de reconcilier les esprits, pour les faire tous tendre à un but commun, la défense du pays, s’il était attaqué ; et il y réussit par sa prudence, par la confiance qu’il manifesta dans la loyauté des habitans de toutes les classes, et par son impartialité dans la répartition des emplois publics[45].

L’ouverture du parlement eut lieu le 21 février 1812. Sir G. Prevost recommanda, dans sa harangue, « une prompte attention aux actes que l’expérience avait prouvé être essentiels à la préservation du gouvernement de sa Majesté ». Les représentans du peuple lui répondirent «  qu’ils donneraient leur attention à ces actes, malgré la répugnance qu’ils y avaient, en conséquence de l’usage impropre qui avait été fait de l’un d’eux, et des mauvais effets qui en auraient pu résulter, si ce n’eût été de la fidélité inébranlable des sujets canadiens de sa Majesté, » &c. Le gouverneur leur répliqua « qu’il ne pouvait s’empêcher de regretter qu’ils eussent cru expédient de porter leur attention sur des procédés qui avaient eu lieu, en vertu des actes en question ; qu’il les engageait à diriger uniquement leurs soins sur l’état actuel des affaires ; que c’était le moyen le plus efficace de manifester leur ardeur pour le bien public, et d’assurer la tranquillité de la province », &c.

L’avis de Sir G. Ptrévost était sage sans doute ; mais le ressentiment de ce qui s’était passé sous son prédécesseur était trop vif chez la majorité de l’assemblée, pour qu’elle s’en tînt là : vers la fin de la session, elle vint à résoudre, ou conclure, « Que c’était une justice dûe à la bonne renommée des sujets canadiens de sa Majesté, que la chambre adoptât quelque mesure, pour informer sa Majesté des évènemens qui avaient eu lieu dans la province, sous l’administration de Sir J. H. Craig, son dernier gouverneur, et des causes qui y avaient donné lieu ; afin que sa Majesté pût prendre des mesures propres à empêcher qu’une telle

« administration » eût lieu, à l’avenir, » &c. Mais, soit que l’inconvenance de cette résolution eût été reconnue ; soit que d’autres mesures parussent plus urgentes, il n’y fut pas donné suite.

Cependant, le bill « pour la meilleure préservation du gouvernement » était descendu du conseil législatif ; l’assemblée y fit plusieurs amendemens, dont le principal était, que le pouvoir dont avait été revêtu le conseil exécutif, serait transférré au gouverneur. Le conseil n’ayant pas concouru à cet amendement, cette loi odieuse tomba dans le néant, à la grande satisfaction du public, et particulièrement de la chambre d’assemblée.

Cette chambre prouva par son zèle et sa libéralité, qu’elle acquiesçait cordialement à la recommandation que lui avait faite Sir G. Prévost, « d’apporter un soin et une vigilance continuelle pour mettre la colonie en sûreté ». Par l’acte de milice qui fut passé dans cette session, le gouverneur était autorisé à incorporer, ou mettre en activité, 2,000 jeunes hommes, non-mariés, de l’âge de dix-huit ans à celui de vingt-cinq, pour le temps de trois mois ; et en cas d’invasion, ou d’attente d’invasion, il pouvait les retenir un an sous les armes, et au bout de ce temps, en retenir une moitié, et remplacer l’autre par un nouveau tirage au sort. Dans le cas de guerre, d’invasion, et d’insurrection, ou d’un danger imminent de tels évènemens, il était autorisé à incorporer, ou mettre sur pied, s’il était nécessaire, toute la milice canadienne. Il fut même défendu à tout homme en état de porter les armes de sortir de la province. Enfin la législature fit ce que n’avait pu faire le despotisme militaire, sous Carleton, de tous les Canadiens autant de soldats.[46].

Pour rendre efficace l’acte de milice, il fut accordé d’abord au gouvernement au-delà de £60,000. Cette libéralité donna au gouverneur une haute idée du zèle et de la loyauté de la législature et de la population, et la confiance de pouvoir repousser les premières tentatives d’envahissement. Par un ordre général du 28 mai, son Excellence organisa quatre bataillons de « milice d’élite et incorporée ». Le premier bataillon, sous le lieutenant-colonel Louis de Salaberry, fut d’abord stationné à la Pointe aux Trembles de Québec ; le second, sous le lieutenant-colonel J. B. M. Hertel de Rouville, à Laprairie ; le troisième, commandé par le lieutenant-colonel James Cuthbert, à Berthier ; et le quatrième, sous le lieutenant-colonel J. T. Taschereau, à Saint-Thomas. Outre les troupes de ligne, il y avait encore les Canadian Fencibles, enrôlés dans les deux provinces et ailleurs ; et le régiment de Glengary, levé en plus grande partie dans le Haut-Canada. Il fut aussi formé un régiment, ou corps, de Voltigeurs Canadiens, dont

le commandement fut donné au major C. M. de Salaberry, du 60ème régiment, ou Royal American.

On apprit à Québec, le 24 juin, que les États-Unis avaient enfin déclaré la guerre à la Grande-Bretagne. Quoique le Canada fût, jusqu’à un certain point, préparé pour la défense, cette nouvelle ne laissa pas que d’y causer d’abord une forte sensation. Il fut aussitôt ordonné à tous les citoyens américains d’être hors de la province dans un temps donné. Quelques uns pourtant eurent la permission d’y rester, en prêtant un serment de fidélité à la Grande-Bretagne. Le gouverneur convoqua la législature, afin d’en obtenir de nouvelles aides pécuniaires, et des pouvoirs qui le missent en état de subvenir aux dépenses occasionnées par l’armement de la milice, et de réprimer et punir toute tentative de causer du désordre et de l’insubordination ; ce qu’il pensait qu’elle ferait d’autant plus volontiers, « qu’il était convaincu que sa commission l’autorisait à déclarer, en tout temps, la loi martiale en force dans toute son étendue ». Il informa les deux chambres, que pour suppléer au manque de fonds dans le trésor provincial, le conseil exécutif recommandait l’émission de billets d’armée au montant de £250,000, et il leur demandait des mesures législatives propres à inspirer de la confiance aux personnes qui recevraient de ces billets, et à faire que le public ne souffrît aucune perte de leur mise en circulation.

La libéralité de la chambre d’assemblée surpassa, peut-être, l’attente du gouvernement. Il fut accordé £15,000 pour payer l’intérêt qui pourrait devenir dû sur les billets d’armée : ces billets furent déclarés monnaie courante et légale de la province, payables, soit en espèces, soit en lettres de change du gouvernement sur Londres, &c. Une somme additionnelle de £2,500 fut encore accordée, pour subvenir aux frais du bureau des billets de l’armée.

Cependant, les villes de Québec et de Mont-réal, ou pour mieux dire, la province entière, prenaient un aspect tout militaire ; et il en était de même dans le Haut-Canada, où le zèle de la législature n’avait pas été moins extraordinaire. Les bataillons de la milice sédentaire étaient fréquemment exercés, et pendant que les uns étaient en campagne, les autres faisaient les devoirs de garnison. Pourtant, quoique le tirage de la milice se fût fait presque partout de bonne grâce, et qu’en plusieurs endroits, selon M. Perrault, il se fût présenté assez de volontaires, pour qu’il ne fût pas nécessaire de recourir au tirage, il y eut quelques réfractaires, quelques exceptions à la règle générale. Une partie des miliciens ballottés à la Pointe-Claire, croyant, ou feignant de croire, qu’ils étaient forcés illégalement, ou par la volonté seule de la chambre d’assemblée, à servir activement, refusèrent de joindre les bataillons auxquels ils devaient appartenir. Quelques uns d’eux ayant été appréhendés, il s’en suivit une espèce d’insurrection de la paroisse. Les insurgents s’avancèrent jusqu’à La Chine, où ils furent rencontrés par des troupes réglées et des miliciens envoyés de la ville. Après quelques coups tirés de part et d’autre, ils retraitèrent. Le lendemain et les jours suivants, on en arrêta une vingtaine, qu’on amena à Mont-réal. On fit le procès à ceux qu’on regardait comme les instigateurs ou les chefs de l’émeute, et quelques uns d’eux furent condamnés à l’amende et à l’emprisonnement.

Le premier fait d’armes de cette seconde guerre américaine fut la prise de Michillimakinac, poste devenu américain depuis la paix de 1783. La commission d’attaquer ce fort, dans le cas où le succès paraîtrait probable, fut donnée au capitaine Roberts, des Vétérans Royaux, qui n’avait que trente et quelques soldats. Mais il fut secondé par le zèle des commerçans de pelleteries, des compagnies du Nord-ouest et du Sud-ouest qui se trouvaient sur les lieux. Il fut formé une petite armée, composée d’Anglais, de Canadiens et de Sauvages, principalement Outaouais et Sioux. Les voyageurs canadiens, au nombre d’environ deux cents, furent partagés en trois compagnies, commandées par M. Lewis Crawford, comme lieutenant-colonel, M. Toussaint Pothier, comme major, et M. John Johnson, Charles Ermatinger, et J. B. Nolin, comme capitaines[47]. La goëlette Caledonia, appartenant à la compagnie du Nord-Ouest, et commandée par M. H. Forest, convoyait un nombre de bateaux et de canots chargés de provisions et d’effets militaires. L’expédition arriva devant Michillimakinac, le 17 juillet : le commandant fut sommé de se rendre, et au bout de quelques minutes, la place fut au pouvoir des Anglais[48].

Cependant, le brigadier américain Hull, à la tête de 1,500 hommes, avait traversé la rivière du Détroit, et avait établi son quartier général à Sandwich. N’ayant pas encore reçu son artillerie, il n’ôsa pas s’avancer jusqu’à Amherstburg, qui n’était qu’à six lieues de distance ; ce qui donna le temps à plusieurs détachemens de troupes anglaises et de Sauvages de s’avancer dans ces quartiers, pour s’opposer à son progrès. Les troupes de Hull ayant été battues, en plusieurs rencontres, il se détermina à repasser la rivière, à l’approche du général Brock (qui avait succédé au colonel Gore, comme lieutenant-gouverneur du Haut-Canada), et se renferma dans le fort du Détroit. Ce fort, sommé de se rendre, le 13 août, capitula le lendemain, après une faible résistance[49].

Cependant, une force considérable, qui s’assemblait à Albany, sous le général Dearborn, semblait menacer le Bas-Canada, et particulièrement le district de Mont-réal. Il fut en conséquence, formé un cordon, depuis Yamaska jusqu’à Saint-Régis, composé des Voltigeurs et de corps de milice ; et une brigade de troupes d’élite fut stationnée à l’Acadie, sous le commandement du lieutenant-colonel Young. Il fut formé un cinquième bataillon de milice, celui des Chasseurs Canadiens, qui fut mis sous le commandement du lieutenant-colonel Murray. Un corps de Voyageurs Canadiens fut aussi formé, en vertu d’un ordre général dont suit la substance, et dont la légalité nous paraît au moins problématique : « Il a plu à son Excellence, le gouverneur-général, d’ordonner à MM. John Macdonell, A. N. McLeod, James Hughes, William Mackay et Pierre de Rocheblave, d’enrôler tous ceux qui sont voyageurs, ou qui l’ont été, et de les faire passer à Mont-réal, le 1er octobre, pour en former un corps, qui sera nommé le corps des Voyageurs, sous le commandement de William MacGillivray, écuyer[50].

Plusieurs affaires eurent lieu, sur les frontières du Haut-Canada et des États-Unis, jusqu’à la bataille de Queenstown, qui se livra le 13 octobre, et se termina par la défaite des Américains, mais où le brave général Brock perdit la vie.

Le 23 du même mois, un piquet d’environ trente Voyageurs, stationné au village sauvage de Saint-Régis, fut attaqué à l’improviste par un parti d’environ quatre cents hommes. Dans la surprise du moment, ou croyant les ennemis moins nombreux, l’enseigne Rottot se mit en défense, et fut tué, ainsi qu’un sergent et un soldat. Les autres furent faits prisonniers.

Cependant, les forces américaines réunies à Albany s’approchèrent peu à peu de la frontière, et le 17 novembre, on eut avis qu’elles s’avançaient sur Odeltown. L’alarme se répandit aussitôt : un détachement stationné près de la rivière de Lacolle fut renforcé par les troupes disponibles les plus voisines, Voltigeurs, Voyageurs, milice incorporée et sédentaire. Le 22, un ordre général intima à tous les miliciens de la province de se regarder comme commandés pour le service actif, et de se tenir prêts à marcher, au premier ordre, à la rencontre de l’ennemi. Un nombre de bataillons de milice de la ville et de l’île de Mont-réal et des paroisses du nord, traversèrent le Saint-Laurent, à Longueil, à Laprairie et au Sault Saint-Louis. « L’enthousiasme avec lequel la masse de la population du district de Mont-réal se porta, ou se montra prête à se porter, par un mouvement spontanné, vers le point où les envahisseurs étaient attendus, n’aurait pu être surpassé. » Mais

après quelques escarmouches avec les forces canadiennes de Lacolle, les Américains se retirèrent au-delà des lignes.

Le parlement fut assemblé le 29 décembre. Il ne se montra pas moins libéral qu’il ne l’avait été dans la précédente session. Il accorda £15,000 pour l’équippement de la milice incorporée, outre £1,000 pour lui procurer des hôpitaux, et £50,000 pour le soutien de la guerre. L’acte des billets d’armée fut renouvellé et étendu, autorisant la mise en circulation de ces billets, au montant de £500,000, et il fut imposé de nouvelles taxes sur l’importation des marchandises, spécialement « pour le soutien de la guerre ».

La chambre d’assemblée, qui, dans la session précédente, avait gardé le silence sur ce que le gouverneur avait dit de la loi martiale, arrêta, dans celle-ci ; « Que la loi martiale ne pouvait être légalement établie dans la province, à moins que ce fût avec le consentement du parlement provincial ».

Dans le cours de janvier 1813, le colonel Proctor, qui avait été laissé commandant au Détroit, apprenant que le brigadier américain Winchester était à Frenchtown, sur la Rivière au Raisin, avec l’avant-garde de l’armée du major-général Harrison, s’avança, à la tête d’environ 1000 hommes, Anglais et Sauvages, et attaqua Winchester dans son camp. Ce général fut fait prisonnier, au commencement de l’action, par un chef sauvage, et après une assez courte résistance, tous ses gens se rendirent, à la condition de conserver leurs effets, et d’être préservés de la férocité des Sauvages. Cette dernière stipulation fut mal observée ; car le lendemain du combat, les Sauvages massacrèrent tous ceux des blessés qui étaient incapables de marcher ; et cela en présence des Anglais, « qu’on ne peut excuser, dit M. Christie, d’être restés tranquilles spectateurs de telles atrocités, que par la crainte d’éprouver un sort semblable, s’ils intervenaient pour soustraire à la vengeance barbare des Sauvages leurs malheureuses victimes ».

En apprenant l’exploit du colonel Proctor, la chambre d’assemblée crut que « son habileté, son intrépidité, et l’humanité exemplaire qu’il avait montrée, au moment de la victoire », méritait de sa part un vote de remerciment[51].

On fit, durant l’hiver, de grands efforts pour la campagne prochaine : les bataillons de la milice incorporée, les Fencibles, les Glengary, les Voltigeurs, furent recrutés avec diligence et succès. Le 104ème régiment, parti de Frederickton, capitale du Nouveau-Brunswick, traversa, dans cette saison rigoureuse, pour se rendre dans le Haut-Canada, un espace désert et inhabité, où jamais troupes n’étaient passées.

Le commencement de la campagne de 1813 fut favorable aux Américains : dans le mois d’avril, ils battirent le général Sheaffe, à York (ci-devant Toronto[52]), et le brigadier Vincent, au fort George, et se rendirent maîtres de ces places, ou plutôt de leurs ruines. Une expédition partie de Kingston, à la fin de mai, pour attaquer Sackett’s Harbour, où les Américains réunissaient des forces de terre et de mer, débuta avec quelque apparence de succès, mais se termina par la retraite précipitée des troupes anglaises.

Deux combats donnés, l’un près du fort Meigs, et l’autre, à l’endroit nommé Stoney-Creek, se terminèrent à l’avantage des Anglais. Au fort Meigs, les Sauvages voulurent encore massacrer les prisonniers, et deux ou trois Anglais furent tués, dit-on, en s’efforçant de les soustraire à leur fureur.

La victoire remportée à l’endroit nommé Beaver-Dam, à la tête du lac Ontario, fut dûe principalement à environ trois cent-cinquante Sauvages du Bas-Canada, commandés par les capitaines D. Ducharme, et J. B. de Lorimier, ayant sous eux les lieutenans Gaucher, Langlade, E. Saint-Germain et Leclair. Cent Mohawks (ou Agniers) leur furent joints, sous le capitaine Kerr et le lieutenant Brandt. Les Américains, au nombre de six cents hommes, infanterie, cavalerie et artillerie, sous le colonel Bœrstler, arrivèrent à la vue des nôtres, le 24 juin, et commencèrent aussitôt l’attaque. La plaine ouverte étant désavantageuse pour combattre contre l’artillerie et la cavalerie, les commandans ordonnèrent à leurs Sauvages de gagner le bois ; mais les Mohawks, au lieu de les y suivre, se retirèrent précipitamment, sans que leurs officiers pussent réussir à les ramener au combat. Nos Sauvages cependant firent un feu terrible, et les Américains, qui perdaient beaucoup de monde, commencèrent à retraiter ; mais ayant, d’un côté, un marais impraticable, et de l’autre, les Sauvages, et se croyant environnés de troupes nombreuses, ils hissèrent un pavillon de trève. On avait eu l’imprudence de promettre aux Sauvages les dépouilles des morts, et ils continuèrent à tirer après que l’ordre de discontinuer leur eut été donné. Le lieutenant Fitzgibbon arriva, sur ces entrefaites, et ce fut à cet officier subalterne, agissant au nom du major de Haren, que le colonel Bœrstler se rendit, quoique ni lui, ni le major n’eussent pris part à l’action[53].

Vers la fin de l’été, on vit arriver à Québec, deux régimens étrangers, ceux de Meuron et de Watteville, presque entièrement composés de Français, de Suisses, d’Italiens et de Polonais. Une partie de ces troupes fut envoyée dans le Haut-Canada ; l’autre resta dans la province inférieure.

Les deux puissances belligérantes avaient chacune une escadre sur le lac Érié : l’anglaise avait pour commandant le capitaine Barclay, et l’Américaine, le commodore Perry. Ces deux escadres se rencontrèrent le 13 septembre. Après un engagement de trois heures, toute l’escadre anglaise fut forcée de capituler[54].

En conséquence de cette défaite, qui rendait les Américains maîtres absolus de la navigation du lac Érié, les Anglais se virent forcés d’abandonner le Détroit, Sandwich et Amherstburg, et ils commencèrent à retraiter vers la tête du lac Ontario, au grand mécontentement des Sauvages qui s’étaient déclarés leurs alliés, et particulièrement de leur grand chef de guerre, ou généralissime, Técumsé. N’attendant aucun ménagement de la part des Américains, ils suivirent les Anglais, se flattant de les voir se déterminer prochainement à s’opposer au progrès de leurs ennemis. Atteint, le 4 octobre, par le général Harrison, le brigadier Proctor se détermina, en effet, à risquer un engagement, comme dernière ressource. La bataille se livra, le 5, sur les bords de la rivière Thames[55]. Les Anglais, réduits à environ 1,000 hommes, plièrent, au premier choc : le général et les principaux officiers prirent la fuite, suivis d’environ deux cent-cinquante hommes : plus de six cents, y compris vingt-cinq officiers, se rendirent prisonniers de guerre, tandis que les Sauvages, sous l’habile et intrépide Técumsé, continuaient à combattre avec avantage, à la gauche des Américains. Mais ces braves gens ayant perdu leur grand chef, et se voyant lâchement abandonnés par leurs alliés, se trouvèrent à regret dans la nécessité de retraiter.

Le général Hampton était entré dans le Bas-Canada, le 20 septembre, à la tête de plus de 5,000 hommes. Mais les chemins, d’Odeltown (où il avait poussé une reconnaissance) à l’Acadie, avaient été rendus impraticables par des abattis faits cette année, et l’année précédente, par un parti de Voltigeurs canadiens. À la nouvelle de cette invasion, les troupes qui gardaient cette frontière furent renforcées par tout le corps des Voltigeurs et par le 4ème bataillon de la milice incorporée, sous le major Perrault. Instruit du fait, Hampton abandonna Odeltown pour se porter à la source de la rivière Châteauguay. Ce mouvement nécessita celui des troupes stationnées à l’Acadie, et le lieutenant-colonel de Salaberry eut ordre de se porter jusqu’aux quatre fourches, ou bras, de la même rivière, avec environ trois cents hommes, Fencibles, Voltigeurs et Sauvages. Il y eut là quelques escarmouches avec l’avant-garde américaine ; après quoi, les Canadiens retraitèrent, et prirent position à environ deux lieues au-dessous de l’entrée de la petite rivière des Anglais dans celle de Châteauguay, ayant leur gauche appuyée à la rivière, et leur front et leur droite couverts par des espèces de chevaux de frise et des abattis. Le 24 octobre, ayant ouvert un large chemin à travers des bois et des marécages, jusqu’à la distance de quatre ou cinq milles de la position du colonel de Salaberry, alors renforcé par quelques compagnies de milice sédentaire, le général américain envoya, durant la nuit, le colonel Purdy, pour s’emparer du gué, et tourner la position des Canadiens ; mais cet officier s’égara dans les bois. Le lendemain, Hampton s’avança lui-même vers les abattis, avec environ 3,500 hommes. Salaberry, averti de ce mouvement par le feu fait sur les piquets avancés, marcha en avant, et donna le signal du combat. Le feu fut vif de part et d’autre, mais mal dirigé d’abord par les Américains : ils tirèrent mieux ensuite ; mais bientôt, entendant le son des trompettes, ou des cors, placées à différents intervalles, dans les bois, ils crurent que les Canadiens s’avançaient sur eux en grande force, et leur ardeur se ralentit. La division du colonel Purdy, arrivée au gué pendant le combat, fut repoussée et mise en désordre. Voyant ses plans déconcertés par la défaite de cette division, Hampton prit le parti d’ordonner la retraite.

Il y avait en arrière du champ du combat, des troupes réglées et des milices, pour s’opposer aux progrès des Américains ; mais leur gaucherie, ou plutôt les belles manœuvres, la présence d’esprit, les ruses de guerre, l’intrépidité du commandant canadien, habilement et bravement secondé par les capitaines Juchereau-Duchesnay, Lamotte, Gaucher, Daly, rendirent inutile la marche en avant de ces troupes.

Au commencement de novembre, une armée américaine, dont on a porté la force à 10, 000 hommes, sous le général Wilkinson, descendit le Saint-Laurent, dans trois cents bateaux escortés par des chaloupes canonnières. Le major-général de Rottenburg, qui commandait à Kingston, fit partir, pour observer l’ennemi, un corps d’armée composé de deux régimens de ligne, d’un parti de Fencibles, d’un parti de Voltigeurs et d’un corps de Sauvages ; le tout, sous le commandement du lieutenant-colonel Morrison, agissant comme brigadier. Une division, ou brigade, de l’armée américaine, sous le brigadier Boyd, ayant traversé à la rive gauche, il s’en suivit un combat, où le colonel Morrison, habilement secondé par le lieutement-colonel Harvey, député-adjudant-général ; par le lieutenant-colonel Pearson, des Fencibles, et par le major Herriot, des Voltigeurs, déploya des talens, un tact militaire, et une présence d’esprit, qui lui méritèrent une victoire prompte et signalée.

Les Américains continuèrent à descendre le Saint-Laurent ; mais ayant appris la retraite du général Hampton, Wilkinson, d’après l’avis d’un conseil de guerre, fit atterrer son armée à la rivière au Saumon, où les bateaux furent mis en sûreté, et où l’on érigea des casernes, de toutes parts, entourrées d’abattis.

Dans le mois de décembre, les Anglais se remirent en possession du fort George, abandonné par les Américains, et s’emparèrent de celui de Niagara.

Le parlement fut ouvert le 13 janvier 1814. Un des premiers procédés de la chambre d'assemblée fut un vote de remerciment au lieutenant-colonel de Salaberry et au lieutenant-colonel Morrison, ainsi qu’aux officiers et soldats qui avaient combattu sous leurs ordres. Elle essaya, mais en vain, de faire contribuer les fonctionnaires salariés et les pensionnaires du gouvernement aux frais de la guerre. Ces messieurs n’auraient pu être généreux qu’à leurs propres dépens, et c’est ce qu’ils ne voulaient pas.

Un bill pour rendre les juges en chef, et les autres juges du banc du roi, inhabiles à être appellés et à siéger au conseil législatif, fut pour la première fois introduit dans l’assemblée et adopté. Le conseil refusa de prendre en considération ce bill, « parce qu’il était imparlementaire, sans exemple, une usurpation de la prérogative de la couronne, et une infraction des droits et priviléges de la chambre haute ».

C’était, peut-être, en effet, se mêler un peu trop, ou trop tôt, des affaires des autres, et censurer un peu fortement, quoiqu’indirectement, le conseil législatif. L’assemblée ne s’en montra pas moins indignée du rejet ainsi fait de son bill, et résolut « Que le conseil législatif, en refusant de procéder sur ce bill, avait exclu de sa considération une mesure qui méritait hautement l’attention de la législature de la province, et avait par là fourni une nouvelle preuve de son à-propos ».

En conséquence du rejet péremptoire de son bill d’exclusion, ou d’une décision déjà arrêtée, sur motion de M. James Stuart, devenu un des chefs de l’opposition[56], et l’idole, à cette époque, d’une partie des électeurs de Mont-réal, la chambre résolut de prendre en considération l’autorité exercée par les juges de la province ; et après avoir fait paraître devant elle le greffier de la cour d’appel, et les greffiers des cours du banc du roi, et obtenu des copies des règles de pratique de ces cours, elle en vint à résoudre, en substance, « qu’elle regardait ces règles comme des actes législatifs, et, conséquemment comme un empiétement sur les priviléges de la législature ; que ces règles affectaient les droits civils des sujets de sa Majesté, étaient subversives des lois de la province », &c.[57] Pour ces faits « et autres hauts crimes et délits », disait-elle, dans le style ridiculement exagéré de la chancellerie anglaise, « commis sous l’administration de Sir J. H. Craig, &c., les deux juges en chef étaient formellement accusés par les communes du Bas-Canada ».

M. James Stuart, le premier et le plus ardent moteur de la mesure, fut nommé agent, pour poursuivre efficacement ces accusations de la part de l’assemblée, qui, dans un bill d’aide, accorda £62,000, pour le mettre en état de passer en Angleterre ; mais ce bill fut rejetté par le conseil.

Après rédaction, il se trouva dix-neuf chefs d’accusation contre le juge en chef de la province, Jonathan Sewell, écuyer, et huit contre le juge en chef de Mont-réal, James Monk, écuyer, entre lesquels était celui d’avoir « refusé un ordre d’habeas corpus à des individus qui y avaient droit ».

Le 3 mars, la chambre se rendit au château Saint-Louis, et présenta au gouverneur une adresse, où elle le priait de transmettre aux ministres sa requête au prince régent, suggérant, en même temps, l’à-propos de suspendre de leurs fonctions les juges en chef, jusqu’à ce que le plaisir de son Altesse royale fût connu.

Le gouverneur répondit qu’il transmettrait la requête, mais qu’il ne pouvait prendre sur lui de suspendre les juges en chef, en conséquence de l’adresse d’une seule branche de la législature, fondée sur des accusations au sujet desquelles le conseil législatif n’avait pas été consulté, et auxquelles il n’avait pas concouru. Sir George Prévost aurait pu ne pas motiver son refus, ou dû, peut-être, en trouver d’autres raisons : aussi l’assemblée résolut-elle, « Que son Excellence, le gouverneur-géneral, par sa réponse à l’adresse de la chambre d’assemblée, avait violé les droits et priviléges de cette chambre ».

Cette violente censure était indubitablement le fruit de l’irritation du moment : la chambre crut la rendre moins poignante, en résolvant, quelques jours après, « Que nonobstant l’avis méchant et pervers donné au gouverneur, au sujet des droits et priviléges de cette chambre, et les efforts de conseillers mal-intentionnés, pour l’induire en erreur, et pour le mettre en mésintelligence avec les fidèles communes de cette province, la chambre n’avait, en aucune manière, perdu l’opinion qu’elle avait toujours eue de la sagesse de l’administration de son Excellence » ; &c.

La législature fut prorogée le 17 mars. Dans le cours du même mois, il arriva à Québec une députation de chefs Outaouais, Chippéouais, Sakis, Outagamis, Kikapous, Ouinébagos, et autres. Dans l’audience que leur donna le gouverneur, au château Saint-Louis, ils se plaignirent des Américains, comme étant des hommes qui n’avaient ni cœur ni pitié pour eux ; qui les dépouillaient petit à petit de leurs terres, et voulaient les chasser au-delà du soleil couchant. Sir George Prévost les exhorta à persévérer dans leur alliance avec l’Angleterre et le Canada ; leur recommanda d’épargner, en toute occasion, les femmes, les enfans et les prisonniers de guerre, et les renvoya chargés de présens.

Le 26, son Excellence émana un ordre général, exprimant l’approbation du prince régent de l’affaire de Châteauguay, et le plaisir particulier qu’il ressentait en voyant que les Canadiens avaient eu enfin l’occasion de réfuter, par leurs brillants efforts pour la défense de leur pays, les accusations calomnieuses de mécontentement et de déloyauté, dont l’ennemi avait fait précéder le premier envahissement de la province. L’ordre général faisait connaître au lieutenant-colonel de Salaberry en particulier, et aux officiers et soldats qui avaient été sous son commandement, le cas que son Altesse royale faisait de leurs services distingués et zélés[58].

Au commencement de la campagne de cette même année 1814, il y eut quelques mouvemens militaires, et quelques escarmouches, sur les frontières, près du lac Champlain.

Le fort Ochouégo, ou Ossouégo, fut attaqué et pris, le 6 mai, par un fort détachement de troupes anglaises, puis abandonné. Le 3 juillet, le fort Érié se rendit aux Américains sans coup-férir. Trois jours après, eut lieu la bataille de Chippéouàis, où les Américains eurent le dessus, et forcèrent le major-général Riall à retraiter. Cette bataille fut suivie de celle de Lundy’s Lane, où commandait le lieutenant-général Drummond, et qui se termina par la défaite des Américains. Ces derniers furent vengés, jusqu’à un certain point, par l’irréussite de l’assaut donné au fort Érié, où la perte des Anglais fut considérable.

Au commencement de juin, la nouvelle étant arrivée à Michillimakinac, que le général Clarke, de l’armée des États-Unis, avait remonté le Micissipi avec une force considérable, et s’était emparé du village de la Prairie du Chien[59] et du fort Shelby, qui le protégeait, le lieutenant-colonel McDouall résolut, malgré son peu de moyens, de tenter de reprendre ces postes. Vingt hommes des Fencibles du Michigan furent mis sous le commandement du major William Mackay, de ce corps, fait lieutenant-colonel pour l’occasion, avec ceux des Canadiens et des Sauvages qui voulurent se joindre à eux comme volontaires[60]. Lorsqu’après une marche accompagnée de difficultés nombreuses, mais conduite avec prudence, on fut arrivé près du fort, les arrangemens pour l’attaquer, pour couper la retraite à l’ennemi, &c., ne furent pas faits avec moins de prudence et d’habileté. Mais comme l’assaut allait être donné, le commandant américain se rendit, à condition que la garnison et les habitans seraient garantis de tout mauvais traitement de la part des Sauvages. Les peines que se donna le colonel McKay, pour que cette condition fût strictement remplie, ne firent pas moins d’honneur à son humanité, que la conduite de l’expédition n’en avait fait à son habileté.

Comme pour se dédommager de la perte de la Prairie du Chien, les Américains envoyèrent au Sault Sainte-Marie un détachement de troupes, qui détruisit les magasins qu’y avait la compagnie du Nord-ouest ; mais ils furent repoussés de devant le fort de Michillimakinac.

La paix faite en Europe fournit à l’Angleterre le moyen de faire passer au Canada plus de 15,000 hommes de troupes agguerries. Une partie fut envoyée dans le Haut-Canada, et une autre fut concentrée entre Laprairie et Chambly, sous le commandement du général de Rottenburg. Ayant dessein d’attaquer l’armée américaine concentrée à Plattsburg, le général Prévost traversa la ligne à Odeltown, le 1er septembre, à la tête de 11,000 hommes, tant troupes réglées que milices. Il s’empara d’abord du village de Champlain ; mais ne croyant pas pouvoir attaquer avantageusement les ouvrages de l’ennemi, sans la coopération de l’escadre du lac, l’attaque fut différée jusqu’au 11. Ce jour-là, les deux escadres se rencontrèrent et engagèrent un combat, qui se termina par la mort du capitaine Downie, et par la reddition de tous les vaisseaux anglais au commodore McDonough, commandant de l’escadre américaine. Ce contretems dérangeait les plans du général en chef ; quoiqu’il eût pu se rendre aisément maître de Plattsburg, il pensa qu’il n’en résulterait aucun avantage permanent. Dès le soir même, l’armée était revenue à Chazy, et elle rentra dans le Bas-Canada, après une perte d’environ cinq cents hommes, en tués, blessés, et prisonniers, ou déserteurs.

Une sortie du fort Érié causa à chacune des puissances belligérantes une perte de cinq à six cents hommes.

Les Anglais levèrent le siége de ce fort ; et presque aussitôt après, les Américains l’abandonnèrent, après l’avoir ruiné.

Quoique les deux puissances eussent construit sur le lac Ontario des vaisseaux de 80 à 100 canons, il n’y eut point de combat naval sur ce lac, mais seulement des mouvemens ou des démonstrations sans résultat. La flotte anglaise avait pour commandant Sir James Lucas Yeo, et l’américaine, le commodore Chauncey.

La fin de cette année 1814 voyait rentrer dans leur pays natal, après un voyage autour de l’Amérique, et dans l’intérieur de ce continent, plusieurs Canadiens notables. Pour la première fois, peut-être, en 1810 et 1811, des Canadiens instruits, MM. Ovide de Montigny, F. B. Pillet, Gabriel Franchère, fils, voyaient les îles Malouines, ou Falkland, doublaient le cap de Horn, visitaient les îles Sandwich, parvenaient, non sans peines et périls, à l’embouchure du grand fleuve de l’Ouest ; reconnaissaient des contrées nouvelles, remarquaient des mœurs et des croyances jusqu’alors, inconnues. Deux ou trois ans plus tard, ils remontaient l’Orégon, appellé aussi rivière Columbia ; remarquaient, dans un « détroit » de ce fleuve, comme on dirait en langage antique, le chef-lieu, pour ainsi dire, des serpens à sonnettes ; traversaient le grand désert d’Amérique, la haute et large chaîne des montagnes Rocheuses, et, au moyen des rivières et des lacs de l’intérieur, la vaste région située entre ces montagnes et le lac Supérieur. M. Franchère a donné de ce voyage une relation qui, quoique dépourvue de l’apparat scientifique, ne laisse pas de se faire lire avec intérêt[61].

Le parlement du Bas-Canada fut ouvert le 21 janvier 1815. M. J. A. Panet ayant été appellé au conseil législatif, M. Louis Joseph Papineau, que recommandaient ses talens oratoires naissants, et plus encore, peut-être, le nom et la réputation de son père, fut élu orateur[62], ou président de l’assemblée. Un bill pour lui allouer, ou octroyer £1000 par an, fut passé, mais réservé pour la considération du roi.

La chambre d’assemblée ayant de nouveau résolu qu’il était expédient qu’il y eût en Angleterre un agent de la province ; et cette résolution ayant été communiquée au conseil législatif, ce corps résolut, à son tour, « que le gouverneur était le seul intermédiaire convenable et constitutionnel, entre les corps législatifs de la province et le gouvernement impérial ». Persistant dans sa résolution, l’assemblée pria le gouverneur de transmettre au prince régent une requête à cet effet, et une autre au sujet de ses accusations contre les juges en chef, desquelles il paraissait que le gouvernement d’Angleterre ne s’était nullement occupé.

La nouvelle de la conclusion de la paix entre l’Angleterre et les États-Unis fut officiellement annoncée aux chambres, le 1er mars. La milice incorporée fut aussitôt licenciée. Il fut accordé de petites pensions viagères aux miliciens devenus invalides, ainsi qu’aux veuves et aux enfans de ceux qui avaient été tués. Dans une adresse au prince régent, la chambre d’assemblée recommanda qu’il fût donné des terres aux Voltigeurs, et à ceux des miliciens qui avaient servi activement. Elle vota aussi la somme de £5,000 sterling, au gouverneur, pour lui acheter un service de table d’argent ; mais ce vote n’eut pas de suite, le conseil législatif ayant refusé de concourir à un bill à cet effet[63].

La législature fut prorogée le 25 mars. Sir G. Prévost lui annonça, dans son discours de clôture, « qu’il avait reçu ordre du prince régent, de retourner en Angleterre, à l’effet de repousser des imputations affectant son caractère militaire, faites par le ci-devant commandant de la marine sur les lacs du Canada. »

Il doit paraître un peu singulier qu’un officier de marine, un commodore envoyé d’Angleterre pour commander la flottille du lac Ontario, se soit porté pour accusateur d’un général d’armée, et conséquemment pour juge d’opérations militaires où il ne devait pas être fort entendu, et dont même il n’avait pas été témoin. Il s’agissait particulièrement de l’affaire de Plattsburg. « Dans sa lettre officielle à l’amirauté, le commandant naval, dit M. Christie, ne se fit pas scrupule d’attribuer la perte de l’escadre du lac Champlain à l’impéritie, à l’inconduite (misconduct) du commandant des forces. L’opinion de cet officier, éloigné du lieu de l’engagement, dont il n’avait aucune connaissance locale, doit s’être formée sur les rapports d’autrui. »

Les rapports ne lui manquèrent pas sans doute ; car quoiqu’il n’eût rien fait-de remarquable, il était devenu le héros, l’idole, pour ainsi dire, d’une partie des marchands anglais de Mont-réal, et même de quelques uns des officiers du gouvernement. Depuis quelques années, il se publiait dans cette ville un nouveau journal, intitulé The Montréal Herald, d’une rédaction violente, injurieuse, prodiguant, d’un côté, la louange, et de l’autre, le blâme, sans mesure ni ménagement[64]. C’était dans cette feuille que s’exhalait, le plus souvent anonymement, la bile noire, la mauvaise humeur des mécontens, des ennemis de Sir G. Prévost, pouvons-nous dire. L’imprimeur et le rédacteur furent appréhendés pour la publication d’un « libelle » contre le commandant en chef : ils se libérèrent en nommant l’auteur, qui, à la grande surprise du public, se trouva être M. Stephen Sewell, solliciteur-général, et frère du juge en chef de la province[65]. Il fut destitué ; mais le Herald n’en continua pas moins à prôner, à élever jusqu’aux nues, Sir J. L. Yeo, qui, par reconnaissance, il paraîtrait, lui fit le plaisir d’attribuer la défaite de l’escadre anglaise du lac Champlain à Sir George Prévost, au lieu de l’attribuer aux chances de la guerre, ou à la présomption du capitaine Downie[66].

Sir George Prévost, après avoir reçu des habitans de Québec et de Mont-réal des adresses approbatrices de son administration, traversa le fleuve, le 3 avril, pour se rendre par terre au Nouveau-Brunswick[67].

Sir George Prévost eut pour successeur le lieutenant-général Sir Gordon Drummond, comme administrateur du gouvernement. Le résultat des accusations portées par l’assemblée contre les juges en chef, est le seul fait de cette administration qui nous paraisse historique.

Cette chambre n’avait pu envoyer un agent, ou procureur, en Angleterre, pour suivre ces accusations, parce que le conseil législatif n’avait pas voulu concourir avec elle, et prétendait erronément qu’elle ne pouvait pas accuser publiquement (impeach) sans son concours. Mais l’honorable Jonathan Sewell étant passé en Angleterre, pour se laver des accusations portées contre lui, le gouvernement s’occupa de ces accusations, et reconnut par là à l’assemblée le droit que le conseil lui avait nié. La décision ne fut pas, et ne devait guère être favorable aux accusateurs ; mais le principe était reconnu ; aussi le conseil législatif fut-il, plus tard, obligé de changer de manière de penser et de langage.

Le parlement s’était réuni le 28 janvier 1816 ; le 2 février, la chambre d’assemblée reçut un message où il était dit, entre autres choses :

« L’administrateur en chef a reçu ordre du prince régent de faire connaître à l’assemblée son bon plaisir concernant les accusations portées par cette chambre contre les juges en chef… Quant aux accusations qui concernent les actes faits par un ci-devant gouverneur, et attribués par l’assemblée aux avis donnés à ce gouverneur par le juge en chef, son altesse royale a jugé qu’on ne pouvait instituer une requête sans admettre le principe, que le gouverneur d’une province peut, à sa discrétion, se dévêtir de toute responsabilité sur des points de gouvernement.

« Il a plu à son Altesse royale de référer à la considération des lords du conseil les accusations qui ont rapport aux règles de pratique, établies par les juges, dans leurs cours respectives, et l’administrateur en chef transmet à l’assemblée le résultat de l’enquête, qui a été conduite avec toute l’attention et toute la solemnité qu’exigeait l’importance du sujet. En faisant cette communication à l’assemblée, il est du devoir de l’administrateur, en obéissance aux ordres du prince régent, d’exprimer le regret avec lequel son Altesse royale a envisagé les derniers procédés de la chambre contre deux messieurs qui remplissent depuis si longtems, et avec tant d’habileté, les plus hautes fonctions judiciaires de la colonie, circonstance d’autant plus fâcheuse, qu’elle tend à avilir aux yeux de l’homme ignorant et inconsidéré leur caractère et leurs services, et par là à diminuer l’influence à laquelle ils ont un juste droit, d’après leur situation et leur bonne conduite uniforme[68].

« L’administrateur en chef a de plus ordre de signifier à la chambre d’assemblée, que les autres accusations, à l’exception d’une seule, ont paru au gouvernement de sa Majesté de trop peu d’importance pour exiger une enquête, et que l’accusation d’avoir refusé un writ d’habeas corpus, portée contre le juge en chef de Montréal, ainsi que les autres accusations qui n’ont pas de rapport aux règles de pratique, sont totalement dépourvues de témoignage ou de preuves quelconques. »

Il était dit, entre autres choses, dans le rapport des lords du conseil privé, « que les règles de pratique, qui étaient le sujet d’une plainte, ou d’une accusation de la part de la chambre d’assemblée du Bas-Canada, contre les juges en chef, J. Sewell, et J. Monk, écuyers, n’avaient pas été faites par les dits juges en chef, respectivement, de leur autorité privée, mais par eux conjointement avec les autres juges ; qu’elles étaient toutes des règles pour la pratique de leurs cours respectives, et renfermées dans les limites du pouvoir et de la juridiction dont ils étaient revêtus par des actes de la législature provinciale ; et que conséquemment ni les dits juges en chef, ni les cours dont ils étaient présidens, n’avaient outrepassé leur autorité, et ne pouvaient être coupables de s’être arrogé le pouvoir législatif. »

Son Altesse royale avait approuvé ce rapport, et ordonné que les plaintes au sujet des règles de pratique fussent renvoyées, ou mises au néant.

Ce résultat n’était pas le fait de l’accusateur en chef, M. J. Stuart, non plus que de ceux qui l’avaient secondé. Le messager ne fut pas plutôt hors de la chambre, qu’il fut ordonné un appel nominal pour le 14 du mois, jour où le message serait considéré en comité général. Après cette considération, le sujet fut référé, ce jour là, à un comité spécial de sept membres, qui, le 24, rapporta une série de résolutions, qui furent adoptées par la chambre, et dont la substance était :

1o. Que dans ses procédés contre les juges en chef, la chambre avait été influencée par un sentiment de devoir, par le désir de maintenir les lois et la constitution de la province, et par des égards pour l’intérêt du public et l’honneur du gouvernement ;

2o. Qu’elle avait le droit d’être entendue, et de produire des témoignages au soutien de ses accusations ;

3o. Que par son opposition, le conseil législatif lui avait ôté le moyen d’être représentée par un agent, pour soutenir ses accusations ;

4o. Qu’elle a toujours désiré, et désire encore être entendue au soutien de ses accusations ;

5o. Qu’il est expédient qu’une requête, ou représentation, soit présentée au prince régent, le priant de fournir à l’assemblée le moyen d’être entendue, et de pouvoir soutenir ses accusations.

Elle n’eut pas le temps de mettre à effet cette dernière résolution ; sommée, le 26, de se rendre auprès de l’administrateur en chef, dans la chambre haute, son Excellence, après avoir sanctionné le seul bill passé dans la session[69], lui dit, entre autres choses :

« La chambre d’assemblée s’est encore occupée d’un sujet sur lequel la décision du prince régent lui avait été communiquée ; en regrettant que cette chambre ait pu être induite à perdre de vue le respect qui était dû à la décision de son Altesse royale, il est de mon devoir d’annoncer ma détermination de proroger le présent parlement, et de recourir de nouveau au sentiment du peuple par une dissolution immédiate. »

Ayant reçu avis que Sir John Coape Sherbrooke, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle Écosse, avait été nommé capitaine-général de l’Amérique britannique, Sir Gordon Drummond s’embarqua pour l’Angleterre, le 21 mai, et fut remplacé, ad interim, par le major-général Wilson.

Le chevalier Sherbrooke arriva à Québec le 12 juillet. Le premier acte de son administration fut un acte de bienfaisance. Des gelées hâtives avaient fait manquer la récolte dans les parties inférieures du district de Québec, et plusieurs paroisses allaient se trouver dans un dénuement presque absolu. Le nouveau gouverneur s’empressa de leur envoyer des vivres pris dans les magasins du roi, ou achetés sur sa propre responsabilité, et les délivra ainsi opportunément de la famine dont elles étaient menacées.

Les élections faites au printems n’avaient pas apporté un changement sensible dans la composition de l’assemblée. Cette chambre ne jugea pas néanmoins à-propos de continuer à s’occuper de l’affaire des juges en chef, au commencement de la session ouverte le 15 janvier 1817, et elle l’oublia plus tard, au grand mécontentement de M. J. Stuart et de ses amis. Elle ne fit pourtant que changer la direction de ses batteries ; elle trouva dans la conduite officielle d’un autre juge, M. Louis Charles Foucher, des sujets de plainte et d’accusation ; et ce fut, cette fois, M. Austin Cuvillier qui se porta pour accusateur en chef. Il trouva dans M. Samuel Sherwood, avocat du Haut-Canada, récemment élu pour le comté d’Effingham, par l’influence de quelques Canadiens de Mont-réal, un adjoint actif et ardent. Quoique les accusateurs de M. Foucher eussent pour approbateurs des membres estimables de l’assemblée, MM. Taschereau, Davidson, Gugy, Vanfelson, Andrew Stuart, et autres, on ne peut guère s’empêcher de sourire, en voyant qualifiés de « hauts crimes et délits », les légers écarts, les petites irrégularités, portés à sa charge, et une vengeance éclatante et exemplaire appellée sur ces prétendus forfaits.[70]

Le 3 mars, il fut présenté au gouverneur une adresse, où son Excellence était priée de suspendre M. Foucher de son office de juge, jusqu’à ce que le plaisir du roi fût connu, et de transmettre au prince régent une adresse conforme, lui demandant que le juge Foucher fût destitué, en conséquence des accusations qu’elle portait contre lui, et que l’autorité du gouvernement impérial intervînt pour qu’il fût amené à justice.

Sans paraître étonné que la chambre d’assemblée demandât que M. Foucher fût destitué et puni, avant d’avoir été jugé dans les formes et condamné, le gouverneur lui répondit, « Qu’il ne manquerait pas de transmettre au ministre des colonies les résolutions qu’elle avait adoptées contre M. Foucher, et son adresse au prince régent, avec les documens qui l’accompagnaient ; que plusieurs raisons auraient pu l’empêcher de suspendre le juge Foucher ; mais qu’il avait cru que les pouvoirs dont il était revêtu par sa commission l’avaient autorisé à lui faire savoir qu’il désirait qu’il s’abstînt de remplir ses fonctions de juge, jusqu’à ce que la volonté du prince régent fût connue. »

« En condescendant ainsi prudemment aux vœux de l’assemblée, dit M. Christie, le gouverneur contentait ce corps, sans empiéter sur les prétentions du conseil législatif, qui persistait à refuser à la chambre basse le droit d’accuser sans son aveu. »

Les procédés de l’assemblée ayant été communiqués par message au conseil législatif, ce corps adopta des résolutions, ou conclusions, et une adresse au prince régent, dans laquelle il exposait qu’il n’avait participé en aucune manière aux procédés de l’assemblée ; que l’accusé n’avait point été entendu pour sa défense, et qu’il n’avait en aucune communication des accusations portées contre lui, &c. ; que si des articles de plainte et d’accusation n’exigeaient point le concours du conseil, et ne pouvaient être jugés ni par cette chambre, ni par un autre tribunal établi, ou à établir dans la province, tout officier public devenant sujet à être obligé de passer en Angleterre, avec les témoins qui pourraient servir à le disculper, devait se regarder comme étant entièrement à la merci de l’assemblée, et comme cessant d’être qualifié pour remplir les devoirs de sa charge avec indépendance et fidélité », &c. Enfin, la chambre haute priait son Altesse royale de n’infliger aucune punition à M. Foucher, avant quelle eût concouru aux accusations portées contre lui, ou eût été autorisée à en juger, &c.

Ces procédés ayant été communiqués à l’assemblée, elle résolut, « Que les prétentions du conseil n’étaient fondées ni sur la loi constitutionnelle, ni sur l’analogie ; qu’elles tendaient à empêcher que des coupables hors de l’atteinte des tribunaux du pays ne fussent amenés à justice ; et à maintenir, perpétuer et encourager un pouvoir arbitraire, illégal, tyrannique et oppressif sur le peuple du pays. »

M. Samuel Sherwood, dont nous avons parlé plus haut, non content d’être un orateur fécond et bruyant de l’assemblée, s’était fait une occupation favorite d’écrire pour les gazettes de longs articles, où à la violence de quelques uns de ceux de l’ancien Canadien[71], était ajoutée une impolitesse de langage étrange pour des lecteurs français[72]. Après que les lettres et l’ordre en conseil concernant la mise au néant des accusations contre les juges en chef, eurent été publiés, pour tourner le tout en ridicule, il fut publié une parodie, dans laquelle allusion était faite à la conduite privée du prince régent, du duc d’York, &c. M. Sherwood fut soupçonné d’être l’auteur du travestissement, et arrêté comme auteur d’un libelle contre le gouvernement du roi, &c. En conséquence d’un ordre donné par l’administrateur Drummond à M. Monk, de rester à Québec pour présider le conseil législatif, la cour criminelle du district de Mont-réal, de mars 1816, n’avait pu être tenue. Pour obvier à cet inconvénient, il avait été émané une commission d’oyer et terminer, après la prorogation du parlement. Dans cette cour, présidée par le juge en chef, le grand jury avait trouvé matière à procès pour libelle contre Samuel Sherwood. Le procès n’avait pas eu lieu dans cette cour, mais M. Sherwood avait été astreint à donner un fort cautionnement pour paraître à un terme prochain de la cour du banc du roi. Dans la session de 1817, il présenta à l’assemblée une pétition où il accusait le juge en chef de Mont-réal d’avoir enfreint les lois de la province, &c., en ne se trouvant pas à Mont-réal, pour y présider, &c., et se plaignait que les grands jurés, au lieu d’être pris dans les différentes parties du district, avaient tous été pris dans la ville de Mont-réal, et parmi les partisans du juge en chef, &c.

Ces circonstances ne faisaient point que M. Sherwood fût, ou ne fût pas l’auteur de la parodie, ni que cette parodie fût, ou ne fût pas un libelle diffamatoire ; et si le tirage des jurés dont il se plaignait était, comme il le disait, contraire à la constitution britannique, il n’avait pas encore été regardé comme contraire à la loi et à la coutume du pays.

Quoiqu’il en soit, la pétition de M. Sherwood fut référée à un comité spécial. À la prière de M. Monk, l’ordre qui lui avait été donné par Sir Gordon Drummond, fut communiqué par le gouverneur à l’assemblée ; ce qui n’empêcha pas quelques uns de ses membres de continuer à regarder le juge en chef de Mont-réal comme grandement coupable. Suivant M. Sherwood, la lettre de M. Monk au gouverneur Sherbrooke, priant son Excellence de communiquer à l’assemblée la lettre de Sir Gordon Drummond, était un libelle contre sa Majesté ; le moyen de justification employé par M. Monk ajoutait l’insulte à l’injure, &c.

Cependant, les documens communiqués à l’assemblée sur le sujet furent référés au comité sur la pétition de Samuel Sherwood. Le rapport de ce comité fut peut-être plus modéré qu’on n’aurait dû s’y attendre : après s’être un peu appitoyé sur le sort de M. Sherwood, « astreint par les juges de la cour de Mont-réal, à s’y trouver présent, depuis le 1er jusqu’au 10 mars, par un cautionnement onéreux », il conclut, en disant « qu’il est fermement persuadé que, nonobstant les injonctions expresses de Sir Gordon Drummond faites au juge en chef Monk, pour le dispenser de l’exécution d’un statut provincial, le dit juge en chef n’aurait pas dû obéir à de telles injonctions, qui étaient évidemment contraires à la loi[73] ».

Mais si le rapport dont nous venons de parler fut modéré, la conduite de la chambre fut tout le contraire. Le 19 février, son sergent d’armes eut ordre d’appréhender et tenir sous sa garde M. Samuel W. Monk, neveu de l’honorable J. Monk, et un des greffiers de la cour de Mont-réal, comme « coupable de mépris, pour avoir enfreint les priviléges de la chambre, en refusant de communiquer au comité spécial, &c., certains registres et papiers ayant rapport aux accusations portées contre le juge Foucher ». M. Ogden, un des membres, ayant présenté une pétition de la part de M. Monk, demandant à se justifier et à être libéré, cette démarche fut regardée comme une aggravation de son offense ; et à l’instance de MM. Taschereau, Vanfelson et Sherwood, il fut condamné à être confiné dans la prison commune du district jusqu’à la fin de la session.

Une loi qu’on ne saurait lire sans surprise dans le livre des statuts de cette époque, c’est l’acte « établissant des règlemens concernant les étrangers ». À la demande du gouverneur, et à l’instance de M. Taschereau, l’acte fut renouvellé, ou continué, par l’assemblée unanimement, ou après une très faible opposition de la part de M. Davidson et de M. Viger[74].

Vers la fin de la session, l’assemblée présenta au gouverneur deux adresses, le priant, par l’une, d’accorder à son président tel salaire qu’il jugerait convenable à la dignité de son office, et par l’autre, d’offrir une pension à la veuve de M. J. A. Panet, qui avait été orateur de l’assemblée pendant vingt ans, sans recevoir aucune rémunération.

Sir G. C. Sherbrooke répondit, sur la dernière adresse, qu’en considération des longs services et du grand mérite du dernier président de l’assemblée, il avait, au nom de sa Majesté, accordé à sa veuve une pension annuelle et viagère de £300 ; et sur la seconde, que le conseil législatif ayant, par une adresse du 14 mars 1815, représenté qu’il conviendrait que son président fût aussi rémunéré par un salaire annuel, il acquiescerait volontiers aux vœux de l’assemblée, et accorderait à son orateur une rémunération convenable, pourvu qu’il pût en agir de même à l’égard du président du conseil.

La chambre d’assemblée acquiesça à cet arrangement, quoique le président du conseil fût le même Jonathan Sewell, juge en chef de la province, qu’elle venait d’accuser publiquement, et qu’elle accusait encore tacitement, de « hauts crimes et délits » ; et depuis lors, la province a été chargée d’une dépense additionnelle de £2,000 par année.

Les octrois d’argent se montèrent, dans cette session, à plus de £100,000, dont 55,000 « pour l’amélioration des communications intérieures ».

Parmi les lois les plus utiles de la session, on peut compter celles qui furent passées sous les titres suivants :

« Acte qui pourvoit à l’enrégistrement de toutes lettres-patentes par lesquelles il sera fait, ci-après, quelque octroi de terres incultes de la couronne » ;

« Acte qui donne de plus amples pouvoirs au gouvernement pour prévenir l’introduction des maladies pestilentielles ou contagieuses ;

« Acte pour approprier une certaine somme d’argent pour l’encouragement de l’inoculation de la vaccine ;

« Acte pour régler le commerce entre les États-Unis d’Amérique, par terre, ou par la navigation intérieure. »

En prorogeant le parlement, le 22 mars, le gouverneur adressa aux membres des chambres le discours suivant  :

« Je ne puis vous décharger des devoirs importants qui vous ont occupés, sans vous exprimer ma reconnaissance la plus vive pour l’attention et le dévouement que vous avez apportés à l’expédition des affaires importantes qui ont été soumises à votre considération, pendant la présente session.

« L’empressement avec lequel vous avez accordé les fonds nécessaires pour soulager les paroisses en détresse, et pour d’autres objets relatifs au service public, exige de ma part les plus sincères remercîmens, et je vous prie d’être persuadés que j’emploierai toutes les précautions nécessaires, pour assurer à vos octrois généreux un emploi convenable.

« Avant de nous séparer, permettez-moi de vous faire sentir la nécessité d’user de votre influence pour inculquer dans l’esprit des habitans de vos districts respectifs, cet esprit de loyauté, d’industrie et d’harmonie si essentiels à la prospérité et au bonheur du peuple.[75] »

  1. « Orateur, en Angleterre, le président de la chambre des communes. » — Rivarol. — « En Angleterre, le président de la chambre basse, auquel les membres doivent adresser la parole. » — Boiste.
  2. « Un fait qui n’est pas généralement connu, mais qui n’en est pas moins réel, c’est que la masse de la population du Bas-Canada vit d’un mauvais œil, ou avec une parfaite indifférence, la constitution actuelle, lors de son introduction. » — Gazette de Québec, Janvier 1831.
  3. Il se composa des honorables Wm. Smith, juge en chef, Chaussegros de Léry, Hugh Finlay, de Bellestre, Dunn, P. R. de Saint-Ours, Harrison, Baby Collins de Longueil, Mabane, de Lanaudiere, Pownall, de Boucherville, Fraser, et Sir John Johnson.
  4. Ce furent les honorables Wm. Smith. P. R. de Saint-Ours, H. Finlay, F. Baby, T. Dunn, J. de Longueil, A. Mabane, et Pierre Panet.
  5. « Lieutenant-Governor Clarke and his Council gave English names to Counties wholly inhabited by a people speaking French. »
  6. Glengary, Stormont, Duddas, Grenville, Leeds, Frontenac, Ontario, Addington, Lenox, Prince-Edward, Hastings, Northumberland, Durham, York, Lincoln, Norfolk, Suffolk, Essez, Kent.
  7. Ce furent, à Québec, MM. Lymburner, Allsopp, Grant, Lindsay, lester, Young, Smith, fils, &c. : à Mont-réal MM. Frobisher, Dunlop, M’Gill, Todd, Richardson, &c.
  8. Pour MM. Bedard, Boileau, de Bonne, Boisseau, Boudreau, Cherrier, Digé, Duchesnay, Dufour, Dufresne, Dunière, Durocher, Guerout, Lacroix, Lavaltrie, Legras-Pierreville, de Lotbinière, Malhiot, Marcoux, Olivier, B. Panet, Papineau, de Rocheblave, de Rouville, Saint-Georges Dupré, Saint-Martin, Taschereau, de Tonnancour.

    Contre : MM. Dambourges, P. L. Panet, de Salaberry, Barnes, Coffin, Frobisher, Grant, Jordan, Lees, Lestor, Lynd, M’Gill, Macnider, O’Hara, Richardson, Todd, Walker, Young.

    La principale raison de M. M’Gill pour préférer M. Grant à M. Panet, était que l’orateur devait connaître parfaitement la langue française et la langue anglaise, mais particulièrement la dernière. M. Bedard ayant dit que M. J. A. Panet entendait assez la langue anglaise pour conduire les affaires publiques, M. Richardson donna à entendre que les Canadiens étaient tenus, par tous les principes de la reconnaissance et de l’intérêt, d’adopter la langue anglaise. M. P. L. Panet, parlant dans le même sens, demanda si le Canada n’était pas une colonie anglaise ; si la langue anglaise n’était pas celle du souverain et de la législature dont les Canadiens tenaient leur constitution ? et, de la réponse qu’il se faisait à lui-même, il concluait qu’il y avait nécessité absolue pour les Canadiens d’adopter la langue anglaise, &c. M. J. A. Panet observa que le roi d’Angleterre parlait toutes les langues, et faisait des traités avec toutes les nations dans leurs propres langues, aussi bien que dans celle de l’Angleterre ; que le français était la langue des habitans de Jersey et de Guernesey, bien qu’ils fussent sujets de l’Angleterre, &c. M. J. Papineau observa que quoique le Canada fît partie de l’empire britannique, il ne s’en suivait pas qu’un Canadien qui n’entendait pas la langue anglaise, dût être privé de ses droits, &c.

  9. « Toute louange est dûe à la divine providence, qui après avoir rompu les liens qui unissaient le Canada à la puissance qui l’avait établi, le sauve actuellement des tragédies jouées sur un théâtre d’anarchie, qui outragent l’humanité, et que l’on pourrait même reprocher à des barbares. En conséquence, nous déclarons notre vive reconnaissance envers le ciel, qui, après nous avoir séparés de cette union* nous a laissés aux soins et à la protection d’un monarque qui, ayant employé le succès de ses armes pour étendre sa bienfaisance, et principalement pour cette dernière et la plus grande des instances* répétées de sa munificence, par laquelle nous entrons dans une participation généreuse des priviléges et

    *. Nous nous servons de la traduction officielle M. J. F. Cuguet, que les conseillers canadiens trouvèrent bonne, en apparence. de la sûreté des habitans natifs d’un royaume distingué par sa félicité, sons une forme politique la mieux calculée* de toutes pour l’augmenter et l’assurer. »

  10. Le statut, ou « Acte pour payer les salaires des officiers du conseil législatif et de l’assemblée, et pour défrayer les dépenses contingentes d’iceux », est, et devait être de cette première session.
  11. De « ces hommes qui remontaient les rivières sur de légers canots d’écorce, franchissaient les rapides, traversaient des chaînes de montagnes, portaient l’étonnement et l’épouvante parmi de nouvelles nations indiennes, différentes dans leurs origines, leurs mœurs et leurs langues ; se familiarisaient avec elles ; créaient et étendaient de jour en jour de nouveaux moyens de commerce. Qui pourrait décrire les obstacles qui s’offraient devant eux, à chaque pas ; les dangers toujours renaissants qu’il fallait braver ? Leur audace, sans doute, leur génie était inspiré, soutenu par l’immensité d’un spectacle unique par tout le globe. » — M. Robin, Voyage dans l’intérieur de la Louisiane.
  12. « This I consider as the highest and southernmost source of the Unjigah, or Peace River, which after a winding course through a vast extent of country, receiving many large rivers in its progress, and passing through the Slave Lake, empties itself into the Frozen Ocean, in 70 (ailleurs 69½) degrees north latitude, and about 135 west longitude.McKenzie. »
  13. « L’arrivée du très honorable Guy lord Dorchester et de sa famille, en septembre, porta la joie dans tout le pays, tant était grande la confiance que l’on mettait dans sa prudence. — Il reçut des adresses de félicitation de toutes les parties de la province, qui le regardait comme l’auteur et l’appui de la constitution qui lui avait été accordée. » — M. J. F. Perreault, Abrégé de l’Histoire du Canada.

    Un éloge également mérité serait celui de lady Carleton, dont les belles et bonnes qualités de l’esprit et du cœur demeurèrent longtems empreintes dans la mémoire des dames de Québec.

  14. M. Perrault.
  15. Si quelqu’un n’est pas content de ce style, qu’il sache qu’ici, et souvent ailleurs, c’est celui des auteurs, ou des traducteurs officiels du temps. Avec eux, non agebatur de verbibus, sed de reis.
  16. Il y eut cette singularité, ou cette symétrie, dans la formation de ce régiment, que le lieutenant-colonel, le major, et les capitaines et enseignes du 1er bataillon, furent des Canadiens, à l’exception d’un seul de chacun des trois grades ; et que dans le second bataillon, ce fut symétriquement, ou systématiquement, le contraire.
  17. « La déclaration de guerre des Français contre les Anglais n’avait causé aucune sensation pénible dans le cœur des Canadiens, et n’avait nullement ébranlé leur fidélité. » — M. Perrault.
  18. La condamnation eut lieu le 7 juillet 1797, et l’exécution, le 21 du même mois. « Le corps resta pendu vingt-cinq minutes, et alors la corde fut coupée. Une plate-forme, sur laquelle était placé un billot, fut apportée près de la potence, et il fut allumé un feu pour exécuter le reste de la sentence. La tête fut tranchée, et l’exécuteur la tenant élevée, à la vue du public, cria : « La tête d’un traître. » Il fut fait une incision au-dessous de la poitrine, et une partie des entrailles furent tirées et brûlées. Les quatre quartiers furent marqués avec un couteau, mais ne furent point séparés du tronc. » — Procès de David MacLane.
  19. « Une espèce d’insensé, un banqueroutier américain, qui n’avait avec la population de la province d’autres liaisons que celle d’avoir engagé un Canadien à un écu par jour, tomba dans les pièges de quelques unes de ses connaissances résidant dans la province ; subit un procès et fut pendu pour crime de haute trahison, et chacun de ceux dont les témoignages servirent à le faire condamner eut en récompense un octroi de trente à cinquante mille acres de terres de la couronne tandis que le pauvre homme à l’écu par jour fut tenu en prison, pour non-révélation de trahison, jusqu’à la paix d’Amiens. » — Gazette de Québec.
  20. Peut-être pourtant n’avaient-ils pas tort de vouloir que les palais de justice, les prisons, les maisons de correction, ou pénitentiaires, et autres établissemens locaux, fussent érigés au moyen de cotisations, ou taxes directes, imposées aux districts, comtés et villes pour l’avantage particulier desquels ces établissemens seraient faits.
  21. Traduit et imprimé en français par ordre d’un précédent parlement.
  22. « The honorable members of the Legislative Council, who were friendly to constitutional taxation, as proposed by our worthy members in the Home of Assembly. »

    « Our Représentatives in the Provincial Parliament, who proposed a constitutional and proper mode of taxation for building Goals, and who opposed a tax on commerce for that purpose, as contrary to the sound practice of the Parent State. »

    « May our Représentatives be actuated by a patriotic spfrit for the good of the Province, as dependant on the British Empire, and divested of local prejudices. »

    « Prosperity to the Agriculture and Commerce of Canada, and may they aid each other, as their true interest dictates, by sharing a due proportion of advantages and burthens. »

    « The City and County of Montreal, and the Grand Juries of the District, who recommended local assesments for local purposes. »

  23. Résoudre, Résolu, Résolution, sont des anglicismes qui doivent paraître bien étranges à ceux qui n’y sont pas habitués. Résolution est pourtant une « proposition adoptée par le conseil des Cinq-Cents ». — Dict. de l’Académie.
  24. Ce journal remplaçait, mais pour la partie anglaise seulement, le British American Register et Registre de l’Amérique Britannique, établi en 1803, mais discontinué après le 26ème numéro.
  25. Des mots anglais, serjeant at arms.
  26. Avant l’établissement de la constitution de 1792, il n’était pas permis, en Canada, de publier sans permission, même les nouvelles du jour. « Un fait curieux, et qui montre bien l’esprit du temps et du gouvernement d’alors, c’est que l’imprimeur de la Gazette Littéraire a le soin d’avertir, dans une espèce de prospectus, publié quelque temps avant la sortie de son premier numéro, qu’il insèrera tout ce qu’on voudra bien lui communiquer, « pourvu qu’il n’y soit fait aucune mention de la religion, du gouvernement ou des nouvelles touchant les affaires présentes, à moins qu’il ne fût autorisé du gouvernement » — L’Observateur.
  27. L’année suivante, fut établi le Courier de Québec, journal d’une politique, ou polémique, plus modérée, et un peu plus dans le genre littéraire.
  28. Political Annals of Lower Canada.
  29. Qui, l’année précédente, avait rendu un compte si ample, et si satisfaisant du zèle extraordinaire des miliciens commandés pour servir activement, en cas de guerre, que le président Dunn s’était cru « justifiable, en soutenant qu’en aucune partie des domaines de sa Majesté, il n’avait jamais été témoigné un dévouement plus ardent pour la personne de sa Majesté et son gouvernement ».
  30. MM. Pierre Bedard, J. F. Taschereau, J. L. Borgia, François Blanchet, et autres.
  31. À la majorité de 23 contre 17. Les membres de la minorité, à qui l’on attribua le tort de croire qu’une résolution de l’assemblée équivalait, dans ce cas, à un acte du parlement, étaient, MM. Bedard, Borgia, Bourdages, Caron, Chagnon, Delorme, Duclos, Durocher, Hebert, Langlois, Meunier, Papineau, Robitaille, F. Roy, Roy-Portelance, Trestler, Viger.
  32. Il n’en avait pas été sanctionné moins de trente-deux dans la session précédente.
  33. Un nouveau journal fut établi à Québec, dans l’intérêt du gouvernement et des gens en place. Il eut des lecteurs assez nombreux, peut-être, dans les villes ; mais dans les campagnes, le Canadien avait pris les devans : et ceux qui avaient mis sur pied le Vrai-Canadien, moyennant probablement quelques sacrifices pécuniaires, manquèrent ensuite de désintéressement, ou de zèle, pour le soutenir.
  34. La passion met quelquefois en avant des propositions que la raison n’accueille pas toujours comme des vérités évidentes ou démontrées.
  35. Voir plus bas.
  36. Apparemment de peur d’enfreindre le droit des électeurs qui avaient porté M. de Bonne à l’assemblée.
  37. « Sir James Craig was no doubt led into those odious measures by his council, who were chiefly men who had acquired undue influence in the province, and who, under pretence of upholding his administration, but in reality with mercenary views, persuaded him to do foolish and unjust things. » — M. M’Gregor, British America.
  38. Ces citoyens, du nombre desquels étaient M. D. B. Viger et M. Joseph Bedard, eurent vent des basses intrigues qui se tramaient contre eux, et purent les déjouer, grâces à la franchise et à l’honnêteté de M. James Brown, l’imprimeur dont on avait voulu faire, préparatoirement, un instrument de déception.
  39. Quelque temps avant la saisie du Canadien, il avait été défendu aux bureaux de la poste de le recevoir.
  40. Pour plus de brièveté, nous donnons ici plutôt le sens que les termes mêmes de la proclamation.
  41. L’acte « pour la meilleure préservation du gouvernement », &c.
  42. Memoirs of the Administration of Sir James H. Craig.
  43. It was injudicious policy in Sir James Craig to make large grants of land, especially to men who came on spéculation from the United States, to the prejudice of the loyal Canadians, who were even then to much crowded on the seignories. — M. McGregor.
  44. The ill treatment which Canadian individuals experienced, I do not charge to the conduct of Sir J. Henry Craig. In my mind, he was wrongfully aceused of the severity attributed to his governement, for he was an excellent man. But, unfortunately, his infirmities subjected him to hear with many inconveniencies. He was obliged to see and to hear through the medium of councillers ; an untoward circunsiance, which gave an unnatural air to his mesures and rendered them unpopular, in most instances, among the inhabitants. — Canadian Inspector.
  45. M. Pierre Bedard, chef de l’opposition, sous l’administration de Sir J. H. Craig, fut nommé juge provincial, ou résident, des Trois-Rivières : M. Louis Bourdages, le plus violent adversaire de cette administration, fut fait lieutenant-colonel de milice, et montra, comme tel, un peu plus tard, un zèle si ardent, et suivant ses miliciens, si despotique, qu’il ne lui fut plus possible de se faire dans son comté de Richelieu, et qu’il fut obligé de recourir à celui de Buckinhamshire (Yamaska*).

    * His great zeal for the defense of the country, at the head of his batalion, when he was invaded, and the unavoidable suffering of his militiamen, at that time, diminished his consideration with them. — Canadian Spectator.

  46. C’est une question de savoir si, lorsque les gouvernemens se font la guerre, à tort ou à droit, sans l’avis des peuples, les simples citoyens sont tous obligés de prendre les armes, et d’exposer leurs familles et leurs propriétés à la vengeance de l’ennemi. Les gouvernemens qui déclarent, ou qui se font déclarer la guerre, devraient, ce nous semble, compter sur autre chose que le dévouement des bourgeois et des paysans, qui, le plus souvent, ignorent d’où vient le différent, et de quel côté est le tort ou le bon droit. Depuis que les souverains d’Europe ont des armées régulières, des hommes engagés exprès pour le service militaire, on a vu les provinces menacées, envahies, conquises, sans que les simples citoyens s’y soient opposés, ou même aient été censés devoir s’y opposer. L’obligation générale de le faire serait plus dure encore pour une colonie, qui n’a aucun contrôle sur la conduite de sa métropole. Lors de la première guerre américaine, les Canadiens s’étaient prononcés contre le plan qu’adoptait leur législature ; mais avant l’octroi de la constitution, il avait été fait des lois qui les assujettissaient tous au service militaire ; et depuis, ils étaient devenus sujets ou citoyens britanniques. Quoiqu’il en soit, des marchands de Liverpool ayant demandé au secrétaire d’état pour les colonies, quel moyen on avait pris pour mettre leurs marchandises en sûreté, le ministre leur répondit tout simplement, qu’on avait armé, ou qu’on allait armer les Canadiens.
  47. Les lieutenans étaient MM. Joseph Porlier, Paul Lacroix, Joseph Rolette et Xavier Biron. Entre les commandans des Sauvages étaient MM. Dickson, Askin, Charles Langlade et Michel Cadotte.
  48. Cette occurrence avait été précédée d’un exploit d’une hardiesse si extraordinaire, qu’il paraîtrait manquer de vraisemblance dans un roman. « Le 3 juillet, le lieutenant Frédéric Rolette, commandant du brigantin Hunter, accompagné de six hommes seulement, dans une chaloupe, aborda et prit, à dix heures du matin, le Cayuga Packet, goëlette américaine, qui avait à bord plus de quarante hommes y compris plusieurs officiers. » — Extrait en substance, de la Gazette de Québec.
  49. Le général américain, ses officiers et ses soldats, furent à Mont-réal, le 6 septembre. Après avoir été échangé, le général Hull fut jugé par une cour martiale, trouvé coupable, et condamné à être fusillé ; mais le président lui fit grâce.
  50. « Les hommes désignés d’une manière aussi arbitraire furent forcés de servir, quoique l’acte de milice n’autorisât aucun enrôlement forcé, excepté de ceux qui avaient été ballottés. La compagnie du Nord-ouest pouvait au plus offrir au gouverneur l’influence qu’elle pouvait posséder sur eux, mais non faire des soldats d’hommes qui, après leur voyage fait, n’étaient plus même à son service. » — Le Comte de Selkirk, en substance.
  51. La mention d’humanité aurait pu être regardée comme une sarcastique ironie, de la part de l’assemblée, si elle n’avait pas ignoré alors ce qui s’était passé. M. Beltrami, écrivain exagérateur, dit du colonel Proctor, devenu brigadier, « qu’il voyait avec une froide indifférence, fumer, à chaque instant, du sang américain, le tomahawk et le couteau des Sauvages ».
  52. « Pourquoi les Anglais veulent-ils imposer de nouveaux noms aux bourgs sauvages ? Au lieu de conserver le nom sonore et si fumeux de Niagara, ils ont voulu appeller cette ville Lennox, Nassau, Newark : le nom sauvage a toujours prévalu. Comment ne pas préférer Niagara, Cataraqui et Toronto à Newark, Kingston et York ? D’un côté l’harmonie et la majesté : de l’autre, les sons les plus heurtés et les plus durs. » M. Dainville.
  53. Le major de Haren était dans les environs du lieu où se livra le combat, avec une centaine d’hommes. Dans une lettre datée du 5 juin 1826, et publiée dans le No. 6, tome IV de la Bibliothèque Canadienne, le capitaine Ducharme dit que le lieutenant Fitzgibbon ne prit aucune part à l’action. M. Christie dit, au contraire, qu’il compléta la victoire. Le même écrivain attribue au capitaine Kerr ou Carr, la surprise et la défaite des Américains, et ne mentionne ni les capitaines Ducharme et de Lorimier, ni les officiers qui agissaient sous eux. La même omission, ou la même partialité, se remarque dans le journal intitulé The Soldier’s Companion, article, Spirited Exploit.
  54. Le lieutenant Rolette, devenu commandant du Lady-Prevost, après que le capitaine Buchanan eut été blessé mortellement, et descendu dans la chambre, continua à combattre avec une bravoure héroïque, jusqu’à ce qu’ayant été blessé dangereusement, et brulé considérablement par une explosion de poudre, qui tua ou blessa plusieurs de ses gens, il lui fallut rendre à l’ennemi son vaisseau tout désemparé, et près de couler à fond.
  55. L’Essécunisipi des Sauvages, et la Tranche des Français.
  56. Il avait été destitué par le gouverneur Craig, de son emploi de solliciteur-général, probablement en conséquence de sa manière de parler et de voter dans l’assemblée.
  57. Elle oubliait, ou mal-interprétait l’acte d’une de ses devancières.
  58. Ou méritoires, si l’on pouvait traduire ainsi l’expression anglaise. En effet, les Canadiens méritaient d’autant mieux de l’Angleterre, qu’ils ne défendaient leur pays que pour lui en conserver la possession, et qu’ils le défendaient contre une nation qui, loin de menacer leurs biens et leurs libertés, leur promettait, par une alliance avec elle, de nombreux avantages dont elle les disait privés.
  59. « Le village de la Prairie du Chien, sur la rive occidentale de l’Ouisconsin, est un entrepôt considérable. Cet endroit se présente comme par enchantement, et le contraste est d’autant plus frappant, qu’il annonce une certaine civilisation. La langue française est la dominante : on y est très bien reçu… Les Américains, en général, regardent les Canadiens comme des ignorans. J’ignore s’ils le sont : mais je sais qu’ils sont très polis et très obligeants ; ou du moins, je les ai toujours trouvés tels, même parmi la basse classe. » — M. Beltrami.
  60. Sous les capitaines Anderson, J. Rolette et P. Grignon ; et les lieutenans Graham, Brisbois et Augustin Grignon.
  61. Relation d’un Voyage à la Côte du Nord-ouest de l’Amérique Septentrionale, dans les années 1810, 11, 12, 13, et 14.
  62. Joseph Papineau, écuyer, membre marquant et influent de l’assemblée, depuis l’établissement de la constitution, et jurisconsulte recommandable par une connaissance approfondie des lois du Canada.
  63. Pensant apparemment qu’un « témoignage de la haute idée qu’avaient les chambres de la législature des talens et de l’habileté distinguée » de Sir George Prévost, ne viendrait pas à propos, ou aurait l’air d’une décision prématurée, quand son Excellence était formellement accusée d’avoir manqué de talens et d’habileté.
  64. « Le Canadien of Sir James Henry Craig is revived with redoubled violence in the Herald of Sir George Prévost. » — Canadian Inspector.
  65. Il avait succédé à M. J. Stuart, destitué par le chevalier Craig.
  66. « It is confidently asserted of Captain Downie, that he thought himself, with his single ship the Confiance, a match for the whole American squadron. » — M. Christie.
  67. « Ce fut un jour de deuil pour tout le pays de voir un officier qui avait si bien mérité, être obligé d’aller par terre (par des forêts désertes), dans une pareille saison, pour se disculper d’accusations sans fondemens. » — M. Perrault.
  68. Cette censure indirecte nous paraît ressembler fort à un sarcasme ironique : les conséquences données ici comme inintentionnelles, avaient été bien probablement voulues par les accusateurs des deux juges en chef.
  69. L’acte « qui continue pour un temps limité l’acte pour régler les procédures dans les élections contestées ».
  70. M. Foucher était accusé,

    1o. D’avoir, en 1811, étant juge aux Trois-Rivières, préparé la défense de Pierre Ignace d’Aillebout, son ami, poursuivi civilement par la couronne, et d’avoir ensuite rendu jugement en sa faveur ;

    2o. D’avoir, en 1814, dans un procès intenté par le même P. I. d’Aillebout, contre M. Étienne Duchesnois, aidé M. J. D. Lacroix, avocat du demandeur, à dresser un projet de déclaration* ;

    3o. D’avoir, la même année, fait raturer et effacer, sur le registre, un jugement par lui rendu, pour, dans le terme suivant, rendre un jugement contradictoire ;

    4o. De s’être, en 1816, rendu coupable d’un déni de justice et d’une grande oppression envers Charles Porteous, écuyer, avocat ; de l’avoir injustement et illégalement menacé de le suspendre, et de s’être servi envers lui de paroles basses et outrageantes.

    * Le témoignage de M. Lacroix n’ayant pas plu, il fut, à l’instance de M. Cuvillier, pris sous la garde du sergent d’armes.

    Telles que : « Taisez-vous : votre question est absurde ; vous dites une fausseté ; ce que vous dites est faux : je n’ai à rendre compte de ma conduite qu’à moi-même. » &c. Ce langage, s’il était fidèlement rapporté, ferait croire que le juge avait été lui-même insulté par l’avocat. — À l’occasion du langage attribué à M. Foucher envers M. Porteous, M.-A. Stuart, avocat, dit qu’un juge qui injurie un avocat est plus coupable à ses yeux qu’un voleur de grands chemins et un assassin !

  71. Ce journal avait été rétabli, mais pour devenir souvent absurde par le sens, et barbare par le style.
  72. Ces articles, originairement composés et publiés en anglais, étaient reproduits en français dans le Spectateur de Montréal, journal établi en 1813, et publié par M. C. B. Pasteur.
  73. Le juge en chef de la province, et de la cour du banc du roi pour le district de Québec, président du conseil législatif, avait été près de deux ans en Angleterre, pour repousser les accusations portées contre lui par l’assemblée. Le juge en chef de Mont-réal, mis aussi par la même chambre, dans la nécessité de se disculper, aurait pu passer aussi en Angleterre ; à moins qu’on ne prétendît qu’il eût dû se laisser condamner sans avoir été entendu.
  74. Les raisons données par M. Taschereau à l’appui d’un acte législatif aussi anomal, sont assez singulières. « L’objet en était, selon lui, d’empêcher toute liaison avec certains mécontens d’Europe, et surtout de France, qui s’étaient jettés depuis peu dans les États voisins ; d’empêcher certains individus pervers et dangereux, venant de France, de visiter le Canada, et d’obtenir sur les fortifications et les positions militaires de ce pays, une connaissance qui pourrait nous être fatale dans la suite. »

    M. Viger observa que si c’était un délit de faire connaître le pays, d’en donner une carte particulière et topographique, les travaux infatigables de son arpenteur-général (Joseph Bouchette, écuyer), devaient être considérés comme une offense grave ; que ce monsieur avait publié, à son grand honneur, des plans et des cartes topographiques de cette province, qui en donnaient toute la connaissance qu’on en pouvait avoir, au moment actuel. »

  75. Nous ne voyons pas bien sur quels faits particuliers cette recommandation était fondée ; mais elle était de nature à avoir en tout temps son à-propos.